La civilisation du jardin d’enfants

Parmi les thèmes récurrents de notre publication, l’infantilisation générale figure en bonne place. Un changement de société qui entraine son lot de contradictions jusque dans la figure du parent.
Gronder un enfant ou le priver d’écran: des violences morales insoutenables dans un monde d’inversion des hiérarchies. UNSPLASH
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Il fait froid? Sous prétexte de sobriété énergétique, vos élus vous rappelleront de porter des pulls et de boire du thé. Vous ne voulez pas faire exploser votre facture de gaz? Un prix Nobel vous apprendra la cuisson passive de vos pâtes, avec la douce reconnaissance de la marque Barilla. Et tant qu’à économiser l’eau chaude, pourquoi ne pas aussi prendre vos douches à deux, comme l’a brillamment suggéré la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, dans le Tages-Anzeiger? Ces exemples, authentiques, illustrent bien le climat mental qui règne actuellement dans des démocraties au sein desquelles le pouvoir politique se déguise de plus en plus souvent en Mamie les bons tuyaux, au lieu de plus modestement créer les conditions-cadres de la liberté de ses administrés.

Dernier exemple en date, la polémique autour de la méthode éducative consistant à envoyer les enfants se calmer, si besoin, dans leur chambre. Au début du mois d’octobre, un échange de mails obtenus par Le Figaro laissait entendre que le procédé, apparemment indolore, risquait fort d’être désormais combattu par la division des droits des enfants au Conseil de l’Europe, après avoir été vantée en 2008. Une instance sans grande légitimité démocratique, dirigée par une inconnue – Regina Jensdottir – et qui entre dans les foyers pour nous guider jusque dans nos pratiques éducatives… Et vous osez encore dire du mal des régimes autoritaires? Une levée de boucliers plus tard, on apprenait cependant que la chose n’était plus si sûre finalement, malgré les cris de joie des associations de défense des enfants, tout heureuses de voir s’effondrer un nouveau vestige de l’ancien monde: le droit d’imprimer une certaine culture familiale chez soi. Reste que le tout-positif en matière d’éducation semble avoir le vent en poupe. Ainsi, un récent papier du magazine Elle présentait des choses aussi bégnines que la privation d’écran pour un enfant malpoli comme une «violence morale».

Déresponsabiliser les parents pour produire des citoyens responsables

Que dit la Suisse du «time-out», la punition consistant à mettre à l’écart des enfants insupportables? Au niveau officiel, pas grand-chose. «La protection de l’enfant relève en premier lieu de la compétence des cantons et des communes», explique Sabrina Gasser, de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). «En tant qu’organe de la Confédération responsable de la politique de l’enfance et de la jeunesse, l’OFAS soutient les acteurs compétents pour la protection de l’enfant en élaborant des rapports de fond et des études, ainsi qu’en encourageant les échanges d’informations et d’expériences.» Et de nous renvoyer aux travaux en cours sous la Coupole fédérale à propos des deux objets visant à interdire la violence éducative défendus par la conseillère nationale du Centre (ex PDC) Christine Bulliard-Marbach.

Il faudra donc se rendre chez les partenaires pour vérifier si, réellement, ce que les gens du commun ont longtemps considéré comme une sanction tout à fait civilisée ne relève pas en réalité de la barbarie la plus infâme. Et l’on découvre, effectivement, que le Conseil de l’Europe ne s’est pas mis à délirer seul dans son coin puisque la méthode, «prêtant à de nombreuses interprétations – plus ou moins fondées sur la bienveillance – est beaucoup controversée», aux dires de Tamara Parham, de la Protection de l’enfance Suisse. Elle, de son côté, prône une posture constructive, soit «un mode d’éducation et une attitude où les parents assument leur rôle d’adultes et leur responsabilité en tant qu’éducateurs.» Son but est de permettre le développement, chez l’enfant, d’une «personnalité autonome et ayant un caractère affirmé.» Une personne, autant le dire tout de suite, qui aura bien du mal à supporter que des gens payés par ses impôts lui expliquent comment cuire ses pâtes.

Et cette méthode du «time-out», finalement? «Si celle-ci consiste à prier l’enfant avec bienveillance de prendre un moment pour lui, pour se calmer ou l’inviter à la réflexion, ou bien si elle nous offre la possibilité en tant que parent de retrouver un peu de sérénité, nous ne la concevons pas comme une mesure violente», note Tamara Parham. Elle estime même qu’elle peut être salvatrice et éviter que des situations tendues ne dégénèrent. Mais tout n’est pas si simple: «La manière dont la requête est formulée nous semble en revanche déterminante et n’est pas à confondre avec une exclusion affective ou une mise au coin, qui sont des formes de violence.»
Prié de porter des pulls bien chauds et de boire du thé l’hiver par ses bons maîtres, le citoyen de demain sera aussi prié… de prier son enfant de le laisser tranquille quand il est insolent. Gageons qu’à ce rythme, il n’y aura bientôt plus que l’éducation qui pourra être dite «positive» dans les rapports sociaux.

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