Sauver les frontières pour sauver les agriculteurs

Cet article est également paru sur le site de Pro Suisse.

Panneaux retournés, slogans « on marche sur la tête » inscrits sur des meules, pétitions et débats… Comme ailleurs en Europe, la colère agricole s’est fait entendre en Suisse depuis le début de l’année. Pourtant, hormis la descente d’une trentaine de tracteurs à Genève au début du mois de février – action pilotée par l’organisation Uniterre – force est de constater que la mobilisation est toujours restée sage chez dame Helvetia. Ainsi, entre nos frontières, pas de blocages d’autoroutes, d’aéroports ou de « siège » de ville.

A la fin du mois de janvier 2024, un supermarché Aldi après le passage des agriculteurs en colère à Marmande (F). (Cosmiaou/Wikimedia Commons)

Vice-président de l’Union suisse des paysans, Francis Egger n’en faisait d’ailleurs pas mystère au micro de la RTS, à la fin du mois de janvier, un tel durcissement n’était pas souhaité : « Ce qu’on ne veut pas, c’est que ça dérape sur des actions violentes et illégales, ce qui n’est pas dans la culture suisse. On est encore dans une situation où l’on peut dialoguer. »

Trop gentils, les Suisses ?

Une simple question de « culture » aurait-elle permis à la Suisse, en tout cas jusqu’ici, de passer entre les gouttes d’une contestation trop véhémente ? Doit-on réellement au tempérament helvétique d’avoir évité un blocage du Palais fédéral similaire à celui du Parlement européen, encerclé par les 1000 tracteurs ? Pour le conseiller national de l’UDC Vaud Sylvain Freymond, agriculteur de métier, il y a là un début d’explication : « Les dossiers qui ont mobilisé les collègues français, nous les connaissons tous puisque nous reprenons les directives européennes. Nous avons même parmi les normes les plus restrictives au monde, par exemple en matière de bien-être animal ou au niveau de l’interdiction totale des hormones visant à augmenter la production de viande ou de lait. À cela s’ajoute une différence de taille : chez nous, des contrôles sont réellement effectués. Mais nous sommes beaucoup trop gentils pour aller aussi loin que dans d’autres pays voisins dans les manifestations, même si on n’en pense pas moins. » Et de préciser que les paysans suisses, pas mieux lotis que les confrères européens à bien des égards, ont au moins le privilège de recevoir les paiements directs quand ils leur sont dus.

Reste une pente sur laquelle il espère que la Suisse va cesser de s’engager : la bureaucratisation et la centralisation des autorités chargées d’encadrer la profession : « Actuellement, on va jusqu’à inventer des postes de contrôleurs des contrôleurs ! Ce climat devient de plus en plus pesant et le contact est en train de se perdre avec la base. » Heureusement, avec 10% d’élus au niveau fédéral, l’agriculture suisse peut s’appuyer sur une solide délégation qui lui permet aussi de faire entendre sa voix au plus haut niveau : « Nous sommes le seul pays comme ça et il faut absolument préserver ce particularisme. Mais attention, le fossé se creuse et il y a de plus en plus de bureaux qui s’occupent de nous, comme dans les pays de l’Union européenne. »

Une Europe plus ambitieuse

L’Union européenne, justement, parlons-en : que la crise déchire l’Europe, mais épargne largement la Suisse, n’est-il pas le signe que notre souveraineté nous protège ? A cette question, Darius Farman, co-directeur du Forum de politique étrangère suisse foraus répond avec nuance : « Plutôt que des différences de souveraineté, ce sont d’autres facteurs qui peuvent expliquer les différences d’intensité dans la contestation agricole, notamment la force de représentation, le degré de conflit entre intérêts et le fonctionnement des institutions. Premièrement, les milieux agricoles sont plus fortement représentés dans la classe politique suisse que dans celle de l’Union européenne et peuvent plus facilement représenter leurs intérêts. Deuxièmement, les décisions et orientations prises dans l’Union ces dernières années, notamment dans le cadre du Pacte vert (Green Deal), entrent davantage en conflit avec des intérêts agricoles. Troisièmement, les outils de la démocratie semi-directe suisse offrent d’autres moyens d’expression démocratique que des mouvements sociaux – à l’image des deux initiatives agricoles sur lesquelles les Suisses se sont exprimés en 2021. »

Et d’évoquer un ultime facteur d’explication trop souvent négligé à ses yeux : « L’Union européenne a développé des législations plus ambitieuses que la Suisse en matière de politique climatique et environnementale ces dernières années et ces réglementations ont un fort impact sur le monde agricole. Mon hypothèse : si la Confédération avait envisagé de telles législations, elle aurait également connu une forte résistance – même si celle-ci aurait probablement pris des formes plus institutionnelles. »

Face au rouleau-compresseur libéral, les frontières

Cette position « à la pointe d’une certaine transition écologique », le député Vert vaudois Alberto Mocchi la reconnaît également à l’Union européenne : « Elle se fixe des objectifs relativement ambitieux et tente de faire en sorte que les pays membres les respectent. » Se refusant à tout jugement manichéen, il rappelle aussi le facteur stabilisateur de l’UE dans l’histoire récente de notre continent.

Symboliquement très fort : le Parlement européen se préparant à l’arrivée des agriculteurs devant un slogan incitant à faire bon usage de son droit de vote. (Twitter)

Il n’en regrette pas moins un côté détestable dans la technocratie bruxelloise et sa volonté de faire passer « le commerce et l’accroissement des richesses de quelques entreprises comme un but ultime. » Ce en quoi le syndic de Daillens (VD) ne cache du reste pas qu’il est personnellement défavorable à l’adhésion de la Suisse : « Notamment parce que notre agriculture n’aurait aucune chance de résister à des accords de libre-échange complets avec les pays européens. » C’est dans cette optique qu’il vient d’ailleurs de déposer une initiative innovante au Grand Conseil vaudois, cosignée par des députés de tous bords, à l’exception du PLR. Destinée à Berne, elle vise à imposer pour les aliments importés les mêmes normes que pour notre agriculture. « Faisons en sorte que ce qu’on a en dans nos assiettes, que ce soit cultivé en Suisse, en France ou au Sénégal, réponde à nos standards ».

Cette proposition de lutte contre une concurrence déloyale est assurément vertueuse, mais laisse Sylvain Freymond encore un peu sceptique : « Tant qu’à faire, je préfère que ce qu’on consomme soit produit chez nous parce qu’au-delà de la réglementation, il y a toujours la question de la réalité des contrôles. Et dans notre pays, je peux garantir qu’ils ont bel et bien lieu ! »

Raphaël Pomey




L’ambassadrice d’Israël en Suisse : « Nous ne menons pas une campagne de vengeance »

Madame l’ambassadrice, merci de nous accorder cet entretien. Au vu des démarches nécessaires à sa préparation, je me suis demandé si vous étiez en danger, même dans un pays neutre comme le nôtre ?

Ma situation personnelle importe peu, ce qui compte c’est l’Etat d’Israël, que je suis fier de représenter, mais qui traverse des moments difficiles. Par ailleurs, j’ai une confiance totale envers les professionnels suisses qui veillent à la sécurité de tous les diplomates et je connais l’efficacité de nos propres équipes de sécurité. Toutefois, le danger est flagrant à l’échelle mondiale : une énorme machine de propagande a été mise en marche le 7 octobre pour présenter notre pays comme l’agresseur et non plus comme la victime. En outre, le terrorisme mené par l’Iran constitue un danger pour les Israéliens dans le monde entier. Aujourd’hui, l’Iran et ses alliés constituent le principal danger pour la paix et la sécurité, non seulement du Proche-Orient, mais au-delà, jusqu’en Europe. Le Hamas n’est qu’un relais (ndlr, « proxy ») de l’Iran parmi d’autres.

