Cet article est réalisé en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.
L’association défend une Suisse indépendante et neutre.
Le principe de la neutralité suisse doit-il être gravé dans la Constitution ? À cette proposition, le Conseil fédéral vient de répondre par un « non » sec. Alors que l’Otanisation de notre politique extérieure s’intensifie depuis le début de la guerre entre l’Ukraine et la Russie en 2022, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a déclaré que l’acceptation de l’initiative reviendrait à abandonner « l’utilisation flexible de la neutralité ». Une pratique qui – paraît-il – aurait fait ses preuves.
Lesquelles ? Visiblement pas celle de nous faire apparaître comme un partenaire crédible pour organiser des pourparlers entre Moscou et Kiev. Mais qu’importe : pour le département d’Ignazio Cassis, « s’associer à des sanctions largement approuvées sur le plan international sert les intérêts de la Suisse, car ces mesures visent à maintenir un ordre international pacifique et équitable. »
Washington a parlé
Si le Conseil fédéral reste prudent dans son message, le parti d’Ignazio Cassis est moins pudique. Dans un communiqué à la gloire de la décision de l’exécutif, le PLR dénonce « l’initiative pro-Poutine de l’UDC ». Il va même jusqu’à affirmer que « les véritables intentions des auteurs de l’initiative sont reconnaissables : il ne s’agit pas pour eux de la neutralité ou des intérêts de la Suisse, mais de courtiser des autocrates et des dictateurs. »
Un ton qui fait dire au journaliste Pascal Décaillet, sur son mur Facebook, que « Le PLR parle comme l’OTAN. Le PLR parle comme les États-Unis. Tant qu’il y est, le PLR suisse devrait rédiger ses communiqués en anglais. Avec copie préliminaire à Washington. Pour approbation. »
Depuis 1815 et la reconnaissance internationale de la neutralité de la Suisse au Congrès de Vienne, le monde en a vu passer quelques-uns, des autocrates. Pourquoi la défense de la neutralité, aujourd’hui, serait-elle plus malvenue qu’en 1939 ou durant la Guerre froide ? Et pourquoi pointer du doigt l’UDC alors que le comité d’initiative compte aussi des personnalités non affiliées, comme l’ancien président de la FIFA Sepp Blatter ?
Nous avons posé ces questions à Arnaud Bonvin, chef de la communication du PLR. Pour lui, « l’initiative a été lancée précisément en réaction aux sanctions économiques contre le régime de Poutine et a été reprise principalement par l’UDC. » Pourtant, comme le rappelle justement Watson, une initiative similaire avait déjà été lancée en 2011 par l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (Asin), ancêtre de Pro Suisse.
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Le symbole d’autres despotes… mêmes futurs !
Et le communiquant du PLR de poursuivre : « Elle peut être dénommée Pro-Poutine car Vladimir Poutine est le symbole d’autres despotes (même futurs) qui violent le droit international, menacent l’ordre international basé sur le droit et qui ne pourraient plus être sanctionnés avec l’initiative. » Une passion pour le droit international qui s’exprimait beaucoup moins quand les drones d’Obama tuaient des civils au Yémen ou en Somalie.
Passé ces enjeux sémantiques, le cœur de l’argumentation des opposants à l’initiative aborde des aspects plus pratiques : « L’initiative méconnaît la nature de la neutralité : figer dans la Constitution la neutralité est contraire à l’histoire et aux intérêts de la Suisse. Notre neutralité n’est pas une fin en soi, mais sert la sécurité de la Suisse. Cet instrument a donc besoin d’une certaine flexibilité, adaptée aux circonstances du moment. »
Dans ses documents[1], la Confédération date de 1953 la naissance de la « neutralité active », dans le cadre de l’armistice en Corée. 2024 sera-t-elle donc l’année de la neutralité qui n’en est pas vraiment une ? Coordinateur romand de la campagne pour le Oui à l’initiative, Kevin Grangier s’étonne en tout cas de « l’empressement avec lequel le Conseil fédéral l’a abandonnée pour s’aligner sur les sanctions économiques de l’Union européenne ».
Un discrédit mortel
Ce virage, selon lui, a « mortellement discrédité la réputation de la Suisse et sa diplomatie aux yeux du monde. La presse internationale l’a d’ailleurs abondamment commentée, et notre pays n’est plus envisagé comme lieu pour accueillir des conférences de paix. » Quant aux buts de l’initiative, ils ne consistent évidemment pas à flatter quelque dictateur que ce soit, mais bien à « redonner à notre neutralité et à notre diplomatie leur crédibilité aux yeux du monde entier et garantir la sécurité de la Suisse. »
Et Kevin Grangier de conclure : « Je comprends le malaise de la direction du PLR. C’est leur conseiller fédéral, Ignazio Cassis, qui est fautif de ce discrédit, qui relègue la Suisse hors du jeu diplomatique. Beaucoup de membres du PLR tiennent aux bienfaits de la neutralité. La tête du PLR pense donc qu’en criant que la neutralité, c’est être pro-russe, elle masquera la faute de Cassis. Mais si on suit cette logique absurde, qu’aurait dit la direction du PLR dans les années 1930 ? Que la neutralité, c’était être pro-nazi ? Je suis curieux d’entendre leur réponse. »
[1] Voir par exemple la brochure La neutralité de la Suisse (4ème édition), en 2004