Sus à l’éco-anxiété!

Nouvellement entré dans nos dictionnaires, le terme «éco-anxiété» est un mot omniprésent tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. D’habitude, peu m’en chaut et je passe mon chemin en secouant la poussière de mes sandales. Jusqu’au jour où… L’an dernier à la fin des cours, un groupe d’élèves s’approche de mon bureau. Ils m’expriment leur lassitude à force d’ingurgiter des cours traitant d’écologie tout en les culpabilisant. Je leur demande d’être plus précis. On m’explique alors qu’outre le cours de géographie, les cours de langues (anglais et allemand) comprennent des modules leur distillant la bonne parole écologiste et que toute remise en question est bannie. Bien plus encore, le cours de musique sert de vecteur à l’idéologie écolo-gauchiste. Ce jour-là, derrière mon bureau, je n’ai su que leur répondre. En écrivant ces lignes je pense à eux…

D’habitude, les livres «scientifiques» m’ennuient et je dois me faire violence pour les lire. Ce ne fut pas le cas avec l’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay. L’auteur, qui fut longtemps rédacteur en chef de la revue scientifique La Recherche, possède un indéniable sens de la vulgarisation sans jamais tomber dans la simplification outrancière. Avec ce livre, nous sommes conviés à une odyssée, celle de l’espèce humaine, qui nous fait parcourir notre globe sur près de 30’000 ans.

Une réalité indubitable

D’aucuns doivent se dire que l’auteur de Sapiens et le climat doit être un climatosceptique de plus issu de la nébuleuse conspirationniste. Que nenni, Olivier Postel-Vinay considère que le réchauffement climatique est une réalité indubitable. Cependant, il rejette les exagérations qui semblent bien souvent empreintes d’idéologie et de préconcepts discutables, et ce même chez certains scientifiques ou ONG. En fait, selon l’auteur, nous vivons un optimum climatique comme le monde en a déjà connu notamment aux temps des premiers empereurs romains et des croisades.

Ce livre prend en compte la recherche scientifique – notamment la paléoclimatologie – des vingt dernières années, qui a modifié en profondeur la vision que nous avons de l’histoire de l’humanité: l’époque néolithique et son réchauffement climatique (plus important qu’aujourd’hui) qui a permis de nombreuses innovations, la chute de l’empire romain et le rôle central qu’y joue le climat, la fin des Incas et des Mayas, la Révolution française.

Les Philippulus de la décroissance et autres zélotes, qui brandissent comme un étendard le graphique en forme de «crosse de hockey» en nous prédisant la fin du monde, devraient sortir de leur conformisme idéologique et oser lire le livre d’Olivier Postel-Vinay. Pourquoi? Tout d’abord, il pourrait corriger leur bannière. Ce fameux graphique où l’on voit une ligne presque plate durant 2500 ans et qui monte en une diagonale infernale au début des Trente Glorieuses n’est pas crédible. Qu’en est-il des périodes chaudes comparables à la nôtre: entre 100 avant et 200 après Jésus-Christ, entre 1000 et 1300, entre 1920 et 1940? «La canne de hockey» devrait plutôt ressembler à un serpent ondulant.

La conclusion d’Olivier Postel-Vinay relève que, dans le cadre de notre optimum climatique, il faut souligner que trois éléments sont nouveaux: «Le premier est que les pays riches ont acquis les moyens de lisser les microcrises climatiques qui les affectent […]. Le second est qu’en raison de la conjonction entre les progrès de l’industrie et la croissance vertigineuse de la population mondiale, la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre que nous y injectons a atteint un niveau supérieur à tout ce que Sapiens a pu connaître depuis son arrivée sur terre. Ce qui conduit au troisième élément nouveau: nous vivons une crise climatique réellement sans précédent, en ce qu’elle se fonde non pas sur des bouleversements concrets entraînés par un changement climatique catastrophique, mais sur l’inquiétude générée par des scénarios élaborés par des spécialistes sur une crise à venir. Pour la première fois Sapiens vit une crise climatique par anticipation.»

L’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay est autant purgatif que roboratif. Il nous permet d’éliminer l’éco-anxiété de notre intelligence tout en fortifiant notre entendement. En effet, il nous montre que, si les changements climatiques ont parfois été la cause de l’effondrement de certaines sociétés, ils ont aussi été le moteur des plus grandes innovations.

Olivier Postel-Vinay, Sapiens et le climat – Une histoire bien chahutée, Paris, Presses de la Cité, 2022.




La civilisation du jardin d’enfants

Il fait froid? Sous prétexte de sobriété énergétique, vos élus vous rappelleront de porter des pulls et de boire du thé. Vous ne voulez pas faire exploser votre facture de gaz? Un prix Nobel vous apprendra la cuisson passive de vos pâtes, avec la douce reconnaissance de la marque Barilla. Et tant qu’à économiser l’eau chaude, pourquoi ne pas aussi prendre vos douches à deux, comme l’a brillamment suggéré la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, dans le Tages-Anzeiger? Ces exemples, authentiques, illustrent bien le climat mental qui règne actuellement dans des démocraties au sein desquelles le pouvoir politique se déguise de plus en plus souvent en Mamie les bons tuyaux, au lieu de plus modestement créer les conditions-cadres de la liberté de ses administrés.

Dernier exemple en date, la polémique autour de la méthode éducative consistant à envoyer les enfants se calmer, si besoin, dans leur chambre. Au début du mois d’octobre, un échange de mails obtenus par Le Figaro laissait entendre que le procédé, apparemment indolore, risquait fort d’être désormais combattu par la division des droits des enfants au Conseil de l’Europe, après avoir été vantée en 2008. Une instance sans grande légitimité démocratique, dirigée par une inconnue – Regina Jensdottir – et qui entre dans les foyers pour nous guider jusque dans nos pratiques éducatives… Et vous osez encore dire du mal des régimes autoritaires? Une levée de boucliers plus tard, on apprenait cependant que la chose n’était plus si sûre finalement, malgré les cris de joie des associations de défense des enfants, tout heureuses de voir s’effondrer un nouveau vestige de l’ancien monde: le droit d’imprimer une certaine culture familiale chez soi. Reste que le tout-positif en matière d’éducation semble avoir le vent en poupe. Ainsi, un récent papier du magazine Elle présentait des choses aussi bégnines que la privation d’écran pour un enfant malpoli comme une «violence morale».

