« La décroissance, c’est du bullshit ! »

Philippe Nantermod, vous êtes venu sans votre fameuse casquette?

Eh oui, nous en avions réalisé plus de 800 pour notre journée de parti, fin octobre, et toutes ont trouvé preneur. Nous en avons recommandé.

Le ton général de cette rencontre a été décrié par des experts en communication, chez nos confrères de Blick. Vous en êtes satisfait, vous?

Et pas qu’un peu! C’était un vrai rassemblement politique comme nous le voulions, pas trop long, une heure et demie à deux heures. Il y a eu près de 1000 personnes présentes contre généralement 250 à 300 dans ce genre de meetings. Nous avons réalisé des affiches qui ont beaucoup fait parler, avec nos fameux F-35, nous avons produit ces fameuses casquettes, mais surtout nous avons proposé un vrai contenu politique: Kaspar Villiger nous a par exemple parlé pendant vingt minutes du frein à l’endettement et nous avons aussi fait venir un des penseurs libéraux les plus brillants de notre époque, Ferghane Azihari, qui a évoqué les dangers de la décroissance. C’était d’un très haut niveau et un des premiers articles que j’ai lus sur notre assemblée, d’un journaliste de Tamedia, se moquait d’ailleurs de nous parce que notre orateur maniait le subjonctif imparfait. Allez comprendre: dans le même temps, on nous reprochait d’être populistes parce que nous portions des casquettes bleues…

Mais très franchement, vous pouvez nous jurer qu’il n’y a aucune influence «trumpienne» dans le ton que vous voulez donner à votre campagne?

Non, honnêtement, ni par rapport à la casquette ni même dans le choix de tel ou tel mot. En revanche, il y a une vraie influence du style «à l’américaine», ça c’est vrai: j’aime les slogans chocs, le côté «campagne de droite décomplexée». En ce qui concerne spécifiquement Trump, je dirais qu’il y a chez le républicain des choses qui me déplaisent, bien sûr, mais s’il y a un aspect de lui que j’ai apprécié, c’est sa manière assez rock’n’roll de faire campagne, que l’on trouvait aussi chez un Sarkozy ou d’ailleurs aussi chez un Obama. C’est plutôt sympa la politique quand elle est vivante comme ça et c’est souvent ce qui manque un peu en Suisse.

Ce style tranche tout de même énormément avec l’esprit très écolo-compatible de l’ère Petra Gössi, ancienne présidente du parti. C’est voulu?

Je n’ai pas envie de taper sur ce qui a été fait par le passé. En 2019, on a pas mal sauvé les meubles et on était dans un climat différent. Il était aussi important de donner une réponse à des questions légitimes que se posaient nos électeurs. Aujourd’hui, je crois qu’on a besoin d’une droite libérale et décomplexée, qui revient à ses fondamentaux, qui n’a pas honte de dire qu’elle a une ligne, qu’elle est pour la libéralisation, pour le libre-échange, pour le marché. Une droite qui affirme aussi qu’on n’a pas à être puni parce qu’on gagne sa vie, qui rappelle que le profit est une bonne chose et que ce sont les pertes et les dettes, à l’inverse, qui sont maléfiques, comme disait Churchill. Aujourd’hui, on inverse tous les repères, toutes les valeurs et je suis assez heureux d’être chef de campagne pour le PLR en 2023, car on va pouvoir y aller un peu au marteau-piqueur.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est.

Philippe Nantermod

Effectivement, on vous sent assez peu attiré par la demi-mesure.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est. Je crois que ceux qui doivent s’excuser aujourd’hui, ce sont ceux qui nous ont promis qu’on pouvait sortir du nucléaire sans aucune difficulté, chose à laquelle mon parti a d’ailleurs également cru. Ceux qui ont promis ça et qui continuent à le promettre aujourd’hui sont des menteurs, tout comme ceux qui nous ont dit durant des années que la Banque nationale suisse était une fantastique planche à billets et qu’il n’y avait plus besoin de payer des impôts, alors qu’elle perd 150 milliards cette année. Ceux qui ont fait croire que le travail était dépassé, que l’on pouvait distribuer avant de produire, tous ceux qui nous ont vendu du rêve doivent aujourd’hui s’excuser, pas nous.

Ce ton résolument offensif vise-t-il à faire oublier votre ligne, plutôt autoritaire, sur les questions liées au Covid?

Non je ne crois pas. Sur le Covid, vous oubliez que le PLR a toujours été en première ligne pour limiter les mesures.

Pas sur le pass…

Non. Cependant, le pass n’était pas une mesure de limitation, mais une mesure pour éviter le semi-confinement, on l’oublie souvent. Soyons très clairs: le vaccin, en soi, est une toute petite contrainte: il prend cinq minutes et réduit le risque de tomber gravement malade, d’embouteiller les hôpitaux et de mettre à bas le système, donc de tout fermer. Du moment où vous avez un vaccin, vous avez un moyen de limiter drastiquement toutes les autres mesures. Il faut rappeler que le pire, durant cette période, n’est pas d’avoir dû faire un vaccin, mais de ne pas avoir pu travailler, d’avoir dû fermer des magasins, des restaurants, d’avoir empêché les gens de vivre normalement. Or, on ne pouvait pas simplement exiger de tout ouvrir alors que le nombre de cas explosait et que les hôpitaux étaient au bord de la rupture.

Ce visuel mi-beauf mi-bourrin a conduit des spécialistes en communication interrogés par Blick à affirmer que Philippe Nantermod se «trumpisait sur la forme». Ce virage à droite suffira-t-il à faire oublier des orientations pas si libérales que ça du PLR durant la crise Covid?

Reste que vous avez défendu cet outil, le pass, dont on nous disait qu’il visait à réduire la transmission, au lieu de simplement assumer qu’il était une chicane pour les récalcitrants. Était-ce bien aligné sur la responsabilité individuelle que prône le PLR?

Je l’ai défendu comme un moyen de limiter les infections graves et de protéger les non-vaccinés. Moins pour eux, finalement, que pour éviter qu’ils ne finissent aux soins intensifs et fassent exploser tout le système hospitalier. S’ils voulaient échapper à cette bulle que l’on créait autour d’eux, ils le pouvaient: il fallait simplement qu’ils se vaccinent ou se fassent tester régulièrement. En outre, on a aussi espéré que le vaccin réduirait les transmissions, mais aujourd’hui encore, la chose n’est pas absolument claire.

