Mater dolorosa

Les sentiments des femmes en images
Les illustrations de cette enquête reflètent l’état d’esprit des témoins au moment de leur perte de grossesse. Il leur a été demandé de le décrire, si possible, par une image. Elles ont ensuite été réalisées à la demande de la journaliste par Micaël Lariche, illustrateur et designer indépendant. Partie prenante du projet dès le début, l’illustrateur a cherché, en concertation avec l’auteure de l’enquête, à rendre plus tangibles des sentiments que l’immatérialité d’un tel événement peuvent rendre difficile à appréhender.

« Elle se tint là, la mère endolorie toute en larmes, auprès de la croix, alors que son Fils y était suspendu. » Cette première strophe, tirée du Stabat Mater dolorosa, appartient par essence à la musique sacrée et dépeint la douleur d’une mère devant l’agonie de son fils. Cette mère, c’est Marie, archétype de la figure maternelle dans la chrétienté, et bien au-delà. Mais quelles étaient les pensées et sentiments de cette maman à la mort de son fils ? Bien peu de choses nous sont rapportées dans les textes concernant son état d’esprit, alors qu’elle assiste à la mort de son enfant. Sans doute de la sidération, peut-être de l’incompréhension, et certainement de l’impuissance. 

D’autres femmes ont aussi éprouvé, dans leur chair, ces mêmes sentiments. La différence avec Marie ? Aucune d’entre elles n’a jamais connu l’enfant qu’elle a porté, que cela soit de quelques semaines à plusieurs mois. Une souffrance amplifiée par l’absence de souvenirs de l’être aimé. Toutes ces femmes ont subi ce que l’on qualifie communément de « fausse couche », qu’elle soit précoce ou tardive.

Cette enquête fait place à ces femmes dans leur combat pour être reconnues en tant que mères en deuil. Dans leur chemin de croix administratif avec les assurances maladies, contre les « fausses croyances » qui subsistent face à la perte de grossesse, dans leur volonté de faire comprendre que ce n’est pas au nombre de semaines de grossesse que l’on échelonne la douleur. Et que par conséquent, elles devraient pouvoir bénéficier d’un accompagnement psychologique, spirituel, voire ecclésial si elles en ressentent le besoin, indépendamment du moment où survient la perte. 

Même si les langues se délient peu à peu, le sujet reste tabou. Il dérange, bien au-delà de ce que nous imaginions. Malgré tout, le besoin et l’envie de témoigner sont bien présents. Si certaines portes nous sont restées désespérément fermées, cela ne nous a pas empêché d’aller regarder par la fenêtre. Des réticences, certes, mais aussi des soutiens, sans lesquels cette enquête n’aurait certainement pas pu voir le jour, tels que JournaFonds, qui a permis la réalisation de ce travail d’investigations.

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Mater dolorosa 1/5 – Treize semaines, sinon rien

N’allez pas dire à Natacha, Alice, Cynthia, Lauren et bien d’autres qu’elles viennent de perdre du « matériel gestationnel ». Elles considéraient déjà cette grossesse comme un enfant à naître et des projets en construction. Or, le terme même de « fausse couche » tend à signifier que ce qu’elles ont vécu n’est pas si « vrai » que cela, et donc d’une importance moindre. La perte est pourtant bien réelle. Alors que treize semaines ne représentent peut-être pas grand-chose à l’échelle d’une existence humaine, elles constituent une différence de taille pour une femme enceinte.

Fausse couche, avortement spontané, perte de grossesse : ces termes évoquent une même réalité, tout en divergeant sur son acception. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), aucun consensus n’existe entre les pays sur la définition de la perte de grossesse. En Suisse, elle est circonscrite par le cadre légal, dont les implications se font ressentir dans tous les aspects de la prise en charge. Lorsque le fœtus meurt avant la 13e semaine, on parle de fausse couche précoce, la complication la plus courante du début de grossesse. Quand la perte a lieu entre le début de la 13e et avant la fin de la 22esemaine, c’est une fausse couche tardive. La mort fœtale in utero ou « mortinaissance », désigne le décès d’un enfant dans le ventre de sa mère après le début de la 23e semaine de grossesse.

Des statistiques à prendre avec des pincettes

En avril 2021, The Lancet – prestigieuse revue médicale britannique – , a publié une recherche globale sur les fausses couches et le vécu des patientes par rapport à cet événement. Les auteurs estiment que 23 millions de fausses couches se produisent chaque année dans le monde, environ 15% du total des grossesses. Cela représente « quarante-quatre grossesses perdues chaque minute », indique l’une des trois études du rapport. En se basant sur d’autres travaux publiés ces vingt dernières années, les chercheurs avancent qu’au total 10,8% des femmes ont fait une fausse couche. Toutefois, les statistiques pourraient être bien plus élevées, car les chiffres reposent uniquement sur les cas répertoriés. Un phénomène, contrairement à certaines idées reçues, très courant. Or, « la fréquence et le manque d’explication médicale à ces pertes précoces les banalise », indique Caroline Chautems, anthropologue et chercheuse postdoctorante au Centre en Études Genre, à l’Université de Lausanne.

Caroline Chautems, anthropologue et chercheuse postdoctorante au Centre en Études Genre, à l’Université de Lausanne.

