L’étrange dépliant de la fondation Profa

Vous n’avez peut-être, voire sans doute, jamais entendu parler de la catégorie des personnes «genderqueer» ou de celles des «bigender». Pourtant, pour peu que vous ayez chez vous des enfants en âge (dès 6-7 ans) de suivre des cours d’éducation sexuelle au sein de l’école publique vaudoise, ces deux notions figurent dans un document récemment reçu à la maison. Pour ceux qui ne seraient pas au courant des derniers développements de la doctrine, voici ce qu’elles signifient. La première catégorie représente les personnes dont l’identité de genre sort du «schéma binaire homme/femme», explique la fondation PROFA. Quant à la seconde, elle représente les individus dont l’identité de genre «correspond à deux genres concomitants ou alternants». Les logos de ces deux nouvelles classes figurent sur la première page du dépliant, sous la forme d’un astérisque accolé à un cercle, ou d’une juxtaposition, sur ce même cercle, des symboles de la masculinité ainsi que du beau sexe.

Une information objective

Dans son dépliant, mis à disposition depuis mars, la fondation PROFA explique qu’elle dispense aux 40’000 élèves du canton de Vaud «une information objective, scientifiquement correcte, sur tous les aspects de la sexualité.» Cette dernière intervient «en complément à l’éducation donnée par les parents dans le domaine affectif et sexuel». Une ligne réaffirmée dans les réponses aux interrogations du Peuple: «Notre service a pour mission d’apporter aux élèves des messages d’information et de prévention, au plus près de leurs besoins, adaptés à leur âge, leur développement, et de communiquer des informations appropriées en regard des recherches actuelles, de la littérature scientifique, et basées sur les droits sexuels.» Pour expliquer l’introduction de catégories jusqu’ici peu habituelles, comme les personnes aux «genres concomitants» par exemple, PROFA invoque les besoins de la prévention: «En Suisse aussi, les personnes issues de la diversité LGBT font l’objet de discrimination, de stigmatisation et de violence. Il est important que ces jeunes, parfois en train de découvrir leur orientation sexuelle et affective / leur identité de genre, puissent renforcer leur estime de soi et recevoir des informations fiables», nous répond-on par écrit. Et de fait, confirme la fondation, la diversité de genre sera donc effectivement abordée avec les élèves «en tenant compte de leur âge et de leur développement.»

«Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement.»

Un cadre de l’école vaudoise

Cette volonté d’aller au plus profond de la diversité ne séduit guère un cadre de l’école vaudoise: «Je suis surpris de la manière parfois prosélyte dont certaines associations, cautionnées par des services étatiques, viennent introduire des notions de doute chez les enfants concernant des questions qui ne leur viendraient même pas à l’esprit, pour la plupart», fulmine-t-il. Et d’ajouter: «Ces intervenants, externes au monde de la pédagogie enseignante, sont souvent bien plus que de simples «spécialistes»: certains adoptent parfois une posture militante dont le fond du message consiste à dire aux écoliers que s’ils se questionnent au sujet de leur identité de genre, c’est qu’ils appartiennent déjà à quelque minorité sexuelle. Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement et je doute que ce soit dans l’intérêt du développement des enfants.»

Pour ce responsable d’institution de formation, l’école vaudoise reste lourdement marquée par le passage à sa tête de certaines personnalités politiques et de leur idéologie: «Suivant les courants, tel cadre politique, avec plus ou moins d’autoritarisme, souhaite se montrer avant-gardiste en surfant sur les courants sociaux du moment. Ainsi, dans une intention initiale louable de lutter contre le harcèlement, nous avons vu différents «experts» arriver dans le panorama de l’instruction publique. En y regardant de plus près, on se rend compte que ces personnes sont bien souvent des promoteurs et militants de la diversité des genres.» Dans un contexte de changement récent de ministre de tutelle, de la socialiste Cesla Amarelle au PLR Frédéric Borloz, notre interlocuteur relève des fluctuations dans la force de ces tendances. «Reste que sur le terrain, nous sommes ballottés de quinquennat en quinquennat à propos de réalités qui, paradoxalement, font partie des invariants de la nature humaine.»

Symboles «genderqueer», à gauche du ballon de basket, ou «bigender», en haut à droite, apportent une coloration très particulière à ce dépliant destiné aux parents d’élèves de 6 à 15 ans. La notion de «respect de soi, des autres, des différences et des limites» intervient dès l’âge de 9-10 ans d’après les explications de la page 2 (à droite). A relever que les différentes notions, telles que les genres ressentis, non binaires et autres, s’inscrivent dans une volonté de présenter une «information objective» et «scientifiquement correcte». Une question qui ne manquera pas de souligner la possible contradiction entre cours de biologie et catéchisme progressiste. Profa

Le canton se défend

N’est-on pas en train d’aller trop loin, comme le craint ce pédagogue? Nous avons posé la question au Département de l’enseignement et de la formation professionnelle, qui a validé le dépliant. Ce dernier commence par nous rappeler le cadre suivant: le service d’éducation sexuelle de la fondation PROFA dispense les cours d’éducation sexuelle auprès des élèves de la scolarité obligatoire du canton de Vaud, sur mandat du Canton, sous l’égide de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. L’éducation sexuelle fait partie des politiques publiques de santé et d’éducation. «Sur la présence des pictogrammes que vous pointez, nous pouvons ajouter qu’ils contribuent à des objectifs de prévention qui sont dans la Loi sur l’enseignement obligatoire du 7 juin 2011 et plus précisément son Règlement d’application», explique son responsable de la communication, Julien Schekter. Il cite à l’appui deux articles. Le premier dispose que «le département soutient, par l’information et la communication, des actions visant à réduire les inégalités, notamment celles liées à l’origine sociale ou ethnique des élèves ou à leur orientation sexuelle». Quant au second, il exige que «les élèves développent une attitude constructive et respectueuse d’autrui. Ils s’abstiennent de tout acte de violence physique, verbale, psychologique ou à caractère raciste, sexiste ou homophobe, de même que de tout propos méprisant se rapportant à l’apparence physique ou à l’appartenance sociale, religieuse ou ethnique des autres élèves, des adultes qui les entourent, ou de toute autre personne». Une attitude qu’il faudra donc désormais ajuster au ressenti des personnes qui s’identifient à des réalités parfois peu claires. «Nous pouvons par ailleurs vous indiquer que PROFA remplit son mandat à l’entière satisfaction des autorités cantonales et ce depuis de nombreuses années», conclut Julien Schekter.

