Le héraut de la raison

19 avril 2005, je me souviens encore de la forte impression que m’avait faite ce passage de l’homélie d’ouverture du conclave prononcée par le cardinal Joseph Ratzinger: «Combien de vents de doctrine avons-nous connus au cours des dernières décennies, combien de courants idéologiques, combien de modes de pensée […]. La petite barque de la pensée de nombreux chrétiens a été souvent ballotée par ces vagues – jetée d’un extrême à l’autre: du marxisme au libéralisme, jusqu’au libertinisme; du collectivisme à l’individualisme radical; de l’athéisme à un vague mysticisme religieux, de l’agnosticisme au syncrétisme, et ainsi de suite. […] Posséder une foi claire, selon le Credo de l’Église, est souvent défini comme du fondamentalisme. Tandis que le relativisme, c’est-à-dire se laisser entraîner ʻà tout vent de doctrineʼ, apparaît comme l’unique attitude à la hauteur de l’époque actuelle. L’on est en train de mettre sur pied une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et qui donne comme mesure ultime uniquement son propre ego et ses désirs.» Force est de constater que ces propos sont on ne peut plus pertinents actuellement. Mais qu’est-ce que le relativisme? Comment lutter contre cette dictature insidieuse?

Vous avez dit relativisme?

Il est courant d’entendre autour de nous ces phrases somme toute banales: «C’est vrai pour toi mais pas pour moi.», «La beauté est dans l’œil de celui qui regarde.», «La Vérité n’existe pas», «Tout dépend du contexte»… Bienvenue dans la dictature du relativisme! Bienvenue dans notre quotidien! Bienvenue chez vous! On peut dire que le relativisme est l’idée que la vérité absolue n’existe pas, que tout est relatif, subjectif, en fonction des circonstances. Bien plus encore, le relativisme est la négation de la capacité de la raison humaine à parvenir à la vérité, à parvenir à Dieu qui est la Vérité absolue.

En novembre 1999, lors d’un colloque à la Sorbonne, le cardinal Ratzinger illustrait le relativisme avec la fable indienne des aveugles-nés et de l’éléphant. Un roi avait réuni des aveugles-nés qui ignoraient ce qu’était un éléphant. On fit toucher à chacun une partie différente du corps de l’animal en lui disant: «Ceci est un éléphant». Certains touchèrent le flanc vaste et robuste, d’autres les défenses lisses et pointues, d’autres encore la trompe ondulante, l’oreille ou la queue balayant l’air. A la fin de l’exercice, le souverain demanda aux aveugles ce qu’était un éléphant et chacun de donner une explication différente, le tout se terminant en pugilat.

Cette fable illustre aussi que la prétention à la vérité conduirait à un comportement violent et totalitaire. Au contraire, accepter l’aspect relatif de chacune de nos convictions permettrait le dialogue, la tolérance, le «vivre-ensemble» et la convivialité. Mais à quel prix! Pour le cardinal Ratzinger, le relativisme est «la philosophie post-métaphysique de l’Europe» qui s’impose de façon hégémonique au travers des «valeurs» démocratiques et libérales.

Benoît XVI prône-t-il, pour autant, le retour à une société sacrale et théocratique? Que nenni. Prenons l’exemple de la liberté de religion, qui est souvent invoqué par les tenants du relativisme. Dans son discours du 22 décembre 2005, le défunt pape distingue différents plans: «Si la liberté de religion est considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme à trouver la vérité, et par conséquent, devient une exaltation du relativisme alors, de nécessité sociale et historique, celle-ci est élevée de façon impropre au niveau métaphysique et elle est ainsi privée de son véritable sens, capable de connaître la vérité de Dieu, et, sur la base de la dignité intérieure de la vérité, est liée à cette connaissance. Il est, en revanche, totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le processus de la conviction. Le concile Vatican II, reconnaissant et faisant sien à travers le décret sur la liberté religieuse un principe essentiel de l’État moderne, a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Église.»

Croire détenir la vérité, ne serait-ce pas faire un pas vers l’intolérance? Dans un livre d’entretiens avec le journaliste Peter Seewald, Benoît XVI n’hésitait pas à affirmer que nous ne détenons pas la vérité, au contraire c’est elle qui nous détient. Cependant, «personne ne contestera qu’il faut être prudent lorsque l’on revendique la vérité. Mais la rejeter complètement en la déclarant inaccessible peut être destructeur.»

La raison mutilée

Pour Benoît XVI, «l’homme doit chercher la vérité, car il en est capable.» Le pape poursuit en affirmant: «la vérité nécessite des critères de vérification et falsification. Elle doit toujours être accompagnée de tolérance. Mais la vérité nous souligne aussi les valeurs constantes qui font de l’humain un être exceptionnel. C’est pourquoi l’humilité de reconnaître la vérité et de l’accepter comme standard doit être apprise et pratiquée de nouveau.» Face à la raison mutilée et amoindrie du relativisme, le pape émérite nous invite à un exercice plénier de cette dernière.

En fait, on peut même parler d’un rationalisme chrétien. La constitution pastorale Gaudium et Spes du concile Vatican II affirme que «participant à la lumière de l’intelligence divine, l’homme a raison de penser que, par sa propre intelligence, il dépasse l’univers des choses. […] Toujours cependant il a cherché et trouvé une vérité plus profonde. Car l’intelligence ne se borne pas aux seuls phénomènes; elle est capable d’atteindre, avec une authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de la part d’obscurité et de faiblesse que laisse en elle le péché.»

En authentique chercheur, Benoît XVI a prononcé le 12 septembre 2006 à l’université de Ratisbonne une lectio magistralis. La polémique suscitée par une citation de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue (règne de 1391 à 1425) s’adressant à un Perse au sujet de la guerre sainte est toujours dans nos mémoires: «Montre-moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l’inhumain comme ceci, qu’il a prescrit de répandre par l’épée la foi qu’il prêchait.» Le reste du développement de Manuel II Paléologue, repris par le pape et omis par la presse de l’époque est assez significatif: «Dieu ne prend pas plaisir au sang, et ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu.»

Le but de cette lectio était non pas de stigmatiser l’islam, mais bien de parler de la relation entre la foi et la raison. La polémique autour de la citation de l’empereur byzantin a passé sous silence le fait que cette intervention du souverain pontife était une critique en règle de la modernité et de sa raison mutilée. Le pape émérite y décrit les différentes étapes: la symbiose gréco-chrétienne qui sera au fondement de l’Europe ainsi que sa destruction à l’époque moderne avec le processus de déshellénisation du christianisme.
La conclusion de cette conférence est plus que significative de la pensée de Benoît XVI: «L’Occident est menacé depuis longtemps par le rejet des questions fondamentales de la raison et ne peut en cela que courir un grand danger. Le courage pour l’élargissement de la raison, non la dénégation de sa grandeur – tel est le programme qu’une théologie responsable de la foi biblique doit assumer dans le débat actuel. ʻNe pas agir selon la raison (selon le Logos) s’oppose à la nature de Dieuʼ, répliqua Manuel II, depuis sa vision chrétienne de l’image de Dieu, à son interlocuteur persan. C’est dans ce grand Logos, dans cette large raison que nous invitons nos partenaires au dialogue des cultures.»