J’aimerais ajouter que l’on observe une dangereuse dérive de la critique, légitime, de la politique israélienne. Aujourd’hui, elle déborde sur de l’antisémitisme caractérisé et met des vies en danger. Cette poussée des actes haineux s’observe dans toute l’Europe, mais aussi en Suisse. Elle doit être combattue à tous les échelons du système politique.

C’est ce climat qui explique que beaucoup de journaux refusent carrément de vous rencontrer ?

Je ne veux faire le procès de personne ni d’aucun secteur : de telles postures caractérisent aussi des acteurs du monde académique et même certains hommes politiques, par exemple, et pas seulement des journalistes. Mon hypothèse est qu’en général, les personnes qui refusent de me rencontrer ont déjà une opinion et ne souhaitent pas la confronter aux faits que je pourrais apporter. Mais pour tout dire, je ne comprends pas que des personnes actives dans l’enseignement, l’écriture ou le débat public en général puissent refuser le dialogue.

Vous avez le sentiment que nous ne croyons plus à la démocratie ?

Non, la réalité est bien plus grave : beaucoup de gens ne croient plus aux faits. Il y a cette idée que l’on peut choisir, en quelque sorte, la vérité qui nous arrange. J’en ai une perception aiguë depuis les attaques du 7 octobre : pensez, certaines personnes refusent même d’admettre qu’il s’est passé quoi que ce soit, ou prétendent que le Hamas a uniquement visé des militaires. Même si on leur montre les images horribles prises par les terroristes eux-mêmes, ils refusent d’admettre les faits.

Depuis des années, en Suisse romande, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD) mène une politique très agressive contre ses adversaires. Cela ne favorise-t-il pas ce genre de réactions ?

La CICAD est indépendante de l’État d’Israël et ne m’a pas donné de mandat pour parler en son nom. Elle a sa propre politique et réalise un travail important, mais séparé du mien. Cela dit, j’ai déjà entendu ces reproches. Je les rattache à un dilemme : que faut-il faire quand on observe le premier un péril ? Sur la base de l’histoire tragique de notre peuple, on peut comprendre la volonté de dire résolument et rapidement « stop » à tout phénomène qui permet la manifestation de la haine envers les Juifs, comme le sentiment d’impunité généré par Internet, par exemple. Mais chacun a son propre mode de fonctionnement et, encore une fois, il ne m’appartient pas de parler au nom de la CICAD.

Je crois aussi que certaines personnes sont surprises aujourd’hui de voir des réactions quand elles vont trop loin. Elles n’y étaient sans doute pas habituées jusque-là.

Vous avez le sentiment que l’on veut bien vous tolérer en tant que peuple, à condition que vous soyez dociles ?

En tout cas certains s’autorisent des déclarations officielles qui nous scandalisent en Israël. Je pense ici à certaines agences des Nations Unies et à des hauts fonctionnaires qui affirment, en substance, que nous n’avons pas le droit d’agir comme n’importe quelle autre démocratie qui aurait été agressée. 

Imaginez – plaise à Dieu que cela n’arrive jamais – que la paisible Suisse se réveille un matin et découvre que plus d’un millier de ses citoyens ont été sauvagement assassinés. Ne prendriez-vous pas les mesures nécessaires pour protéger vos habitants ? Bien sûr que oui. Pourtant, quand c’est notre cas, cela nous vaut d’être traités en tant qu’agresseurs. Songez qu’on nous demande sans cesse d’arrêter une guerre que nous n’avons pas lancée !

Est-ce que vous pensez ici au secrétaire général des Nations unies, António Guterres qui a mis votre pays en garde contre un « cauchemar humanitaire » en cas de nouvelle opération armée dans le sud de Gaza ?

Je ne faisais pas référence à ce qu’il a dit hier (ndlr : le 7 février) : je suis moi aussi désolé de la misère et de la souffrance qui rongent la bande de Gaza. Le problème est que la responsabilité en incombe au Hamas, pas à Israël. Pensez aux tunnels que nous découvrons tous les jours, modernes, fortifiées, et bien plus longs que nous ne l’imaginions : l’argent nécessaire à leur construction n’aurait-il pas pu bénéficier aux habitants ? N’aurait-il pas pu servir à construire des écoles, des hôpitaux ou des places de jeux ? Malheureusement, là où nous faisons tout pour mettre nos citoyens en sécurité, le Hamas ne songe lui qu’à détruire son voisin et le peuple juif en général et met en danger sa propre population. 

Ce qui nous a rendu furieux, en réalité, c’est quand António Guterres a affirmé que les attaques du 7 octobre n’avaient pas eu lieu dans le vide (ndlr, « in a vacuum »). Pour nous, cela venait justifier le crime le plus abominable commis contre des Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Je ne m’étends même pas sur le fait que nous ayons quitté Gaza depuis 2005 car de toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien excuser l’assassinat de bébés, d’enfants ou le kidnapping de grands-mères et de grands-pères en pyjama ?

Vous contestez l’idée que votre riposte soit disproportionnée depuis la fin de l’année dernière ?

Nous ne menons pas une campagne de vengeance parce que nous ne sommes pas des tueurs barbares comme le Hamas. Nous sommes un pays démocratique et pacifique qui prend des mesures conformément à son devoir de protéger son peuple. Nous n’intervenons pas avec la volonté de tuer des Palestiniens. Un simple exemple : nous annonçons nos attaques – en arabe – à la population à l’avance pour qu’elle puisse se mettre en sécurité. Quelle autre armée fait ça ? 

Il faut aussi préciser que la guerre continue parce que le Hamas refuse d’abandonner la violence, de renoncer à ses capacités militaires et de restituer nos plus de 130 otages restants. S’il le faisait, le conflit s’arrêterait sur le champ.

L’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza, touchée par un bombardement à la fin du mois d’octobre 2023 (16 à 18 Palestiniens chrétiens décédés).

Beaucoup de nos lecteurs sont chrétiens. Comment leur expliquez-vous le bombardement de l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza, fin octobre, ou en décembre, la mort de deux femmes qui priaient au sein de la paroisse catholique de la Sainte-Famille de Gaza ?

Nous prenons tous ces cas très au sérieux et notre armée mène une enquête. Nous veillons à ne pas attaquer de sites religieux, et en particulier les églises. Malheureusement, dans l’intensité des combats, des erreurs surviennent parfois et il arrive par exemple aussi que nos propres soldats subissent un feu ami, et nous avons également abattu par erreur trois de nos otages. Mais nous ne visons pas les sites religieux, sauf si nous essuyons des tirs depuis ceux-ci ou s’ils ont été transformés en complexes militaires par les terroristes, comme c’est trop souvent le cas des mosquées.

Vous êtes en Suisse depuis août 2021. Est-ce que cela vous surprend toujours que certains élus affichent leur proximité avec des belligérants comme le Hamas ?

Je suis consciente de cette tension entre l’envie de garder de bons rapports avec tout le monde, dans l’espoir de permettre la résolution de conflits, d’un côté, et certaines décisions importantes comme reconnaître le Hamas comme organisation terroriste, de l’autre. Mais je crois qu’il y a des choix qu’un pays qui aime la paix, comme la Suisse, est obligé de faire même avec une tradition de neutralité, et qu’il n’est pas contradictoire de prendre clairement position contre le mal.