N’y a-t-il pas tout de même un risque que l’UDC ait pu vous piquer quelques électeurs sur ce dossier?

Bien sûr, grand bien leur fasse, c’est le jeu démocratique ma foi. On ne doit pas adapter son discours en fonction des gains que cela peut nous procurer. Je suis convaincu par le progrès technique, convaincu aussi que ce vaccin était une solution qui nous a permis d’éviter des mesures beaucoup plus liberticides, mesures qu’on a d’ailleurs arrêté de prendre dès qu’on a eu le vaccin. Certains ont très vite oublié ces périodes où les magasins et les restaurants étaient fermés et où on ne pouvait plus travailler. Bien sûr, pour certains, c’était la panacée, cette époque où ils pouvaient rester à la maison en étant payés…

Dans la campagne à venir, quel sera le grand enjeu, selon vous? Les enjeux climatiques et ses Cassandre collées aux routes?

Au contraire, beaucoup de gens, chez les Verts ou chez les «journalistes climatiques» – puisqu’on a récemment découvert dans Le Temps qu’une telle chose existait – commencent à paniquer à l’idée que cet enjeu ne soit plus la préoccupation première des électeurs. Je rappelle qu’il y a quatre ans, nous avions 100 000 gaillards qui descendaient dans la rue tous les vendredis à ce propos, certains avec mon portrait sur lequel était écrit «Nantermod salaud» ou «Nantermod au cachot». Aujourd’hui, on a six personnes, toujours les mêmes du reste, qui se collent les mains sur les routes. Il n’y a clairement plus le même engouement. En quatre ans, les gens ont compris qu’on n’avait pas toutes les clés du problème en Suisse et qu’on faisait tout ce qu’on pouvait. Ils ont aussi vu que, même quand on proposait des compromis comme la loi sur le CO2, ces mêmes milieux parvenaient à les saborder. Un dernier point: aujourd’hui presque tous les pays d’Europe ont réussi à découpler leur croissance économique et les émissions de CO2. Cette idée de «changer de système pour changer de monde» ne tient donc plus: la logique de la décroissance, c’est du bullshit.

N’est-ce pas une logique qui peut être sympathique, pour autant qu’elle soit volontaire?

Celui qui veut aller vivre dans la forêt, qu’il le fasse, pour peu qu’il y parvienne malgré les lois sur l’aménagement du territoire promues par les écologistes. Actuellement, ces derniers vont surtout chercher à installer la population dans des clapiers en banlieue: la fameuse «densification».

Revenons au grand enjeu de la campagne. Quel sera-t-il?

On nous refait le coup de 2019 où on ne peut pas allumer la RTS sans qu’on nous dise qu’il fait trop chaud quand il fait chaud, trop froid quand il fait froid et un peu trop tiède quand il fait tiède. Cela ne prend pas parce que les gens ont aujourd’hui beaucoup plus peur de l’inflation, des pénuries d’électricité, de matières premières, d’essence, de gaz… Le climat, c’est central, mais on n’a pas chômé ces dernières années. La Suisse fait sa part et les citoyens n’ont pas forcément envie d’être plus royalistes que le roi.

Et quel parti va tirer son épingle du jeu, à droite?

Les partis de droite ne s’adressent pas tous à la même population. Nous n’avons pas le même discours et pas uniquement des valeurs communes. Mais je crois que nous sommes arrivés à une époque où les succès des uns et des autres vont de pair. Il y a des mouvements généraux vers la gauche ou vers la droite, avec des gens qui se reconnaissent davantage dans une famille libérale ou conservatrice. Ce qui est un peu triste, c’est que les Vert’libéraux, qui devraient être des partenaires de la droite, sont devenus une officine des Verts. Peut-être que certains électeurs qu’ils ont attirés il y a quatre ans vont en prendre conscience…

Les agrariens sur les bancs d’école

Si la campagne pour les élections fédérales du PLR dirigée par Philippe Nantermod semble allégrement draguer un électorat conservateur, du côté de l’UDC on se prépare avec sérénité aux mois à venir. A la mi-novembre, les cadres intermédiaires du parti se sont réunis dans les environs de Lausanne pour réviser leurs gammes. Au menu, des explications sur la manière d’organiser l’agenda de sa section, de bien tenir son stand ou… de répondre aux journalistes. Plus longue que la fameuse journée de parti du PLR, et bien plus modeste dans sa communication, cette «UDC Academy» s’est tenue sous la houlette de la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz et du président de l’UDC Vaud Kevin Grangier. RP




Plus vit.e, plus haut.e, plus fort.e

L’Américain Jake Caswell (photo encadré) est heureux et fier. Il a fini à la première place lors du dernier marathon de New York, le 7 novembre dernier, et empoché un beau chèque de 5000 dollars. Un couronnement obtenu non pas dans la catégorie «hommes», à laquelle il devrait appartenir d’un point de vue physiologique, mais dans une catégorie toute nouvelle: celle des «non-binaires». Comme le souligne la presse américaine, le New-Yorkais de 25 ans, avec un temps de 2 heures et 45 minutes, aurait terminé 147e dans la catégorie masculine. Et 172e au classement général. Classements tout aussi honorables pour un solide gaillard comme lui.
Cinq des six plus grands marathons mondiaux — New York, Boston, Chicago, Londres et Berlin — ont récemment ajouté la catégorie «non-binaires» dans leur compétition. Seul celui de Tokyo n’a pas opté pour ce choix, avec des critiques virulentes à la clé.
Cette nouvelle inclusivité ne se traduit pas encore par la mise en place de catégories spécifiques en Suisse, même si l’idée ne semble clairement pas déranger. Patrice Iseli, chef du Service des sports de Lausanne et président du comité d’organisation des 20KM de la capitale cantonale n’a, par exemple, reçu aucune demande allant dans ce sens: «Plutôt que de nouvelles catégories, nous privilégions la mise en place de nouveaux parcours basés sur la distance où le chronométrage est absent ou peu important, comme «courir pour le plaisir» ou «l’apérorun». Nous souhaitons que toutes les personnes, même celles et ceux qui ne pratiquent pas ou peu la course à pied, puissent participer et se réunir autour d’un même évènement. Nous nous inscrivons pleinement en cela dans la politique municipale de développement de la pratique sportive pour toutes et tous.»