Restaurer la raison

Afin de restaurer la raison dans sa plénitude, elle doit être purifiée et tournée vers Dieu. Dans son discours à Westminster en 2010, Benoît XVI souligne en effet que la raison humaine mutilée par le relativisme doit constamment être purifiée par la religion. «Sans le correctif apporté par la religion, d’ailleurs, la raison aussi peut tomber dans des distorsions, comme lorsqu’elle est manipulée par l’idéologie, ou lorsqu’elle est utilisée de manière partiale si bien qu’elle n’arrive plus à prendre totalement en compte la dignité de la personne humaine. C’est ce mauvais usage de la raison qui, en fin de compte, fut à l’origine du trafic des esclaves et de bien d’autres maux sociaux dont les idéologies totalitaires du XXe siècle ne furent pas les moindres. C’est pourquoi, je voudrais suggérer que le monde de la raison et de la foi, le monde de la rationalité séculière et le monde de la croyance religieuse reconnaissent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, qu’ils ne doivent pas craindre d’entrer dans un profond dialogue permanent, et cela pour le bien de notre civilisation.»
Loin d’être un conservateur étriqué, Benoît XVI a été et restera ce héraut de la raison qui nous lance la même invitation que celle faite à l’Action Catholique Italienne en 2008: «[…] Sachez élargir les espaces de rationalité sous le signe d’une foi amie de l’intelligence, aussi bien dans le domaine de la culture populaire et diffuse que dans celui d’une recherche plus élaborée et réfléchie.»

L’avenir de notre civilisation est à ce prix. Sommes-nous prêts à le payer?




L’économie façon chevaleresque

Supposez une paroisse citadine où l’on vous proposera invariablement de «coconstruire l’Église de demain» pour aller «chercher les croyants et les croyantes là où ils et elles se trouvent». Charmant, très certainement, mais supposez à présent un monastère battu par le mistral où des êtres vêtus de capes noires se lèvent tous les matins à 3h20 pour réciter des psaumes en latin et vivre selon une règle datant de quinze siècles. De ces deux options, laquelle vous semble la plus à même de faire refleurir économiquement et spirituellement une région? Laquelle risquera de rayonner jusque dans nos contrées suisses romandes et d’attirer des jeunes du monde entier?

La question étant – il faut bien le confesser – posée avec une neutralité assez approximative, vous aurez compris que nous penchons pour la deuxième option. Et à travers cette description sommaire, les esprits les plus fins auront même reconnu une abbaye située à quatre heures de route de Genève: Sainte-Madeleine du Barroux. Fondée en 1970 par Dom Gérard, un moine sorti d’un ermitage avec pour seules possessions sa mobylette et son baluchon, cette communauté constitue une anomalie totale. À partir de ses prémices modestes dans le village voisin de Bédoin, l’aventure a en effet débouché sur une véritable entreprise, dont la modernité technologique tranche avec la féodalité ambiante des rapports humains. Derrière les lignes très épurées de son architecture (inspirée par l’abbatiale de Payerne, entre autres!), l’abbaye se distingue en effet par sa production massive de pain, surtout, mais aussi de vin, d’huile et de créations artisanales diverses. Un véritable village autosuffisant dont l’activité incessante a redonné vie à une région fort belle, mais qui se trouvait en récession jusqu’à l’établissement des frères. Preuve de ce fonctionnement à plein régime, la communauté, qui comportait dix moines les premières années, en compte désormais une soixantaine qui prient et travaillent selon la règle de saint Benoît. Une croissance permanente, tempérée par le départ de frères qui s’en vont fonder leurs propres communautés, et qui crée aussi des défis: l’âge vénérable des combattants de la première heure, notamment, qui a imposé la construction récente d’un bâtiment relié de plain-pied à l’église. Les aînés de cette grande fratrie, qui tâchent tant bien que mal de participer aux offices, peuvent ainsi jouir de la qualité de vie d’un EMS lumineux et d’un cabinet de dentiste à la modernité impeccable. Pas tout à fait anecdotique quand on vit éloigné du monde et sous le regard d’un État français qui ne raffole certainement pas des monastères où se perpétue le souvenir des massacres de la Révolution de 1789…

Des débuts bucoliques

Compagnon de route de la naissance du monastère, le Vaudois Christian Bless évoque avec nostalgie les débuts modestes à Bédoin, dans une chapelle mise à disposition par la famille Ricard. Une famille dont les amateurs de pastis salueront le double apport à l’humanité: «C’était plus bucolique que l’immense abbaye de maintenant. Je me souviens d’une fois où Dom Gérard m’avait invité à aller discuter un peu: il y avait un petit réchaud, au bout du jardin. Il avait allumé le feu et coupé quelques herbes, du thym sans doute. Dans une vieille casserole rouillée avait alors infusé une petite tisane. Et lui il me parlait du bon Dieu, de la Grâce, tandis que nous étions tous deux assis sur un vieux tronc. Le monde moderne ne nous avait jamais enseigné ces choses.» De fait, ces liens forts entre la communauté et la Suisse romande trouvent leur origine dans une conférence donnée par Dom Gérard à Lausanne, au début des années 70, dans le bouillonnement des milieux défendant le latin et la liturgie traditionnelle dans la messe: «Le coup de foudre immédiat», se remémore Christian Bless. Suivront des moments riches en émotions et en coups de gueule divers, entre liens étroits avec la fraternité Saint-Pie X (plus connue sous le nom d’Écône) et retour complet dans le giron du Vatican dans les années 80. Des épisodes vécus plus ou moins douloureusement selon la radicalité des sensibilités des uns et des autres. Heureusement, la magie du saucisson et de la bouteille de rouge opérant toujours, la riche amitié ne sera jamais rompue entre les amis fidèles de Suisse romande et l’abbaye, dont le grand écrivain Jean Raspail chantait déjà les louanges au début des années 80 dans Le Figaro Magazine.

Le Vaudois Christian Bless, compagnon de route de l’abbaye, se souvient des débuts modestes de la communauté sur ce site de la commune voisine de Bédoin. RP

De toute manière, les habitués du Barroux viennent y chercher quelque chose qui transcende largement les querelles de clocher: le hiératisme ambiant. Alors que les Églises modernes tentent sans cesse d’attirer les jeunes avec moult guitares et des célébrations singeant la laideur de la variété moderne, rien de tout cela ici: la messe et les différents offices s’y déroulent en latin, à grand renfort de chant grégorien, et gare à qui voudrait venir introduire la moindre innovation dans ce chant millénaire! Souvent, le visiteur se trouve même plongé dans des scènes évoquant Le Nom de la rose, les bossus en moins: frères aux visages anguleux faisant sonner les cloches dans la pénombre, prosternations répétées et repas pris en silence… Qu’on imagine l’hôte d’honneur soupant en bout de table, directement sous le regard bienveillant du père abbé, véritable chef de famille présidant au bon déroulement du repas… Heureusement que le coup de rouge, aussi fidèle que le vent glacial soufflant sur la contrée, vient donner un peu de hardiesse! Et comment ne pas se sentir plongé mille ans en arrière quand, de quelques coups de maillet sur la table, le maître des lieux annonce la fin du repas et la prière finale, toujours en latin.

Au vu de la grande pureté des lignes de l’abbatiale, difficile d’imaginer qu’elle n’existait pas encore il y a quelques dizaines d’années. RP

Quand le SDF mange à côté du millionnaire

La scène impressionne, mais qu’on n’aille pas pour autant imaginer un environnement où règne une austérité insupportable: de fait, même l’anticlérical le plus radical ne saurait nier la hauteur de sentiments exprimée par les frères dans leurs attitudes et leur accueil du pèlerin, qu’ils soient millionnaires ou condamnés à dormir sous des ponts: «Les frères sont gentils, ils vont me fournir des gants pour passer la nuit dans le hall de la gare de Carpentras», livre ainsi un sans domicile fixe quittant les lieux après avoir bénéficié de l’hospitalité bénédictine durant quelques jours. En rupture avec sa famille, abandonné par un État qui préfère sponsoriser l’accueil de migrants – d’après son récit –, il trouve auprès de la communauté un cadre aimant, et finalement moins strict qu’il n’y paraît. Car selon l’esprit de saint Benoît (480-547), c’est le Christ lui-même que la communauté pense trouver à travers l’étranger qui viendra sonner à sa porte pour chercher un toit. «N’ayez peur de rien. Vous êtes ici dans votre famille», nous lance ainsi un des plus anciens frères de l’abbaye, responsable de la boulangerie. Joignant les actes aux paroles, il nous salue à la manière des moines, front contre front (le vénérable Pax tecum). Autant dire qu’ici, le fameux «frère» utilisé comme une interjection par tous les rappeurs, y compris pour s’insulter, prend un sens un peu plus élevé, qu’une goutte de chartreuse est parfois là pour affermir. Ici, c’est le royaume de la joie simple.

