« Nous disons neutralité, nous pratiquons OTAN »

Cet article est réalisé en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.
L’association défend une Suisse indépendante et neutre.

« La Suisse en passe d’abandonner sa neutralité historique et rejoindre l’OTAN. » Non, ce n’est pas le cri de colère d’un élu UDC à Berne, mais bien le titre d’un article de l’Humanité, journal communiste français. Consacrée à l’ouverture d’un bureau de liaison de l’organisation atlantiste à Genève, cette enquête publiée à la fin du mois d’août est révélatrice du changement de perception de notre pays à l’étranger. Et autant dire qu’elle en inquiète plus d’un !

La dérive s’intensifie

Depuis des mois, l’attitude pro-ukrainienne de la Suisse n’a plus rien d’un mystère. Entre drapeaux jaunes et bleus sur les hôtels de ville, réceptions triomphales de Volodymyr Zelensky et conférence sur la paix organisée sans invitation à la Russie, comment ne pas voir l’évidence ? Mais un pas semble avoir été franchi sur le plan de la coopération militaire : déjà, en avril, l’Armée suisse se félicitait de participer à l’exercice « Locked Shields 2024 », consacré à la cybersécurité. Mis en ligne à ce moment-là, un communiqué du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) mentionnait pudiquement qu’il était organisé « en collaboration avec divers partenaires nationaux et internationaux. » En réalité, relevait Le Temps, des cyber-soldats ukrainiens participaient aussi à ce fameux exercice coordonné à partir de Tallinn, en Estonie, sous l’égide du Centre d’excellence pour la cyberdéfense en coopération de l’OTAN. Des militaires suisses en treillis aux côtés de combattants engagés dans un conflit majeur : surprenant…

Surprenant, mais un avant-goût des décisions à venir du côté du Conseil fédéral. Le 21 août dernier, ce dernier a encore accepté la participation de la Suisse à deux projets de la «Permanent Structured Cooperation (PESCO)» de l’Union européenne. Baptisés «Military Mobility» et «Cyber Ranges Federation», ils « permettent d’élargir les possibilités de coopération internationale entre forces armées, renforçant ainsi la capacité de défense nationale de la Suisse », promet un communiqué. Dans les faits, « Military Mobility » vise à favoriser les déplacements militaires sur le continent grâce à des processus administratifs standardisés. Un Schengen des forces armées, nous promet-on avec gourmandise. Outre les pays membres de l’UE, le Canada, la Norvège et les États-Unis participent en qualité d’États tiers. Quant au second projet, il vise à renforcer la coopération internationale en matière de cybersécurité. Mais cette fois, « la Suisse ne participera pas à des exercices avec des pays en guerre », promet le DDPS.

Un intérêt opérationnel, mais une faute diplomatique

Doit-on condamner sans réserve ces initiatives ? Un observateur avisé, tenu à un anonymat strict, nuance : « Il faut distinguer la plus-value technique et le volet politique. Il est intéressant de former nos soldats aux meilleures écoles, d’apprendre du front, etc. En revanche, l’association à un camp déterminé de façon ouverte et répétée doit être dénoncée. Nous disons neutralité, nous pratiquons OTAN. » Et de préciser que le domaine cybernétique est actuellement le seul où nous sommes menacés, ce qui ne justifie donc aucunement des rapprochements sur d’autres plans, comme la mobilité des soldats sur notre territoire. Il rappelle qu’une véritable purge est mené à l’interne de l’Armée, les avis divergents n’étant plus guère tolérés selon lui.

Et si la voie bilatérale était, dans le domaine militaire, une piste plus enviable ? C’est ce qu’il suggère : « Les grands exercices ont toujours une plus-value certaine pour le Haut commandement, moins évidente aux échelons subordonnés. Souvent tu n’as pas la vue d’ensemble et apprends lors du débriefing final ce qui s’est passé. On entraîne donc surtout la conduite et la coordination (ici l’OTAN). On est déjà dans une forme de coopération, même si elle est vendue comme une formation. En fait, s’il s’agissait de nous renforcer individuellement, il faudrait former nos gars aux meilleures écoles, ce qui doit plutôt se faire avec des accords bilatéraux. »

Un manque de courage qui va se payer

Conseiller national UDC, le Vaudois Yvan Pahud ne cache pour sa part pas une colère assez totale. A ses yeux, un problème de neutralité se pose déjà dans le fait de collaborer avec l’OTAN sans en être membre. « Quand, de plus, on fait équipe avec un pays en guerre comme l’Ukraine, on touche à la crédibilité de la Suisse sur le plan diplomatique. Comment peut-on imaginer que la Russie ou les pays du BRICS en général nous voient comme un pays capable d’organiser des réunions de paix neutres ? » Il relève qu’il ne viendrait jamais à l’idée du DDPS de lancer une coopération avec les Russes dans le domaine la cybersécurité, mais que cette frilosité ne s’applique pas à l’Ukraine, bien qu’elle soit fortement soupçonnée d’avoir saboté le gazoduc allemand. Une posture unilatérale porteuse de dangers : « À cause de notre prise de position, les cyberattaques probablement russes contre la Suisse sont en augmentation. Et que va-t-on faire ? On va s’entraîner avec leurs adversaires ! Mais il n’y a pas mieux pour provoquer des représailles. »

Le conseiller national Yvan Pahud dénonce une attitude de plus en plus unilatérale.

Et l’élu de conclure : « Notre neutralité nous a préservé de conflit et de nuisances financières pendant des décennies. Elle nous a aussi permis d’être reconnus pour notre tradition de bons offices. Aujourd’hui, on se crée des problèmes : on va subir des attaques, des pannes électriques et informatique. Tout ça va nous coûter des millions, simplement parce que nous avons peur de paraître trop neutres… »

Commentaire : Osons être nous-mêmes !

Une drôle de maladie frappe nos élites politiques : la peur de paraître trop suisses ! Voici un petit pays au cœur de l’Europe qui participe à des exercices militaires aux côtés d’un belligérant, affiche sa sympathie pour ledit belligérant, et organise un sommet pour la paix sans son adversaire : ce pays, c’est le nôtre depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine.