En Suisse, aucune statistique n’existe sur le pourcentage de fausses couches parmi la population. Les estimations avancent qu’une grossesse sur quatre serait concernée. « Les hôpitaux et les gynécologues ne sont pas tenus de les répertorier et les chiffres sont donc largement sous-évalués », allègue Aurélie Pasqualino. La fondatrice de l’association Naîtr’Étoile, qui accompagne les familles touchées par un deuil périnatal soutient que les pertes précoces seraient plutôt de l’ordre d’une grossesse sur deux, une sur quatre s’appliquant uniquement aux cas des pertes tardives. Pour tenter de comprendre ce manque de données au niveau de la recherche médicale et ses implications dans la prise en charge, nous avons interpellé le Perinatal Research Group du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), groupe de recherche pluridisciplinaire en périnatalité, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Pour Caroline Chautems, cette lacune en termes de chiffres peut notamment s’expliquer par le désintérêt, durant de nombreuses années, relatif aux questions sexuelles et reproductives des femmes. Elle note ainsi que, dans ce domaine, de nombreuses thématiques demeurent sous-investiguées et prend pour exemple les violences obstétricales, que la recherche scientifique n’a commencé à étudier que récemment. Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP) réagit : « La perte de grossesse est aujourd’hui examinée avec la conscience de la nécessité d’être dans une démarche scientifique ». Les deux spécialistes s’accordent néanmoins à souligner que les équipes de recherche ne peuvent investiguer toutes les problématiques en même temps. L’urgence du sujet fait donc encore loi, mais pour combien de temps ? Car actuellement, l’individualisation de la responsabilité prônée par notre société implique que l’enfant est perçu comme un choix. Aux familles d’assumer lorsque cela ne se passe pas comme prévu.

La grossesse est une maladie comme une autre

L’actuel cadre légal helvétique se charge de le rappeler. Dans la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), les grossesses se terminant avant la 13e semaine sont soumises au même régime que la maladie et ne sont remboursées qu’à concurrence de la franchise et de la quote-part. « J’ai ressenti un vrai sentiment d’injustice. Tous les coûts liés à cet événement imprévisible ont été à ma charge », s’insurge Lauren. En 2018, les signes de sa grossesse naissante s’estompent. Elle sait que quelque chose ne va pas. Sa gynécologue diagnostique un « œuf clair ». Les membranes et le placenta se développent, sans qu’un embryon se soit formé : la grossesse débouche alors inévitablement sur une fausse couche. « Avant trois mois, votre grossesse est une maladie », illustre Marie-Laure. Cette ancienne employée d’une assurance maladie a depuis quitté ses fonctions, ne supportant plus ce sentiment d’asséner à longueur de journée des articles de loi à des femmes en pleine détresse. 

Caroline Chautems plaide pour un élargissement de la protection de la maternité durant ces 13 premières semaines, mais aussi après l’accouchement. Aujourd’hui la parturiente est couverte jusqu’à 8 semaines après avoir donné naissance, mais « cette protection est trop courte, surtout lorsqu’il s’agit, par exemple, de la rééducation du périnée, qu’il est physiologiquement impossible de réaliser durant ce laps de temps ». Les femmes renoncent donc à des soins qui seront à leur charge, avec pour corollaire des risques sur leur santé, tels que de l’incontinence, voire même un prolapsus génital – plus connu sous le nom de « descente d’organes » – car le périnée n’accomplit plus ses fonctions. 

Une affaire de santé publique

Du côté professionnel, la maternité ayant des répercussions sur la carrière des femmes, celles-ci n’évoquent souvent pas leur grossesse sur leur lieu de travail avant trois mois. Elles prennent sur leurs vacances en cas de fausse couche, car la loi n’accorde aujourd’hui aucun congé en cas de perte de grossesse avant la 23e semaine. De manière générale, Sabine Cerutti-Chabert relève que dans le milieu professionnel « les femmes se retrouvent souvent seules à gérer ces questions. Cela génère un stress important », car la reconnaissance de la maternité au niveau professionnel tarde aussi à arriver. Mais, « c’est une affaire de santé publique qui se doit d’être débattue politiquement », affirme-t-elle encore. Or, « en Suisse, la famille est perçue comme une affaire privée. Le contexte néolibéral appelle à la responsabilisation individuelle », complète Caroline Chautems. 

Sabine Cerutti-Chabert, cofondatrice de la Fondation pour la Recherche en Périnatalité (FReP).

Trois interventions parlementaires, acceptées en 2020 et 2023, sont en consultation au Conseil fédéral afin de réfléchir à l’instauration d’un congé payé en cas de fausse couche et à la gratuité des prestations dès la première semaine de grossesse. Un pas pour accroître la protection des femmes enceintes.

Une autre inégalité à relever, dont les implications sont largement sous-estimées, concerne la reconnaissance des bébés que ces femmes ont perdu. En obstétrique, une femme est considérée comme « nullipare » – n’ayant jamais donné naissance – tant qu’elle n’a jamais accouché après 22 semaines. Pourtant, après 14 semaines, le seul moyen d’expulser le fœtus décédé est l’accouchement par voie basse. Ces femmes ayant dû accoucher avant 22 semaines demeurent donc légalement « nullipares ». Leur accouchement n’est pas reconnu, ce qui équivaut à nier les enfants qu’elles ont portés et désavouer leur deuil.

Avant d’être médical, le problème de la banalisation de la fausse couche est sociétal et grève la perte d’une souffrance encore plus grande. Entre idées reçues, remarques blessantes de l’entourage, sentiment de culpabilité et injonctions à réussir sa maternité, ces différents aspects rendent le deuil périnatal encore plus dur à surmonter.

Cette enquête est réalisée avec le soutien de JournaFonds.




L’imposture conceptuelle

Par Jean Romain, écrivain, philosophe.

Ce qui n’était naguère qu’une théorie fumeuse et passablement vide de sens est devenu rapidement le discours de nos élites ! La vague woke ne s’arrête pas aux portes de nos facultés universitaires, elle est présente dans les médias, les communes, les parlements, les réseaux sociaux, l’enseignement. Une ère de grande déraison collective nous submerge, et il faut saluer les deux décisions prises récemment par Mme Anne Hiltpold, ministre genevoise de l’enseignement.