Pas certain que ces explications suffisent à apaiser le cadre que nous avons pu contacter à condition de protéger scrupuleusement son anonymat: «Aujourd’hui, comme pédagogue, je me retrouve devant une situation ubuesque: je dois m’assurer de préparer la jeunesse à se sentir appartenir à une société de demain de manière harmonieuse et cohérente et je dois faire cela en promouvant un état d’esprit général qui dit que la plupart des fondements de ce qui nous permet de «faire société» est variable, flou, fluide, relatif. On peut, dit-on aux enfants, devenir tout ce que l’on veut car le sentiment individuel prévaut sur la réalité objective. Comment les aider à se construire dans un tel contexte? Et comment les aider à construire la «maison commune de demain» quand on encourage et valide, dans les faits, la subjectivité de chacun et de tous. J’ai crainte que cela ne soit que le début d’une grande fragmentation de la société.»

Des ados initiés au gode-ceinture:
quand une brochure suisse suscite la colère des parlementaires

Si la brochure de PROFA peut surprendre en introduisant des catégories de «genres» nouvelles auprès des petits Vaudois, une autre fait carrément l’objet d’une dénonciation pénale en raison de son caractère incitatif. Il s’agit de la brochure Hey You, destinée aux écoliers suisses dès douze ans. Réalisée par Santé Sexuelle Suisse – avec le soutien de l’Office fédéral de la santé publique –, cette dernière aborde des thèmes comme l’anulingus, la bonne utilisation des plugs ou des sex toys en général. A l’origine de la plainte contre ce document, l’association Initiative de protection. Le conseiller national PDC Benjamin Roduit est membre de son comité. Pour lui, un même état d’esprit anime les concepteurs de ces différents documents: «La stratégie de ces personnes consiste à dire aux écoliers qu’il est normal de sortir de la norme, mais aussi et surtout qu’ils devraient essayer. Il n’y a même pas besoin d’argumenter quinze ans: nous devons simplement refuser que ces gens, qui nient la distinction entre les sexes, ne touchent à nos enfants.»




Les causes sacrées de la discorde

«One Love», c’est ce que qu’avaient annoncé plusieurs fédérations de football européennes en septembre dernier en vue de la Coupe du monde de football au Qatar. Malheureusement pour elles, la FIFA a annoncé, juste avant le match Angleterre-Iran, que les équipes qui porteraient le brassard frappé du slogan et des (incorrectes) couleurs arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ seraient frappées de «sanctions sportives». Par ce terme, on n’entend pas de simples amendes mais bien un carton jaune dès le début du match pour les joueurs de balle au pied un peu trop rebelles. Les sept fédérations européennes qui prévoyaient de montrer leur soutien (l’Angleterre, le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) ont alors rapidement fait demi-tour et décidé d’abandonner leur signe de soutien.

Adrian Arnold, responsable de la communication de l’Association suisse de football (ASF), justifie le choix d’abandonner le signe de soutien: «En tant que fédération nationale, nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans une situation où ils risquent des sanctions sportives, y compris l’expulsion. C’est regrettable, parce que nous voulions faire passer un message positif.» Il promet cependant de reprendre le combat pour l’inclusivité, une fois l’événement qatari terminé: «Nous ferons passer ce message à l’extérieur à d’autres occasions. Cette décision de la FIFA ne change rien à nos valeurs. Nous défendons le respect, la tolérance et la solidarité.»

Un brassard peu précis

Ce volte-face de la FIFA est considéré comme «ridicule» par Roman Heggli, secrétaire général de Pink Cross, l’association faîtière des organisations gays en Suisse: «Premièrement, le brassard a déjà été critiqué au préalable parce qu’il est absolument apolitique et n’utilise pas les bonnes couleurs de l’arc-en-ciel. Le lien avec les personnes LGBT+ doit donc être recherché. Mais même ça, c’est trop pour la FIFA!» Il reste moins sévère avec l’ASF: «D’une certaine manière, je peux comprendre que l’équipe nationale suisse s’incline, car la décision de la FIFA est prise à court terme. Je me pose plutôt la question suivante: pourquoi les associations de football se laissent-elles faire et se laissent-elles mener par le bout du nez par la FIFA? Il est donc bien plus important que les fédérations interviennent auprès de la FIFA et exigent des changements structurels ou quittent la FIFA.»

Une organisation bien silencieuse

La FIFA a plié face à l’organisateur mais va certainement inciter à porter le brassard d’ici quelques semaines. On peut dès lors se demander si la fédération utilise les personnes LGBT+ comme faire-valoir moral, sans réelle conviction. Une piste que n’ignore pas Roman Heggli: «La FIFA a toujours été indifférente aux personnes LGBT+ et continuera malheureusement à l’être. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la Coupe du monde 2018 ait eu lieu en Russie et la Coupe du monde 2022 au Qatar. Et il n’y a toujours pas de mesures réelles pour soutenir les footballeurs professionnels queer et combattre l’hostilité LGBT+ dans le football.» Les enjeux LGBT+ ne sont d’ailleurs pas les seuls thèmes habituellement très prisés par la FIFA qu’il valait mieux ne pas trop aborder lors de la Coupe du monde. Les actes de protestation en faveur des droits de l’homme en général, sur les pelouses ou dans les gradins, ayant été accueillis avec une certaine fraîcheur par les autorités qataries.

Contactée par courriel, la FIFA n’a pas donné suite aux questions que nous souhaitions lui poser, à savoir si elle avait cédé suite à des pressions et, si tel était le cas, de la part de qui.