La faitière Swiss Running n’a pas non plus connaissance de demandes pour une catégorie «non-binaires». Sa porte-parole Marlis Luginbühl précise que si un tel besoin se manifeste, les organisateurs mettront en place une offre. Selon elle, «la course à pied est en soi un sport inclusif. A part une paire de chaussures de course, aucun équipement n’est nécessaire et tout le monde n’a qu’à sortir de chez soi pour s’entraîner. C’est pourquoi les courses devraient également être ouvertes à tous.»

Le risque de la fragmentation

Jake Caswell, heureux et fier après sa victoire au Marathon de New-York

Nous vivons tous, à des degrés divers, dans des projections de l’esprit. Tel ou tel se croira irrésistible, un autre excellent joueur de basketball, voire capable d’écrire des éditos stimulants. Dans une certaine mesure, c’est à développer en nous cette fiction que servent les arts, et la littérature en particulier. Qu’une personne biologiquement mâle «s’identifie» homme, femme ou «non-binaire», dès lors, ne mérite pas de jugement: des décalages entre notre réalité objective et notre «ressenti», comme disent les magazines féminins, font partie de la nature humaine.

Le problème survient lorsque, loin de se contenter de jouir de cette vie intérieure, des activistes entendent imposer à la société entière la reconnaissance de réalités qui n’existent que dans leur tête. Ainsi la fameuse cause des «non-binaires»: comme chacun le sait, il existe dans la nature des personnes intersexuées, dans des cas extrêmement rares. Mais ces hommes qui gagnent des catégories sportives qui leur sont dédiées au nom de leur prétendue «non-binarité», qui sont-ils ? Eh bien des hommes, précisément, dont on comprend mal en quoi l’orientation sexuelle ou affective devrait influencer leurs foulées et leurs capacités cardiovasculaires. Ne peut-on pas imaginer qu’il y ait, parmi les dizaines et dizaines de personnes qui passent des lignes d’arrivée de marathons avant eux, des homosexuels, des végétariens ou des roux qui ne comprennent pas l’intérêt de demander une catégorie rien qu’à eux dans une discipline où le seul dénominateur commun devrait consister à courir vite ? Derrière l’apparente tolérance qui consiste à choyer des imposteurs, pour ne surtout pas les stigmatiser ou discriminer, un danger guette: celui de renvoyer une majorité de gens qui n’ont rien demandé à des étiquettes dont ils aimeraient avant tout s’affranchir. RP




Jeux de mains, jeux de vilaine

Quand ils ne relaient pas servilement la moindre action des névrosés sur pattes qui bloquent des routes et se collent aux tableaux, nos amis de Blick leur mendient également des interviews. Et en général, ça donne des échanges passionnants que l’on pourrait résumer de la façon suivante: «Vous n’avez pas peur, avec vos actions…» et là il faut insérer «de bloquer une ambulance», «de vous faire écraser» ou «d’emmerder le monde». Et dans leurs réponses, les activistes vous glisseront un «non moi ce qui me fait peur, c’est la fin du monde si l’inaction de la Suisse continue…».

Comme cela, ça peut sembler un peu répétitif mais sur le plan psychologique, ces entretiens disent beaucoup de la condition des modernes. Ainsi les figures de ces gens très (éco-)anxieux mais totalement décomplexés quant à leurs capacités prométhéennes: «Je suis prête à être détestée si ça permet de sauver le climat», s’enflamme ainsi la militante Anaïs Tilquin, dans son interview parue la semaine dernière. Et cet ex-post-doctorante d’enfoncer le clou: «L’histoire nous pardonnera!» Si vous avez déjà entendu ça quelque part, c’est normal: Tony Blair avait tenu ces propos mot pour mot au moment de partir en guerre face aux Irakiens en 2003. Curieuse filiation pour madame Tilquin, qui ne semble pourtant pas si idéologue que cela. Regardez, elle promet même de lever immédiatement les blocages dès qu’un véhicule d’urgence serait freiné par sa présence sur la route. Serait-ce que la super-glu, tout compte fait, ne fonctionne pas si bien? RP

Plus écologique que le pape

«Nous devrons franchir le pas d’introduire le péché contre l’écologie dans le Catéchisme». C’est ce qu’affirme le pape François dans un livre récemment sorti en Italie, Je vous en supplie au nom de Dieu. Au programme, dix grandes causes dans lesquelles pourront puiser à choix les candidates aux élections de Miss Monde. Citons-en trois (de causes, pas de miss): guerre dans le monde, lutte contre les fakes news et, donc, militantisme vert (ou plutôt «protection de la maison commune», pour utiliser le jargon vatican). Et le Saint-Père de nous pondre une vérité tout droit sortie d’une interview d’Anaïs Tilquin (voir ci-dessus): «Le moment d’agir, c’est aujourd’hui, pas demain». Quand il aura fini de faire fuir tous les gens de droite de son église (en plus des victimes d’évêques français pédophiles), le pape pourra au moins piquer la super-glu des militants de Renovate pour garder les gens sur les bancs de messe. RP




La position du démissionnaire

Toujours est-il que le futur ex-conseiller fédéral nous régale ces jours avec des audaces de démissionnaire que nous aurions presque envie de comparer à un cigare dominicain consécutif à une orgie romaine. Déjà peu féru de collégialité durant toute sa carrière, le Zurichois vient de percuter à de multiples reprises le mur du politiquement correct. Tout d’abord en affirmant qu’il souhaitait qu’une femme ou un homme lui succède à Berne, et non pas un «ça». Alors certes, en d’autres temps, personne n’y aurait rien compris. Depuis l’émergence d’artistes «non binaires», femmes à moustache ou hommes peu à l’aise au volant, le message est en revanche beaucoup plus clair. Tellement clair d’ailleurs qu’un «réseau transgenre» (transsexuel c’est plus couteux) a exigé des excuses qu’il n’obtiendra malheureusement pas. On espère que ce courageux collectif s’en remettra, surtout financièrement.