Décisions ? A l’école primaire de Lully d’abord le directeur, appuyé par son équipe, a voulu supprimer la Fête des mères pour la remplacer par une problématique « fête des gens qu’on aime ». A l’école primaire Karl-Vogt ensuite, la Fapse (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève) a voulu – à la faveur d’une recherche – faire remplir un questionnaire aux parents des élèves de 5 à 9 ans leur demandant de répondre sur le ressenti de genre de leur enfant, ainsi que sur le « sexe de votre enfant à la naissance », ce qui peut laisser supposer que le sexe a peut-être changé entre-temps. A deux reprises, la ministre Hiltpold a dit « stop » : il faut une école qui transmette le savoir et non pas une école qui milite. On salue la clarté du message.

Extrait d’une fameuse lettre aux parents qui a beaucoup choqué.

Mais qu’y a-t-il derrière ces deux tentatives avortées ? On veut déconstruire des « mythes » et on serait ainsi sur le point d’assurer la libération ultime de l’être humain : d’une part en se libérant du carcan insupportable de la reconnaissance du rôle de la mère ; d’autre part en s’affranchissant du corps pour ne conserver que l’opportunité de choisir soi-même son sexe en fonction de son ressenti. Les deux essais manqués ont en commun la structure première du wokisme : faire de la marginalité le centre. En effet, il existe des élèves qui n’ont pas de mère et dont il faut tenir compte ; il existe aussi des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le corps qu’elles ont à la naissance. Voilà des minorités qui évidemment sont respectables, mais il n’y a aucune raison de les mettre au centre de l’action. Or il existe une raison pour le wokisme qui affiche une deuxième caractéristique : transformer les minorités en victimes. Et c’est efficace dans une société de flagellants ! De défenseurs des droits de chacun, les woke se transforment en accusateurs publics, en prétendus penseurs dont la principale ficelle est de se lancer dans des indignations surjouées. Et dupes de se laisser prendre.

Mais ces deux expériences sont cependant différentes. En répétant à l’infini que le statut maternel est un statut parmi d’autres tout aussi importants, en psalmodiant que ce serait Pétain qui l’a introduit en France (regressus ad hiltlerumclassique) donc que cette fête est moralement suspecte, on cherche à établir un consensus au bout duquel on finirait par admettre que « les gens qu’on aime » sont magnifiques du seul fait qu’on les aime. Et cette idéologie du soupçon s’appuie sur un vocabulaire accusatoire, passablement alambiqué d’ailleurs, dont le martèlement fait croire à un savoir.

La théorie du genre, imaginée par Judith Butler, est plus pernicieuse. Comme bouclier, les tenants de cette théorie assurent partout qu’elle n’existe pas, mensonge calculé qui se marie à merveille avec leur conception que le corps n’existe pas comme déterminant et que le sexe est l’objet d’un ressenti, d’un choix personnel. L’être humain est pure conscience, et ce qui compte c’est cette conscience d’être homme, femme ou n’importe quoi des deux. Dès l’enfance, on peut choisir son sexe, il suffit de le déclarer clairement pour que cela soit reconnu, par l’école, par la société, par les divers mouvements qui non seulement défendent les minorités (parfaitement respectables par ailleurs) mais encore promeuvent cette vision. Cette fraude scientifique est un vrai scandale, pour s’en garantir toutefois leur mot clef est « inclusif », qui permet de faire passer toute contestation, voire toute discussion, pour de l’exclusion.

Une solution pour contrer l’avènement de l’homme nouveau ? Dire non… et combattre tous les promoteurs de cette imposture sectaire. Mme Hiltpold l’a fait.

Sur le même sujet : https://lepeuple.ch/une-garderie-vaudoise-renvoie-la-fete-des-meres-aux-oubliettes/
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Une discussion honnête à propos de la GPA

Le débat sur la gestation pour autrui a récemment redoublé d’intensité. L’occasion de revenir sur une question de fond : la guerre du progressisme contre les femmes.




Une assurance maladie nous apprend à préparer des gâteaux

Parmi les préoccupations majeures des Suisses et de la classe politique, la hausse continue des coûts de la santé figure en bonne place. Pas un jour ou presque sans que leur explosion depuis les années 1960 ne suscite des débats âpres, des nouvelles propositions pour les réguler (la dernière venant du Centre) et surtout la grogne des ménages qui voient année après année les primes grignoter leur budget.

De précieux conseils en “tu”.

Mais dans ce tableau morose, d’aucuns gardent une belle humeur. Ainsi, le 15 avril dernier, la compagnie d’assurance CSS – « partenaire santé » d’après son compte Facebook – a-t-elle jugé opportun d’expliquer aux internautes (qu’elle tutoie) comment préparer de délicieux smoothies verts aux légumes « crémeux, riches en vitamines et très rapides à préparer ». Un « post » qui nous redirigeait vers un article qui nous rappelait utilement de ne pas abuser des légumes verts pour ne pas péjorer notre digestion. Une audace isolée ? Pas vraiment : quelques jours plus tôt, c’est une tarte à la rhubarbe qui était à l’honneur (le 10 avril), alors qu’en mars, une publication en partenariat avec le restaurant végétarien Tibits nous proposait une sauce à base de carotte et de raifort.

Une assurance maladie au service de l’environnement

Vous pensiez vous trouver chez Betty Bossy ? Que nenni, vous avez simplement la chance de pouvoir compter sur un assureur qui vous veut du bien. Il n’en veut pas qu’à nous, du bien, d’ailleurs : vendredi 19 avril, la CSS se mettait cette fois au service de la planète en nous vantant les mérites du « plogging », « entraînement fractionné écologique » consistant à ramasser des déchets durant ses séances de course à pied. Avec des conseils précieux : « Tout le monde peut «plogguer», apprend-on dans le texte source de 2021. Il suffit d’enfiler ses baskets, d’embarquer un sac poubelle vide et des gants et de repérer un grand conteneur à ordures. »

Joindre l’utile au désagréable.