Face à l’UE, le retour de la servilité helvétique ?

Cet article est également paru sur le site de Pro Suisse.

« La Suisse veut s’engager à effectuer des paiements de cohésion réguliers à l’UE. » Voici ce qu’annonçait récemment Watson, présentant ces versements estimés à un total de quatre milliards comme un « droit d’entrée » sur le marché européen. Alors que la plupart des médias se félicitent d’un « réchauffements des relations » et d’un « nouveau départ » dans le dialogue avec Bruxelles, cet engagement ne porte-t-il pas la marque d’une certaine servilité ?

Pour en discuter, nous avons fait appel à un panel de personnalités assez original original. Yves Nidegger, ancien membre de la Commission de politique extérieure du Conseil national, le président du POP Vaud Luca Schalbetter, représentant d’un certain euroscepticisme d’extrême-gauche, et le ténor socialiste Pierre Dessemontet, bien connu des lecteurs du Peuple pour son blog où il porte la contradiction au camp conservateur.

Précision importante : ces trois personnalités ont répondu individuellement à nos questions et n’ont pas à eu accès aux arguments de leurs adversaires.

N’y a-t-il pas là quelque chose qui s’apparente à une « rançon de la liberté  » ?

L.S. Il s’agit là clairement d’un chantage qu’exerce la technocratie européenne sur la Suisse. Malheureusement, il ne s’agit pas ici de relations économiques entre deux partenaires souverains et égaux mais plutôt d’un coup de force d’une entité supranationale envers un État que l’on souhaite couper de ses voisins. À la « diplomatie » par le rapport de forces, nous préférons la coopération. 

Y.N. Cela relèverait plutôt de la servitude coloniale, un tribut versé en échange de rien. Il faut se rappeler que l’obligation de cracher au bassinet de la cohésion -sorte de péréquation intercantonale de niveau européen – incombe aux États membres de l’UE ou de l’EEE du fait qu’ils accèdent librement au marché intérieur européen, ce qui n’est pas le cas de la Suisse. Sous réserve de quelques exceptions négociées bilatéralement, la Suisse n’accède en effet ni au marché unique des marchandises, ni à celui des services ni à celui des capitaux. En matière d’accès au marché unique, la Suisse n’est partie qu’à un seul accord, celui sur la libre circulation des personnes, lequel offre essentiellement aux Européens un libre accès au marché suisse du travail, la réciproque n’étant qu’anecdotique en raison de la disparité des salaires. Comment se fait-il alors que la Commission puisse être prise au sérieux lorsqu’elle exige, comme elle le fait, un mécanisme assurant que la Suisse verse une contribution conforme aux standards applicables aux États membres de l’UE ou de l’EEE, dont elle n’est pas ? Tout a commencé en 1992, lorsque le Conseil fédéral a déposé une demande d’adhésion pleine et entière de la Suisse à la Communauté européenne devenue l’UE. L’EEE devait en être l’antichambre. Le peuple n’en ayant pas voulu, le Conseil fédéral a dû négocier au cours de la décennie 1990 une série d’accords sectoriels avec la Communauté sur une base bilatérale, pour rassurer le peuple suisse, tout en donnant à la Commission des gages de sa volonté d’être lié sur la base multilatérale (institutionnelle) qui constitue la trame de l’UE. Il faut se rappeler que la brillante idée de lier (clause guillotine) le sort des premiers accords (bilatéraux I) au maintien de la Suisse dans l’accord (multilatéral) de la libre circulation des personnes fut soufflée à l’oreille des Européens par les négociateurs suisses eux-mêmes, encore traumatisés par le refus de l’EEE et qui espéraient prévenir la récidive populaire par un prix de sortie dissuasif tout en donnant des gages aux Européens du sérieux de la candidature suisse à l’adhésion, candidature à laquelle le Conseil fédéral n’a d’ailleurs pu renoncer ouvertement qu’en 2016, soit au moment de l’ouverture des négociations pour un accord cadre aussi institutionnel et aussi multilatéral que l’était l’EEE. Pendant trois décennies, le Conseil fédéral s’est donc efforcé dans ses rapports avec la Commission de faire passer la Suisse pour une adhérente en devenir, certes trop lente, trop compliquée, trop démocratique, mais résolue à terme à rejoindre la famille. Pour y parvenir, le Conseil fédéral a dû accepter de laisser peser sur la Suisse des obligations qui n’appartiennent qu’aux membres de l’UE ou de l’EEE et qui ne sont donc pas celles de la Suisse, au nombre desquelles, la libre circulation des personnes et les versements de cohésion. Acceptés tout d’abord à bien plaire, ces versements sont vite devenus obligatoires aux yeux de la Commission.

P.D. Les relations que nous entretenons avec l’UE sont de nature strictement contractuelles – c’est toujours comme ça avec l’Europe : à la fin, c’est un contrat qui convient aux parties, ni plus, ni moins. Partant, si la Suisse accepte aussi facilement de payer, c’est qu’elle sait parfaitement qu’elle y a intérêt. Nous avons tendance à l’oublier, mais, aux antipodes de l’Alleingang, notre Sonderfall est avant tout le produit de notre ouverture au monde et de notre talent à lui vendre marchandises et services. Notre pays n’est pas une île, et c’est infiniment heureux : le fût-elle, seule au monde, qu’elle serait comme au premier jour : indiciblement pauvre, une bonne part de sa population contrainte d’aller chercher pitance ailleurs, comme elle l’a fait à travers toute notre histoire jusqu’au moment où elle a commencé à commercer avec le monde, pour son plus grand profit.

Sans revenir à l’outrance du terme, là où vous parlez de rançon (NDLR Voir la conclusion de cet article), je parlerais plutôt d’investissement, de cotisation, de ticket d’entrée, de pas de porte. En outre, nous restons absolument libres d’accepter ou de refuser les termes de l’échange qui nous sont proposés – mais ma Foi, il faut en accepter les conséquences, qui restent d’ailleurs strictement contractuelles : en disant non, nous ne risquons aucune invasion, aucune violence, aucune mesure de rétorsion individuelle ou collective – tout ce que nous risquons, c’est ce que nous gagnons à dire oui : un meilleur accès, une meilleure intégration, une plus grande prospérité. Mais c’est un choix qui nous appartient et que nous prendrons démocratiquement, sans pression de l’extérieur. L’UE ne nous a pas envahis, elle ne nous a pas mis sous blocus, elle ne nous a pas empêchés de la visiter lorsque nous avons dit non à l’EEE il y a maintenant plus de trente ans. Elle l’a juste regretté. Et nous avec.

– On parle ces jours de « réchauffements » des relations entre l’UE et la Confédération. Cette première « capitulation » en était-elle le prix à payer ?

