Drapeaux ukrainiens retirés en catimini

Le soutien symbolique des différents cantons et communes suisses romands envers Kiev commence à s’essouffler. À Lausanne ou Genève, par exemple, l’étendard jaune et bleu a pris la poudre d’escampette sans faire beaucoup de bruit.

Alors que le conflit s’enlise sur le terrain, le drapeau ukrainien de l’Hôtel de Ville de Lausanne a été discrètement retiré lors du passage à l’an 2023. Le cas de la capitale olympique n’est pas isolé : plusieurs communes et cantons adoptent aujourd’hui une politique marquée par une certaine prudence en matière géopolitique. Fait troublant : l’installation des étendards avait souvent provoqué la publication de communiqués de presse soulignant le soutien qu’ils apportaient aux réfugiés ukrainiens, mais fort peu de publicité a été faite pour officialiser les retraits. À Genève, le service communication de la Cité de Calvin ne parvient d’ailleurs même pas à citer le jour précis où le symbole a été retiré. 

Sollicitée, la commune de Lausanne est plus précise : elle explique que si le drapeau a bien disparu après 2022, cela ne change en rien l’engagement de la capitale olympique en faveur de l’Ukraine. Cette solidarité se manifeste notamment par une collaboration avec l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM) afin de trouver des lieux d’accueil permettant de loger dans les meilleures conditions possibles les familles réfugiées. Mais la ville explique qu’« elle ne peut exprimer sa solidarité pour un seul pays sur le long terme alors que de nombreux drames se jouent ailleurs dans le monde ». 

Certes, il existe d’autres préoccupations majeures dans le monde. Pourtant, le conflit ukrainien a été au centre d’une attention médiatique et politique sans précédent dès le début des hostilités en février 2022. Dans ce contexte, d’autres collectivités ont choisi une stratégie plus conforme à la tradition de neutralité helvétique, notamment dans le Jura, à Delémont et Porrentruy, où un étendard de la Colombe de la paix a été privilégié. Les autorités neuchâteloises, quant à elles, n’ont affiché le drapeau ukrainien sur le château qu’une seule et unique journée symbolique, le 25 mars 2022. « Le Conseil d’État a tenu à marquer sa solidarité envers les victimes de la guerre en Ukraine, que ce soit sur place ou sur les routes de l’exil, nous explique-t-on. En sus des moyens qui sont actuellement déployés dans le Canton de Neuchâtel pour accueillir dignement les réfugié-e-s (sic) en provenance d’Ukraine, il a décidé de s’associer à l’action symbolique de plus en plus répandue à travers le monde qui consiste à hisser le drapeau ukrainien sur les bâtiments publics. Cela répondait également à la demande adressée au Conseil d’État par plus de trente député-e-s du Grand Conseil issu-e-s de plusieurs partis. » Et la communication du canton de préciser qu’il s’agissait là d’une « action symbolique ». 

Certaines communes maintiennent un cap plus clairement pro-ukrainien. À ce jour, les couleurs de ce pays flottent par exemple encore sur l’Hôtel de Ville d’Yverdon-les-Bains, malgré les réticences exprimées par l’UDClocale (20 Minutes du 5 décembre) ou par des amoureux qui ne souhaitaient pas célébrer leur union devant un emblème rappelant la guerre (24 Heures du 7 mai dernier). Reste que, comme le soulignait récemment dans Le Temps la présidente de l’association « Good Friends for Ukraine », Julia Peters, la solidarité des Suisses pour les réfugiés ukrainiens semble en train de se dissiper.

Commentaire

À l’évidence, le soutien symbolique reste important en Suisse romande en faveur de la cause ukrainienne. Il n’est toutefois pas interdit de se demander si l’affaiblissement de certaines mesures symboliques en 2023 s’inscrit dans un effacement inévitable de la thématique. Alors que Loukachenko, Macron et même Zelensky commencent à changer de champ lexical et abordent désormais les termes de « cessez-le-feu » et de « paix », certains se demandent même si des négociations décisives pourraient avoir lieu ces prochaines semaines. La cause ukrainienne, ainsi, entamerait sa transition vers le souvenir d’un conflit déjà bien loin derrière nous. Mais à quel prix ?

Max Frei




En route pour l’impunité

La justice française n’a toutefois pas retenu la troisième raison invoquée par les avocats des militants: le fait que se coller la main sur le bitume et nuire à la vie des usagers de la route serait l’unique moyen de faire face au changement climatique. Mais tout cela risque de changer, bientôt, puisque le juge a précisé que sa position pourrait «évoluer d’ici quatre ou cinq ans»…

S’il admet qu’il est délicat pour lui de commenter un jugement français et qu’il s’agit d’un droit étranger qu’il ne connaît pas, Philippe Nantermod, vice-président du PLR Suisse et avocat, se dit «surpris que l’on prétende que ces actions sont ʻpacifiquesʼ». Et le Valaisan de continuer: «Bloquer le trafic constitue une action violente de contrainte, une atteinte à la liberté des gens.» Valaisanne également, la députée écologiste Magali Di Marco n’approuve pas la désobéissance civile affichée par les militants français: «Je ne suis pas juriste mais il me semble que quand on parle de mise en danger d’autrui ou d’entrave à la circulation, ça peut être évidemment problématique, notamment pour les urgences médicales, mais bien moins que l’augmentation de la température terrestre de 3 ou 4 degrés qu’on subira d’ici la fin du siècle.»

Un acte signé et revendiqué

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos canons à neige. Durant les nuits du 30 au 31 décembre 2022, puis du 2 au 3 janvier 2023, des dispositifs de ce type ont été vandalisés aux Diablerets. Lors de la seconde action, un logo du groupuscule écologiste radical Extinction Rebellion a été trouvé.

Concernant ces actes de vandalisme, les deux politiciens sont sur la même longueur d’onde. «Les délinquants qui ont commis ces actes doivent être punis. Je ne vois aucune circonstance atténuante qui justifie ces actions violentes», glisse Philippe Nantermod. Magali Di Marco estime quant à elle que ces actes sont ceux «de personnes désemparées, mais contrairement aux jets de soupe sur des œuvres d’art préalablement protégées, qui sont des actes symboliques, il s’agit là de dégâts coûteux.»