Père Abbé du monastère du Barroux, Dom Louis Marie nous accueille dans le salon réservé aux hôtes de sa communauté. Issu d’une famille de militaires, il veille à l’unité de sa communauté afin de continuer à « ouvrir les portes du Ciel ». RP

Sans tirer un orgueil démesuré de leur réussite, les moines ne le cachent pas: si le fondateur avait 500 francs français en poche au moment de tout démarrer, l’abbaye brasse désormais des sommes considérables, à défaut de brasser de la bière. Mais pas grâce aux soutiens qu’on lui prête parfois dans des milieux politiques radicaux, dont l’ancien Front national de Jean-Marie Le Pen, puissant dans la région. «À chaque fois qu’on a fait face à de gros enjeux, comme lorsque l’on vivait dans des roulottes, sans chauffage ou sans électricité, ou lorsqu’il nous a fallu acheter des terres, le bon Dieu nous a tirés d’affaire», sourit le père Germain, dont le sourire communicatif n’a pas été altéré par les nombreuses années passées au monastère. En réalité, avant de tourner à plein régime, la communauté se trouvait généralement en possession d’argent uniquement aux moments où elle en avait un besoin urgent (ndlr comme notre journal). Mais la présence fréquente d’intellectuels de haut vol dans les seize mètres, citons Gustave Thibon ou Louis Pauwels, n’est peut-être pas pour rien dans ces élans du cœur de personnalités venues d’horizons très divers, parfois même du protestantisme.

De nombreux saints catholiques figurent sur les fresques de la chapelle privée du père abbé. A noter la présence, tout à droite, de Maximilien Kolbe, prêtre exécuté à Auschwitz, ou de l’écrivain Péguy (avec un genou à terre). CB

Un patron? Non, un «père de famille»

Mais comment au juste marier le rôle de père spirituel de moines parfois très jeunes et un statut de chef de PME? Nous avons voulu poser la question à Dom Louis-Marie, le père abbé. Si son prédécesseur Dom Gérard était un homme chaleureux et ardent, lui est plutôt du genre réservé, méthodique. Pas au point, cependant, de se considérer comme un patron d’entreprise selon les codes modernes: «Je suis plutôt un chef de famille qui a un droit de regard sur tout», lâche-t-il dans un sourire doux, mais en pesant ses mots. Issu d’une lignée de militaires, ce stratège conteste que l’abbaye soit passée au capitalisme sous sa férule: «Notre magasin et la vente par correspondance nous permettent de vivre de nos mains, sans contracter de dettes. C’était un de nos buts», tranche-t-il paisiblement. Mais le succès, le vrai, consiste à ses yeux «à ouvrir encore les portes du Ciel» pour ses hôtes au lieu de chercher à singer Lady Gaga. Quant à la politique, il ne le cache pas: même s’il se réclame de l’héritage de Péguy, ce combat n’est pas prioritaire à ses yeux. Il s’agit avant tout, dans un monde en proie à une déchristianisation massive, de témoigner de la permanence de la foi. D’ailleurs, le voilà qui s’arrête soudainement alors qu’il nous quitte dans les escaliers: «Je suis content que vous vous intéressiez à notre héritage philosophique, mais j’espère surtout que vous avez senti la présence du bon Dieu parmi nous.»

L’abbatiale est inspirée de différents sites millénaires, dont sa cousine de Payerne! CB

Quelques notions clés:

•Les moines sont-ils tous prêtres?

Non. Bon nombre d’entre eux participent à la vie de la communauté en tant que «frères» et non pas en tant que prêtres, appelés «pères». Ce choix s’effectue en fonction de leurs désirs, de leur éducation ou d’un simple souci d’humilité. Ce qui unit les moines du Barroux est un désir de partager une vie essentiellement centrée sur la louange divine, la prière et le travail. Dans la communauté se trouvent des personnes à l’aise autant avec la mécanique, la culture du potager que l’édition de livres, par exemple.

•Qu’est-ce que la tonsure?

Qui s’adonne à des recherches sur le sujet sur Internet en verra parler comme d’une pratique désuète voire réduite à la célèbre image de La Tête de Moine AOP. Et effectivement, elles ne sont plus nombreuses les communautés qui continuent de marquer le renoncement au monde de leurs prêtres par ce rasage caractéristique du crâne, laissant apparaître une bande de cheveux. Pour le visiteur du monastère, la tonsure présente l’intérêt de permettre de différencier les pères des frères, qui ont simplement les cheveux courts. On pourra ainsi appeler les uns et les autres d’une façon conforme à leur état.

•Pourquoi la messe en latin?

C’est l’une des particularités du Barroux, resté fidèle à la tradition liturgique de l’Église catholique en vigueur jusqu’au concile Vatican II (1963-1965). Outre l’usage de cette langue sacrée, à part durant les sermons, les prêtres officiant selon le rite dit «tridentin» tournent la plupart du temps le dos aux fidèles comme pour mieux leur donner la direction de Dieu.

•Un retraitant vit-il dans une prison?

Certes non. De fait, les personnes partant se ressourcer au Barroux disposent même d’une clé qui leur permettra, à condition de ne pas troubler l’ordre monastique, de rentrer à l’heure qu’elles désirent dans leur bâtiment. Un hôte qui utiliserait une telle confiance pour abuser de l’hospitalité bénédictine se verrait toutefois rapidement mis au pas, et serait surtout automatiquement mal à l’aise dans un environnement tout entier tendu vers l’oubli du monde.

•Est-il obligatoire de prier toute la journée?

Pas d’obligation là non plus, mais une nouvelle fois, à quoi bon se rendre dans un monastère si c’est pour mener la même vie qu’à la maison? Du reste, la chose serait bien difficile avec le silence de rigueur la majorité du temps, et un Wi-Fi qui ne couvre que deux pièces dédiées à l’étude. Les offices religieux, dont les durées peuvent être très variables, s’échelonnent tout au long de la journée. Le premier débute à 3h30, on parle alors des «matines», et le dernier se termine dans une église éclairée à la bougie, lors des «complies».

•Comment se déroulent les repas?

Ce sont des moments importants de la journée, et pas seulement pour les estomacs. Différentes lectures les accompagnent, allant de la vie des saints vénérés ce jour au rappel, à la fin du repas de midi, de passages de la Règle de saint Benoît. Moines et convives invités mangent en silence, sans traîner à table, mais en bénéficiant d’une cuisine équilibrée et simple.

•Pourquoi y aller?

C’est la grande question. D’aucuns, miséreux, s’y rendent par besoin, d’autres pour «déconnecter» d’une vie professionnelle qui les ronge. Pour ceux qui ont la foi, la multiplication des offices et la possibilité d’être accompagné par des prêtres remplissent les âmes d’une paix profonde.

•Que se passe-t-il quand on retourne à la vie normale?