Mais ce bougre de Maurer n’allait pas s’arrêter là. Il lui fallait encore allumer les «indignés permanents», plus à l’aise avec le sexe des anges qu’avec les vraies préoccupations de la population, davantage matérielles. Tant d’audace ne devait évidemment pas échapper à la vigilance du Blick romand, qui nous a gentiment alertés sur les collusions entre UDC et néo-nazis sur fond de stratégie commune anti-LGBT. Rien que ça. Qu’on nous permette ici une hypothèse intermédiaire: et si, même hors des cadres extrémistes, les gens du commun en avaient tout simplement marre de se faire gaver toute l’année par les dernières inventions de bourgeois désœuvrés désireux de s’inventer un destin?

Comme si cette avalanche de bras d’honneur ne suffisait pas, le politicien agrarien vient d’annoncer, horreur suprême, qu’il se rendrait au Qatar pour soutenir l’équipe nationale de football dans le cadre de la Coupe du monde consacrée à cette sinistre activité. Là, malheureusement, on ne peut plus le défendre. Moins à cause des traditions locales en matière de droits de l’Homme (et de la femme) ou d’écologie que pour de bêtes questions de cohérence. Venant d’un bonhomme qui semble se complaire dans la défense d’une vision traditionnelle de la société, pourquoi s’afficher aux côtés de millionnaires à permanentes qui se roulent par terre au moindre contact? RP

Le PS remet le couvert

Après avoir appelé les castors à faire barrage contre la «stremdroate» française lors du duel entre Macron et Le Pen, les socialistes ont sorti leur plus belle plume (et leur meilleur graphiste) pour faire l’éloge de l’élection de Lula, Luiz Inácio Lula da Silva, plus précisément. Le nouveau président du Brésil est félicité par une très nécessaire publication Facebook: «Une victoire pour la démocratie» à côté d’une illustration bien rouge du nouveau chef, poing tendu.

Tant de choses à dire… Premièrement, votre serviteur n’en a que faire de l’élection de X ou Y ou Z. N’y voyez donc pas une crise de rage suite à la défaite du méchant Bolsonaro, loin de là. Ce qui questionne le plumitif que je suis, c’est l’amour démesuré que portent les gens de gauche à tout autre individu de gauche, quelles que soient les casseroles qu’il trimballe. On appelle cela de la solidarité clanique. Et cela mène généralement à des catastrophes en série. Autre gros questionnement, logique cette fois. En quoi l’élection de X (Lula) est-elle plus démocratique que celle de Y (Bolsonaro)? J’appelle tout admirateur de Lula qui nous lit à nous envoyer son explication factuelle, pas émotionnelle. Si celle-ci est convaincante, nous n’hésiterons pas à poser en tutus le poing gauche levé devant un plat de lentilles au tofu, en Une du prochain numéro. Si le courage est au rendez-vous, voici une question subsidiaire, à deux mille points: si un parti de droite avait célébré la victoire démocratique de Bolsonaro, la gauche suisse aurait-elle crié au populisme? FL




Au revoir l’esprit d’enfance

Ainsi le peuple souverain qui, après chaque victoire de la droite lors d’une votation en Suisse, se voit proposer un «nouvel effort de pédagogie» par la caste bobo des médias d’État, sans que personne rie au nez de celle-ci ou lui coupe le robinet à subventions. Pourquoi accepter d’être considérés comme adultes uniquement lorsque nous obéissons à nos bons maîtres, passant d’un cinquième vaccin à une nouvelle restriction de liberté individuelle sous couvert de responsabilité et de sobriété? N’y a-t-il pas au cœur de la philosophie politique de ce pays un beau concept qu’on appelait naguère la responsabilité individuelle?

Dans ce numéro, nous avons voulu approfondir notre réflexion sur cette infantilisation ambiante. Infantilisation des citoyens, nous l’avons dit, mais aussi des parents et, plus douloureuse, des croyants. Bien que soucieux de faire vivre un héritage civilisationnel chrétien, il nous fallait en effet nous demander si le climat moral dans lequel nous nous débattons n’est pas l’aboutissement logique d’une foi qui nous demande de nous montrer «semblables à de petits-enfants» (Luc 18:16). Peut-être n’est-il toutefois pas inutile de rappeler d’emblée que cette religion qui, effectivement, prônait l’innocence et nous envoyait dans le monde «simples comme des colombes» exigeait aussi également de nous que nous soyons «rusés comme des serpents» (Matthieu 10:16).

Diantre, un journal qui cite l’Evangile! Eh oui, car les écrivains qui nous ont révélé la profondeur de l’esprit d’enfance authentique, ceux qui refusaient d’être vaincus par la vie, par les régimes politiques qui devaient les emmener au paradis sur terre, ces écrivains, donc, trouvaient leur force dans la foi. Ainsi Péguy qui faisait dire à Dieu: «Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout (…) ne serait que du bois mort». Ainsi Bernanos (voir page 7) qui, se levant face aux horreurs du totalitarisme, faisait appel à l’enfant qu’il avait été, «le plus mort des morts», mais qui l’heure venue, devait reprendre «sa place à la tête de sa vie», rassemblant ses «pauvres années jusqu’à la dernière», «et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du père». N’est-il pas significatif que ces deux géants aient beaucoup côtoyé la figure de sainte Jeanne d’Arc, partie au combat pour la liberté avec la seule force d’une espérance folle?

Si nous devons nous montrer «semblables à des enfants», ce n’est donc plus en acceptant de nous soumettre en tant que citoyens. Il ne s’agit pas d’abdiquer le sens de l’honneur, ce précieux sens de l’honneur que les chrétiens tiraient de leur conviction d’avoir été créés à l’image de Dieu (avant que des boomers ne transforment leurs Eglises en ONG). Il s’agit d’oser prendre tous les risques, de refuser ce Diable dont parlait Bernanos, et qui s’appelait «A quoi bon?». Au Peuple, nous avons fait le pari de refuser l’esprit de découragement. Malgré la fragilité de notre entreprise, dans tous les sens du terme, nous poursuivons davantage qu’un projet: un combat contre la post-démocratie autoritaire qui se met en place sous nos yeux. Cette dernière, et c’est sans doute la leçon à garder de cette édition, trahit ce que nous avons de plus sacré en nous: le souvenir des enfants que nous fûmes, avant que la vie, inévitablement, ne nous blesse.