Déresponsabiliser les parents pour produire des citoyens responsables

Que dit la Suisse du «time-out», la punition consistant à mettre à l’écart des enfants insupportables? Au niveau officiel, pas grand-chose. «La protection de l’enfant relève en premier lieu de la compétence des cantons et des communes», explique Sabrina Gasser, de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). «En tant qu’organe de la Confédération responsable de la politique de l’enfance et de la jeunesse, l’OFAS soutient les acteurs compétents pour la protection de l’enfant en élaborant des rapports de fond et des études, ainsi qu’en encourageant les échanges d’informations et d’expériences.» Et de nous renvoyer aux travaux en cours sous la Coupole fédérale à propos des deux objets visant à interdire la violence éducative défendus par la conseillère nationale du Centre (ex PDC) Christine Bulliard-Marbach.

Il faudra donc se rendre chez les partenaires pour vérifier si, réellement, ce que les gens du commun ont longtemps considéré comme une sanction tout à fait civilisée ne relève pas en réalité de la barbarie la plus infâme. Et l’on découvre, effectivement, que le Conseil de l’Europe ne s’est pas mis à délirer seul dans son coin puisque la méthode, «prêtant à de nombreuses interprétations – plus ou moins fondées sur la bienveillance – est beaucoup controversée», aux dires de Tamara Parham, de la Protection de l’enfance Suisse. Elle, de son côté, prône une posture constructive, soit «un mode d’éducation et une attitude où les parents assument leur rôle d’adultes et leur responsabilité en tant qu’éducateurs.» Son but est de permettre le développement, chez l’enfant, d’une «personnalité autonome et ayant un caractère affirmé.» Une personne, autant le dire tout de suite, qui aura bien du mal à supporter que des gens payés par ses impôts lui expliquent comment cuire ses pâtes.

Et cette méthode du «time-out», finalement? «Si celle-ci consiste à prier l’enfant avec bienveillance de prendre un moment pour lui, pour se calmer ou l’inviter à la réflexion, ou bien si elle nous offre la possibilité en tant que parent de retrouver un peu de sérénité, nous ne la concevons pas comme une mesure violente», note Tamara Parham. Elle estime même qu’elle peut être salvatrice et éviter que des situations tendues ne dégénèrent. Mais tout n’est pas si simple: «La manière dont la requête est formulée nous semble en revanche déterminante et n’est pas à confondre avec une exclusion affective ou une mise au coin, qui sont des formes de violence.»
Prié de porter des pulls bien chauds et de boire du thé l’hiver par ses bons maîtres, le citoyen de demain sera aussi prié… de prier son enfant de le laisser tranquille quand il est insolent. Gageons qu’à ce rythme, il n’y aura bientôt plus que l’éducation qui pourra être dite «positive» dans les rapports sociaux.




« Ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne »

Pourquoi l’infantilisation des adultes explose-t-elle en même temps que la «sur-responsabilisation» des enfants?

Il y a clairement à notre époque un brouillage des catégories d’âge, comme il y en a pour le genre, etc., — mais pour l’âge, c’est en fait plus intéressant, puisque personne ne conteste qu’un enfant, ontologiquement, ça n’est pas la même chose qu’un adulte. Il y a bien eu des tentatives, par exemple les tribunes pédophiles pour exiger la libération de la sexualité de l’enfant, mais, à la différence d’autres discours qui n’ont fait que prendre une ampleur croissante en dépit de leur caractère souvent délirant, ceux-là ont été refoulés et sont massivement regardés avec horreur aujourd’hui.

Pour ma part, je pense que le point central est le refoulement de la possibilité d’être adulte pour l’être humain dans nos sociétés, avec notamment la forclusion du pater familias à l’ancienne, réel ou fantasmé. On refuse peut-être moins aux femmes d’être adultes; ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne. Cette dernière est peut-être rejetée comme idéal-type largement imaginaire, d’ailleurs, vu le caractère faussé, idéologisé, de notre rapport au passé, tant chez ceux qui sont du côté de la pression favorable aux évolutions sociétales, paradoxalement, que chez ceux qui s’y opposent.

Comment expliquer cette pression sur la figure du père à l’ancienne?

Il me semble qu’au cœur de ce personnage-repoussoir («masculinité toxique», etc.) il y a la figure d’une sorte de dureté non influençable, faisant obstinément les choses à son idée, indifférente aux modes comme aux mots d’ordre, mais investie d’une sorte de rôle de gouvernement de la cellule familiale et personnifiant la répression des pulsions jusqu’à la dureté et à l’insensibilité. J’ai tendance à croire que l’origine de ce brouillage est là, dans la volonté de produire un «néo-adulte» qui ne contrôlerait pas ses pulsions (ce qui est paradoxal à l’heure des discours de plus en plus contraignants sur le «consentement»!) et ne réprimerait pas non plus celles des autres selon une (ancienne) norme morale. La production en masse de tels néo-adultes a en effet été nécessaire pour le plein déploiement de la «société de consommation».

Si l’on continue de tirer ce fil, on arrive à un personnage qui doit avoir des pulsions d’adulte – notamment, une sexualité toujours en éveil, mais moyennant une libido capable de s’investir de façon très mobile et fluide dans tout et n’importe quoi – sans avoir la capacité de lui opposer une volonté qui y résiste. Le néo-adulte est, pour paraphraser la formule hobbesienne d’«enfant robuste», un pervers polymorphe robuste, c’est-à-dire capable non seulement de désirer n’importe quoi, mais encore d’accéder effectivement à l’objet de ses désirs démultipliés.

Je pense au fond que la fixation de notre époque sur la pédophilie est un vrai symptôme: il n’est pas exagéré de dire que ce qui est regardé comme la suprême horreur à une époque donnée est en même temps ce autour de quoi elle gravite sans vouloir le savoir. L’infantilisation de l’adulte (centrée autour de la destruction de la figure de la maîtrise morale de soi) est l’envers d’une «adultisation» de l’enfant précocement sexualisé. Il y a vraiment un faisceau d’indices convergents à cet égard.

Y a-t-il devant nos yeux une vertu chrétienne («Vous serez semblables à des enfants…») devenue folle, pour parler avec Chesterton?

C’est une très bonne question. Il faudrait creuser le motif théologique, spirituel et moral de la «vertu d’enfance». Le passage à l’âge adulte comporte souvent une forme de perte de spontanéité, de capacité d’enthousiasme, voire d’auto-enchantement – cette faculté merveilleuse qu’ont les enfants de se projeter à volonté dans l’espace imaginaire du jeu – à laquelle se substitue trop souvent, chez l’adulte, un esprit de sérieux qui, à la vérité, est paradoxalement un enfoncement un cran plus loin dans l’illusion, au sens où cet esprit l’empêche de voir la dimension profondément imaginaire du jeu social dans lequel il se trouve pris. L’imaginaire adulte est collectif, imposé, capté par des fictions sociales (l’argent, par exemple), à la différence de celui de l’enfant qui pose selon son bon plaisir la convention qui va gouverner son jeu et parvient à y adhérer le temps du jeu.