 Y.N. La capitulation ne date pas d’aujourd’hui, elle remonte au 1er octobre 2021 lorsque le Conseil national a voté le principe d’un versement inconditionnel du second milliard de cohésion par 131 voix contre 55 et une abstention. Depuis lors, la Commission ne fait que réclamer ce qu’elle considère être son dû : un mécanisme assurant que la Suisse verse désormais une contribution conforme aux standards appliqués aux États membre de l’UE ou de l’EEE. La différence d’approche entre Berne et Bruxelles n’est pas d’ordre météorologique mais de nature fondamentale. Si la Commission, qui est bien consciente que la Suisse n’accède pas au marché unique, persiste à présenter la contribution comme « la contrepartie logique à la participation de la Suisse au plus important marché intérieur du monde », c’est que Bruxelles ne conçoit tout simplement pas une Suisse hors de l’UE ou de l’EEE. Le problème est qu’une majorité de notre Parlement, sans l’admettre, partage cet avis. Il faut se remémorer le contexte : la dernière tranche du premier milliard de cohésion avait été versée « à bien plaire » en 2012. Le versement d’un second milliard avait été voté en 2019, puis suspendu par le parlement dans l’attente de la levée des mesures discriminatoires de la Commission lorsque l’UE a supprimé arbitrairement la reconnaissance de l’équivalence boursière de la Suisse en rétorsion contre la lenteur de la Confédération à signer l’accord institutionnel exigé d’elle. Il aura suffi d’une grimace de Madame von der Leyen le 26 mai 2021 à l’annonce de Guy Parmelin constatant l’échec définitif des négociations de l’accord cadre pour qu’une majorité de parlementaires regrettant leur hardiesse hissent aussitôt le chèque en blanc.

L.S. Je ne crois pas qu’il s’agisse de la première « capitulation ». Cela a déjà été le cas par le passé, que ce soit pour le « milliard de cohésion » ou pour l’accord-cadre, que l’on voulait nous faire signer au mépris de notre souveraineté populaire et nationale, de la protection des travailleurs et des acquis sociaux. Or, par le passé, la population suisse s’est déjà exprimée pour manifester son mécontentement sur ces méthodes anti-démocratiques.

P.D. Cf supra. De fait, la même question, avec ceci près qu’une fois de plus la relation de notre pays avec l’union européenne n’a jamais été de l’ordre de l’affect : il ne s’agit pas de savoir si notre relation est chaude ou froide, il s’agit d’une relation strictement contractuelle – un accord entre partenaires qui y ont vu un avantage économique. Ça m’est d’ailleurs assez difficile que de l’admettre, moi qui me sens profondément européen et qui aime, au sens affectif, ce continent, ses gens, ses histoires, ses cultures, du Cap Nord à la Crète et de l’Atlantique à l’Oural. Mais voilà : ce pays ne ressent pas la même chose ; il sait en revanche très bien défendre ses intérêts. Je m’y plie.

– Ces paiements de cohésion, pour des États étrangers, ne sont-ils pas en contradiction avec les valeurs de notre pays, qui a toujours valorisé le succès quand il était le fruit du travail et de la rigueur ?

Y.N. L’efficacité de ces versements sur le développement des pays les moins avancées de l’UE est très discutable. Cela étant, nous avons nous aussi en Suisse un système de péréquation intercantonale qui ne peut être attaqué dans son principe. La différence, c’est nous ne demandons pas à l’UE d’y contribuer…

L.S. Il n’y a selon nous aucun problème à contribuer au développement de pays partenaires. Malheureusement, les fonds structurels que l’UE alloue aux pays d’Europe de l’Est ne recherchent pas un but de développement, de coopération et d’indépendance. Ils peuvent avoir comme conséquences la délocalisation de nos entreprises et l’encouragement au réarmement massif de ces pays tous membres de l’OTAN. Ainsi, parler de « cohésion » tout en favorisant le dumping salarial et les libéralisations nous semble un brin hypocrite.

P.D. C’est un peu facile de se draper des oripeaux de la vertu et de la rigueur protestante lorsqu’on a été les grands gagnants du XXème siècle. Une fois de plus, notre richesse est certes due à notre capacité de proposer des produits et des services inégalés au monde, mais aussi à une part de chance. L’industrie tchèque était aussi concurrentielle que la nôtre jusqu’à la seconde guerre mondiale, mais elle n’a eu aucune chance de participer à la reconstruction du continent dans l’après-guerre, pour des raisons strictement géopolitiques, alors que notre appareil de production, également intact, a immensément profité de cette période. L’histoire nous a favorisés et nous a permis de sortir de la pauvreté. Cela ne nous empêche d’ailleurs pas de connaître, à l’intérieur de notre État fédéral, et encore à l’intérieur de chacun de nos États, des systèmes de péréquation qui redressent des déséquilibres territoriaux criards – Zoug aide Uri, Genève aide le Valais, la Côte aide Yverdon-les-Bains. Qu’on retrouve un système similaire – d’une ampleur bien moindre, toutes proportions gardées, et s’appliquant à des différences bien plus fortes, issues de l’histoire, ancienne ou récente, ne me choque aucunement, d’autant que dans bien des cas les récipiendaires de ces aides en ont fait un usage d’une rare intelligence, si je pense par exemple à la Slovénie ou à l’Estonie. Et puis, comme toujours dans ces flux financiers, n’oublions pas les flux de retour : pour prendre cet exemple, une Estonie trois fois plus riche qu’il y a vingt ans, c’est aussi un marché qui s’ouvre pour nos entreprises, pour ne même pas parler des très nombreux cas où ces milliards de cohésion finissent directement dans des poches suisses via des contrats de réalisation d’infrastructures dans les pays concernés.

Des termes qui passent mal

Blogueur régulier pour Le Peuple, l’élu socialiste Pierre Dessemontet a tenu à se désolidariser des termes utilisés dans les questions de cet interview : pour lui, « des termes comme  » rançon  » ou  » capitulation « , qui fleurent bon le mugissement de féroces soldats dans nos campagnes, les destructions, les violences, les déportations, la mort, ont toute leur place dans le cadre d’un enlèvement ou d’une guerre de conquête. Ils n’ont en revanche rien à faire dans la discussion que nous menons avec nos voisins et partenaires, où on traite par exemple de normes sanitaires encadrant ce que nous trouvons dans nos assiettes, de la manière de décompter les flux de personnes et de marchandises, de celle d’assurer la solidarité entre régions à l’échelle du continent, du mode de résolution des différends qui, fatalement, surgiront. »

Face à cette « banalisation » d’une rhétorique par trop véhémente, il ajoute : « Les mots ont un sens, une importance, ils ont aussi un impact. Je sais la peine que ressent le responsable de cette publication lorsqu’elle, ou lui, sont assimilés, abusivement, à l’extrême-droite – à mon tour, il doit savoir que je ressens la même peine lorsqu’il emploie des termes aussi extrêmes et déplacés qu’asservissement, sujétion, capitulation, rançon, dans le cadre des relations que nous choisissons librement de mener, ou pas, avec nos chers voisins. »




Mais pourquoi nos élus se mettent-ils pareillement en scène ?

« Mégalo », « incompatible avec les valeurs suisses », « indigne de la fonction », « Charlot »…Les réactions ne sont pas tendres avec les tentatives de nos élus de se rendre proches du peuple dans des mises en scène plus ou moins réussies. Mais comment expliquer ce désir fou de starification ?

Nous avons posé la question à Nicolas Jutzet, très critique à l’égard de la professionnalisation de la politique suisse dans son récent essai « La Suisse n’existe plus ».

Notre vidéo présentant le livre de Nicolas Jutzet.

Depuis plusieurs années, et particulièrement durant la pandémie, des humoristes ont été mobilisés pour nous faire passer des messages très sérieux (prévention, gestes barrières, appels à la vaccination…). Est-ce qu’il était fatal que les élus se transforment à leur tour en clowns ?