D’autant plus coûteux que la branche souffre particulièrement cette année. Sur ce point également, les élus s’accordent malgré leurs conceptions très divergentes du militantisme climatique. L’élue verte détaille: «Je le répète, c’est un acte de vandalisme qui doit être condamné pour ce qu’il est. Si on crève les pneus de ma voiture, on ne va pas condamner plus fermement les auteurs si je viens de subir un divorce ou si je sors d’une dépression.» Le libéral lui emboîte le pas: «La loi est la même pour tous, que vous soyez fort ou faible. C’est un acte d’autant plus méprisable qu’il est anonyme et ne tient pas compte de ses conséquences pour les citoyens, mais il ne se justifierait pas davantage s’il était commis contre des entreprises très prospères.»

Rester droit dans ses bottes

Maintenant, avec le précédent de l’acquittement en France, doit-on craindre qu’une certaine souplesse se manifeste dans les jugements rendus en Suisse face aux militants du climat ou de toute autre cause pouvant nuire à la propriété privée, sous prétexte d’un motif plus grand? Pas forcément pour Philippe Nantermod: «Cela fait longtemps que ces milieux marxistes méprisent la garantie de la propriété, pourtant un des droits fondamentaux les plus importants. J’espère sincèrement que la justice reste solide (ou se ressaisisse quand elle dérape) et se souvienne que son rôle n’est pas de soutenir des causes militantes.» Il nuance: «Ces milieux restent marginaux. Et je ne crois pas qu’ils parviennent à réunir suffisamment de monde pour transformer fondamentalement notre société pour un fascisme vert. Au contraire, ils créent un sentiment de rejet chez une majorité silencieuse qui ne supporte plus les leçons de morale et l’agenda socialiste à peine voilé de ces mouvements.» L’inquiétude de Magali Di Marco se situe ailleurs: «Avec les tensions qui vont s’accumuler ces prochaines années, si on ne veille pas à une bonne répartition des efforts à faire entre riches et pauvres, ou qu’on continue à faire comme si de rien n’était, on va assister à des révoltes. Ça commence déjà avec l’aviation, où des décisions sont prises pour développer ce secteur en totale contradiction avec les objectifs fixés.»

Reste désormais à voir si la justice suisse préfère préserver la propriété privée ou si elle cédera, peu à peu, aux sirènes électoralistes et populistes de toutes les nouvelles causes qui verront le jour dans les prochaines années.

Justice à deux vitesses

D’un côté il y a des militants climatiques acquittés alors que leurs actions peuvent tout simplement provoquer la mort. Leur propre mort, d’abord, mais aussi celle d’un automobiliste surpris par un blocage de route ou d’une personne ayant réellement besoin de soins d’urgence. Une personne dont, tristement, l’ambulance resterait par exemple bloquée par un commando d’altermondialistes.

Et de l’autre côté il y a deux jeunes gens qui risquent de passer dix ans derrière les barreaux. Pourquoi donc? Ont-ils tabassé un inconnu? Dépouillé de pauvres passants de façon répétée? Non, non, ils ont simplement imité leurs autorités. Je vais vous éclairer avec le titre d’un article de France Info, posté le 20 novembre dernier: «Statue de Victor Hugo dégradée à Besançon: deux étudiants sont poursuivis et risquent une peine de dix ans de prison». Les deux hommes ont effectivement agi de manière idiote en repeignant le visage de la statue en blanc. Repeindre? Oui, car quelques jours plus tôt, à l’occasion des bientôt vingt ans de son installation, la Ville avait voulu que la statue, bien usée par le temps, soit de nouveau patinée. Elle a donc procédé à une restauration en «africanisant» le visage de l’auteur. Le tout, cela va sans dire, en ne respectant absolument pas l’œuvre de l’artiste sénégalais Ousmane Sow. «On dirait un Victor Hugo noir, ce qui n’a jamais été l’intention d’Ousmane. Et puis, je n’ai pas été prévenue par la Ville de cette intervention», peste d’ailleurs sa veuve Béatrice Soulé.

On résume. Des militants mettent des vies en danger: pas de problème. Une ville sabote une œuvre en sachant qu’elle ne risque rien: pas de problème. En revanche, des étudiants – dont les actes manquent cruellement de finesse – tentent de provoquer un peu: drame national et risque de prison ferme. On se demande ce qu’en dirait Victor Hugo.




Et si Berne… devait protéger ses élus?

A l’heure de débuter une chronique politique, qui plus est en année électorale, le nombre de sujets à aborder semble infini ou presque. Au-delà des éternelles analyses des enjeux et des calculs stratégiques, nous serions tentés de poser sur papier mille et une particularités qui font du système politique suisse ce qu’il est. Nous parlerions de cette machinerie subtile centrée sur l’esprit de milice et marquée par la représentativité accrue du Parlement. Nous vanterions la capacité de dialogue de nos élus, la collégialité, les amitiés dépassant les clivages politiques, l’amour du débat constructif et l’esprit bon enfant des rapports entre les représentants du peuple et leur souverain.

Pourtant, au tournant de l’an, l’événement qui a marqué les esprits romands – avant l’apparition des Corona-Leaks, sur lesquels nous reviendrons probablement et en dehors du burlesque feuilleton Son-Forget – est bien l’agression dont a été victime la conseillère nationale Céline Amaudruz. Un fait divers qui révèle une certaine réalité se développant à l’opposé des qualificatifs flatteurs énumérés ci-dessus. Un fait divers qui ne mériterait peut-être pas sa chronique s’il n’était le symptôme d’un mal plus grand et plus dangereux.
Plusieurs éléments ont d’ores et déjà été développés dans la presse au cours des dernières semaines. D’une part, on a disserté sur le mode opératoire: l’incursion d’une dizaine d’individus masqués, hurlant des insultes et jetant des produits nauséabonds sur le public à défaut de parvenir jusqu’au-devant de la salle afin d’achever l’entartage aura fait rire quelques journalistes du Temps et syndicalistes d’extrême gauche tout comme il aura provoqué une désapprobation large de la classe politico-médiatique.

Menace sur les élus

D’autre part, l’atteinte portée à la liberté d’expression a été longuement débattue. Si certains syndicats étudiants (CUAE) ou de la fonction publique (SSP) affirment soutenir ces actions de «condamnation publique» au nom de la liberté d’expression, la grande majorité des analystes plus sérieux aura remarqué que la multiplication des interruptions de débats et conférences menace grandement l’expression libre des opinions, en particulier au sein du milieu académique.

