Les faits sont là, et nul ne peut les ignorer. Dans le secteur de la gare de la Cité thermale, les dealers qui interpellent les passants et rôdent dans les parkings sont presque tous Noirs, souvent originaires du Nigeria (à la différence, d’ailleurs, d’autres catégories de dealers).
Cependant, pour décrire « comment la ville agit contre le deal de rue », le magazine officiel « Rive Sud » a opté pour des illustrations pour le moins pudiques : une arrestation de dos (un Blanc menotté devant – assez étrangement, d’ailleurs – l’Hôtel de Ville) et une scène de transaction générée par intelligence artificielle, représentant là encore deux Blancs.
Si la volonté de ne pas stigmatiser une catégorie de la population en fonction de sa couleur de peau est louable, ce choix soulève tout de même des interrogations. Parce que la réalité est déplaisante, faut-il en nier des composantes, comme l’origine des personnes impliquées ? N’y aurait-il pas eu une meilleure option pour coller à la réalité sans blesser toute une communauté ?
Yohan Ziehli, collaborateur scientifique à l’UDC et blogueur du Peuple, est en tout cas à deux doigts d’invoquer 1984 de George Orwell : « On se demande parfois pourquoi de plus en plus d’administrés ne croient plus en l’autorité ou s’informent via des sources douteuses, voire complotistes. L’une des raisons évidentes, c’est qu’ils constatent que le récit officiel et ses représentations correspondent de moins en moins à la réalité qu’ils vivent au quotidien. » L’agrarien ajoute : « Naturellement, se sentant trompé, l’administré délaisse le discours officiel et cherche à s’informer ailleurs, pour le meilleur et pour le pire. »
Un dossier, pas un reportage
Du côté de la communication de la Ville, on cherche à désamorcer tout risque de polémique : oui, en tant que collectivité publique, il existe un sentiment de « responsabilité particulière à ne pas stigmatiser l’une ou l’autre communauté », mais ce n’est pas tout. Il s’agit aussi d’un dossier, et non d’un reportage, nous explique-t-on : « Nous avons préféré l’utilisation de photos prétextes, notamment pour ce qui concerne le volet policier, l’intérêt de ce dossier explicatif étant plus dans les textes que dans les images. » C’est dans ce contexte qu’a été « honnêtement discutée l’opportunité d’utiliser l’intelligence artificielle dans une approche généraliste et non stigmatisante de ce thème ».
Mais peut-on vraiment informer correctement sur une problématique en occultant une évidence, à savoir que les dealers de rue du centre-ville sont très souvent d’origine africaine ? « À notre sens, le déni de réalité serait de cantonner les pages de Rive Sud à des sujets consensuels et sympathiques. Nous estimons par ailleurs que les Yverdonnois, qui ne sont pas actifs sur les réseaux sociaux ou ne lisent pas ou peu la presse, avaient aussi le droit d’être informés sur cette problématique brûlante. »
Pendulaire yverdonnois d’origine congolaise, Pascal* est amusé par tant de pudeur : pour lui, le choix d’images aura surtout pour vertu « d’éviter les problèmes avec les bobos ». Une bonne option, à ses yeux, aurait consisté à « panacher » les personnages sur les illustrations. « Mais même s’ils n’avaient mis que des Noirs, honnêtement, ça ne m’aurait pas touché. Autant appeler un chat un chat, les gens ne sont pas aveugles. »
*Prénom d’emprunt
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