Mais est-ce vraiment le rôle d’une assurance maladie de faire sa promo en entrant à ce point dans la vie de la population ? Pas aux yeux de tous les internautes, en tout cas. En septembre 2023, la publication de conseils aux familles pour économiser, toujours par la CSS, avait suscité pas moins de 255 commentaires sur la toile, pas toujours très enthousiastes. Il faut dire que le document entrait loin dans l’intimité du public en nous expliquant à partir de quel âge donner de l’argent de poche à nos enfants, notamment. Des conseils de cadeaux pour ces derniers, comme une nuitée à la ferme avec tour à dos de poney étaient également mis en avant, de même que la construction de cabanes ou de tipis. « Conseil aux caisses maladie pour économiser : dépensez moins d’argent en publicités culpabilisantes, contentez-vous de ce pour quoi on vous paie », s’indignait un internaute.

La CSS n’est toutefois pas seule à proposer des conseils très éloignés du cœur de son activité sur les réseaux sociaux. Visana, quant à elle, n’hésitait pas à nous recommander les bains glacés en janvier pour nous ouvrir vers un monde de bienfaits. Quant au concurrent immédiat, Helsana, il est certes plus sobre dans l’étalage de bons sentiments, mais n’hésite pas non plus à nous inviter au « dialogue intergénérationnel » dans un contenu du début du mois de mars. Très loin, cependant, de la témérité de la CSS qui organisait encore récemment un concours pour gagner une machine à café automatique Jura d’une valeur de 2550 CHF.

Audacieux.

Du « patient empowerment »

Différentes problématiques sont souvent évoquées pour expliquer que nos primes augmentent continuellement. Le vieillissement de la population, d’une part, mais aussi la multiplication des sollicitations inutiles du corps médical. Dans un tel contexte, les assurances ne devraient-elles pas montrer l’exemple en ne multipliant pas à leur tour les communications inutiles ? Nous avons posé la question à la CSS. Pour la compagnie, rien ici ne sort de son rôle : « La CSS n’est pas seulement une caisse qui paie des factures, explique la porte-parole Isabelle Tasset. Nous revendiquons le rôle de « Partenaire santé ». Nous voulons aider les assurés qui le souhaitent à prendre leur santé en main. Pour rester en forme, guérir activement, mieux vivre avec la maladie. » Et de poursuivre : « C’est pourquoi nous proposons des conseils et des programmes de santé, des avis professionnels via la télémédecine, des solutions de soin en ligne, un premier rendez-vous gratuit avec un coach santé, un deuxième avis médical en cas de chirurgie. » Il s’agirait de remplir un vide dans la société : « En tant que leader de l’assurance maladie obligatoire, nous constatons qu’il y a un espace vacant entre le patient et le corps médical, que certains assurés nous sont reconnaissants d’être encouragés et guidés pour mieux appréhender les questions de santé. » La prévention, précise la communicante, ne représente que 3% des dépenses de l’assurance obligatoire (LAMal).

Reste que les réactions négatives sont nombreuses sur les réseaux. Peut-être tout de même un signe que le but n’est pas atteint ? « Avec notre nouveau rôle de « partenaire santé », nous voulons donner confiance aux assurés qui le souhaitent dans leur capacité à être pro-actif avec leur santé, mais aussi à être pro-actif avec le système de santé. Nous sommes là pour aider les assurés qui le souhaitent à mieux définir leurs besoins, et à mieux connaître toutes les solutions de santé qui s’offrent à eux. Même si un de nos message a été maladroit, le « patient empowerment » restera un objectif stratégique car c’est un objectif sociétal. »

Pour découvrir les réactions de la Fédération romande des consommateurs et du conseiller national PLR Philippe Nantermod, merci de vous connecter ci-dessous ou de prendre un abonnement.

Des « clients » captifs

A la Fédération romande des consommateurs, le regard sur ces pratiques est critique, mais mesuré : « Sur le fond, on ne peut pas reprocher à un assureur maladie de participer à la promotion et à la prévention de la santé », analyse Yannis Papadaniel, responsable santé.  « Mais aussitôt après avoir rappelé ce principe de base, surgissent au moins deux interrogations : est-ce que prévention et promotion de la santé sont efficaces quand 50 caisses maladie font passer 50 messages différents (certains parfois intéressants) ? Peut-on réduire la prévention et la promotion à des publireportages dans des tout-ménages financés par les primes ? Les réponses à ces deux questions sont deux fois négatives. Mais comme à peu près rien ne contraint les assureurs en la matière, elles sont libres de faire passer les messages qu’elles souhaitent sous le format qu’elles définissent. »  Un climat qui ne sert pas les intérêts du public : « Les assurés sont libres de lire ou ne pas lire, en revanche ils ne disposent d’aucun levier pour exiger que leurs primes, qui financent ces publications, soient utilisées à meilleur escient. »

« Complètement ridicule » selon Philippe Nantermod

Très actif sur les questions des coûts de la santé, le conseiller national PLR Philippe Nantermod se montre plus virulent : « Je trouve que les assurances-maladies, qu’elles le fassent avec l’assurance de base ou l’assurance complémentaire, sont complètement ridicules lorsqu’elles font ce genre de publicités. Elles essaient de surfer sur une vague pseudo-scientifique du bien-être qui serait favorable à la santé, en créant une confusion avec les vrais objectifs de prévention médicale. Elles portent atteinte inutilement à leur propre crédibilité, sans doute portées par des agences de communication imbéciles. »

Des critiques qui ne feront certainement pas changer la CSS de ligne puisqu’elle s’inscrirait dans « une double responsabilité sociétale », à savoir « contrôler les factures et avoir une gestion efficace pour éviter les dépenses injustifiées et inutiles, soutenir les assurés qui souhaitent renforcer la prise en main de leur santé. Car agir pour sa santé, c’est à la fois se faire du bien et aller moins chez le médecin. »

Dans son œuvre, le penseur américain Christopher Lasch a pointé du doigt la mise en place d’une société thérapeutique favorisée par l’essor des médias de masse dès le début du siècle dernier. Depuis le monde suivant, peut-être se reproche-t-il de ne pas avoir anticipé que le nouveau pouvoir nous apprendrait à préparer des tartes aux fruits. 