Cette réalité pose deux questions différentes. En théorie, l’humour et la satire servent à critiquer le pouvoir et à dénoncer ses excès. Or, j’observe que, dans bien des cas, les artistes ou humoristes s’engagent pour renforcer le pouvoir de l’État et accompagnent, par exemple durant la pandémie, ses messages au lieu de maintenir une distance saine et critique avec lui. Des rebelles tellement antisystèmes qu’ils veulent lui donner davantage de pouvoir… Mais pour répondre au fond de la question : la professionnalisation de la vie politique, qui a vu émerger en Suisse une classe politique qui vit de plus en plus de la politique et non plus pour la politique, pour reprendre une formule de Max Weber, entraîne naturellement un basculement du fond à la forme. Si en 1975, seuls 27% des parlementaires se disent professionnels de la politique, ce chiffre s’approche des deux tiers aujourd’hui. Le tiers restant se considère comme « semi-professionnel ». 2% affirment aujourd’hui être des politiciens de milice, contre 24% en 1975. Auparavant, le peu de temps disponible pour faire de la politique faisait que le fond était au centre de l’engagement. Aujourd’hui, vu que les politiciens sont bien souvent obligés de se faire réélire faute de mener une carrière professionnelle en parallèle dans le privé, les moyens engagés dans la communication tendent à prendre le pas sur le fond. Par ailleurs, l’éloignement d’avec le monde réel, engendré par une professionnalisation de l’engagement politique qui par nature fait que les élus évoluent dans des sphères plus homogènes socialement que s’ils menaient une carrière dans le privé, fait que la publicité faite autour de leur engagement politique perd peu à peu de sa modestie et donne lieu à des vidéos et des mises en scène lunaires dans le contexte helvétique, qui traditionnellement n’aimait pas les têtes qui dépassent.

Extrait de la vidéo diffusée sur X (ex-Twitter) par Alain Berset lors de son départ du Conseil fédéral.

Ce goût de la mise en scène a-t-il un lien avec la professionnalisation de la politique que vous dénoncez dans votre dernier essai ?

Alain Berset incarne de façon paroxystique les dérives de la professionnalisation de la vie politique. Devenu conseiller fédéral très jeune, sans avoir travaillé dans le privé avant, il se retrouve à devoir s’imaginer une seconde vie à l’aube de ses 50 ans. Adulé, car longtemps présenté médiatiquement de façon très favorable, il a pourtant un bilan politique loin d’être brillant. Il laisse les deux principaux chantiers de son département en plan. Par ailleurs, l’enquête sur les fuites d’informations durant le Covid effectuée par les Commissions de gestion du Parlement a démontré que les nombreux leaks qui provenaient de son département et finissaient dans les médias ont détruit la dynamique et la confiance au sein du Conseil fédéral. Qu’on puisse fêter un bilan pareil m’étonne. Mais il communique bien, c’est sans doute suffisant…

 Quand Alain Berset lâchait complètement les chevaux à la Street Parade.

N’est-il pas temps de revaloriser l’élu « souris grise » à l’ancienne, dont l’ancien conseiller fédéral PLR Didier Burkhalter fut peut-être le plus beau représentant ?

Le fait que le Conseil fédéral dans sa composition actuelle manque de leadership renforce sans doute notre impression d’entendre sans cesse d’anciens membres se prononcer sur tout et rien. C’est une question difficile : l’expertise des conseillers fédéraux ne s’éteint pas avec leur démission et leur avis est, du fait de leur expérience, souvent intéressant. De plus, ceux qui sont présents médiatiquement, comme Couchepin et Blocher, sont également souvent très impliqués pour former la relève au sein de leur parti. C’est un équilibre à trouver.

Propos recueillis par Raphaël Pomey




Les étranges audaces de la RTS sur Instagram

On peut trouver bien des manières de désigner la Radio télévision suisse (RTS) : véritable Pravda pour les uns, elle est la garante d’une information de qualité pour les autres, et l’Eldorado de la plupart des journalistes. « Le média romand qui met en lumière la diversité des opinions et des modes de vie d’aujourd’hui », en revanche, est une définition que l’on entend peu.

C’est pourtant celle que l’entreprise s’est choisie sur son compte Instagram généraliste, comptant 88’000 suiveurs et plus de 500 publications. Coexistant avec rtsinfo, rtssport, rtsarchives ou rtsculture, cet espace se distingue avec des contenus étonnants. « Nous sommes tous appelés à devenir des bouddhas », nous indique le premier sujet en ligne à l’heure de l’écriture de cet article (30 novembre 2023). Félicien, dans le second, nous parle d’un problème de verrues qui a transformé sa pratique du sexe anal en véritable calvaire. Nous attendent encore le récit d’une jeune femme au tatouage de nonne sur le mollet, le témoignage d’un adepte du slip thermique ou la riche histoire du thé froid de la Migros. Le tout sans oublier une très conformiste tentative de déconstruction de la masculinité ainsi que le récit d’émancipation d’une princesse de jeux vidéo !

Étrange définition.

« Inspirant et constructif »

A l’évidence, la diversité se porte bien. Mais le rôle de la RTS ne consiste-t-il pas plus à créer de l’unité dans le paysage intellectuel suisse ? N’est-on pas ici en train de fragmenter la population pour en faire une juxtaposition de « tribus » toutes plus cocasses les unes que les autres ? Nous avons posé la question à Christophe Minder, porte-parole de l’entreprise. Il explique que « ce compte Instagram de la RTS se veut au contraire incluant et aussi représentatif que possible de la diversité qui caractérise la Suisse romande. »

Quant au choix de ne parler quasiment que de sujets « sociétaux » sur cet espace, le communicant explique qu’il découle bel et bien des attentes de la population : « Nos choix éditoriaux visent d’abord à répondre aux besoins du public. Le travail de notre équipe stratégique permet d’ajuster en permanence notre offre éditoriale à ces besoins. Par ailleurs ce compte Instagram s’inscrit en complément à l’offre éditoriale de la RTS sur l’ensemble des vecteurs. » Et de préciser : « Nos formats digitaux mettent en lumière des histoires de vie diverses et variées, qui se veulent inspirantes et constructives. »

« Pas avec notre argent »

Président de l’UDC Vaud et totalement acquis à l’idée d’une redevance délestée, Kevin Grangier s’en trouve peut-être inspiré, en effet, mais pas dans le sens où le souhaiterait Christophe Minder : d’abord parce que la RTS n’a pas de mandat de service public sur internet et surtout parce que « l’argent du contribuable n’a pas vocation à y soutenir la diffusion d’une idéologie de centre gauche. » Avec le passage de la redevance de 335 à 200 francs par an, se réjouit-il, la chaîne aura tout loisir de se recentrer sur l’essentiel de sa mission.

Une perspective qui ne déplairait pas à Daniel Hammer, secrétaire général de Médias Suisse : « L’activité de la SSR est actuellement pléthorique sur ses canaux numériques, dénonce ce représentant des éditeurs romands. Ces contenus gratuits créent une distorsion de la concurrence et empêchent les médias privés de lancer des offres payantes en ligne. Elles seraient pourtant indispensables pour répondre à la demande des consommateurs et assurer la survie des médias romands. » Une observation qui prend tout son sens dans le contexte de licenciements massifs qui viennent de marquer la profession.

Pour rappel la SSR, à laquelle appartient la RTS, menace de devoir supprimer 900 postes si la taxe radio-TV passait de 335 à 300 francs, ainsi que le propose le Conseil fédéral pour contrer l’initiative SSR « 200 francs, ça suffit ». Ses mesures sont en consultation jusqu’au 1er février.