Un choc, très certainement. À l’abri des vains bruits du monde, les moines cultivent généralement une langue et des coutumes qui tranchent radicalement avec les attitudes vulgaires souvent encouragées par notre société. Mais cette période de ressourcement permet aussi d’affronter les défis de la vie quotidienne avec une confiance renouvelée, les idées à l’endroit… et le téléphone portable un peu moins omniprésent!




Le progrès fait rage

Transgenrisme scolaire, suite

Dans le cadre du dossier de notre précédente édition, nous avons abordé la manière dont des développements tout à fait récents de la doctrine woke étaient enseignés aux petits écoliers vaudois durant les cours d’éducation sexuelle. Un document de la fondation PROFA reçu par les parents pour découvrir le contenu de cet enseignement comportait en effet les symboles des personnes «genderqueer» (d’une identité de genre qui sort du schéma binaire homme/femme) et «bigender» (dont l’identité de genre correspond à deux genres concomitants ou alternants). Une bonne nouvelle du point de vue des familles? Oui, à en croire Christine Muller, qui s’exprime pour le comité central de l’Association vaudoise des parents d’élèves (APE Vaud). L’organisation se dit «tout à fait favorable à l’enseignement de la diversité de genre dans le cadre des cours d’éducation sexuelle à l’école. Elle estime qu’il est important d’en parler et de renseigner correctement les élèves sur la base de connaissances scientifiques notamment, afin de mieux se comprendre les uns les autres, d’éviter des mises à l’écart et des discriminations, etc.» Et de conclure, avec des propos que nous ne saurions qu’appuyer: «Tout jeune a le droit d’étudier dans un climat serein et tolérant et de se sentir en sécurité.» Reste la question d’une éventuelle contradiction entre des cours de biologie (ou de français), qui continuent à médiocrement subdiviser l’espèce humaine entre genres masculin et féminin, d’un côté, et la doxa particulièrement fluide proposée par des intervenants externes. Là encore, pas de quoi s’inquiéter. «En ce qui concerne les cours de sciences ou de biologie, l’APE Vaud ne voit pas non plus de ʻcontradictionʼ à renseigner également les élèves par rapport à la diversité de genre. En effet, il s’agit de différencier le sexe biologique (parties génitales notamment) de l’identité de genre qui est une question de ressenti (comment l’on se sent, vers qui l’on est attiré, etc.) et d’expression (comment l’on s’habille, comment l’on se comporte, etc.).»

Il y cinq ans tout au plus, un monsieur chauve et barbu faisait rire toute la francophonie en s’indignant, sur un plateau télé, d’avoir été pris pour un homme. Son fameux «mais je ne suis pas un homme, monsieur» constitue désormais un pilier de la sagesse des semi-cultivés.

Et pendant ce temps, le Centre poursuit des moulins à gifles

On peut bien introduire un «trouble dans le genre», du nom d’un livre de Judith Butler, chez toute une génération, la droite fribourgeoise n’en perd pas pour autant le sens des priorités. Ainsi, le courageux combat de Christine Bulliard-Marbach (C/FR) contre l’éducation violente, les pressions psychologiques et toutes formes de rabaissement. On récapitule: comme chacun le sait, il sera désormais bienveillant de distribuer des bloqueurs de puberté aux gosses comme autrefois les pommes à la récré. Mais des méthodes éducatives ancestrales, que l’on peut apprécier ou non, deviendront quant à elles hors la loi. Ainsi en ont décidé les Chambres fédérales, qui ne reculent jamais au moment de favoriser l’immixtion de l’État dans la vie d’une population à laquelle elles devraient plutôt songer à garantir un approvisionnement en électricité digne d’un pays développé. «Il faut condamner toute forme de violence contre les enfants mais il n’est pas nécessaire d’édicter de nouvelles règles, cette violence est déjà interdite», a bien plaidé la ministre de la justice Karin Keller-Sutter. Mais que peut un argument rationnel de ministre face au mélange d’arrivisme et de bons sentiments qui caractérise si souvent le centre-droit lorsqu’il décide de s’emparer d’un sujet sociétal pour montrer que, réellement, il s’excuse un peu d’être de droite?

Vers une génération de chanteurs d’opéra?

Il n’y a pas qu’au Centre que l’émasculation sévit. 24 heures nous indique ainsi que le CHUV a déjà reçu, et refusé, une demande de nullification génitale telle que proposée par des cliniques américaines. Le principe consiste à créer une «zone lisse et continue de l’abdomen à l’aine» afin de permettre aux personnes non binaires, notamment, d’extérioriser leur ressenti intérieur. Et le quotidien vaudois de formuler une réflexion véritablement excellente: «On peut se demander pourquoi il n’est pas simplement interdit d’émasculer une personne.»
Vieux dilemme de philosophie politique: doit-on protéger les individus contre eux-mêmes? Au Peuple, nous considérons que non, à condition que les dérives particulières ne se fassent pas avec l’argent du contribuable. La possibilité d’objectiver le statut de «non-binaire» peut même passer pour une excellente nouvelle, tant il paraît bon que la société ne doive pas constamment s’ajuster à des perceptions qui n’existent que dans la tête des gens. Et l’on a dès lors plaisir à conclure cet observatoire du progrès avec une citation du rappeur Seth Gueko, qui nous permettra de prendre le pouls de la poésie urbaine en ce début de millénaire: «Faut quand même avoir des couilles pour se les couper alors respecte les travs.»




Vivre libre

Printemps 1990, une salle de cinéma, une équipe d’adolescents, des pop-corn et un film. Une histoire somme toute banale: John Keating, enseignant de littérature, aux méthodes peu orthodoxes, arrive dans la très sérieuse académie Welton et va bouleverser la vie de ses élèves. Une des scènes se déroule dans une caverne où des étudiants se réunissent pour former une étrange société. En début de séance, l’un d’eux lit un poème, en fait une citation arrangée, d’un certain Henry David Thoreau: «Je m’en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre, intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie pour ne pas découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu.» Vous avez reconnu Le Cercle des poètes disparus (1989). Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet de ce film sur l’esprit d’un jeune idéaliste. C’est aussi comme cela que Thoreau est entré dans ma vie.

«Les idées ne se promènent pas toutes nues dans les rues.»

L’heureuse formule de Jacques Julliard se vérifie une fois de plus. Il ne suffit pas de lire Walden ou La désobéissance civile au coin du feu d’une ZAD quelconque pour comprendre la richesse de la pensée de Thoreau. Il faut, selon l’austère méthode de Sainte-Beuve, connaître la vie, le contexte et toute l’œuvre d’un auteur.

Henry David Thoreau est un homme de son temps dont la pensée ne se résume pas à ses deux célèbres textes. Né à Concord dans le Massachusetts en 1817, Thoreau sort diplômé de l’université de Harvard à dix-huit ans. Il exerce le métier d’instituteur avant de quitter l’enseignement en raison de son refus d’appliquer les châtiments corporels. Il se lie avec Ralph Waldo Emerson qui deviendra son mentor. Il passe trois ans à New York avant de revenir définitivement s’établir à Concord en 1844. Au printemps 1845, il construit une cabane au bord de l’étang de Walden, à trois kilomètres de Concord et à proximité d’une voie de chemin de fer. Il y vit vingt-six mois. Ce sera la source de l’ouvrage éponyme publié en 1854. A partir de 1842, Thoreau cesse de payer l’impôt par tête (la capitation) afin de protester contre la politique esclavagiste et la guerre contre le Mexique. Cela durera quatre ans, jusqu’au moment où il est emprisonné durant une nuit. Une bonne âme va payer son impôt. En 1849, il s’appuiera sur cette expérience pour écrire La résistance au gouvernement civil, qui deviendra après sa mort La désobéissance civile. Auteur d’une abondante correspondance, d’un journal et de nombreux essais, Thoreau meurt de la tuberculose à l’âge de quarante-quatre ans. Ecoutons Emerson, qui a su peindre avec beaucoup de délicatesse le portrait intérieur de son ami: «C’était un médecin des blessures de l’âme, qui connaissait non seulement le secret de l’amitié, mais qui était presque vénéré par les quelques personnes qui faisaient appel à lui pour qu’il soit leur confesseur et leur prophète et connaissaient la valeur intrinsèque de son esprit et de son grand cœur.»

