Hier soir, on m’a appris à bloquer des routes

Renovate Switzerland.
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Depuis sa création en 2022, Renovate Switzerland fait couler beaucoup d’encre. Mais qu’enseigne-t-elle à ses « prospects » ? Nous sommes allés le voir par nous-mêmes lors d’une séance d’information. 

Pas une semaine ou presque sans que les militants de Renovate fassent parler d’eux dans les médias. Récemment, ils ont par exemple bloqué le tunnel du Gothard au début des vacances de Pâques en se collant à la chaussée, ou encore perturbé une cérémonie en mémoire du major Davel, héros vaudois. De quoi susciter bien souvent de l’agacement dans la population. Récemment, voyant qu’une séance d’information allait être organisée à Lausanne, j’ai saisi l’occasion d’y aller pour mieux comprendre le mouvement de l’intérieur.


En arrivant sur place, un simple bureau au centre de Lausanne, je rencontre le personnel du mouvement. D’abord une dame dans la soixantaine qui organise à proprement parler la séance. Ensuite un retraité venu témoigner de ses expériences au sein du collectif. Et enfin, le troisième, celui qui fera le gros de la présentation, un jeune homme de 20 ans qui étudie à l’EPFL. Après un rapide tour de table, où je me présente comme un curieux désireux de mieux connaître Renovate, un deuxième curieux débarque. Que des gens très gentils et accueillants, qui m’ont d’ailleurs directement proposé un verre d’eau. 

La séance commence, et le jeune orateur nous explique qu’il va nous tenir un discours qui sera peut-être « difficile à encaisser », et que si l’on se sent mal, nous sommes entièrement autorisés à sortir de la pièce « pour reprendre nos esprits ». Les émotions sont très rapidement placées au centre du discours. En effet, reconnaître nos émotions nous permettrait de mieux nous « reconnecter à la vérité ». L’intervenant développe ensuite la partie plus technique du propos avec des citations de différents scientifiques et rapports, tous décrivant l’urgence de la situation écologique. Il est également question des rapports du GIEC, dans lesquels les avis des experts ne seraient pas assez pris en compte selon lui. L’étudiant et activiste évoque alors les conséquences de cette ignorance, dont les crises migratoires, la famine et autres catastrophes qui « provoqueront des centaines de milliers de morts ». Nous avons, en somme, trop longtemps ignoré les signaux et devons désormais agir dans l’urgence, car selon la présentation, nous avons deux à trois ans pour déterminer le futur de l’humanité. 

Puis nous abordons la thématique de la désobéissance civile. C’est alors que l’orateur fait référence aux Freedom Riders aux États-Unis. À l’époque, ce mouvement avait bravé les lois afin de lutter contre la ségrégation qui frappait les Afro-Américains et avait provoqué des évolutions considérables dans la société. L’orateur évoque quelques exemples suisses également, comme la prison pour les hommes qui ne souhaitaient pas faire le service militaire avant la mise en place du service civil. Il établit ainsi divers parallèles entre ces mouvements et montre que « pour gagner une lutte il faut se battre ». Et d’ajouter qu’il est normal d’être « détesté » au début – comme un certain Martin Luther King.  

L’intervenant évoque plus directement Renovate dès cet instant. Le mouvement aurait deux objectifs : la rénovation thermique de toute une série de bâtiments d’ici 2030, ainsi que la reconnaissance de l’urgence climatique comme priorité absolue. La manière de procéder consiste principalement à organiser des blocages de routes et autoroutes. Les intervenants justifient cela en expliquant qu’après leurs deux premiers blocages, 150 articles leur avaient été consacrés. Une aubaine puisque le mouvement cherche à créer des blocages si importants qu’ils obligeront les autorités à prendre les mesures revendiquées. Quoi de mieux, dès lors, qu’un peu de publicité dans les médias. On bascule à ce moment dans une dynamique de recrutement : les organisateurs nous suggèrent plusieurs fois que notre décision ne concerne que nous. Nous sommes certes « souverains » concernant notre éventuelle implication qui se situe « entre nous et notre conscience », mais cette dernière « impacte la vie de tous ».

On nous précise aussi que se coller les mains à la chaussée ne représente qu’un pourcent des activités de Renovate, en présentant toute l’organisation nécessaire en coulisses. On nous présente ainsi différentes tâches qu’on peut accomplir sans se retrouver pour autant en première ligne. Lors d’un blocage, différents rôles apparaissent : il y a les « scarabées » qui bloquent la route, les « coccinelles » qui interviennent autour de cette première catégorie d’insectes en créant un contact avec les automobilistes bloqués, notamment, et enfin les « fourmis » qui coordonnent le tout. Les intervenants insistent sur le fait que les activistes sont réellement formés à la désobéissance civile et s’entrainent pour toutes sortes de situations. Et ne manquent donc pas de mentionner, une fois encore, les Freedom Riders comme référence. L’appropriation culturelle n’est pas loin !

La dernière partie de la séance est consacrée au témoignage, assez honnête, de l’expérience du retraité du trio. Poussé par son éthique personnelle, ce monsieur a participé à différents blocages en Suisse ces derniers mois. Il relève cependant les aspects négatifs de son engagement, en particulier les procédures judiciaires en cours. Il signale que les frais de justice sont élevés et qu’il faut en être conscient. Selon lui, la crainte d’avoir un casier judiciaire est un aspect qui empêche certains jeunes de se mobiliser, même si aujourd’hui, avoir un fait de militantisme dans son casier n’est pas forcément un mal. 

S’ensuit une petite discussion plus informelle qui clôture la séance, où l’on me propose quelques grissini à grignoter. Alors que les organisateurs recueillent nos impressions face aux « révélations », ils nous proposent de nous inscrire afin de recevoir toutes les informations nécessaires pour participer aux prochaines formations, plus pratiques. De petites discussions s’enchaînent et la femme déclare que « les policiers vaudois sont plutôt avec nous », en revenant sur les actions menées dans la région. Un privilège dont n’auraient pas pu se prévaloir les Freedom Riders, mais qui n’empêche pas le mouvement de s’étoffer jour après jour.

Max Frei

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