De façon amusante, ses dirigeants cherchent encore à nous faire croire qu’il est resté neutre. Oui d’accord, on entre dans un programme qui facilitera le passage de soldats étrangers sur notre territoire, mais ce sont ceux du camp du Bien, donc pas d’inquiétude. Oui c’est vrai, on participe à des exercices aux côté des Ukrainiens, mais ce n’est pas une coopération directe, donc la Russie ne le prendra pas mal. On déroule constamment le tapis rouge à Zelensky, mais vraiment, rien n’a changé dans notre posture…  

Le calcul est désastreux : à vouloir à tout prix nous fondre dans la masse, nous disparaissons de la scène internationale. Oui, pour un petit pays comme le nôtre, la seule façon d’exister consiste à rester différent, n’en déplaise aux trouillards et aux va-t’en guerre : le monde a besoin d’apaisement, et donc de pays qui accueillent, écoutent, et se taisent… C’est sans doute moins vendeur que de grands engagements internationaux (accompagnés de purges au sein de notre armée), mais ça sert bien plus l’intérêt de notre pays, et des populations qui souffrent.

RP




« J’ai une part personnelle de tendresse pour Starbucks »


Plus de 140 commentaires, pas toujours amènes, des smileys très fâchés et des appels au boycott… Voilà un petit résumé des réactions suscitées par un récent post Facebook de Pierre Dessemontet célébrant l’arrivée du géant Starbucks dans sa ville. 

Mais pourquoi avoir à ce point tenté le diable ? Tel Charon embarquant les âmes vers les Enfers, l’élu socialiste nous emmène dans l’établissement pour expliquer sa démarche. 

Pierre Dessemontet, espérez-vous encore que les cafetiers d’Yverdon-les-Bains votent pour vous lors des prochaines élections municipales ?

Je ne me pose pas vraiment la question en ces termes-là. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir faire en sorte que la grande multinationale américaine qui nous reçoit aujourd’hui, comme le petit bistrot situé deux rues plus loin, puisse avoir autant de clients que possible. En tant que responsable de l’économie de la ville au niveau politique, je suis convaincu qu’accueillir une nouvelle enseigne comme Starbucks amènera un peu plus de clients au centre-ville et qu’ils déborderont sur d’autres commerces.

Reste que cette fameuse enseigne ne colle pas exactement aux valeurs du socialisme.

Vous savez, à partir du moment où l’on entre dans un exécutif, on doit pondérer les différentes choses qu’on a envie de faire et hiérarchiser ses priorités. Qu’elle soit américaine ou suisse, la multinationale n’est certainement pas un modèle d’entreprise qui est extrêmement porté par ma formation politique. Cependant, qu’on l’apprécie ou pas, elle peut venir se développer chez nous sans que nous ayons grand-chose à dire. Dans le cas présent, cela profite à Yverdon-les-Bains.

Ce serait mentir d’affirmer que nous n’avons pas eu un plaisir coupable à découvrir le Crème Brulée Iced Brown Sugar Oat Shaken Espresso.

Je veux bien, mais vous avez montré un enthousiasme qui allait bien au-delà de la promotion des intérêts de la ville…

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J’ai une part personnelle, effectivement, de tendresse pour Starbucks qui me vient des quatre années que j’ai vécues aux Etats-Unis. Quand vous arrivez là-bas, vous perdez toute espérance du point de vue du café et le seul endroit où je pouvais avoir un latte qui correspondait à peu près à un latte au sens européen du terme, c’était chez eux. C’est dès lors devenu un stamm pour moiLe bistrot que j’ai connu il y a vingt ans dans le quartier alternatif de Houston avait aussi ceci d’agréable qu’il nous laissait lire nos bouquins sur la terrasse sans venir nous demander une nouvelle consommation toutes les vingt minutes.

Doit-on en déduire que le socialisme est soluble dans le café Starbucks ?

Le socialisme, certainement pas mais moi, Pierre Dessemontet, peut-être.

N’avez-vous pas voulu provoquer votre aile gauche en partageant cet enthousiasme sur les réseaux sociaux ?

Non, je dirais plutôt qu’il y a eu une envie d’exprimer des positions qui illustrent la part d’incohérence propre à tout responsable politique qui fait partie d’un exécutif. C’est-à-dire que dès que l’on entre dans un tel rôle, on se retrouve à arbitrer entre du gris clair et du gris foncé, à prendre des décisions entre deux mauvais choix et, surtout, à décevoir. Gouverner, c’est décevoir. 

J’avais donc envie de montrer qu’il y a une conscience politique, que je ne renie pas, et qui peut paraître en contradiction avec un objectif politique de diversité économique du centre-ville. Vous savez, à la mi-août, on a appris que Manor allait fermer à Payerne, après avoir fermé à Moudon et Estavayer-le-Lac il y a une vingtaine d’années. Après les villes de 5000 habitants, ce sont donc celles de 10’000 qui ne parviennent plus à garder leurs grands magasins. Notre grande chance est de vivre dans une ville de 30’000 habitants et de pouvoir encore faire survivre et prospérer notre tissu économique. Face à la concurrence d’internet ou de Chamard (important secteur commercial situé à proximité d’Yverdon-les-Bains), il n’y a pas cinquante solutions : cela passe par la diversité et Starbucks, qu’on le veuille ou non, fait bel et bien partie de cette diversité.

Mais les gens savent tout ça, dans votre camp politique ! Je reste persuadé que le vieux mâle blanc cisgenre a aussi eu envie d’envoyer paître certains camarades.

Je ne sais pas si c’est le vieux mâle blanc cisgenre qui a envie de dire tout ça mais ça fait partie de mon travail d’affirmer des choses qui peuvent – je dis bien « peuvent » – paraître en contradiction avec mes valeurs. Quand on fait un job comme le mien au sujet de Starbucks, on met les mains dans le cambouis et on se salit, y compris au niveau de l’âme. Mais c’est juste de le faire.

Après, est-ce qu’il y a un élément de provocation (ndlr pensif) … Il y a en tout cas une façon de dire que je tiens mon terrain, que je n’ai pas honte de tenir ce discours.

Je ne suis pas psychologue, mais j’ai quand même l’impression qu’il y a une ou deux digues qui ont sauté récemment chez vous. Je me trompe ?

Disons que vient un moment dans une carrière politique où l’on se pose plus facilement la question de savoir comment on la termine que comment on la poursuit. 




Radical

Le 17 juin 2024, je me trouvais attablé chez mon kebabier favori et feuilletais un exemplaire du quotidien Le Temps, oublié par un client précédent. Une phrase attira mon attention : le parti espagnol Podemos y état qualifié de « parti radical de gauche ».  On ne peut pas reprocher à des journalistes d’un périodique édité à Genève de méconnaître la langue française, mais quand même…

Non, un « radical de gauche », ce n’est pas un post-trotskiste se prenant pour Guevara. C’est un type tout à fait civilisé, vaguement anticlérical, vaguement à la remorque d’une alliance avec les socialistes et les communistes, qui bouffe du cassoulet et dont les héros s’appellent Maurice Faure et Robert Fabre.

