Migros a mal négocié son virage woke

Avec son refus de vendre de l’alcool, ses produits «vintage» et son culte du fondateur Gottlieb Duttweiler, Migros a longtemps constitué l’une des incarnations du conservatisme «soft» à la suisse. Au même titre, par exemple, que les humoristes d’État pas drôles, les souris grises de parlements et les people lisses comme des peaux de bébé. Revendiquant un héritage idéologique toujours fécond, la boîte ne cite-t-elle pas encore sur son site les quinze thèses fondamentales du fondateur de la société et de sa femme Adele? En voici un aperçu pour ceux qui les méconnaissent: «servir dans le sens le plus croyant du mot, c’est-à-dire en ayant foi dans ce qu’il y a de bon en l’homme» afin «de témoigner sa foi en Dieu». Ou encore l’idée que «le cœur de la femme est le sanctuaire où se maintiendra le mieux notre patrimoine spirituel». Ce bien joli folklore semble hélas avoir pris du plomb dans l’aile. Car désormais le géant orange célèbre les «révolutions sociétales», le «vivre-ensemble» et les repas pris devant la télé, pour ne citer que des exemples réels issus de la page «Migros Engagement».

Le mâle incarné

Or depuis quelques jours, la coopérative semble carrément avoir effectué un virage woke avec une publicité qui ne laisse pas indifférent sur les réseaux sociaux. On y voit deux adolescentes, jouant avec des figurines de foot, se réjouir que des représentations de femmes figurent dans leur assortiment, et «pas que des Blancs et des vieux» selon les termes de la protagoniste… blanche. Une catégorie honnie vers laquelle se tourne alors la caméra, bien que les mâles en question, évidemment dans une pose ridicule, semblent plutôt avoir la trentaine.

«Le débat ici devrait plus se focaliser sur l’aspect de genre que sur celui de la couleur de peau, pour lequel le foot fait déjà office de modèle, surtout dans le monde francophone.»

Tristan Cerf, porte-parole de Migros

«Pas grave, les Blancs iront à la Coop», s’insurge un internaute, tandis que d’autres affirment ne jamais avoir vu de publicité aussi mauvaise. Parmi ces indignés, Heinrich Ariss: convaincu que le «grand remplacement» des populations européennes est en cours, encouragé par de tels spots, ce quinquagénaire romand a tout bonnement décidé de renvoyer sa carte Cumulus à la Migros avec une lettre annonçant le boycott de ses filiales. «On fait face à une attaque constante contre les «vieux blancs» accusés de véhiculer une masculinité toxique. Dès lors, étant directement visé, je préfère aller m’approvisionner ailleurs.» Sans espoir de lancer un grand mouvement révolutionnaire, il espère que d’autres suivront au sein de la «masse silencieuse» qui subit perpétuellement ce type d’attaque.

Un choix douteux et des ratés

Mais qu’a réellement cherché à faire Migros? «Célébrer la diversité», évidemment, mais pas sans une succession de couacs qui a fait tourner toute l’affaire en eau de boudin. «En allemand, les deux jeunes filles de la vidéo disent ʻnicht nur alte weisse Männerʼ», explique Tristan Cerf, porte-parole, «alors qu’en français, elles se contentent de dire ʻet pas que des Blancs et des vieuxʼ. L’effet d’humour voulu perd en effet en clarté, puisque la remarque répond à la phrase «C’est bien qu’il y ait aussi des femmes». Il serait donc logique que le mot ʻhommeʼ soit présent dans la deuxième partie du dialogue». Raté supplémentaire, une première mouture de la publicité, sur Facebook, s’intitulait «que des Blancs et des blonds», sans que cette dernière notion apparaisse dans la vidéo. «Le débat ici devrait plus se focaliser sur l’aspect de genre que sur celui de la couleur de peau, pour lequel le foot fait déjà office de modèle, surtout dans le monde francophone», reconnaît Tristan Cerf.