La civilisation du jardin d’enfants

Il fait froid? Sous prétexte de sobriété énergétique, vos élus vous rappelleront de porter des pulls et de boire du thé. Vous ne voulez pas faire exploser votre facture de gaz? Un prix Nobel vous apprendra la cuisson passive de vos pâtes, avec la douce reconnaissance de la marque Barilla. Et tant qu’à économiser l’eau chaude, pourquoi ne pas aussi prendre vos douches à deux, comme l’a brillamment suggéré la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, dans le Tages-Anzeiger? Ces exemples, authentiques, illustrent bien le climat mental qui règne actuellement dans des démocraties au sein desquelles le pouvoir politique se déguise de plus en plus souvent en Mamie les bons tuyaux, au lieu de plus modestement créer les conditions-cadres de la liberté de ses administrés.

Dernier exemple en date, la polémique autour de la méthode éducative consistant à envoyer les enfants se calmer, si besoin, dans leur chambre. Au début du mois d’octobre, un échange de mails obtenus par Le Figaro laissait entendre que le procédé, apparemment indolore, risquait fort d’être désormais combattu par la division des droits des enfants au Conseil de l’Europe, après avoir été vantée en 2008. Une instance sans grande légitimité démocratique, dirigée par une inconnue – Regina Jensdottir – et qui entre dans les foyers pour nous guider jusque dans nos pratiques éducatives… Et vous osez encore dire du mal des régimes autoritaires? Une levée de boucliers plus tard, on apprenait cependant que la chose n’était plus si sûre finalement, malgré les cris de joie des associations de défense des enfants, tout heureuses de voir s’effondrer un nouveau vestige de l’ancien monde: le droit d’imprimer une certaine culture familiale chez soi. Reste que le tout-positif en matière d’éducation semble avoir le vent en poupe. Ainsi, un récent papier du magazine Elle présentait des choses aussi bégnines que la privation d’écran pour un enfant malpoli comme une «violence morale».

Déresponsabiliser les parents pour produire des citoyens responsables

Que dit la Suisse du «time-out», la punition consistant à mettre à l’écart des enfants insupportables? Au niveau officiel, pas grand-chose. «La protection de l’enfant relève en premier lieu de la compétence des cantons et des communes», explique Sabrina Gasser, de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). «En tant qu’organe de la Confédération responsable de la politique de l’enfance et de la jeunesse, l’OFAS soutient les acteurs compétents pour la protection de l’enfant en élaborant des rapports de fond et des études, ainsi qu’en encourageant les échanges d’informations et d’expériences.» Et de nous renvoyer aux travaux en cours sous la Coupole fédérale à propos des deux objets visant à interdire la violence éducative défendus par la conseillère nationale du Centre (ex PDC) Christine Bulliard-Marbach.

Il faudra donc se rendre chez les partenaires pour vérifier si, réellement, ce que les gens du commun ont longtemps considéré comme une sanction tout à fait civilisée ne relève pas en réalité de la barbarie la plus infâme. Et l’on découvre, effectivement, que le Conseil de l’Europe ne s’est pas mis à délirer seul dans son coin puisque la méthode, «prêtant à de nombreuses interprétations – plus ou moins fondées sur la bienveillance – est beaucoup controversée», aux dires de Tamara Parham, de la Protection de l’enfance Suisse. Elle, de son côté, prône une posture constructive, soit «un mode d’éducation et une attitude où les parents assument leur rôle d’adultes et leur responsabilité en tant qu’éducateurs.» Son but est de permettre le développement, chez l’enfant, d’une «personnalité autonome et ayant un caractère affirmé.» Une personne, autant le dire tout de suite, qui aura bien du mal à supporter que des gens payés par ses impôts lui expliquent comment cuire ses pâtes.

Et cette méthode du «time-out», finalement? «Si celle-ci consiste à prier l’enfant avec bienveillance de prendre un moment pour lui, pour se calmer ou l’inviter à la réflexion, ou bien si elle nous offre la possibilité en tant que parent de retrouver un peu de sérénité, nous ne la concevons pas comme une mesure violente», note Tamara Parham. Elle estime même qu’elle peut être salvatrice et éviter que des situations tendues ne dégénèrent. Mais tout n’est pas si simple: «La manière dont la requête est formulée nous semble en revanche déterminante et n’est pas à confondre avec une exclusion affective ou une mise au coin, qui sont des formes de violence.»
Prié de porter des pulls bien chauds et de boire du thé l’hiver par ses bons maîtres, le citoyen de demain sera aussi prié… de prier son enfant de le laisser tranquille quand il est insolent. Gageons qu’à ce rythme, il n’y aura bientôt plus que l’éducation qui pourra être dite «positive» dans les rapports sociaux.




« Ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne »

Pourquoi l’infantilisation des adultes explose-t-elle en même temps que la «sur-responsabilisation» des enfants?

Il y a clairement à notre époque un brouillage des catégories d’âge, comme il y en a pour le genre, etc., — mais pour l’âge, c’est en fait plus intéressant, puisque personne ne conteste qu’un enfant, ontologiquement, ça n’est pas la même chose qu’un adulte. Il y a bien eu des tentatives, par exemple les tribunes pédophiles pour exiger la libération de la sexualité de l’enfant, mais, à la différence d’autres discours qui n’ont fait que prendre une ampleur croissante en dépit de leur caractère souvent délirant, ceux-là ont été refoulés et sont massivement regardés avec horreur aujourd’hui.

Pour ma part, je pense que le point central est le refoulement de la possibilité d’être adulte pour l’être humain dans nos sociétés, avec notamment la forclusion du pater familias à l’ancienne, réel ou fantasmé. On refuse peut-être moins aux femmes d’être adultes; ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne. Cette dernière est peut-être rejetée comme idéal-type largement imaginaire, d’ailleurs, vu le caractère faussé, idéologisé, de notre rapport au passé, tant chez ceux qui sont du côté de la pression favorable aux évolutions sociétales, paradoxalement, que chez ceux qui s’y opposent.

Comment expliquer cette pression sur la figure du père à l’ancienne?

