Vivre libre

Printemps 1990, une salle de cinéma, une équipe d’adolescents, des pop-corn et un film. Une histoire somme toute banale: John Keating, enseignant de littérature, aux méthodes peu orthodoxes, arrive dans la très sérieuse académie Welton et va bouleverser la vie de ses élèves. Une des scènes se déroule dans une caverne où des étudiants se réunissent pour former une étrange société. En début de séance, l’un d’eux lit un poème, en fait une citation arrangée, d’un certain Henry David Thoreau: «Je m’en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre, intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie pour ne pas découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu.» Vous avez reconnu Le Cercle des poètes disparus (1989). Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet de ce film sur l’esprit d’un jeune idéaliste. C’est aussi comme cela que Thoreau est entré dans ma vie.

«Les idées ne se promènent pas toutes nues dans les rues.»

L’heureuse formule de Jacques Julliard se vérifie une fois de plus. Il ne suffit pas de lire Walden ou La désobéissance civile au coin du feu d’une ZAD quelconque pour comprendre la richesse de la pensée de Thoreau. Il faut, selon l’austère méthode de Sainte-Beuve, connaître la vie, le contexte et toute l’œuvre d’un auteur.

Henry David Thoreau est un homme de son temps dont la pensée ne se résume pas à ses deux célèbres textes. Né à Concord dans le Massachusetts en 1817, Thoreau sort diplômé de l’université de Harvard à dix-huit ans. Il exerce le métier d’instituteur avant de quitter l’enseignement en raison de son refus d’appliquer les châtiments corporels. Il se lie avec Ralph Waldo Emerson qui deviendra son mentor. Il passe trois ans à New York avant de revenir définitivement s’établir à Concord en 1844. Au printemps 1845, il construit une cabane au bord de l’étang de Walden, à trois kilomètres de Concord et à proximité d’une voie de chemin de fer. Il y vit vingt-six mois. Ce sera la source de l’ouvrage éponyme publié en 1854. A partir de 1842, Thoreau cesse de payer l’impôt par tête (la capitation) afin de protester contre la politique esclavagiste et la guerre contre le Mexique. Cela durera quatre ans, jusqu’au moment où il est emprisonné durant une nuit. Une bonne âme va payer son impôt. En 1849, il s’appuiera sur cette expérience pour écrire La résistance au gouvernement civil, qui deviendra après sa mort La désobéissance civile. Auteur d’une abondante correspondance, d’un journal et de nombreux essais, Thoreau meurt de la tuberculose à l’âge de quarante-quatre ans. Ecoutons Emerson, qui a su peindre avec beaucoup de délicatesse le portrait intérieur de son ami: «C’était un médecin des blessures de l’âme, qui connaissait non seulement le secret de l’amitié, mais qui était presque vénéré par les quelques personnes qui faisaient appel à lui pour qu’il soit leur confesseur et leur prophète et connaissaient la valeur intrinsèque de son esprit et de son grand cœur.»

Thoreau s’inscrit dans la vie intellectuelle de son époque, durant laquelle les états-Unis vivent sous la loi du progrès inhumain, de la technique bruyante et du culte puritain du travail. Dans ce contexte, un groupe d’hommes et de femmes mené par Ralph Waldo Emerson (1803-1882) lance une vraie révolution. On les appelle les transcendantalistes. Ces personnes veulent exister et penser différemment. Inspirées par un romantisme allemand ayant transité par l’Angleterre et renouant avec la philosophie antique et orientale, elles proposent un humanisme renouvelé. Il s’agit, en fait, d’une sagesse qui invite l’individu à retrouver, au contact de la nature qu’il faut préserver, sa pureté originelle.

Walden ou la vie dans les bois

Le 4 juillet 1845, date symbolique puisqu’il s’agit du jour où les états-Unis commémorent leur indépendance, Thoreau proclame la sienne en s’installant dans sa cabane près de l’étang Walden. Il ne faut pas se méprendre, cela n’a rien à voir avec le film Into the Wild (2007), de Sean Penn; il s’agit de faire l’expérience d’une vie simple en étant seul dans les bois. Thoreau ne vit pas comme un anachorète, il côtoie des amis, se rend même à Concord et entretient une grande correspondance avec le monde extérieur. Cette expérience va durer deux ans et deux mois et donner naissance à Walden ou la vie dans les bois.

Walden n’est pas qu’un simple «nature writing» et sa lecture n’est pas si évidente qu’on veut le croire. Stanley Cavell, spécialiste de Thoreau, propose plusieurs niveaux de compréhension: le premier niveau est celui du sens commun, le second celui de la vérité rigoureuse et le troisième celui de l’austère beauté. Le sens commun représente le sens littéral du texte; la vérité rigoureuse s’adresse à notre raison et nous invite à la réflexion; l’austère beauté, quant à elle, se révèle après que l’on a passé par les étapes précédentes et nous indique ce vers quoi nous devons tendre. Le texte de Thoreau est une invitation à une réelle expérience transcendantaliste qui fera du lecteur un vrai philosophe: «Etre philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie, mais en pratique.»

La désobéissance civile

Petit texte paru en 1849, La désobéissance civile s’inscrit dans le contexte de la guerre contre le Mexique et de la lutte anti-esclavagiste.

Stanley Cavell montre qu’il faut entendre «désobéissance civile» dans le sens qu’Emerson donne au terme «conversion» ou «révolution». éclairage intéressant, car, loin d’être un texte pour jeunes révoltés, La désobéissance civile est un acte de libération individuelle: «Si l’injustice est inhérente à la friction nécessaire au bon fonctionnement de la machine gouvernementale, il n’y a qu’à la laisser faire. Peut-être qu’à l’usage, elle va s’adoucir; la machine quant à elle va s’user. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle pour son usage exclusif, peut-être qu’alors il faudra vous demander si le remède n’est pas pire que le mal; mais s’il est dans sa nature d’exiger de vous que vous soyez l’instrument de l’injustice à l’égard d’autrui, je dis alors: enfreignez la loi. Que votre vie agisse comme une contre-friction pour arrêter la machine. Ce que je dois faire est de veiller, en tout cas, à ne pas être complice de l’injustice que je condamne.»

La démarche de Thoreau est simple. S’il n’a rien à voir avec l’injustice commise par l’État, «il s’en lave les mains», par contre s’il sert cette injustice de quelque façon que ce soit, il doit désobéir au nom de sa conscience. Cette désobéissance civile a trois fonctions. Tout d’abord elle indique au gouvernement que vous êtes contre lui, dans un second temps elle sert de témoignage auprès du peuple et entraîne des comportements similaires, pour finir elle bloquerait l’appareil étatique par la désobéissance des fonctionnaires.
Comme on peut le constater, il ne s’agit pas de manifestation de masse mais bien d’un acte individuel libre et responsable: «(…) il y a peu de vertu dans l’action de masse des hommes. Quand la majorité finira par voter l’abolition de l’esclavage, ce sera parce qu’elle lui sera indifférente ou parce qu’il en restera peu qui soit aboli par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui hâte l’abolition de l’esclavage est celle de l’homme qui engage par là sa propre liberté.»

Thoreau se définissait comme «un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste». Les auteurs de l’anthologie Les Penseurs libéraux (Les Belles Lettres, 2012) ont compris Thoreau bien mieux que José Bové et ses séides, en y incluant un extrait de La désobéissance civile. Le sage de Concord nous rappelle que le libéralisme possède une dimension anarchisante: «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins.» Dans un pays où l’on réglemente sur tout et sur rien, où la liberté individuelle se réduit progressivement, où la dictature du petit nombre s’impose; offrez un ouvrage de Thoreau à vos élus d’un parti qui se définit aussi comme libéral.

Une biographie:

Thierry Gillybœuf, Henry David Thoreau, le célibataire de la nature, Fayard, 2012.

Des oeuvres de Henry David Thoreau en traduction française:

Walden ou la vie dans les bois, Albin Michel, 2020.
Les essais dans un coffret de treize petits volumes, Le Mot et le Reste, 2021.
Correspondance générale en trois tomes, La Part Commune, 2018-2020.
Journal en quinze volumes dont cinq de parus, Finitude, depuis 2012.




L’économie façon chevaleresque

Supposez une paroisse citadine où l’on vous proposera invariablement de «coconstruire l’Église de demain» pour aller «chercher les croyants et les croyantes là où ils et elles se trouvent». Charmant, très certainement, mais supposez à présent un monastère battu par le mistral où des êtres vêtus de capes noires se lèvent tous les matins à 3h20 pour réciter des psaumes en latin et vivre selon une règle datant de quinze siècles. De ces deux options, laquelle vous semble la plus à même de faire refleurir économiquement et spirituellement une région? Laquelle risquera de rayonner jusque dans nos contrées suisses romandes et d’attirer des jeunes du monde entier?