L’enfant, certes, est naïf, mais il a une capacité de s’émerveiller de ce qui est merveilleux, de se prêter au jeu sans juger d’avance, etc. L’adulte croit souvent qu’il sait – par exemple, que le bonheur n’est pas possible, que Dieu n’existe pas, qu’il faut s’enrichir. Dans bien des cas, l’esprit de sérieux de l’adulte n’est qu’un esprit de conformisme, mi-parti de soumission et de cynisme.

En somme: l’authentique vertu chrétienne d’enfance s’oppose à l’endurcissement du cœur (comme quand la Bible dit que l’Eternel «endurcit le cœur de Pharaon»), c’est-à-dire, à une sorte d’opacification et de rigidification de la personne qui se bute dans son refus du bien et du vrai, comportant l’illusion délétère que son état de mort intérieure est une forme de lucidité supérieure. Mais la fausse vertu d’enfance que notre société valorise, ce serait une capacité préservée de se projeter dans l’espace du jeu en perdant une vue claire des limites entre rêve et réalité, pour redevenir capable de jouir du rêve même quand aucune réalité ne lui correspond. Produire le plaisir en court-circuitant le réel, c’est tout ce qu’a à proposer un capitalisme en fin de parcours, un capitalisme qui n’a plus à vendre aux sujets paupérisés que du vent.

Un tel phénomène existe-t-il dans la civilisation que vous étudiez?

Non. Je pense qu’il est corrélatif au déploiement de la société de consommation allant jusqu’au point où elle remodèle les esprits à un tel degré qu’un adulte ne rougit plus de se déplacer en trottinette, voir, jouit follement de l’image de soi sur une trottinette dans le regard des autres. On en est très loin dans la plupart des pays du monde, où la chose serait à cette étape encore aussi impossible que de revêtir les vêtements traditionnellement assignés à l’autre sexe ou se promener en couche-culotte.




Satire à vue

Qu’on se le dise: même pour les sujets sérieux, un peu de fantaisie s’impose et c’est tout naturellement qu’un repas avec les représentants d’un média de droite radicale devait se dérouler, selon notre suggestion, dans un restaurant libanais lausannois. Cuisine levantine au programme, donc, mais préparée par un chef chrétien, à en croire la grosse croix tatouée sur son avant-bras. Chrétienne, notre table l’est d’ailleurs aussi, mais à des degrés divers. «On ne cherche à représenter aucune communauté religieuse en particulier», explique «Illya», l’un des contributeurs principaux du site. Et ce même si le premier événement public organisé par le média accueillait un prêtre traditionnaliste français, l’abbé Raffray, bien connu des jeunes droitards, comme cette génération se nomme elle-même sur les réseaux sociaux. De fait, les deux rédacteurs identifient la défense d’un «ordre supérieur» et d’une certaine «anthropologie européenne» comme le cœur doctrinal de leur projet. Mais la discussion sur les définitions, à l’évidence, n’est pas celle qui les passionne le plus: «Aujourd’hui, quand tu affirmes aimer ton pays, on te dit déjà que tu es nazi, donc autant assumer toutes les étiquettes», tranche «Le Médisant».

S’il y a une étiquette qui ne sera jamais associée à La Hallebarde, cependant, c’est celle de tiède. «Illya» est d’ailleurs celui par qui le scandale est arrivé. L’un de ses textes, au ton particulièrement polémique, a poussé deux associations LGBT, Pink Cross et Los, à dénoncer l’œuvre de nos convives à la justice. «On s’autocensure souvent, mais celui-là est passé entre les gouttes», sourit-il. Il se défend, de même que son confrère, de prendre les homosexuels pour cibles en tant que tels. Ce seraient certaines outrances, comme la volonté – d’ailleurs aussi dénoncée par Le Peuple – de rééduquer la jeunesse, qui les auraient conduits à employer des mots très durs. Sans forcément vouloir blesser. Les deux amis expliquent que leur média, avec sa verve caractéristique, sert surtout de soupape à ceux qui, toute l’année, se farcissent de la «déconstruction» sociétale de masse. Des combats souvent marginaux, en termes de représentativité au sein de la population, mais qui occupent de plus en plus l’espace médiatique.

Le repas terminé, nous nous orientons vers le palais de justice de Montbenon. Tandis que des individus manifestement issus de la diversité tentent de forcer le cadenas d’une valise à quelques mètres, notre mini-séance photo débute. «Le Médisant» porte un maillot de foot de l’équipe tunisienne. Pourquoi, finalement, tenir absolument à leur anonymat? Les opinions qu’ils professent n’auraient-elles pas plus de poids si elles étaient exprimées en respectant des codes journalistiques habituels? La chose, expliquent nos interlocuteurs, n’est pas un but en soi mais leur site n’est pas ce qui les fait manger puisqu’il ne tourne qu’avec des dons. Ils souhaitent donc s’éviter d’interminables discussions à leurs postes de travail respectifs à propos de leurs écrits. «Ce qui me gêne, c’est qu’on ne va pas plus loin que les gens normaux dans les années 80», grondent les deux jeunes gens, par ailleurs charmants de bout en bout. Presque gêné, «Le Médisant» nous demande alors de signer une convention d’interview, très pro, qui délimite les droits des deux parties. Et que se passera-t-il si la justice, mise en mouvement par des adversaires idéologiques, remonte jusqu’à leur identité véritable? «On n’ira pas se cacher au Kosovo», rigole «Le Médisant». Qui complète: «Je suis assez confiant quant à cette procédure, pour autant qu’il y en ait une. Nous n’avons toujours rien reçu et j’ai le sentiment qu’en Suisse, la liberté de parole, et donc de satire, reste bien défendue.»

Cette liberté, ils n’y renonceront de toute façon pas en adoptant un style plus policé. Jeunes, biberonnés à l’humour de droite, ils puisent leur force de frappe dans la connaissance des nouveaux codes de communication bien davantage que dans la construction d’un corpus doctrinal ultra-ambitieux, comme certains de leurs prédécesseurs idéologiques. Se plonger dans la création d’une œuvre classique serait d’ailleurs un truc de boomers. Une communauté qui déguste dans toutes leurs tribunes, mais qui n’a aucune association, ni aucune loi, pour demander à la justice de restreindre la liberté d’expression d’autrui.

Quand 24 heures relaie la plainte des associations lgbt




Flou statistique sur le front de l’asile

En France, depuis quelques semaines, l’acronyme «OQTF» a tendance à s’insérer dans de nombreux articles de presse relatifs à des crimes, souvent violents et choquants. «OQTF», pour obligation de quitter le territoire français. Cette suite de lettres apparaît notamment dans l’affaire d’un Algérien ayant violé une jeune femme à Marseille dans la nuit du 21 au 22 octobre. Plus marquant encore, le terrible meutre de la jeune Lola, commis le 14 octobre à Paris par Dahbia B., Algérienne ultra-violente sous le coup d’une OQTF jamais mise à exécution. Et pour cause, Marianne nous apprend qu’en 2019, seules 12,4 % des OQTF étaient exécutées en France, c’est-à-dire 14 777 sur 122 839. Au premier semestre 2021, seules 5,6 % des OQTF avaient réellement conduit au départ des étrangers visés, soit seulement 3501 sur 62 207. Ratios étonnants, lorsque le document administratif contient «obligation» dans son intitulé.