Une garderie vaudoise renvoie la Fête des Mères aux oubliettes

« Ça me choque. Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’on nous lave le cerveau sur les genres. Même la crèche, qui pour moi devrait embrasser le traditionnel, s’y met ». Voici le cri du cœur d’un père en découvrant la décision de la garderie de son enfant, à la mi-mai. Dans un visuel envoyé auxcparents, cette dernière indique qu’elle ne célèbrera plus la fête des Mères ni des Pères car « la famillecd’aujourd’hui n’est plus seulement un papa, une maman et les enfants ». Désormais, la garderie située dans le canton de Vaud célèbrera la famille, car « il existe autant de familles différentes que d’enfants ».

Suprise ! Tandis que nous rediffusions cet article de 2023, voilà que la garderie remet ça pour 2024 !

Le débat n’est pas absolument nouveau. Lié à l’exigence croissante d’inclusivité dans la société, il se propage également à la faveur de l’évolution de la perception des genres. Quitte à parfois faire bondir les critiques, comme cela a récemment été le cas au Québec. Éric Duhaime, chef du parti conservateur, a fait les gros titres en montant au créneau contre une école qui a modifié la traditionnelle célébration en fête des parents. Le sujet s’est aussi invité à l’Assemblée nationale de la province du Canada.

L’évolution des mœurs en direction d’une invisibilisation croissante des mères s’observe aussi largement aux États-Unis où certaines personnes jugent désormais la fête des Mères comme offensante.

Un débat mondial

Mais le débat fait rage également de notre côté de l’Atlantique. En France, depuis 2013, plusieurs établissements scolaires ont cessé de célébrer la fête des Mères. L’année dernière, Marine Le Pen s’en était d’ailleurs insurgée. La célébration est désormais appelée la « fête des gens qu’on aime ». Le ministère de l’Éducation nationale justifie ce choix par « la liberté pédagogique ». Qu’en est-il des écoles en Suisse romande ? Avons-nous découvert un cas isolé ? Nous avons posé ces questions à Gregory Durand, président de la Société pédagogique vaudoise. Il explique qu’« en général dans les classes du canton, quelque chose se fait, sous forme de petit cadeau ou petit poème ». Concernant le choix d’une fête de la famille au détriment de la fête des Mères, Gregory Durand réplique que « l’une n’empêche pas l’autre ». Et de préciser que « s’il existe effectivement des familles différentes, il serait tout de même dommage d’arrêter de célébrer les mères ». Le vrai défi, selon lui, réside dans « l’inclusion de tous ».

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La brasserie de l’Abbaye de Saint-Maurice va se relancer avec une bière haut de gamme

Durant le carême, une figure bien connue des fidèles a refait son apparition lors des messes de l’Abbaye de Saint-Maurice : le père-abbé Jean Scarcella. Sans présider, le maître des lieux reprenait sa place parmi les siens, après s’être mis en retrait dans un contexte d’accusations d’abus qui le visaient lui et la communauté.

Pour de nombreux habitués, ce retour de Mgr Scarcella est porteur d’espoir. A la sortie de la messe, on s’accorde aujourd’hui à affirmer que les soupçons qui pesaient contre lui, ou contre le prieur Roland Jaquenoud, n’ont débouché sur rien. Le climat douloureux, espère-t-on, ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir. Selon certains, une déroute électorale menacerait même Christophe Darbellay, chef du Département valaisan de l’économie et de la formation. Opportuniste, sa récente décision de changer le nom du « lycée-collège de l’Abbaye de Saint-Maurice » en « collège de Saint-Maurice » aurait retourné l’opinion en faveur des chanoines.

Les distributeurs ne bougeront pas

Dans le contexte des révélations, deux partenaires commerciaux de la brasserie de l’Abbaye avaient décidé de subitement cesser la collaboration : l’entreprise vaudoise Amstein SA ainsi que la Coop. Le contexte étant à l’apaisement, ces deux sociétés vont-elles relancer la distribution des breuvages chablaisiens ? « Pour le moment nous n’avons pas prévu de redistribuer les bières », répond laconiquement Amstein. Quant à Caspar Frey, porte-parole de la Coop, il n’est guère plus bavard : « Nous vous prions de comprendre que nous ne nous prononçons pas publiquement sur les décisions concernant l’assortiment. » Au cœur de la crise, la coopérative avait eu moins de pudeurs à expliquer que la fin de la mise en vente visait à se distancier « de ces événements présumés », comme le mentionne un article de janvier de la RTS.

Avec ces prix cassés, les dégâts sont encore visibles sur le site de l’Abbaye.

Réorientation stratégique du côté de la brasserie

Pas de quoi faire paniquer le président de la brasserie, Pierre-Alain Cardinaux. « Début 2023, avant les affaires de l’Abbaye, nous avions revu toute l’organisation de la brasserie. Nous voulions réduire le volume et avoir une organisation moins coûteuse. » Dès lors, précise-t-il, les effets liés aux affaires ont eu peu d’influence : « Nous avons pu absorber sans problème ! » Reste que les stigmates sont encore bien visibles en ligne avec des boissons vendues à CHF 2.- pièce au lieu de CHF 4.50, sur le site de l’Abbaye.

Pour découvrir le nouveau partenaire brassicole de l’Abbaye et sa stratégie 2024-2025 dans la suite de cet article, merci de vous connecter ci-dessous ou de prendre un abonnement.