Pour conclure, soyons rassurés, les Verts veillent au grain dans cette affaire. Le parti écologiste a fait preuve d’une bravoure inouïe en déclarant vouloir déposer un texte au Parlement fédéral demandant que la FIFA soit imposée au même titre que n’importe quelle entreprise de sa taille. Est-ce que cela va fonctionner comme avec le CO2, soit demander plus de taxation pour réparer le monde?




Le blues de l’ingénieur

Recenser, classifier, documenter les dérives de la pensée déconstructionniste: voilà la tâche que s’est assignée un jeune ingénieur romand, avec son site balance-ton-woke.com. Depuis plusieurs semaines, il ne se passe pas un jour sans que ce scientifique relève les mots d’ordre progressistes des institutions, la négation des réalité biologiques dans les discours officiels ou les entreprises de destruction de la civilisation. L’auteur, pourtant, n’a rien d’un obsessionnel: sa démarche s’inscrit dans un ras-le-bol perceptible chez les employés du secteur tertiaire, lassés de subir les injonctions de plus en plus autoritaires d’un capitalisme woke. Mois des fiertés noires, homosexuelles ou féministes… De plus en plus de sociétés imposent en effet à leurs travailleurs de communier dans des valeurs et des univers moraux situés très loin des activités de leur corps de métier.

Nous avons rencontré Thomas*, fondateur du site, pour comprendre sa démarche.

Pourquoi ce site?

D’abord, j’ai réagi à des courriels révoltants qu’on me faisait remonter de l’Université de Lausanne ou de l’EPFL. Ces messages proposaient par exemple des ateliers réservés à telle ou telle catégorie de personnes, en fonction de leur sexe notamment. La création de toilettes non genrées dans certaines de ces institutions ou dans une piscine lausannoise, aussi, fait partie des choses qui m’ont poussé à vouloir collecter toutes les informations de ce type pour que les gens se rendent compte que le wokisme n’est plus un délire d’universitaires isolés, mais quelque chose qui étend réellement son emprise sur leur vie.

Pourquoi ce choix de l’anonymat? N’auriez-vous pas plus de force en sortant du bois?

Je ne suis pas quelqu’un d’engagé publiquement: j’agis comme ingénieur et ancien étudiant. Il faut voir que je reçois de plus en plus de courriels des ressources humaines de mon entreprise qui sont totalement délirants. On nous organise des événements sportifs réservés aux femmes de la boîte, par exemple, et si ma société n’a pas encore participé à la Pride, on sent que ça va venir. D’autres boîtes du même type que la mienne le font déjà officiellement.

Vous pensez que cela dénote un certain arrivisme?

Même pas! Ma directrice des ressources humaines (DRH), par exemple, veut bien faire et croit participer à un vaste progrès sociétal. Au vu des réactions de mes collègues, de plus en plus excédés de recevoir des messages qui n’ont rien à voir avec le travail alors qu’ils n’avaient pas particulièrement d’avis sur ces questions, l’effet paraît clairement contre-productif.

Au-delà de votre entreprise, comment le wokisme est-il perçu chez les ingénieurs?

Je suis dans un monde où les gens sont plutôt rationnels et se braquent quand on leur parle de religion, chose à laquelle ils sont souvent très imperméables. Toutes les histoires de mecs qui tombent enceints, dans le fond, ils s’en fichent et restent un peu passifs, pour les mêmes raisons. C’est dommage parce que dans leur grande majorité ils trouvent ça parfaitement débile.

Vous avez le sentiment que certaines entreprises perdent la tête?

Évidemment. Nous avons récemment reçu un message de notre DRH qui nous appelait à changer les mentalités sur toute une série de sujets sans lien avec notre activité. Je suis navré, mais le rôle d’une entreprise est d’assurer sa rentabilité, et c’est tout. Il y a eu, par le passé, des patrons sociaux. Cela n’avait toutefois rien à voir. Il s’agissait de garantir des conditions de vie dignes aux employés, pas d’une vaste entreprise de rééducation des employés.

Vous êtes un catholique engagé. Cela a-t-il une influence sur votre projet?

Je ne crois pas. Ou alors peut-être dans la mesure où c’est parce que je suis catholique que je me sens conservateur. Mais résumons les choses ainsi: le projet des wokes est de donner naissance à une génération de déracinés. Au contraire je revendique mes origines, j’ai reçu un héritage et je compte bien le transmettre à mes enfants, même si ça déplaît à certains.

*Prénom d’emprunt




Et à la fin on ne gagne même pas de médaille

Enfin peut-être pas encore l’univers tout entier mais en tout cas la sacro-sainte «sobriété énergétique» avec laquelle nous devrions fêter Noël cette année. Sa solution: faire contribuer les visiteurs et les visiteuses (on s’en voudrait de ne pas le préciser comme sur la RTS) de la place des Halles et du Jardin anglais à l’éclairage des animations lumineuses en les faisant pédaler sur une série de deux-roues installés sur les deux sites, dès le 7 décembre. «C’est une façon astucieuse et sportive d’allumer la magie de Noël et de créer de l’énergie positive pour fêter tous ensemble ce passage de l’année si propice aux retrouvailles», tente la conseillère communale chargée de l’économie et du tourisme, Violaine Blétry-de Montmollin, dans une novlangue qui sent davantage l’infantilisation que le vin chaud.
«Créativité» et «innovation», donc, seront de mise pour chasser les inquiétudes de cette fin d’année. Oubliés, les gamins qui ont pris froid à cause du chauffage coupé! Oublié, tonton qui a perdu son boulot pour avoir appelé «monsieur» ou «madame» un délégué LGBT non binaire. Et, même si nous devenons un pays du tiers-monde comme les autres, oubliée enfin la mauvaise humeur de boomer nostalgique de décennies dorées. Car la voilà la belle nouvelle: nous pouvons désormais nous gargariser de faire vivre avec nos impôts des gens qui savent rendre notre effondrement ludique! Peu importe, dès lors, que cette classe politique soit par ailleurs incapable de trouver des solutions concrètes aux problèmes de la population, comme le coût des énergies… Alors qu’on nous pardonne d’avoir l’audace de demander à nos zélites de décerner une médaille à ceux qui, par la force de leurs mollets, auront émerveillé les enfants avec des décorations scintillantes, et certainement garanties sans références chrétiennes. Sûr qu’avec un tel degré de mépris des contribuables, il y a bien à Neuchâtel, Genève ou Fribourg (qui vont aussi s’y mettre) quelque Soviet suprême susceptible d’honorer un ou deux décérébrés modèles.