Un aspect relativement laissé de côté devrait pour sa part retenir notre attention. Il s’agit, concrètement, de la menace physique pesant sur les élus et autres acteurs de notre démocratie. C’est une thématique qui avait été fortement relayée à l’époque des mesures visant à endiguer la pandémie, mais qui peine à faire surface dans la couverture de l’affaire genevoise. Pourtant, les raisons ne manquent pas pour prendre au sérieux l’aspect sécuritaire de l’histoire.

Tout d’abord, la vidéo de l’événement permet d’entendre, au milieu des insultes reprises par la presse, un agresseur crier «Amaudruz, on va te fumer». Le narratif invoquant «l’humour» utilisé «symboliquement», réaffirmé au téléjournal par la représentante de la CUAE Aline Chappuis, ne tient pas la route. L’expression signifie littéralement «passer à tabac», «frapper», voire «tuer». Difficile de voir une autre symbolique.

Ensuite, la revendication publiée sur internet, qui annonce un combat de longue haleine car «l’UDC n’est pas la bienvenue à Genève», avant de prévenir: «La prochaine fois, ça ne se passera pas de la même manière. On sera plus nombreuxses, plus organiséexs, plus déterminéexs et plus prêtexs (sic) à en découdre», est d’une violence rare.

Finalement, et loin de nous rassurer, la plateforme utilisée pour cette revendication n’en est pas à son coup d’essai: entre appel à l’incendie criminel, menaces répétées, soutien aux luttes armées et revendications d’actes délictueux, le site renverse.co est régulièrement associé à diverses organisations criminelles au sens du droit pénal. S’il peut encore fédérer les associations d’extrême gauche malgré son interdiction en 2016, c’est parce qu’il a trouvé refuge aux États-Unis… un comble.

Il y a bel et bien lieu de s’inquiéter de la tournure difficile que prennent les choses. Alors qu’il y a une décennie, l’entartage d’une conseillère fédérale socialiste en ville de Genève et le passage à tabac d’un élu UDC à Zurich avaient soulevé l’indignation générale, force est de constater que la sécurité des élus est aujourd’hui plus que jamais remise en question, le problème devenant systématique.
Ce phénomène n’est par ailleurs pas limité aux seuls parlementaires: les témoignages récurrents de simples militants des partis recevant menaces et insultes laissent songeur. Pour couronner le tout, la révélation par le journaliste marqué à gauche Antoine Hürlimann des intimidations violentes dont il a été victime démontre que ce problème n’est pas limité à un seul cercle d’auteurs ou de cibles.

L’année électorale 2023 sera-t-elle celle d’un passage à l’acte dramatique? Il nous faut espérer que non. En revanche, il semble clair que l’autocensure gagnera encore du terrain tant que les élus, journalistes et militants politiques seront les cibles d’une violence toujours plus absolutiste et concrète. Et si Berne devait protéger ses élus? Alors la Suisse aurait perdu l’une des facettes centrales de son système politique unique et bien-aimé.




Et si on «fact-checkait» notre radio d’État ?

31 décembre 2022 – 11h00. Au volant de la voiture, à l’heure de faire quelques commissions en vue du réveillon, j’écoute le journal horaire de la RTS. Le journaliste commence en annonçant le décès du pape émérite Benoît XVI, confirmant ainsi les messages que j’ai reçus dans la dernière demi-heure pour annoncer le rappel à Dieu du pape émérite. Il continue en lisant le résumé de la vie de Joseph Ratzinger. À l’évocation de la résistance au nazisme des catholiques allemands ou encore de son riche héritage théologique, je ne cache pas mon étonnement, constatant alors une certaine justesse de ton, bien rare sur les ondes de la radio d’État lorsqu’il s’agit de sujets religieux. Sans doute les quelques jours d’agonie du pape Benoît XVI auront valu de nombreuses grâces pour l’Église, ainsi que quelques lumières pour le rédacteur du texte destiné à être dégainé au moment du décès!

Cet état de grâce n’allait cependant pas durer. Le naturel revenant au galop, ma satisfaction est rapidement douchée à l’écoute du journal télévisé de 19 h 30 du 4 janvier 2023, veille des funérailles. Le sujet du soir concernant l’actualité vaticane ne fait référence qu’aux supposées luttes d’influence que la mort du prélat allemand pourrait provoquer. D’un côté les «ultra-conservateurs» ne seraient plus tempérés par le pape émérite, n’hésitant plus à entrer en résistance face au pape François; de l’autre côté de l’échiquier ecclésial, le pape François aurait les coudées franches suite à la mort du «conservateur» Benoît XVI. Alors que le corps du Saint-Père est encore exposé à la vénération des 135 000 fidèles venus se recueillir sans cesse du matin au soir depuis trois jours, la télévision suisse imagine un film hollywoodien où il est question de guerres intestines et de potentiels complots.

Le soir de la sépulture, n’attendant plus rien de la RTS à ce sujet, mais espérant apercevoir quelque garde suisse connu ou autre compatriote helvétique au gré d’un reportage, je ne peux m’empêcher de visionner, une nouvelle fois, le journal télévisé. Et durant les trois minutes trente dédiées à la cérémonie présidée par le pape François, la présentatrice aborde la cérémonie sous l’angle de la popularité de Benoît XVI par rapport à son successeur. «Foule bien moins nombreuse que ce qu’avaient prévu les autorités» ou encore «Benoît XVI n’a jamais été très populaire auprès des Romains, et peu nombreux sont les jeunes catholiques qui ont fait le déplacement depuis l’étranger». En tant que catholique «génération Benoît XVI», qui l’a rencontré lors des JMJ de Madrid ou de son dernier Angelus du 24 février 2013, parmi les 200 000 catholiques venus lui dire un dernier au revoir, je suis piqué au vif. Comment peut-on, alors que la sépulture du pape allemand vient tout juste d’être refermée, affirmer que Benoît XVI n’a jamais été populaire, sans bien sûr justifier ces assertions par les moindres chiffres?

Je décide alors de mener ma petite enquête. La première difficulté consiste à retrouver les archives du Bollettino dans les méandres du site du Vatican. Je fais alors une première constatation: les statistiques sur «la participation des fidèles aux audiences et aux rencontres avec le Saint-Père» – titre officiel de la communication annuelle, généralement faite en décembre ou en janvier de l’année suivante – s’arrêtent, sans aucune explication, en 2016. Plus aucune statistique officielle n’est disponible pour l’année 2017 et les années suivantes. Une fois les données compilées, il apparaît clairement que Benoît XVI a joui d’une audience élevée et constante tout au long de son pontificat, du même ordre que celle que connut Jean-Paul II. Passées les deux premières années qui ont suivi son élection au ministère pétrinien, durant lesquelles les fidèles du monde entier, et notamment d’Amérique du Sud, furent particulièrement curieux de découvrir ce nouveau pape extra-européen, le pape François n’attire pas plus les foules que son prédécesseur.