Podemos n’est donc pas un parti radical de gauche. C’est tout au plus un parti de gauche radicale, si on accepte ce nom de code qui veut dire en fait « extrême gauche qui ne lit pas Marx et Lénine parce que les jeux vidéo, c’est quand même moins fatigant ». On aurait en effet bien du mal à y retrouver la colonne vertébrale du marxisme qui garantissait une pensée structurée chez les communistes et les socialistes de ma jeunesse.

Un événement de Podemos en 2015. (Crédit photo : Gmmr3)

Mais il faut accorder au Temps l’excuse que l’adjectif « radical », en politique, ne veut plus rien dire à force de tout dire. Dans le monde anglo-saxon, être radical, c’est être d’extrême gauche, alors que si l’on est de gauche, on est tout simplement liberal. (Attention toutefois au vrai parti libéral démocrate britannique qui était l’allié du parti conservateur de 2010 à 2015.) Mais, à la fin du XXe siècle, il y avait dans cinq cantons suisses (Vaud, Genève, Valais, Bâle-Ville et Neuchâtel), un parti radical qui était libéral, et un parti libéral qui était conservateur. Et il existe en Serbie un parti radical, Srpska radikalna stranka, dont le dirigeant, Vojislav Šešelj, a été condamné par le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Ce parti radical, version danubienne, professerait donc un ultra-nationalisme qui lui vaudrait sans doute d’être classé à l’extrême droite par nos media, nonobstant le passé communiste de Šešelj lui-même. Toutefois, au prix de quelques simplifications, nous pouvons constater qu’être radical, ça veut dire être d’extrême gauche en Amérique du Nord et d’extrême droite en Serbie. Au Danemark, en revanche, la Radikale Venstre est un parti social-libéral, autant au centre gauche que le défunt parti radical genevois était au centre droit. En Argentine, l’Unión Cívica Radical est un parti affilié à l’Internationale socialiste… mais néanmoins membre d’une coalition conservatrice.

Par quel mystère, dans le même pays, le même adjectif « radical » peut-il désigner à la fois les communistes et les conservateurs ?

Plus cocasse est le cas de la Grèce, où tout le monde revendique son radicalisme. À gauche, on notera que le quotidien du parti communiste stalinien de Grèce (KKE) s’appelle Radical (Ριζοσπάστης) et que le parti de l’extrême gauche woke, SYRIZA, s’appelle en fait Coalition de la gauche radicale (Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς). Mais, à droite, le parti conservateur le plus fort qui ait jamais existé en Grèce, à l’époque où Constantin Caramanlis sortait le pays de la misère, s’appelait Union nationale radicale (Εθνική Ριζοσπαστική Ένωσις) – tout de même 50,8% des suffrages exprimés en 1961. Par quel mystère, dans le même pays, le même adjectif « radical » peut-il désigner à la fois les communistes et les conservateurs ?

Les deux pays d’élection du radicalisme historique sont la France et la paisible Suisse. La Suisse, où depuis 1848, le parti radical est au pouvoir (qui dit mieux ?). La France, où le fameux parti républicain radical et radical-socialiste domina la vie politique entre 1901 et 1958, avant d’éclater en 1972 entre un parti radical de gauche, et un parti radical tout court, que je dois donc supposer de droite. Un parti tellement peu « radical » et tellement peu socialiste que l’armée américaine avait dû expliquer dans une brochure à l’usage de ses soldats qui se préparaient à combattre sur sol français pendant la deuxième Guerre mondiale, que la désignation du parti n’avait de valeur qu’historique. Lorsque le célèbre mathématicien et homme politique français Émile Borel animait dans l’entre-deux-guerres une éphémère Entente internationale des partis radicaux et des partis démocratiques similaires, celle-ci avait pour membres des partis qui me semblent très éloignés des valeurs de l’extrême gauche façon Podemos ou SYRIZA, comme le parti national libéral roumain de la famille Brătianu, le parti libéral belge ou le parti républicain du peuple de Mustafa Kemal Atatürk.

Les élections en France, depuis 2017, opposent principalement le parti « ni droite, ni gauche » de Madame Marine Le Pen au parti « à la fois droite et gauche » de Monsieur Emmanuel Macron. (Positionnements flous qui m’empêchent de situer ces partis dans l’espace.) Dans ce contexte, le parti « ni droite, ni gauche » a reproché à maintes reprises au journaliste Éric Zemmour la « radicalité » de ses positions de droite, qui le rendraient infréquentable. D’un autre côté, je relève la présence, dans la coalition qui soutient Monsieur Macron, du parti radical (tout court, donc de droite). Il ne faut ainsi pas confondre un parti de droite radicale, façon Éric Zemmour, qui appartient indubitablement au camp du mal (du moins c’est Madame Le Pen qui nous l’explique), et un parti radical de droite, façon Laurent Hénart, qui appartient indubitablement au camp du bien (du moins c’est Monsieur Macron qui l’affirme). De l’importance de bien placer l’adjectif.

Dans le combat que le wokisme mène contre la langue française, l’adjectif « radicalisé » est devenu un cache-sexe pour désigner « djihadistes », « islamistes », et autres défenseurs musclés d’une théocratie mahométane qui me semble assez éloignée des Éléments d’une doctrine radicale d’Alain. La guerre des mots ne connaît aucune trêve. C’est ainsi qu’on aura publié une biographie du Zemmour mentionné plus haut sous le titre Le Radicalisé, dans le but assez mal dissimulé de l’assimiler aux poseurs de bombe et tueurs du Bataclan.

Il fallait oser.

Toutefois, ce n’est pas aux terroristes islamistes que je m’en prendrai dans ce billet, mais c’est bien à ceux qui font commerce de la confusion qu’ils entretiennent dans les esprits. Dire que les admirateurs européens de l’organisation appelée État islamique et de son pseudo-calife sont « radicaux » ou « radicalisés », c’est insulter tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, se sont dit « radicaux » ou se sont réclamés du « radicalisme » : Jonas Furrer, Henri Druey ou James Fazy en Suisse ; Léon Bourgeois, Félix Gaillard ou Edgar Faure en France ; Raúl Alfonsín en Argentine ; David Lloyd George en Grande-Bretagne ; les Brătianu en Roumanie.

Il y a la dérive d’un mot, jusqu’aux euphémismes actuels de la « gauche radicale » ou des « islamistes radicalisés » qui désignent en fait l’extrême gauche sectaire et séditieuse et le terrorisme islamiste. Mais il y a aussi un radicalisme historique, représenté par des organisations politiques, qui à travers plusieurs continents et deux siècles, se définissaient par deux points communs : un certain laïcisme, qui les empêchait de se situer complètement à droite ; et un certain refus du marxisme, qui les empêchait de se situer complètement à gauche ; le tout accompagné d’une riche palette de nuances.