Le Peuple a voulu savoir ce qu’il en était en Suisse, notamment dans la continuité de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels, acceptée par les citoyens en 2010. Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), nous indique qu’à la fin septembre, 4277 personnes en Suisse faisaient l’objet d’une décision de renvoi: «Les requérants d’asile dont la demande a été rejetée, mais aussi les personnes qui séjournent illégalement en Suisse, ont l’obligation de quitter le pays. Les cantons sont responsables de l’exécution des renvois. Le SEM soutient les autorités cantonales de migration dans l’exécution des renvois et des expulsions d’étrangers, c’est-à-dire dans la vérification de l’identité, l’obtention des documents de voyage et l’organisation du départ des personnes concernées.»

Yves Nidegger, conseiller national UDC de Genève, rappelle que le SEM n’a pas la compétence pour décider des renvois: «Le SEM passe souvent pour un organisme méchant mais il n’a pas de dents, ceux qui ont des dents ce sont les cantons. Et on peut constater une certaine disparité dans l’application du droit fédéral par ces derniers. Un canton comme Genève prononce peut-être un nombre important de renvois mais en applique peu alors que les Grisons, par exemple, en prononcent peu mais les font réellement appliquer.»
Nous avons également montré ces chiffres à Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise. Ce dernier embraie rapidement sur la question de l’immigration de manière générale: «Cette année est particulière avec l’introduction du permis spécial S (papier d’identité autorisant le séjour provisoire en Suisse pour les personnes à protéger). A l’UDC, nous estimons que c’est une erreur. 120 000 personnes sont arrivées cette année avec ce statut, couplées à 25 000 autres. Cela représente environ 3 milliards de francs de surcoûts, c’est très inquiétant. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les décisions de renvoi soient appliquées par les cantons, surtout le mien, qui n’a pas toujours été très assidu avec le droit fédéral en la matière.»

Lionel Walter, porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), tempère. Pour lui, il s’agit de préciser que les renvois ne concernent pas uniquement les individus ayant commis un acte illicite: «Le panorama est très varié. Certaines personnes sortent de la procédure d’asile après que leur demande a été rejetée et que les voies de recours ont été épuisées, mais d’autres peuvent avoir un autre passé: des travailleurs dont le permis n’a pas été renouvelé pour diverses raisons, des personnes qui ont toujours séjourné en Suisse de manière irrégulière (c’est-à-dire sans papiers), etc.» Lionel Walter précise que l’OSAR n’est pas un organe qui peut offrir du soutien à un étranger devant quitter la Suisse: «Notre activité se concentre sur les demandeurs d’asile, de sorte que nous ne sommes pas directement concernés par la situation des sans-papiers.»

Transparence difficile

Si le SEM a rapidement répondu à nos premières questions, il en va autrement lorsque nous cherchons à savoir combien des 4277 personnes faisant l’objet d’une décision de renvoi ont bel et bien quitté le territoire suisse au mois de septembre. Dans un premier temps, on nous a répondu que les chiffres consolidés jusqu’à octobre devaient arriver «en fin de semaine» ou «la semaine prochaine». Ceux-ci ne seront finalement disponibles qu’à la mi-novembre. Dès lors, nous avons demandé ceux des neuf premiers mois de 2022, qui devaient être facilement communicables. Réponse: «Nous répondrons à cette question (statistiques de janvier à septembre) lorsque nous vous fournirons les chiffres d’octobre, soit vers la fin de cette semaine ou en début de semaine prochaine.» Miracle! Les départs concernant le mois de septembre nous sont communiqués juste avant le bouclage. Le SEM nous apprend donc que 3608 départs ont eu lieu, de façon volontaire ou non.

Cette lenteur administrative inquiète quelque peu Kevin Grangier: «Je suis interpellé par le peu de transparence du SEM. Les chiffres pour le premier semestre devraient être facilement accessibles pour le public. On pourrait être tenté de se dire que la situation migratoire est hors de contrôle ou pénible à communiquer. Tout ceci n’est pas une bonne nouvelle et témoigne d’une certaine tension sur le front de l’asile en Suisse.»

Autre statistique difficile à obtenir de la part du SEM: le nombre de personnes devant quitter le territoire qui seraient «perdues dans la nature». Anne Césard nous gratifie d’une réponse fort évasive: «De par la force des choses, en cas de départ incontrôlé, les autorités ne disposent généralement pas d’informations sur le lieu exact où se trouvent les personnes tenues de quitter le pays. Le SEM part toutefois du principe que les personnes concernées ont, dans leur grande majorité, quitté la Suisse.»




Risquer la peur

C’est par l’entremise du petit écran que j’ai découvert Bernanos. A l’âge de seize ans, j’ai été bouleversé par Sous le soleil de Satan, le film de Maurice Pialat. Quelques jours plus tard, encore sous le choc, je me rends dans une librairie pour acquérir quelques ouvrages de Bernanos. Mes finances étant limitées, je me contente de deux romans en livre de poche. A la caisse, le libraire me regarde par-dessus ses lunettes et me demande pourquoi un adolescent s’intéresse à Bernanos. Après quelques explications, il me conseille d’aller dans une bouquinerie acheter les écrits polémiques de Bernanos en me disant «Cela va vous fouetter le sang!». Finalement je suis reparti avec le premier volume des Essais et écrits de combat de la collection de la Pléiade et une jolie ardoise chez le libraire. Si le film de Pialat avait provoqué un électrochoc, les écrits polémiques m’ont terrassé. Je me souviens encore de ce passage du Scandale de la vérité que j’avais recopié dans mon agenda: «Le scandale n’est pas de dire la vérité, c’est de ne pas la dire tout entière, d’y introduire un mensonge par omission qui la laisse intacte au dehors, mais lui ronge, ainsi qu’un cancer, le cœur et les entrailles.»

Un prophète

Dans son recueil d’articles, Sébastien Lapaque insiste à plusieurs reprises sur le fait que Bernanos est un prophète, non pas selon l’acception courante de celui qui prédirait l’avenir, mais au sens biblique du terme qui y voit l’homme de l’intimité avec Dieu. Il est vrai que l’écrivain nous transporte dans l’éternel et nous force à voir le véritable enjeu de notre vie humaine: «si nos bonheurs sont souvent terrestres nos malheurs sont toujours surnaturels».