Il me semble qu’au cœur de ce personnage-repoussoir («masculinité toxique», etc.) il y a la figure d’une sorte de dureté non influençable, faisant obstinément les choses à son idée, indifférente aux modes comme aux mots d’ordre, mais investie d’une sorte de rôle de gouvernement de la cellule familiale et personnifiant la répression des pulsions jusqu’à la dureté et à l’insensibilité. J’ai tendance à croire que l’origine de ce brouillage est là, dans la volonté de produire un «néo-adulte» qui ne contrôlerait pas ses pulsions (ce qui est paradoxal à l’heure des discours de plus en plus contraignants sur le «consentement»!) et ne réprimerait pas non plus celles des autres selon une (ancienne) norme morale. La production en masse de tels néo-adultes a en effet été nécessaire pour le plein déploiement de la «société de consommation».

Si l’on continue de tirer ce fil, on arrive à un personnage qui doit avoir des pulsions d’adulte – notamment, une sexualité toujours en éveil, mais moyennant une libido capable de s’investir de façon très mobile et fluide dans tout et n’importe quoi – sans avoir la capacité de lui opposer une volonté qui y résiste. Le néo-adulte est, pour paraphraser la formule hobbesienne d’«enfant robuste», un pervers polymorphe robuste, c’est-à-dire capable non seulement de désirer n’importe quoi, mais encore d’accéder effectivement à l’objet de ses désirs démultipliés.

Je pense au fond que la fixation de notre époque sur la pédophilie est un vrai symptôme: il n’est pas exagéré de dire que ce qui est regardé comme la suprême horreur à une époque donnée est en même temps ce autour de quoi elle gravite sans vouloir le savoir. L’infantilisation de l’adulte (centrée autour de la destruction de la figure de la maîtrise morale de soi) est l’envers d’une «adultisation» de l’enfant précocement sexualisé. Il y a vraiment un faisceau d’indices convergents à cet égard.

Y a-t-il devant nos yeux une vertu chrétienne («Vous serez semblables à des enfants…») devenue folle, pour parler avec Chesterton?

C’est une très bonne question. Il faudrait creuser le motif théologique, spirituel et moral de la «vertu d’enfance». Le passage à l’âge adulte comporte souvent une forme de perte de spontanéité, de capacité d’enthousiasme, voire d’auto-enchantement – cette faculté merveilleuse qu’ont les enfants de se projeter à volonté dans l’espace imaginaire du jeu – à laquelle se substitue trop souvent, chez l’adulte, un esprit de sérieux qui, à la vérité, est paradoxalement un enfoncement un cran plus loin dans l’illusion, au sens où cet esprit l’empêche de voir la dimension profondément imaginaire du jeu social dans lequel il se trouve pris. L’imaginaire adulte est collectif, imposé, capté par des fictions sociales (l’argent, par exemple), à la différence de celui de l’enfant qui pose selon son bon plaisir la convention qui va gouverner son jeu et parvient à y adhérer le temps du jeu.

L’enfant, certes, est naïf, mais il a une capacité de s’émerveiller de ce qui est merveilleux, de se prêter au jeu sans juger d’avance, etc. L’adulte croit souvent qu’il sait – par exemple, que le bonheur n’est pas possible, que Dieu n’existe pas, qu’il faut s’enrichir. Dans bien des cas, l’esprit de sérieux de l’adulte n’est qu’un esprit de conformisme, mi-parti de soumission et de cynisme.

En somme: l’authentique vertu chrétienne d’enfance s’oppose à l’endurcissement du cœur (comme quand la Bible dit que l’Eternel «endurcit le cœur de Pharaon»), c’est-à-dire, à une sorte d’opacification et de rigidification de la personne qui se bute dans son refus du bien et du vrai, comportant l’illusion délétère que son état de mort intérieure est une forme de lucidité supérieure. Mais la fausse vertu d’enfance que notre société valorise, ce serait une capacité préservée de se projeter dans l’espace du jeu en perdant une vue claire des limites entre rêve et réalité, pour redevenir capable de jouir du rêve même quand aucune réalité ne lui correspond. Produire le plaisir en court-circuitant le réel, c’est tout ce qu’a à proposer un capitalisme en fin de parcours, un capitalisme qui n’a plus à vendre aux sujets paupérisés que du vent.

Un tel phénomène existe-t-il dans la civilisation que vous étudiez?

Non. Je pense qu’il est corrélatif au déploiement de la société de consommation allant jusqu’au point où elle remodèle les esprits à un tel degré qu’un adulte ne rougit plus de se déplacer en trottinette, voir, jouit follement de l’image de soi sur une trottinette dans le regard des autres. On en est très loin dans la plupart des pays du monde, où la chose serait à cette étape encore aussi impossible que de revêtir les vêtements traditionnellement assignés à l’autre sexe ou se promener en couche-culotte.




Flou statistique sur le front de l’asile

En France, depuis quelques semaines, l’acronyme «OQTF» a tendance à s’insérer dans de nombreux articles de presse relatifs à des crimes, souvent violents et choquants. «OQTF», pour obligation de quitter le territoire français. Cette suite de lettres apparaît notamment dans l’affaire d’un Algérien ayant violé une jeune femme à Marseille dans la nuit du 21 au 22 octobre. Plus marquant encore, le terrible meutre de la jeune Lola, commis le 14 octobre à Paris par Dahbia B., Algérienne ultra-violente sous le coup d’une OQTF jamais mise à exécution. Et pour cause, Marianne nous apprend qu’en 2019, seules 12,4 % des OQTF étaient exécutées en France, c’est-à-dire 14 777 sur 122 839. Au premier semestre 2021, seules 5,6 % des OQTF avaient réellement conduit au départ des étrangers visés, soit seulement 3501 sur 62 207. Ratios étonnants, lorsque le document administratif contient «obligation» dans son intitulé.

Le Peuple a voulu savoir ce qu’il en était en Suisse, notamment dans la continuité de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels, acceptée par les citoyens en 2010. Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), nous indique qu’à la fin septembre, 4277 personnes en Suisse faisaient l’objet d’une décision de renvoi: «Les requérants d’asile dont la demande a été rejetée, mais aussi les personnes qui séjournent illégalement en Suisse, ont l’obligation de quitter le pays. Les cantons sont responsables de l’exécution des renvois. Le SEM soutient les autorités cantonales de migration dans l’exécution des renvois et des expulsions d’étrangers, c’est-à-dire dans la vérification de l’identité, l’obtention des documents de voyage et l’organisation du départ des personnes concernées.»