Dans le canton de Genève, une petite formation, L’Élan radical de Roland-Daniel Schneebeli, tente de maintenir la ligne des radicaux de naguère. Gare à ce parti politique s’il venait à se rebaptiser les Radicaux : dans l’amnésie et la désinformation actuelles, on le prendrait sans doute pour un groupe terroriste.




Démographie : La politique organise la pénurie

L’explosion démographique

Pour avoir une idée du phénomène frappant la Suisse, il faut s’imaginer qu’il se construit annuellement, depuis des décennies, une ville de la taille de Lucerne pour accueillir les ressources apparemment nécessaires à notre système économique. Dans le Canton de Vaud, c’est la population de la ville de Prilly qui doit trouver à se loger chaque année.

Comment imaginer le fonctionnement des hôpitaux, EMS et des autres institutions de soins sans leur personnel étranger ? On admet communément qu’il est impossible d’affronter la pénurie de main d’œuvre sans les ressources humaines de nos voisins européens. Et puis, il y a les cerveaux et les profils hautement qualifiés, issus de tous les continents, grâce auxquels rayonnent nos Hautes Ecoles et les fleurons de notre économie ; les employés de Crédit Suisse en attestent.

« Par chance » toutes ces personnes n’ont pas besoin de trouver un toit ici. Ils sont quotidiennement environ 44’000 à naviguer sur le lac Léman ou à franchir le Jura puis à sillonner les routes vaudoises. C’est tout de même le mouvement biquotidien d’un flux équivalent au double de la population de Renens ! Le mouvement est encore plus intense à Genève et au Tessin.

Une aubaine ?

Quoi qu’en disent certains, l’économie tourne à plein régime. Jamais l’Etat de Vaud n’a encaissé autant d’argent (11,5 milliards en 2023 !). Cette période de surconsommation de ressources est notamment caractérisée par la fracture entre les bénéficiaires des prestations publiques et les forces vives, totalement autonomes, siphonnées au profit de la bourse collective. Les premiers peuvent compter sur un éventail diversifié d’aides allant au-delà des soutiens classiques que sont le Revenu d’Insertion et l’Aide sociale. Citons, parmi les plus onéreuses, le plafonnement des primes d’assurances maladie, les prestations complémentaires pour les familles et l’aide aux migrants. Alors que les seconds souffrent de l’érosion de leur revenu disponible par les effets conjugués d’une fiscalité confiscatoire et du retour de l’inflation.

À l’exception des bénéficiaires précités, les Vaudois ont en réalité peu goûté au miracle économique, que la liturgie médiatique récite encore à la gloire des deux héros locaux, MM. Maillard et Broulis. 

Ce sont avant tout la paix sociale, la stabilité des institutions, la qualité des infrastructures, la performance du système d’éducation et de formation, l’attention portée à l’environnement et une qualité de vie rarement comparable sur le continent Européen qui expliquent cet afflux massif, dont les effets sont accentués par la libre circulation des personnes et le regroupement familial.

L’UDC s’engage sur cet enjeu mais elle est bien seule.

Or, chacun constate que la poule aux œufs d’or souffre d’épuisement à force d’être sollicitée. Des symptômes préoccupants apparaissent. Ils se manifestent par la congestion des infrastructures de transport, des pénuries de main d’œuvre, d’institutions de soins et d’accueil, de logements. Selon les circonstances, on nous prédit des déficits énergétiques, hydriques, voire alimentaires. Dans ce contexte, je m’étonne qu’une majorité de politiciens demeure figée sur le logiciel de croissance des années d’après-guerre[1].

L’emballement mène au rationnement.

Le secteur immobilier symbolise le cercle vicieux induit par les effets de cette croissance quoi qu’il en coûte. On attend de lui qu’il produise très (trop ?) rapidement de quoi loger toutes les composantes du flux migratoire, dans un contexte de raréfaction du sol, d’inflation normative et technique délirante et de déficit de main d’œuvre. Vaud impose, en plus, aux propriétaires d’améliorer les performances énergétiques de leur parc tout en plafonnant les loyers. Il réserve, en outre, à la collectivité de renforcer sa position dans le système, en préemptant les objets vendus. Ce fonctionnement correspond à celui d’une économie administrée selon le modèle du rationnement.

Le domaine énergétique, instable par nature dans un pays importateur, n’est pas en reste. Désireux de marquer l’Histoire en épousant le sens commun, nos politiciens ont décidé de nous priver de l’énergie nucléaire, en recourant à des alternatives aux bilans environnementaux souvent moins favorables. Adepte de la méthode du bâton et de la carotte, la machine administrative catéchise la population aux préceptes de la mobilité et des systèmes de chauffage dépendant essentiellement de l’électricité.

Le monopole des fournisseurs publics d’électricité assure simultanément l’aliénation des administrés-consommateurs et l’alimentation des caisses publiques. Qui ne s’est-il pas réjoui du résultat record de Romande Energie, en 2023 ? Le déploiement de compteurs « intelligents » permettra aux services publics de restreindre les accros à l’électron par des mesures planificatrices qui conduiront au bien-être collectif.

L’accroissement anarchique de la population produit aussi des effets sur le système de santé publique. Les responsables Vaudois qui se succèdent depuis 20 ans n’ont pas osé poursuivre la réorganisation hospitalière imposée par l’évolution des charges. Au contraire, ils ont « courageusement » opté pour l’augmentation des effectifs, la limitation de la rémunération des médecins-chefs et les restrictions d’équipements dans les établissements privés. L’option socialiste d’étatiser la santé publique ne permet manifestement pas aux assurés Vaudois – du moins, ceux qui ne profitent pas des aides – de descendre du podium des primes les plus élevées du pays. Ils ne bénéficient pas, pour autant, d’un accès aux soins plus efficace.

À ce rythme, une majorité de Vaudois peut tomber dans l’assistanat. Cette situation justifierait, aux yeux de certains planificateurs, un rationnement des prestations publiques. Les commissaires à la santé décideraient alors des critères de discrimination : l’âge, l’état de santé, le comportement alimentaire, le revenu, la fortune, les orientations politiques, sexuelles ou religieuses. Le terreau du rationnement est fertilisé par les appels lancinants en faveur d’une caisse unique d’assurance-maladie, présentée comme le seul remède à l’évolution des charges. Et si l’accroissement délirant de la population était une cause de l’alourdissement du système sanitaire et de l’augmentation de ses coûts ?