On fera comme si on n’avait rien entendu

Utiliser une citation d’Éric Zemmour défendant la préférence nationale pour en faire un apologète du racisme bête et méchant, c’est l’élégante passade dont notre radio d’Etat s’est récemment fait l’autrice dans son émission Tout un monde. Alors on ne va pas se mentir, dans un premier temps, le journaliste concerné a «catégoriquement refusé» les accusations du parti du «Z» qui, avec un soupçon de mauvaise foi, se demandait si par hasard la RTS ne serait pas plus à gauche qu’à droite. Un refus catégorique qui n’a cependant pas empêché l’émission de mentionner qu’une petite erreur avait été commise à l’antenne, histoire de faire la paix avec la formation «Reconquête!». On est bien, on est copains, et maintenant que ce moment désagréable est derrière nous, on se réjouit de rallumer la radio de la voiture pour découvrir à quel point la masculinité est toxique, la droite méchante et Léonore Porchet admirable, mais sans erreur de montage aucune cette fois.




Sol invictus

Le conseiller national valaisan PLR Philippe Nantermod n’est à l’évidence pas de cette race. L’entretien, dûment pesé et validé, qu’il nous livre en pages deux et trois ne retranche en effet rien du fond de sa pensée. Non, il ne regrette absolument pas les mesures qu’il a prônées en temps de crise Covid, même si elles pouvaient paraître autoritaires. Non, il n’aime vraiment pas l’idéologie écologiste et, à contre-courant du discours médiatique dominant, le voilà même qui affirme, décomplexé, que «la logique de la décroissance, c’est du bullshit.» Est-on tenu de goûter chacune de ses saillies ? Pas nécessairement. On peut se considérer de droite et juger, par exemple, que le style de campagne politique «à l’américaine» qu’il vante dans nos colonnes n’a rien à faire en Suisse. On peut se reconnaître dans des valeurs libérales, ou conservatrices, ou un peu des deux, et mépriser allégrement la vulgarité de tel ou tel éléphant peroxydé parachuté dans un bureau ovale, tel ou tel inculte pérorant de l’Elysée. Reste que nous avons à cœur, avec Le Peuple, d’en finir avec le crime de pensée, cet ultime blasphème des démocraties avancées. Ce qui mine le débat public, ce ne sont pas les «provocations de trop» qu’on nous jette au visage édition après édition dans les médias installés, mais la perte d’un discours authentique, viril oserons-nous même, dans le champ politique, voire scientifique. Aussi avons-nous le plaisir de diffuser la chronique, en page sept, d’un livre qui dénonce une «crise climatique par anticipation» et tacle sans complexes ces «éco-anxieux» qui font de leur hyper-sensibilité une justification pour aller saloper des toiles de maîtres dans des musées, se coller la main sur les routes et ruiner un peu plus l’école publique. Et pourtant, là encore… Nous croirez-vous si nous écrivons ici qu’il y a, dans le milieu qui gravite autour de ce titre, autant d’optimistes qui voient des «opportunités» dans le réchauffement climatique que de pessimistes qui estiment que l’humanité va dans le mur avec son mépris de la maison commune?

Autrefois, la célébration de la naissance du Christ avait remplacé celle de Sol Invictus, le Soleil invaincu jusque-là vénéré au sein de l’armée romaine. Tandis que s’effondre paisiblement l’héritage chrétien, sans que ceux qui ont la charge de le défendre semblent s’en émouvoir plus que cela, peut-être le soleil nous montre-t-il à nouveau sa nature profonde, à jamais invaincue. Que notre mode de vie survive ou non aux bouleversements climatiques qui s’annoncent, qu’il puisse même en tirer des bénéfices comme l’affirment certains, n’est pas une question de notre ressort. Ce qui ne change pas, c’est le tragique de notre condition, décrite en son temps par le livre de l’Ecclésiaste, avec sa résignation caractéristique: «Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau».




« La décroissance, c’est du bullshit ! »

Philippe Nantermod, vous êtes venu sans votre fameuse casquette?

Eh oui, nous en avions réalisé plus de 800 pour notre journée de parti, fin octobre, et toutes ont trouvé preneur. Nous en avons recommandé.

Le ton général de cette rencontre a été décrié par des experts en communication, chez nos confrères de Blick. Vous en êtes satisfait, vous?

Et pas qu’un peu! C’était un vrai rassemblement politique comme nous le voulions, pas trop long, une heure et demie à deux heures. Il y a eu près de 1000 personnes présentes contre généralement 250 à 300 dans ce genre de meetings. Nous avons réalisé des affiches qui ont beaucoup fait parler, avec nos fameux F-35, nous avons produit ces fameuses casquettes, mais surtout nous avons proposé un vrai contenu politique: Kaspar Villiger nous a par exemple parlé pendant vingt minutes du frein à l’endettement et nous avons aussi fait venir un des penseurs libéraux les plus brillants de notre époque, Ferghane Azihari, qui a évoqué les dangers de la décroissance. C’était d’un très haut niveau et un des premiers articles que j’ai lus sur notre assemblée, d’un journaliste de Tamedia, se moquait d’ailleurs de nous parce que notre orateur maniait le subjonctif imparfait. Allez comprendre: dans le même temps, on nous reprochait d’être populistes parce que nous portions des casquettes bleues…

Mais très franchement, vous pouvez nous jurer qu’il n’y a aucune influence «trumpienne» dans le ton que vous voulez donner à votre campagne?

