Oskar Freysinger : « Jamais le monde n’a basculé dans le totalitarisme – certes « mou » – en si peu de temps »

  • Oskar Freysinger, vous signez peut-être le livre le plus politiquement incorrect de l’année avec Animalia. Pourquoi avoir choisi une fable animalière pour décrire la bêtise contemporaine ?

Parce que les animaux, dans leur infinie sagesse, ne risquent pas de me faire subir un « shit storm » mâtiné d’indignation. Les animaux ont leur dignité, eux. Blague à part, comme c’était le cas pour Ésope, La Fontaine, Ionesco et Orwell (« dans « animal farm »), les animaux sont un vecteur de mise en abîme. La deuxième mise en abîme est assurée par le rire. Conjointement, la fable et le rire tirent le lecteur de la torpeur de l’illusion référentielle collective dont les médias officiels lui battent et rebattent les oreilles jusqu’à le rendre sourd. En prenant distance, il est forcé de se remettre en question par l’effet de miroir auquel le texte le soumet. 

  • Si certains dénoncent le « grand remplacement », vous dénoncez quant à vous le « grand chambardement » dans la première moitié de l’ouvrage. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit ni plus ni moins que la description délirante et hilarante d’un monde qui devient fou parce que certains « sauveurs » autoproclamés prétendent vouloir le rendre parfait. Il ne saurait y avoir le moindre écart, la moindre fantaisie dans ce « Gestell » (dispositif) déshumanisé postulé par le philosophe Heidegger. Dans notre monde et la jungle du livre, les êtres n’ont plus que le choix entre le bien et le bon, le vertueux et l’intègre, le gentil et l’aimable, des non-choix dictés par des pharisiens et des tartuffes qui ont ouvert la chasse aux mauvais sujets pour tromper l’ennui qu’ils s’inspirent eux-mêmes.

Le « livre premier » intitulé dégénérescence, décrit la descente aux enfers, forcément collective, le « livre second », intitulé régénérescence, va mettre en scène quatre animaux cabossés par la vie – des individus s’assumant, donc – pour esquisser une voie de salut. Au contraire des dystopies d’Orwell et Huxley, la mienne n’est pas désespérante. Au contraire, elle est hilarante et se termine plutôt bien.   

  • WEF, vegans, LGBTQIA+, partisans d’Exit… Vous n’épargnez personne. Est-ce que vous vous sentez aigri ?

Que voulez-vous, j’ai tenté d’être équitable dans la distribution de mes « bontés ». Mais si j’étais aigri, j’aurais écrit un texte revanchard, moralisateur et indigné. Or, j’ai choisi de décrire une décadence joyeuse, fofolle et grotesque. Je me suis fendu la malle tout au long de l’écriture. Pour le style, j’ai été inspiré par ma lecture du moment, « l’homme sans qualités » de Robert Musil, à mes yeux le plus grand roman de langue allemande jamais écrit, qui traite de la lente déchéance de l’empire austro-hongrois avant la première guerre mondiale avec ses psychoses, ses faux-semblants, ses petites traîtrises, son hypocrisie et sa vacuité. Quant au déclencheur de mon écriture, ce fut une phrase de Dürrenmatt qui m’a profondément marqué. Elle postule qu’une histoire n’est vraiment finie que lorsqu’elle a trouvé la pire fin possible. Il ajoute que la pire des fins que puisse prendre une histoire, c’est de basculer dans le grotesque.

« Sans l’occident et sa politique désastreuse au Moyen-Orient et au Maghreb l’islamisme serait resté embryonnaire. »

Oskar Freysinger

  • Avec seulement deux pages à leur sujet, les islamistes (représentés par un dromadaire) s’en tirent plutôt bien avec vous, pour une fois…

Depuis que les USA se sont avérés être (avec les Saoudiens) les bailleurs de fonds principaux de l’État islamique, qu’ils ont initialement formé et soutenu Bin Laden et qu’Israël fut l’un des soutiens financiers majeurs du Hamas (par l’intermédiaire du Qatar) pour tuer dans l’œuf la solution de deux états par la division de l’autorité palestinienne, je me dis que l’islamisme n’est que l’idiot utile de l’histoire. Deux pages suffisent pour en esquisser les limites. Sans l’occident et sa politique désastreuse au Moyen-Orient et au Maghreb l’islamisme serait resté embryonnaire. Désormais, il est l’alibi parfait pour toute sorte de forfaitures, d’invasions, de massacres et de lois liberticides (anti-terroristes). Rien de tel qu’un ennemi taillé à la hache pour faire peur au citoyen qui préfèrera toujours la sécurité à la liberté. Depuis que l’islamisme a cédé la place à l’intégrisme qui préfère le combat du ventre fécond au combat des tripes à l’air, les Russes l’ont remplacé en tant qu’ennemi idéal à haïr sans modération. 

  • En page 82, vous écrivez : « Les derniers hommes honnêtes sont les prétendus complotistes, les asociaux, les négationnistes et les emmerdeurs. » Vous recherchez les procès ?

À mes yeux, une personne qui dit oui à tout ne peut être honnête. Soit elle manque de courage, soit elle veut plaire à tout le monde, soit encore elle a été lobotomisée. Qui a fait avancer l’histoire humaine ? Qu’est-ce que des gens comme Socrate, le Christ, Spinoza, Galilée, Voltaire, Victor Hugo et Zola ont en commun ? Ils ont osé dire non. Or, ce refus fut le point de départ d’un bouleversement dans l’esprit des gens qui transforma profondément et durablement la société humaine. À tous, on leur fit le procès. J’en conclus que si « Animalia » devait me valoir un procès, je serais en bonne compagnie.

  • On a parfois l’impression que vous faites du Covid la matrice de toutes les absurdités modernes, dans votre récit. N’est-ce pas un peu exagéré ?

Vous verrez que les historiens du futur ne parleront pas d’une césure civilisationnelle de l’an 2000, mais de l’an 2020 ! Jamais dans l’histoire humaine, un tel mouvement de panique planétaire assorti de mesures liberticides n’a eu lieu. Jamais le monde n’a basculé dans le totalitarisme – certes « mou » – en si peu de temps. Puis s’ensuivit, coup sur coup, l’hystérie climatique, la sanctionnite aigüe contre la Russie et l’aplatissement de Gaza. Résultat : la ruine financière, intellectuelle et morale de l’occident s’est révélée au grand jour et accélérée de telle sorte que les citoyens se sentent fragilisés, abandonnés et insécurisés au point d’accepter la gestion bureaucratique planétaire que les « buveurs d’âme du mont Kibo » dans mon livre, et les « Davosiens du WEF », de l’OMS et du Deep State américain dans la réalité, proposent en remède comme ils l’ont fait avec les vaccins Covid. Ils commencent déjà à mettre au goût du jour le virus H1N1 et trouveront autre chose s’il s’avère insatisfaisant à légitimer leur prise de contrôle absolu.

  • Vers la fin du livre, on peut lire : « Quand le monde est fou, seul le ridicule fait sens. » Est-ce qu’il ne faudrait pas, au contraire, redonner à nos société un sens de la dignité ?

Qu’y a-t-il de plus digne que d’oser rire à la face hideuse d’un pouvoir dévoyé ? Le rire et l’humour le déstabilisent et fragilisent son univers carcéral spirituel et matériel. Le pouvoir veut et doit être pris au sérieux s’il entend durer. Narcissique et mythomane, il n’a que sa carapace bardée de pointes acérées pour se défendre. L’autodérision lui est interdite et le rire est son pire ennemi. On peut trancher la gorge des gens, les torturer, s’ils parviennent à rire devant leur bourreau, ils font preuve de la plus grande des libertés. La dignité, elle, est noble en soi, mais elle ne peut rien contre celui qui n’en a pas. La dignité bâtit des temples dans l’invisible, le rire est une arme concrète qui fait vaciller les trônes dans le monde réel. J’ai voué toute ma vie aux lettres parce que je suis convaincu que le verbe finit toujours par triompher de la force brute. 

  • Achevé en 2021, votre roman sort chez Selena Éditions, une maison française, trois ans plus tard. Est-ce que cela signifie que personne n’a eu le courage de vous publier en Suisse ?

J’ai effectivement envoyé mon manuscrit à plusieurs dizaines d’éditeurs de tout bord. Les bien-pensants, voyant mon nom, faisaient la moue et trouvaient mille excuses formelles pour ne pas me publier. Les éditeurs de droite, quoiqu’admiratifs du texte (« c’est un ovni littéraire », « c’est La Fontaine ayant fumé du crack » et j’en passe) eurent au moins l’honnêteté d’avouer que le risque était trop grand et qu’ils ne voulaient pas mettre en péril leur maison d’édition. C’est finalement une femme, Aleksandra Sokolov des éditions Selena, qui fit preuve d’un courage et d’une détermination hors du commun et, faisant abstraction de mon passé, des cris d’orfraie outrés des bienpensants et du caractère explosif de mon texte, décida de le publier afin « d’être digne de sa vocation d’éditrice ». Je lui voue une admiration sans bornes. Voilà quelqu’un qui n’a pas besoin de transplantation « pour en avoir ».