Le nouveau partenaire est connu

Alors que l’objectif initial de la brasserie était bien plus élevé, elle vise désormais 100’000 bouteilles vendues par année. « Nos produits sont bons et appréciés. Cet objectif est réalisable en 2025 ! ». 2024 sera donc l’année de transition, marquée par une nouvelle stratégie : non seulement réduire l’offre, mais aussi proposer une toute nouvelle bière haut de gamme. « On réduit le volume mais on va augmenter la qualité et surtout être plus exclusif et proche de nos clients », décortique Pierre-Alain Cardinaux. « Créer des liens avec l’Abbaye » figure aussi parmi les axes de cette nouvelle politique. Après l’échec du rapprochement avec la société Martigny Brewing, durant la crise, c’est désormais en collaboration avec la brasserie La Mine, située à Bex, que seront désormais produites les bières. Et Pierre-Alain Cardinaux de rappeler en guise de conclusion : « L’Abbaye produit aussi des vins. Cette année, on va sortir deux Premiums : un chardonnay et un merlot en fûts ! La Cave Montreux Riviera transforme actuellement ces deux vins qui sortiront en fin d’année. Nous allons unir nos forces pour le marketing. »

Patron des Biérosophes, cave spécialisée au centre d’Yverdon-les-Bains, Alain Kaehr n’a aucun doute, les breuvages de l’Abbaye n’ont pas connu la crise à cause de leur qualité intrinsèque. « La difficulté de les vendre vient uniquement des affaires les concernant, les gens étant sensibles à tout ce qui se passe. Yan Amstein les a sorties de l’assortiment et je doute fort qu’il change d’avis de sitôt. »




Depardieu : après l’émotion, bilan d’une éviction

« On passe du siècle des Lumières au siècle des ténèbres ». Voilà ce que dénonçait Me Hayat, spécialiste du phénomène « #MeToo », lors d’une émission d’Infrarouge de janvier consacrée à la déprogrammation de Gérard Depardieu. Plusieurs acteurs du monde culturel ainsi que le directeur de la RTS lui-même, M. Pascal Crittin, se trouvaient autour de la table.

Pour rappeler le contexte, le service public suisse venait de renoncer à diffuser un film avec Depardieu (à savoir Maison de retraite, 2022) en conséquence d’un Complément d’enquête diffusé le 7 décembre sur la chaîne France 2. Il ne s’agissait en aucun cas d’une sanction prononcée à la suite des accusations de viols et de harcèlement qui pèsent sur le comédien depuis belle lurette – sujet qui ne sera d’ailleurs pas traité dans cette chronique – mais bien d’une réaction au travail des journalistes de France 2. Lors du débat, Pascal Crittin avait soutenu que cette décision ne constituait pourtant « ni un acte de censure, ni un acte de procureur ».

Le visuel de l’émission consacrée par la RTS à sa propre décision “d’annuler” l’acteur.

Retirer un film d’une chaîne du service public suggérait le contraire. Après tout, cette sentence allait entraîner des conséquences importantes dans la mesure où elle rendrait une œuvre inaccessible aux spectateurs, une fois « retirée du menu ». Alors pourquoi une telle déclaration ? En fait, il s’agit de ce qu’on appelle une « prolepse », à savoir une figure rhétorique qui consiste à réfuter à l’avance une objection possible. Dans ce cas, elle visait à clore le débat d’une part, mais sans doute aussi à se donner bonne conscience.

À l’origine de la sanction, des suppositions

Si le procureur porte les accusations durant un procès, force est de constater que la RTS a agi de même, sanctionnant Gérard Depardieu en amont d’une réelle décision de justice. Malgré les dénégations de M. Crittin, empêcher la diffusion d’un film après un reportage constituait de fait une prise de position : une telle politique supposait que les accusations de France 2 étaient honnêtes – ce qui ne semble nullement évident à la lumière des accusations de l’avocat français Jérémie Assous. La parole de cet homme de loi n’est pourtant pas sans importance puisqu’il s’agit du représentant de Yann Moix, auteur des images utilisées dans le reportage de Complément d’enquête. De quel droit une chaîne comme la RTS peut-elle décréter qu’il divague ? Il faut ajouter à cette réfutation une tribune signée par la famille de l’acteur, publiée le 17 décembre dans le Journal du Dimanche. Ce texte évoquait un « montage frauduleux ». Selon son entourage, Depardieu n’aurait par exemple jamais fait d’allusions sexuelles à propos d’une fillette, comme l’indiquaient les journalistes. Qui dit vrai, qui dit faux ? Il ne nous appartient pas d’en juger, même avec le recul. Reste que la déprogrammation de Depardieu de la RTS n’apparaît toujours pas comme « acte de neutralité » ou de « réserve », même des mois plus tard.

Lors du débat d’Infrarouge, le comédien et metteur en scène suisse Matthieu Béguelin soulevait un autre aspect qui mérite notre attention : diffuser un film, rappelait-il, ne signifie nullement cautionner le mauvais comportement d’un comédien donné. Comment une chaîne de télévision pourrait-elle avoir cette ambition, d’ailleurs, à moins de mener une enquête de moralité concernant toutes les personnes impliquées dans des œuvres collectives ?

Le statut de l’œuvre en question

En fait, l’œuvre d’art, une fois créée, prend en quelque sorte son indépendance et acquiert une existence distincte du créateur. Il serait en conséquence inapproprié de faire subir au travail de l’artiste les fruits de son comportement ; personne n’imagine retirer les toiles du peintre Caravage des musées à cause de son parcours meurtrier. De plus, le cinéma possède une caractéristique qui le distingue d’autres formes de création : il est éminemment collectif. Comme le rappelle l’historien américain du cinéma David Bordwell, un film doit être produit. Cela signifie que plusieurs personnes, en plus du réalisateur, interviennent au cours du processus de création qui se parachève par la sortie du film au cinéma. De fait, la production d’un long-métrage débute avec l’écriture du scénario. Au vu de la multitude d’acteurs concernés, est-il juste de tous les sanctionner ? Imaginerait-on concrètement voir disparaître le film J’accuse du palmarès des Césars en 2020 en raison du crime que Polanski a commis durant les années 1970 ? Ou être témoin d’un retrait du travail de Tarantino, car souvent produit par Harvey Weinstein, violeur en série ?