Non, honnêtement, ni par rapport à la casquette ni même dans le choix de tel ou tel mot. En revanche, il y a une vraie influence du style «à l’américaine», ça c’est vrai: j’aime les slogans chocs, le côté «campagne de droite décomplexée». En ce qui concerne spécifiquement Trump, je dirais qu’il y a chez le républicain des choses qui me déplaisent, bien sûr, mais s’il y a un aspect de lui que j’ai apprécié, c’est sa manière assez rock’n’roll de faire campagne, que l’on trouvait aussi chez un Sarkozy ou d’ailleurs aussi chez un Obama. C’est plutôt sympa la politique quand elle est vivante comme ça et c’est souvent ce qui manque un peu en Suisse.

Ce style tranche tout de même énormément avec l’esprit très écolo-compatible de l’ère Petra Gössi, ancienne présidente du parti. C’est voulu?

Je n’ai pas envie de taper sur ce qui a été fait par le passé. En 2019, on a pas mal sauvé les meubles et on était dans un climat différent. Il était aussi important de donner une réponse à des questions légitimes que se posaient nos électeurs. Aujourd’hui, je crois qu’on a besoin d’une droite libérale et décomplexée, qui revient à ses fondamentaux, qui n’a pas honte de dire qu’elle a une ligne, qu’elle est pour la libéralisation, pour le libre-échange, pour le marché. Une droite qui affirme aussi qu’on n’a pas à être puni parce qu’on gagne sa vie, qui rappelle que le profit est une bonne chose et que ce sont les pertes et les dettes, à l’inverse, qui sont maléfiques, comme disait Churchill. Aujourd’hui, on inverse tous les repères, toutes les valeurs et je suis assez heureux d’être chef de campagne pour le PLR en 2023, car on va pouvoir y aller un peu au marteau-piqueur.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est.

Philippe Nantermod

Effectivement, on vous sent assez peu attiré par la demi-mesure.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est. Je crois que ceux qui doivent s’excuser aujourd’hui, ce sont ceux qui nous ont promis qu’on pouvait sortir du nucléaire sans aucune difficulté, chose à laquelle mon parti a d’ailleurs également cru. Ceux qui ont promis ça et qui continuent à le promettre aujourd’hui sont des menteurs, tout comme ceux qui nous ont dit durant des années que la Banque nationale suisse était une fantastique planche à billets et qu’il n’y avait plus besoin de payer des impôts, alors qu’elle perd 150 milliards cette année. Ceux qui ont fait croire que le travail était dépassé, que l’on pouvait distribuer avant de produire, tous ceux qui nous ont vendu du rêve doivent aujourd’hui s’excuser, pas nous.

Ce ton résolument offensif vise-t-il à faire oublier votre ligne, plutôt autoritaire, sur les questions liées au Covid?

Non je ne crois pas. Sur le Covid, vous oubliez que le PLR a toujours été en première ligne pour limiter les mesures.

Pas sur le pass…

Non. Cependant, le pass n’était pas une mesure de limitation, mais une mesure pour éviter le semi-confinement, on l’oublie souvent. Soyons très clairs: le vaccin, en soi, est une toute petite contrainte: il prend cinq minutes et réduit le risque de tomber gravement malade, d’embouteiller les hôpitaux et de mettre à bas le système, donc de tout fermer. Du moment où vous avez un vaccin, vous avez un moyen de limiter drastiquement toutes les autres mesures. Il faut rappeler que le pire, durant cette période, n’est pas d’avoir dû faire un vaccin, mais de ne pas avoir pu travailler, d’avoir dû fermer des magasins, des restaurants, d’avoir empêché les gens de vivre normalement. Or, on ne pouvait pas simplement exiger de tout ouvrir alors que le nombre de cas explosait et que les hôpitaux étaient au bord de la rupture.

Ce visuel mi-beauf mi-bourrin a conduit des spécialistes en communication interrogés par Blick à affirmer que Philippe Nantermod se «trumpisait sur la forme». Ce virage à droite suffira-t-il à faire oublier des orientations pas si libérales que ça du PLR durant la crise Covid?

Reste que vous avez défendu cet outil, le pass, dont on nous disait qu’il visait à réduire la transmission, au lieu de simplement assumer qu’il était une chicane pour les récalcitrants. Était-ce bien aligné sur la responsabilité individuelle que prône le PLR?

Je l’ai défendu comme un moyen de limiter les infections graves et de protéger les non-vaccinés. Moins pour eux, finalement, que pour éviter qu’ils ne finissent aux soins intensifs et fassent exploser tout le système hospitalier. S’ils voulaient échapper à cette bulle que l’on créait autour d’eux, ils le pouvaient: il fallait simplement qu’ils se vaccinent ou se fassent tester régulièrement. En outre, on a aussi espéré que le vaccin réduirait les transmissions, mais aujourd’hui encore, la chose n’est pas absolument claire.

N’y a-t-il pas tout de même un risque que l’UDC ait pu vous piquer quelques électeurs sur ce dossier?

Bien sûr, grand bien leur fasse, c’est le jeu démocratique ma foi. On ne doit pas adapter son discours en fonction des gains que cela peut nous procurer. Je suis convaincu par le progrès technique, convaincu aussi que ce vaccin était une solution qui nous a permis d’éviter des mesures beaucoup plus liberticides, mesures qu’on a d’ailleurs arrêté de prendre dès qu’on a eu le vaccin. Certains ont très vite oublié ces périodes où les magasins et les restaurants étaient fermés et où on ne pouvait plus travailler. Bien sûr, pour certains, c’était la panacée, cette époque où ils pouvaient rester à la maison en étant payés…

Dans la campagne à venir, quel sera le grand enjeu, selon vous? Les enjeux climatiques et ses Cassandre collées aux routes?