L’autre sortie de Freysinger aux éditions Selena. Plus apaisée…

  • En même temps qu’Animalia, vous sortez un autre livre : il s’agit d’un récit, L’Oreille aveugle, livré avec une réédition du Nez dans le soleil. Vous vouliez montrer aussi un visage plus apaisé ? 

L’idée vient de mon éditrice. Lui ayant envoyé la vingtaine d’œuvres que j’ai fait publier depuis plus de deux décennies, elle a été subjuguée par la grande variété de styles et la diversité de mes écrits. Elle a voulu montrer, par cette double-publication, deux types d’écriture totalement différents quoiqu’issus de la même plume. Pierre-Yves Luyet, sourd-muet de naissance, menacé de cécité totale, autiste (asperger) et souffrant de problèmes d’équilibre a commencé à voyager par le vaste monde dès le moment où les médecins lui ont annoncé son inéluctable cécité. Son histoire a été relatée dans une émission de la TSR : le voyage aveugle. 

C’est une histoire qui démontre que le sort peut bien s’acharner sur certaines personnes, elles trouveront toujours un moyen pour ne pas désespérer et même s’épanouir malgré les difficultés.

L’autre histoire, un monologue court, fleure bon le terroir valaisan, les vignes, les bisses et les pâturages entre le serpentement scintillant du Rhône et les arêtes enneigées mordillant le bleu du ciel.

Les deux textes se complètent parfaitement en raison de la démarche opposée des deux protagonistes principaux : L’un, le multi-handicapé prisonnier de son « bocal » trouvera la liberté par le mouvement et la découverte de lointaines contrées, l’autre, Vital Héritier dit « pépé », vigneron valaisan à l’ancienne enraciné dans sa terre natale, va attirer le vaste monde à lui en renaturant le bisse de Lentine pour le transformer en un jardin botanique luxuriant. Il n’y a pas de voie tracée vers le bonheur. C’est chacun la sienne.  

En librairie dès le 17 mai 2024 en France et dans tous les pays francophones.
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Pour découvrir les raisons qui ont poussé son éditrice à sortir Animalia, ainsi que notre chronique du livre, merci de vous connecter ou de prendre un abonnement.

Le témoignage de l’éditrice, Aleksandra Sokolov

j’ai été d’abord convaincue par les qualités littéraires d’Oskar Freysinger qui est un personnage d’une multipotentialté extraordinaire dans bien des domaines de créations et j’ai aimé Animalia car c’est le monde dans lequel nous vivons même si il est évidemment exagéré dans les extrêmes… nous n’en sommes toutefois pas si loin… 

J’ai toujours défendu l’œuvre littéraire même des auteurs les plus enviés ou détestés, mais avec un talent indéniable ! J’ai publié les oeuvres d’un grand expert en avant-garde russe, Andréi Nakov, aujourd’hui décédé et auquel le Centre Pompidou rend hommage ce mercredi. Ses publications m’ont valu des menaces de mort mais je suis encore là…

Je pense que le métier d’éditeur et d’être un « passeur » de savoir et d’opinions… je n’ai aucune prédispositions, ni politique ni culturelle mais je pense qu’il faut mettre en avant les gens qui le méritent.

L’édition est devenue une passion et ne me permet pas de vivre depuis plusieurs années mais j’équilibre et je publie en toute liberté ce qui me paraît intéressant de mettre en avant. Néanmoins, il est difficile de se frayer un chemin dans les médias en tant que petite structure d’édition ! Il faut garder espoir ! C’est mon chemin de vie…

Notre chronique

Avec Animalia, Oskar Freysinger nous propose dystopie dans la ligne de Orwell et Huxley, mais postmoderne et souvent drôle. Achevé en juin 2021, le livre est fortement marqué par l’épisode du Covid et par les restrictions de liberté qui s’étaient alors abattues sur la population durant la pandémie. 

Pour autant, dans un récit saturé de jeux de mots grivois et d’allusions vachardes, il arrive régulièrement à l’auteur de toucher à l’intemporel avec ses histoires de bestioles. Ainsi, dans la jungle égalitaire et dystopique où se déroule l’action surviennent des personnages évoquant tantôt le Rebelle de Jünger, tantôt le Zarathoustra de Nietzsche, quand ce n’est pas le moraliste chrétien. Dans le fond, la fresque d’Oskar Freysinger semble dirigée vers un but central : nous apprendre à « rétro-développer » (comme il l’écrit en page 238) des réflexes naturels que nous aurions perdus sous un certain totalitarisme suave et maternant.

On peut juger la méthode parfois « populiste », pour ceux qui tiennent ce mot pour un reproche, parfois un peu « bourrine » pour les autres, mais reste une certitude : il y a une joie certaine à voir le vieux lion envoyer paître tous ceux qui, misant sur notre instinct grégaire, nous croient plus bêtes que nous le sommes. 




César et vertu ostentatoire

A priori vecteur par excellence de la liberté d’expression, l’art s’est grandement politisé au cours du 20ème siècle. Le cinéma français, où cette tendance vire au grotesque, en est un cas d’école. 

La politisation du 7ème art

Nous entendons par « politisation » une intrusion du politique (et par extension des questions sociales) dans tous les domaines de la vie quotidienne. Une telle contamination est typique de l’extrême-gauche, dont l’idéologie postule souvent qu’aucun aspect de l’existence ne devrait échapper au politique. Un autre aspect du phénomène réside dans la tendance croissante des personnalités publiques à abuser du militantisme : afficher ses positions (de préférence progressistes) sur des sujets d’actualité au cours d’une allocution est devenu un rituel obligatoire. 

Nous assistons donc à une politisation de la culture : tout œuvre, création ou propos exprimé se doit non seulement d’être politique, mais doit également pouvoir faire l’objet d’une interprétation idéologique. Les discours publics des artistes n’échappent évidemment pas à cette logique. 

Quand le militantisme s’invite aux César : l’idéologie gauchisante

Les indignations publiques et autres diatribes ne sont évidemment pas des nouveautés absolues. Lors de la cérémonie des César en 2020, l’actrice Adèle Haenel s’était levée puis était sortie en grandes pompes de la salle. Raison ? L’attribution d’une récompense au cinéaste Roman Polanski. « Bravo la pédophilie ! » avait-elle applaudi ironiquement dans les couloirs en se dirigeant vers la sortie. 

En 2021, l’actrice Corinne Masiero (l’héroïne de la série Capitaine Marleau) s’était mise toute nue sur scène pour dénoncer la situation précaire des milieux culturels provoquée par les mesures sanitaires draconiennes.  

La cérémonie de cette année n’a bien sûr pas échappé à la règle. Les allocutions ont essentiellement été consacrées à deux sujets d’actualité incontournables : d’une part les abus sexuels dans le milieu du cinéma, évoqués dans un discours de l’actrice Judith Godrèche qui accuse deux cinéastes, et d’autre part le conflit israélo-palestinien. Gilles-William Goldnadel, avocat et essayiste français, a évoqué « l’insoutenable légèreté de l’être artistique » dans sa manière de traiter ce deuxième sujet : beaucoup de chagrin à l’égard des Palestiniens (dont la souffrance est bien sûr réelle), mais un silence ahurissant au sujet des victimes juives du 7 octobre – notamment des Israéliennes violées, mutilées et massacrées. Force est de constater que les César s’apparentent à des tribunes médiatiques où annoncer sa vertu, des forums où s’exprimer avec beaucoup d’emphase sur des causes « justes » et « morales ». Il s’agit d’une idéologie gauchisante qui invite à l’indignation à géométrie variable. Un militantisme dont la droiture morale est des plus discutables. 

Et dans le passé ?

De fait, le cinéma s’est voulu militant dès ses jeunes années. Des cinéastes avaient découvert la vertu évocatrice de l’image en mouvement, notamment à des fins idéologiques. Sergueï Eisenstein, réalisateur soviétique et théoricien majeur du montage, avait savamment utilisé ses propriétés dans le but de susciter de fortes émotions chez le spectateur. Cette implication avait pour but, in fine, de convaincre de la légitimité de la révolution russe. Le communisme comme blanc-seing à toutes les violences et horreurs commises par les bolchéviks.  

Plus proche de notre époque et de notre sujet, les cinéastes Jean-Luc Godard et François Truffant, figures de proue de la Nouvelle Vague, avaient contribué à interrompre le festival de Cannes en mai 1968. Leur revendication ? Exiger du milieu cinématographique qu’il fût davantage préoccupé par les problèmes sociétaux qui traversaient le monde, et a fortiori la France. C’est désormais chose faite : depuis quelques décennies déjà le militantisme s’approprie des tribunes pour évoquer des sujets finalement bien peu artistiques. 

Et de l’autre côté de l’Atlantique ?