Thoreau s’inscrit dans la vie intellectuelle de son époque, durant laquelle les états-Unis vivent sous la loi du progrès inhumain, de la technique bruyante et du culte puritain du travail. Dans ce contexte, un groupe d’hommes et de femmes mené par Ralph Waldo Emerson (1803-1882) lance une vraie révolution. On les appelle les transcendantalistes. Ces personnes veulent exister et penser différemment. Inspirées par un romantisme allemand ayant transité par l’Angleterre et renouant avec la philosophie antique et orientale, elles proposent un humanisme renouvelé. Il s’agit, en fait, d’une sagesse qui invite l’individu à retrouver, au contact de la nature qu’il faut préserver, sa pureté originelle.

Walden ou la vie dans les bois

Le 4 juillet 1845, date symbolique puisqu’il s’agit du jour où les états-Unis commémorent leur indépendance, Thoreau proclame la sienne en s’installant dans sa cabane près de l’étang Walden. Il ne faut pas se méprendre, cela n’a rien à voir avec le film Into the Wild (2007), de Sean Penn; il s’agit de faire l’expérience d’une vie simple en étant seul dans les bois. Thoreau ne vit pas comme un anachorète, il côtoie des amis, se rend même à Concord et entretient une grande correspondance avec le monde extérieur. Cette expérience va durer deux ans et deux mois et donner naissance à Walden ou la vie dans les bois.

Walden n’est pas qu’un simple «nature writing» et sa lecture n’est pas si évidente qu’on veut le croire. Stanley Cavell, spécialiste de Thoreau, propose plusieurs niveaux de compréhension: le premier niveau est celui du sens commun, le second celui de la vérité rigoureuse et le troisième celui de l’austère beauté. Le sens commun représente le sens littéral du texte; la vérité rigoureuse s’adresse à notre raison et nous invite à la réflexion; l’austère beauté, quant à elle, se révèle après que l’on a passé par les étapes précédentes et nous indique ce vers quoi nous devons tendre. Le texte de Thoreau est une invitation à une réelle expérience transcendantaliste qui fera du lecteur un vrai philosophe: «Etre philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie, mais en pratique.»

La désobéissance civile

Petit texte paru en 1849, La désobéissance civile s’inscrit dans le contexte de la guerre contre le Mexique et de la lutte anti-esclavagiste.

Stanley Cavell montre qu’il faut entendre «désobéissance civile» dans le sens qu’Emerson donne au terme «conversion» ou «révolution». éclairage intéressant, car, loin d’être un texte pour jeunes révoltés, La désobéissance civile est un acte de libération individuelle: «Si l’injustice est inhérente à la friction nécessaire au bon fonctionnement de la machine gouvernementale, il n’y a qu’à la laisser faire. Peut-être qu’à l’usage, elle va s’adoucir; la machine quant à elle va s’user. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle pour son usage exclusif, peut-être qu’alors il faudra vous demander si le remède n’est pas pire que le mal; mais s’il est dans sa nature d’exiger de vous que vous soyez l’instrument de l’injustice à l’égard d’autrui, je dis alors: enfreignez la loi. Que votre vie agisse comme une contre-friction pour arrêter la machine. Ce que je dois faire est de veiller, en tout cas, à ne pas être complice de l’injustice que je condamne.»

La démarche de Thoreau est simple. S’il n’a rien à voir avec l’injustice commise par l’État, «il s’en lave les mains», par contre s’il sert cette injustice de quelque façon que ce soit, il doit désobéir au nom de sa conscience. Cette désobéissance civile a trois fonctions. Tout d’abord elle indique au gouvernement que vous êtes contre lui, dans un second temps elle sert de témoignage auprès du peuple et entraîne des comportements similaires, pour finir elle bloquerait l’appareil étatique par la désobéissance des fonctionnaires.
Comme on peut le constater, il ne s’agit pas de manifestation de masse mais bien d’un acte individuel libre et responsable: «(…) il y a peu de vertu dans l’action de masse des hommes. Quand la majorité finira par voter l’abolition de l’esclavage, ce sera parce qu’elle lui sera indifférente ou parce qu’il en restera peu qui soit aboli par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui hâte l’abolition de l’esclavage est celle de l’homme qui engage par là sa propre liberté.»

Thoreau se définissait comme «un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste». Les auteurs de l’anthologie Les Penseurs libéraux (Les Belles Lettres, 2012) ont compris Thoreau bien mieux que José Bové et ses séides, en y incluant un extrait de La désobéissance civile. Le sage de Concord nous rappelle que le libéralisme possède une dimension anarchisante: «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins.» Dans un pays où l’on réglemente sur tout et sur rien, où la liberté individuelle se réduit progressivement, où la dictature du petit nombre s’impose; offrez un ouvrage de Thoreau à vos élus d’un parti qui se définit aussi comme libéral.

Une biographie:

Thierry Gillybœuf, Henry David Thoreau, le célibataire de la nature, Fayard, 2012.

Des oeuvres de Henry David Thoreau en traduction française:

Walden ou la vie dans les bois, Albin Michel, 2020.
Les essais dans un coffret de treize petits volumes, Le Mot et le Reste, 2021.
Correspondance générale en trois tomes, La Part Commune, 2018-2020.
Journal en quinze volumes dont cinq de parus, Finitude, depuis 2012.




Lider Massimo

«À titre personnel, je maintiens que des Jeux olympiques dans une dictature sont une absurdité», avait notamment tonné Massimo Lorenzi chez nos amis de Blick. Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, en tremble certainement encore. À l’inverse, on s’étonne que le géant du Quai Ernest-Ansermet n’ait pas encore reçu une invitation à se taper une entrecôte avec le Dalaï-Lama et Richard Gere. Peut-être à cause d’une conception légèrement différente de la non-violence, qui l’avait naguère conduit à prendre une condamnation après une gifle assénée à un militant du Mouvement Citoyens Genevois.

Le militant qui sommeille en tout journaliste du service public est ressorti de sa boîte à la fin novembre à propos de la Coupe de monde de football que nous venons courageusement de subir : «C’est un Mondial sans âme qui s’annonce», déplorait au 12h45 notre fine lame qui, pourtant, organisait à ce moment précis la couverture massive de ladite compétition sans âme. «Infantino (ndlr. le président de la Fifa) est un homme sans valeur et le Qatar est dirigé par des gens sans valeur. Ils n’ont qu’une valeur, c’est le pognon», analysait le journaliste sportif.

Du pognon, lui-même en aurait toutefois volontiers pris un peu plus pour nous saturer encore davantage de ballon rond ces derniers jours, à en croire ses incessantes complaintes d’enfant gâté. Parce que si «la passion ne s’achète pas», comme il aime à nous le répéter, elle a tout de même un coût. D’ailleurs, on ne serait pas forcément contre l’idée de le réduire un peu.

À l’année prochaine!

Noël, ça pollue, ça tue des dindes et ça donne le Covid. Pire, c’est chrétien, ce qui est difficilement excusable du point de vue de cellezéceux qui, en ces temps très enténébrés, prendraient un certain plaisir à ce que notre civilisation perde la vilaine habitude de cultiver le souvenir du Verbe fait chair. Aussi a-t-on le plaisir de vous encourager à célébrer un beau Noël – et surtout pas les Fêtes de fin d’année – en famille. Et ce même si la vôtre, de famille, devait ne pas se révéler arc-en-ciel.