Rôles secondaires et présence à l’écran

Sur ce point, la RTS explique son raisonnement de la manière suivante (voir notre entretien en annexe) : si un comédien joue un rôle important dans un film donné (ex. : Maison de retraite), alors le film doit être déprogrammé en cas de comportement répréhensible. En revanche, si le rôle n’est que secondaire (ex. : Illusions perdues, 2021, qui a bel et bien été diffusé), le film est maintenu. Un tel choix éditorial a de quoi étonner. En effet, si le but de la démarche est de protéger la sensibilité d’une partie du public en ne « faisant pas entrer Depardieu dans les salons à Noël » (comme l’a expliqué M. Crittin), comment expliquer de manière cohérente le maintien d’un autre film avec le même comédien pendant la même période des fêtes ? Une explication fondée sur le simple temps de présence à l’écran peine à convaincre. Par exemple, dans le fameux long-métrage Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola, le colonel Kurtz (magistralement interprété par Marlon Brando) s’avère être un des personnages centraux du film malgré ses rares apparitions. C’est effectivement pour se lancer à sa recherche que le capitaine Willard (joué par Martin Sheen) entame une longue traversée de la jungle vietnamienne. Même sans directement se manifester à l’écran, le personnage de Kurtz est central dans l’histoire du film.

Au cours du débat d’Infrarouge, plusieurs intervenants ont déclaré qu’on leur prêtait des intentions qu’ils n’avaient nullement. Tel serait le cas de Valérie Vuille, directrice de l’institut suisse décadréE qui affirmait ne jamais avoir fait mention d’effacer ou de brûler des œuvres. Pourtant, la conséquence d’une de ses positions – celle de n’établir aucune distinction entre l’artiste et son œuvre – est de justement censurer (ce qui équivaut à brûler et effacer) le travail d’une personnalité qui poserait un problème dans la vie privée. De la même manière, bien que l’intention de M. Crittin ne soit pas de contribuer à la censure de l’art, la décision de sa chaîne y contribue. On peut bien sûr apprécier que la RTS n’ait jamais fui le débat qu’elle a créé, mais un malaise subsiste. À la lumière des arguments exprimés pour justifier la déprogrammation de Maison de retraite, le service public semble avant tout avoir eu la volonté de se trouver dans « le camp du bien » ; celui des progressistes qui sanctionnent tout artiste au comportement considéré comme inacceptable.

Un public coupé en deux

Le média infantilise son audience en choisissant à sa place le type de contenu auquel il devrait être exposé. La RTS semble aussi favoriser une certaine partie du public au détriment d’une autre. Bien que saluée par le conseiller national Les Verts Nicolas Walder dans Le Temps, la décision de donner la priorité à un certain segment des spectateurs est délétère : une telle stratégie de communication risque en réalité surtout d’en aliéner la majorité. Pour finir, il convient de rappeler les inquiétudes exprimées par Me Hayat durant le débat d’Infrarouge. Selon elle, le mouvement « #MeToo » contourne l’espace judiciaire pour condamner des individus, et ce au mépris des principes juridiques fondamentaux suivants : la prescription ainsi que la présomption d’innocence. Bien que la décision de la RTS ne soit pas la conséquence des accusations de viols qui pèsent sur Gérard Depardieu, il est difficile de ne pas relever son aspect « justicier », comme si la chaîne souhaitait s’ériger en véritable « tribunal médiatique ». La déprogrammation de ses films contribuera probablement à la banalisation d’« exécutions publiques iniques ».

La déprogrammation de ce film est à l’origine
d’une tempête médiatique pour la RTS.

Les explications de Marco Ferrara, porte-parole de la RTS

La position de la RTS reste celle étayée durant la période des Fêtes. Notre directeur, Pascal Crittin, en a fourni une explication complète et détaillée lors de l’émission Infrarouge du 10 janvier 2024.

Programmer un contenu ou le remplacer en fonction de son adéquation au contexte fait partie du quotidien de chaque média. Lorsque nous pressentons qu’une partie du public pourrait se sentir heurtée par une œuvre ou une personnalité jusque-là acceptée, nous écartons celle-ci de notre programmation, ne serait-ce que de manière momentanée. Ce type de choix intervient fréquemment pour toute sorte de programmes. Exemples : ce fut le cas avec Pierre Palmade à la suite de l’accident mortel où il a été impliqué, mais aussi avec un documentaire sur un religieux du Proche-Orient mis de côté, car le contexte avait changé lors de l’éclatement de la guerre à Gaza.

Nous touchons un très large public et devons donc tenir compte de toutes les sensibilités. Dans le cas de Depardieu, après la vague émotionnelle constatée autour de cet acteur depuis le reportage de France 2, nous avons décidé de ne pas ajouter de heurt ni de choc émotionnel pour une partie de la population. Et nous savons que dans de telles situations, quelle que soit l’option retenue (diffuser ou ne pas diffuser), nous serons critiqués par une partie du public. Pascal Crittin a aussi indiqué humblement qu’il n’y a pas de science exacte en la matière et cette difficulté fait justement partie du métier de programmateur.

Il n’y a aucune censure ni aucune atteinte à la présomption d’innocence, pour deux raisons : d’abord parce que nous n’avons effectué aucune déprogrammation lorsque les premières accusations de viol ont été portées contre Gérard Depardieu ; ensuite, parce que nous maintenons sur Play RTS nos émissions avec Gérard Depardieu dont de nombreuses interviews, pour celles et ceux voulant les visionner en toute liberté de choix. À l’antenne, nous diffusons des films où il n’a qu’un rôle secondaire et ne mettons de côté que les films le valorisant en rôle principal. Ce choix a été motivé par la teneur des propos de Gérard Depardieu, qui sont directement arrivés dans les foyers via les images révélées par France 2 et face auxquels aucune télévision n’est restée inerte, que ce soit la RTS en Suisse, la RTBF en Belgique, France Télévisions et même les grandes chaînes françaises privées.