Au contraire, beaucoup de gens, chez les Verts ou chez les «journalistes climatiques» – puisqu’on a récemment découvert dans Le Temps qu’une telle chose existait – commencent à paniquer à l’idée que cet enjeu ne soit plus la préoccupation première des électeurs. Je rappelle qu’il y a quatre ans, nous avions 100 000 gaillards qui descendaient dans la rue tous les vendredis à ce propos, certains avec mon portrait sur lequel était écrit «Nantermod salaud» ou «Nantermod au cachot». Aujourd’hui, on a six personnes, toujours les mêmes du reste, qui se collent les mains sur les routes. Il n’y a clairement plus le même engouement. En quatre ans, les gens ont compris qu’on n’avait pas toutes les clés du problème en Suisse et qu’on faisait tout ce qu’on pouvait. Ils ont aussi vu que, même quand on proposait des compromis comme la loi sur le CO2, ces mêmes milieux parvenaient à les saborder. Un dernier point: aujourd’hui presque tous les pays d’Europe ont réussi à découpler leur croissance économique et les émissions de CO2. Cette idée de «changer de système pour changer de monde» ne tient donc plus: la logique de la décroissance, c’est du bullshit.

N’est-ce pas une logique qui peut être sympathique, pour autant qu’elle soit volontaire?

Celui qui veut aller vivre dans la forêt, qu’il le fasse, pour peu qu’il y parvienne malgré les lois sur l’aménagement du territoire promues par les écologistes. Actuellement, ces derniers vont surtout chercher à installer la population dans des clapiers en banlieue: la fameuse «densification».

Revenons au grand enjeu de la campagne. Quel sera-t-il?

On nous refait le coup de 2019 où on ne peut pas allumer la RTS sans qu’on nous dise qu’il fait trop chaud quand il fait chaud, trop froid quand il fait froid et un peu trop tiède quand il fait tiède. Cela ne prend pas parce que les gens ont aujourd’hui beaucoup plus peur de l’inflation, des pénuries d’électricité, de matières premières, d’essence, de gaz… Le climat, c’est central, mais on n’a pas chômé ces dernières années. La Suisse fait sa part et les citoyens n’ont pas forcément envie d’être plus royalistes que le roi.

Et quel parti va tirer son épingle du jeu, à droite?

Les partis de droite ne s’adressent pas tous à la même population. Nous n’avons pas le même discours et pas uniquement des valeurs communes. Mais je crois que nous sommes arrivés à une époque où les succès des uns et des autres vont de pair. Il y a des mouvements généraux vers la gauche ou vers la droite, avec des gens qui se reconnaissent davantage dans une famille libérale ou conservatrice. Ce qui est un peu triste, c’est que les Vert’libéraux, qui devraient être des partenaires de la droite, sont devenus une officine des Verts. Peut-être que certains électeurs qu’ils ont attirés il y a quatre ans vont en prendre conscience…

Les agrariens sur les bancs d’école

Si la campagne pour les élections fédérales du PLR dirigée par Philippe Nantermod semble allégrement draguer un électorat conservateur, du côté de l’UDC on se prépare avec sérénité aux mois à venir. A la mi-novembre, les cadres intermédiaires du parti se sont réunis dans les environs de Lausanne pour réviser leurs gammes. Au menu, des explications sur la manière d’organiser l’agenda de sa section, de bien tenir son stand ou… de répondre aux journalistes. Plus longue que la fameuse journée de parti du PLR, et bien plus modeste dans sa communication, cette «UDC Academy» s’est tenue sous la houlette de la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz et du président de l’UDC Vaud Kevin Grangier. RP




Plus vit.e, plus haut.e, plus fort.e

L’Américain Jake Caswell (photo encadré) est heureux et fier. Il a fini à la première place lors du dernier marathon de New York, le 7 novembre dernier, et empoché un beau chèque de 5000 dollars. Un couronnement obtenu non pas dans la catégorie «hommes», à laquelle il devrait appartenir d’un point de vue physiologique, mais dans une catégorie toute nouvelle: celle des «non-binaires». Comme le souligne la presse américaine, le New-Yorkais de 25 ans, avec un temps de 2 heures et 45 minutes, aurait terminé 147e dans la catégorie masculine. Et 172e au classement général. Classements tout aussi honorables pour un solide gaillard comme lui.
Cinq des six plus grands marathons mondiaux — New York, Boston, Chicago, Londres et Berlin — ont récemment ajouté la catégorie «non-binaires» dans leur compétition. Seul celui de Tokyo n’a pas opté pour ce choix, avec des critiques virulentes à la clé.
Cette nouvelle inclusivité ne se traduit pas encore par la mise en place de catégories spécifiques en Suisse, même si l’idée ne semble clairement pas déranger. Patrice Iseli, chef du Service des sports de Lausanne et président du comité d’organisation des 20KM de la capitale cantonale n’a, par exemple, reçu aucune demande allant dans ce sens: «Plutôt que de nouvelles catégories, nous privilégions la mise en place de nouveaux parcours basés sur la distance où le chronométrage est absent ou peu important, comme «courir pour le plaisir» ou «l’apérorun». Nous souhaitons que toutes les personnes, même celles et ceux qui ne pratiquent pas ou peu la course à pied, puissent participer et se réunir autour d’un même évènement. Nous nous inscrivons pleinement en cela dans la politique municipale de développement de la pratique sportive pour toutes et tous.»

La faitière Swiss Running n’a pas non plus connaissance de demandes pour une catégorie «non-binaires». Sa porte-parole Marlis Luginbühl précise que si un tel besoin se manifeste, les organisateurs mettront en place une offre. Selon elle, «la course à pied est en soi un sport inclusif. A part une paire de chaussures de course, aucun équipement n’est nécessaire et tout le monde n’a qu’à sortir de chez soi pour s’entraîner. C’est pourquoi les courses devraient également être ouvertes à tous.»

Le risque de la fragmentation

Jake Caswell, heureux et fier après sa victoire au Marathon de New-York

Nous vivons tous, à des degrés divers, dans des projections de l’esprit. Tel ou tel se croira irrésistible, un autre excellent joueur de basketball, voire capable d’écrire des éditos stimulants. Dans une certaine mesure, c’est à développer en nous cette fiction que servent les arts, et la littérature en particulier. Qu’une personne biologiquement mâle «s’identifie» homme, femme ou «non-binaire», dès lors, ne mérite pas de jugement: des décalages entre notre réalité objective et notre «ressenti», comme disent les magazines féminins, font partie de la nature humaine.