Pour notre part, après plusieurs mois d’activité soutenue – nous ne vivons pas de notre journal –, nous allons prendre quelques jours de repos. Rien de spectaculaire, nous vous rassurons, juste une petite semaine de décalage par rapport à notre rythme de parution habituel pour mieux recharger les batteries et repartir au front pour l’année prochaine. Nous espérons que 2023 marquera la consolidation de notre projet et vous remercions du soutien et de la confiance apportés depuis notre lancement au printemps dernier.

Joyeux Noël!




L’étrange dépliant de la fondation Profa

Vous n’avez peut-être, voire sans doute, jamais entendu parler de la catégorie des personnes «genderqueer» ou de celles des «bigender». Pourtant, pour peu que vous ayez chez vous des enfants en âge (dès 6-7 ans) de suivre des cours d’éducation sexuelle au sein de l’école publique vaudoise, ces deux notions figurent dans un document récemment reçu à la maison. Pour ceux qui ne seraient pas au courant des derniers développements de la doctrine, voici ce qu’elles signifient. La première catégorie représente les personnes dont l’identité de genre sort du «schéma binaire homme/femme», explique la fondation PROFA. Quant à la seconde, elle représente les individus dont l’identité de genre «correspond à deux genres concomitants ou alternants». Les logos de ces deux nouvelles classes figurent sur la première page du dépliant, sous la forme d’un astérisque accolé à un cercle, ou d’une juxtaposition, sur ce même cercle, des symboles de la masculinité ainsi que du beau sexe.

Une information objective

Dans son dépliant, mis à disposition depuis mars, la fondation PROFA explique qu’elle dispense aux 40’000 élèves du canton de Vaud «une information objective, scientifiquement correcte, sur tous les aspects de la sexualité.» Cette dernière intervient «en complément à l’éducation donnée par les parents dans le domaine affectif et sexuel». Une ligne réaffirmée dans les réponses aux interrogations du Peuple: «Notre service a pour mission d’apporter aux élèves des messages d’information et de prévention, au plus près de leurs besoins, adaptés à leur âge, leur développement, et de communiquer des informations appropriées en regard des recherches actuelles, de la littérature scientifique, et basées sur les droits sexuels.» Pour expliquer l’introduction de catégories jusqu’ici peu habituelles, comme les personnes aux «genres concomitants» par exemple, PROFA invoque les besoins de la prévention: «En Suisse aussi, les personnes issues de la diversité LGBT font l’objet de discrimination, de stigmatisation et de violence. Il est important que ces jeunes, parfois en train de découvrir leur orientation sexuelle et affective / leur identité de genre, puissent renforcer leur estime de soi et recevoir des informations fiables», nous répond-on par écrit. Et de fait, confirme la fondation, la diversité de genre sera donc effectivement abordée avec les élèves «en tenant compte de leur âge et de leur développement.»

«Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement.»

Un cadre de l’école vaudoise

Cette volonté d’aller au plus profond de la diversité ne séduit guère un cadre de l’école vaudoise: «Je suis surpris de la manière parfois prosélyte dont certaines associations, cautionnées par des services étatiques, viennent introduire des notions de doute chez les enfants concernant des questions qui ne leur viendraient même pas à l’esprit, pour la plupart», fulmine-t-il. Et d’ajouter: «Ces intervenants, externes au monde de la pédagogie enseignante, sont souvent bien plus que de simples «spécialistes»: certains adoptent parfois une posture militante dont le fond du message consiste à dire aux écoliers que s’ils se questionnent au sujet de leur identité de genre, c’est qu’ils appartiennent déjà à quelque minorité sexuelle. Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement et je doute que ce soit dans l’intérêt du développement des enfants.»

Pour ce responsable d’institution de formation, l’école vaudoise reste lourdement marquée par le passage à sa tête de certaines personnalités politiques et de leur idéologie: «Suivant les courants, tel cadre politique, avec plus ou moins d’autoritarisme, souhaite se montrer avant-gardiste en surfant sur les courants sociaux du moment. Ainsi, dans une intention initiale louable de lutter contre le harcèlement, nous avons vu différents «experts» arriver dans le panorama de l’instruction publique. En y regardant de plus près, on se rend compte que ces personnes sont bien souvent des promoteurs et militants de la diversité des genres.» Dans un contexte de changement récent de ministre de tutelle, de la socialiste Cesla Amarelle au PLR Frédéric Borloz, notre interlocuteur relève des fluctuations dans la force de ces tendances. «Reste que sur le terrain, nous sommes ballottés de quinquennat en quinquennat à propos de réalités qui, paradoxalement, font partie des invariants de la nature humaine.»

Symboles «genderqueer», à gauche du ballon de basket, ou «bigender», en haut à droite, apportent une coloration très particulière à ce dépliant destiné aux parents d’élèves de 6 à 15 ans. La notion de «respect de soi, des autres, des différences et des limites» intervient dès l’âge de 9-10 ans d’après les explications de la page 2 (à droite). A relever que les différentes notions, telles que les genres ressentis, non binaires et autres, s’inscrivent dans une volonté de présenter une «information objective» et «scientifiquement correcte». Une question qui ne manquera pas de souligner la possible contradiction entre cours de biologie et catéchisme progressiste. Profa

Le canton se défend

N’est-on pas en train d’aller trop loin, comme le craint ce pédagogue? Nous avons posé la question au Département de l’enseignement et de la formation professionnelle, qui a validé le dépliant. Ce dernier commence par nous rappeler le cadre suivant: le service d’éducation sexuelle de la fondation PROFA dispense les cours d’éducation sexuelle auprès des élèves de la scolarité obligatoire du canton de Vaud, sur mandat du Canton, sous l’égide de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. L’éducation sexuelle fait partie des politiques publiques de santé et d’éducation. «Sur la présence des pictogrammes que vous pointez, nous pouvons ajouter qu’ils contribuent à des objectifs de prévention qui sont dans la Loi sur l’enseignement obligatoire du 7 juin 2011 et plus précisément son Règlement d’application», explique son responsable de la communication, Julien Schekter. Il cite à l’appui deux articles. Le premier dispose que «le département soutient, par l’information et la communication, des actions visant à réduire les inégalités, notamment celles liées à l’origine sociale ou ethnique des élèves ou à leur orientation sexuelle». Quant au second, il exige que «les élèves développent une attitude constructive et respectueuse d’autrui. Ils s’abstiennent de tout acte de violence physique, verbale, psychologique ou à caractère raciste, sexiste ou homophobe, de même que de tout propos méprisant se rapportant à l’apparence physique ou à l’appartenance sociale, religieuse ou ethnique des autres élèves, des adultes qui les entourent, ou de toute autre personne». Une attitude qu’il faudra donc désormais ajuster au ressenti des personnes qui s’identifient à des réalités parfois peu claires. «Nous pouvons par ailleurs vous indiquer que PROFA remplit son mandat à l’entière satisfaction des autorités cantonales et ce depuis de nombreuses années», conclut Julien Schekter.

Pas certain que ces explications suffisent à apaiser le cadre que nous avons pu contacter à condition de protéger scrupuleusement son anonymat: «Aujourd’hui, comme pédagogue, je me retrouve devant une situation ubuesque: je dois m’assurer de préparer la jeunesse à se sentir appartenir à une société de demain de manière harmonieuse et cohérente et je dois faire cela en promouvant un état d’esprit général qui dit que la plupart des fondements de ce qui nous permet de «faire société» est variable, flou, fluide, relatif. On peut, dit-on aux enfants, devenir tout ce que l’on veut car le sentiment individuel prévaut sur la réalité objective. Comment les aider à se construire dans un tel contexte? Et comment les aider à construire la «maison commune de demain» quand on encourage et valide, dans les faits, la subjectivité de chacun et de tous. J’ai crainte que cela ne soit que le début d’une grande fragmentation de la société.»