Qu’en est-il des États-Unis ? Sans surprise, la mode y est également de mise. Malgré les nombreux exemples que nous pourrions évoquer, nous nous contenterons de la dernière cérémonie des Oscars. Au-delà de récompenses hautement méritées – les Oscars d’interprétation à Emma Stone pour Pauvres créatures et Kilian Murphy pour Oppenheimer venant immédiatement en tête, la personnalité qui a largement fait parler d’elle se trouve être le réalisateur Jonathan Glazer, lauréat du prix du meilleur film étranger pour le chef-d’œuvre La zone d’intérêt

Son discours a de nouveau rappelé combien le conflit israélo-palestinien est incontournable dans les différents festivals. Il accapare les esprits, car c’est un des conflits les plus médiatisés du monde. Surtout, il représente une occasion rêvée de s’illustrer comme « messager du bien ». Glazer ne s’en est pas privé en établissant un parallèle troublant entre l’Holocauste et la guerre actuelle à Gaza. Malaise et stupéfaction. Près de 450 personnalités de Hollywood ont signé une pétition pour dénoncer le réalisateur. Son producteur s’est aussi empressé de le désavouer. Le signe avant-coureur d’une pensée unique qui s’effrite ? 

Cinéma et conformisme : le paradoxe

Faut-il s’étonner de la manifestation d’une telle vertu ostentatoire sur scène ? Après tout, le cinéma, cet art qui est la synthèse de tous les autres, devrait constituer le medium de la liberté par excellence. Il est malheureusement évident que les César (tout comme les Oscars) poussent au conformisme, à la pensée unique. Gardons toutefois en tête que les acteurs et réalisateurs, plus que tous les autres, dépendent de leur popularité pour survivre : s’ils cessent d’être populaires, alors ils cesseront d’être sollicités. S’ils cessent d’être sollicités, alors c’est leur gagne-pain qui sera menacé. De plus, nombre de comédiens ont le désir d’être aimés. Dans ce milieu, une mort sociale s’avère bien souvent une mort artistique. Il n’y est pas bon d’être marginal. 

Cette préoccupation pour une réputation irréprochable pousse inexorablement la majorité des artistes à soutenir l’actrice Judith Godrèche ou à condamner Roman Polanski jusqu’à la fin des temps. Des positions sans équivoque qui servent en premier lieu à proclamer sa propre innocence dans un milieu où la complaisance et l’attitude permissive en matière sexuelle sont évidentes. La morale, ne serait-ce bon que pour les autres ? 




Quand la RTS compare Donald Trump à Hitler

Cet article se trouve également sur le site de l’organisation Pro Suisse.

« Trente secondes de reportage pour comprendre que c’est à charge ! Bravo l’impartialité des journalistes !! ». Salué par 67 internautes sur YouTube, ce commentaire est à l’image de la grande majorité des réactions générées par un reportage de Temps Présent diffusé le 11 avril dernier, et encore visible en ligne. Son « angle », comme l’on dit dans le jargon des journalistes : « Et si les États-Unis vivaient leur dernière année de démocratie ? ».

Les heures les plus sombres

Dès les premiers instants du documentaire, la voix off de la journaliste donne le ton : en à peine plus de deux minutes, le public apprend déjà que « Donald Trump n’est connu ni pour sa modération ni pour son intégrité », qu’il est « l’un des hommes les plus dangereux du monde à l’heure actuelle » et qu’il mettra en œuvre son « programme radical » dès qu’il refranchira la porte du Bureau ovale.

Un élu qui applique le programme pour lequel il est élu, voilà qui peut effectivement surprendre, dira-t-on.

Mais surtout, avant même d’entrer dans le cœur de son sujet – une virée chez les pro-Trump floridien – la voix off donne le coup de grâce en glissant que les mimiques du politicien républicain « rappellent des temps sombres », sans préciser si elle fait allusion à Mussolini ou Hitler. En guise de cerise sur le gâteau, un bruit de coup de feu est alors utilisé comme illustration sonore de ce probable retour vers l’autoritarisme.

Faites-vous votre avis !

Service public, mais pas neutre

Président de 2017 à 2021, Donald Trump n’est certes pas un modèle de vertu aux yeux de tout le monde, y compris au sein du monde conservateur. Mais dans l’intérêt supérieur d’un pays neutre comme la Suisse, peut-il être pareillement diabolisé par le service public ? Pas aux yeux du député UDC valaisan Jérôme Desmeules, ouvertement sympathisant du milliardaire américain : « Magnifique Temps Présent, comme toujours objectif, ironise-t-il. Il fait passer Trump pour le salaud agressif alors que le retour vers un monde au bord du conflit généralisé a été provoqué largement par le retour au pouvoir du complexe militaro-industriel soutenu par le camp du « Bien »… »

Le reportage aurait-il été finalement plus outrancier que le politicien qu’il se donnait pour objectif de dénoncer ? On peut le penser car la RTS ne le cache pas : le reportage fait bien allusion à Hitler à propos des « heures sombres » que rappelleraient les mimiques de Trump. Elisabeth Logean, présentatrice et co-productrice de l’émission, l’assume ouvertement : « L’idée de ce reportage était d’imaginer l’Amérique de demain si Donald Trump était réélu à partir de ses déclarations et intentions. L’ex-président a ainsi annoncé vouloir purger l’Administration fédérale ou utiliser le FBI et le département de la Justice pour neutraliser ses adversaires ; autant d’intentions qui s’apparentent à des comportements de dirigeants autoritaires. Le rappel des années sombres fait référence à ses déclarations sur les migrants « qui empoisonnent le sang de notre pays », qui rappellent les propos d’Hitler sur les Juifs ; la question de l’intégrité est évoquée en lien avec ses condamnations récentes, dont une pour fraude financière. »

Une tarte à la crème qui fatigue

En mars, une vive polémique avait suivi une déclaration de Slobodan Despot jugée pro-russe, dans les Beaux Parleurs. L’intellectuel y annonçait que le nazisme était de retour dans les pays baltes. « Indigne d’un invité quasi-permanent du service public », « outrancier » avaient jugé beaucoup d’observateurs, y compris au sein de la chaîne. Visiblement, des comparaisons du même tonneau posent moins de difficultés quand elles concernent Trump, et sont dressées par le propre contenu de la RTS.

Elisabeth Logean se défend cependant de toute impartialité dans le reportage : « Nous avons tenté de comprendre pour quelles raisons ses partisans le soutiennent, malgré les menaces que son programme fait peser sur le bon fonctionnement démocratique des États-Unis. Les craintes dans ce domaine sont exprimées non seulement par des démocrates ou des spécialistes des régimes autoritaires, mais aussi par des prestigieux penseurs de droite, comme le néo-conservateur Robert Kagan. Dans le reportage, nous donnons la parole à des partisans de Donald Trump, mais aussi à ses critiques, de sorte à donner à voir et entendre différents points de vue. »

A supposer qu’il tombe un jour sur ce reportage, pas certains néanmoins que le politicien peroxydé se précipite pour tailler le bout de gras avec Philippe Revaz au 19h30.




L’invitation ubuesque du Bureau de l’égalité

« Cliquez sous ce message pour vous inscrire à la soirée à laquelle vous n’êtes pas conviés » : en substance, voici le message adressé aux députés mâles vaudois par un service de l’État.   

« Madame la députée, Monsieur le député, le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), en partenariat avec le Bureau de l’égalité de la Ville de Lausanne, a le plaisir de vous proposer, à trois reprises, une soirée thématique sur la prévoyance professionnelle réservée exclusivement aux femmes. »

Voici le message un brin contradictoire reçu par les membres du Grand Conseil vaudois au milieu du mois dernier : une invitation à une action réservée aux femmes, mais adressée à tous les hommes du législatif… Et le courriel de préciser que les inscriptions pouvaient se faire en cliquant sur une image située sous le message reçu par tous les élus. 

Un extrait du message reçu le Grand Conseil vaudois. Suprenant…

Beaucoup de temps à disposition

« En Suisse, l’écart de rente entre femmes et hommes s’élève à 32,8% en Suisse (OFS, 2021), l’un des plus hauts d’Europe. Cet écart se creuse dans le 2ème pilier et se monte à 46% en défaveur des femmes », rappelle le BEFH. À ce titre, une politique volontariste comporte assurément quelques vertus. Mais pour le député UDC Fabrice Moscheni, la démarche est tout de même très particulière. « Merci pour l’invitation, a-t-il répondu à l’adresse du Bureau de l’égalité. Mais vous écrivez que c’est exclusivement réservé aux femmes. Vu que je suis un homme, ai-je le droit de venir ? » 

La réponse à cette question simple ? 3640 signes (espaces compris) citant pêle-mêle des articles de lois, une convention des Nations Unies de 1979 ou encore des chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Pour le moins complètes, ces explications signées Maribel Rodriguez, la cheffe du BEFH, ne répondaient cependant pas directement à la question qui lui était posée. « En résumé, est-ce donc correct de dire que je n’ai pas le droit de venir ? », lui a donc rétorqué le député, un brin agacé. Une nouvelle demande qui lui a permis d’apprendre, enfin, qu’il ne partageait pas « les caractéristiques du public cible de ces soirées ».

Des inégalités dans la poursuite de l’égalité

Quel est le sens d’envoyer tous azimuts une invitation réservée à une catégorie bien précise du public ? « La diffusion large d’information concernant ces évènements a pour but d’atteindre directement le public auquel ils sont destinés, mais également indirectement à travers des personnes susceptibles de pouvoir les diffuser plus largement aux public cible concerné qui ne figurerait pas dans nos listes de diffusion », nous explique Maribel Rodriguez. Elle nous invite en outre à lire un dossier consacré à la question des écarts de prévoyance entre les femmes et les hommes dans un numéro du PME magazine, ainsi que les informations de la Raiffeisen sur cette même question.