Le problème survient lorsque, loin de se contenter de jouir de cette vie intérieure, des activistes entendent imposer à la société entière la reconnaissance de réalités qui n’existent que dans leur tête. Ainsi la fameuse cause des «non-binaires»: comme chacun le sait, il existe dans la nature des personnes intersexuées, dans des cas extrêmement rares. Mais ces hommes qui gagnent des catégories sportives qui leur sont dédiées au nom de leur prétendue «non-binarité», qui sont-ils ? Eh bien des hommes, précisément, dont on comprend mal en quoi l’orientation sexuelle ou affective devrait influencer leurs foulées et leurs capacités cardiovasculaires. Ne peut-on pas imaginer qu’il y ait, parmi les dizaines et dizaines de personnes qui passent des lignes d’arrivée de marathons avant eux, des homosexuels, des végétariens ou des roux qui ne comprennent pas l’intérêt de demander une catégorie rien qu’à eux dans une discipline où le seul dénominateur commun devrait consister à courir vite ? Derrière l’apparente tolérance qui consiste à choyer des imposteurs, pour ne surtout pas les stigmatiser ou discriminer, un danger guette: celui de renvoyer une majorité de gens qui n’ont rien demandé à des étiquettes dont ils aimeraient avant tout s’affranchir. RP




Jeux de mains, jeux de vilaine

Quand ils ne relaient pas servilement la moindre action des névrosés sur pattes qui bloquent des routes et se collent aux tableaux, nos amis de Blick leur mendient également des interviews. Et en général, ça donne des échanges passionnants que l’on pourrait résumer de la façon suivante: «Vous n’avez pas peur, avec vos actions…» et là il faut insérer «de bloquer une ambulance», «de vous faire écraser» ou «d’emmerder le monde». Et dans leurs réponses, les activistes vous glisseront un «non moi ce qui me fait peur, c’est la fin du monde si l’inaction de la Suisse continue…».

Comme cela, ça peut sembler un peu répétitif mais sur le plan psychologique, ces entretiens disent beaucoup de la condition des modernes. Ainsi les figures de ces gens très (éco-)anxieux mais totalement décomplexés quant à leurs capacités prométhéennes: «Je suis prête à être détestée si ça permet de sauver le climat», s’enflamme ainsi la militante Anaïs Tilquin, dans son interview parue la semaine dernière. Et cet ex-post-doctorante d’enfoncer le clou: «L’histoire nous pardonnera!» Si vous avez déjà entendu ça quelque part, c’est normal: Tony Blair avait tenu ces propos mot pour mot au moment de partir en guerre face aux Irakiens en 2003. Curieuse filiation pour madame Tilquin, qui ne semble pourtant pas si idéologue que cela. Regardez, elle promet même de lever immédiatement les blocages dès qu’un véhicule d’urgence serait freiné par sa présence sur la route. Serait-ce que la super-glu, tout compte fait, ne fonctionne pas si bien? RP

Plus écologique que le pape

«Nous devrons franchir le pas d’introduire le péché contre l’écologie dans le Catéchisme». C’est ce qu’affirme le pape François dans un livre récemment sorti en Italie, Je vous en supplie au nom de Dieu. Au programme, dix grandes causes dans lesquelles pourront puiser à choix les candidates aux élections de Miss Monde. Citons-en trois (de causes, pas de miss): guerre dans le monde, lutte contre les fakes news et, donc, militantisme vert (ou plutôt «protection de la maison commune», pour utiliser le jargon vatican). Et le Saint-Père de nous pondre une vérité tout droit sortie d’une interview d’Anaïs Tilquin (voir ci-dessus): «Le moment d’agir, c’est aujourd’hui, pas demain». Quand il aura fini de faire fuir tous les gens de droite de son église (en plus des victimes d’évêques français pédophiles), le pape pourra au moins piquer la super-glu des militants de Renovate pour garder les gens sur les bancs de messe. RP




Au revoir l’esprit d’enfance

Ainsi le peuple souverain qui, après chaque victoire de la droite lors d’une votation en Suisse, se voit proposer un «nouvel effort de pédagogie» par la caste bobo des médias d’État, sans que personne rie au nez de celle-ci ou lui coupe le robinet à subventions. Pourquoi accepter d’être considérés comme adultes uniquement lorsque nous obéissons à nos bons maîtres, passant d’un cinquième vaccin à une nouvelle restriction de liberté individuelle sous couvert de responsabilité et de sobriété? N’y a-t-il pas au cœur de la philosophie politique de ce pays un beau concept qu’on appelait naguère la responsabilité individuelle?

Dans ce numéro, nous avons voulu approfondir notre réflexion sur cette infantilisation ambiante. Infantilisation des citoyens, nous l’avons dit, mais aussi des parents et, plus douloureuse, des croyants. Bien que soucieux de faire vivre un héritage civilisationnel chrétien, il nous fallait en effet nous demander si le climat moral dans lequel nous nous débattons n’est pas l’aboutissement logique d’une foi qui nous demande de nous montrer «semblables à de petits-enfants» (Luc 18:16). Peut-être n’est-il toutefois pas inutile de rappeler d’emblée que cette religion qui, effectivement, prônait l’innocence et nous envoyait dans le monde «simples comme des colombes» exigeait aussi également de nous que nous soyons «rusés comme des serpents» (Matthieu 10:16).

Diantre, un journal qui cite l’Evangile! Eh oui, car les écrivains qui nous ont révélé la profondeur de l’esprit d’enfance authentique, ceux qui refusaient d’être vaincus par la vie, par les régimes politiques qui devaient les emmener au paradis sur terre, ces écrivains, donc, trouvaient leur force dans la foi. Ainsi Péguy qui faisait dire à Dieu: «Sans ce bourgeon qui n’a l’air de rien, qui ne semble rien, tout (…) ne serait que du bois mort». Ainsi Bernanos (voir page 7) qui, se levant face aux horreurs du totalitarisme, faisait appel à l’enfant qu’il avait été, «le plus mort des morts», mais qui l’heure venue, devait reprendre «sa place à la tête de sa vie», rassemblant ses «pauvres années jusqu’à la dernière», «et comme un jeune chef ses vétérans, ralliant la troupe en désordre, entrera le premier dans la maison du père». N’est-il pas significatif que ces deux géants aient beaucoup côtoyé la figure de sainte Jeanne d’Arc, partie au combat pour la liberté avec la seule force d’une espérance folle?