Le besoin d’une vision à long terme 

La libre circulation répond, sur le court terme, aux besoins d’un marché duquel tous nos voisins aimeraient tirer profit. Son usage immédiat et incontrôlé laisse entrevoir les pénuries parce que nous évoluons dans un système aux ressources limitées. Comme il l’a déjà fait, le souverain se prononcera sur la question essentielle de la démographie. Faisons le pari que nous serons une majorité à rejeter l’ancien modèle économique consistant à créer de la demande ; c’est-à-dire à loger, éduquer, former, soigner, une population étrangère moins sensible à nos équilibres et proportionnellement plus consommatrice de prestations sociales. 

Concevoir la Suisse à 10 millions d’habitants et à 500’000 frontaliers, c’est organiser pénuries et rationnements. Le jour du dépassement, si cher aux ONG et autres censeurs vertueux, risque de tomber en février, si le projet migratoire n’est pas reconsidéré.

L’inspiration doit venir des autorités de Grimisuat qui ont fait le choix de plafonner la population communale afin de limiter la pression sur l’eau. La sauvegarde de nos ressources, de nos systèmes sociaux, la mise en œuvre de politiques écologiques, plus efficaces que punitives, et la préservation de notre autonomie alimentaire imposent une action résolue face à l’évolution anarchique de la démographie suisse. Notre liberté est à ce prix !

Nicolas Daïna, ing. forestier dipl. EPFZ, directeur d’une régie immobilière.


[1] En 1950, la Suisse compte 4,7 mios d’habitants, dont 6% d’étrangers. Nous sommes 8,9 mios en 2022, dont 26% d’étrangers.




Chouchoutage des soldats non-binaires : l’UDC va taper du poing sur la table

Cet article est proposé en partenariat avec Pro Suisse.

« Notre Armée manque de moyens. Elle en a assez, toutefois, pour financer un sondage sur la « non-binarité dans l’Armée suisse » ». C’est sur ce ton, un brin agacé, que débute l’interpellation concoctée par le conseiller national UDC Jean-Luc Addor après une drôle d’audace de l’Armée suisse. Alors que l’existence d’un genre dit « non-binaire » n’est pas reconnue par le droit suisse (n’en déplaise au chanteur Nemo), l’institution a lancé la semaine dernière un questionnaire visant à connaître le degré de bien-être des membres de cette communauté sous les drapeaux.

« Cela va nous permettre de mieux comprendre votre réalité et vos besoins », précise la page officielle du site de la Confédération. Les résultats, nous dit-on, « constituent une sorte de baromètre de l’interaction avec les militaires non binaires. » D’une durée de cinq à dix minutes, le sondage nous demande « quels sont les plus grands défis dans l’Armée suisse pour une personne non-binaire ? », si nous avons déjà vécu des discriminations dans ce contexte et, le cas échéant, si nous les avons dénoncées. 

Mais pourquoi écrire « nous », au fait ? Simplement parce que le sondage est ouvert à tous, une simple « information sur le sexe administratif selon la carte d’identité » étant requise à sa fin. Autant dire que pour la scientificité des résultats obtenus, des doutes sont permis. En revanche, niveau progressisme, toutes les garanties sont là.

Supprimer la diversité

C’en est de toute façon trop pour Jean-Luc Addor. Pour lui, il convient maintenant d’en savoir plus sur le budget du Service Femmes dans l’Armée et diversité (FdAD), à l’origine de cette enquête, ainsi qu’à propos du coût de l’enquête elle-même.

Proposant rien de moins que la suppression du volet « diversité » du FdAD, il livre le fond de sa pensée : « Au moment où Conseil fédéral et Parlement se retrouvent face au défi de moderniser notre Armée à temps pour faire face à des risques grandissants pour la sécurité du Pays, le moment n’est-il pas venu de revoir l’affectation de certains des moyens au demeurant insuffisants qui lui sont alloués ? »

En 2019, l’armée avait déjà fait sensation en ouvrant un bureau centré sur l’intégration des personnes transgenres. Des mesures avaient été annoncées pour « s’affranchir des règlements actuels qui discriminent les personnes transidentitaires », rapportaient Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung. On parlait alors de 18 personnes concernées au sein de l’armée. La ministre de la Défense Viola Amherd avait également présenté des objectifs de réduction des émissions de CO2 de son département. 

Commentaire : Soldat Bozo au rapport !

« Se soucier de ses soldats, leur montrer qu’on se préoccupe de leur bien-être et de leur moral, c’est central. Donc l’armée a en effet tout intérêt à s’y intéresser. Alors quel est le problème ? » Ainsi s’exprime un militant socialiste vaudois, Nicolas Schnorhk, sur X (ex-Twitter). Et à vrai dire, la question mérite d’être posée. Mais peut-être pas en temps de crise géopolitique majeure. 

Tandis que la guerre sévit en Europe et que la menace de terrorisme reste élevée, doit-on vraiment consacrer de l’argent public à une cause si marginale que le bien-être d’une minorité inexistante aux yeux de la loi au sein de l’armée ? Pourquoi pas, pendant qu’on y est, former les recrues au respect des accords toltèques et à l’ouverture des chakras, si le bien-être des soldats est « central » ?

Nous aurons peut-être, un jour, l’armée la plus morale du monde. Le seul problème est qu’elle servira à faire rire des enfants russes ou chinois dans des chapiteaux de cirque. 

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Le TF a tranché : pas de procession pour la Fraternité Saint-Pie X

Pas de baptêmes dans le lac pour les uns, pas de procession de la Fête-Dieu pour les autres : Les expressions de la foi et les théologies diffèrent fortement, mais le verdict est le même. Faute de soumission totale à l’État, concrétisée par la signature d’une déclaration d’engagement aux accents progressistes, de modestes expressions de la foi dans l’espace public sont définitivement interdites à Genève. « Christian pride », la procession n’avait pourtant jamais suscité de difficulté depuis 1993… Jusqu’à ce que la nouvelle loi genevoise sur la laïcité produise ses effets

« La religion est désormais a priori suspecte », s’indigne l’Abbé Jean de Loÿe, de l’oratoire Saint-Joseph de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX). Peu coutumier du fait, le jeune prêtre n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer la décision du TF dans un courrier envoyé aux médias. Dans son message, il dénonce une déclaration d’engagement qui empêcherait, de facto, l’Église catholique de faire état de ses positions au sujet des « actes homosexuels » ou de l’avortement. L’affirmation de la « primauté de l’ordre juridique suisse », sans précision ni nuance, est également attaquée dans son texte, une juste désobéissance civile motivée par la foi ayant parfois constitué un rempart précieux à la barbarie. Un argument pas très éloigné de ceux du pasteur Jean-René Moret dans nos colonnes encore récemment.