Ainsi, bien que les données analysées n’aient en elles-mêmes aucune portée spirituelle et ne doivent pas servir de prétexte pour juger de la légitimité ou de la qualité d’un pontificat, je regrette que, alors que la presse du monde entier salue la mémoire du bien-aimé pape Benoît XVI, la RTS s’acharne à rabaisser la figure inoubliable que fut celle de Joseph Ratzinger. Plutôt que de comparer le pape démissionnaire au pape régnant, je voudrais proposer à notre télévision suisse de faire un sujet sur l’héritage théologique et sur les nombreux enseignements du pape bénédictin, qui perpétua les enseignements des audiences du mercredi initiées par Jean-Paul II. Je ne peux que conseiller aux lecteurs de relire les audiences générales traitant des grands saints tels que saint Augustin, saint Benoît, saint Paul, sainte Catherine de Sienne ou sainte Hildegarde de Bingen, ainsi que les explications du Credo ou du sacerdoce.

Au journal télévisé du 5 janvier, après le sujet sur les funérailles, la journaliste de la RTS s’interroge sur l’exposition du corps du pape défunt qui aurait créé «un certain malaise». Plus que jamais, notre monde moderne aurait besoin de grands théologiens comme Benoît XVI pour éclairer nos contemporains sur le sens de la vie. Alors que certains journalistes comme Jean-Pierre Denis, ancien directeur du journal La Vie, qui eut des mots très durs à l’encontre de Benoît XVI durant son pontificat, ont avoué avoir été «transformés» par ce pape, la couverture par la RTS de ces journées de deuil pour l’Église catholique a été particulièrement médiocre. Ce mauvais traitement de l’information, relevé de plus en plus souvent par les sphères politiques suisses, risque de contraindre la RTS à entamer une sérieuse remise en question; quitte à devoir à son tour faire face à sa propre disparition…

Nombre de fidèles présents chaque année aux audiences générales, aux audiences spéciales, aux célébrations liturgiques et à l’Angelus de 2000 à 2016 (Source: press.vatican.va)
Nombre de fidèles présents chaque années aux seules audiences générales de 1978 à 2018 (Source: press.vatican.va et agence SIR pour 2018)



Impressions macronesques

Le sport, c’est la joie et la joie est communicative, voire communicante? Ce dimanche 18 décembre 2022, nous aurions voulu être une mouche pour assister au briefing du Roi avant son entrée dans le stade. Le Roi, entendez Macron. Enfin, vous aviez compris car vous ne l’avez pas raté jour-là. Vous ne pouviez pas le rater.

Or donc, nanti des conseils d’une armada de Nadine, Hortensia, Jérôme, Hadrian, Alibert, Isée, Garance, Alceste pour ne citer qu’eux, Emmanuel se retrouve face à l’inattendu: son équipe n’existe pas. Il ne peut donc pas appliquer le plan de communication. Drame. Le voilà congelé, transi, peureux, ignorant. Le voilà face à lui-même. Tiens, bonne nouvelle, durant de longues minutes, il va même penser seul.

Et puis soudain la France se réveille et le match devient fou. Macron aussi. Perdus les conseils de l’armada. Il entre en fusion, en fission, en sublimation et… s’oublie! Il a posé la veste, relevé les manches. Sa cravate ne ressemble à rien. Le voilà hurlant, sautillant, gesticulant. Il est redevenu un enfant. Médusés mais polis, les émirs qui l’entourent – peu concernés dans le fond – respectent poliment le Président et se demandent en leur for intérieur s’il est comme cela à la maison. Peut-être oui dans le fond. Brigitte doit bien rigoler.

Question: un Président de la République peut-il faire cela? Réponse: non. Quand on est Président, on se tient bien, Punkt Schluss. On peut manifester sa joie, mais sans gesticulation. On ne crie pas. On représente la République et on se doit d’être un modèle. On lui pardonnera sur ce coup-là, puisque, encore une fois, il avait sans aucun doute oublié les conseils de l’armada.
Ce qu’on ne lui pardonne absolument pas en revanche, c’est son attitude d’après défaite. Et là, on devient franchement inquiets. Comment peut-on manquer à tel point de sensibilité, de pudeur, de tact, d’humanité, pour s’attaquer de la sorte à Mbappé? Kylian, effondré, en fait lui aussi un peu trop (il ne sourira pas une seule fois), mais sa tristesse lui appartient et il n’a pas besoin d’un clown qui s’accroche désespérément à lui et lui crache dans l’oreille de longues minutes.

Et là, le doute, le souci se font jour. A-t-il écouté sur ce scénario l’armada? «Président, si on perd, vous foncez sur Mbappé et vous le serrez tout fort dans vos bras.» Alors là, Macron, il a pas oublié. Il a fait, refait, encore fait et encore refait. Et à partir de là, on a confiné au pathétique.

Si ces étreintes déplacées sont le seul fait de Macron, alors c’est un autiste de l’attitude et un homme qui ne connaît rien, mais alors rien au sport d’élite. Si c’est le fait de l’armada, alors il peut toutes et tous les virer. Et si c’est une combinaison des deux, alors faut vite organiser des élections. Ah mais c’est juste, en France, on ne coupe plus la tête aux Rois. Dommage. DP

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Analyse

Un conseiller fédéral ne devrait pas faire cela

Verra-t-on, un jour, un de nos élus fédéraux troquer son costume de souris grise pour singer les poses avantageuses du président français devant une compétition quelconque? Pas de risque, nous répond un haut fonctionnaire: «Les conseillers fédéraux se montreraient bien plus mesurés et surtout courtois. Manifester sa joie quand on est en tribune est légitime. Un peu de chauvinisme ne fait jamais de mal. Et c’est de bonne guerre. Nos ministres portent d’ailleurs volontiers les vestes de la délégation, comme Guy Parmelin à Pyeongchang. Mais se transformer en supporter très ʻpremier degréʼ est plus délicat. Les règles du fair-play sont d’une certaine manière la version sportive de la courtoisie diplomatique. Il faut bien doser. Et dans le cas du président Macron, on brise tous les codes. Il se sent seul au monde, comme s’il était dans son salon. A ceci près qu’il est président d’une puissance nucléaire! Cela manque de retenue, voire de courtoisie.»