Des ados initiés au gode-ceinture:
quand une brochure suisse suscite la colère des parlementaires

Si la brochure de PROFA peut surprendre en introduisant des catégories de «genres» nouvelles auprès des petits Vaudois, une autre fait carrément l’objet d’une dénonciation pénale en raison de son caractère incitatif. Il s’agit de la brochure Hey You, destinée aux écoliers suisses dès douze ans. Réalisée par Santé Sexuelle Suisse – avec le soutien de l’Office fédéral de la santé publique –, cette dernière aborde des thèmes comme l’anulingus, la bonne utilisation des plugs ou des sex toys en général. A l’origine de la plainte contre ce document, l’association Initiative de protection. Le conseiller national PDC Benjamin Roduit est membre de son comité. Pour lui, un même état d’esprit anime les concepteurs de ces différents documents: «La stratégie de ces personnes consiste à dire aux écoliers qu’il est normal de sortir de la norme, mais aussi et surtout qu’ils devraient essayer. Il n’y a même pas besoin d’argumenter quinze ans: nous devons simplement refuser que ces gens, qui nient la distinction entre les sexes, ne touchent à nos enfants.»




Les causes sacrées de la discorde

«One Love», c’est ce que qu’avaient annoncé plusieurs fédérations de football européennes en septembre dernier en vue de la Coupe du monde de football au Qatar. Malheureusement pour elles, la FIFA a annoncé, juste avant le match Angleterre-Iran, que les équipes qui porteraient le brassard frappé du slogan et des (incorrectes) couleurs arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ seraient frappées de «sanctions sportives». Par ce terme, on n’entend pas de simples amendes mais bien un carton jaune dès le début du match pour les joueurs de balle au pied un peu trop rebelles. Les sept fédérations européennes qui prévoyaient de montrer leur soutien (l’Angleterre, le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) ont alors rapidement fait demi-tour et décidé d’abandonner leur signe de soutien.

Adrian Arnold, responsable de la communication de l’Association suisse de football (ASF), justifie le choix d’abandonner le signe de soutien: «En tant que fédération nationale, nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans une situation où ils risquent des sanctions sportives, y compris l’expulsion. C’est regrettable, parce que nous voulions faire passer un message positif.» Il promet cependant de reprendre le combat pour l’inclusivité, une fois l’événement qatari terminé: «Nous ferons passer ce message à l’extérieur à d’autres occasions. Cette décision de la FIFA ne change rien à nos valeurs. Nous défendons le respect, la tolérance et la solidarité.»

Un brassard peu précis

Ce volte-face de la FIFA est considéré comme «ridicule» par Roman Heggli, secrétaire général de Pink Cross, l’association faîtière des organisations gays en Suisse: «Premièrement, le brassard a déjà été critiqué au préalable parce qu’il est absolument apolitique et n’utilise pas les bonnes couleurs de l’arc-en-ciel. Le lien avec les personnes LGBT+ doit donc être recherché. Mais même ça, c’est trop pour la FIFA!» Il reste moins sévère avec l’ASF: «D’une certaine manière, je peux comprendre que l’équipe nationale suisse s’incline, car la décision de la FIFA est prise à court terme. Je me pose plutôt la question suivante: pourquoi les associations de football se laissent-elles faire et se laissent-elles mener par le bout du nez par la FIFA? Il est donc bien plus important que les fédérations interviennent auprès de la FIFA et exigent des changements structurels ou quittent la FIFA.»

Une organisation bien silencieuse

La FIFA a plié face à l’organisateur mais va certainement inciter à porter le brassard d’ici quelques semaines. On peut dès lors se demander si la fédération utilise les personnes LGBT+ comme faire-valoir moral, sans réelle conviction. Une piste que n’ignore pas Roman Heggli: «La FIFA a toujours été indifférente aux personnes LGBT+ et continuera malheureusement à l’être. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la Coupe du monde 2018 ait eu lieu en Russie et la Coupe du monde 2022 au Qatar. Et il n’y a toujours pas de mesures réelles pour soutenir les footballeurs professionnels queer et combattre l’hostilité LGBT+ dans le football.» Les enjeux LGBT+ ne sont d’ailleurs pas les seuls thèmes habituellement très prisés par la FIFA qu’il valait mieux ne pas trop aborder lors de la Coupe du monde. Les actes de protestation en faveur des droits de l’homme en général, sur les pelouses ou dans les gradins, ayant été accueillis avec une certaine fraîcheur par les autorités qataries.

Contactée par courriel, la FIFA n’a pas donné suite aux questions que nous souhaitions lui poser, à savoir si elle avait cédé suite à des pressions et, si tel était le cas, de la part de qui.

Pour conclure, soyons rassurés, les Verts veillent au grain dans cette affaire. Le parti écologiste a fait preuve d’une bravoure inouïe en déclarant vouloir déposer un texte au Parlement fédéral demandant que la FIFA soit imposée au même titre que n’importe quelle entreprise de sa taille. Est-ce que cela va fonctionner comme avec le CO2, soit demander plus de taxation pour réparer le monde?




Le blues de l’ingénieur

Recenser, classifier, documenter les dérives de la pensée déconstructionniste: voilà la tâche que s’est assignée un jeune ingénieur romand, avec son site balance-ton-woke.com. Depuis plusieurs semaines, il ne se passe pas un jour sans que ce scientifique relève les mots d’ordre progressistes des institutions, la négation des réalité biologiques dans les discours officiels ou les entreprises de destruction de la civilisation. L’auteur, pourtant, n’a rien d’un obsessionnel: sa démarche s’inscrit dans un ras-le-bol perceptible chez les employés du secteur tertiaire, lassés de subir les injonctions de plus en plus autoritaires d’un capitalisme woke. Mois des fiertés noires, homosexuelles ou féministes… De plus en plus de sociétés imposent en effet à leurs travailleurs de communier dans des valeurs et des univers moraux situés très loin des activités de leur corps de métier.

Nous avons rencontré Thomas*, fondateur du site, pour comprendre sa démarche.

Pourquoi ce site?

D’abord, j’ai réagi à des courriels révoltants qu’on me faisait remonter de l’Université de Lausanne ou de l’EPFL. Ces messages proposaient par exemple des ateliers réservés à telle ou telle catégorie de personnes, en fonction de leur sexe notamment. La création de toilettes non genrées dans certaines de ces institutions ou dans une piscine lausannoise, aussi, fait partie des choses qui m’ont poussé à vouloir collecter toutes les informations de ce type pour que les gens se rendent compte que le wokisme n’est plus un délire d’universitaires isolés, mais quelque chose qui étend réellement son emprise sur leur vie.

Pourquoi ce choix de l’anonymat? N’auriez-vous pas plus de force en sortant du bois?

Je ne suis pas quelqu’un d’engagé publiquement: j’agis comme ingénieur et ancien étudiant. Il faut voir que je reçois de plus en plus de courriels des ressources humaines de mon entreprise qui sont totalement délirants. On nous organise des événements sportifs réservés aux femmes de la boîte, par exemple, et si ma société n’a pas encore participé à la Pride, on sent que ça va venir. D’autres boîtes du même type que la mienne le font déjà officiellement.

Vous pensez que cela dénote un certain arrivisme?