La FFSPX fera-t-elle recours auprès de la cour européenne des droits de l’homme ? Non, car en Suisse c’est au TF d’avoir le dernier mot au niveau juridique, à ses yeux, et pas une instance plus lointaine. Quant à la prochaine procession, elle se fera sur le parking de l’oratoire, comme depuis 2022. « Nous revendiquons une certaine filiation avec les catholiques genevois qui ont souffert durant le Kulturkampf au 19ème siècle, avec d’ailleurs une continuité des positions. »

Qui aurait cru que le triomphe du progrès s’accompagnerait de la destruction des libertés religieuses minimales…

Sur le même thème:
Visite à « Tradiland » : https://lepeuple.ch/visite-a-tradiland-reportage/
Le pèlerinage de Chartres fait un petit en Suisse : https://lepeuple.ch/le-pelerinage-de-chartres-fait-un-petit-en-suisse/




Et si on respectait Israël ? (blog)

Ce texte est tiré du blog personnel de Nadine Richon

Tout le monde veut un État palestinien, mais sans préciser lequel. Même les gouvernements qui reconnaissent ce pays avant qu’il ne soit advenu ne précisent pas de quel État il s’agit : démocratique, théocratique, kleptocratique, pro-Hamas, pro-Hezbollah, pro-Iran, pro-Poutine, du fleuve à la mer, de Gaza à la Cisjordanie (et comment), avec quelle capitale, quels citoyens, quels dirigeants ?

L’invitation du patron de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, par le parti socialiste vaudois, pour animer le 1er août lausannois, ne fait que rajouter du flou à ce paysage obscur au lieu de répondre à des questions simples : l’agence a-t-elle préservé sa neutralité humanitaire ou s’est-elle laissé piéger par des terroristes surarmés dans le contexte explosif d’une région dirigée par le Hamas ? Comment peut-on affirmer, en outre, que le choix de cet invité, qui a certes œuvré autant que possible pour soutenir les plus faibles vivant sous le joug du Hamas, n’a choqué que « la droite et les sionistes » ?

Il faut rappeler que les premiers protestataires étaient issus du Réseau laïque romand et d’un groupe de Suisses chrétiens et juifs, pas forcément tous « sionistes » ni tous « de droite ». Ces personnes ont reçu en effet le soutien du PLR. L’Association Suisse-Israël a protesté de son côté, ainsi que divers membres de la Communauté Israélite de Lausanne : nos compatriotes juifs ne sont pas tous de droite, ni tous pro-Netanyahou et il est important de le clarifier étant donné le flou ambiant. Le sionisme pourrait également être expliqué dans nos écoles vaudoises.

La Palestine verra le jour quand les Palestiniens auront donné à Israël des assurances claires au sujet de sa sécurité. Bien sûr, Gaza sous les bombardements israéliens et sous la domination du Hamas, la Cisjordanie déchirée et les haines décuplées par la séquence horrible déclenchée depuis le 7 octobre 2023 ne favorisent pas, du côté palestinien, la sérénité propre à envisager un État indépendant prêt à gouverner et à respecter son voisin israélien.

Sur le même sujet, les réponses aux critiques du syndic de Lausanne : https://lepeuple.ch/un-1er-aout-de-la-division-a-lausanne/

Dès lors, il incomberait d’abord aux pays démocratiques, dont la Suisse, de favoriser la clarté et la sérénité en exigeant à la fois la fin des bombardements et le respect d’Israël, violemment attaqué dans sa sécurité, comme aucun État donneur de leçons ne l’est depuis sa création même. Respecter Israël ce n’est pas l’accuser de « génocide » et autres folles affirmations portées jusqu’en Suisse, c’est traiter ce pays en ami, car seuls les amis auront la légitimité pour favoriser un jour la création d’un État palestinien.

Respecter Israël ce n’est pas reconnaître un État palestinien sans aucune précaution, c’est aider ce pays à rechercher le dialogue avec une Autorité palestinienne qui doit encore se montrer capable de gouverner de manière démocratique et pacifique. Respecter Israël, comme État juif, c’est rassurer les juifs du monde entier subissant un regain d’antisémitisme qui devrait nous pousser, toutes et tous, y compris un 1er août lausannois, à la prudence en nous abstenant de distribuer des leçons. Ceci, précisément, si nous voulons rester crédibles dans le processus qui mènera, après cette guerre, à une résolution – enfin – de ce long conflit arabo-israélien. N’est-ce pas cela la diplomatie ? N’est-ce pas cela œuvrer de manière humanitaire dans l’intérêt de toutes les populations ?

Nadine Richon / Réseau laïque romand




Le facteur sonne toujours deux fois

En lisant l’entretien de Christian Levrat dans le 24 Heures du 21 juin, j’ai eu une pensée émue pour Cyril, le facteur de mon enfance. Chaque jour, du lundi au samedi, il faisait le tour d’une kyrielle de villages et hameaux. Revêtu de l’uniforme et de la casquette règlementaires, il connaissait tout son petit monde, des nouveau-nés au vieillard à la barbe fleurie. Il prenait des nouvelles de chacun, partageait les soucis du quotidien, livrait des médicaments, amenait l’argent de l’AVS aux retraités et aidait à remplir des formulaires administratifs, tout cela en livrant courrier et paquets. Il n’hésitait pas à prendre un café et ne refusait jamais un petit coup de gnôle. Aujourd’hui, selon Monsieur Levrat, « La Poste s’adapte à l’évolution des besoins ».

Une question de lien social

Le libéralisme du camarade et ancien syndicaliste Levrat, confirme la triste constatation de Karl Marx et d’Engels dans le Manifeste du parti communiste : « La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire.
Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement au comptant ». Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. »

Et oui, il reste des choses à en tirer.

Dans son ouvrage Gemeinschaft und Gesellschaft (1887), le sociologue social-démocrate allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936) explore les dynamiques du lien social et pose les bases d’une distinction fondamentale entre deux types de relations humaines : la communauté (Gemeinschaft) et la société (Gesellschaft). Tönnies met en lumière les transformations sociales et les tensions entre tradition et modernité, offrant une analyse profonde de la structure sociale et des interactions humaines.

De la communauté…

La communauté, selon Tönnies, se définit par des relations personnelles et durables. Elle est souvent associée aux structures sociales traditionnelles comme la famille, les villages ou les groupes ethniques. Dans la communauté, les interactions sont basées sur des liens affectifs et une solidarité naturelle : « La communauté est un groupe basé sur des sentiments d’appartenance et de coopération, où les individus se voient comme une fin en soi plutôt que comme un moyen ». Les exemples typiques de Gemeinschaft incluent la famille et les communautés rurales. Dans ces contextes, les relations sont caractérisées par une forte cohésion sociale et des valeurs partagées. Par exemple, la famille est un espace où les individus interagissent de manière altruiste et solidaire, avec des rôles clairement définis et des obligations réciproques.