Ce ne sont toutefois pas les gesticulations de Jupiter durant le match qui ont semblé le plus inconvenantes à ce connaisseur du Palais fédéral: «Le plus problématique c’est son comportement après le match. Il s’approprie l’événement. Il prend l’événement en otage pour son image. Il va sur la pelouse consoler des joueurs qui n’ont rien demandé! Ce moment appartient aux sportifs, à l’encadrement, à leurs proches. Le sommet, ou plutôt le fond, est atteint lors du discours dans les vestiaires. S’il s’intéressait sincèrement aux joueurs, il ne se filmerait pas. On est dans la pire mise en scène. Cela ne fait que remettre une pièce dans le juke-box du ʻtous pourris, tous opportunistesʼ. D’ailleurs cette mascarade s’est retournée contre lui.» RP




L’art de ne pas vouloir lire correctement

Ma compagne étant originaire de France, je vais vous parler – courtement je vous le promets – de ma vie à l’étranger durant la période des fêtes de fin d’année. La famille de ma meilleure moitié vit dans une superbe région remplie de terroirs, gorgée de saveurs et de savoir-vivre, que je tiendrai secrète. Bien entendu, pour rejoindre cette terre encore préservée du progressisme fou, il nous est nécessaire de passer par une très grande ville gauloise, que je ne révélerai pas dans ces lignes non plus. Cette cité est superbe à tout point de vue, mais force est de constater que la transition démographique (le terme utilisé par Macron pour ne pas employer «grand remplacement», affreux concept de l’über-méga-droite) y est bien présente. Manifestations kurdes, échoppe de poulet, marché aux épices, mineurs isolés en survêtements américains… tout y est.

Après avoir traversé la cité, direction la campagne, le confort d’un âtre et l’odeur carnée et sucrée de la côte de bœuf saisie à quelques millimètres de la braise incandescente. Quand soudain: BFMTV! Sur le plateau, on palabre, on s’offusque, on s’indigne, on crie au padamalgam. Le méchant du jour, c’est Michel Houellebecq. L’écrivain s’est entretenu avec Michel Onfray dans sa revue Front Populaire. Les deux auteurs ont pris le temps, touché de nombreux sujets sur près de 50 pages, achetées et lues par votre serviteur. Mais une phrase de Houellebecq a engendré des petites coliques chez nos confrères de BFM et donné envie de porter plainte à Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. La phrase incriminée? «Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent». Aïe, patatras, ouh là là.

Un historique complexe

Comme le répètent à la façon de perroquets tous les médias subventionnés français depuis quelques jours, l’auteur a déjà, par le passé, «parlé en mal de l’islam.» Il me semble que ce constat manque un peu de nuance. Certes, Houellebecq est allé très loin en 2001. «L’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de bédouins crasseux qui n’avaient rien d’autre à faire – pardonnez-moi – que d’enculer leurs chameaux», ose-t-il dans son ouvrage Plateforme. Ou encore «La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré… effondré!», dans le magazine Lire lors de la sortie du même livre.

Seulement, il y a eu Soumission (la signification exacte du mot islam) en 2015. Et là, c’est plus compliqué. Florilège: «L’islamisation: c’est un processus spirituel, un changement de paradigme, un retour du religieux.» (L’ Obs, 5 janvier 2015). «Il y a plus d’opposition foncière entre un musulman et un athée laïc qu’entre un musulman et un catholique.» (Le Dauphiné libéré, 5 janvier 2015). «Que peut bien faire un musulman qui veut voter? Il est dans une situation impossible, en fait. Il n’est pas représenté du tout […]. Donc, à mon avis, un parti musulman est une idée qui s’impose.» (Mediapart, 2 janvier 2015). Et enfin: «Si on est religieux, on se dit que cette remontée du religieux est un signe de renouveau.» (sur le plateau de France 2, 6 janvier 2015). Comme l’avait décrit Bruno Viard, universitaire spécialiste du romancier, au moment de la parution de Soumission, «la question religieuse est présente depuis le début» dans l’œuvre de Michel Houellebecq: «Il est hanté par le spectre de la disparition de la religion. Houellebecq ne croit pas en Dieu. Mais il affirme qu’aucune société ne peut survivre sans religion sous peine de suicide car, avec la famille, la religion répond à une nécessité sociologique essentielle qui est de relier les hommes et de donner un sens à leur existence. D’où son désespoir: l’idée d’un grand vide…»
On peut donc constater, une nouvelle fois, que les «experts», «spécialistes», et «chroniqueurs» en tout genre font feu de tout bois sans s’attarder réellement sur ce qu’est, ce que pense un auteur complexe et nuancé comme Houellebecq. Durant tout l’entretien avec Michel Onfray, de nombreux sujets sont abordés dont un, bien plus intéressant pour un libéral comme moi. On sait que Houellebecq est un virulent critique du libéralisme. Il admet néanmoins par-ci, par-là, que c’est le seul système juridique (le libéralisme n’est pas une théorie économique, politique ou philosophique, seulement un système juridique) viable.

Un courage bon marché

Un chroniqueur quelconque, remplaçant quelconque d’un autre chroniqueur quelconque montre qu’il en a dans le pantalon et jette sa sentence, courageuse, sans concession: «Houellebecq est abject. Vous êtes ici chez vous, chers musulmans.» L’assemblée est à deux doigts d’applaudir, émue, conquise. Un autre invité lui emboite le pas et tente la surenchère: «Un Français de souche, ça n’existe pas. Nous sommes tous des bactéries.» Le constat qui saute aux yeux, qui agace, à la fin de toutes ces palabres: aucun chroniqueur ne semble avoir lu quoi que ce soit de ou sur Houellebecq et certainement pas l’entretien incriminé. Les deux Michel passent le plus clair de leur temps à aborder des questions bien plus pertinentes sur le transhumanisme, l’euthanasie, leurs rapports à la nature, à la mort. Le marché y est abordé aussi, assez maladroitement, surtout par Onfray. Les échanges sont réellement vivants, nourris, emportés aussi parfois. Ce qui laisse, bien entendu, les deux protagonistes se rapprocher dangereusement des «dérapages». Mais dans le monde du journalisme aux ordres, la spontanéité et la liberté de pensée sont toujours «proches du fascisme».