Comment les Jeunes Vert-exs vaudois ont colonisé l’UNIL

Il faisait beau, le 12 octobre dernier, et les étudiants qui gravitaient autour du bâtiment Géopolis, dans le secteur UNIL-Mouline, ont eu droit à une surprise rafraîchissante : une distribution de maté en canette. Aux commandes, des militants des Jeunes Vert-exs Vaud (JVVD) munis de pancartes pour appeler à voter pour leur formation et en particulier pour Angela Zimmermann, candidate au Conseil des États (14’070 suffrages dix jours plus tard).

Photo de l’événement postée sur le compte Instagram des Jeunes vert-e-x-s Vaud.

Problème, quelques semaines auparavant, le responsable technique des Jeunes UDC Vaud, Colin Métraux, venait lui-même de recevoir un refus de l’UNIL pour organiser une action du même type. En cause, non pas une question idéologique, mais simplement une directive relative à l’organisation dans ses infrastructures de réunions étrangères à la mission universitaire. Cette dernière refuse notamment les « manifestations politiques à caractère partisan ». Et peu importe que les jeunes agrariens aient spécifiquement demandé de rencontrer les étudiants sur le campus et non dans les bâtiments, comme les JVVD quelques jours plus tard.

Un procédé cavalier

Pourquoi, dès lors, les jeunes écologistes vaudois ont-ils pu organiser leur distribution de canettes ? La recette est simple : il suffisait de ne pas demander ! « Si les Jeunes Verts font campagne sur le site de l’UNIL, c’est sans notre autorisation », s’est ainsi vu répondre Colin Métraux, « très surpris » et avide d’explications, par une responsable Accueil Événements et Gestion de Salles. Signe que la chose n’était pas anodine, le service de la sécurité a été mis en copie de cette réponse, datée du 13 octobre.

Contactés, les Jeunes Vert-exs contestent pourtant avoir fait quoi que ce soit d’irrégulier : « Une manifestation, selon le Larousse, est un « événement attirant un public relativement large (fête, festival, exposition, salon, etc.), organisé dans un but commercial, culturel, publicitaire ou de simple réjouissance ». Dans notre cas, qui est une distribution à quelques personnes, je n’ai pas l’impression que ça colle à cette définition », tranche Ambroise Delaly, membre du comité vaudois. Comme leur distribution de « boisson à haute teneur en caféine, qui remplace le café pour certain·e·x·s » a eu lieu dans un espace extérieur, le jeune politicien maintient que sa section n’avait pas à « demander une dérogation ».

Tractage sauvage et débat très particulier

Une belle assurance qui ne suffit toutefois pas à convaincre l’UNIL. Géraldine Falbriard, attachée de presse, confirme que « s’il y avait eu une demande, nous n’aurions pas accepté. » Elle se montre d’autant plus agacée que sur le réseau social Instagram, les jeunes écologistes se félicitent aussi d’avoir participé, quelques jours avant leur action, à un débat pour le moins unilatéral. Portant sur « le projet révolutionnaire aujourd’hui », ce dernier réunissait représentants du Parti socialiste, de la jeunesse socialiste et du POP. À droite ? Personne, évidemment…

Équilibré, vous avez dit ?

« Nous nous étonnons, n’ayant pas trouvé trace de demande de location il y a trois semaines », regrette Géraldine Falbriard. Si un débat peut évidemment avoir lieu dans l’université, un événement au casting aussi monocolore est en effet plus déroutant. Mais cette fois, pas de reproche spécifique pour les Jeunes Verts. L’organisation de la discussion, nous expliquent-ils « revenait à des étudiant-exs dans le cadre d’un séminaire sur le projet révolutionnaire. Nous y avons agréablement été convié-exs ».

Entre tractage sauvage, affichage massif et pression sociale gauchisante, le climat est pour le moins particulier à l’UNIL, explique un jeune lecteur du Peuple. « Avec ses convictions qu’elle juge justes et bienveillantes, la gauche est omniprésente ici, explique cet étudiant en sciences humaines. On le voit avec le nombre impressionnant de flyers et d’affiches que l’on trouve sur les murs. A ce climat général s’ajoute que bon nombre d’enseignants sont affiliés à des partis de gauche, ce qui interroge quant à leur neutralité. » Et d’expliquer que quelques jours avant le deuxième tour, un flyer appelant à voter pour le Vert Raphaël Mahaim venait de lui être tendu à la sortie de la bibliothèque.

Porte d’entrée du bureau d’une enseignante, photographiée en avril dernier.

Colin Métraux, lui, ne peut que condamner les procédés de ses adversaires politiques : « Ce n’est pas parce qu’on est un parti de jeunes que l’on peut se soustraire à la loi et aux règlements ! ».

Signe d’un retour du pluralisme, des visuels moins verts mais plus rouges ont fait leur apparition sur le campus ces derniers jours. On vous laisse les apprécier.




L’urgence climatique à 1km/h

Serait-ce la fin des mains collées au bitume ? Après les nombreuses controverses et la frustration croissante des automobilistes bloqués devant les activistes climatiques englués, voici que Renovate entame des marches dans les villes suisses au rythme de 1km/h. Ce mode d’action a été choisi, explique-t-on, afin d’illustrer la lenteur de notre Gouvernement face à l’urgence climatique. Il a été mis en pratique à Berne, le premier juillet dernier, avec 17 personnes. Depuis, le procédé s’est répété – principalement après la rentrée – et notamment à deux reprises à Lausanne. Pas moins de seize marches sont prévues jusqu’à la mi-octobre, juste avant les élections fédérales, selon le site internet de Renovate.  

Cette nouvelle approche vise à provoquer moins de réactions négatives dans l’opinion publique que les blocages de routes. Par ailleurs, ces récentes mobilisations répondent à un contexte judiciaire particulier. En Allemagne, depuis ce printemps, certains activistes climatiques ont été condamnés par la justice à des peines de prison. Depuis, aucun militant de Renovate ne s’est recollé la main au goudron. Néanmoins, cela ne les a pas empêchés de provoquer des interruptions du Festival de Locarno, de l’European Master de Golf de Crans-Montana ou d’une représentation de la 4ème symphonie de Bruckner à Lucerne. Ils ont également tenté de perturber un important événement d’athlétisme zurichois de la Diamond League, au Stade du Letzigrund mais ont rapidement été interceptés par les agents de sécurité.

Ces marches lentes ne font toujours pas l’unanimité. Elles sont d’ailleurs elles aussi interdites. Marie Seidel, porte-parole de Renovate, ne le dément pas : « 24 heures avant l’action, nous informons la police de notre intention de marcher lentement. Nous ne demandons pas d’autorisation ». Mais que répondent alors les autorités ? « Cela dépend des villes et du tracé de la marche », nous dit la militante, qui poursuit : « Pour le moment, la police a la plupart du temps toléré et facilité la manifestation ».

Une récente marche à Lausanne. (photo: Renovate Switzerland)

Étonnante mansuétude ? Contactée par Le Peuple, la police lausannoise rétorque qu’elle a identifié les personnes participant à la marche lente et les a dénoncées au règlement général de police. Elle a, en outre, encadré la manifestation « afin de garantir la sécurité de toutes et tous et de limiter les perturbations ». Elle va « conserver cette manière de faire », nous annonce-t-elle.

Pourquoi ne pas empêcher cette infraction alors ?

Les groupes de militants sont rarement plus qu’une quinzaine, et certains se demandent dès lors pourquoi la police ne les empêche pas tout bêtement de défiler. La police lausannoise répond simplement qu’elle « évalue chaque situation en fonction des principes de légalité, d’opportunité et de proportionnalité et intervient en conséquence ».