Tenir un rôle principal suppose une importante responsabilité pour l’acteur concerné face à toute l’équipe du film, pendant et après le tournage : ce ne sont pas les chaînes de télévision francophones qui décrètent cet état de fait, mais le public, qui désormais se manifeste lorsqu’une situation le heurte, comme ce fut le cas avec l’émoi généré par les propos de l’acteur. La problématique n’est pas comparable aux films de Quentin Tarantino produits par Harvey Weinstein, car ce dernier n’y tient pas de rôle valorisant sa présence à l’écran.




Une réponse au « Matin » 

L’ex-tabloïd nous ayant mis en garde contre l’émergence d’un dangereux faisceau de “plumes de droites” – bien sûr pro-russes et antivax – nous vous proposons de rétablir deux ou trois vérités.

On trouvera du Jacques Chirac, du Nabilla et d’autres fantaisies dans cette vidéo.
Lire aussi : l’édito de la prochaine édition




Apprendre à mourir

A l’aube de l’adolescence j’étais un enfant rebelle et un peu sauvage. Devant mes résultats médiocres au sortir de l’école primaire, mes parents n’ont pas eu d’autres choix que de m’inscrire dans une école privée. Je me souviens encore très bien de cette belle journée de septembre, dans le hall principal de cet établissement où les nouveaux élèves sont rassemblés. Le directeur depuis les marches de l’escalier en colimaçon, qui mène vers les salles de cours, nous adresse une brève harangue : « Mesdemoiselles, messieurs, comme l’écrivait Ernst von Salomon, vous êtes ici pour apprendre à mourir. » Soudain le silence se fait et tout le monde tourne les yeux vers l’orateur. Celui reprend « Vous êtes ici pour apprendre à mourir, mourir à votre paresse, mourir à votre nonchalance, mourir à votre bêtise et à votre inculture, » Le silence gagne en densité. « Mourir pour devenir des hommes nouveaux aptes à vivre en société. Bonne année scolaire ». Je suis resté dans cette école trois ans et cela a changé ma vie. Le sauvageon est mort progressivement et un homme est né.

La légende affirme qu’ils ne commençaient pas les cours à 9 heures.

Un étrange postulat

Le postulat présenté au Grand Conseil par le député Vincent Bonvin, enseignant de formation, est simple : « (…) plusieurs études récentes, dans différents pays, démontrent l’impact significatif des horaires scolaires sur les performances des élèves et sur leur santé mentale. Ces recherches suggèrent que pour les adolescents en particulier, un démarrage de l’école plus tardif peut être bénéfique en raison de leurs rythmes circadiens naturels. » Ledit postulat est justifié par l’émission de la RTS On en parle du 6 février 2024. Outre le fait de cautionner un postulat par une émission télévisée, on peut se poser la question de savoir si un parlement cantonal doit légiférer sur les horaires scolaires.

De quoi est-ce le nom ?

Ne s’agirait-il pas d’une énième tentative pour adapter l’école aux élèves ? Je le pense. Les établissements scolaires deviennent des Club Med et les enseignant de gentils animateurs. Il faut enseigner ce que les élèves aiment. L’approche des thèmes enseignés doit être ludique. L’école est avant tout un lieu de socialisation. Renonçons aux apprentissages par cœur, à une orthographe soignée et aux temps inutiles des verbes. Bref, il faut mettre l’élève au centre et le savoir de côté. 

Une école qui mérite son nom

Or l’école doit promouvoir les valeurs traditionnelles dans l’éducation, telles que la discipline, la rigueur académique et le respect de l’autorité. Il faut aussi remettre à la première place du cursus scolaire les matières fondamentales telles que les mathématiques, la lecture et l’écriture. Ce qui est fondamental à mes yeux, c’est avant tout que l’école retrouve la culture de l’excellence et de l’émerveillement. 

L’excellence

La culture de l’excellence a mauvaise presse. On préfère aujourd’hui la médiocrité uniforme. Une culture de l’excellence authentique valorise et récompense l’effort. Les élèves sont encouragés à persévérer et à développer des compétences propres pour atteindre les objectifs. De fait, l’excellence stimule les adolescents à se dépasser et à repousser leurs limites. Cela implique de sortir de sa zone de confort, d’accepter les défis et de viser l’idéal même dans des situations difficiles. De plus l’excellence implique de prendre des initiatives, de faire preuve d’auto-discipline et de prendre des mesures pour atteindre les objectifs. Il ne faudrait pas oublier que l’excellence favorise l’innovation et la créativité en encourageant à chercher de nouvelles solutions

Les esprits chagrins me diront favoriser l’individualisme, je ne le crois pas. La culture de l’excellence reconnaît également l’importance de la collaboration et du soutien mutuel. Les élèves sont ainsi stimulés à travailler ensemble, à partager leurs connaissances et leurs compétences, et à s’entraider pour atteindre leurs objectifs communs.

L’émerveillement

Les adolescents sont-ils encore émerveillés à l’école ? Poser la question c’est y répondre. L’émerveillement encourage à poser des questions, à explorer de nouveaux sujets et à découvrir des perspectives insoupçonnées. L’émerveillement permet de réenchanter l’intelligence et cela n’est pas rien. En effet, réenchanter l’intelligence implique de dépasser les approches positivistes mesurables par des tests. Cela signifie la mise en valeur des différentes formes d’intelligence, y compris l’intelligence émotionnelle, sociale, créative et intuitive.

L’école part à la dérive et ce n’est certainement pas le postulat du député Bonvin qui inversera la tendance. Peut-être que nos politiciens, qui glosent sur l’école, devraient apprendre à mourir.

A bon entendeur, salut !