La question étant – il faut bien le confesser – posée avec une neutralité assez approximative, vous aurez compris que nous penchons pour la deuxième option. Et à travers cette description sommaire, les esprits les plus fins auront même reconnu une abbaye située à quatre heures de route de Genève: Sainte-Madeleine du Barroux. Fondée en 1970 par Dom Gérard, un moine sorti d’un ermitage avec pour seules possessions sa mobylette et son baluchon, cette communauté constitue une anomalie totale. À partir de ses prémices modestes dans le village voisin de Bédoin, l’aventure a en effet débouché sur une véritable entreprise, dont la modernité technologique tranche avec la féodalité ambiante des rapports humains. Derrière les lignes très épurées de son architecture (inspirée par l’abbatiale de Payerne, entre autres!), l’abbaye se distingue en effet par sa production massive de pain, surtout, mais aussi de vin, d’huile et de créations artisanales diverses. Un véritable village autosuffisant dont l’activité incessante a redonné vie à une région fort belle, mais qui se trouvait en récession jusqu’à l’établissement des frères. Preuve de ce fonctionnement à plein régime, la communauté, qui comportait dix moines les premières années, en compte désormais une soixantaine qui prient et travaillent selon la règle de saint Benoît. Une croissance permanente, tempérée par le départ de frères qui s’en vont fonder leurs propres communautés, et qui crée aussi des défis: l’âge vénérable des combattants de la première heure, notamment, qui a imposé la construction récente d’un bâtiment relié de plain-pied à l’église. Les aînés de cette grande fratrie, qui tâchent tant bien que mal de participer aux offices, peuvent ainsi jouir de la qualité de vie d’un EMS lumineux et d’un cabinet de dentiste à la modernité impeccable. Pas tout à fait anecdotique quand on vit éloigné du monde et sous le regard d’un État français qui ne raffole certainement pas des monastères où se perpétue le souvenir des massacres de la Révolution de 1789…

Des débuts bucoliques

Compagnon de route de la naissance du monastère, le Vaudois Christian Bless évoque avec nostalgie les débuts modestes à Bédoin, dans une chapelle mise à disposition par la famille Ricard. Une famille dont les amateurs de pastis salueront le double apport à l’humanité: «C’était plus bucolique que l’immense abbaye de maintenant. Je me souviens d’une fois où Dom Gérard m’avait invité à aller discuter un peu: il y avait un petit réchaud, au bout du jardin. Il avait allumé le feu et coupé quelques herbes, du thym sans doute. Dans une vieille casserole rouillée avait alors infusé une petite tisane. Et lui il me parlait du bon Dieu, de la Grâce, tandis que nous étions tous deux assis sur un vieux tronc. Le monde moderne ne nous avait jamais enseigné ces choses.» De fait, ces liens forts entre la communauté et la Suisse romande trouvent leur origine dans une conférence donnée par Dom Gérard à Lausanne, au début des années 70, dans le bouillonnement des milieux défendant le latin et la liturgie traditionnelle dans la messe: «Le coup de foudre immédiat», se remémore Christian Bless. Suivront des moments riches en émotions et en coups de gueule divers, entre liens étroits avec la fraternité Saint-Pie X (plus connue sous le nom d’Écône) et retour complet dans le giron du Vatican dans les années 80. Des épisodes vécus plus ou moins douloureusement selon la radicalité des sensibilités des uns et des autres. Heureusement, la magie du saucisson et de la bouteille de rouge opérant toujours, la riche amitié ne sera jamais rompue entre les amis fidèles de Suisse romande et l’abbaye, dont le grand écrivain Jean Raspail chantait déjà les louanges au début des années 80 dans Le Figaro Magazine.

Le Vaudois Christian Bless, compagnon de route de l’abbaye, se souvient des débuts modestes de la communauté sur ce site de la commune voisine de Bédoin. RP

De toute manière, les habitués du Barroux viennent y chercher quelque chose qui transcende largement les querelles de clocher: le hiératisme ambiant. Alors que les Églises modernes tentent sans cesse d’attirer les jeunes avec moult guitares et des célébrations singeant la laideur de la variété moderne, rien de tout cela ici: la messe et les différents offices s’y déroulent en latin, à grand renfort de chant grégorien, et gare à qui voudrait venir introduire la moindre innovation dans ce chant millénaire! Souvent, le visiteur se trouve même plongé dans des scènes évoquant Le Nom de la rose, les bossus en moins: frères aux visages anguleux faisant sonner les cloches dans la pénombre, prosternations répétées et repas pris en silence… Qu’on imagine l’hôte d’honneur soupant en bout de table, directement sous le regard bienveillant du père abbé, véritable chef de famille présidant au bon déroulement du repas… Heureusement que le coup de rouge, aussi fidèle que le vent glacial soufflant sur la contrée, vient donner un peu de hardiesse! Et comment ne pas se sentir plongé mille ans en arrière quand, de quelques coups de maillet sur la table, le maître des lieux annonce la fin du repas et la prière finale, toujours en latin.

Au vu de la grande pureté des lignes de l’abbatiale, difficile d’imaginer qu’elle n’existait pas encore il y a quelques dizaines d’années. RP

Quand le SDF mange à côté du millionnaire

La scène impressionne, mais qu’on n’aille pas pour autant imaginer un environnement où règne une austérité insupportable: de fait, même l’anticlérical le plus radical ne saurait nier la hauteur de sentiments exprimée par les frères dans leurs attitudes et leur accueil du pèlerin, qu’ils soient millionnaires ou condamnés à dormir sous des ponts: «Les frères sont gentils, ils vont me fournir des gants pour passer la nuit dans le hall de la gare de Carpentras», livre ainsi un sans domicile fixe quittant les lieux après avoir bénéficié de l’hospitalité bénédictine durant quelques jours. En rupture avec sa famille, abandonné par un État qui préfère sponsoriser l’accueil de migrants – d’après son récit –, il trouve auprès de la communauté un cadre aimant, et finalement moins strict qu’il n’y paraît. Car selon l’esprit de saint Benoît (480-547), c’est le Christ lui-même que la communauté pense trouver à travers l’étranger qui viendra sonner à sa porte pour chercher un toit. «N’ayez peur de rien. Vous êtes ici dans votre famille», nous lance ainsi un des plus anciens frères de l’abbaye, responsable de la boulangerie. Joignant les actes aux paroles, il nous salue à la manière des moines, front contre front (le vénérable Pax tecum). Autant dire qu’ici, le fameux «frère» utilisé comme une interjection par tous les rappeurs, y compris pour s’insulter, prend un sens un peu plus élevé, qu’une goutte de chartreuse est parfois là pour affermir. Ici, c’est le royaume de la joie simple.

Père Abbé du monastère du Barroux, Dom Louis Marie nous accueille dans le salon réservé aux hôtes de sa communauté. Issu d’une famille de militaires, il veille à l’unité de sa communauté afin de continuer à « ouvrir les portes du Ciel ». RP

Sans tirer un orgueil démesuré de leur réussite, les moines ne le cachent pas: si le fondateur avait 500 francs français en poche au moment de tout démarrer, l’abbaye brasse désormais des sommes considérables, à défaut de brasser de la bière. Mais pas grâce aux soutiens qu’on lui prête parfois dans des milieux politiques radicaux, dont l’ancien Front national de Jean-Marie Le Pen, puissant dans la région. «À chaque fois qu’on a fait face à de gros enjeux, comme lorsque l’on vivait dans des roulottes, sans chauffage ou sans électricité, ou lorsqu’il nous a fallu acheter des terres, le bon Dieu nous a tirés d’affaire», sourit le père Germain, dont le sourire communicatif n’a pas été altéré par les nombreuses années passées au monastère. En réalité, avant de tourner à plein régime, la communauté se trouvait généralement en possession d’argent uniquement aux moments où elle en avait un besoin urgent (ndlr comme notre journal). Mais la présence fréquente d’intellectuels de haut vol dans les seize mètres, citons Gustave Thibon ou Louis Pauwels, n’est peut-être pas pour rien dans ces élans du cœur de personnalités venues d’horizons très divers, parfois même du protestantisme.

De nombreux saints catholiques figurent sur les fresques de la chapelle privée du père abbé. A noter la présence, tout à droite, de Maximilien Kolbe, prêtre exécuté à Auschwitz, ou de l’écrivain Péguy (avec un genou à terre). CB

Un patron? Non, un «père de famille»

Mais comment au juste marier le rôle de père spirituel de moines parfois très jeunes et un statut de chef de PME? Nous avons voulu poser la question à Dom Louis-Marie, le père abbé. Si son prédécesseur Dom Gérard était un homme chaleureux et ardent, lui est plutôt du genre réservé, méthodique. Pas au point, cependant, de se considérer comme un patron d’entreprise selon les codes modernes: «Je suis plutôt un chef de famille qui a un droit de regard sur tout», lâche-t-il dans un sourire doux, mais en pesant ses mots. Issu d’une lignée de militaires, ce stratège conteste que l’abbaye soit passée au capitalisme sous sa férule: «Notre magasin et la vente par correspondance nous permettent de vivre de nos mains, sans contracter de dettes. C’était un de nos buts», tranche-t-il paisiblement. Mais le succès, le vrai, consiste à ses yeux «à ouvrir encore les portes du Ciel» pour ses hôtes au lieu de chercher à singer Lady Gaga. Quant à la politique, il ne le cache pas: même s’il se réclame de l’héritage de Péguy, ce combat n’est pas prioritaire à ses yeux. Il s’agit avant tout, dans un monde en proie à une déchristianisation massive, de témoigner de la permanence de la foi. D’ailleurs, le voilà qui s’arrête soudainement alors qu’il nous quitte dans les escaliers: «Je suis content que vous vous intéressiez à notre héritage philosophique, mais j’espère surtout que vous avez senti la présence du bon Dieu parmi nous.»