La communauté joue un rôle crucial dans la socialisation et la transmission des normes et valeurs. Elle offre un cadre de sécurité et d’identité aux individus. 

… à la société

À l’opposé de la communauté, la société se caractérise par des relations impersonnelles, contractuelles et souvent temporaires. Les interactions sont basées sur des intérêts individuels et économiques : « La société est une agrégation d’individus indépendants où les relations sont fonctionnelles et utilitaires, basées sur des contrats et des échanges ». La société favorise l’innovation, la mobilité sociale et l’efficience économique. Cependant, elle peut aussi engendrer l’aliénation, l’individualisme exacerbé et la fragmentation sociale. Les relations impersonnelles peuvent conduire à un sentiment de solitude et à une perte de sens collectif. Tönnies avertit : « La société, en privilégiant les relations contractuelles et utilitaires, risque de déshumaniser les interactions sociales et d’éroder le tissu social »

Une saine tension

Les tensions entre communauté et société sont inévitables. La société actuelle doit trouver des moyens d’intégrer les valeurs communes pour maintenir le lien social. Les politiques publiques et les initiatives communautaires jouent un rôle crucial dans cette médiation pour le bien commun. Une chose est certaine, ce n’est pas en fermant des offices postaux que l’on y parviendra. Sinon, avec Céline, j’affirme que tout finira par la canaille.

A bon entendeur, salut !




Un 1er août de la division à Lausanne

Cet article est publié en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.

« Célébrer l’engagement et la tradition humanitaire de la Suisse ». C’est avec cette volonté que la Ville de Lausanne a annoncé ce mercredi la personnalité de son invité d’honneur pour les festivités du 1er août : Philippe Lazzarini, Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). « Personnalité́ suisse incontournable sur la scène diplomatique internationale », il est décrit comme incarnant « parfaitement l’engagement pour la paix et la tradition humanitaire de notre pays, partie intégrante de notre histoire et de notre cohésion nationale. » 

« De l’huile sur le feu »

À peine annoncé, ce choix a fait tousser. Sur les réseaux sociaux d’abord, avec près de 8000 vues sur X (ex-Twitter) et des commentaires virulents : « Aviez-vous vraiment besoin de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les divisions entre Lausannois un jour de fête nationale ? », tonnait un internaute le jour-même. Et un autre d’enchaîner : « Mes pensées vont à la communauté Juive de Lausanne qui appréciera votre initiative à sa juste valeur. » Il faut dire que depuis plusieurs mois, la neutralité de l’UNRWA dans le conflit au Proche-Orient fait débat. À tel point que le renouvellement du soutien de la Suisse à l’agence onusienne a suscité d’âpres débats au niveau fédéral, pour finalement déboucher sur une solution de compromis à dix millions. 

Cette semaine, cette défiance vis-à-vis de la posture de l’UNRWA a suscité un élan pétitionnaire. Diffusée par des milieux pro-Israël, chrétiens ou en encore laïcs, une lettre demande à la Ville de revenir sur un choix « désastreux », la neutralité suisse étant carrément « bafouée » un jour de la fête nationale. Parmi ses relais politiques, Patrizia Mori, de l’UDC Lausanne : conseillère communale « qui tient à sa ville et à la neutralité », elle dit s’être sentie « révoltée » à la lecture du communiqué de la Ville. « J’ai trouvé ça complètement incompréhensible. Il y a un lieu et un temps pour tout… »

Aurait-on assisté à une « faute morale » de Lausanne ? Le député Vert’libéral David Vogel n’ira pas jusque-là. Ces derniers mois, cet élu est souvent monté au front contre les occupations d’université ou la hausse des actes antisémites, mais il tempère « Les pratiques de l’UNRWA ont été et sont critiquées par certains et sont louées par d’autres. Libre à la Municipalité d’inviter qui elle veut et d’être de ceux qui la supporte, c’est son droit. »

Pas la bonne année

Le problème, à ses yeux, est de faire un tel choix cette année en particulier : « Dans un tel contexte très « chaud » sur la question israélo-palestinienne, vu les évènements à l’UNIL et à l’EPFL, vu les dérapages antisémites en hausse, c’est importer en terre vaudoise un conflit et créer des tensions dont on aurait largement pu se passer. Résultat ? Des partisans chauffés à blanc des deux bords vont venir avec des drapeaux israéliens et palestiniens pour soutenir leurs idées et on va oublier de parler de ce qui nous réunit. Le 1er août est et doit être une fête qui rassemble, qui unit. Là, la Municipalité fait le choix politique de diviser et de créer des tensions. C’est d’une rare sottise que de ne pas prendre cet élément en compte dans son choix des invitations. » 

Et de préciser qu’il aurait réagi de la même manière si Lausanne avait invité l’ambassadrice israélienne ou un représentant de l’Autorité palestinienne.

Le syndic de Lausanne maintient de la choix de la Ville: « Un message de paix et de dialogue ». (Photo: Ville de Lausanne)

Le syndic de Lausanne, Grégoire Junod, réagit aux critiques

– Ces réactions surprennent-elles la Ville ?

Nous vivons une époque où l’actualité internationale, souvent tragique, nous préoccupe et occupe une place importante dans le débat politique en Suisse. C’est donc normal qu’il y ait des réactions. Philippe Lazzarini est suisse et a suivi une partie de ses études à Lausanne.

Engagé depuis trente ans dans l’aide humanitaire dans des zones de conflit, il est aujourd’hui commissaire général de l’UNRWA, poste auquel il a été nommé par le secrétaire général des Nations Unies. Il fait donc partie des citoyens suisses qui occupent parmi les plus hautes fonctions au niveau international. C’est dire s’il est légitime à être notre invité d’honneur à l’occasion de la fête nationale. Son engagement symbolise parfaitement la tradition humanitaire de la Suisse, constitutive de ce qu’est la Suisse. C’est un message fort de paix, de solidarité à l’égard de toutes les victimes civiles sur un terrain de conflit armé qui pourra être entendu le 1er août prochain.

Enfin, il convient de rappeler que la Suisse, comme de très nombreux États, a rétabli son soutien à l’UNRWA, après que l’organisation a été lavée de tout soupçon de complicité dans les atroces massacres commis par le Hamas le 7 octobre dernier.

– Depuis combien de temps cet invité était-il prévu ?

Les premiers contacts ont été pris il y a quelques semaines.