Bernanos voit ce que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir. De ce décalage naît une angoisse. Pensons à Mouchette, qui sous le regard de l’abbé Donissan, se voit et découvre le monde avec lucidité: «Partout le péché crevait son enveloppe, laissant voir le mystère de sa génération: des dizaines d’hommes et de femmes liés dans les fibres du même cancer, et les affreux liens se rétractant, pareils aux bras coupés d’un poulpe, jusqu’au noyau du monstre même, la faute initiale, ignorée de tous, dans un cœur d’enfant.»
Dans le Journal d’un curé de campagne, un échange entre le curé et la comtesse nous invite à mieux comprendre cette angoisse: «La semence du mal et du bien vole partout, dit-il. Le grand malheur est que la justice des hommes intervienne toujours trop tard: elle réprime ou flétrit les actes, sans pouvoir remonter plus haut ni plus loin que celui qui les a commis. Mais nos fautes cachées empoisonnent l’air que d’autres respirent, et tel crime, dont un misérable portait le germe à son insu, n’aurait jamais mûri son fruit, sans ce principe de corruption. (…) Je crois que si Dieu nous donnait une idée claire de la solidarité qui nous lie aux autres, dans le bien et dans le mal, nous ne pourrions plus vivre (…).»

Savoir risquer la peur

Bernanos a vécu cette angoisse existentielle fondatrice. Il nous force à la clairvoyance afin de faire l’expérience de cette angoisse tout comme Blanche de La Force dans Le Dialogue des carmélites.

Dans cette œuvre posthume, l’action se situe dans un couvent du Carmel durant la Révolution française. Sœur Blanche y reçoit son frère, qui est sur le point de quitter la France. La religieuse justifie son choix de demeurer au couvent: «Vous me croyez retenue ici par la peur!» Et son frère de lui répondre: «Ou la peur de la peur. Cette peur n’est pas plus honorable, après tout, qu’une autre peur. Il faut savoir risquer la peur comme on risque la mort, le vrai courage est dans ce risque. Mais je vous parle peut-être ici un langage trop rude pour vous, un langage de soldat?»

Il s’agit d’une injonction à quitter un esprit bourgeois de «chrétiens de pain d’épice». Bernanos veut nous faire sortir de nos zones de confort. Trop souvent notre vie ressemble à celle décrite dans le Journal d’un Curé de campagne: «(…) Beaucoup d’hommes n’engagent jamais leur être, leur sincérité profonde. Ils vivent à la surface d’eux-mêmes, et le sol humain est si riche que cette mince couche superficielle suffit pour une maigre moisson, qui donne l’illusion d’une véritable destinée».

L’esprit d’enfance

Comment «risquer la peur» et vivre «une véritable destinée»? Dans Les Enfants humiliés, Bernanos explique qu’il écrit pour se justifier aux yeux de l’enfant qu’il fut. Étonnant? Non. Pour l’ancien Camelot du roi, l’esprit d’enfance c’est ce qui n’a pas encore été souillé par ce que les écrits de combat appellent le «réalisme», comprenons ici «l’esprit de Munich», c’est-à-dire l’esprit de compromission et d’accommodement. L’esprit d’enfance c’est aussi ce qui n’est pas perverti par les biens terrestres quels qu’ils soient. Mais c’est surtout un esprit chevaleresque marqué par l’honneur et le courage.

Le chemin pour retrouver cet esprit n’est pas aisé. La prieure du Dialogue des carmélites l’exprime en une formule de feu: «Une fois sorti de l’enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer, comme tout au bout de la nuit, on retrouve une autre aurore.» Pensons ici à Chantal de Clergerie dans La Joie, qui rayonne «la simplicité, l’innocence, l’esprit de soumission d’un petit enfant».
Avec cet essai roboratif, Sébastien Lapaque a réellement fait siennes les premières lignes de La Grande Peur des bien-pensants: «J’écris ce livre pour moi, et pour vous – pour vous qui me lisez, oui: non pas un autre, vous, vous-même. J’ai juré de vous émouvoir – d’amitié ou de colère, qu’importe? Je vous donne un livre vivant.»

Sébastien Lapaque, Vivre et mourir avec Georges Bernanos, Éditions de l’Escargot, 2022.
François Angelier, Georges Bernanos – La colère et la grâce, Seuil, 2021.
Georges Bernanos, Scandale de la vérité, Bouquins, 2019.
Georges Bernanos, Ecrits de combats (1938-1945), Les Belles Lettres, 2017.
Georges Bernanos, Le Chemin de la Croix-des-Ames, Editions du Rocher, 2017.




Une impunité qui déroute

E ntre le 4 et le 19 octobre, Renovate Switzerland a frappé sept fois. Dernière cible en date: la sortie de l’autoroute A3 à Zurich.
Contacté juste après le sixième blocage, le mouvement refusait de qualifier ses actions d’actes terroristes. «Il est évident que voir des citoyens et citoyennes ordinaires sacrifier leur liberté et leur confort peut faire peur. Parce que cela nous confronte à l’ampleur de l’urgence et de la catastrophe», affirmait Cécile Bessire, responsable presse pour RS. Et de poursuivre sur un ton larmoyant et catastrophiste: «Se confronter à la réalité est terrorisant. Se confronter à un monde à +5 degrés est terrorisant, parce que cela signifie 3,5 milliards de personnes sur les routes, des famines, de la violence, des conflits armés, la mort et la souffrance tout autour de nous. Penser à l’irresponsabilité du Conseil fédéral est terrorisant, car en ne prenant pas de mesure climatique à la hauteur, il cautionne le pire crime de l’histoire de l’humanité et nous condamne à un futur invivable.»

Maxime Meier, ancien président des Jeunes PLR vaudois, évoque lui aussi la peur, mais d’une autre nature: «J’ai été choqué par les images des militants de RS qui se lançaient sur la route depuis la bande d’arrêt d’urgence. De telles actions sont surprenantes, voire traumatisantes, aussi bien pour les activistes que les automobilistes. Imaginez le pauvre conducteur qui se retrouve avec un militant qui se jette sous ses roues.» Le président du Centre du canton de Vaud, Emilio Lado, regrette également la nature clivante des actions de RS: «Si les actions peuvent mettre en lumière des problématiques réelles, à savoir le dérèglement du climat, j’estime qu’elles peuvent aussi polariser le débat. De ce fait, les parties s’opposent plus qu’elles ne se parlent. Comment trouver une issue favorable alors que le débat et la recherche de consensus sont impossibles?»