L’an dernier, un député avait déjà alerté le Canton à propos de la situation d’un homme victime de cette « discrimination positive ». Merci de vous connecter ou de prendre un abonnement pour découvrir la réponse du Conseil d’État.

En août 2023, le Conseil d’État avait déjà répondu à une interpellation un brin courroucée du député – également UDC – Fabrice Tanner. Son point de départ : la mésaventure d’un homme qui avait réduit son taux de travail depuis quinze ans pour s’occuper de ses enfants, mais qui s’était vu refuser l’accès à une séance d’information… sous prétexte qu’il était un homme. « Tant que la demande et les écarts de rente ne faibliront pas, les mesures temporaires positives seront justifiées et non discriminatoires », avait répondu l’exécutif. 

Mais tout autant que le fond, c’est la forme qui agace Fabrice Moscheni : « En tant que politicien de milice, je n’ai malheureusement pas un temps infini à consacrer à la chose publique. Qu’un bureau de l’État m’envoie des invitations qui précisent en même temps que je n’ai pas le droit d’y aller est assez lunaire. De plus, lorsque, à ma demande de confirmer que je suis interdit de participation, une cheffe de service m’envoie une réponse contenant une multitude de textes officiels sans, finalement, répondre clairement à ma question, m’interpelle. » 

Un agacement qui lui inspire cette pique finale : « Au-delà du sentiment de discrimination, je peux aussi comprendre que certains Vaudois se sentent perdus lors de leurs échanges avec l’administration cantonale vaudoise ».




Droit d’aînesse

Enseignant à la retraite et militant de la décroissance, Jean-Daniel Rousseil n’a vraiment pas apprécié la condamnation de la Suisse pour « inaction climatique ». Il explique pourquoi dans cette tribune haute en couleur.

Disons-le d’emblée, j’éprouve une sympathie spontanée pour Raphaël Mahaim ! Je l’ai croisé l’autre jour en balade familiale, élégamment accompagné de son épouse et de leurs filles. Il m’a salué spontanément sans me connaître comme le font les randonneurs qui savent qu’ils empruntent et partagent la beauté du monde qui les entoure. Un salut simple et souriant qui est sans prix, à mes yeux, car il renonce à toute préséance. Un salut civil et citoyen qui m’a touché, je l’ai écrit à son auteur. Par conséquent, qu’on ne me reproche pas de jeter l’avocat et le Conseiller national dans la bassine d’un conventionnalisme passéiste, d’une apologie des plaisirs simples, pas plus d’ailleurs que dans le flux limpide et musculeux de ce petit Nozon que nous longions sous les cerisiers en fleurs.

Je retrouve Me Mahaim au TJ le surlendemain, entouré de dames qui pourraient toutes ensemble être sa mère ; le récit de la RTS relate le combat de ces « aînées pour le climat » qui ont obtenu la condamnation de la Suisse pour inaction climatique auprès de la Cour Européenne des droits de l’Homme. Comme cette information me déplaît, je m’interroge. Après tout, ces dames patronnesses 2.0 ne sont-elles pas mes semblables, mes sœurs ? D’abord, ce sont mes contemporaines ou à peu près, je les imagine heureuses, comme moi, de faire sauter sur leurs genoux de joyeux petits- enfants, et soucieuses de leur préparer le meilleur avenir possible – ou le moins pire – du moins de pouvoir les regarder dans les yeux avec la conviction de s’être battues pour eux. Ensuite, je dois bien avouer que je ne tiens pas la Suisse pour un modèle de vertu, que l’affaire des fonds en déshérence m’avait écœuré, que les crashes de Swissair, de la BCV, du Crédit Suisse m’ont passablement échauffé. Et que je me réjouis de penser que la démocratie ne vaut pas tant par le suffrage universel que par l’égalité de droit. Alors pourquoi cet agacement ?

Je pourrais m’en tenir à l’idée que, pour ces activistes (les mandantes et leur conseil) assez ouvertement pro-européens, cette victoire est un fameux autogoal. Comment n’avoir pas prévu que tous les partis conservateurs s’en offusqueraient et durciraient leur position dans la négociation du laborieux accord que la Suisse prépare avec l’UE (1) ? Comment n’avoir pas imaginé que tendre aux juges européens le bâton pour battre le Parlement helvétique serait la pire erreur politique possible ? Ce genre de bourde m’indispose, me hérisse, m’encolère brutalement. Même si je ne partage pas les vues de ceux qui la commettent. Je songe surtout au temps et aux moyens sinon gaspillés, du moins utilisés en vain et à contre-sens. Les aînées dansent de joie et s’embrassent ? Je piaffe et maugrée. Me Mahaim a brillamment plaidé ? Je ratiocine sombrement.

Miriam Künzli / Greenpeace

Mais il me semble que mon irritation s’enracine ailleurs. Je reconnais qu’un calendrier imprévisible a fait tomber cette décision au mauvais moment. Or un homme de loi me souffle qu’elle a été rendue particulièrement vite, que ce type de dossier peut prendre des années pour être instruit et jugé. Me Mahaim n’a-t-il pas eu la tâche trop facile ?

L’Europe ne lui a-t-elle pas ouvert les bras avec un enthousiasme suspect ? Ne se gère-t-elle pas grâce à son action ? N’a-t-on pas accusé la Suisse pour créer un précédent à l’usage d’une réforme européenne du droit vital à l’environnement ? Que la Suisse devienne le modèle de l’Europe sans en faire partie, c’est assez fort de tabac ! Que la Suisse s’aliène, en fâchant ses parlementaires prêts à faire quelques concessions, la possibilité de négocier plus finement un accord auquel elle ne coupera pas, c’est hallucinant ! La Suisse, bonne élève et idiot utile de l’Europe, recevra-t-elle en compensation de cette brimade un dégel des relations académiques, une reconnaissance de ses prétentions en matière de protection salariale ? Rien n’est moins sûr. En fait, malgré leur regrettable victoire, ce ne sont ni ces dames, ni Me Mahaim qui m’agacent, mais l’idée que la Suisse a égaré dans l’affaire des moyens de défendre certains de ses acquis indispensables, vitaux, longuement élaborés. Oui, ça me suffoque.

Un chef d’accusation injuste et infâmant

Pourtant, il y a plus. Le chef d’accusation est surtout injuste et infâmant. On accuse d’inaction climatique le pays qui a le meilleur bilan carbone du continent. Tout au plus peut-on le comparer à celui du voisin français qui le doit à ses centrales nucléaires (malgré de criantes insuffisances) ou de la frileuse Norvège qui a couvert ses déserts septentrionaux d’éoliennes qui, au gré des vents, ébranlent de leurs coups de boutoir le réseau électrique continental. Donc la Suisse n’a rien à se reprocher ; au contraire, elle a quelques bons conseils à donner, des technologies de pointe à partager et à vendre, un modèle à proposer. Condamner la Suisse pour ce motif, revient à coller un carton jaune au meilleur buteur parce qu’il fait perdre son souffle à l’équipe adverse. Insensé.

Cette infamie frappe la Suisse à la veille d’un scrutin (9 juin 2024) où elle votera sur son approvisionnement énergétique. Un ancien ponte des services fédéraux (2) de l’énergie s’est offusqué de voir le Parlement accepter largement une mesure qui permet d’accélérer les procédures en matière de parcs photovoltaïques et éoliens situés en pleine nature. Autrement dit, supprimer des voies de recours et empêcher les citoyens suisses de protester contre ces infrastructures géantes en brandissant des lois de protection de la nature patiemment et valeureusement acquises. Ce « Mantelerlass » est anticonstitutionnel ? Qu’à cela ne tienne ! Il accorde à la production d’électricité la même valeur que la santé publique ou la préservation de l’environnement ? Peu importe, il faut vivre avec son temps ! Il néglige la nécessité d’utiliser prioritairement toutes les alternatives à ces parcs : panneaux solaires sur les toits, mesures d’isolation, de sobriété ou d’économie ? A d’autres, vive le mix, parbleu ! D’ailleurs ces installations mahousses seront construites dans des lieux retirés « sans valeur paysagère » comme l’avaient savamment affirmé les services de Mme De Quattro lorsqu’elle s’activait au Château vaudois : il s’agissait des crêtes du Jura vaudois où planent des aigles, des milans royaux, où niche le tétras et grisolle l’alouette. Bah, Tik Tok se moque de ces volatiles ! Pire, le réseau et ses utilisateurs ignorent tout bonnement ces animaux et ne se passionne que pour des vidéos de chats domestiques.

Mais la Cour européenne des droits de l’Homme, au nom d’une pensée globale, s’empresse d’ignorer, quant à elle, la réalité complexe et fragile des écosystèmes helvétiques. Pis, elle fait pression sans le savoir pour qu’on y installe des zones industrielles là où l’empreinte humaine s’est bornée à quelques routes, des chalets d’alpages aux toits bas, des clôtures aux piquets tors et vaillants, des sentiers de randonnée ou de ski nordique. En effet, ces crêtes sont vitales pour une population stressée et avide de silence ! Ces crêtes ne survivront pas aux centaines de plateformes, aux tranchées de raccordement, aux routes d’accès nécessaires à la maintenance. Les vrais défenseurs de la nature le savent. Mais que ferait-on sans électricité ? Encore un autogoal de première force, et avec reprise de volée !

