Le Temps menacé par un attentat

L’an dernier, une vive controverse avait suivi la publication d’un blog questionnant la dimension légale et éthique de l’avortement en Suisse. L’autrice de l’article s’en était moins bien tirée que l’un de ses opposants.
Mieux vaut menacer que débattre, dans une démocratie malade.
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« Peut-on vraiment parler d’un “droit à l’avortement” ? » titrait, l’année dernière, l’ancienne conseillère nationale libérale Suzette Sandoz déchaînant les enfers en posant cette question de vocabulaire sur son blog du Temps. La professeure de droit, pourtant, ne s’opposait pas à toute possibilité d’interruption de grossesse, étant attachée à la « solution des délais ». Simplement, elle contestait le terme-même de « droit à » pour ce qui, à ses yeux, relève plutôt d’une autorisation (cf. Le Peuple, 8.6.2022). Reste qu’en affirmant que « le droit à l’avortement est le droit de demander la mise à mort de l’enfant que l’on porte », la Vaudoise avait franchi un cap que le journal n’avait pas toléré. En effet, le quotidien lui avait publiquement fait la leçon :  « Une interruption volontaire de grossesse peut se dérouler en Suisse jusqu’à la 12e semaine de grossesse après les dernières menstruations, autrement dit l’embryon a dix semaines au plus, et il s’agit bien d’un embryon, non d’un fœtus (à partir de trois mois) et a fortiori non d’un enfant ». Ce que l’on ne savait pas, c’est que l’auteur de propos bien plus inquiétants que ceux de Suzette Sandoz s’en était tiré à bon compte. L’avocat et essayiste Raphaël Baeriswyl l’a appris au détour d’une plainte adressée par ses soins au Conseil suisse de la presse. Pour lui, il était déjà inadmissible qu’un titre rabroue publiquement une contributrice externe, au motif de lutter contre la désinformation, alors qu’elle s’exprimait sans enfreindre de norme légale et qu’elle n’avait – à ses yeux de juriste – rien écrit d’inexact. Mais d’apprendre, dans une des réponses du journal à ses questions, qu’un commentateur du blog avait menacé de commettre un attentat contre Le Temps, sans en subir de conséquences, voilà qui dépasse l’entendement. Et Raphaël Baeriswyl d’ironiser : « Un gentil progressiste qui menace de poser une bombe. Mieux vaut demander à Mme Sandoz de modifier son texte… Le Temps veut bien être Charlie, mais pas Suzette. » Des mesures temporaires Comment la chose a-t-elle été possible ? « Mme Sandoz a supprimé elle-même le commentaire menaçant (les blogueurs modèrent les commentaires eux-mêmes) », explique la rédactrice en chef du Temps, Madeleine von Holzen, contactée par nos soins. « Nous avons cherché dans l’historique de la base wordpress, retrouvé l’IP de ce commentaire, établi dans un pays hors du continent, d’où impossibilité pratique de poursuivre l’auteur et probabilité faible d’un passage à l’action. Nous avons néanmoins pris des mesures temporaires de sécurité à la suite de cette menace. » Étonnamment, Suzette Sandoz ne garde, quant à elle, aucun souvenir d’un tel message. Ce qui est certain, quoi qu’il en soit, c’est que la politique de diffusion systématique sur Twitter des billets de blogs du Temps a cessé dans la continuité de cette affaire, remarque un autre contributeur. Autre observation importante : des choix de vocabulaire avaient entraîné un débat très vif au sujet de la pensée de Suzette Sandoz, sans que pareille inquiétude ne soit causée par des menaces graves. Parce qu’elles venaient du camp du progrès ?

L’embryon et le fœtus seraient bien des enfants…

Dans sa plainte devant le Conseil suisse de la presse, Raphaël Baeriswyl fait valoir que, contrairement à ce que prétend Le Temps, le droit suisse utilise le terme « enfant » pour désigner des embryons et des fœtus. C’est le cas, notamment, à l’article 31 alinéa 2 du Code civil (où « l’enfant conçu » est forcément un enfant qui n’est pas encore né…), et plus encore à l’article 9a de l’Ordonnance fédérale sur l’état civil (traitant précisément de « l’enfant né sans vie », qui par définition n’est pas viable et est même souvent un embryon…). Preuve à l’appui, il fait valoir que Le Temps lui-même utilise le terme « enfant », ou « bébé », pour parler de l’enfant qui ne vient pas au monde, en raison d’une fausse couche. Tout récemment, à l’occasion de l’affaire Palmade, Le Temps parlait d’un accident qui avait « entraîné la mort d’un enfant à naître ». « Or, quand Mme Sandoz (une experte, soit dit en passant) utilise le terme « enfant » dans le cadre d’une réflexion sur l’avortement, on vient lui reprocher de faire de la désinformation, comme pour empêcher un débat sur une question qui est pourtant à l’ordre du jour de toutes les démocraties occidentales… », observe l’essayiste. « Intéressant glissement sémantique, n’est-ce pas ?», conclut-il, en rappelant que « l’homme a toujours cherché à déshumaniser ses victimes ».

 

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