Trop c’est trop

Après dix ans de bons et loyaux services en tant que directrice des finances de la ville de Bienne, Silvia Steidle a créé le choc en annonçant qu’elle démissionnait de son poste pour la fin de l’année. Cette décision survient après le refus du budget 2023 par les citoyens de la ville bilingue, mais elle a valeur d’avertissement pour bien des collectivités.
On aurait pu illustrer avec un squat de cultureux alternatifs mais on a préféré les pectoraux d’Atlas. Wikicommon
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L’annonce, fracassante pour le milieu politique biennois, est survenue le 4 décembre par le biais d’une allocution concise débutant par ces mots: «J’ai décidé de remettre le mandat politique que le peuple m’a confié, à la fin de ce mois. Je ne pars pas parce que la Ville n’a pas de budget: j’ai déjà connu deux situations semblables et j’ai trouvé des solutions. Si je me suis décidée à remettre mon mandat, c’est parce que je ne peux plus réaliser la mission pour laquelle j’ai été élue au sein de ce Gouvernement.»

La politicienne, étiquetée Parti Radical Romand (ndlr une émanation francophone du FDP, soit du PLR), a poursuivi en envoyant valser bien des illusions biennoises: «En 2014 et 2016, lorsque les budgets avaient été refusés par le peuple, c’est le centre-droite qui détenait une légère majorité au Parlement et la gauche qui était majoritaire au Gouvernement.»

Un équilibre gouvernemental, précise la démissionnaire, qui n’a pas changé depuis. Mais jusqu’à quand? «Si un seul conseiller municipal de gauche prétend aujourd’hui qu’il ne risque pas sa réélection dans deux ans, il se voile la face. Car le budget 2023 qui a été refusé par le peuple est, à deux millions près, et à une variante près, celui du Gouvernement. Il s’agira pour les conseillers municipaux de gauche de marquer des points dans les semaines à venir, de trouver le moyen d’interpréter le verdict populaire pour ne pas avouer la défaite.» Et Silvia Steidle de condamner une tendance forte à «mettre en place des processus ingérables et se présenter ensuite comme sauveur pour se refaire une image de bon dirigeant.»

Une bureaucratie obèse

Si celle qui vitupère de la sorte n’est certainement pas la représentante d’un anarcho-capitalisme débridé, elle sait parfaitement d’où viennent les problèmes financiers qui rongent la ville depuis plusieurs décennies: de la bureaucratie. Elle n’y va d’ailleurs pas de main morte pour dénoncer cet empilement de temps perdu et d’argent mal dépensé: «Aujourd’hui on n’apprend rien des erreurs, on ne tire pas les conclusions du 27 novembre (ndlr date du refus populaire du budget 2023). La priorité n’est pas de gouverner mais de laisser le Parlement se charger de la tâche d’établir le budget. Quant au Gouvernement, il organise les séances, fait des notices de séances et comptabilise les décisions. Ce n’est pas ainsi que je comprends mon rôle. Le peuple ne m’a pas élue pour mes compétences de comptable ou de secrétaire. Je vois mes priorités ailleurs que dans la réécriture des stratégies financières.» Motif d’agacement suprême, la multiplication des rapports, des commissions qui annulent des décisions de sous-commissions, bref, de «la pure bureaucratie.» Un problème identifié par Mario Cortesi, l’éditorialiste du journal local Biel-Bienne: «Avec leurs œillères idéologiques, des parlementaires plus loquaces que réfléchis ont pris les rênes de la politique et rendent impossible la collaboration constructive d’autrefois, ils ne sont prêts à faire des compromis que s’ils leur sont utiles. (…) Le pénible débat sur le budget a clairement montré que les politiciens n’empruntent plus que la voie qui leur apporte un avantage personnel ou à leur entourage.» On rappelle en passant que, au milieu de toutes ces ambitions, l’endettement de Bienne se rapproche à grands pas du milliard.

Pour conclure, Silvia Steidle met en garde son remplaçant: «Ceci n’est pas ma campagne électorale, ceci est ma démission. Elle se veut aussi recommandation à celle ou celui qui me succèdera. Lorsque le peuple l’élira, il devra en tenir compte. Et aux futurs candidates et candidats, je ne peux recommander qu’une chose: s’ils n’ont pas les alliances nécessaires, mais uniquement des grandes ambitions, qu’ils renoncent à se présenter.»

Et si l’échec donnait paradoxalement des ambitions?

Désormais, le PRR peut présenter un de ses membres pour remplacer Silvia Steidle, réélue pour un troisième mandat en septembre 2020. Des noms circulent déjà. Le candidat sera annoncé à la mi-janvier et les citoyens biennois auront trente jours pour récolter un nombre suffisant de signatures si la personne présentée n’est pas à leur convenance.

Malgré l’échec d’un budget qui porte largement sa marque, la gauche pourrait désormais prétendre à prendre la main sur la direction des finances, depuis 2012 entre les mains du centre-droit. On imagine toutefois assez mal Glenda Gonzalez (PS), actuelle directrice de la culture, de la formation et du sport, ou Lena Frank (Les Verts), directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement, abandonner des postes qui sont chasse gardée depuis dix ans. Reste Beat Feurer (UDC), qui, avant de rejoindre le Conseil municipal en 2012, était expert fiscal et enseignant de droit fiscal. Bienne a désormais pour horizon une situation bloquée ou alors un total renversement des philosophies exercées au sein des différentes directions.

La ville de Bienne vient d’annoncer que la nouvelle version du budget 2023 sera soumise à la votation populaire le 7 mai prochain. Mais avant cela, ces nouveaux chiffres vont faire l’objet de débats que l’on imagine déjà bien compliqués, et volontiers stériles, au Conseil de ville, à la fin mars.

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