L’abbatiale est inspirée de différents sites millénaires, dont sa cousine de Payerne! CB

Quelques notions clés:

•Les moines sont-ils tous prêtres?

Non. Bon nombre d’entre eux participent à la vie de la communauté en tant que «frères» et non pas en tant que prêtres, appelés «pères». Ce choix s’effectue en fonction de leurs désirs, de leur éducation ou d’un simple souci d’humilité. Ce qui unit les moines du Barroux est un désir de partager une vie essentiellement centrée sur la louange divine, la prière et le travail. Dans la communauté se trouvent des personnes à l’aise autant avec la mécanique, la culture du potager que l’édition de livres, par exemple.

•Qu’est-ce que la tonsure?

Qui s’adonne à des recherches sur le sujet sur Internet en verra parler comme d’une pratique désuète voire réduite à la célèbre image de La Tête de Moine AOP. Et effectivement, elles ne sont plus nombreuses les communautés qui continuent de marquer le renoncement au monde de leurs prêtres par ce rasage caractéristique du crâne, laissant apparaître une bande de cheveux. Pour le visiteur du monastère, la tonsure présente l’intérêt de permettre de différencier les pères des frères, qui ont simplement les cheveux courts. On pourra ainsi appeler les uns et les autres d’une façon conforme à leur état.

•Pourquoi la messe en latin?

C’est l’une des particularités du Barroux, resté fidèle à la tradition liturgique de l’Église catholique en vigueur jusqu’au concile Vatican II (1963-1965). Outre l’usage de cette langue sacrée, à part durant les sermons, les prêtres officiant selon le rite dit «tridentin» tournent la plupart du temps le dos aux fidèles comme pour mieux leur donner la direction de Dieu.

•Un retraitant vit-il dans une prison?

Certes non. De fait, les personnes partant se ressourcer au Barroux disposent même d’une clé qui leur permettra, à condition de ne pas troubler l’ordre monastique, de rentrer à l’heure qu’elles désirent dans leur bâtiment. Un hôte qui utiliserait une telle confiance pour abuser de l’hospitalité bénédictine se verrait toutefois rapidement mis au pas, et serait surtout automatiquement mal à l’aise dans un environnement tout entier tendu vers l’oubli du monde.

•Est-il obligatoire de prier toute la journée?

Pas d’obligation là non plus, mais une nouvelle fois, à quoi bon se rendre dans un monastère si c’est pour mener la même vie qu’à la maison? Du reste, la chose serait bien difficile avec le silence de rigueur la majorité du temps, et un Wi-Fi qui ne couvre que deux pièces dédiées à l’étude. Les offices religieux, dont les durées peuvent être très variables, s’échelonnent tout au long de la journée. Le premier débute à 3h30, on parle alors des «matines», et le dernier se termine dans une église éclairée à la bougie, lors des «complies».

•Comment se déroulent les repas?

Ce sont des moments importants de la journée, et pas seulement pour les estomacs. Différentes lectures les accompagnent, allant de la vie des saints vénérés ce jour au rappel, à la fin du repas de midi, de passages de la Règle de saint Benoît. Moines et convives invités mangent en silence, sans traîner à table, mais en bénéficiant d’une cuisine équilibrée et simple.

•Pourquoi y aller?

C’est la grande question. D’aucuns, miséreux, s’y rendent par besoin, d’autres pour «déconnecter» d’une vie professionnelle qui les ronge. Pour ceux qui ont la foi, la multiplication des offices et la possibilité d’être accompagné par des prêtres remplissent les âmes d’une paix profonde.

•Que se passe-t-il quand on retourne à la vie normale?

Un choc, très certainement. À l’abri des vains bruits du monde, les moines cultivent généralement une langue et des coutumes qui tranchent radicalement avec les attitudes vulgaires souvent encouragées par notre société. Mais cette période de ressourcement permet aussi d’affronter les défis de la vie quotidienne avec une confiance renouvelée, les idées à l’endroit… et le téléphone portable un peu moins omniprésent!




Trop c’est trop

L’annonce, fracassante pour le milieu politique biennois, est survenue le 4 décembre par le biais d’une allocution concise débutant par ces mots: «J’ai décidé de remettre le mandat politique que le peuple m’a confié, à la fin de ce mois. Je ne pars pas parce que la Ville n’a pas de budget: j’ai déjà connu deux situations semblables et j’ai trouvé des solutions. Si je me suis décidée à remettre mon mandat, c’est parce que je ne peux plus réaliser la mission pour laquelle j’ai été élue au sein de ce Gouvernement.»

La politicienne, étiquetée Parti Radical Romand (ndlr une émanation francophone du FDP, soit du PLR), a poursuivi en envoyant valser bien des illusions biennoises: «En 2014 et 2016, lorsque les budgets avaient été refusés par le peuple, c’est le centre-droite qui détenait une légère majorité au Parlement et la gauche qui était majoritaire au Gouvernement.»

Un équilibre gouvernemental, précise la démissionnaire, qui n’a pas changé depuis. Mais jusqu’à quand? «Si un seul conseiller municipal de gauche prétend aujourd’hui qu’il ne risque pas sa réélection dans deux ans, il se voile la face. Car le budget 2023 qui a été refusé par le peuple est, à deux millions près, et à une variante près, celui du Gouvernement. Il s’agira pour les conseillers municipaux de gauche de marquer des points dans les semaines à venir, de trouver le moyen d’interpréter le verdict populaire pour ne pas avouer la défaite.» Et Silvia Steidle de condamner une tendance forte à «mettre en place des processus ingérables et se présenter ensuite comme sauveur pour se refaire une image de bon dirigeant.»

Une bureaucratie obèse

Si celle qui vitupère de la sorte n’est certainement pas la représentante d’un anarcho-capitalisme débridé, elle sait parfaitement d’où viennent les problèmes financiers qui rongent la ville depuis plusieurs décennies: de la bureaucratie. Elle n’y va d’ailleurs pas de main morte pour dénoncer cet empilement de temps perdu et d’argent mal dépensé: «Aujourd’hui on n’apprend rien des erreurs, on ne tire pas les conclusions du 27 novembre (ndlr date du refus populaire du budget 2023). La priorité n’est pas de gouverner mais de laisser le Parlement se charger de la tâche d’établir le budget. Quant au Gouvernement, il organise les séances, fait des notices de séances et comptabilise les décisions. Ce n’est pas ainsi que je comprends mon rôle. Le peuple ne m’a pas élue pour mes compétences de comptable ou de secrétaire. Je vois mes priorités ailleurs que dans la réécriture des stratégies financières.» Motif d’agacement suprême, la multiplication des rapports, des commissions qui annulent des décisions de sous-commissions, bref, de «la pure bureaucratie.» Un problème identifié par Mario Cortesi, l’éditorialiste du journal local Biel-Bienne: «Avec leurs œillères idéologiques, des parlementaires plus loquaces que réfléchis ont pris les rênes de la politique et rendent impossible la collaboration constructive d’autrefois, ils ne sont prêts à faire des compromis que s’ils leur sont utiles. (…) Le pénible débat sur le budget a clairement montré que les politiciens n’empruntent plus que la voie qui leur apporte un avantage personnel ou à leur entourage.» On rappelle en passant que, au milieu de toutes ces ambitions, l’endettement de Bienne se rapproche à grands pas du milliard.

Pour conclure, Silvia Steidle met en garde son remplaçant: «Ceci n’est pas ma campagne électorale, ceci est ma démission. Elle se veut aussi recommandation à celle ou celui qui me succèdera. Lorsque le peuple l’élira, il devra en tenir compte. Et aux futurs candidates et candidats, je ne peux recommander qu’une chose: s’ils n’ont pas les alliances nécessaires, mais uniquement des grandes ambitions, qu’ils renoncent à se présenter.»

Et si l’échec donnait paradoxalement des ambitions?

Désormais, le PRR peut présenter un de ses membres pour remplacer Silvia Steidle, réélue pour un troisième mandat en septembre 2020. Des noms circulent déjà. Le candidat sera annoncé à la mi-janvier et les citoyens biennois auront trente jours pour récolter un nombre suffisant de signatures si la personne présentée n’est pas à leur convenance.