Quelques jours après la tornade Houellebecq, le calme s’est à nouveau installé. Et les toutous de BFM se lançaient dans de nouvelles analyses de haut vol: qu’allait être la teneur du discours de nouvel an de leur idole Macron? Tous misaient sur l’«espoir» ou la «confiance». On est passé à deux doigts de la «bienveillance».

C’est Houellebecq qui parle le mieux de l’état de déliquescence actuelle de l’Hexagone, en tout début d’échange: «La France ne décline pas davantage que les autres pays européens, mais elle a une conscience exceptionnellement élevée de son propre déclin.»




Trop c’est trop

L’annonce, fracassante pour le milieu politique biennois, est survenue le 4 décembre par le biais d’une allocution concise débutant par ces mots: «J’ai décidé de remettre le mandat politique que le peuple m’a confié, à la fin de ce mois. Je ne pars pas parce que la Ville n’a pas de budget: j’ai déjà connu deux situations semblables et j’ai trouvé des solutions. Si je me suis décidée à remettre mon mandat, c’est parce que je ne peux plus réaliser la mission pour laquelle j’ai été élue au sein de ce Gouvernement.»

La politicienne, étiquetée Parti Radical Romand (ndlr une émanation francophone du FDP, soit du PLR), a poursuivi en envoyant valser bien des illusions biennoises: «En 2014 et 2016, lorsque les budgets avaient été refusés par le peuple, c’est le centre-droite qui détenait une légère majorité au Parlement et la gauche qui était majoritaire au Gouvernement.»

Un équilibre gouvernemental, précise la démissionnaire, qui n’a pas changé depuis. Mais jusqu’à quand? «Si un seul conseiller municipal de gauche prétend aujourd’hui qu’il ne risque pas sa réélection dans deux ans, il se voile la face. Car le budget 2023 qui a été refusé par le peuple est, à deux millions près, et à une variante près, celui du Gouvernement. Il s’agira pour les conseillers municipaux de gauche de marquer des points dans les semaines à venir, de trouver le moyen d’interpréter le verdict populaire pour ne pas avouer la défaite.» Et Silvia Steidle de condamner une tendance forte à «mettre en place des processus ingérables et se présenter ensuite comme sauveur pour se refaire une image de bon dirigeant.»

Une bureaucratie obèse

Si celle qui vitupère de la sorte n’est certainement pas la représentante d’un anarcho-capitalisme débridé, elle sait parfaitement d’où viennent les problèmes financiers qui rongent la ville depuis plusieurs décennies: de la bureaucratie. Elle n’y va d’ailleurs pas de main morte pour dénoncer cet empilement de temps perdu et d’argent mal dépensé: «Aujourd’hui on n’apprend rien des erreurs, on ne tire pas les conclusions du 27 novembre (ndlr date du refus populaire du budget 2023). La priorité n’est pas de gouverner mais de laisser le Parlement se charger de la tâche d’établir le budget. Quant au Gouvernement, il organise les séances, fait des notices de séances et comptabilise les décisions. Ce n’est pas ainsi que je comprends mon rôle. Le peuple ne m’a pas élue pour mes compétences de comptable ou de secrétaire. Je vois mes priorités ailleurs que dans la réécriture des stratégies financières.» Motif d’agacement suprême, la multiplication des rapports, des commissions qui annulent des décisions de sous-commissions, bref, de «la pure bureaucratie.» Un problème identifié par Mario Cortesi, l’éditorialiste du journal local Biel-Bienne: «Avec leurs œillères idéologiques, des parlementaires plus loquaces que réfléchis ont pris les rênes de la politique et rendent impossible la collaboration constructive d’autrefois, ils ne sont prêts à faire des compromis que s’ils leur sont utiles. (…) Le pénible débat sur le budget a clairement montré que les politiciens n’empruntent plus que la voie qui leur apporte un avantage personnel ou à leur entourage.» On rappelle en passant que, au milieu de toutes ces ambitions, l’endettement de Bienne se rapproche à grands pas du milliard.

Pour conclure, Silvia Steidle met en garde son remplaçant: «Ceci n’est pas ma campagne électorale, ceci est ma démission. Elle se veut aussi recommandation à celle ou celui qui me succèdera. Lorsque le peuple l’élira, il devra en tenir compte. Et aux futurs candidates et candidats, je ne peux recommander qu’une chose: s’ils n’ont pas les alliances nécessaires, mais uniquement des grandes ambitions, qu’ils renoncent à se présenter.»

Et si l’échec donnait paradoxalement des ambitions?

Désormais, le PRR peut présenter un de ses membres pour remplacer Silvia Steidle, réélue pour un troisième mandat en septembre 2020. Des noms circulent déjà. Le candidat sera annoncé à la mi-janvier et les citoyens biennois auront trente jours pour récolter un nombre suffisant de signatures si la personne présentée n’est pas à leur convenance.

Malgré l’échec d’un budget qui porte largement sa marque, la gauche pourrait désormais prétendre à prendre la main sur la direction des finances, depuis 2012 entre les mains du centre-droit. On imagine toutefois assez mal Glenda Gonzalez (PS), actuelle directrice de la culture, de la formation et du sport, ou Lena Frank (Les Verts), directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement, abandonner des postes qui sont chasse gardée depuis dix ans. Reste Beat Feurer (UDC), qui, avant de rejoindre le Conseil municipal en 2012, était expert fiscal et enseignant de droit fiscal. Bienne a désormais pour horizon une situation bloquée ou alors un total renversement des philosophies exercées au sein des différentes directions.

La ville de Bienne vient d’annoncer que la nouvelle version du budget 2023 sera soumise à la votation populaire le 7 mai prochain. Mais avant cela, ces nouveaux chiffres vont faire l’objet de débats que l’on imagine déjà bien compliqués, et volontiers stériles, au Conseil de ville, à la fin mars.




Les causes sacrées de la discorde

«One Love», c’est ce que qu’avaient annoncé plusieurs fédérations de football européennes en septembre dernier en vue de la Coupe du monde de football au Qatar. Malheureusement pour elles, la FIFA a annoncé, juste avant le match Angleterre-Iran, que les équipes qui porteraient le brassard frappé du slogan et des (incorrectes) couleurs arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ seraient frappées de «sanctions sportives». Par ce terme, on n’entend pas de simples amendes mais bien un carton jaune dès le début du match pour les joueurs de balle au pied un peu trop rebelles. Les sept fédérations européennes qui prévoyaient de montrer leur soutien (l’Angleterre, le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) ont alors rapidement fait demi-tour et décidé d’abandonner leur signe de soutien.