– Sur le fond, une telle invitation est-elle prudente dans la foulée des tensions qui ont notamment marqué les esprits à l’UNIL sur fond de conflit au Proche-Orient ?

Ne mélangeons pas tout. Philippe Lazzarini est un haut fonctionnaire de l’ONU, une des personnalités suisses les plus en vue sur la scène internationale et un acteur majeur de la solidarité avec les victimes civiles dans un conflit armé. C’est une figure dont l’engagement fait honneur à la Suisse et à sa tradition humanitaire. La Suisse a d’ailleurs été un acteur important de la paix au Proche-Orient avec son soutien à l’initiative de Genève en 2003.

 La fête nationale est un moment de rassemblement et de communion. C’est un message de paix et de dialogue qui sera porté le 1er août prochain, dans la tradition de notre pays.




Pour apaiser l’université, faut-il mieux encadrer ses Semaines d’Actions contre le Racisme ?

« Les femmes et le Coran », « Expériences, résistances et mobilisations des femmes musulmanes »« Boîte à outils antiracistes » destinée aux « étudiant·exs racisé·exs de l’UNIL et de l’EPFL »… 

Avec une ribambelle de propositions de ce genre, la Semaine d’Action contre le Racisme de l’Université de Lausanne avait suscité quelques interrogations, fin mars. En cause : l’oubli de la question de l’antisémitisme, une idéologie fortement « décoloniale » et la participation du très antisioniste Kehinde Andrews, titulaire de la chaire d’études noires à la Birmingham City University. Un intellectuel, rappelait Watson, qui invitait à ne pas confondre « terreur » et « révolution » à propos de la lutte armée du Hamas.

Présentation de l’événement sur le site de l’Unil.

De nombreux articles ont été écrits à propos des événements qui ont suivi sur le campus : occupation militante, chants controversés, fichage de professeurs collaborant avec des universités israéliennes… Aujourd’hui, le calme semble rétabli mais selon certains récits qui nous parviennent régulièrement, toutes les plaies ne sont pas encore guéries entre collègues. Alors que faire pour éviter que l’histoire ne se répète ? Et quelles leçons tirer de cet épisode ? Les réponses d’Amina Benkais-Benbrahim, Déléguée à l’intégration et Cheffe du Bureau cantonal vaudois pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme (BCI).

– Pensez-vous que la Semaine d’actions contre le racisme de l’Unil aurait mieux dû intégrer la question de l’antisémitisme ?

Le BCI ne fixe pas le programme de la Semaine contre le racisme, ne définit pas de thématique spécifique à chaque édition. Concrètement, il coorganise des événements, soutient les actions proposées par les acteurs de terrain (souvent des initiatives associatives ou communales), les coordonne, participe à leur financement et les relaie, notamment en publiant des informations sur la Semaine sur son site. Dans le cadre de l’édition 2024 de la Semaine d’Action contre le Racisme (SACR), 18 actions ont été soutenues par le BCI. Chaque porteur de projet -l’UNIL en est un parmi d’autres- est libre de son programme.

Cette approche ne se limite pas à la Semaine contre le racisme, le BCI est également en soutien de diverses actions en faveur de l’intégration et le vivre ensemble tout au long de l’année.

L’antisémitisme, à l’instar de toutes formes de racisme, doit être combattu et pas seulement pendant la Semaine contre le racisme ou à l’occasion de crises au Proche-Orient.  Le BCI est attentif à cet aspect du racisme. Ainsi en mai dernier, dans le cadre d’une séance réunissant 150 partenaires du BCI, une conférence sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme a explicité les différentes notions et définitions 

Image tirée d’une vidéo partagée sur les réseaux sociaux par le président du PS Vaudois, Romain Pilloud, au pic de l’occupation.


– Pensez-vous qu’il peut y avoir un lien entre cette semaine qui avait alerté pas mal de personnes engagées contre l’antisémitisme et les événements subséquents évoqués ci-dessus ?

Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. En revanche, nous savons à quel point le conflit israélo-palestinien est extrêmement sensible. Ce qui me parait essentiel c’est de rester attentif à toutes les manifestations de racismes quel qu’elles soient, de continuer à sensibiliser le public et à accompagner les personnes confrontées à ces manifestations. 

– Allez-vous suggérer de resserrer la vis au niveau du programme de cette semaine l’année prochaine ?

Le BCI ne fixe pas le programme de la Semaine contre le racisme. Il soutient, notamment financièrement, les initiatives et actions proposées par les acteurs de terrain (en particulier communes et associations). 

Aussi, nous encourageons vivement les organisations et associations qui luttent contre l’antisémitisme à déposer des projets dans la perspective de la Semaine contre le racisme.

Le regard de Nadine Richon, blogueuse au Peuple et membre fondateur du Réseau laïque romand

Antisémitisme et actions contre le racisme

Je pense (…) que cette semaine contre le racisme a complètement raté la cible de l’antisémitisme, alors même qu’on était déjà face à une recrudescence du phénomène, en partie liée à la guerre de Gaza. Je ne sais pas si une information sur l’antisémitisme, à ce moment-là, aurait pu atténuer l’actuel recours décomplexé à une critique d’Israël fondée sur sa caractéristique de petit État juif dans l’océan du Proche-Orient, mais on peut penser que oui.

Il me semble que le politique doit inviter les enseignants actuels et en formation à éclairer la jeunesse de notre pays sur le lien entre l’antisémitisme et le slogan « de la rivière à la mer », emprunté à l’OLP des années 1960, et banalisé aujourd’hui par les occupants de nos universités. Si bien qu’on a vu un dirigeant du Hamas comme Khaled Mechaal féliciter les « étudiants américains et européens » pour leur reprise du fameux slogan, en y ajoutant lui-même « et du nord au sud » pour faire la jonction avec le Hezbollah.

Il faut rappeler une chose, cependant : ces étudiants représentent une minorité bruyante et faussement pacifiste, mais très marginale en Suisse. En outre, il faudrait se demander pourquoi la lutte contre l’islamophobie a pris une telle ampleur de nos jours, alors même que l’hostilité envers les musulmans de Suisse n’est pas plus flagrante qu’envers les juifs. Cela dit, aucune société n’est totalement immunisée contre le racisme et il y aura toujours du boulot dans ce domaine.

Il convient cependant de ne pas confondre racisme et critique d’une religion. Si l’expression publique de l’islam est absolue en Iran, par exemple, aucune religion ne peut se prévaloir de tous les droits dans une société démocratique. Une telle revendication risque d’accentuer le racisme envers des personnes tout à fait paisibles, et même pas forcément religieuses, mais identifiées comme appartenant à cette religion qui serait jugée pour le coup un peu trop remuante.