Reste une question: pourquoi tant de haine pour les «vieux»? Que deux ados jugent leurs parents (trois hommes, dans la vidéo) ringards, nul ne saurait s’en étonner, mais la publicité doit-elle réellement servir de caisse de résonance au jeunisme ambiant? Contactée, l’organisation Pro Senectute – il est vrai partenaire de Migros – n’a pas répondu à nos interrogations. Reste que les réactions courroucées des internautes semblent inciter la société à davantage de prudence pour la prochaine fois: «La plupart des remarques concernent la compréhension du message réel. (…) Ceci pourrait indiquer que notre mise en scène n’a pas réussi à transmettre l’essence et la complexité du débat de société en question», analyse Tristan Cerf, qui promet: «Nous ferons mieux la prochaine fois.» Il relève toutefois que le nombre de questions concrètes (ndlr d’ordre pratique) est fortement inférieur à la moyenne de celles des publicités similaires. «La représentativité des commentaires pourrait laisser penser que la grande majorité silencieuse ne voit aucun problème au message ou, au pire, ne l’a même pas remarqué.»

Qu’il nous soit permis de nous demander s’il faut réellement s’en réjouir.




BERNE MANIE LA MENACE FANTÔME

Déjà adepte des grandes déclarations à la «en même temps», Macron semble désormais avoir basculé en crise orwellienne. Le 5 septembre dernier, sans prévenir, le locataire de l’Elysée lâchait: «La meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.» Inspiré par les paroles de Jupiter, Xavier Company, municipal Vert lausannois chargé des services industriels, s’exprimait mot pour mot de la même manière dans 24 heures du 16 septembre. Mais face à la crise énergétique à venir, le Conseil fédéral vient de proposer une étonnante variante de la déclaration macronienne: le meilleur contrôle est celui qui n’est pas effectué.

«On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.»

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan

Revenons sur nos pas. Un article paru sur le site de Blick le 6 septembre nous apprenait que nous, citoyens et entrepreneurs, risquions la peine pécuniaire, voire la prison, si nous osions trop chauffer nos foyers. Plus précisément, le papier mentionnait une peine de trois ans de prison en cas d’infraction délibérée aux directives et précisait qu’en cas d’infraction par négligence une peine pécuniaire pouvant aller jusqu’à 180 jours-amende était possible. En cas de pénurie, il sera donc interdit de chauffer son foyer à plus de 19°, de bouillir l’eau au-dessus de 60° (on rappelle ici volontiers que l’eau est censée bouillir à environ 100°, vive les spaghettis mal cuits) ou d’utiliser un chauffage d’appoint électrique.

On devient vite criminel de nos jours

Dans ce même article, le porte-parole du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Markus Spörndli, brandit la grosse menace: «Les infractions à la loi sur l’approvisionnement du pays sont toujours des délits, voire ponctuellement des crimes, et doivent être poursuivies d’office par les cantons.» Des crimes, rien que ça… Voilà qui méritait bien une liste étoffée de questions de la part du Peuple. Nous souhaitions notamment savoir à quel moment ces mesures seraient ordonnées, comment, précisément, les contrôles seraient effectués, ou si nous devions nous attendre à des visites de contrôle de la part des policiers. A cette douzaine de questions, Markus Spörndli répond ceci: «À l’heure actuelle, il n’y a ni pénurie d’électricité ni pénurie de gaz en Suisse, c’est pourquoi aucune restriction ni interdiction d’utilisation n’est en vigueur. Il ne peut donc y avoir d’infraction à de telles dispositions. L’administration est en train de préparer des mesures de restriction et d’interdiction pour le cas où une pénurie grave surviendrait. Un projet d’ordonnance en prévision d’une pénurie de gaz est actuellement en consultation auprès des milieux intéressés.» Mieux, le communicant avoue, à demi-mots, que les contrôles ne pourront pas vraiment être effectués: «L’essentiel est qu’il ne serait pas possible ni souhaitable de contrôler étroitement le respect des prescriptions. En Suisse, nous tablons sur le fait que la population respecte la loi.»

Des menaces largement irréalistes

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan, juge ridicule de brandir des menaces d’amende ou d’emprisonnement: «Cela tient de la plaisanterie et démontre que le gouvernement n’est pas prêt à l’éventualité d’une telle crise. Si nous nous retrouvons dans une telle situation énergétique, c’est à cause de la politique suisse, opportuniste, qui a tourné le dos au nucléaire pour des motifs électoraux. Le pire est que les politiciens n’assument pas. Certains disent encore que cela n’a rien à voir avec les décisions du passé.» Pour François Pointet, conseiller national vaudois Vert Libéral, les contrôles à domicile semblent absolument irréalisables: «À mon avis, il n’y aura pas la possibilité de venir mesurer la température des chambres chez les privés. En effet, il faut un mandat de perquisition pour pouvoir pénétrer dans un lieu privé. Il faut comprendre que de telles punitions doivent être prévues pour des personnes se permettant, par exemple, de continuer à utiliser des chauffages sur les terrasses, ou d’autres aberrations visibles.»