Malgré l’échec d’un budget qui porte largement sa marque, la gauche pourrait désormais prétendre à prendre la main sur la direction des finances, depuis 2012 entre les mains du centre-droit. On imagine toutefois assez mal Glenda Gonzalez (PS), actuelle directrice de la culture, de la formation et du sport, ou Lena Frank (Les Verts), directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement, abandonner des postes qui sont chasse gardée depuis dix ans. Reste Beat Feurer (UDC), qui, avant de rejoindre le Conseil municipal en 2012, était expert fiscal et enseignant de droit fiscal. Bienne a désormais pour horizon une situation bloquée ou alors un total renversement des philosophies exercées au sein des différentes directions.

La ville de Bienne vient d’annoncer que la nouvelle version du budget 2023 sera soumise à la votation populaire le 7 mai prochain. Mais avant cela, ces nouveaux chiffres vont faire l’objet de débats que l’on imagine déjà bien compliqués, et volontiers stériles, au Conseil de ville, à la fin mars.




L’étrange dépliant de la fondation Profa

Vous n’avez peut-être, voire sans doute, jamais entendu parler de la catégorie des personnes «genderqueer» ou de celles des «bigender». Pourtant, pour peu que vous ayez chez vous des enfants en âge (dès 6-7 ans) de suivre des cours d’éducation sexuelle au sein de l’école publique vaudoise, ces deux notions figurent dans un document récemment reçu à la maison. Pour ceux qui ne seraient pas au courant des derniers développements de la doctrine, voici ce qu’elles signifient. La première catégorie représente les personnes dont l’identité de genre sort du «schéma binaire homme/femme», explique la fondation PROFA. Quant à la seconde, elle représente les individus dont l’identité de genre «correspond à deux genres concomitants ou alternants». Les logos de ces deux nouvelles classes figurent sur la première page du dépliant, sous la forme d’un astérisque accolé à un cercle, ou d’une juxtaposition, sur ce même cercle, des symboles de la masculinité ainsi que du beau sexe.

Une information objective

Dans son dépliant, mis à disposition depuis mars, la fondation PROFA explique qu’elle dispense aux 40’000 élèves du canton de Vaud «une information objective, scientifiquement correcte, sur tous les aspects de la sexualité.» Cette dernière intervient «en complément à l’éducation donnée par les parents dans le domaine affectif et sexuel». Une ligne réaffirmée dans les réponses aux interrogations du Peuple: «Notre service a pour mission d’apporter aux élèves des messages d’information et de prévention, au plus près de leurs besoins, adaptés à leur âge, leur développement, et de communiquer des informations appropriées en regard des recherches actuelles, de la littérature scientifique, et basées sur les droits sexuels.» Pour expliquer l’introduction de catégories jusqu’ici peu habituelles, comme les personnes aux «genres concomitants» par exemple, PROFA invoque les besoins de la prévention: «En Suisse aussi, les personnes issues de la diversité LGBT font l’objet de discrimination, de stigmatisation et de violence. Il est important que ces jeunes, parfois en train de découvrir leur orientation sexuelle et affective / leur identité de genre, puissent renforcer leur estime de soi et recevoir des informations fiables», nous répond-on par écrit. Et de fait, confirme la fondation, la diversité de genre sera donc effectivement abordée avec les élèves «en tenant compte de leur âge et de leur développement.»

«Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement.»

Un cadre de l’école vaudoise

Cette volonté d’aller au plus profond de la diversité ne séduit guère un cadre de l’école vaudoise: «Je suis surpris de la manière parfois prosélyte dont certaines associations, cautionnées par des services étatiques, viennent introduire des notions de doute chez les enfants concernant des questions qui ne leur viendraient même pas à l’esprit, pour la plupart», fulmine-t-il. Et d’ajouter: «Ces intervenants, externes au monde de la pédagogie enseignante, sont souvent bien plus que de simples «spécialistes»: certains adoptent parfois une posture militante dont le fond du message consiste à dire aux écoliers que s’ils se questionnent au sujet de leur identité de genre, c’est qu’ils appartiennent déjà à quelque minorité sexuelle. Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement et je doute que ce soit dans l’intérêt du développement des enfants.»

Pour ce responsable d’institution de formation, l’école vaudoise reste lourdement marquée par le passage à sa tête de certaines personnalités politiques et de leur idéologie: «Suivant les courants, tel cadre politique, avec plus ou moins d’autoritarisme, souhaite se montrer avant-gardiste en surfant sur les courants sociaux du moment. Ainsi, dans une intention initiale louable de lutter contre le harcèlement, nous avons vu différents «experts» arriver dans le panorama de l’instruction publique. En y regardant de plus près, on se rend compte que ces personnes sont bien souvent des promoteurs et militants de la diversité des genres.» Dans un contexte de changement récent de ministre de tutelle, de la socialiste Cesla Amarelle au PLR Frédéric Borloz, notre interlocuteur relève des fluctuations dans la force de ces tendances. «Reste que sur le terrain, nous sommes ballottés de quinquennat en quinquennat à propos de réalités qui, paradoxalement, font partie des invariants de la nature humaine.»

Symboles «genderqueer», à gauche du ballon de basket, ou «bigender», en haut à droite, apportent une coloration très particulière à ce dépliant destiné aux parents d’élèves de 6 à 15 ans. La notion de «respect de soi, des autres, des différences et des limites» intervient dès l’âge de 9-10 ans d’après les explications de la page 2 (à droite). A relever que les différentes notions, telles que les genres ressentis, non binaires et autres, s’inscrivent dans une volonté de présenter une «information objective» et «scientifiquement correcte». Une question qui ne manquera pas de souligner la possible contradiction entre cours de biologie et catéchisme progressiste. Profa

Le canton se défend

N’est-on pas en train d’aller trop loin, comme le craint ce pédagogue? Nous avons posé la question au Département de l’enseignement et de la formation professionnelle, qui a validé le dépliant. Ce dernier commence par nous rappeler le cadre suivant: le service d’éducation sexuelle de la fondation PROFA dispense les cours d’éducation sexuelle auprès des élèves de la scolarité obligatoire du canton de Vaud, sur mandat du Canton, sous l’égide de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. L’éducation sexuelle fait partie des politiques publiques de santé et d’éducation. «Sur la présence des pictogrammes que vous pointez, nous pouvons ajouter qu’ils contribuent à des objectifs de prévention qui sont dans la Loi sur l’enseignement obligatoire du 7 juin 2011 et plus précisément son Règlement d’application», explique son responsable de la communication, Julien Schekter. Il cite à l’appui deux articles. Le premier dispose que «le département soutient, par l’information et la communication, des actions visant à réduire les inégalités, notamment celles liées à l’origine sociale ou ethnique des élèves ou à leur orientation sexuelle». Quant au second, il exige que «les élèves développent une attitude constructive et respectueuse d’autrui. Ils s’abstiennent de tout acte de violence physique, verbale, psychologique ou à caractère raciste, sexiste ou homophobe, de même que de tout propos méprisant se rapportant à l’apparence physique ou à l’appartenance sociale, religieuse ou ethnique des autres élèves, des adultes qui les entourent, ou de toute autre personne». Une attitude qu’il faudra donc désormais ajuster au ressenti des personnes qui s’identifient à des réalités parfois peu claires. «Nous pouvons par ailleurs vous indiquer que PROFA remplit son mandat à l’entière satisfaction des autorités cantonales et ce depuis de nombreuses années», conclut Julien Schekter.

Pas certain que ces explications suffisent à apaiser le cadre que nous avons pu contacter à condition de protéger scrupuleusement son anonymat: «Aujourd’hui, comme pédagogue, je me retrouve devant une situation ubuesque: je dois m’assurer de préparer la jeunesse à se sentir appartenir à une société de demain de manière harmonieuse et cohérente et je dois faire cela en promouvant un état d’esprit général qui dit que la plupart des fondements de ce qui nous permet de «faire société» est variable, flou, fluide, relatif. On peut, dit-on aux enfants, devenir tout ce que l’on veut car le sentiment individuel prévaut sur la réalité objective. Comment les aider à se construire dans un tel contexte? Et comment les aider à construire la «maison commune de demain» quand on encourage et valide, dans les faits, la subjectivité de chacun et de tous. J’ai crainte que cela ne soit que le début d’une grande fragmentation de la société.»