Bien que contrariés par les actions de RS, les deux politiciens n’estiment pas que les autorités soient trop laxistes. Celles-ci font déjà le maximum d’après Maxime Meier: «On ne peut pas mettre un policier sur chaque autoroute. Et lors des blocages, les interventions sont rapides et proportionnées.» Son confrère du Centre ajoute: «Nous sommes en démocratie, libre à chacun de s’exprimer et manifester, dans les limites de ce que la loi permet. A titre personnel, je n’aime pas ces méthodes, elles impactent négativement les citoyens, qui ne demandent qu’à aller travailler, chercher ou déposer leurs enfants à la crèche, etc.».

Grands oubliés des débats depuis le début des agissements des militants climatiques, les ambulanciers. Si la faitière Swiss Paramedic Association ne souhaite pas commenter les actions ou les réactions sur le plan politique, son porte-parole Miró Gächter déplore que le flux de circulation ait été entravé: «Il y a eu plusieurs embouteillages de longue durée. Nous n’avons cependant pas connaissance d’un cas où un véhicule de secours aurait été gêné par une telle action. Nous souhaitons néanmoins appeler la population à former systématiquement une voie de secours en cas d’embouteillage (quelle qu’en soit la raison). Nous partons du principe que toutes les personnes concernées, y compris les manifestants, laisseraient passer immédiatement un véhicule de secours.»

Pas une surprise

La différence notable entre les sept derniers blocages et les précédents, en début d’année, réside dans le fait que ces nouvelles actions avaient été annoncées par RS. Dès lors, Le Peuple s’est dirigé vers le Service de renseignement de la Confédération (SRC) afin de savoir si le groupe d’activistes était sous surveillance. Malheureusement, le SRC ne «s’exprime ni sur ses activités opérationnelles, ni sur des cas, des mouvements ou des organisations particuliers». Il nous a toutefois répondu ceci: «Pour que le SRC puisse prendre des mesures préventives dans le domaine de l’extrémisme violent, il ne suffit pas de connaître le contexte idéologique ou politique des personnes, des organisations ou des événements à venir. Le facteur décisif est la référence effective à la violence (c’est-à-dire le fait de commettre, encourager ou lancer un appel concret à l’utilisation de la violence) par des personnes, des organisations ou des événements à venir. Les personnes qui se radicalisent politiquement ne relèvent donc pas de la compétence du SRC tant qu’aucune référence concrète à la violence ne peut être établie. De ce fait, la scène des activistes du climat en tant que telle ne relève pas de la compétence du SRC. L’implication éventuelle de groupes ou d’individus extrémistes violents dans les activités des activistes du climat est traitée par le SRC dans le cadre de son mandat légal. Dans ce contexte, le SRC évalue en permanence la situation et est en contact avec les polices cantonales et fedpol.»

Présente en tant que maman

Autre différence dans les dernières actions de RS: la présence d’une «personnalité» sur un des blocages: Julia Steinberger. Cette chercheuse en économie écologique à l’Université de Lausanne ne met toutefois pas en avant cette casquette: «Je suis ici en tant que maman, en tant que citoyenne, en tant qu’enseignante et en tant que scientifique. Ce n’est pas une exagération d’affirmer que l’habitabilité de notre planète est en train d’être détruite sous nos yeux. Ce qui serait insensé, ce serait de ne pas faire tout en notre pouvoir, y compris l’action civile non violente, pour sauver une possibilité d’avenir pour notre espèce et le vivant dont nous dépendons tous.»

Nous avons écrit à l’Université de Lausanne afin de savoir de quel œil l’établissement voyait l’engagement d’un de ses enseignants, si Julia Steinberger risquait des sanctions ou si les professeurs avaient le droit de s’engager en politique, quelle que soit l’idéologie. Mais Géraldine Falbriard, attachée de presse de l’UNIL, reste un peu floue: «L’Université de Lausanne soutient l’engagement public de ses chercheurs dans le respect des lois. Comme le dit la professeure Julia Steinberger, elle-même, elle n’est pas au-dessus des lois, et si elle doit être sanctionnée pour son action, elle répondra à la justice. L’UNIL ne peut se substituer à la justice.»




De nouveaux mots pour de grands maux

Si vous n’avez pas encore songé à «chiller» avec votre «go», c’est sans doute que vous n’êtes qu’un «babtou fragile» qui n’a pas encore investi dans les «NFT». Vous êtes encore avec nous? Merci et bravo pour l’effort. Ne vous en faites d’ailleurs pas si vous n’avez rien compris à cette prose sous acide: c’est tout simplement que vous êtes un individu ordinaire, chose qui équivaut aujourd’hui à un titre de noblesse sous l’Ancien Régime.

Ces mots obscurs font partie des nouvelles entrées remarquées du Petit Robert 2023 qui, d’après Midi Libre, «s’enrichit chaque année pour répondre aux nouvelles habitudes de langage des Français». Et quelle richesse, en effet, que de voir apparaître dans un ouvrage de référence des expressions et des termes que n’importe quel parent à peu près normalement constitué interdit à ses enfants. Chroniqueur littéraire de votre publication préférée, et professeur de français dans la vie, Paul Sernine parait d’ailleurs un brin désabusé: «Jadis, on ne parlait pas tellement des nouveaux mots du dictionnaire. Actuellement c’est un passage obligé dans la presse. Je pense que cela ne va pas changer grand-chose, si ce n’est que cela enlaidit la langue (“go”, “woke”) et impose un cadre idéologique (“iel”). Pour moi la référence reste la seconde édition du Littré!», assène cet amoureux de la langue, fermement cramponné à son dico des années 1870.

Surtout, l’introduction du «iel» apparaît comme un coup dur porté à ceux qui, comme le député UDC valaisan Damien Raboud, s’engagent pour défendre une langue classique, reflet de la division de l’espèce en deux sexes sur le plan biologique, donc sans exotismes comme les «non-binaires» et autres personnalités «gender fluid». Un combat contre l’écriture inclusive qui s’est soldé par une victoire d’étape, dans son canton, avec une directive excluant désormais l’utilisation de la langue inclusive des services de l’administration. Enfin, en théorie: «Cette petite heure de gloire s’est révélée bien éphémère», constate le député, qui avait porté un postulat sur le sujet en 2021 avec son collègue Alexandre Cipolla. «De fait, avec les innombrables institutions paraétatiques, on sait bien que ce texte est constamment contourné.» Preuve en sont les nombreuses captures d’écran qu’il reçoit régulièrement de camarades zélés, et confrontés à la novlangue à leur poste de travail. «Parfois on ne sait plus quoi faire: prendre du recul et rigoler, ou continuer à se battre.»