Les citoyens épris d’écologie qui approuveront, le 9 juin 2024, le dépouillement indécent de nos droits civiques ignoreront sans doute qu’en facilitant vertueusement ces « centrales renouvelables », leur suffrage donnera ipso facto un aval aux centrales nucléaires dont on parle de plus en plus haut (3). Du moins ceux qui ont compris que mille hélices et cent « terrains de football » photovoltaïques ne suffiront jamais à satisfaire, en volume et en régularité, la demande croissante et vertigineuse de courant électrique et que l’intermittence des renouvelables exige l’appui d’une source d’énergie vraiment flexible et pilotable. Si l’approvisionnement en électricité acquiert une valeur d’intérêt national, le besoin fera loi et toute forme de production énergétique sera facilitée. Le troisième autogoal est programmé. Les promoteurs électriques avancent masqués ce qui, les concernant, est de bonne guerre. Que ceux et celles qui défendent l’environnement comme un droit humain fondamental leur apportent un coup de pouce inespéré doit les faire rire aux éclats.

J’ai de la sympathie pour Me Mahaim, politicien des plus efficace et respectable, tout comme pour ses clientes, grands-mamans généreuses et écoresponsables. Je ne conteste pas que la Cour européenne ait accompli sa tâche. Mais je déplore l’aveuglement qui les a fait agir « au coup par coup », sans vision globale, sans souci intelligent de l’écosystème. Et sans analyse sérieuse ni du fiasco des énergies vertes en Europe, ni de l’excellence de la Suisse en matière de production. Une étude toute simple et sans faille (4) démontre que la source énergétique décarbonée qui allie la meilleure productivité et le plus faible impact environnemental est l’hydroélectricité au fil de l’eau. Faut-il faire tourner des roues à aube dans le vif et luisant canal du Nozon ? Évidemment que non ! Mais de nombreuses solutions existent. Et j’estime, pour conclure, que de brillants élus comme M. le Conseiller national Mahaim se doivent de les chercher, de les proposer aux Chambres fédérales tout en refusant radicalement les options contraires à la défense de la nature et surtout les mesures antidémocratiques qui privent de leurs droits beaucoup de dames respectables ainsi que toute leur famille.

RTS du 13 avril 2024 « Le verdict de la CDEH fragilise le futur accord avec l’UE »

2 M. Jean-Marc Bruchez, voir www.letemps.ch/suisse/la-loi-sur-les-energies-renouvelables-menacee-par-un- referendum , article du 10 octobre 2023

3 RTS, 11 avril 2024 « Le retour du nucléaire face au changement climatique échauffe les esprits » 4 https://montsujet.ch/data/documents/240126_Production_Energie_Impact_Paysage.pdf

4 https://montsujet.ch/data/documents/240126_Production_Energie_Impact_Paysage.pdf




Suisse condamnée par la CEDH : oui mais…

« On ne juge pas mieux parce qu’on juge de plus loin ». Voilà le titre que Yohan Ziehli, UDC et juriste, a choisi pour commenter sur son blog la condamnation de notre pays par la justice européenne, pour cause d’inaction en matière de lutte contre le climat. Trois points essentiels y sont passés en revue et permettent de montrer les enjeux de cette « grande victoire ».

Vous avez manqué ce texte sur nos blogs ? Il vous attend ici.

Sur nos blogs, d’autres textes valent le détour. Notre auteur Stev’ LeKonsternant, passionné par la pédagogie, nous propose par exemple une réfutation en ordre de l’idolâtrie des compétences, censées miraculeusement remplacer les connaissances, dans ce texte très fouillé. Plus nerveux, il s’attaque aussi au manque d’objectivité qui caractérise, selon lui, la couverture médiatique de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, dans un billet très frontal.

Enfin, on s’intéresse au tout numérique dans le domaine médical dans la nouvelle livraison –  la première dans l’espace qui lui est désormais dédié –  de Marie-France de Meuron.




« Tant qu’il n’a pas démissionné officiellement… »

« Le monde est grand, plus grand qu’un village rupestre où les gens pensent qu’ils vont sauver la planète en cessant de manger de la viande ou de rouler en voiture. Alors autant laisser mon siège à quelqu’un de plus docile que moi. » Voici comment le conseiller communal yverdonnois Ruben Ramchurn, connu pour un goût de la provoc’, a expliqué hier ses envies d’ailleurs dans nos colonnes.

Au cœur de multiples affaires judiciaires, l’ancien président de la section de la Cité thermale ne le cache pas, sa vie nouvelle entre Dubaï et l’Île Maurice ne vise pas qu’à développer un nouveau business, centré sur la compensation carbone maritime. Elle aura aussi pour effet de rendre « plus compliquées les poursuites envers (lui), et (à éviter) de continuer plus longtemps à financer un État de Vaud qui (le) persécute ». 

Révélée par Le Peuple cette décision génère de nombreuses réactions, parfois très ironiques. Exemple avec un détournement sur la page Instagram Memes du Léman, pourtant marquée à droite. 

On ne se fait pas de cadeaux entre camarades, à droite aussi.

Quant à la gauche, que n’a jamais épargnée le « Trump du Nord Vaudois », comme l’appelaient certains, elle n’est pas en reste, à l’image du socialiste de Nyon Yves Pinto Félix :

Ls Suisse, un pays à fuir ?

Plus concrètement, quelles conséquences aura cette rupture annoncée avec la Suisse ? Dans notre entretien, Ruben Ramchurn affirmait qu’il envisageait de rester membre de l’UDC, même s’il souhaite remettre son siège au législatif yverdonnois. Mais quelle peut-être la posture d’un UDC réfugié à l’étranger pour échapper à la justice ? Le parti agrarien peut-il accepter en son sein une personne, aussi, qui aime désormais présenter la Suisse comme un pays bien moins moderne que Dubaï, sous prétexte que ses magasins ferment trop tôt ou que sa fiscalité est trop élevée ? 

Au sein du parti, le scepticisme est de mise. Certains conviennent que leur collègue, certes, n’est « pas un mauvais bougre », mais se disent soulagés de voir s’éloigner une personne « toujours dans l’excès ». Un cacique relativise cependant : « Tant qu’il ne démissionne pas officiellement… »

Qu’en dit le président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier ? Contacté mardi matin, ce dernier reste très prudent : « À la suite de la publication de l’article du Peuple, Ruben Ramchurn m’a confirmé son intention de réorienter ses priorités en se focalisant sur ses activités professionnelles. Apparemment, cela aura une influence sur son engagement politique et si tel est le cas, l’UDC Vaud en prendra acte le moment venu. »

Une grosse accélération et un pied de nez

Mardi Matin, Ruben Ramchurn nous a fait savoir qu’il n’entendait plus répondre à la presse avant quelques jours, afin de profiter des joies de Dubaï. Il nous a toutefois envoyé une vidéo présentant les plaisirs de son quotidien.

Visiblement, il n’y a pas de radars.

Pas certain que la justice vaudoise, à laquelle il demande de payer l’avion pour se rendre à une convocation prévue le 18 avril prochain, apprécie particulièrement.

Commentaire

Avec une sensibilité totalement libérale, Ruben Ramchurn n’a jamais été une figure UDC chimiquement pure. Fan de clubbing, peu porté sur les valeurs traditionnelles, participant à la Gay Pride, il détonnait au sein d’un parti dont le conservatisme demeure relativement vigousse dans le canton de Vaud. Comment gérer un tel profil au sein d’un formation en quête de respectabilité depuis des années sombres ? Comme faire cohabiter l’Agitprop et la course au Conseil d’État ? Face à ces enjeux, le « trublion » avait la sagesse de limiter son action politique (tonitruante) au niveau de sa ville d’Yverdon-les-Bains. Pour les coups d’éclat médiatiques, en revanche, la Suisse entière lui servait de terrain de jeu.

Malheureusement, les excès inhérents à son style ont parfois fini par lasser. Pire, les combats de l’homme aux trois passeports – suisse, français et mauricien – ne lui valent plus guère qu’un étau judiciaire qui, jour après jour, semble se resserrer. Une installation définitive sur l’Île Maurice le mettra-t-il réellement à l’abri ?  Sera-t-elle même si facile dans un contexte personnel délicat ? Les questions, à la fois juridiques, politiques, diplomatiques peut-être, sont nombreuses.

Quoi qu’il en soit, le destin politique de l’élu UDC semble avoir pris un sérieux coup. Les séances du Conseil communal d’Yverdon-les-Bains, assurément, deviendront plus courtes. Mais toute démocratie a besoin de ses poils à gratter et on se demande bien qui pourra endosser ce rôle dans la Cité thermale, désormais.  Peut-être cette personne se trouve-t-elle aujourd’hui hors du champ politique institutionnel.