Des ados initiés au gode-ceinture:
quand une brochure suisse suscite la colère des parlementaires

Si la brochure de PROFA peut surprendre en introduisant des catégories de «genres» nouvelles auprès des petits Vaudois, une autre fait carrément l’objet d’une dénonciation pénale en raison de son caractère incitatif. Il s’agit de la brochure Hey You, destinée aux écoliers suisses dès douze ans. Réalisée par Santé Sexuelle Suisse – avec le soutien de l’Office fédéral de la santé publique –, cette dernière aborde des thèmes comme l’anulingus, la bonne utilisation des plugs ou des sex toys en général. A l’origine de la plainte contre ce document, l’association Initiative de protection. Le conseiller national PDC Benjamin Roduit est membre de son comité. Pour lui, un même état d’esprit anime les concepteurs de ces différents documents: «La stratégie de ces personnes consiste à dire aux écoliers qu’il est normal de sortir de la norme, mais aussi et surtout qu’ils devraient essayer. Il n’y a même pas besoin d’argumenter quinze ans: nous devons simplement refuser que ces gens, qui nient la distinction entre les sexes, ne touchent à nos enfants.»




Les causes sacrées de la discorde

«One Love», c’est ce que qu’avaient annoncé plusieurs fédérations de football européennes en septembre dernier en vue de la Coupe du monde de football au Qatar. Malheureusement pour elles, la FIFA a annoncé, juste avant le match Angleterre-Iran, que les équipes qui porteraient le brassard frappé du slogan et des (incorrectes) couleurs arc-en-ciel en soutien aux personnes LGBT+ seraient frappées de «sanctions sportives». Par ce terme, on n’entend pas de simples amendes mais bien un carton jaune dès le début du match pour les joueurs de balle au pied un peu trop rebelles. Les sept fédérations européennes qui prévoyaient de montrer leur soutien (l’Angleterre, le pays de Galles, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse) ont alors rapidement fait demi-tour et décidé d’abandonner leur signe de soutien.

Adrian Arnold, responsable de la communication de l’Association suisse de football (ASF), justifie le choix d’abandonner le signe de soutien: «En tant que fédération nationale, nous ne pouvons pas mettre nos joueurs dans une situation où ils risquent des sanctions sportives, y compris l’expulsion. C’est regrettable, parce que nous voulions faire passer un message positif.» Il promet cependant de reprendre le combat pour l’inclusivité, une fois l’événement qatari terminé: «Nous ferons passer ce message à l’extérieur à d’autres occasions. Cette décision de la FIFA ne change rien à nos valeurs. Nous défendons le respect, la tolérance et la solidarité.»

Un brassard peu précis

Ce volte-face de la FIFA est considéré comme «ridicule» par Roman Heggli, secrétaire général de Pink Cross, l’association faîtière des organisations gays en Suisse: «Premièrement, le brassard a déjà été critiqué au préalable parce qu’il est absolument apolitique et n’utilise pas les bonnes couleurs de l’arc-en-ciel. Le lien avec les personnes LGBT+ doit donc être recherché. Mais même ça, c’est trop pour la FIFA!» Il reste moins sévère avec l’ASF: «D’une certaine manière, je peux comprendre que l’équipe nationale suisse s’incline, car la décision de la FIFA est prise à court terme. Je me pose plutôt la question suivante: pourquoi les associations de football se laissent-elles faire et se laissent-elles mener par le bout du nez par la FIFA? Il est donc bien plus important que les fédérations interviennent auprès de la FIFA et exigent des changements structurels ou quittent la FIFA.»

Une organisation bien silencieuse

La FIFA a plié face à l’organisateur mais va certainement inciter à porter le brassard d’ici quelques semaines. On peut dès lors se demander si la fédération utilise les personnes LGBT+ comme faire-valoir moral, sans réelle conviction. Une piste que n’ignore pas Roman Heggli: «La FIFA a toujours été indifférente aux personnes LGBT+ et continuera malheureusement à l’être. Il n’y a pas d’autre explication au fait que la Coupe du monde 2018 ait eu lieu en Russie et la Coupe du monde 2022 au Qatar. Et il n’y a toujours pas de mesures réelles pour soutenir les footballeurs professionnels queer et combattre l’hostilité LGBT+ dans le football.» Les enjeux LGBT+ ne sont d’ailleurs pas les seuls thèmes habituellement très prisés par la FIFA qu’il valait mieux ne pas trop aborder lors de la Coupe du monde. Les actes de protestation en faveur des droits de l’homme en général, sur les pelouses ou dans les gradins, ayant été accueillis avec une certaine fraîcheur par les autorités qataries.

Contactée par courriel, la FIFA n’a pas donné suite aux questions que nous souhaitions lui poser, à savoir si elle avait cédé suite à des pressions et, si tel était le cas, de la part de qui.

Pour conclure, soyons rassurés, les Verts veillent au grain dans cette affaire. Le parti écologiste a fait preuve d’une bravoure inouïe en déclarant vouloir déposer un texte au Parlement fédéral demandant que la FIFA soit imposée au même titre que n’importe quelle entreprise de sa taille. Est-ce que cela va fonctionner comme avec le CO2, soit demander plus de taxation pour réparer le monde?




Le blues de l’ingénieur

Recenser, classifier, documenter les dérives de la pensée déconstructionniste: voilà la tâche que s’est assignée un jeune ingénieur romand, avec son site balance-ton-woke.com. Depuis plusieurs semaines, il ne se passe pas un jour sans que ce scientifique relève les mots d’ordre progressistes des institutions, la négation des réalité biologiques dans les discours officiels ou les entreprises de destruction de la civilisation. L’auteur, pourtant, n’a rien d’un obsessionnel: sa démarche s’inscrit dans un ras-le-bol perceptible chez les employés du secteur tertiaire, lassés de subir les injonctions de plus en plus autoritaires d’un capitalisme woke. Mois des fiertés noires, homosexuelles ou féministes… De plus en plus de sociétés imposent en effet à leurs travailleurs de communier dans des valeurs et des univers moraux situés très loin des activités de leur corps de métier.

Nous avons rencontré Thomas*, fondateur du site, pour comprendre sa démarche.

Pourquoi ce site?

D’abord, j’ai réagi à des courriels révoltants qu’on me faisait remonter de l’Université de Lausanne ou de l’EPFL. Ces messages proposaient par exemple des ateliers réservés à telle ou telle catégorie de personnes, en fonction de leur sexe notamment. La création de toilettes non genrées dans certaines de ces institutions ou dans une piscine lausannoise, aussi, fait partie des choses qui m’ont poussé à vouloir collecter toutes les informations de ce type pour que les gens se rendent compte que le wokisme n’est plus un délire d’universitaires isolés, mais quelque chose qui étend réellement son emprise sur leur vie.

Pourquoi ce choix de l’anonymat? N’auriez-vous pas plus de force en sortant du bois?

Je ne suis pas quelqu’un d’engagé publiquement: j’agis comme ingénieur et ancien étudiant. Il faut voir que je reçois de plus en plus de courriels des ressources humaines de mon entreprise qui sont totalement délirants. On nous organise des événements sportifs réservés aux femmes de la boîte, par exemple, et si ma société n’a pas encore participé à la Pride, on sent que ça va venir. D’autres boîtes du même type que la mienne le font déjà officiellement.

Vous pensez que cela dénote un certain arrivisme?

Même pas! Ma directrice des ressources humaines (DRH), par exemple, veut bien faire et croit participer à un vaste progrès sociétal. Au vu des réactions de mes collègues, de plus en plus excédés de recevoir des messages qui n’ont rien à voir avec le travail alors qu’ils n’avaient pas particulièrement d’avis sur ces questions, l’effet paraît clairement contre-productif.

Au-delà de votre entreprise, comment le wokisme est-il perçu chez les ingénieurs?

Je suis dans un monde où les gens sont plutôt rationnels et se braquent quand on leur parle de religion, chose à laquelle ils sont souvent très imperméables. Toutes les histoires de mecs qui tombent enceints, dans le fond, ils s’en fichent et restent un peu passifs, pour les mêmes raisons. C’est dommage parce que dans leur grande majorité ils trouvent ça parfaitement débile.

Vous avez le sentiment que certaines entreprises perdent la tête?

Évidemment. Nous avons récemment reçu un message de notre DRH qui nous appelait à changer les mentalités sur toute une série de sujets sans lien avec notre activité. Je suis navré, mais le rôle d’une entreprise est d’assurer sa rentabilité, et c’est tout. Il y a eu, par le passé, des patrons sociaux. Cela n’avait toutefois rien à voir. Il s’agissait de garantir des conditions de vie dignes aux employés, pas d’une vaste entreprise de rééducation des employés.

Vous êtes un catholique engagé. Cela a-t-il une influence sur votre projet?

Je ne crois pas. Ou alors peut-être dans la mesure où c’est parce que je suis catholique que je me sens conservateur. Mais résumons les choses ainsi: le projet des wokes est de donner naissance à une génération de déracinés. Au contraire je revendique mes origines, j’ai reçu un héritage et je compte bien le transmettre à mes enfants, même si ça déplaît à certains.