Adrian Arnold, responsable de la communication de l’Association suisse de football (ASF), justifie le choix d’abandonner le signe de soutien: «En tant que fédération nationale, nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans une situation où ils risquent des sanctions sportives, y compris l’expulsion. C’est regrettable, parce que nous voulions faire passer un message positif.» Il promet cependant de reprendre le combat pour l’inclusivité, une fois l’événement qatari terminé: «Nous ferons passer ce message à l’extérieur à d’autres occasions. Cette décision de la FIFA ne change rien à nos valeurs. Nous défendons le respect, la tolérance et la solidarité.»

Un brassard peu précis

Ce volte-face de la FIFA est considéré comme «ridicule» par Roman Heggli, secrétaire général de Pink Cross, l’association faîtière des organisations gays en Suisse: «Premièrement, le brassard a déjà été critiqué au préalable parce qu’il est absolument apolitique et n’utilise pas les bonnes couleurs de l’arc-en-ciel. Le lien avec les personnes LGBT+ doit donc être recherché. Mais même ça, c’est trop pour la FIFA!» Il reste moins sévère avec l’ASF: «D’une certaine manière, je peux comprendre que l’équipe nationale suisse s’incline, car la décision de la FIFA est prise à court terme. Je me pose plutôt la question suivante: pourquoi les associations de football se laissent-elles faire et se laissent-elles mener par le bout du nez par la FIFA? Il est donc bien plus important que les fédérations interviennent auprès de la FIFA et exigent des changements structurels ou quittent la FIFA.»

Une organisation bien silencieuse

La FIFA a plié face à l’organisateur mais va certainement inciter à porter le brassard d’ici quelques semaines. On peut dès lors se demander si la fédération utilise les personnes LGBT+ comme faire-valoir moral, sans réelle conviction. Une piste que n’ignore pas Roman Heggli: «La FIFA a toujours été indifférente aux personnes LGBT+ et continuera malheureusement à l’être. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la Coupe du monde 2018 ait eu lieu en Russie et la Coupe du monde 2022 au Qatar. Et il n’y a toujours pas de mesures réelles pour soutenir les footballeurs professionnels queer et combattre l’hostilité LGBT+ dans le football.» Les enjeux LGBT+ ne sont d’ailleurs pas les seuls thèmes habituellement très prisés par la FIFA qu’il valait mieux ne pas trop aborder lors de la Coupe du monde. Les actes de protestation en faveur des droits de l’homme en général, sur les pelouses ou dans les gradins, ayant été accueillis avec une certaine fraîcheur par les autorités qataries.

Contactée par courriel, la FIFA n’a pas donné suite aux questions que nous souhaitions lui poser, à savoir si elle avait cédé suite à des pressions et, si tel était le cas, de la part de qui.

Pour conclure, soyons rassurés, les Verts veillent au grain dans cette affaire. Le parti écologiste a fait preuve d’une bravoure inouïe en déclarant vouloir déposer un texte au Parlement fédéral demandant que la FIFA soit imposée au même titre que n’importe quelle entreprise de sa taille. Est-ce que cela va fonctionner comme avec le CO2, soit demander plus de taxation pour réparer le monde?




Les bouddhas se trouvent à notre rayon jardinerie

Quand j’étais gamin, le bouddhisme était cantonné à un rôle marginal. Pour dire les choses de façon abrupte, on y voyait une sorte de doctrine religieuse et philosophique.

Il faut dire que je vivais alors en Ajoie, terre profondément catholique. En matière de religion, la coexistence de plusieurs confessions au sein du christianisme suffisait largement à intriguer nos jeunes esprits. Cadet d’une famille protestante, c’est avec circonspection que j’observais les sanctuaires que mes camarades catholiques fréquentaient et les cérémonies auxquelles ils participaient.
Parmi ces dernières, la procession de l’Assomption, à Porrentruy, constituait un des points forts de l’année liturgique. Les fidèles endimanchés, regroupés par paroisses et chantant l’Ave Maria, partaient du cœur même de la vieille ville et traversaient une grande partie de la localité avant de rejoindre la chapelle Notre-Dame de Lorette. La marée qu’ils formaient était si imposante qu’on avait l’impression que toute l’Ajoie avait rallié le chef-lieu.

Dans un tel contexte, il était normal que le bouddhisme fît l’objet d’une vision réductrice et peinât à exprimer son potentiel; les populations n’étaient tout simplement pas prêtes. L’évolution constatée au cours des soixante dernières années n’en est que plus réjouissante: le bouddhisme s’est maintenant assuré une place enviable dans l’industrie et a acquis un statut de premier plan dans le domaine du lifestyle, où il rivalise avec le vélo électrique et la marche nordique.

Il suffit pour s’en convaincre de pousser la porte d’un magasin d’ameublement ou de se rendre aux rayons jardinerie ou bricolage d’une grande enseigne. Grâce à l’essor spectaculaire du bouddhisme, nous y trouvons désormais toute une gamme d’articles manufacturés propices à la recherche de la paix intérieure et du bien-être. À côté des statues proprement dites, qui peuvent être en pierre volcanique, en céramique ou en résine de synthèse, on note que Bouddha est aussi présent sur des objets utilitaires tels que porte-clés, bougeoirs, diffuseurs d’huiles essentielles ou fontaines d’intérieur. On ne peut que s’en féliciter, car avoir atteint l’éveil pur et parfait n’est pas une raison pour être abandonné toute la journée en position du lotus sous un figuier.

De l’avis général, placer des bouddhas dans son intérieur procure la paix intérieure, favorise un bon sommeil, améliore le feng shui, freine la chute des cheveux et réduit la note de chauffage. Au niveau des morphotypes, on note que les bouddhas minces ont désormais la préférence du grand public; cependant, les bouddhas gras et hilares gardent la faveur des restaurants chinois en raison de leur aptitude à rassurer les clients craignant d’avoir trop peu dans leur assiette.

Il arrive certes que des utilisateurs mal informés forcent un peu sur l’ingrédient. Dans une interview accordée à un grand hebdomadaire romand, un ancien champion sportif, s’étant préalablement défini comme «assez bouddhiste», révélait qu’il avait placé des statues de la divinité dans chaque pièce de sa maison, y compris aux waters. Il s’agit clairement d’un impair, qu’il aurait pu éviter en prenant la peine de consulter un bouddhiste plus aguerri.