Si nous devons nous montrer «semblables à des enfants», ce n’est donc plus en acceptant de nous soumettre en tant que citoyens. Il ne s’agit pas d’abdiquer le sens de l’honneur, ce précieux sens de l’honneur que les chrétiens tiraient de leur conviction d’avoir été créés à l’image de Dieu (avant que des boomers ne transforment leurs Eglises en ONG). Il s’agit d’oser prendre tous les risques, de refuser ce Diable dont parlait Bernanos, et qui s’appelait «A quoi bon?». Au Peuple, nous avons fait le pari de refuser l’esprit de découragement. Malgré la fragilité de notre entreprise, dans tous les sens du terme, nous poursuivons davantage qu’un projet: un combat contre la post-démocratie autoritaire qui se met en place sous nos yeux. Cette dernière, et c’est sans doute la leçon à garder de cette édition, trahit ce que nous avons de plus sacré en nous: le souvenir des enfants que nous fûmes, avant que la vie, inévitablement, ne nous blesse.




La civilisation du jardin d’enfants

Il fait froid? Sous prétexte de sobriété énergétique, vos élus vous rappelleront de porter des pulls et de boire du thé. Vous ne voulez pas faire exploser votre facture de gaz? Un prix Nobel vous apprendra la cuisson passive de vos pâtes, avec la douce reconnaissance de la marque Barilla. Et tant qu’à économiser l’eau chaude, pourquoi ne pas aussi prendre vos douches à deux, comme l’a brillamment suggéré la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, dans le Tages-Anzeiger? Ces exemples, authentiques, illustrent bien le climat mental qui règne actuellement dans des démocraties au sein desquelles le pouvoir politique se déguise de plus en plus souvent en Mamie les bons tuyaux, au lieu de plus modestement créer les conditions-cadres de la liberté de ses administrés.

Dernier exemple en date, la polémique autour de la méthode éducative consistant à envoyer les enfants se calmer, si besoin, dans leur chambre. Au début du mois d’octobre, un échange de mails obtenus par Le Figaro laissait entendre que le procédé, apparemment indolore, risquait fort d’être désormais combattu par la division des droits des enfants au Conseil de l’Europe, après avoir été vantée en 2008. Une instance sans grande légitimité démocratique, dirigée par une inconnue – Regina Jensdottir – et qui entre dans les foyers pour nous guider jusque dans nos pratiques éducatives… Et vous osez encore dire du mal des régimes autoritaires? Une levée de boucliers plus tard, on apprenait cependant que la chose n’était plus si sûre finalement, malgré les cris de joie des associations de défense des enfants, tout heureuses de voir s’effondrer un nouveau vestige de l’ancien monde: le droit d’imprimer une certaine culture familiale chez soi. Reste que le tout-positif en matière d’éducation semble avoir le vent en poupe. Ainsi, un récent papier du magazine Elle présentait des choses aussi bégnines que la privation d’écran pour un enfant malpoli comme une «violence morale».

Déresponsabiliser les parents pour produire des citoyens responsables

Que dit la Suisse du «time-out», la punition consistant à mettre à l’écart des enfants insupportables? Au niveau officiel, pas grand-chose. «La protection de l’enfant relève en premier lieu de la compétence des cantons et des communes», explique Sabrina Gasser, de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). «En tant qu’organe de la Confédération responsable de la politique de l’enfance et de la jeunesse, l’OFAS soutient les acteurs compétents pour la protection de l’enfant en élaborant des rapports de fond et des études, ainsi qu’en encourageant les échanges d’informations et d’expériences.» Et de nous renvoyer aux travaux en cours sous la Coupole fédérale à propos des deux objets visant à interdire la violence éducative défendus par la conseillère nationale du Centre (ex PDC) Christine Bulliard-Marbach.

Il faudra donc se rendre chez les partenaires pour vérifier si, réellement, ce que les gens du commun ont longtemps considéré comme une sanction tout à fait civilisée ne relève pas en réalité de la barbarie la plus infâme. Et l’on découvre, effectivement, que le Conseil de l’Europe ne s’est pas mis à délirer seul dans son coin puisque la méthode, «prêtant à de nombreuses interprétations – plus ou moins fondées sur la bienveillance – est beaucoup controversée», aux dires de Tamara Parham, de la Protection de l’enfance Suisse. Elle, de son côté, prône une posture constructive, soit «un mode d’éducation et une attitude où les parents assument leur rôle d’adultes et leur responsabilité en tant qu’éducateurs.» Son but est de permettre le développement, chez l’enfant, d’une «personnalité autonome et ayant un caractère affirmé.» Une personne, autant le dire tout de suite, qui aura bien du mal à supporter que des gens payés par ses impôts lui expliquent comment cuire ses pâtes.

Et cette méthode du «time-out», finalement? «Si celle-ci consiste à prier l’enfant avec bienveillance de prendre un moment pour lui, pour se calmer ou l’inviter à la réflexion, ou bien si elle nous offre la possibilité en tant que parent de retrouver un peu de sérénité, nous ne la concevons pas comme une mesure violente», note Tamara Parham. Elle estime même qu’elle peut être salvatrice et éviter que des situations tendues ne dégénèrent. Mais tout n’est pas si simple: «La manière dont la requête est formulée nous semble en revanche déterminante et n’est pas à confondre avec une exclusion affective ou une mise au coin, qui sont des formes de violence.»
Prié de porter des pulls bien chauds et de boire du thé l’hiver par ses bons maîtres, le citoyen de demain sera aussi prié… de prier son enfant de le laisser tranquille quand il est insolent. Gageons qu’à ce rythme, il n’y aura bientôt plus que l’éducation qui pourra être dite «positive» dans les rapports sociaux.