À Sion et à Zurich, deux marches lentes ont cependant été empêchées par les forces de l’ordre, mi-juillet puis mi-septembre. Renovate avait alors tonné dans un communiqué de presse que « la liberté d’expression et la liberté de manifester sont des droits humains fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme ». Le correspondant presse de la police zurichoise justifiait dans le 20 Minutes : « Les activistes ont été informés que cela ne serait pas toléré à cet endroit. Malgré cela, une douzaine de personnes ont gagné la chaussée et les forces de l’ordre sont intervenues ».  Quant au cas valaisan, Marie Seidler déplore que « la police ait empêché une manifestation pacifique de se tenir, en confisquant tout le matériel lors du briefing ».  Il faut toutefois préciser que des marches se sont finalement déroulées dans ces deux villes, en respectant certaines limites. Le commandant de la police régionale à Sion, Bernard Sermier, détaillait ainsi son plan d’action dans 20 Minutes: « On a laissé faire les militants, tout en leur imposant des règles. Et elles ont été suivies ». Un sit-in ou des mains collées sur le bitume, précisait-t-il, « n’auraient pas été tolérés ».  

« Qui s’est occupé des cafés ? » (Crédit photo: Renovate Switzerland)

La droite pas plus convaincue

À droite, le changement d’approche de Renovate Switzerland ne change ni l’appréciation, ni la communication opposées au militantisme catastrophiste écologiste. « Le PLR condamne fermement toute action qui conduit à prendre en otage la population au prétexte qu’une idéologie est plus importante que le respect de la liberté de mouvement », tonne ainsi Marlène Bérard, cheffe de groupe du PLR lausannois. Pour elle, « le fait que ces actions ne regroupent qu’une quinzaine de personnes démontre le manque d’adhésion pour ce type de démarche ». Et de conclure en affirmant que « le PLR encourage toutes celles et ceux qui souhaitent faire évoluer positivement la cause climatique à recourir aux outils démocratiques. Seule une attitude respectueuse de l’ensemble de la population est de nature à faire avancer les choses. »




Le cirque politique

Un décor de boîte de nuit, des danseurs et chanteurs qui se trémoussent ou grimacent sur un air qui ressemble à « We Are Family » du groupe Sister Sledge. Je ne regarde pas « Danse avec les stars », « Incroyables talents » ou « 52 minutes ». Je suis devant le clip de campagne de l’UDC suisse qui s’intitule « Das isch d’SVP ». Il faut dire que d’autres formations politiques ne sont pas en reste : trois candidats PLR au Conseil national ont produit une chanson « Original Liberal » et les Jeunes Verts vaudois ont intégré le fringant conseiller d’État Vassilis Venizelos dans le groupe rock « Relax Chill Pépère ». Bien plus, le cirque et les clowns ont envahi le Palais fédéral pour le 175e anniversaire de la Constitution.  

https://www.youtube.com/embed/N9zWEEXYpgg

Attention, c’est dur.

Au Pays des Merveilles, on s’agite, on s’amuse, on fait parler de soi et l’on semble satisfait.

Ne nous y trompons pas, le cirque politique est le signe d’une perte de sens mortifère pour notre société, dont les conséquences peuvent lui être fatales.

Une distinction fondamentale

Julien Freund (1921-1993), philosophe et sociologue français, pose une distinction fondamentale entre la politique et le politique. « La politique, écrit-il, est une essence, au double sens où il est, d’une part, l’une des catégories fondamentales, constantes et indéracinables de la nature et de l’existence humaines et, d’autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations de la puissance et des régimes et le changement des frontières sur la surface de la terre. » (L’essence du politique, 1965)

La politique est donc l’activité concrète, conjoncturelle et variable de la vie d’un État (son régime, les partis, le gouvernement, les élections, etc.). Le politique, quant à lui, relève d’une dimension plus abstraite. Il s’agit de réfléchir sur les concepts de pouvoir, de gouvernement et de prise de décision. Normalement le politique est supérieur et donne forme à la politique. Il semble que ce ne soit plus le cas au Pays des Merveilles.

Ça a l’air bien.

Vers une société impolitique

Le politique, qui est le cadre de la politique, « n’obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l’homme, qui ne peut pas qu’il ne soit pas ou bien qu’il soit autre chose que ce qu’il est » (Julien Freund, L’essence du politique, 1965). 

En oubliant le politique, on dénature la politique qui est « l’activité sociale qui se propose d’assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d’une unité politique particulière, en garantissant l’ordre au milieu des luttes qui naissent de la diversité et de la divergence des opinions » (idem). 

Chemin faisant, on ouvre la porte à toutes les musiques et à tous les délires et l’on s’achemine vers l’impolitique. Avec Julien Freund, on peut considérer qu’est impolitique tout ce qui nie ou se soustrait à la politique. L’impolitique couvre un vaste panel d’attitudes allant de la passivité à la violence en passant par le cynisme, l’amusement et la légèreté. Notre spectacle quotidien en somme.

https://www.youtube.com/embed/UUHyjnwoCZ8

La variante PLR.

Ne nous méprenons pas. En sapant l’autorité politique, les différentes attitudes impolitiques portent en elles le germe de l’instabilité sociale qui peuvent mener à des tensions et des violences sociales dangereuses.

La nature ayant horreur du vide, celui engendré par l’impolitique devra être comblé. La question est de savoir par qui ou par quoi.

À bon entendeur, salut !

Paul Sernine

Poursuivre la réflexion :

– Julien Freund, L’essence du politique, Dalloz, 2004.
– Julien Freund, La décadence, Le Cerf, 2023.




Découvrez les charmes de Lausanne la camée

Depuis quelques semaines, la visibilité de la toxicomanie est LE sujet brûlant de l’actualité lausannoise, avec la hausse du prix du tempeh dans les bistrots sous-gare. Face à la fronde de la population, la municipalité a décidé de serrer la vis et a mis en place une task force de 42 agents pour mieux gérer la problématique. L’objectif, selon Pierre-Antoine Hildbrand (municipal PLR chargé de la sécurité), consiste à « continuer à lutter contre les dealers », mais aussi à « veiller à ce que les consommateurs ne perturbent pas l’ordre public » (24 Heures du 25 août dernier). Il faut dire que des photos d’enfants jouant à proximité de personnes en train de se shooter avaient suscité un certain émoi chez les Lausannois. Le problème n’est certes pas nouveau, mais il semble empirer. Ne soyons toutefois pas trop catastrophistes : gageons qu’il y a même des touristes que ce spectacle séduit. Le Peuple leur offre une visite guidée.

Folklore local. (MF)

Commençons notre virée au centre-ville. Pas besoin de se balader bien loin, en effet, pour découvrir l’enfer de la drogue. Il suffit de mettre les pieds à la riante place de la Riponne. Si, depuis le début de ce déploiement policier, le nombre de dealers semble avoir légèrement diminué, les toxicomanes restent omniprésents dans ce décor de béton. Expérience pittoresque : il est difficile de traverser les lieux sans que quelqu’un vous demande une pièce dans un murmure souvent incompréhensible. Rebelote lorsque vous voulez vous attabler à la terrasse des différents bars ou restaurants du secteur.

Un nouveau local d’injection comme solution ?

