Le saut de la foi d’une radio chrétienne

Chaîne ouvertement confessante, RADIO R a choisi de gonfler sa facture annuelle pour désormais toucher le public de toute la Suisse romande. Son directeur nous explique pourquoi, en matière religieuse, il vaut souvent mieux éviter de tourner autour du pot.
De gauche à droite : Errol O’Conner technicien, Elene Melzi Zagara, journaliste productrice famille, Daniele Zagara, émissions dominicales et accompagnant spirituel, Christine Reymond journaliste réalisatrice, Francois Reymond animateur et technicien, Prisca Burkhardt marketing partenaires, Serge Carrel journaliste actu, Jean-Daniel Chevalley archiviste bénévole, Emmanuel Ziehli directeur. DR
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Emmanuel Ziehli, pourquoi ce développement est-il si important pour votre radio?

Il existe quatre grands diffuseurs en Suisse. Nous étions chez Digris, qui vise les agglomérations et permet à des initiatives locales ou associatives de s’exprimer. Aujourd’hui, nous passons chez Romandie Médias SA, la société qui assure la diffusion du DAB+ (n.d.l.r.: radiodiffusion numérique) des grandes radios privées de Suisse romande. Pour dire les choses simplement, cela correspond à un passage de la première ligue à la ligue A pour un club de foot: notre couverture sera intégrale et sans faille partout en Suisse romande. La radio étant une chose qui s’écoute beaucoup en voiture, cela nous permettra de ne plus frustrer les gens en déplacement qui faisaient trop souvent face à des coupures.

En revanche c’est un défi…

Oui, un défi énorme et surtout un pas de foi. Notre budget annuel a été porté à environ 800 000 francs alors que notre activité est régulièrement déficitaire. Nous cherchons du reste des sponsors pour les 55 antennes qui assurent désormais une diffusion maximale.

Votre situation est-elle si périlleuse que ça? Vous possédez tout de même certaines ressources.

Oui, bien sûr que nous en avons, mais elles ne sont pas inépuisables non plus. Nous possédions un petit parc immobilier que nous avons décidé de vendre à partir de 2014. Nous sommes alors partis sur huit ans d’investissements pour d’abord apprendre à faire de la radio, via Phare FM (n.d.l.r.: un réseau de radios chrétiennes évangéliques fondé en 1989 à Mulhouse), puis prendre notre indépendance pour devenir Radio R le 9 janvier 2019.

Aujourd’hui, vous avez le sentiment d’avoir trouvé votre public?

Pas complètement. Je m’attends à continuer notre expansion car nous allons gagner des régions, dont le Jura et Jura bernois, où la concentration de chrétiens, en particulier protestants évangéliques, est importante.

Vous n’avez toutefois pas que des chrétiens de cette sensibilité qui vous écoutent…

Oui, nous avons de nombreux catholiques parmi nos auditeurs, ce qui nous réjouit. On le repère au niveau des témoignages que nous recevons, notamment. Nous avons par exemple, en Valais, une femme qui nous a raconté comment notre radio l’avait portée durant une grossesse difficile lors de laquelle elle avait dû rester alitée plusieurs mois. Dans ce message, elle expliquait comment, peu après, elle et son mari avaient choisi des musiques de notre radio pour le baptême de l’enfant, ce qui laissait clairement entendre qu’il s’agissait de catholiques. C’est génial, ce genre de récits.

Quelle importance accordez-vous à l’unité des chrétiens?

Au démarrage, en 2015, une amitié s’est vite consolidée avec le père Vincent Lafargue, dont nous avons enregistré les premières Twittomélies. Ces courtes prédications sont désormais reprises en France, y compris par d’autres radios protestantes. Autre exemple, dans Célébration, notre émission du dimanche matin, nous donnons six messages de dix minutes destinés en particulier aux esseulés et à ceux qui ne peuvent plus se rendre dans un culte ou une messe. Nous tenons à ce que les trois grands courants, catholique, réformé et évangélique, y soient représentés.

Cela montre aussi que le succès est possible quand on ne cache pas que l’on effectue un travail ouvertement chrétien.

En réalité, nous avons beaucoup tourné autour de ce pot-là. Quand nous n’étions encore que producteurs, nous tentions de faire des émissions dans la «suggestion» du divin, dans la recherche du «mystère» de Dieu, afin de passer sur des chaînes comme RTL, RMC, Europe 1… Il fallait donc être un peu passe-partout alors qu’aujourd’hui nous nous sommes mis d’accord autour d’un concept: parler de Dieu intelligemment. On voit beaucoup de manières maladroites de parler du divin, parce que les gens croient avoir tout compris du Saint-Esprit, de la louange ou des sacrements… Loin des extrêmes, nous préférons garder un regard «moyen», dire les choses simplement, sans cacher que nous sommes confessants. Nous croyons au Christ ressuscité d’entre les morts, voilà, c’est comme ça.

Quand on a la foi, il vaut mieux jouer franco, en somme?

Oui, mais encore s’agit-il de faire les choses avec le bon esprit. Nous avons décidé de dire ce que les chrétiens font de mieux, pas de perdre notre âme dans des débats qui nous divisent. Cela passe souvent par l’évocation des œuvres des chrétiens dans le monde associatif par exemple. L’an dernier, une de nos émissions les plus écoutées concernait l’engagement des croyants pour aider les réfugiés ukrainiens. Nous voulons montrer que quand le monde traverse des crises, les chrétiens se lèvent toujours. On l’oublie parfois, mais c’est un pasteur évangélique qui a créé la Croix-Rouge, par exemple.

Pensez-vous que ce choix de la franchise devrait davantage inspirer nos Églises?

L’ère post-chrétienne qui est la nôtre annonce des persécutions à venir. Est-ce que nous ne risquons pas de finir en prison, dans un futur pas si lointain, pour avoir annoncé que le plan de Dieu pour la famille est qu’un homme et une femme s’unissent pour avoir des enfants, sans avoir été suffisamment inclusifs dans la formulation? Dans ce contexte, je crois que les grandes Églises devraient se reconnaître les unes les autres sous le label chrétien, se réjouir les unes des autres, prier les unes pour les autres, en particulier quand elles rencontrent des difficultés. Quand l’Église catholique traverse des turbulences, je ne me dis pas «ouf, ce n’est pas chez nous»; je prie pour elle. J’espère qu’il en ira de même lorsque ce seront les évangéliques qui connaîtront des soucis. Il ne s’agit pas là de faire de l’œcuménisme, mais de travailler à l’unité, ce qui n’est pas la même chose: l’œcuménisme est une soupe de légumes où l’on introduit toutes sortes de choses que l’on mixe avec pour résultat qu’on n’y voit plus rien. L’unité des chrétiens est une salade de fruit: une mandarine, une pomme, un ananas garderont leur forme et leur saveur propre, mais le plat aura belle allure et on aura envie de le manger.

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