Vers l’état policier?

Ces menaces et ces potentiels contrôles pourraient laisser à penser que la Suisse se transforme peu à peu, après un premier épisode Covid, en état policier. Jérôme Desmeules nuance: «On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.» Parler d’état policier semble un tantinet trop fort pour François Pointet: «Nous ne sommes pas au point où les policiers auront la possibilité de rentrer chez chacun pour faire des contrôles. Il faudrait encore lever la nécessité d’avoir un mandat de perquisition. Il est clair que les lieux publics seront plus facilement soumis aux contrôles.» D’autant plus que la situation n’est pas similaire, selon lui, à celle vécue lors de la crise du Covid. «Nous avons vu, durant le Covid, que la population a plutôt bien suivi les prescriptions. Pour l’essentiel, les seuls débordements qui ont été dénoncés concernaient des lieux publics. On peut partir du principe que nous aurons la même situation dans le cas de cette ordonnance. La situation politique est toutefois différente, le Parlement n’a pas été arrêté, son travail d’éventuel contre-poids au Conseil fédéral sera donc plus simple», complète-t-il.

De quoi se demander ce que le gouvernement choisira pour se faire obéir de la population. Des slogans niais et des affiches infantilisantes, comme il y a deux ans avec le virus?




Lutter contre la violence, batte en main

«Don’t you dare!», soit «n’y pense même pas», en français. C’est le message d’un visuel de l’organisation Pink Cross, diffusé sur son site et sur les réseaux sociaux. Le projet: inviter les personnes queers à une formation à l’autodéfense sur deux jours, organisée fin octobre au centre sportif des Bergières, à Lausanne. Seul petit hic, le visuel retenu pour faire la promotion de l’événement est plutôt douteux, avec la présence d’une batte de base-ball — rien que ça — dans les mains d’une personne manifestement queer et déterminée à ne pas se laisser attaquer dans la rue. «Nous faisons évoluer la société grâce à notre activisme politique, mais cela prend du temps. Mais nous pouvons aussi apprendre à mieux nous défendre nous-mêmes», souligne Pink Cross sur son site. Projet très vertueux, certes, mais au point de manipuler un objet pouvant être considéré comme une arme? «Je vous rassure, nous n’apprenons pas à utiliser de batte dans ces cours, rigole Gaé Colussi, porte-parole. Nous voulons surtout apprendre à repérer les lieux, avoir l’air sûr de soi même quand on ne l’est pas, sans tomber dans le straight acting (ndlr: se déguiser en hétéro turboviril et sûr de lui).» De fait, le visuel n’est pas nouveau, mais c’est la première fois qu’il apparaît en Suisse romande, où ces cours font leur apparition cette année. Les techniques d’autodéfense semblent essentiellement inspirées du krav-maga.

«Je pense que ça répond à une impression et aussi à un besoin», réagit un membre d’une association partenaire de Pink Cross. «Impression car il y a de plus en plus de mentions de personnes LGBT+ dans les médias ou sur les réseaux sociaux qui se font agresser, soit verbalement soit, surtout, physiquement. Du coup, à mon avis, naît un besoin de se dire: ʻSi je me fais agresser, je veux savoir me défendre et pas uniquement me mettre en position latérale de sécurité pour subir les coupsʼ». Il juge néanmoins l’image «discutable», sans non plus crier au scandale. Reste que l’on peut se demander comment elle aurait été perçue dans le contexte d’un cours d’introduction à l’autodéfense destiné à n’importe quelle autre catégorie de la population. Des membres d’un parti de droite, par exemple…

Contactée, la Police Municipale de Lausanne ne fait pas de commentaire. L’événement tel qu’organisé ne demandait pas d’autorisation officielle, et ne suscitait pas d’analyse particulière sur son visuel.




Libre de se taire

En langage journalistique, Korab Rashiti constitue ce que l’on appelle un «trublion»: un politicien qui ne connaît pas l’autocensure et fait feu de tout bois sur les réseaux sociaux. Seulement voilà, le député de Gerolfingen vient de mettre le feu aux poudres lors d’une discussion avec l’historien Raphael Racine, ancien élu socialiste. En cause: l’assimilation de l’idéologie de son interlocuteur aux totalitarismes du siècle dernier, et l’idée que les socialistes d’aujourd’hui auraient simplement renoncé à la moustache – d’Hitler ou de Staline, à chacun son interprétation. Un dépassement de la «ligne rouge» qui incite Raphael Racine à exiger sa démission du Grand Conseil, annonce Le Journal du Jura. Étrange pudeur pour un historien: l’un de ses collègues, Johann Chapoutot, n’est-il pas passé sur les plus grandes chaînes d’informations en 2020 pour défendre un essai sur les racines nazies du management? Quand il est de gauche, l’intellectuel semble avoir peu d’ennuis en assimilant «lutte pour la vie» des nazis et lutte pour la compétitivité capitaliste. Et combien de fois, en Suisse, des propositions du parti de Korab Rashiti ont-elles été comparées à des politiques allemandes du siècle dernier?

On est libre de trouver, ou non, élégants les propos en question. Pour notre part, nous ne sommes pas friands de comparaisons entre partis qui respectent les usages démocratiques et dictatures qui massacraient des innocents, qu’elles soient communistes ou nazies. Reste qu’en traçant de nouvelles «lignes rouges», à géométrie variable qui plus est, c’est encore à la liberté que l’on s’en prend. Et c’est autrement plus effrayant que des propos trop enlevés sur Facebook.

À Lausanne aussi…

Situation inversée au Conseil communal de la Capitale Olympique. Cette fois, c’est Franziska Meinherz, élue d’extrême-gauche au tempérament particulier, qui a comparé un municipal à un nazi. La grande faute du PLR Pierre-Antoine Hildbrand, avoir vanté «l’émancipation par le travail» lors d’un débat sur la mendicité. Au moment où ce journal sera mis sous presse, gageons qu’une batterie d’historiens aura également condamné des raccourcis indignes. RP




Souriez, vous êtes rééduqués!

Entre militantisme LGBTQIA+, odes à Zelensky et apologie du wokisme, nos con-frères-sœurs-x, enfin nos collègues quoi, ne manquent jamais de beaucoup nous fasciner par leur audace. Leur dernier combat, en faveur de l’interprétation de La Petite Sirène par une actrice afro-américaine, mérite quelques lauriers. «Une Ariel noire vous pose problème, vous êtes raciste!», assène une collaboratrice de «l’Investigative Lab» (c’est le nom qu’ils donnent à leur rédaction, d’ailleurs fort peu métissée). Et l’argumentation de l’autrice du papier ne manque pas de sel: ainsi, parce que Hans Christian Andersen était vraisemblablement homosexuel, réclamer une Ariel conforme à la vision de son auteur n’aurait pas de sens, puisqu’il faudrait dès lors la représenter sous la forme d’un mâle gay. «Cela fait trop longtemps qu’on nous gave avec des princesses blanches auxquelles les petites filles métisses, noires et les autres ne peuvent pas s’identifier», poursuit notre passionaria des causes gagnées d’avance. Une argumentation délicieuse de la part de celle qui, par ailleurs, nous encourage à ne pas attacher la moindre importance à la couleur de peau des personnages!
Il y a plusieurs choses dont, au Peuple, nous ne nous soucions guère: l’épiderme des gens, la sexualité des écrivains et les leçons de morale de jeunes décérébrés, fussent-ils munis d’une carte de presse.

On veut sa retraite à 90 ans!

DR

C’est l’une des stars de cette édition et elle le mérite bien. Quand elle ne compare pas les élus à des tortionnaires nazis, Franziska
Meinherz est en effet capable de poser des questions cruciales. Ainsi, à l’annonce de la fin de carrière d’un ambassadeur de la 5G nommé Roger Federer, l’élue d’extrême-gauche lausannoise s’est fendue d’un message sur les réseaux sociaux demandant pourquoi elle devrait bosser jusqu’à 65 ans, contre 41 ans pour le génie de la balle jaune.
Nous avons la réponse: pour nous faire rêver le plus longtemps possible.

La foire à la saucisse

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Une bonne vieille grève du sexe pour faire les pieds (de porc) aux mangeurs de viande. Voilà la nouvelle proposition de l’organisation PETA, censée défendre les droits des animaux, pour faire face à… on ne sait pas, en fait. Disons pour faire face à la présence du mal dans le monde, pour faire simple. Car les méchants, ceux qui polluent, ont tous un truc en commun: ils aiment les saucisses! Et la PETA allemande d’enfoncer le clou à propos des bienfaits de la chasteté forcée pour les viandards: non seulement elle fera beaucoup souffrir les hétéro-beaufs, mais elle sauvera aussi la planète en économisant 58,6 tonnes de CO2 par an grâce à chaque enfant qui ne naîtra pas. Supprimons le sexe, la viande et les enfants, et le paradis, enfin, reviendra sur terre! La proposition aura au moins ceci de positif qu’elle évitera peut-être que des membres de la PETA se reproduisent.

La blanche colombe est revenue

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A intervalles réguliers, la francophonie ébahie voit le philosophe (paraît-il) Bernard-Henri Lévy revenir d’un pays en guerre et appeler à ne rien lâcher. Et c’est précieux, car en général, celui qui n’a pas de grandes conceptions géopolitiques peut se servir de la geste du seigneur germanopratin comme boussole pour basculer dans le camp opposé. Cette fois, c’est d’Ukraine que revient notre héros, où il lui a semblé bon de se faire prendre en photo sur une multitude de champs de bataille, la chemise impeccablement blanche et le brushing à l’avenant. Et gageons que les combats n’y étaient pas particulièrement intenses, puisqu’il a survécu. A moins que les Russes aient compris qu’être attaqués par pareille baudruche était tout de même plus agréable que la lecture de ses livres.




La décroissance malheureuse

«Tout de même, avons-nous entendu à propos de notre dernier numéro, n’y avait-il pas sujet plus sérieux à mettre en Une qu’une pâtisserie lausannoise qui vend des gaufres en forme de pénis?». Ou alors, à propos des feux du 1er Août, «est-ce bien là le cœur de la célébration?». Nul doute que cette fois encore, d’aucuns nous reprocheront de consacrer trop d’importance à la décision des chaînes de magasins de bannir les illuminations de Noël, «pénurie oblige», au lendemain à peine des recommandations de Berne.
«Covid oblige», «écologie oblige», «pénurie oblige»… Telles sont les ritournelles que l’on nous sert désormais pour accompagner chaque nouveau rognage de nos libertés. On ne nous fait plus miroiter la «sobriété heureuse», inaccessible aux médiocres, mais on nous sert le malheur responsable. Et si nous haussons les épaules, si nous n’exultons pas lorsqu’on nous présente nos nouvelles servitudes sous la forme de «challenges», c’est qu’un «effort de pédagogie» reste à accomplir du côté de nos bons maîtres.
On a pu lire beaucoup de choses, à propos du journal que vous lisez. Par des rapprochements pas si subtils, certains ont même tenté de nous faire passer – et rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité – pour des hommes d’ordre. Des excités rêvant d’États forts qui penseraient à notre place, même! La réalité est que nous vivons très douloureusement non pas la fin d’une ère d’abondance, mais la mort progressive de nos libertés. Alors il n’y aura plus d’illuminations dans les magasins à Noël: à vrai dire, nous n’y tenions pas, n’ayant pas encore délégué à la grande distribution la charge de maintenir vivante notre identité. Mais une fois de plus, comment ne pas constater que ce sont toujours les vestiges de notre folklore qui, les premiers, doivent s’effacer devant le monde qui vient? Nous qui ne nous sommes pas encore soumis à la «discipline grégaire», comme disait Bernanos, nous pouvons encore le déplorer. Mais ceux pour qui la naissance d’un Dieu sauveur équivaut à la naissance d’un monstre de spaghetti volant (si, si, ça existe), au nom de quoi se révolteront-ils en fin d’année?
Pasolini avait écrit une très belle lamentation: il disait qu’il pleurait un monde mort, mais que ce faisant, lui n’était pas mort. Notre révolte, la seule qui nous anime, vise à maintenir notre dignité de citoyens face au totalitarisme qui s’installe sous nos yeux. Et à le combattre même quand il sévit avec d’excellents prétextes.




Du Covid aux pénuries, l’autoritarisme mou

La stratégie «de la carotte et du bâton». C’est ainsi que nos confrères de 24 heures, au début du mois, ont synthétisé l’ensemble des mesures proposées par Berne, avec le soutien d’une large coalition d’acteurs économiques et politiques, pour faire face aux menaces de pénuries d’énergie. Au menu, des «recommandations» aussi basiques que remplir complètement le lave-vaisselle avant de l’utiliser, bien essorer le linge ou – nous citons – «aérer intelligemment» sa demeure.

Pas peur du ridicule

Autant de bons conseils qui nous forcent à faire un constat clair: face aux enjeux de taille, les dirigeants ne craignent plus d’assumer un certain ridicule en se substituant aux cadres familiaux, où se passaient naguère ces savoirs. «Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font, s’amuse d’ailleurs Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale. Cuire avec un couvercle, faire bouillir l’eau dans une bouilloire plutôt que dans une casserole, éteindre la lumière systématiquement, se doucher plutôt que se baigner.» Là où l’affaire devient moins amusante, c’est quand Berne menace de manier le bâton, pardon, de faire recours à un «appel plus pressant», dans le langage du Conseiller fédéral Guy Parmelin. Il est ainsi prévu que, si le volontarisme ne suffit pas, les Cantons se muent en policiers de la consommation d’énergie dans les ménages, pour éviter notamment que ces derniers soient chauffés au-delà de 19 degrés. «Ce qui est sûr, c’est qu’une surveillance dans les maisons individuelles serait irréalisable, conclut Suzette Sandoz. Ce sont les éventuels modes de surveillance qui m’inquièteront.»

Un héritage en question

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, né de l’opposition à la loi Covid, Daniel Rousseau va encore plus loin. Pour lui, cette façon d’agiter la carotte et le bâton est un héritage clair de la gestion de la pandémie: «La recette est assez simple: il faut agiter le drapeau de la peur sur nos libertés en décrivant le pire. Dans un second temps, on annonce au peuple que c’est moins pire que prévu pour le convaincre qu’il doit accepter aujourd’hui ce qu’il aurait refusé hier. Ce concept s’appelle ʻla soumission librement consentieʼ et il est largement utilisé dans la vente.» Une illusion démocratique qui le conduit à la question suivante: «La manipulation psychologique pour le bien commun est-elle justifiée?»

«Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font.»

Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale

Président du groupe Ensemble à Gauche au Conseil communal de Lausanne, Johann Dupuis tempère: certes, l’approche a été utilisée pour le Covid, mais non, elle n’a pas été inventée pour lui. Il s’agirait en réalité d’un héritage néolibéral de l’ère Thatcher-Reagan, dans les années 80: «L’état ne doit plus réglementer ni même réguler, mais informer, conseiller voire tout au plus inciter à». Une posture qui le pousse à invoquer la possibilité d’interdictions uniquement en cas de crise grave, ou «comme une espèce d’épée de Damoclès qui interviendrait seulement pour venir trancher une main invisible éventuellement égarée».
Un nouveau mode de «management» des peuples qui, quelle que soit son origine, laisse ouverte une question fondamentale: combien de temps un peuple unifié par le désir de liberté acceptera-t-il de se laisser mener avec une carotte et un bâton, à la manière des ânes?




« On veut réveiller les consciences »

Depuis quelques jours, les médias s’extasient devant l’ouverture de La Quequetterie à Lausanne et les autorités municipales s’en amusent (voir notre édition précédente): vous, de votre côté, écrivez à la société exploitante pour demander l’interdiction aux moins de 18 ans. Serait-ce que vous vous sentez une âme de Don Quichotte?

Don Quichotte se battait contre des menaces fictives, alors que nous sommes au contraire profondément dans le réel. Des adolescents fréquentent cet établissement et sont placés devant des sollicitations à tendances pornographiques, ce qui n’est ni acceptable ni en accord avec un article explicite du règlement général de police de la ville de Lausanne, comme vous l’avez écrit vous-mêmes.

Vous n’avez pas la crainte de crier dans le désert en demandant un filtrage des clients, alors que cet établissement drague précisément les jeunes?

A l’UDF, nous n’avons pas pour habitude de courber l’échine. Alors on peut nous dire que nous crions dans le désert, mais l’histoire de Jean le Baptiste nous montre qu’à force, on finit parfois par être entendus. Nous voulons réveiller les consciences. Il y a du reste une importante masse silencieuse de personnes dans la population, pas forcément chrétiennes, mais qui n’ont pas encore renoncé au bon sens, et qui n’en peuvent plus de ce genre de dérives. Certains essaient de se rassurer en se disant que ça ne durera pas, que cet établissement fermera rapidement. Nous, nous estimons qu’il faut combattre, avec les armes du droit.

Dans notre dernière édition, la Municipalité lausannoise s’est contentée de nous répondre qu’il fallait croquer dans la brioche, si nous voulions faire disparaître l’atteinte à la «décence» que le propre règlement de la Ville interdit. Cela vous choque, comme réponse?

Quelque-part, c’est l’attitude générale que les gens ont face à ce qu’ils ne maîtrisent plus. On ne veut pas entrer en conflit avec une chose qui nous dépasse, et contre laquelle on n’a pas les armes intellectuelles. Ce n’est pas vraiment de la délinquance, il n’y a pas d’agression dans la rue, juste une réalité qu’ils n’arrivent plus à situer sur l’échiquier moral.

Êtes-vous optimistes quant à vos chances de succès, seuls?
En tout cas nous allons aller jusqu’au bout. Sans réaction de la société qui exploite cette pâtisserie, dont nous avons la confirmation qu’elle a reçu notre missive, nous passerons à la plainte en bonne et due forme. A ce moment-là, les autorités seront obligées d’expliquer à la population ce qui, de leur point de vue, relève ou non de la décence et de la morale mentionnées dans l’article de règlement qu’elles devraient faire respecter. Nous espérons en outre trouver des alliances du côtés des voisins de l’établissement, ainsi que du côté de certains élus UDC lausannois. Au bout du compte, nous ne serons sans doute plus si seuls que cela à nous opposer à ce que nous considérons comme des sollicitations à caractère pornographique.




Déplacer le problème plutôt que le résoudre ?

Depuis le dépôt de ce texte (mai 2021), les dealers des quatre coins du canton, pour la plupart des clandestins, se sont regroupés aux alentours de l’école primaire des Pâquis et la consommation de crack explose. Professeurs, élèves et riverains sont confrontés à une forte augmentation des drogués rendus très agressifs par cette drogue dure, les jeux sont souillés et les enseignants sont obligés d’appeler la police régulièrement. La raison de ce phénomène nouveau est à chercher auprès des dealers français qui proposent, ce qui est nouveau, des cailloux de crack déjà prêts à l’emploi. C’est-à-dire qu’ils ont déjà «basé» la cocaïne, en la chauffant avec du bicarbonate de soude pour former les petits cailloux, que les consommateurs vont ensuite fumer dans une pipe.

Au vu de cette situation, tous les regards se tournent vers la commission des affaires sociales de la Ville de Genève qui étudie cette motion depuis le début de cette année. Pour les socialistes, une régulation du deal de rue avec la désignation d’un lieu « adapté » pour leur trafic permettrait aux Pâquisards de retrouver calme et sécurité.

Une zone de deal est évidemment inacceptable pour des raisons d’ordre juridique mais aussi parce que c’est un signal de démission face au marché de la drogue plus fort que l’État de droit. Là où ce débat devient intéressant, c’est en constatant une forme d’impuissance des autorités pour maîtriser la vente de la drogue, qui se tient devant les yeux de tout un chacun. Mauro Poggia, responsable du Département de la sécurité de la population et de la santé, l’admet: «Les actions menées par les forces de l’ordre y sont nombreuses (dans les quartiers proches de la gare Cornavin) et régulières. Mais il est vrai que la présence policière ne peut pas être constante, et que les dealers y reviennent régulièrement» (Le Matin Dimanche, 4 septembre 2022).

La proposition des socialistes, qui peut être prise pour une provocation, parce que fondamentalement hors la loi, vise néanmoins à soulager les quartiers victimes des dealers et de leurs clients. Elle renouvelle ainsi l’expérience catastrophique du Letten à Zurich. Elle jette aussi une lumière crue sur l’absence de véritables résultats du gouvernement pour juguler et même stopper le trafic de la drogue à Genève.