Journaliste et écrivain, Myret Zaki tempère: «Intégrer des mots dans le Petit Robert ne devrait pas faire polémique, car les inclure ne revient pas à les soutenir, sauf s’il y a désaccord avec la définition choisie.» Si cette dernière s’avère suffisamment neutre, elle y voit simplement un moyen de comprendre ce que veut dire un mot devenu omniprésent et donc difficile à ignorer. Et de poursuivre: «Il est cependant vrai qu’inclure un mot dans un dictionnaire de référence en légitime l’usage, confère une sorte de sceau de la république, mais encore une fois il s’agit surtout d’acter le fait que ces mots sont déjà très largement employés par les médias francophones, tant par leurs partisans que par leurs détracteurs.»

Journaliste économique, elle tente l’analogie suivante: «Les mots sont comme les monnaies, qui à force de circuler, ont cours légal. Le lexique woke ou les néologismes technologiques, c’est un peu comme l’argot des décennies passées, c’est une culture informelle qui se généralise au point qu’il lui faut devenir formelle pour que le dico serve son but.»

Au Peuple, nous opterons – une fois encore – pour la solution du combat des idées. Il consiste dans notre cas à privilégier une langue classique, dans la mesure de nos possibilités, quitte à susciter la «gênance». Un barbarisme que notre traitement de texte continue fort heureusement de surligner comme une erreur d’orthographe.

Grand moment de bravoure

Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle

Nombreuses sont les manières de détruire les Lettres. On peut remplacer les cours de français à l’école par des leçons de respect des minorités ou maltraiter la langue à l’infini, mais on peut également mettre en avant des militants déguisés en artistes pour discréditer la littérature. Ainsi la figure de «Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle! RP

Notre sélection

• Ecoanxiété : terme invoqué par des militants pour le climat qui paralysent les routes (voir p. 2) afin de réclamer une justice d’exception. Également utilisé pour réclamer des sous, sans travailler, aux contribuables.

• Iel : contraction de «il» et «elle» visant à donner une réalité à un phénomène quasi inexistant sur le plan biologique, à savoir la non-binarité de genre.

• Babtou fragile : expression d’origine africaine visant à dénigrer le mâle blanc, perçu comme physiquement faible et largement défaillant sur le plan de la virilité.

• Go : tiré de l’argot ivoirien, le terme désigne une jeune femme, voire une petite amie. Sans être péjoratif, il s’utilise en général dans des cadres très majoritairement masculins.

• Wokisme : nouvelle religion mondiale. L’apostasie entraîne la mort sociale.

• Brouteur : arnaqueur généralement africain. Très actif sur internet auprès des boomeurs, auxquels il promet richesse et luxure.

• Gênance : issu du langage adolescent, ce mot a le même sens que la «gêne», mais a l’utilité d’avilir encore un peu plus la langue.




Doit-on réellement défendre Carl Vogt?

Grande est, pour tous les courants que peut compter le peuple de droite – volontiers conservateur, souvent bercé de pensée classique et nourri de valeurs chrétiennes – la tentation de prendre la défense d’un Carl Vogt. Réflexe pavlovien, sans doute, si l’on se dit que les idées nouvelles du «wokisme» semblent attaquer quelque chose d’ancien, de familier, qu’il faudrait défendre, conserver, à une époque à qui tout – surtout les certitudes – semble glisser entre les doigts. Réaction épidermique, causée par l’antipathie et le malaise qu’inspire à tout homme libre la meute hurlante, la foule sans visage, vociférante et figée dans une grande grimace totémique.

Mais, pour qui ose plonger son regard dans les yeux du totem, et le fixer jusqu’à ce que, le temps ayant fait son œuvre, il n’en reste plus au sol qu’un petit tas de pulvérulence moisie, il existe une autre voie, infiniment plus féconde. C’est la voie que proposent Le Pacte des Idoles et L’Amnésie de l’ogre.

«Carl Vogt était un « progressiste », un pur produit de la pensée moderne, athée et matérialiste.»

Raphaël Baeriswyl

La réalité que les «wokistes» ignorent, et à laquelle il faut les confronter comme on leur tendrait un miroir, c’est qu’ils sont les cousins de tous les Carl Vogt que le XIXe siècle a connus. Carl Vogt était – sur les idées qu’à juste titre on lui reproche aujourd’hui – un «progressiste», un pur produit de la pensée moderne, athée et matérialiste. Il a lutté contre la pensée classique et contre l’enseignement de l’Église, et sa pseudoscience a colonisé le monde académique. Comment ne pas percevoir que les «wokistes» sont, en tout point, les Carl Vogt d’aujourd’hui, la version 2.0 de ce même programme «progressiste» que Carl Vogt appliquait déjà à son époque?

C’est donc un tour de passe-passe prodigieux – j’irai jusqu’à dire diabolique – que les «wokistes» réalisent s’il se trouve aujourd’hui de prétendus conservateurs, surtout chrétiens et plus encore catholiques, pour défendre un Carl Vogt. Prodigieux? Pas vraiment. Ou peut-être seulement dans le monde des idées. Car dans la réalité des faits, leurs adversaires leur facilitent grandement la tâche. Il semble en effet que les conservateurs se retrouvent souvent à défendre, croyant y reconnaître la patine des choses anciennes, tout «progrès» pour peu qu’il soit déjà démodé. Ils se font alors remettre, sans s’en rendre compte, le pouilleux, la carte fatale, dans le dernier tour du jeu, perdent systématiquement la partie, et offrent ainsi une contribution déterminante à la marche triomphante du «progrès».

Cette spirale de la défaite n’est pas une fatalité. Mais – si l’on veut gagner (et pas seulement se chamailler d’un côté ou de l’autre du bac à sable politique) – il faut refuser de découpler le passé et le présent, et affronter dans toute son extension diachronique l’adversaire, qui est toujours le même, bien qu’il se présente successivement sous des formes différentes, au fil des époques.
Les Carl Vogt du XIXe siècle étaient les hérauts de l’idole nationaliste, aujourd’hui déchue, mais à laquelle on a sacrifié des millions d’êtres humains jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis, notre idole régnante est l’individualisme, pour laquelle militent aujourd’hui, parmi d’autres, les courants «woke». Ainsi, lorsqu’à Neuchâtel il a fallu renommer l’espace consacré au glaciologue Louis Agassiz (l’un de nos innombrables Carl Vogt), on a choisi de mettre à l’honneur, à sa place, une femme qui s’était distinguée dans la lutte pour l’avortement. Une erreur «progressiste» en a tout simplement remplacé une autre.

S’il faut donc se réjouir que Carl Vogt soit déboulonné, il faut aussi, simultanément, exiger des garanties – car c’est là que réside tout l’enjeu – de ce que valent ceux ou celles qui le remplaceront dans notre panthéon social. Oui, Carl Vogt faisait, au nom du «progrès», de la pseudoscience dans nos universités. Et, à ce propos, quelles garanties nos universités nous donnent-elles aujourd’hui quant à la durabilité, par exemple, de la théorie du genre et des autres nouvelles théories «progressistes» dont les rhizomes colonisent notre monde académique et étouffent notre société?