Ruben Ramchurn : « Le Canton de Vaud, c’est derrière moi ! »

En ce début de lundi après-midi, ce n’est ni du bord d’une piscine luxueuse, ni d’une voiture surpuissante, mais depuis un appartement situé au 29ème étage d’une tour de Dubaï que Ruben Ramchurn nous appelle. Si l’énergie caractéristique du personnage est au rendez-vous, quelque chose de nouveau se dégage : de la sérénité sans doute, comme souvent lorsque l’on a pris une décision après avoir trop longtemps tergiversé.

Il faut dire que ces derniers temps, les nuages s’accumulent au-dessus de la tête du « trublion » de la politique yverdonnoise. Citons par exemple une condamnation pour son combat contre les mesures Covid, ou un premier désaveu de la justice dans le cadre d’une plainte pour diffamation déposée par la municipale PS Brenda Tuosto. Mentionnons enfin un mandat de comparution pour rencontrer ces fameux dealers présumés qu’il attaque depuis des mois dans des vidéos. 

Ruben Ramchurn, ces différentes affaires ont-elles fini par avoir raison de vous ?

Je ne veux pas revenir dans le détail sur chacune d’entre elles, mais pensez à ceci : on m’interdit de nommer la personne responsable du projet d’agglomération de 4e génération à la Municipalité d’Yverdon-les-Bains. Comment voulez-vous que je fasse de la politique dans ces conditions ? Est-ce que je dois faire comme tout le monde, venir prendre mes jetons de présence pour bénir l’action d’un exécutif qui dysfonctionne ? Cette décision, en outre, me semble avoir été prise avec un certain amateurisme : elle mentionne par exemple que j’ai près de 5000 abonnements sur « X » (ndlr. ex-Twitter) alors que le chiffre important pour évaluer la portée de mes publications aurait été celui de ceux qui suivent mes publications sur ce réseau social, à savoir mes abonnés (ndlr, 1149, hier).

Vous diriez-vous fatigué de la politique, également ?

En tout cas j’en suis arrivé à la conclusion que cela ne servait à rien de faire un travail de conseiller communal. Cela me coûte cher, me bouffe du temps et de l’énergie, et ne m’apporte rien. Au bout du compte, je me retrouve toujours seul avec mes frais de justice. Souvent au PLR ou même à l’UDC, les gens me disent qu’ils sont d’accord avec moi sur le fond, mais me laissent aller seul au casse-pipe pour des idées qu’ils prétendent partager.

Ouvertement « gay-friendly », Ruben Ramchurn (ici avec son colocataire Christophe Lopretti) n’hésitait pas à bousculer les codes de son parti, comme ici en participant à la Gay Pride de Bulle en 2022.

C’est donc fini pour vous, le Conseil communal ?

Pour l’instant, oui. De toute manière sous cette législature, il n’y pas de rôle possible pour moi. Si je ne peux plus parler de mobilité sans me prendre des procès, cela signifie qu’on est entré dans une situation soviétique. Après, est-ce que je reviendrai un jour ? Je ne peux pas complètement l’exclure, mais ça me semble très hypothétique.

Vous ne voyez plus votre futur à Yverdon-les-Bains ?

Le monde est grand, plus grand qu’un village rupestre où les gens pensent qu’ils vont sauver la planète en cessant de manger de la viande ou de rouler en voiture. Alors autant laisser mon siège à quelqu’un de plus docile que moi, tandis que je me concentre sur des projets professionnels. En revanche, je suis membre de l’UDC depuis plus de vingt ans, bien avant mon engagement dans un législatif donc, et je vais le rester. De même, j’ai un attachement pour ma ville qui ne va pas s’éteindre en claquant des doigts, mais je ne veux plus rien avoir affaire avec le Canton de Vaud.

Plages paradisiaques, plongée et chemises ouvertes. La vie d’entrepreneur à la mauricienne.

Concrètement, vous voulez déménager ces prochains mois ?

Oui, je veux officiellement déplacer mes papiers sur l’Île Maurice. Cela rendra plus compliquées les poursuites envers moi, et ça m’évitera de continuer plus longtemps à financer un État de Vaud qui me persécute. En fait, mon erreur a été de croire trop longtemps à la justice. J’aurais dû écouter mon ancienne compagne (ndlr. l’ex-directrice du parc technologique Y-Parc, mystérieusement agressée en 2021) qui a compris avant moi qu’il fallait partir pour voir plus grand.

Le président de l’UDC yverdonnoise, Christophe Loperetti, est actuellement votre colocataire. Est-ce que votre décision changera quelque chose pour lui ?

Il restera mon colocataire et mon meilleur ami. J’ai confiance en lui pour mener à bien ce qui peut l’être au niveau politique, mais je l’inciterai aussi à ne pas s’attirer autant d’ennuis que moi. Notez que nous remportons parfois des victoires, comme pour sauver la mobilité sur la rue de la Plaine, mais à quel prix ! Autant me concentrer sur ma vie.

Vous « concentrer sur votre vie », si l’on en croit vos réseaux sociaux, ça veut dire faire la fête et de la plongée. Y a-t-il un peu plus que ça ?

Oui je lance un business et je passe la plus grande partie de mon temps à travailler ou à mener des rendez-vous d’affaires. Simplement, ce n’est pas ce qu’on montre sur les réseaux sociaux pour faire rêver. La grande leçon que j’ai retenue durant la période Covid est la suivante : pour vivre libre, il faut devenir un pirate, vivre au-delà des frontières, s’affranchir d’un enracinement forcé. Ce constat est le fruit d’une longue réflexion amorcée avec La Grève de l’écrivain Ayn Rand : quand on a face à soi un système qui devient complètement fou, on peut le combattre, mais on peut aussi le fuir au moins sur le plan fiscal. 

Qu’est-ce que vous pouvez nous dire du projet que vous lancez ?

Je monte une compagnie dans le domaine de l’écologie. Vous savez, je ne nie pas les défis environnementaux, d’autant plus que je me passionne pour l’océan depuis longtemps. Simplement, le débat sur ce thème est pourri en Suisse. Plutôt que de l’utiliser pour attaquer les libertés individuelles, on devrait mener des combats écologiques à travers les mécanismes libéraux. 

Poseidon-C, le projet sur lequel je travaille entre l’Île Maurice et Dubaï, sera actif dans la compensation carbone maritime. Le cœur de son activité consistera à restocker du carbone dans l’océan. Je présenterai cela en détails quand le site poseidon.earth sera lancé, ce qui est imminent.
 




Hani Ramadan : « Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit ! »

Hani Ramadan, est-ce la première fois que vous accordez un entretien à un journal ouvertement chrétien et conservateur ?

Je n’ai effectivement pas souvenir d’avoir répondu à une telle invitation par le passé.

Est-ce une sorte de défi, pour vous ?
Non, je ne dirais pas cela. Simplement, je pense qu’il faut que nous soyons ouverts au dialogue, et d’autant plus dans le climat actuel de tensions qui menace de grandir au sein de nos communautés. 

Dans le milieu médiatique, il a été reproché à la Tribune de Genève de vous avoir accordé, précisément, une tribune au début du mois de mars. Vous en signez pourtant depuis des années. Qu’est-ce qui a changé ?

Effectivement, j’ai régulièrement rédigé des articles repris par 24 HeuresLe Temps ou, peut-être plus fréquemment, la Tribune de Genève. Des échanges vifs à la suite de mes opinions qui tranchent avec une doxa diffuse, cela n’a rien de nouveau. Ceux du moment sont liés à une situation hors du commun par son ampleur et sa visibilité : le drame qui se joue à Gaza.

Ce drame est justement au cœur d’une manifestation nationale, ce week-end (ndlr le 23 mars 2024). Parmi les cosignataires de la mobilisation, on trouve des mouvements féministes, « queer » ou Extinction Rebellion. Vous sentez-vous de la proximité avec ces milieux ?

Vous savez, il y a dans la nature humaine quelque chose qui rejette les injustices flagrantes. Sur ce point précis, en effet, les hommes se rejoignent pour dire non à la barbarie sioniste. 

Tout de même, n’y a-t-il pas de contradiction à voir un mouvement LGBTQIA+ qui défile en soutien du Hamas ?

Écoutez, il faut aller leur poser la question. Mais quand on brûle vif, mutile ou affame des enfants et des femmes, quand on bombarde des civils avec des avions et des armes sophistiquées, la réaction humaine est inévitable. Elle relève d’une évidence, à savoir qu’on a dépassé toutes les limites. Ce ne sera donc pas moi qui irai contester la présence de tel ou tel groupe venu exprimer ce désaveu.

Appel à une manifestation nationale, le 23 mars dernier.