Pour lutter contre ces scènes, la municipalité veut ouvrir un nouveau local d’injection dans le coin, puisque celui du Vallon paraît – on est toujours plus sage après avoir engagé l’argent public – trop éloigné aux yeux de la Muni. Mais pour quoi faire ? Il en existe déjà un, très bien réputé d’ailleurs : les toilettes publiques de la place de la Riponne. En dehors des drogués, des policiers et des malheureux employés de la voirie, ces WC ne reçoivent aucun visiteur. Signe de la convivialité des lieux, les marginaux sont souvent entassés à l’intérieur, si bien qu’une porte entrouverte laisse toujours imaginer le pire. Taches de sang, seringues et pipes à crack recouvrent en général le sol. Un jour, j’ai pu observer une touriste cherchant un endroit pour se soulager : peu sensible aux traditions locales, la dame est aussitôt repartie à pas soutenus. Les toxicomanes, pourtant, ne ménagent pas leurs efforts pour apporter un peu d’animation : on les voit faire ainsi d’innombrables allers-retours entre les toilettes et le « string », leur quartier général. Signe que ce beau spectacle n’est pas près de s’arrêter, il faut noter que le futur local, situé au nord de la place, devrait être ouvert 6 jours sur 7, tôt le matin jusqu’à 21h30, comme si les addictions avaient, elles aussi, un horaire.

Spectacle insolite d’une personne se rendant à l’Espace de consommation sécurisé du Vallon. (MF)

Remontons quelques centaines de mètres. Nous arrivons au Vallon, à deux pas de l’Hôtel de Police. Un quartier plutôt calme, doit-on regretter au premier abord. Pourtant le premier local d’injection de la capitale olympique y est installé depuis quelques années mais peu d’usagers semblent s’y rendre, malgré un accueil aux oignons. D’autres coins de la ville sont privilégiés par les marginaux, notamment ceux où il y a davantage de passage. L’espoir de grapiller quelques sous guide leurs pas, comme la météo les coups d’ailes des cigognes blanches. La Riponne représente évidemment la pointe de l’iceberg, mais il suffit de se promener à Chauderon, à Montbenon ou encore à la gare pour découvrir les diverses déclinaisons du spectacle.

Une cohabitation à envier ?

Malgré leurs charmes indéniables, ces traditions locales ne sont plus du goût de tous. Sans cesse perturbé dans son quotidien, un habitant de la Riponne confie son désir de déménager. Il dit « en avoir vraiment marre de cohabiter avec les toxicomanes », et ajoute : « l’hiver, ils squattent les cages d’escaliers des immeubles pour profiter de la chaleur, et l’été, ils empêchent les habitants de dormir avec les fenêtres ouvertes vu les disputes et les cris qu’ils émettent ». Même son de cloche pour les maraîchers qui n’apprécient pas particulièrement d’installer leurs stands tôt le matin dans un décor parfois très authentique. Certains glissent en outre que la présence imposée des personnes dépendantes diminue leurs chiffres.

Le problème des scènes ouvertes de la drogue n’est pas une absolue nouveauté. Non loin de la place du Tunnel, des seringues trainent aux alentours d’un établissement primaire depuis des années, avec les risques que l’on connaît pour les enfants. Il y a quelques semaines, il m’est arrivé d’y voir un homme en plein shoot, littéralement à vingt mètres du préau. La scène se déroulait à la sortie des cours, devant des enfants visiblement habitués mais pas totalement enchantés pour autant. Malheureusement, ces formes de cohabitation plus ou moins heureuses sont de plus en plus fréquentes à Lausanne.

Si le spectacle de la toxicomanie vous plaît, dépêchez-vous de visiter Lausanne, car la municipalité a décidé de mettre les bouchées doubles. Alors que les autorités ont répété durant des années qu’elles ne pouvaient rien faire pour lutter contre ce fléau, voilà qu’une seule décision politique offre un bol d’air bienvenu pour les commerçants et habitants du coin. Mais pas de précipitation, cette lutte ne devrait durer que quatre mois, à moins d’être prolongée si les résultats obtenus sont jugés insuffisants.

Espérons que le secteur du tourisme saura s’adapter.




Noblesse oblige

Autour d’un verre de blanc au café du village, les discussions vont bon train. Un jour, un brave agriculteur de la commune voisine lance à la cantonade : « On a enfin un syndic ! » Cela interroge autour de la table. Ladite commune avait toujours eu des syndics. Et notre ami de nous expliquer que, contrairement à ses prédécesseurs, leur nouveau syndic portait chemise et costume cravate lors des évènements officiels. Pour lui, une charge politique impose une certaine tenue. Que penserait-il de l’attitude de monsieur Berset ?

Médiocrité, vulgarité et laisser-aller

L’attitude du président de la Confédération est le révélateur de la médiocrité, de la vulgarité et du laisser-aller de bien des hommes politiques. Cela s’illustre autant dans les postures corporelles, les comportements, le langage et l’intelligence. Charles Péguy relevait fort à propos en 1908 : « (…) en ces temps-ci, une humanité est venue, un monde de barbares, de brutes et de mufles ; plus qu’une panbéotie, plus que la panbéotie redoutable annoncée, plus que la panbéotie redoutable constatée ; une panmuflerie sans limite ; un règne de barbares, de brutes et de mufles ; une matière d’esclave ; sans personnalité, sans dignité ; sans ligne ; un monde non seulement qui fait des blagues, et qui fait toutes les blagues, qui blague de tout. Et qui enfin ne se demande pas encore anxieusement si c’est grave, mais qui inquiet se demande déjà si c’est bien amusant ».

Que faire ?

L’aristocratie comme valeur

Selon Julius Evola, il faudrait « avant toute chose » reconnaître « l’aristocratie en tant que valeur spirituelle ». L’aristocratie n’est pas une question de naissance, de lignage mais plutôt l’expression de qualités spirituelles et intérieures. Elle n’est pas liée à une classe sociale ou à des privilèges mais à un mode de vie sous-tendu par des valeurs traditionnelles de vertus et d’honneur.

Le roman de Muriel Barbery, L’élégance du hérisson (2006), nous donne l’exemple d’une telle aristocratie à travers le personnage de Renée Michel, concierge d’un immeuble bourgeois de Paris. Personne de la considère et ne la remarque sauf une adolescente qui a découvert cette secrète aristocratie : « Mme Michel, elle a l’élégance du hérisson : à l’extérieur, elle est bardée de piquants, une vraie forteresse, mais j’ai l’intuition qu’à l’intérieur, elle est aussi simplement raffinée que les hérissons qui sont des petites bêtes faussement indolentes, farouchement solitaires et terriblement élégantes ».

https://www.youtube.com/embed/w49H8T7XGNw
Une autre analyse de la scène, en vidéo.

Une question de civilisation

Toute notre civilisation occidentale repose sur ce modèle aristocratique : le héros grec, le citoyen romain, le chevalier médiéval, le gentilhomme français, le gentleman britannique. Quand ceux qui sont censés incarner l’autorité s’affranchissent de ces modèles, c’est notre civilisation qui en pâtit. Oui, noblesse oblige, car au milieu de ce monde l’aristocrate est une oasis de fraîcheur et de réconfort. On peut dire de lui ce que John Henry Newman écrivait du gentleman : « Ce qu’il représente pour la société se compare à ce que procurent le confort et l’aisance dans la vie privée ; il ressemble au fauteuil moelleux ou au bon feu qui, réellement, contribuent à chasser le froid et la fatigue (…) ».

Je préfère cela au vacarme de la Street Parade en boa avec bière et cigare.

À bon entendeur, salut !