Yves Nidegger, conseiller national UDC de Genève, rappelle que le SEM n’a pas la compétence pour décider des renvois: «Le SEM passe souvent pour un organisme méchant mais il n’a pas de dents, ceux qui ont des dents ce sont les cantons. Et on peut constater une certaine disparité dans l’application du droit fédéral par ces derniers. Un canton comme Genève prononce peut-être un nombre important de renvois mais en applique peu alors que les Grisons, par exemple, en prononcent peu mais les font réellement appliquer.»
Nous avons également montré ces chiffres à Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise. Ce dernier embraie rapidement sur la question de l’immigration de manière générale: «Cette année est particulière avec l’introduction du permis spécial S (papier d’identité autorisant le séjour provisoire en Suisse pour les personnes à protéger). A l’UDC, nous estimons que c’est une erreur. 120 000 personnes sont arrivées cette année avec ce statut, couplées à 25 000 autres. Cela représente environ 3 milliards de francs de surcoûts, c’est très inquiétant. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les décisions de renvoi soient appliquées par les cantons, surtout le mien, qui n’a pas toujours été très assidu avec le droit fédéral en la matière.»

Lionel Walter, porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), tempère. Pour lui, il s’agit de préciser que les renvois ne concernent pas uniquement les individus ayant commis un acte illicite: «Le panorama est très varié. Certaines personnes sortent de la procédure d’asile après que leur demande a été rejetée et que les voies de recours ont été épuisées, mais d’autres peuvent avoir un autre passé: des travailleurs dont le permis n’a pas été renouvelé pour diverses raisons, des personnes qui ont toujours séjourné en Suisse de manière irrégulière (c’est-à-dire sans papiers), etc.» Lionel Walter précise que l’OSAR n’est pas un organe qui peut offrir du soutien à un étranger devant quitter la Suisse: «Notre activité se concentre sur les demandeurs d’asile, de sorte que nous ne sommes pas directement concernés par la situation des sans-papiers.»

Transparence difficile

Si le SEM a rapidement répondu à nos premières questions, il en va autrement lorsque nous cherchons à savoir combien des 4277 personnes faisant l’objet d’une décision de renvoi ont bel et bien quitté le territoire suisse au mois de septembre. Dans un premier temps, on nous a répondu que les chiffres consolidés jusqu’à octobre devaient arriver «en fin de semaine» ou «la semaine prochaine». Ceux-ci ne seront finalement disponibles qu’à la mi-novembre. Dès lors, nous avons demandé ceux des neuf premiers mois de 2022, qui devaient être facilement communicables. Réponse: «Nous répondrons à cette question (statistiques de janvier à septembre) lorsque nous vous fournirons les chiffres d’octobre, soit vers la fin de cette semaine ou en début de semaine prochaine.» Miracle! Les départs concernant le mois de septembre nous sont communiqués juste avant le bouclage. Le SEM nous apprend donc que 3608 départs ont eu lieu, de façon volontaire ou non.

Cette lenteur administrative inquiète quelque peu Kevin Grangier: «Je suis interpellé par le peu de transparence du SEM. Les chiffres pour le premier semestre devraient être facilement accessibles pour le public. On pourrait être tenté de se dire que la situation migratoire est hors de contrôle ou pénible à communiquer. Tout ceci n’est pas une bonne nouvelle et témoigne d’une certaine tension sur le front de l’asile en Suisse.»

Autre statistique difficile à obtenir de la part du SEM: le nombre de personnes devant quitter le territoire qui seraient «perdues dans la nature». Anne Césard nous gratifie d’une réponse fort évasive: «De par la force des choses, en cas de départ incontrôlé, les autorités ne disposent généralement pas d’informations sur le lieu exact où se trouvent les personnes tenues de quitter le pays. Le SEM part toutefois du principe que les personnes concernées ont, dans leur grande majorité, quitté la Suisse.»




Combat pour la liberté

Un profil psychologique fort actuel, la mort sociale ayant remplacé la peine capitale, mais dont Orwell a pourtant assez mal anticipé l’activité professionnelle. Car Syme, dans la dystopie, est un destructeur, pur et dur: «Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail est d’inventer des mots nouveaux? Pas du tout! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os», se réjouit-il.

Taillé jusqu’à l’os, notre langage l’est assurément. Comment pourrait-il en être autrement quand des leçons de respect mutuel prennent la place du français dans des classes d’école peuplées de petits illettrés? Mais c’est une des ruses de notre époque de contribuer aussi à cette décadence sous prétexte d’enrichissement du langage, à l’image de la récente introduction de l’angoissant «iel» dans le dictionnaire. Prenons la multiplication des «phobies»: comment préserver un langage commun lorsque le moindre désaccord avec le néo-puritanisme ambiant peut vous valoir d’être accusé d’un nouveau succédané de racisme tout juste sorti d’une faculté de sciences humaines? Comment garder le sens du réel quand de pures projections de l’esprit, comme la non-binarité des genres ou l’éco-anxiété, prennent davantage de place dans les médias classiques que le souci, très concret, du pouvoir d’achat? En résulte une tyrannie de l’émotion: les personnalités parlent avec leurs tripes, croquent dans la vie à belles dents ou se lâchent totalement. Mais qui tendra le micro à ceux qui voudront garder un peu de l’épaisseur de la tragédie antique ou de la Passion chrétienne, sur laquelle une civilisation admirable a pu être bâtie? Doit-on se résoudre à ce que la complexité des sentiments ne quitte une société tout entière tournée vers le progrès, assimilé à n’importe quelle lubie? Doit-on accepter que tout ce qui est ancien, tout ce qui est beau, comme chez Orwell, finisse par devenir suspect?

Au Peuple, nous faisons le pari du tragique. Nous donnons la parole à ceux, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui refusent le manichéisme, le déterminisme et la caricature. Pas que nous soyons toujours d’accord avec eux, mais simplement parce qu’ils défendent un monde où l’on peut dialoguer en adultes. Parce qu’eux aussi refusent un avenir où, si le progrès l’exige, nous devrons nous résoudre à croire que deux et deux peuvent faire cinq.