Même pas! Ma directrice des ressources humaines (DRH), par exemple, veut bien faire et croit participer à un vaste progrès sociétal. Au vu des réactions de mes collègues, de plus en plus excédés de recevoir des messages qui n’ont rien à voir avec le travail alors qu’ils n’avaient pas particulièrement d’avis sur ces questions, l’effet paraît clairement contre-productif.

Au-delà de votre entreprise, comment le wokisme est-il perçu chez les ingénieurs?

Je suis dans un monde où les gens sont plutôt rationnels et se braquent quand on leur parle de religion, chose à laquelle ils sont souvent très imperméables. Toutes les histoires de mecs qui tombent enceints, dans le fond, ils s’en fichent et restent un peu passifs, pour les mêmes raisons. C’est dommage parce que dans leur grande majorité ils trouvent ça parfaitement débile.

Vous avez le sentiment que certaines entreprises perdent la tête?

Évidemment. Nous avons récemment reçu un message de notre DRH qui nous appelait à changer les mentalités sur toute une série de sujets sans lien avec notre activité. Je suis navré, mais le rôle d’une entreprise est d’assurer sa rentabilité, et c’est tout. Il y a eu, par le passé, des patrons sociaux. Cela n’avait toutefois rien à voir. Il s’agissait de garantir des conditions de vie dignes aux employés, pas d’une vaste entreprise de rééducation des employés.

Vous êtes un catholique engagé. Cela a-t-il une influence sur votre projet?

Je ne crois pas. Ou alors peut-être dans la mesure où c’est parce que je suis catholique que je me sens conservateur. Mais résumons les choses ainsi: le projet des wokes est de donner naissance à une génération de déracinés. Au contraire je revendique mes origines, j’ai reçu un héritage et je compte bien le transmettre à mes enfants, même si ça déplaît à certains.

*Prénom d’emprunt




Et à la fin on ne gagne même pas de médaille

Enfin peut-être pas encore l’univers tout entier mais en tout cas la sacro-sainte «sobriété énergétique» avec laquelle nous devrions fêter Noël cette année. Sa solution: faire contribuer les visiteurs et les visiteuses (on s’en voudrait de ne pas le préciser comme sur la RTS) de la place des Halles et du Jardin anglais à l’éclairage des animations lumineuses en les faisant pédaler sur une série de deux-roues installés sur les deux sites, dès le 7 décembre. «C’est une façon astucieuse et sportive d’allumer la magie de Noël et de créer de l’énergie positive pour fêter tous ensemble ce passage de l’année si propice aux retrouvailles», tente la conseillère communale chargée de l’économie et du tourisme, Violaine Blétry-de Montmollin, dans une novlangue qui sent davantage l’infantilisation que le vin chaud.
«Créativité» et «innovation», donc, seront de mise pour chasser les inquiétudes de cette fin d’année. Oubliés, les gamins qui ont pris froid à cause du chauffage coupé! Oublié, tonton qui a perdu son boulot pour avoir appelé «monsieur» ou «madame» un délégué LGBT non binaire. Et, même si nous devenons un pays du tiers-monde comme les autres, oubliée enfin la mauvaise humeur de boomer nostalgique de décennies dorées. Car la voilà la belle nouvelle: nous pouvons désormais nous gargariser de faire vivre avec nos impôts des gens qui savent rendre notre effondrement ludique! Peu importe, dès lors, que cette classe politique soit par ailleurs incapable de trouver des solutions concrètes aux problèmes de la population, comme le coût des énergies… Alors qu’on nous pardonne d’avoir l’audace de demander à nos zélites de décerner une médaille à ceux qui, par la force de leurs mollets, auront émerveillé les enfants avec des décorations scintillantes, et certainement garanties sans références chrétiennes. Sûr qu’avec un tel degré de mépris des contribuables, il y a bien à Neuchâtel, Genève ou Fribourg (qui vont aussi s’y mettre) quelque Soviet suprême susceptible d’honorer un ou deux décérébrés modèles.

On fera comme si on n’avait rien entendu

Utiliser une citation d’Éric Zemmour défendant la préférence nationale pour en faire un apologète du racisme bête et méchant, c’est l’élégante passade dont notre radio d’Etat s’est récemment fait l’autrice dans son émission Tout un monde. Alors on ne va pas se mentir, dans un premier temps, le journaliste concerné a «catégoriquement refusé» les accusations du parti du «Z» qui, avec un soupçon de mauvaise foi, se demandait si par hasard la RTS ne serait pas plus à gauche qu’à droite. Un refus catégorique qui n’a cependant pas empêché l’émission de mentionner qu’une petite erreur avait été commise à l’antenne, histoire de faire la paix avec la formation «Reconquête!». On est bien, on est copains, et maintenant que ce moment désagréable est derrière nous, on se réjouit de rallumer la radio de la voiture pour découvrir à quel point la masculinité est toxique, la droite méchante et Léonore Porchet admirable, mais sans erreur de montage aucune cette fois.




Sol invictus

Le conseiller national valaisan PLR Philippe Nantermod n’est à l’évidence pas de cette race. L’entretien, dûment pesé et validé, qu’il nous livre en pages deux et trois ne retranche en effet rien du fond de sa pensée. Non, il ne regrette absolument pas les mesures qu’il a prônées en temps de crise Covid, même si elles pouvaient paraître autoritaires. Non, il n’aime vraiment pas l’idéologie écologiste et, à contre-courant du discours médiatique dominant, le voilà même qui affirme, décomplexé, que «la logique de la décroissance, c’est du bullshit.» Est-on tenu de goûter chacune de ses saillies ? Pas nécessairement. On peut se considérer de droite et juger, par exemple, que le style de campagne politique «à l’américaine» qu’il vante dans nos colonnes n’a rien à faire en Suisse. On peut se reconnaître dans des valeurs libérales, ou conservatrices, ou un peu des deux, et mépriser allégrement la vulgarité de tel ou tel éléphant peroxydé parachuté dans un bureau ovale, tel ou tel inculte pérorant de l’Elysée. Reste que nous avons à cœur, avec Le Peuple, d’en finir avec le crime de pensée, cet ultime blasphème des démocraties avancées. Ce qui mine le débat public, ce ne sont pas les «provocations de trop» qu’on nous jette au visage édition après édition dans les médias installés, mais la perte d’un discours authentique, viril oserons-nous même, dans le champ politique, voire scientifique. Aussi avons-nous le plaisir de diffuser la chronique, en page sept, d’un livre qui dénonce une «crise climatique par anticipation» et tacle sans complexes ces «éco-anxieux» qui font de leur hyper-sensibilité une justification pour aller saloper des toiles de maîtres dans des musées, se coller la main sur les routes et ruiner un peu plus l’école publique. Et pourtant, là encore… Nous croirez-vous si nous écrivons ici qu’il y a, dans le milieu qui gravite autour de ce titre, autant d’optimistes qui voient des «opportunités» dans le réchauffement climatique que de pessimistes qui estiment que l’humanité va dans le mur avec son mépris de la maison commune?

Autrefois, la célébration de la naissance du Christ avait remplacé celle de Sol Invictus, le Soleil invaincu jusque-là vénéré au sein de l’armée romaine. Tandis que s’effondre paisiblement l’héritage chrétien, sans que ceux qui ont la charge de le défendre semblent s’en émouvoir plus que cela, peut-être le soleil nous montre-t-il à nouveau sa nature profonde, à jamais invaincue. Que notre mode de vie survive ou non aux bouleversements climatiques qui s’annoncent, qu’il puisse même en tirer des bénéfices comme l’affirment certains, n’est pas une question de notre ressort. Ce qui ne change pas, c’est le tragique de notre condition, décrite en son temps par le livre de l’Ecclésiaste, avec sa résignation caractéristique: «Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau».