Kevin Grangier, comment Benoît XVI est-il entré dans votre vie?
J’ai été baptisé par le Saint-Père à Rome le 23 avril 2011, durant la Vigile pascale. Comme adulte, j’ai également vécu à ce moment-là les sacrements de la confirmation et de la première communion. De ces trois moments du rituel, je pense que le plus touchant fut la confirmation: je me suis approché du trône de saint Pierre pour me faire tracer une croix sur le front avec l’huile chrismale. Benoît XVI m’a alors regardé dans les yeux et dit, en souriant et avec tendresse «Pax Tibi» (n.d.l.r. la paix soit avec vous, en latin) et j’ai répondu «Et cum Spiritu Tuo» (n.d.l.r. et avec votre esprit).
Étrangement, c’était un moment très intime, alors qu’il se déroule devant des dizaines de milliers de fidèles, car la basilique Saint-Pierre était pleine à craquer, sans même parler des centaines de milliers de téléspectateurs à travers le monde. Benoît XVI avait un regard très profond qui m’a transfiguré. Après la messe, j’ai encore eu l’occasion d’échanger quelques mots avec lui en sacristie et de baiser l’anneau du pêcheur (n.d.l.r. un des insignes de la papauté). Il m’a enfin remis un chapelet que j’utilise encore aujourd’hui.
Vous avez aussi beaucoup lu et médité l’œuvre de ce pape. Cela aurait-il eu lieu sans cet historique particulier?
C’est une bonne question. À l’évidence, j’ai aimé ce que j’ai lu de lui, mais qui peut dire si j’aurais aimé à le découvrir sans ce lien particulier? Comme catéchumène, j’avais de toute manière longuement eu l’occasion de méditer le catéchisme de l’Église catholique, pour lequel il a joué un rôle important. Dès les années 1980, le futur Benoît XVI a en effet constitué le garant de la foi catholique et l’un des plus proches collaborateurs de Jean-Paul II.
Dans les textes qui ont découlé de toute cette activité, j’ai aussi découvert la doctrine sociale de l’Église, qui a rendu possible chez moi la synthèse entre le croyant et le politicien.
C’est pourtant une doctrine critique des «excès du libéralisme», qui peut paraître peu en phase avec la politique de l’UDC…
Ma fonction de président de l’UDC Vaud ne m’interdit pas de penser, bien au contraire! Cet aspect de l’enseignement de l’Église s’appuie sur quatre principes majeurs avec lesquels je suis parfaitement à l’aise: dignité de la personne humaine, défense du bien commun, subsidiarité et solidarité.
Très souvent, je me fais apostropher sur une prétendue contradiction entre mon engagement politique et ma foi chrétienne. Cela relève une chose contre laquelle Benoît XVI s’est fréquemment élevé: l’instrumentalisation de la foi. La Vérité, disait-il, n’est pas une catégorie politique, et je partage pleinement cet avis.
Il n’y a pas d’absolu en politique. La vérité d’hier devient parfois la grande bêtise du lendemain. Dans ce contexte, je refuse que l’on fasse un procès politique au chrétien quand il n’est pas de gauche, comme c’est mon cas, ou pas de droite. Le Christ est venu convertir les âmes, pas les électeurs.
Vous reconnaissez donc à vos adversaires le droit d’être autant chrétiens que vous?
Oui bien sûr, il faut même s’en réjouir lorsque c’est le cas. Au-delà des affrontements partisans, il y a parfois une certaine fraternité entre croyants, même si je n’entretiens pas un réseau informel de politiciens chrétiens ou catholiques. La foi, pour le politicien que je suis, est surtout une chose qui permet de garder les pieds sur terre dans un quotidien qui peut être grisant et pousser à la faute.
Pour vous, Benoît XVI était-il un homme de droite?
Pas plus que son modèle, le Christ; il refusait de se laisser positionner sur l’échiquier politique.
Au fond, pourquoi un politicien devrait-il lire l’œuvre de ce pape?
Je vais répondre à cette question en évoquant une méditation qui m’a grandement influencé, dans son livre Jésus de Nazareth. Il y relate l’interrogatoire du Christ par Ponce Pilate, qui comprend que la personne qu’il a face à lui n’est pas un adversaire politique. Mais face à la pression des grands prêtres du temple, il voit aussi qu’il y a davantage de risques à laisser libre l’innocent qu’à le condamner. Au moment de condamner le Christ, Ponce Pilate s’en lave les mains. Benoît XVI en rédige une allégorie très puissante de la lâcheté des politiques, dont j’ai par la suite trouvé de nombreux échos dans ce que je voyais dans mon métier. J’en ai appris que la politique est le lieu de la gestion de la cité – et c’est très bien ainsi –, mais très rarement du courage.