La progression du bouddhisme n’est pas le fruit du hasard. Elle se fonde notamment sur une offre en ligne judicieuse et sur la prise en compte des besoins de la clientèle. Une annonce récemment mise en ligne par une enseigne spécialisée dans l’ameublement propose par exemple une statue de Bouddha déclinée dans les tailles S, M et L, coûtant respectivement CHF 39.95, CHF 79.95 et CHF 151.95, l’expédition étant gratuite pour toute commande d’au moins 150 francs. À l’occasion de Black Friday et de Cyber Monday, deux moments-clés du calendrier bouddhique, une autre boutique en ligne offre quant à elle 20% de remise dès l’achat de deux articles. De magnifiques tatouages bouddhiques permettent quant à eux «d’affirmer son attachement à des valeurs fondamentales trop souvent oubliées du monde moderne», comme le relève fort justement une publicité relative à des tatouages temporaires permettant de tester un motif avant de l’adopter définitivement.

Cette approche commerciale dynamique fait peu à peu des émules parmi nos églises. Le mensuel Réformés l’a bien montré en début d’année dans un article intitulé «Oser une offre d’Église orientée vers sa clientèle». Ce texte, qui frappe par sa terminologie novatrice, est consacré aux efforts consentis par l’Église réformée du canton d’Argovie. S’inspirant des pratiques de l’économie, cette dernière, qui se déclare ouverte et compétente en matière de rite, complète son offre de prestations par le lancement du site web leben-feiern.ch. Ce projet vise à repenser l’offre du point de vue du client en permettant aux personnes en demande de rite de s’adresser directement à un ou une prestataire. Il s’agit en définitive de garantir la meilleure expérience-client possible tout en centralisant la facturation des actes. Comme aurait dit Alexandre Vialatte, le progrès fait rage.

Avant de conclure, je tiens encore à rassurer les personnes qui s’inquiéteraient du sort de la procession de Notre-Dame de Lorette: elle a toujours lieu chaque 15 août. Son parcours a été modifié et débute désormais à la hauteur de l’agence Toyota, à quelque 700 mètres de la chapelle. Ce nouveau tracé, qui n’entrave pas l’accès au centre-ville, donne entière satisfaction aux conducteurs de SUV.




Plus vit.e, plus haut.e, plus fort.e

L’Américain Jake Caswell (photo encadré) est heureux et fier. Il a fini à la première place lors du dernier marathon de New York, le 7 novembre dernier, et empoché un beau chèque de 5000 dollars. Un couronnement obtenu non pas dans la catégorie «hommes», à laquelle il devrait appartenir d’un point de vue physiologique, mais dans une catégorie toute nouvelle: celle des «non-binaires». Comme le souligne la presse américaine, le New-Yorkais de 25 ans, avec un temps de 2 heures et 45 minutes, aurait terminé 147e dans la catégorie masculine. Et 172e au classement général. Classements tout aussi honorables pour un solide gaillard comme lui.
Cinq des six plus grands marathons mondiaux — New York, Boston, Chicago, Londres et Berlin — ont récemment ajouté la catégorie «non-binaires» dans leur compétition. Seul celui de Tokyo n’a pas opté pour ce choix, avec des critiques virulentes à la clé.
Cette nouvelle inclusivité ne se traduit pas encore par la mise en place de catégories spécifiques en Suisse, même si l’idée ne semble clairement pas déranger. Patrice Iseli, chef du Service des sports de Lausanne et président du comité d’organisation des 20KM de la capitale cantonale n’a, par exemple, reçu aucune demande allant dans ce sens: «Plutôt que de nouvelles catégories, nous privilégions la mise en place de nouveaux parcours basés sur la distance où le chronométrage est absent ou peu important, comme «courir pour le plaisir» ou «l’apérorun». Nous souhaitons que toutes les personnes, même celles et ceux qui ne pratiquent pas ou peu la course à pied, puissent participer et se réunir autour d’un même évènement. Nous nous inscrivons pleinement en cela dans la politique municipale de développement de la pratique sportive pour toutes et tous.»

La faitière Swiss Running n’a pas non plus connaissance de demandes pour une catégorie «non-binaires». Sa porte-parole Marlis Luginbühl précise que si un tel besoin se manifeste, les organisateurs mettront en place une offre. Selon elle, «la course à pied est en soi un sport inclusif. A part une paire de chaussures de course, aucun équipement n’est nécessaire et tout le monde n’a qu’à sortir de chez soi pour s’entraîner. C’est pourquoi les courses devraient également être ouvertes à tous.»

Le risque de la fragmentation

Jake Caswell, heureux et fier après sa victoire au Marathon de New-York

Nous vivons tous, à des degrés divers, dans des projections de l’esprit. Tel ou tel se croira irrésistible, un autre excellent joueur de basketball, voire capable d’écrire des éditos stimulants. Dans une certaine mesure, c’est à développer en nous cette fiction que servent les arts, et la littérature en particulier. Qu’une personne biologiquement mâle «s’identifie» homme, femme ou «non-binaire», dès lors, ne mérite pas de jugement: des décalages entre notre réalité objective et notre «ressenti», comme disent les magazines féminins, font partie de la nature humaine.

Le problème survient lorsque, loin de se contenter de jouir de cette vie intérieure, des activistes entendent imposer à la société entière la reconnaissance de réalités qui n’existent que dans leur tête. Ainsi la fameuse cause des «non-binaires»: comme chacun le sait, il existe dans la nature des personnes intersexuées, dans des cas extrêmement rares. Mais ces hommes qui gagnent des catégories sportives qui leur sont dédiées au nom de leur prétendue «non-binarité», qui sont-ils ? Eh bien des hommes, précisément, dont on comprend mal en quoi l’orientation sexuelle ou affective devrait influencer leurs foulées et leurs capacités cardiovasculaires. Ne peut-on pas imaginer qu’il y ait, parmi les dizaines et dizaines de personnes qui passent des lignes d’arrivée de marathons avant eux, des homosexuels, des végétariens ou des roux qui ne comprennent pas l’intérêt de demander une catégorie rien qu’à eux dans une discipline où le seul dénominateur commun devrait consister à courir vite ? Derrière l’apparente tolérance qui consiste à choyer des imposteurs, pour ne surtout pas les stigmatiser ou discriminer, un danger guette: celui de renvoyer une majorité de gens qui n’ont rien demandé à des étiquettes dont ils aimeraient avant tout s’affranchir. RP