Vous dénoncez ce cortège d’horreurs du côté palestinien, mais il y a aussi des otages israéliens qui sont toujours détenus depuis 2023…

Le mot « otage » ne rend certainement pas compte du contexte de ces opérations. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les kibboutz attaqués le 7 octobre ont été construits sur onze villages palestiniens détruits. Les dernières personnes à avoir été envoyées à Gaza venaient précisément de ces endroits. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui le dis, mais l’historien israélien Ilan Pappé, que je citais dans mon dernier article paru dans la Tribune de Genève

Cet auteur soutient, et d’autres avec lui, que le Hamas n’est pas un mouvement terroriste, mais qu’il mène une action de résistance. Son but n’a jamais consisté à massacrer des gens, décapiter des bébés ou violer des femmes – informations d’ailleurs démenties depuis. Tout cela relève de la propagande de guerre et des témoignages sortent même dans la presse israélienne de gauche qui prouvent que ces choses ne se sont jamais produites. Je vous renvoie à une large enquête que vous trouverez sur mon blog, où sont accumulés les faits qui contredisent le narratif du gouvernement israélien : 7 octobre : que s’est‑il réellement passé ?[1]

Vous relativisez tout de même beaucoup la portée du 7 octobre…

Le Hamas voulait prendre des prisonniers pour les échanger contre ceux – on les évalue à 6000, dont de nombreux enfants – qui croupissent dans les geôles israéliennes. Quel intérêt y aurait-il eu à tuer ces gens ? Les morts proviennent en grande partie de l’armée israélienne qui a voulu empêcher l’opération en attaquant et bombardant les kibboutz. Cela étant dit, bien sûr que le Hamas peut faire l’objet d’une enquête comme n’importe quelle organisation, mais il faut qu’elle soit menée librement et selon le droit. Or j’observe que sur le coup de l’émotion, tant nos conseillers fédéraux que la presse se sont précipités pour retenir les affirmations du gouvernement suprémaciste de Netanyahou.

Selon vous, la Suisse n’aurait pas dû afficher sa solidarité avec le peuple israélien, au lendemain des attaques ?

On aurait dû prendre le temps de mener une enquête sur ce qui s’est réellement passé. C’est ce qui qualifie l’État de droit. Nous sommes la Suisse, pas Israël, et nous n’avons pas à nous aligner sur sa politique ou sur les éléments de sa propagande.

Prendre le temps de l’enquête : vous aviez déjà dit cela à propos du massacre du Bataclan…

Oui, j’ai toujours tenu les mêmes propos lorsqu’il y a eu des drames et des attaques qualifiés immédiatement de « terroristes ». Je pense qu’on va toujours trop vite pour tirer des conclusions, notamment au niveau de la presse et des médias.

Mais cette émotion n’est-elle pas légitime quand on voit des jeunes qui se font attaquer en plein festival techno, le 7 octobre, en Israël ?

Je n’ai vu aucune image qui va dans ce sens : on a parlé de massacre à grande échelle, mais encore une fois, bon nombre de témoignages de civils israéliens affirment aujourd’hui que c’est leur propre armée qui leur a tiré dessus, notamment lourdement par la voie des airs. Ce qui a été confirmé par des soldats de Tsahal. De son côté, le Hamas a reconnu que des Israéliens ont été touchés lors des échanges de tirs, mais telle n’était pas sa volonté. Par ailleurs, ses combattants n’avaient pas connaissance qu’un « festival techno » avait lieu dans les parages. 

On dirait que vous avez toujours une piste de sortie complotiste.

Voilà bien une expression que l’on brandit systématiquement pour décrédibiliser ceux qui tentent d’aller au-delà de la doxa que les lobbies veulent imposer. Ne vous y méprenez pas, ces lobbies sont une réalité : regardez ce qui se passe dans la presse d’expression française avec des médias tenus par des gens comme Patrick Drahi… 

Vous faites allusion à l’idée d’un grand complot juif mondial ?

Parler de « grand complot juif mondial » est une expression dangereuse ! Elle est à éviter parce qu’elle incrimine les Juifs dans leur ensemble, et l’on sait comment le nazisme en a fait usage. Cependant, le sionisme international n’est pas une lubie, mais bien une réalité. On sait pertinemment que personne ne devient président aux États-Unis sans passer par l’AIPAC (ndlr, American Israel Public Affairs Committee,puissant lobby basé à Washington) ou par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France),chez nos voisins. On a vu, sur un autre plan, des journaux qui ont systématiquement orienté le débat vers une condamnation du Hamas, quitte à présenter des informations et des chiffres inexacts sur la réalité du 7 octobre.

Vous affirmez que la presse est « tenue » par le sionisme ?

En grande partie. Mais je dirais plutôt « orientée ». Il faut d’abord rappeler que la culture occidentale souffre d’un complexe de culpabilité vis-à-vis des Juifs depuis la Shoah. Vous savez, lutter contre l’antisémitisme est une chose essentielle et encore aujourd’hui, il ne faut pas oublier que dans une Europe que l’on croyait « des Lumières », on a accepté que le nazisme s’installe et massacre les Enfants d’Israël d’une façon abominable. Malheureusement, le poids de l’histoire fait qu’on hésite aujourd’hui à faire la critique de la politique israélienne, et je crois que c’est une grave erreur. C’est précisément en dénonçant les exactions du sionisme, et en le distinguant du peuple juif et de tout ce qu’il a apporté à l’humanité, qu’on lutte contre l’antisémitisme. 

Ceux qui pensent qu’il ne faut pas critiquer Israël à cause du souvenir de l’extermination nazie nourrissent un amalgame. En tant que musulman, je le dis clairement : on ne doit toucher ni aux rabbins, ni aux synagogues, ni aux Juifs et à la culture juive ; mais sur la question palestinienne, on doit être juste. 

Être juste et équilibré, n’est-ce pas aussi rappeler que les Israéliens reçoivent des roquettes sur la tête depuis vingt ans ? 

Vous inversez l’ordre des choses. Ce sont les civils palestiniens qui sont agressés depuis 1918, et la réponse armée s’appelle de la résistance. Je vous renvoie, à titre d’exemple, aux observations que fit Monsieur Majed Bamya (du Fatah, diplomate au Ministère des affaires étrangères palestiniens) à une journaliste sur France24, à la suite de l’agression contre Gaza en 2014 : « Le Hamas, qui a fait 27 morts Israéliens, dont 25 militaires appartenant à la puissance occupante israélienne, serait une organisation terroriste et des criminels ; et ceux qui ont fait 530 morts, dont 90 % de civils, dont plus d’une centaine d’enfants, seraient le pays civilisé dans ce conflit ? »[2]  Notons qu’il s’agissait d’un bilan intermédiaire. Au final, « côté palestinien, au moins 2140 personnes ont perdu la vie durant cette nouvelle guerre (en 2014), la troisième en six ans. Parmi eux, 1460 civils, dont 493 enfants âgés de 10 jours à 17 ans, 253 femmes et 714 civils hommes. ».

Les roquettes du Hamas visent des habitations, souvent…

Vous voyez que les atrocités commises par Tsahal ne sont pas une nouveauté. Quand on bombarde tout un peuple d’un côté, il y a forcément une réponse de l’autre. Bien sûr, nous sommes persuadés qu’il faut épargner les civils, mais le contexte historique fait que les Palestiniens se trouvent confrontés à une colonisation qui se poursuit. Peut-on dire d’un colon armé qui a le droit de tirer sur les Palestiniens qu’il est un « simple civil » ? Je ne le pense pas. Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit.

Qui est ce « nous » que vous employez régulièrement ?

Il désigne ceux qui pensent, comme moi, que la résistance palestinienne est légitime. 

A l’Université de Lausanne, la Semaine d’actions contre le racisme de mars 2024 a donné la parole à des personnes très antisionistes. N’est-ce pas la preuve que votre sensibilité est aujourd’hui dominante ? 

Non, c’est tout le contraire. La tendance qui vise à criminaliser ceux qui dénoncent le sionisme et osent défendre la résistance est largement dominante. On ne peut que féliciter toute démarche qui, dans les milieux académiques, ouvre plus largement le débat. Depuis le 7 octobre sont dévoilées la lâcheté de la plupart des gouvernement occidentaux, l’hypocrisie de bon nombre de gouvernements arabes, et la faiblesse du système onusien. 

Avez-vous un dernier message pour nos lecteurs chrétiens ?

Oui. Je les encourage à se pencher davantage sur le sort des Palestiniens chrétiens qui vivent à Gaza et Jérusalem. J’aimerais aussi leur dire de s’intéresser à l’islam de façon objective. Souvenez-vous que le message de Jésus, c’est de nous aimer les uns les autres. Comme musulman, je pense que je suis plus chrétien que le chrétien dans le sens où je ne divinise pas la personne du Christ, mais le considère comme un noble prophète, miraculeusement né d’une Vierge par la volonté de Dieu. Un grand homme qui est notre modèle, illustre ainsi que sa mère : « (Rappelle) quand les Anges dirent : Ô Marie, certes Dieu t’a choisie, t’a purifiée, et t’a élue au-dessus des femmes des mondes. » (Coran, 3, 42)

Propos recueillis par Raphaël Pomey


[1] 7 octobre : que s’est‑il réellement passé ? – Islam et engagement (blogspirit.com)

[2] https://www.youtube.com/watch?v=PFKtqk4p2bc




Éric Werner : « Le totalitarisme redevient un sujet d’actualité »

Votre essai repose sur une lecture actualisée du Traité du rebelle d’Ernst Jünger. En quoi ce texte de 1951, marqué par l’expérience des totalitarismes du siècle dernier, peut-il encore éclairer notre actualité ?