Une impunité qui déroute

E ntre le 4 et le 19 octobre, Renovate Switzerland a frappé sept fois. Dernière cible en date: la sortie de l’autoroute A3 à Zurich.
Contacté juste après le sixième blocage, le mouvement refusait de qualifier ses actions d’actes terroristes. «Il est évident que voir des citoyens et citoyennes ordinaires sacrifier leur liberté et leur confort peut faire peur. Parce que cela nous confronte à l’ampleur de l’urgence et de la catastrophe», affirmait Cécile Bessire, responsable presse pour RS. Et de poursuivre sur un ton larmoyant et catastrophiste: «Se confronter à la réalité est terrorisant. Se confronter à un monde à +5 degrés est terrorisant, parce que cela signifie 3,5 milliards de personnes sur les routes, des famines, de la violence, des conflits armés, la mort et la souffrance tout autour de nous. Penser à l’irresponsabilité du Conseil fédéral est terrorisant, car en ne prenant pas de mesure climatique à la hauteur, il cautionne le pire crime de l’histoire de l’humanité et nous condamne à un futur invivable.»

Maxime Meier, ancien président des Jeunes PLR vaudois, évoque lui aussi la peur, mais d’une autre nature: «J’ai été choqué par les images des militants de RS qui se lançaient sur la route depuis la bande d’arrêt d’urgence. De telles actions sont surprenantes, voire traumatisantes, aussi bien pour les activistes que les automobilistes. Imaginez le pauvre conducteur qui se retrouve avec un militant qui se jette sous ses roues.» Le président du Centre du canton de Vaud, Emilio Lado, regrette également la nature clivante des actions de RS: «Si les actions peuvent mettre en lumière des problématiques réelles, à savoir le dérèglement du climat, j’estime qu’elles peuvent aussi polariser le débat. De ce fait, les parties s’opposent plus qu’elles ne se parlent. Comment trouver une issue favorable alors que le débat et la recherche de consensus sont impossibles?»

Bien que contrariés par les actions de RS, les deux politiciens n’estiment pas que les autorités soient trop laxistes. Celles-ci font déjà le maximum d’après Maxime Meier: «On ne peut pas mettre un policier sur chaque autoroute. Et lors des blocages, les interventions sont rapides et proportionnées.» Son confrère du Centre ajoute: «Nous sommes en démocratie, libre à chacun de s’exprimer et manifester, dans les limites de ce que la loi permet. A titre personnel, je n’aime pas ces méthodes, elles impactent négativement les citoyens, qui ne demandent qu’à aller travailler, chercher ou déposer leurs enfants à la crèche, etc.».

Grands oubliés des débats depuis le début des agissements des militants climatiques, les ambulanciers. Si la faitière Swiss Paramedic Association ne souhaite pas commenter les actions ou les réactions sur le plan politique, son porte-parole Miró Gächter déplore que le flux de circulation ait été entravé: «Il y a eu plusieurs embouteillages de longue durée. Nous n’avons cependant pas connaissance d’un cas où un véhicule de secours aurait été gêné par une telle action. Nous souhaitons néanmoins appeler la population à former systématiquement une voie de secours en cas d’embouteillage (quelle qu’en soit la raison). Nous partons du principe que toutes les personnes concernées, y compris les manifestants, laisseraient passer immédiatement un véhicule de secours.»

Pas une surprise

La différence notable entre les sept derniers blocages et les précédents, en début d’année, réside dans le fait que ces nouvelles actions avaient été annoncées par RS. Dès lors, Le Peuple s’est dirigé vers le Service de renseignement de la Confédération (SRC) afin de savoir si le groupe d’activistes était sous surveillance. Malheureusement, le SRC ne «s’exprime ni sur ses activités opérationnelles, ni sur des cas, des mouvements ou des organisations particuliers». Il nous a toutefois répondu ceci: «Pour que le SRC puisse prendre des mesures préventives dans le domaine de l’extrémisme violent, il ne suffit pas de connaître le contexte idéologique ou politique des personnes, des organisations ou des événements à venir. Le facteur décisif est la référence effective à la violence (c’est-à-dire le fait de commettre, encourager ou lancer un appel concret à l’utilisation de la violence) par des personnes, des organisations ou des événements à venir. Les personnes qui se radicalisent politiquement ne relèvent donc pas de la compétence du SRC tant qu’aucune référence concrète à la violence ne peut être établie. De ce fait, la scène des activistes du climat en tant que telle ne relève pas de la compétence du SRC. L’implication éventuelle de groupes ou d’individus extrémistes violents dans les activités des activistes du climat est traitée par le SRC dans le cadre de son mandat légal. Dans ce contexte, le SRC évalue en permanence la situation et est en contact avec les polices cantonales et fedpol.»

Présente en tant que maman

Autre différence dans les dernières actions de RS: la présence d’une «personnalité» sur un des blocages: Julia Steinberger. Cette chercheuse en économie écologique à l’Université de Lausanne ne met toutefois pas en avant cette casquette: «Je suis ici en tant que maman, en tant que citoyenne, en tant qu’enseignante et en tant que scientifique. Ce n’est pas une exagération d’affirmer que l’habitabilité de notre planète est en train d’être détruite sous nos yeux. Ce qui serait insensé, ce serait de ne pas faire tout en notre pouvoir, y compris l’action civile non violente, pour sauver une possibilité d’avenir pour notre espèce et le vivant dont nous dépendons tous.»

Nous avons écrit à l’Université de Lausanne afin de savoir de quel œil l’établissement voyait l’engagement d’un de ses enseignants, si Julia Steinberger risquait des sanctions ou si les professeurs avaient le droit de s’engager en politique, quelle que soit l’idéologie. Mais Géraldine Falbriard, attachée de presse de l’UNIL, reste un peu floue: «L’Université de Lausanne soutient l’engagement public de ses chercheurs dans le respect des lois. Comme le dit la professeure Julia Steinberger, elle-même, elle n’est pas au-dessus des lois, et si elle doit être sanctionnée pour son action, elle répondra à la justice. L’UNIL ne peut se substituer à la justice.»