La pensée classique ne craint aucune vérité, d’où qu’elle vienne. Elle attend, patiemment, que tombent en poussière les grimaçants totems que les «progressistes» dressent sur son chemin pour cacher leurs méfaits. Combien de temps encore pourra-t-on faire semblant d’être dupe? C’est la question que devraient se poser ceux qui croient, un tant soit peu, à nos institutions.

L’auteur

Raphaël Baeriswyl est passionné par l’anthropologie de la violence. Il est l’auteur de deux publications sur le sujet: Le Pacte des Idoles – trois essais girardiens, Ad Solem, Paris 2019 et L’Amnésie de l’ogre, Révélateur, Chêne-Bougeries 2021. Il travaille actuellement sur un recueil d’essais qui devrait être intitulé Lobbyisme, clientélisme et activisme – La fin de l’État de droit.




Ramuz, cet étrange communiste

On connaissait les «chrétiens non pratiquants». Avec votre étude sur Ramuz, on découvre un «chrétien sans Christ». Qu’est-ce que cette étrange figure?

C’est le côté très paradoxal de Ramuz, qui utilise en effet à plusieurs reprises cette expression. Tout lui plaît dans le christianisme mais il n’arrive pas à comprendre la nécessité de cette «cire que l’on affublera de tous nos désirs, de nos élévations», comme il l’écrit. L’histoire du Christ apparaît dans sa pensée comme un mythe littéraire parmi d’autres.

Nie-t-il l’existence historique de Jésus?

Non, pas du tout, ce n’est pas Michel Onfray! Reste que l’on peut se demander pourquoi il se dit chrétien alors qu’il ne croit pas au Christ, qui est évidemment central dans cette foi. Je dirais que Ramuz est très sensible à la charité et à la beauté. Il aimait aller à la messe quand il venait en Valais. Il en appréciait l’ordre, le latin, le chant grégorien. Peut-être n’y serait-il plus forcément très sensible de nos jours… Il est aussi intéressant de noter que le Moyen-Âge le fascine. C’est sans doute la période culturelle qui le convainc le plus. Enfin, il évoque à plusieurs reprises une Personne, un Dieu personnel. J’aime dire de Ramuz que c’est un déiste intermittent.

Vous-même, comme chrétien, pourquoi vous intéresser aux déchirements spirituels d’un agnostique?

La question ne se pose pas ainsi: je m’intéresse à une œuvre parce qu’elle est belle. J’ai lu avec admiration ses livres, avant d’entrer dans une démarche de critique. En réalité, j’ai commencé à ébaucher l’idée de cet ouvrage en lisant les essais de Ramuz. Jusque-là, je l’associais à une sorte de chantre naïf de la nature, totalement dénué de psychologie, auquel je préférais des écrivains moins puissants mais davantage tournés vers les questions qui m’animaient. Durant mon adolescence spirituelle, quelqu’un comme Jacques Mercanton était pour moi presque plus important parce que je trouvais chez lui des choses dont j’avais besoin.

On sent que Ramuz cherche constamment des signes, des symboles, d’une réalité qui nous dépasse. Pourquoi cette quête?
Il recherche un absolu qu’il se refuse à appeler Dieu. Il l’appelle «Identité», notamment à la fin d’«Aimé Pache, peintre vaudois», où il met sous la plume de Pache cette belle phrase: «Je vais de partout vers la ressemblance, c’est l’Identité qui est Dieu.» Cette idée est très importante et rejoint celles de la réunion et du désir de cohérence.

Ce souci de la cohérence s’exprime à travers un terme qui revient fréquemment au début de votre essai: «communisme». Ce n’est pourtant pas une idée à laquelle on associe beaucoup l’auteur…

Il écrit lui-même que le but de l’art est de réunir les gens et que l’artiste est par là «communiste». Plusieurs romans mettent en scène la communauté rassemblée par l’artiste. C’est dans ce contexte qu’il utilise, de façon certainement un peu provocatrice, ce terme. Ramuz n’a évidemment rien à voir avec l’idéologie politique associée à ce mot.

Peut-on dire que c’était un homme de droite?

Stéphane Pétermann (ndlr spécialiste romand de l’auteur) a écrit un article instructif interrogeant pertinemment l’idée d’un Ramuz «anarchiste de droite». Pour ma part, je crois surtout que la politique en tant que telle ne l’a jamais réellement intéressé. Il n’a jamais eu la moindre velléité de s’engager. C’était quelqu’un qui était davantage tourné vers la contemplation. Un romancier par excellence, qui veut exprimer dans ses œuvres bien autre chose que des idées politiques.

Cet homme apparaît aux prises avec des questions spirituelles qui semblent souvent résolues chez nos semblables. Il manifeste également de l’inquiétude devant les bouleversements sociaux de son époque, nazisme, communisme. Finalement, qu’a-t-il encore à nous dire aujourd’hui?

Voilà une question que je ne me pose guère, quand je travaille sur un auteur. Je dirais que s’il y a une leçon ou une morale à tirer d’une telle œuvre, elle concerne chaque lecteur en particulier, touché par ce «sentiment tragique de la vie» dont elle est imprégnée.

Benjamin Mercerat, C. F. Ramuz ou l’utopie de l’Art, Editions de l’Aire, 2022

La plume et le souffle

Qu’est-ce que Ramuz peut bien avoir à raconter à notre époque? A cette question, Benjamin Mercerat préfère botter en touche. Sa quête, humble, est celle d’une mise en valeur d’une œuvre trop souvent négligée au profit de polars norvégiens ou de livres de développement personnel. Et pourtant, nombreux sont les thèmes de l’essai du jeune Montheysan qui résonnent douloureusement dans une postmodernité asséchée par la technique. La nostalgie d’un absolu auquel on ne parvient plus guère à croire, par exemple: un auteur comme Houellebecq ne surfe-t-il pas, avec brio, sur ce thème depuis trente ans? Et que dire encore du besoin de beauté? Ramuz aurait-il anticipé ces abominables chaussons pour enfants affublés de smileys en forme d’étrons? Surtout, qu’objecter à son rêve de communautés humaines saines et pas simplement, d’après le titre d’un de ses ouvrages inédits, d’une collection d’individus «posés les uns à côté des autres»? La grandeur de la méditation ramuzienne de Benjamin Mercerat tient au souffle qui la traverse. Peut-être n’y a-t-il pas de belle écriture sans, sinon la présence, du moins la nostalgie d’une transcendance. La chose vaut également pour la critique littéraire, et il est rafraîchissant de trouver des questions éternelles dans un tel ouvrage, au lieu des sempiternelles dissertations sur l’usage des virgules qui ne redonneront jamais le goût des classiques, de nos classiques dans le cas présent, au grand public cultivé. RP