*Prénom d’emprunt




Écrire ou mourir

Il m’arrive parfois de m’emporter et de lancer à mon interlocuteur médusé: «Je vous laisse le choix des armes et je vous attends à l’extérieur.» Hélas, je le sais bien, le monde a changé et on me rappelle sans cesse que l’on ne se bat plus au fleuret ou à l’épée dans la brume du petit matin. L’envie désuète de régler une question par un duel me vient sans doute de mes années d’escrime mais plus encore de la lecture des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas. Mon édition de poche des aventures d’Athos, Porthos, Aramis et d’Artagnan est préfacée par Robert Nimier. J’y lis que «les jeunes Français […]sont élevés dans la discipline des “Mousquetaires” (et qu’) ils y apprennent des vertus cardinales […], la noblesse, le mystère, la force et l’audace». C’est aussi pour cela que j’ai quelquefois envie de me battre en duel. C’est pour cela que j’aime à lire les œuvres de ces rebelles que furent les Hussards.

Professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle, Marc Dambre nous offre une synthèse magistrale et exhaustive sur ce qu’il nomme l’«histoire d’une rébellion en littérature». A travers les vies croisées de Nimier, Blondin, Laurent et Déon, Marc Dambre nous fait revivre tout un pan peu connu de l’histoire culturelle de l’après-guerre.

Oubliés de l’Université, laissés de côté par les manuels scolaires, qui sont les Hussards? Qu’est-ce qui les anime?

Un portrait à charge

En décembre 1952, Bernard Franck, bon soldat de la lourde infanterie sartrienne, publie un article pour brocarder de jeunes auteurs: Blondin, Laurent et Nimier. Il les classe à droite, péché suprême, en les appelant «les Hussards». Depuis lors, on retient cette appellation et la description qu’en donne Franck: «Ils aiment les femmes […], les autos […], la vitesse […], les salons […], les alcools (un peu tout le monde), la plaisanterie (leur mauvais goût). Ils sont truqués comme un après-guerre, presque touchants à force de vouloir nous persuader que nous sommes en 1925 et que tout va recommencer […]. Envers la littérature, il se conduisent comme ces petits-bourgeois qui vont au bordel […].» Bref, les Hussards semblent être des adolescents révoltés, fils à papa profitant de la vie. Tout n’est pas si simple pour ne pas dire simpliste.

Des contestataires de droite

En réalité, si ces jeunes auteurs sont bien de droite, ils ne sont pas conservateurs pour autant. Loin de défendre des valeurs comme l’Église, l’armée, la patrie et le mariage, ils s’en méfient et adoptent même un certain cynisme à leur égard. Ils appartiennent «à cette génération heureuse qui aura eu vingt ans pour la fin du monde civilisé» (Nimier). Dès lors, la société leur apparaît comme superficielle et marquée d’insuffisances. Face à cette crise des valeurs, ils se posent comme supérieurs à la société médiocre. Ils refusent toute compromission et portent un regard autant lucide que désabusé: «En politique, il n’y a, à présent aucune valeur, aucune idée, aucun parti (reconnu ou clandestin), aucune doctrine qui ne soit volontairement ou involontairement solidaire d’un mensonge, d’une injustice, d’un crime ineffable ou d’une palinodie» (Jacques Laurent).

Contrairement à l’engagement existentialiste d’un Sartre ou d’un Camus, ils se font les chantres d’un désengagement, d’une démilitantisation. Pourquoi?

Déçus par un idéal impossible, les Hussards sont poussés par une désespérance: «Il faut savoir désespérer jusqu’au bout» (Nimier). Le monde se divise en deux camps: les opposants et les complices du chaos. Cette attitude permet de comprendre leur posture paradoxale déjà exprimée par Baudelaire dans «l’héautontimorouménos», poème connu de Nimier: «Je suis la plaie et le couteau! / Je suis le soufflet et la joue! / Je suis les membres et la roue, / Et la victime et le bourreau!».

Vive la mort!

Céline n’hésitait pas à affirmer, dans un entretien à l’ORTF en 1961, que «la vraie inspiratrice c’est la mort». Les Hussards l’ont bien compris et surtout vécu. Ils ne s’engagent pas pour une cause mais ils engagent leur propre vie quand ils écrivent. C’est ce qui peut les rendre odieux, insupportables comme François dans L’enfant triste de Nimier. Il y a donc une dimension tragique à ne pas négliger. Nous sommes loin de la description alcool, femme, vitesse, etc.

En somme, les Hussards n’ont qu’une alternative: écrire ou mourir. Comment ne pas citer la lettre de Jean-René Huguenin à Jean Le Marchand: «Je fourre mes mains dans mes poches pour que l’ennemi ne voie pas qu’elles tremblent d’appréhension avant le grand combat, je fais une prière muette et recommande mon âme à Dieu, puis je descends une à une les marches du fortin et j’attends les cavaliers qui approchent en galopant sans craindre la défaite puisque je ne connaîtrai que la victoire ou la mort – vous l’avez dit. Écrire ou mourir.»
A l’heure où le prix Nobel de littérature est attribué à Annie Ernaux pour «le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle»; à l’heure où l’on s’extasie sans recul critique sur Sa Préférée, de Sarah Jollien-Fardel, en soulignant que ce roman peut libérer la parole; à l’heure où l’on s’émeut des poèmes et des chroniques «engagés» de Quentin Mouron, je rêve de nouveaux «Hussards» ou d’un duel.

Le style hussard

«Le style du hussard, c’est le désespoir avec l’allégresse, le pessimisme avec la gaieté, la piété avec l’humour. C’est un refus avec un appel. C’est une enfance avec son secret. C’est l’honneur avec le courage et le courage avec la désinvolture. C’est une fierté avec un charme; ce charme-là hérissé de pointes. C’est une force avec son abandon. C’est une fidélité. C’est une élégance. C’est une allure. C’est ce qui ne sert aucune carrière sous aucun régime. C’est le conte d’Andersen quand on montre du doigt le roi nu. C’est la chouannerie sous la Convention. C’est le christianisme des catacombes. C’est le passé sous le regard de l’avenir et la mort sous celui de la vie. C’est la solitude et le danger. Bref, c’est le dandysme.» Pol Vandromme, Roger Nimier, le Grand d’Espagne (1977)

Marc Dambre, Génération hussards, Perrin, 2022.
Pol Vandromme, Roger Nimier, Le Grand d’Espagne, Editions Vagabonde, 2002.
Marc Dambre, Roger Nimier, hussard du demi-siècle, Flammarion, 1989.




« La décroissance, c’est du bullshit ! »

Philippe Nantermod, vous êtes venu sans votre fameuse casquette?

Eh oui, nous en avions réalisé plus de 800 pour notre journée de parti, fin octobre, et toutes ont trouvé preneur. Nous en avons recommandé.

Le ton général de cette rencontre a été décrié par des experts en communication, chez nos confrères de Blick. Vous en êtes satisfait, vous?

Et pas qu’un peu! C’était un vrai rassemblement politique comme nous le voulions, pas trop long, une heure et demie à deux heures. Il y a eu près de 1000 personnes présentes contre généralement 250 à 300 dans ce genre de meetings. Nous avons réalisé des affiches qui ont beaucoup fait parler, avec nos fameux F-35, nous avons produit ces fameuses casquettes, mais surtout nous avons proposé un vrai contenu politique: Kaspar Villiger nous a par exemple parlé pendant vingt minutes du frein à l’endettement et nous avons aussi fait venir un des penseurs libéraux les plus brillants de notre époque, Ferghane Azihari, qui a évoqué les dangers de la décroissance. C’était d’un très haut niveau et un des premiers articles que j’ai lus sur notre assemblée, d’un journaliste de Tamedia, se moquait d’ailleurs de nous parce que notre orateur maniait le subjonctif imparfait. Allez comprendre: dans le même temps, on nous reprochait d’être populistes parce que nous portions des casquettes bleues…

Mais très franchement, vous pouvez nous jurer qu’il n’y a aucune influence «trumpienne» dans le ton que vous voulez donner à votre campagne?

Non, honnêtement, ni par rapport à la casquette ni même dans le choix de tel ou tel mot. En revanche, il y a une vraie influence du style «à l’américaine», ça c’est vrai: j’aime les slogans chocs, le côté «campagne de droite décomplexée». En ce qui concerne spécifiquement Trump, je dirais qu’il y a chez le républicain des choses qui me déplaisent, bien sûr, mais s’il y a un aspect de lui que j’ai apprécié, c’est sa manière assez rock’n’roll de faire campagne, que l’on trouvait aussi chez un Sarkozy ou d’ailleurs aussi chez un Obama. C’est plutôt sympa la politique quand elle est vivante comme ça et c’est souvent ce qui manque un peu en Suisse.

Ce style tranche tout de même énormément avec l’esprit très écolo-compatible de l’ère Petra Gössi, ancienne présidente du parti. C’est voulu?