En ce que, justement, le totalitarisme redevient un sujet d’actualité. Ce n’est bien sûr pas le même totalitarisme qu’il y a un siècle, c’en est un autre assez différent. Mais c’en est un quand même. On parlera donc de néo-totalitarisme. En l’espèce, la crise du Covid a fonctionné comme révélateur. Mais on pourrait aussi évoquer le Patriot Act américain et les lois antiterroristes. Dans un cas comme dans l’autre, les autorités ont profité d’une crise particulière (respectivement le terrorisme et le Covid)  et du choc ainsi créé pour s’affranchir de l’ordre constitutionnel et instaurer le règne de l’arbitraire. En 2022, à la faveur de la crise ukrainienne, elles ont franchi un pas supplémentaire en bloquant les avoirs de personnes privées de nationalité russe vivant en Occident, décision à la fois contraire au droit interne et au droit international. Ces différents épisodes ne doivent pas être considérés séparément mais dans leur globalité. Ils dessinent une certaine ligne évolutive, ligne qu’il n’est pas a priori déraisonnable d’associer au totalitarisme. – Pour ce qui est du livre de Jünger, je ne sais pas si ce livre éclaire ou non notre actualité, en revanche il nous aide à voir plus clair en nous-mêmes et donc à mieux nous positionner par rapport à elle. Jünger part de son propre vécu personnel, mais aussi le transcende. Il a su s’abstraire de sa propre actualité à lui pour poser une question atemporelle : ai-je un destin propre ou ne suis-je qu’un simple numéro ? Et donc ce qu’il dit reste très actuel. 

Vous refusez farouchement la thèse du déclin de l’État. Pourtant, le patron de Google ou de Facebook n’a-t-il pas une emprise sur nos vies largement supérieure à celle de notre présidente Viola Amherd ?

Cette personne supervise les services spéciaux en Suisse, services, on le sait, qui se livrent à toutes sortes d’activités illégales, comme une enquête indépendante l’a tout récemment encore (2023) fait apparaître. Ce n’est donc pas un très bon exemple. On sait par ailleurs que les services spéciaux en Suisse entretiennent des liens étroits avec les agences de renseignement américaines, en particulier la NSA, spécialisée dans l’interception des communications privées à travers le monde. La Suisse passait même, il y a quelques années, pour être un  partenaire minoritaire (junior partner) de ce réseau d’écoute planétaire. Je ne dirais donc pas que l’« emprise sur nos vies » de l’Etat suisse soit négligeable. Ou alors tracer, ficher et profiler les individus devrait être salué comme une contribution méritoire à la défense des libertés publiques. – Cela n’a pas pas de sens par ailleurs d’opposer, comme vous le faites, Mme Amherd à Google, Facebook, etc. L’Internet est à l’origine une création de l’Etat américain. L’Etat et l’Internet ne sont donc que les deux faces d’une seule et même réalité. Pour le reste, l’Etat suisse ressemble à tous les autres, c’est une technostructure en développement rapide, technostructure, en l’espèce, étroitement alignée sur les normes de l’UE et de l’OTAN en matière répressive et de maintien de l’ordre. Jusqu’à une date récente, la Suisse n’avait pas manifesté un zèle particulier à se les approprier. Mais la crise du Covid a montré qu’elle savait, le cas échéant, se montrer complètement à la hauteur. Les violences policières ont été nombreuses tout au long de cette période. Dans le même contexte, on pourrait citer l’affaire Brandt à Genève (2019). C’est pourquoi, effectivement, je refuse la thèse du déclin de l’Etat. 

Viola Amherd, plus puissante que le patron de Google ? (portrait officiel : Béatrice Devènes / Bundeskanzlei )

Jünger, comme Sylvain Tesson aujourd’hui, propose une rébellion qui est essentiellement une fuite : partir dans la forêt, comprise autant comme réalité géographique que comme patrie intérieure. N’est-ce pas un abandon du politique ?

Il ne faut pas confondre la fuite et le repli stratégique. Ce sont deux choses différentes. Le repli stratégique inclut en son concept la fuite, mais ne s’y réduit pas. L’idée de base est qu’il est tout à fait vain et suicidaire de se confronter directement à l’Etat : l’Etat étant de toutes les façons beaucoup trop fort. Pour lui résister, il faut emprunter d’autres voies : l’important étant d’abord de préserver sa propre vie et sa liberté. C’est ce qui donne son sens au recours aux forêts. Le recours aux forêts relève de la défense, qui est une forme de guerre au même titre que l’attaque. Mais moins risquée. Autant que possible on essaye de faire les choses discrètement : « furtivement », diront certains. Quant à la politique, tout dépend de ce qu’on entend par là. « Il faut s’accomoder au temps », dit Baltasar  Gracian  (L’homme de cour, §120). Cela vaut aussi pour la politique. Il y a des époques où s’accomoder au temps, c’est participer aux élections. A d’autres, au contraire, c’est prendre le maquis. Mais prendre le maquis, c’est encore faire de la politique.

Vous reprochez (page 65) à l’État de favoriser l’atomisation sociale pour favoriser sa gouvernance. La démarche que vous prônez à la suite de Jünger consistant à disparaître des radars ne va-t-elle justement pas dans ce sens ?

Le recours aux forêts est une réponse à l’atomisation sociale. Mais vous avez raison : il en porte aussi la marque. Seuls, approximativement, 5 % des gens n’ont pas à l’heure actuelle de téléphone portable. La marge de progression possible est donc appréciable. Vous faites bien sûr ce que vous voulez, mais si vous voulez échapper aux yeux de Mme Amherd et de ses services, la première chose à faire est d’apprendre à vous passer de téléphone portable (et surtout d’arrêter de vous promener avec). Cela va dans le sens de l’atomisation sociale, on est bien d’accord. Mais en même temps vous vous opposez à l’Etat atomisateur : le mettez même en échec. Il en va de même quand vous privilégez le courrier postal plutôt que l’envoi de mails sur Internet. Là, très clairement, vous le plongez dans un désespoir profond. A vous de voir. 

La bible du rebelle d’aujourd’hui ?

Pour devenir Waldgänger, vous rappelez qu’il s’agit d’être en forme, de prendre ses vitamines, manger équilibré et faire de l’exercice (page 95). N’est-ce pas un aveu d’échec que la pensée politique conservatrice débouche sur l’éloge du wellness ?

Elle ne débouche pas sur l’éloge du Wellness, mais sur le recours aux forêts. Cela étant, quand on prend le maquis, autant se donner toutes les chances. Il vaut mieux, quand on entreprend ce genre de démarche, être en bonne santé que mal en point, cacochyme ou grabataire. Il est donc sage de se préoccuper de sa santé. Cela étant, quand vous parlez de la pensée politique conservatrice, on pourrait se demander si ce que dit Jünger de la médecine et des médecins est tellement conforme à la pensée politique conservatrice. Il annonce plutôt, me semble-t-il, les vues d’un Ivan Illich sur le sujet. Ivan Illich était un penseur libertaire, un écologiste avant la lettre. Il critiquait le productivisme et la médicalisation concomitante de la société. Il y a cette dimension-là aussi chez Jünger. Il encourage les gens à se prendre eux-mêmes en charge. Jünger vient, on le sait, d’un mouvement connu sous le nom de  Révolution conservatrice. Les deux mots (le substantif comme l’adjectif) sont ici importants. 

Votre livre porte les stigmates de la gestion de la pandémie du Covid. Pourtant, nous sommes aujourd’hui revenus à l’exercice d’une démocratie somme toute assez classique. N’y a-t-il pas une part de catastrophisme à l’origine de cet essai ?

On n’est pas catatrophiste parce qu’on constate ou annonce une catastrophe. On est simplement réaliste. En outre, le Covid n’est pas la seule catastrophe inscrite au programme. Voyez les enquêtes Pisa, les statistiques de la criminalité, l’évolution démographique, la dette publique, les risques bancaires systémiques, la géopolitique de l’Ukraine, etc. Quant à la démocratie, je vois mal sur quoi vous vous fondez pour dire que nous serions « aujourd’hui revenus à l’exercice d’une démocratie somme toute classique » : comme si le Covid n’avait été qu’une brève parenthèse entre un avant soi-disant démocratique et un après qui ne le serait pas moins. J’ai parlé de néo-totalitarisme, si le terme ne plaît pas on peut en utiliser un autre. On relira dans ce contexte les pages de Hannah Arendt sur le pouvoir dans ses rapports avec la violence. La violence est antinomique au pouvoir, disait-elle. C’est quand le pouvoir s’efface ou cesse d’apparaître comme légitime que les autorités ont recours à la violence. Chacun est bien sûr libre de ses définitions. Mais il est clair pour moi qu’un certain nombre de pratiques répressives comme l’espionnage intérieur, la censure, l’internement administratif, les violences policières, les saisies ou confiscations d’avoirs bancaires, les atteintes à la liberté de déplacement, etc., toutes pratiques en voie aujourd’hui de banalisation, ne sont pas compatibles avec la démocratie. Quand, de surcroît, elles en viennent à s’additionner les unes aux autres, comme c’est présentement la tendance, il faut tout simplement arrêter de dire qu’on est en démocratie. 

Propos recueillis par Raphaël Pomey
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