Anatomie d’un délire bien-pensant

Nous sommes vendredi 2 septembre en fin de journée, à Henniez, devant le nouveau café exploité par la Commune. Un bistrot – déclarons d’emblée nos intérêts – qui propose Le Peuple à ses clients. L’assemblée est solide, compte-tenu des 400 habitants de l’endroit, et devise tranquillement autour d’un verre tandis que la présidente du Conseil d’État, Christelle Luisier, est attendue pour un discours. La partie officielle débute. Un des exploitants des lieux, d’origine mauricienne, prend la parole le premier pour rassembler les convives. Puis paisiblement, un chœur mixte commence à chanter «bonjour» dans toutes les langues, de l’espagnol à l’arabe.
Voilà le point culminant, aussi paisible que joyeusement banal, d’une triste affaire débutée près d’une semaine plus tôt dans la presse. A l’origine, une lettre vengeresse d’un habitant, ancien patron d’un bistrot qui n’est pas parvenu à tenir sur le long terme dans la commune. Peu assidu au Conseil général, il n’en dénonce pas moins l’implication des autorités dans la mise sur pied du projet, la personne du syndic, et l’imagerie choisie pour l’endroit. «L’inadmissible, ce qui interpelle», dit-il avec emphase, est qu’un tel endroit s’appelle Le Confédéré, et montre une représentation stylisée de hallebarde dans la rue. Ce serait, apprend-on, un clin d’œil à l’extrême-droite inacceptable. Ni une ni deux, un habitant prend la défense de la Municipalité dans un deuxième tout-ménage, avant que l’exécutif lui-même réponde à son administré.

Une construction de toutes pièces

Récapitulons: un habitant mécontent sort du bois et règle ses comptes dans un tout-ménage, deux semaines avant une inauguration. Des accusations graves sont portées contre un individu, avec lequel il ne semble pas vouloir garder les vaches. A ce stade, toute cette valse d’amabilités aurait pu rester à l’état de tempête dans un verre d’eau, à ceci près que La Liberté, dont seul un photographe s’est rendu sur place, enclenche la machine. «Polémique villageoise sur le nom du bistrot», écrit-elle sur ses affichettes. Un mot-clé apparaît: diviser. Une seule personne, visiblement en rupture, se plaint d’un projet décidé au sein des instances démocratiques, mais Le Confédéré devient «le bistrot qui divise». 24 heures, quelques jours plus tard, élabore: non seulement le bistrot «divise le village au lieu de le réunir», mais «le nom et l’enseigne retenus créent la polémique».

De polémique, ce vendredi 2 septembre, il n’y en aura guère. Amusée, la présidente du Conseil d’État glissera rapidement un mot sur l’affaire dans un discours tout à fait apaisé sur les vertus de la démocratie villageoise. Quant au syndic, muet depuis le début de l’emballement médiatique, il évoquera un lieu «dédié à la joie de vivre, à la cohésion sociale». Une auberge «où se retrouvent des représentants de tous milieux». Et de citer l’auteur anglais G. K. Chesterton, pour qui «le déclin des tavernes n’est qu’un aspect du déclin général de la démocratie.»

Partie officielle terminée. Dans l’assemblée, une jeune fille voilée boit un verre de soda aux côtés de quelque sommité locale. Des enfants jouent dans le parc situé à quelques mètres. Nul esclandre. Une fête de village tout à fait banale, mais chaleureuse. Tandis que tout ce joli monde se rassasie, un nouveau reportage sur la polémique, bien difficile à constater sur place, commence à tourner sur La Télé. D’aucuns le découvriront en fin de soirée. Et l’on s’étonnera d’avoir été tous réunis par un bistrot qui, dans la langue des médias, devait diviser la population.

Comment a-t-on pu en arriver là? En trois points.

D’un point de vue journalistique, voici les éléments qui ont concouru à créer un décalage sidérant entre le récit des journalistes (présomption de sympathie pour l’extrême-droite, division du village) et la réalité, d’une glorieuse banalité.

1) La distance par rapport au terrain: Le premier article a été réalisé par une personne qui n’a pas jugé utile de se rendre sur les lieux. C’est pourtant ce papier qui a posé les jalons des sujets à venir, imposant la notion de «division».

2) La logique comptable des journalistes: Deux ou trois éléments concordants, dans la langue des médias, suffisent généralement à valider l’hypothèse de la «tendance». De même, ici, des lettres ouvertes successives, même lorsqu’elles contribuaient à donner l’image d’un quérulent isolé, ont suffi à valider le thème de la guéguerre clochemerlesque.


3) Une question de taille:
À quoi bon prendre des pincettes avec une administration villageoise qui, certes, agit dans les règles, mais avec une sensibilité conservatrice? Aurait-on imaginé offrir un tel porte-voix à un, voire trois habitants qui, à Lausanne, auraient dénoncé la politique de la Municipalité? Non, parce qu’un tel exécutif, avec ses qualités et ses défauts, ne sera jamais jugé «sulfureux».