Je n’ai pas envie de taper sur ce qui a été fait par le passé. En 2019, on a pas mal sauvé les meubles et on était dans un climat différent. Il était aussi important de donner une réponse à des questions légitimes que se posaient nos électeurs. Aujourd’hui, je crois qu’on a besoin d’une droite libérale et décomplexée, qui revient à ses fondamentaux, qui n’a pas honte de dire qu’elle a une ligne, qu’elle est pour la libéralisation, pour le libre-échange, pour le marché. Une droite qui affirme aussi qu’on n’a pas à être puni parce qu’on gagne sa vie, qui rappelle que le profit est une bonne chose et que ce sont les pertes et les dettes, à l’inverse, qui sont maléfiques, comme disait Churchill. Aujourd’hui, on inverse tous les repères, toutes les valeurs et je suis assez heureux d’être chef de campagne pour le PLR en 2023, car on va pouvoir y aller un peu au marteau-piqueur.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est.

Philippe Nantermod

Effectivement, on vous sent assez peu attiré par la demi-mesure.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est. Je crois que ceux qui doivent s’excuser aujourd’hui, ce sont ceux qui nous ont promis qu’on pouvait sortir du nucléaire sans aucune difficulté, chose à laquelle mon parti a d’ailleurs également cru. Ceux qui ont promis ça et qui continuent à le promettre aujourd’hui sont des menteurs, tout comme ceux qui nous ont dit durant des années que la Banque nationale suisse était une fantastique planche à billets et qu’il n’y avait plus besoin de payer des impôts, alors qu’elle perd 150 milliards cette année. Ceux qui ont fait croire que le travail était dépassé, que l’on pouvait distribuer avant de produire, tous ceux qui nous ont vendu du rêve doivent aujourd’hui s’excuser, pas nous.

Ce ton résolument offensif vise-t-il à faire oublier votre ligne, plutôt autoritaire, sur les questions liées au Covid?

Non je ne crois pas. Sur le Covid, vous oubliez que le PLR a toujours été en première ligne pour limiter les mesures.

Pas sur le pass…

Non. Cependant, le pass n’était pas une mesure de limitation, mais une mesure pour éviter le semi-confinement, on l’oublie souvent. Soyons très clairs: le vaccin, en soi, est une toute petite contrainte: il prend cinq minutes et réduit le risque de tomber gravement malade, d’embouteiller les hôpitaux et de mettre à bas le système, donc de tout fermer. Du moment où vous avez un vaccin, vous avez un moyen de limiter drastiquement toutes les autres mesures. Il faut rappeler que le pire, durant cette période, n’est pas d’avoir dû faire un vaccin, mais de ne pas avoir pu travailler, d’avoir dû fermer des magasins, des restaurants, d’avoir empêché les gens de vivre normalement. Or, on ne pouvait pas simplement exiger de tout ouvrir alors que le nombre de cas explosait et que les hôpitaux étaient au bord de la rupture.

Ce visuel mi-beauf mi-bourrin a conduit des spécialistes en communication interrogés par Blick à affirmer que Philippe Nantermod se «trumpisait sur la forme». Ce virage à droite suffira-t-il à faire oublier des orientations pas si libérales que ça du PLR durant la crise Covid?

Reste que vous avez défendu cet outil, le pass, dont on nous disait qu’il visait à réduire la transmission, au lieu de simplement assumer qu’il était une chicane pour les récalcitrants. Était-ce bien aligné sur la responsabilité individuelle que prône le PLR?

Je l’ai défendu comme un moyen de limiter les infections graves et de protéger les non-vaccinés. Moins pour eux, finalement, que pour éviter qu’ils ne finissent aux soins intensifs et fassent exploser tout le système hospitalier. S’ils voulaient échapper à cette bulle que l’on créait autour d’eux, ils le pouvaient: il fallait simplement qu’ils se vaccinent ou se fassent tester régulièrement. En outre, on a aussi espéré que le vaccin réduirait les transmissions, mais aujourd’hui encore, la chose n’est pas absolument claire.

N’y a-t-il pas tout de même un risque que l’UDC ait pu vous piquer quelques électeurs sur ce dossier?

Bien sûr, grand bien leur fasse, c’est le jeu démocratique ma foi. On ne doit pas adapter son discours en fonction des gains que cela peut nous procurer. Je suis convaincu par le progrès technique, convaincu aussi que ce vaccin était une solution qui nous a permis d’éviter des mesures beaucoup plus liberticides, mesures qu’on a d’ailleurs arrêté de prendre dès qu’on a eu le vaccin. Certains ont très vite oublié ces périodes où les magasins et les restaurants étaient fermés et où on ne pouvait plus travailler. Bien sûr, pour certains, c’était la panacée, cette époque où ils pouvaient rester à la maison en étant payés…

Dans la campagne à venir, quel sera le grand enjeu, selon vous? Les enjeux climatiques et ses Cassandre collées aux routes?

Au contraire, beaucoup de gens, chez les Verts ou chez les «journalistes climatiques» – puisqu’on a récemment découvert dans Le Temps qu’une telle chose existait – commencent à paniquer à l’idée que cet enjeu ne soit plus la préoccupation première des électeurs. Je rappelle qu’il y a quatre ans, nous avions 100 000 gaillards qui descendaient dans la rue tous les vendredis à ce propos, certains avec mon portrait sur lequel était écrit «Nantermod salaud» ou «Nantermod au cachot». Aujourd’hui, on a six personnes, toujours les mêmes du reste, qui se collent les mains sur les routes. Il n’y a clairement plus le même engouement. En quatre ans, les gens ont compris qu’on n’avait pas toutes les clés du problème en Suisse et qu’on faisait tout ce qu’on pouvait. Ils ont aussi vu que, même quand on proposait des compromis comme la loi sur le CO2, ces mêmes milieux parvenaient à les saborder. Un dernier point: aujourd’hui presque tous les pays d’Europe ont réussi à découpler leur croissance économique et les émissions de CO2. Cette idée de «changer de système pour changer de monde» ne tient donc plus: la logique de la décroissance, c’est du bullshit.

N’est-ce pas une logique qui peut être sympathique, pour autant qu’elle soit volontaire?

Celui qui veut aller vivre dans la forêt, qu’il le fasse, pour peu qu’il y parvienne malgré les lois sur l’aménagement du territoire promues par les écologistes. Actuellement, ces derniers vont surtout chercher à installer la population dans des clapiers en banlieue: la fameuse «densification».

Revenons au grand enjeu de la campagne. Quel sera-t-il?

On nous refait le coup de 2019 où on ne peut pas allumer la RTS sans qu’on nous dise qu’il fait trop chaud quand il fait chaud, trop froid quand il fait froid et un peu trop tiède quand il fait tiède. Cela ne prend pas parce que les gens ont aujourd’hui beaucoup plus peur de l’inflation, des pénuries d’électricité, de matières premières, d’essence, de gaz… Le climat, c’est central, mais on n’a pas chômé ces dernières années. La Suisse fait sa part et les citoyens n’ont pas forcément envie d’être plus royalistes que le roi.

Et quel parti va tirer son épingle du jeu, à droite?

Les partis de droite ne s’adressent pas tous à la même population. Nous n’avons pas le même discours et pas uniquement des valeurs communes. Mais je crois que nous sommes arrivés à une époque où les succès des uns et des autres vont de pair. Il y a des mouvements généraux vers la gauche ou vers la droite, avec des gens qui se reconnaissent davantage dans une famille libérale ou conservatrice. Ce qui est un peu triste, c’est que les Vert’libéraux, qui devraient être des partenaires de la droite, sont devenus une officine des Verts. Peut-être que certains électeurs qu’ils ont attirés il y a quatre ans vont en prendre conscience…

Les agrariens sur les bancs d’école

Si la campagne pour les élections fédérales du PLR dirigée par Philippe Nantermod semble allégrement draguer un électorat conservateur, du côté de l’UDC on se prépare avec sérénité aux mois à venir. A la mi-novembre, les cadres intermédiaires du parti se sont réunis dans les environs de Lausanne pour réviser leurs gammes. Au menu, des explications sur la manière d’organiser l’agenda de sa section, de bien tenir son stand ou… de répondre aux journalistes. Plus longue que la fameuse journée de parti du PLR, et bien plus modeste dans sa communication, cette «UDC Academy» s’est tenue sous la houlette de la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz et du président de l’UDC Vaud Kevin Grangier. RP




Des autorités condamnées à parler dans le (co)vide

Début octobre, l’eurodéputé Rob Roos avait face à lui Janine Small, responsable des marchés internationaux de la société pharmaceutique Pfizer, lors de la session du Parlement européen. Le politicien de la droite conservatrice néerlandaise n’y est pas allé par quatre chemins pour lui poser la question qui fâche: «Le vaccin Covid de Pfizer a-t-il été testé sur l’arrêt de la transmission du virus avant d’être mis sur le marché ? Si non, veuillez le dire clairement. Si oui, êtes-vous prête à partager les données avec ce comité ? Et je veux vraiment une réponse franche, oui ou non. J’ai hâte de la recevoir.» «Connaissions-nous l’effet sur l’arrêt de la transmission avant la mise sur le marché? Non», a simplement répondu Janine Small, expliquant que Pfizer avait «vraiment dû avancer à la vitesse de la science» et «tout faire dans le risque» (ndlr: we had to do everything at risk). La suite de l’histoire est classique: la vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux, créant une certaine méfiance envers Pfizer auprès de certains publics.

