En route pour l’impunité

Des militants écologistes français, apparentés à ceux de Renovate Switzerland, viennent d’être acquittés sous prétexte qu’ils faisaient «face à un danger actuel ou imminent» et que leurs actes étaient «proportionnés». Les auteurs des dégradations sur des installations hivernales suisses auront-ils droit au même traitement?
Faire la gueule aux flics après avoir vandalisé un bâtiment. Et si c’était cela l’impunité militante? Renovate Switzerland
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La justice française n’a toutefois pas retenu la troisième raison invoquée par les avocats des militants: le fait que se coller la main sur le bitume et nuire à la vie des usagers de la route serait l’unique moyen de faire face au changement climatique. Mais tout cela risque de changer, bientôt, puisque le juge a précisé que sa position pourrait «évoluer d’ici quatre ou cinq ans»…

S’il admet qu’il est délicat pour lui de commenter un jugement français et qu’il s’agit d’un droit étranger qu’il ne connaît pas, Philippe Nantermod, vice-président du PLR Suisse et avocat, se dit «surpris que l’on prétende que ces actions sont ʻpacifiquesʼ». Et le Valaisan de continuer: «Bloquer le trafic constitue une action violente de contrainte, une atteinte à la liberté des gens.» Valaisanne également, la députée écologiste Magali Di Marco n’approuve pas la désobéissance civile affichée par les militants français: «Je ne suis pas juriste mais il me semble que quand on parle de mise en danger d’autrui ou d’entrave à la circulation, ça peut être évidemment problématique, notamment pour les urgences médicales, mais bien moins que l’augmentation de la température terrestre de 3 ou 4 degrés qu’on subira d’ici la fin du siècle.»

Un acte signé et revendiqué

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos canons à neige. Durant les nuits du 30 au 31 décembre 2022, puis du 2 au 3 janvier 2023, des dispositifs de ce type ont été vandalisés aux Diablerets. Lors de la seconde action, un logo du groupuscule écologiste radical Extinction Rebellion a été trouvé.

Concernant ces actes de vandalisme, les deux politiciens sont sur la même longueur d’onde. «Les délinquants qui ont commis ces actes doivent être punis. Je ne vois aucune circonstance atténuante qui justifie ces actions violentes», glisse Philippe Nantermod. Magali Di Marco estime quant à elle que ces actes sont ceux «de personnes désemparées, mais contrairement aux jets de soupe sur des œuvres d’art préalablement protégées, qui sont des actes symboliques, il s’agit là de dégâts coûteux.»

D’autant plus coûteux que la branche souffre particulièrement cette année. Sur ce point également, les élus s’accordent malgré leurs conceptions très divergentes du militantisme climatique. L’élue verte détaille: «Je le répète, c’est un acte de vandalisme qui doit être condamné pour ce qu’il est. Si on crève les pneus de ma voiture, on ne va pas condamner plus fermement les auteurs si je viens de subir un divorce ou si je sors d’une dépression.» Le libéral lui emboîte le pas: «La loi est la même pour tous, que vous soyez fort ou faible. C’est un acte d’autant plus méprisable qu’il est anonyme et ne tient pas compte de ses conséquences pour les citoyens, mais il ne se justifierait pas davantage s’il était commis contre des entreprises très prospères.»

Rester droit dans ses bottes

Maintenant, avec le précédent de l’acquittement en France, doit-on craindre qu’une certaine souplesse se manifeste dans les jugements rendus en Suisse face aux militants du climat ou de toute autre cause pouvant nuire à la propriété privée, sous prétexte d’un motif plus grand? Pas forcément pour Philippe Nantermod: «Cela fait longtemps que ces milieux marxistes méprisent la garantie de la propriété, pourtant un des droits fondamentaux les plus importants. J’espère sincèrement que la justice reste solide (ou se ressaisisse quand elle dérape) et se souvienne que son rôle n’est pas de soutenir des causes militantes.» Il nuance: «Ces milieux restent marginaux. Et je ne crois pas qu’ils parviennent à réunir suffisamment de monde pour transformer fondamentalement notre société pour un fascisme vert. Au contraire, ils créent un sentiment de rejet chez une majorité silencieuse qui ne supporte plus les leçons de morale et l’agenda socialiste à peine voilé de ces mouvements.» L’inquiétude de Magali Di Marco se situe ailleurs: «Avec les tensions qui vont s’accumuler ces prochaines années, si on ne veille pas à une bonne répartition des efforts à faire entre riches et pauvres, ou qu’on continue à faire comme si de rien n’était, on va assister à des révoltes. Ça commence déjà avec l’aviation, où des décisions sont prises pour développer ce secteur en totale contradiction avec les objectifs fixés.»

Reste désormais à voir si la justice suisse préfère préserver la propriété privée ou si elle cédera, peu à peu, aux sirènes électoralistes et populistes de toutes les nouvelles causes qui verront le jour dans les prochaines années.

Justice à deux vitesses

D’un côté il y a des militants climatiques acquittés alors que leurs actions peuvent tout simplement provoquer la mort. Leur propre mort, d’abord, mais aussi celle d’un automobiliste surpris par un blocage de route ou d’une personne ayant réellement besoin de soins d’urgence. Une personne dont, tristement, l’ambulance resterait par exemple bloquée par un commando d’altermondialistes.

Et de l’autre côté il y a deux jeunes gens qui risquent de passer dix ans derrière les barreaux. Pourquoi donc? Ont-ils tabassé un inconnu? Dépouillé de pauvres passants de façon répétée? Non, non, ils ont simplement imité leurs autorités. Je vais vous éclairer avec le titre d’un article de France Info, posté le 20 novembre dernier: «Statue de Victor Hugo dégradée à Besançon: deux étudiants sont poursuivis et risquent une peine de dix ans de prison». Les deux hommes ont effectivement agi de manière idiote en repeignant le visage de la statue en blanc. Repeindre? Oui, car quelques jours plus tôt, à l’occasion des bientôt vingt ans de son installation, la Ville avait voulu que la statue, bien usée par le temps, soit de nouveau patinée. Elle a donc procédé à une restauration en «africanisant» le visage de l’auteur. Le tout, cela va sans dire, en ne respectant absolument pas l’œuvre de l’artiste sénégalais Ousmane Sow. «On dirait un Victor Hugo noir, ce qui n’a jamais été l’intention d’Ousmane. Et puis, je n’ai pas été prévenue par la Ville de cette intervention», peste d’ailleurs sa veuve Béatrice Soulé.

On résume. Des militants mettent des vies en danger: pas de problème. Une ville sabote une œuvre en sachant qu’elle ne risque rien: pas de problème. En revanche, des étudiants – dont les actes manquent cruellement de finesse – tentent de provoquer un peu: drame national et risque de prison ferme. On se demande ce qu’en dirait Victor Hugo.

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