Le Peuple s’est adressé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) afin de connaître sa réaction aux déclarations de la représentante de Pfizer. Nous avons été redirigés vers l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic). Lukas Jaggi, son porte-parole, nous a confié que «les études initiales d’autorisation de mise sur le marché ont démontré une protection supérieure à 90% contre les infections symptomatiques», ajoutant que «dans le cadre des expériences avec des millions de personnes vaccinées et aussi en raison de l’évolution rapide des variants (changements du virus), nous avons observé que le vaccin protégeait moins bien contre les infections symptomatiques non graves, mais de manière toujours très fiable contre les évolutions graves (hospitalisation et décès) du Covid-19.» Enfin, il a tenu à rappeler que «bien que les vaccins ne garantissent pas une protection à 100% contre la transmission, ceux contre le Covid ont été le principal facteur qui a contribué à enrayer la pandémie et à réduire les décès et les hospitalisations. Sans les vaccins, il y aurait eu beaucoup plus de morts et de personnes qui auraient été affectées par le Covid long.»

Deuxième couac

Une autre information, plus troublante, devait être publiée le 2 novembre par Swissmedic: des bulles d’air venaient d’être découvertes dans le vaccin contre le variant Omicron par certains centres de vaccination. Deux jours plus tard, l’Institut suisse des produits thérapeutiques annonçait qu’il n’avait identifié aucun problème concret en rapport avec ce produit. Les bulles observées pourraient être dues à des facteurs physiques (écarts de pression ou de température notamment) lors de la préparation des doses. Or cette manipulation doit être impérativement réalisée selon les prescriptions du fabricant. Selon Lukas Jaggi, informer la population sur des lots suspects puis procéder à des analyses fait partie d’un processus standard: «Toutes les annonces d’anomalies concernant des médicaments présentent un intérêt pour Swissmedic. L’institut continue à suivre la situation de près ainsi qu’à prendre en compte tous les incidents annoncés, et publiera de nouvelles informations dès qu’il en disposera.»

Une simultanéité malheureuse

C’est dans ce contexte un peu tumultueux que fleurissent depuis quelques semaines des affiches encourageant à procéder à la vaccination de rappel. Et là encore, certains éléments peuvent surprendre: sur les supports, nous pouvons distinguer différents types de bras, des plus «jeunes» au plus «âgés». Or, la Confédération estime que la quatrième dose s’adresse aux «personnes de 65 ans et plus, personnes de 16 ans et plus atteintes d’une maladie chronique, aux personnes de 16 ans et plus atteintes de trisomie 21 et aux femmes enceintes». De plus, des personnes quarantenaires et en bonne santé ont également reçu des SMS de rappel de la part des autorités cantonales. De quoi s’interroger sur un éventuel décalage entre la communication et la réelle situation sanitaire. Pour l’OFSP et son porte-parole, Simon Ming, la campagne s’adresse à tous: «Outre les personnes vulnérables, pour lesquelles il existe une forte recommandation, toutes les personnes à partir de 16 ans peuvent recevoir une vaccination de rappel. Leur risque de développer une forme grave à l’automne 2022 est très faible. Le rappel offre une protection limitée et de courte durée contre une infection et une forme bénigne de la maladie. Cet aspect peut se révéler important particulièrement pour les professionnels de la santé et les personnes assurant la prise en charge de personnes vulnérables.»

Nasrat Latif, journaliste et expert en communication pour l’agence Nokté, rappelle que mener une nouvelle campagne de vaccination après des annonces plus ou moins gênantes ne se commande pas: «Les autorités doivent mener une campagne et elles le font. Il est donc logique qu’elles le fassent. Dans les deux cas que vous mentionnez, il est plutôt rassurant que les informations sortent. Si des choses ne vont pas, c’est la moindre des choses de le dire. Après, à chacun de penser ce qu’il veut de ces informations.»
Le communicant a tout de même des remarques à faire sur les nouvelles affiches: «Les images montrent effectivement différents «types» de bras. Il y en a autant des «jeunes» que des «âgés», également de la mixité sociale. En terme de communication générale, ça manque d’émotion mais c’est normal dès que l’on mène une campagne nationale.» La seule solution pour renforcer l’impact de la publicité pour le vaccin reste simple. «Il serait bon d’adapter les messages en fonction des régions, mais dans ce cas précis, le budget communication augmenterait de manière importante», juge Nasrat Latif. Et pas question de jouer sur la peur non plus: «En Suisse, cela ne fonctionnerait pas, d’autant que le danger ne se voit plus, pour le moment.»




Plus vit.e, plus haut.e, plus fort.e

L’Américain Jake Caswell (photo encadré) est heureux et fier. Il a fini à la première place lors du dernier marathon de New York, le 7 novembre dernier, et empoché un beau chèque de 5000 dollars. Un couronnement obtenu non pas dans la catégorie «hommes», à laquelle il devrait appartenir d’un point de vue physiologique, mais dans une catégorie toute nouvelle: celle des «non-binaires». Comme le souligne la presse américaine, le New-Yorkais de 25 ans, avec un temps de 2 heures et 45 minutes, aurait terminé 147e dans la catégorie masculine. Et 172e au classement général. Classements tout aussi honorables pour un solide gaillard comme lui.
Cinq des six plus grands marathons mondiaux — New York, Boston, Chicago, Londres et Berlin — ont récemment ajouté la catégorie «non-binaires» dans leur compétition. Seul celui de Tokyo n’a pas opté pour ce choix, avec des critiques virulentes à la clé.
Cette nouvelle inclusivité ne se traduit pas encore par la mise en place de catégories spécifiques en Suisse, même si l’idée ne semble clairement pas déranger. Patrice Iseli, chef du Service des sports de Lausanne et président du comité d’organisation des 20KM de la capitale cantonale n’a, par exemple, reçu aucune demande allant dans ce sens: «Plutôt que de nouvelles catégories, nous privilégions la mise en place de nouveaux parcours basés sur la distance où le chronométrage est absent ou peu important, comme «courir pour le plaisir» ou «l’apérorun». Nous souhaitons que toutes les personnes, même celles et ceux qui ne pratiquent pas ou peu la course à pied, puissent participer et se réunir autour d’un même évènement. Nous nous inscrivons pleinement en cela dans la politique municipale de développement de la pratique sportive pour toutes et tous.»

La faitière Swiss Running n’a pas non plus connaissance de demandes pour une catégorie «non-binaires». Sa porte-parole Marlis Luginbühl précise que si un tel besoin se manifeste, les organisateurs mettront en place une offre. Selon elle, «la course à pied est en soi un sport inclusif. A part une paire de chaussures de course, aucun équipement n’est nécessaire et tout le monde n’a qu’à sortir de chez soi pour s’entraîner. C’est pourquoi les courses devraient également être ouvertes à tous.»

Le risque de la fragmentation

Jake Caswell, heureux et fier après sa victoire au Marathon de New-York

Nous vivons tous, à des degrés divers, dans des projections de l’esprit. Tel ou tel se croira irrésistible, un autre excellent joueur de basketball, voire capable d’écrire des éditos stimulants. Dans une certaine mesure, c’est à développer en nous cette fiction que servent les arts, et la littérature en particulier. Qu’une personne biologiquement mâle «s’identifie» homme, femme ou «non-binaire», dès lors, ne mérite pas de jugement: des décalages entre notre réalité objective et notre «ressenti», comme disent les magazines féminins, font partie de la nature humaine.

Le problème survient lorsque, loin de se contenter de jouir de cette vie intérieure, des activistes entendent imposer à la société entière la reconnaissance de réalités qui n’existent que dans leur tête. Ainsi la fameuse cause des «non-binaires»: comme chacun le sait, il existe dans la nature des personnes intersexuées, dans des cas extrêmement rares. Mais ces hommes qui gagnent des catégories sportives qui leur sont dédiées au nom de leur prétendue «non-binarité», qui sont-ils ? Eh bien des hommes, précisément, dont on comprend mal en quoi l’orientation sexuelle ou affective devrait influencer leurs foulées et leurs capacités cardiovasculaires. Ne peut-on pas imaginer qu’il y ait, parmi les dizaines et dizaines de personnes qui passent des lignes d’arrivée de marathons avant eux, des homosexuels, des végétariens ou des roux qui ne comprennent pas l’intérêt de demander une catégorie rien qu’à eux dans une discipline où le seul dénominateur commun devrait consister à courir vite ? Derrière l’apparente tolérance qui consiste à choyer des imposteurs, pour ne surtout pas les stigmatiser ou discriminer, un danger guette: celui de renvoyer une majorité de gens qui n’ont rien demandé à des étiquettes dont ils aimeraient avant tout s’affranchir. RP