Le malaise grandissant des jeunes chrétiens

«L’exclusion et la dévalorisation des personnes appartenant au spectre LGBTIAQ+ sont également rejetées comme contraires à l’Évangile et à la foi vécue.» Ces mots sont tirés du Rapport synodal suisse 2022, publié par la Conférence des évêques suisses. Résultat d’une consultation ayant eu lieu dans tous les diocèses catholiques suisses, il sera envoyé au Vatican en vue du Synode sur la synodalité, une réunion d’évêques du monde entier qui se tiendra en 2023, à la demande du pape François.

Force est de constater que le document recèle des revendications à connotation souvent très progressiste: il faudrait mettre fin au «rejet des personnes issues de la mouvance LGBTIAQ+» comme celui des personnes «queers»; les «étroitesses cléricales» doivent être combattues, une «adaptation des normes liturgiques [aux] contextes culturels» est nécessaire, «l’exclusion des femmes de l’ordination» est perçue comme «incompatible avec l’Évangile et l’action de Jésus»; il faut promouvoir une Église du dialogue contre «une culture cléricale étriquée dépassée» qui accorde trop d’importance à la hiérarchie, etc.

L’Église catholique, à la réputation pourtant conservatrice, semble – dans ses discours du moins – se calquer de plus en plus sur certaines évolutions de la société actuelle. Un simple tour sur des médias comme cath.ch permet d’en avoir la certitude. Edward Mezger, un Fribourgeois de 20 ans ayant participé aux discussions synodales dans sa paroisse, se dit perplexe à la lecture du rapport: «J’ai l’impression qu’on a perdu le sens premier de la religion, qui est de partir d’un donné commun – la révélation et l’enseignement de l’Église – et d’essayer de cheminer avec ça. Beaucoup de personnes ayant participé aux discussions ont pensé qu’on leur demandait simplement leur avis, mais l’Église n’est pas une assemblée législative et démocratique.»

«Quand je vais à l’Église ou que j’écoute le Pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.»

Marie, paroissienne bulloise de 20 ans

Face à une Église au discours de plus en plus aligné sur les revendications sociétales actuelle, Marie, 20 ans, déplore que la foi se mêle sans cesse de politique: «On oublie que l’Église doit d’abord et avant tout aider les fidèles dans leur vie spirituelle qui doit les mener au salut, et que cela passe par les sacrements, l’enseignement, etc. Pourtant, on se mêle toujours plus de politique, partout: il faut prendre position sur ceci ou cela, défendre telle ou telle cause qui ne nous concerne pas!», et la paroissienne bulloise de continuer: «Quand je vais à l’église ou que j’écoute le pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.» Quant à savoir s’il faut réformer l’Église, ordonner des femmes prêtres ou encore démanteler une hiérarchie trop sclérosée, Marie est sans appel: «Ce sont des revendications de boomers qui ont mal digéré leurs racines soixante-huitardes. Cela dit, il y a de très graves dysfonctionnements dans l’institution de l’Église, à tous les niveaux, mais on ne les réglera pas en se calquant sur la marche du monde d’aujourd’hui.»

Un œcuménisme dans le malaise

Même agacement du côté réformé, quand l’Église se mêle de politique: Sébastien Mercier, un jeune réformé vaudois, nous a confié son énervement face à une «Église qui pense qu’elle attirera du monde en reprenant à son compte le discours progressiste ambiant, alors que manifestement cette tactique est infructueuse: les temples sont vides!» Et le jeune homme de poursuivre: «C’est agaçant de voir l’Église réformée vaudoise, par exemple, afficher systématiquement des positionnements politiques là où on s’en fout qu’elle donne son avis. Quand on affiche ʻOui aux multinationales responsablesʼ dans des églises, c’est extrêmement choquant, et ça fait fuir de nombreux protestants chez les évangéliques, entre autres.»

Chez les catholiques, comme chez les protestants, deux visions plutôt contradictoires semblent donc s’affronter: d’un côté un élan réformiste et poussant vers une certaine politisation, de l’autre un mouvement conservateur rétif à toute idée d’alignement avec la société actuelle. Selon un sociologue que nous avons pu contacter, observateur de la démarche synodale catholique en Suisse romande, il ne faut pas sous-estimer la dimension générationnelle de ces clivages: «Ce que je constate, c’est que les revendications les plus progressistes émanent la plupart du temps de personnes âgées, alors que les propositions les plus conservatrices émanent de jeunes entre 25 et 35 ans. Ces jeunes, continue-t-il, ont la particularité d’avoir un engagement religieux beaucoup plus fort que leurs aînés, et ils souhaitent rompre avec une Église qui fait des compromis avec le contexte culturel dans lequel elle évolue.» Le sociologue observe des mouvements similaires chez les réformés, même si, selon lui, il n’y a pas symétrie exacte: «Il ne faut pas oublier, dit-il, que l’ADN des réformés est plutôt libéral et progressiste. On peut remonter pour cela au Kulturkampf qui a modelé la Suisse d’aujourd’hui, où les catholiques incarnaient plutôt le conservatisme face aux protestants libéraux. Les jeunes réformés conservateurs rompent donc avec l’identité réformée telle qu’elle s’est construite depuis deux siècles et se rapprochent plutôt des piétistes ou des évangéliques.»




Souriez, vous êtes rééduqués!

Entre militantisme LGBTQIA+, odes à Zelensky et apologie du wokisme, nos con-frères-sœurs-x, enfin nos collègues quoi, ne manquent jamais de beaucoup nous fasciner par leur audace. Leur dernier combat, en faveur de l’interprétation de La Petite Sirène par une actrice afro-américaine, mérite quelques lauriers. «Une Ariel noire vous pose problème, vous êtes raciste!», assène une collaboratrice de «l’Investigative Lab» (c’est le nom qu’ils donnent à leur rédaction, d’ailleurs fort peu métissée). Et l’argumentation de l’autrice du papier ne manque pas de sel: ainsi, parce que Hans Christian Andersen était vraisemblablement homosexuel, réclamer une Ariel conforme à la vision de son auteur n’aurait pas de sens, puisqu’il faudrait dès lors la représenter sous la forme d’un mâle gay. «Cela fait trop longtemps qu’on nous gave avec des princesses blanches auxquelles les petites filles métisses, noires et les autres ne peuvent pas s’identifier», poursuit notre passionaria des causes gagnées d’avance. Une argumentation délicieuse de la part de celle qui, par ailleurs, nous encourage à ne pas attacher la moindre importance à la couleur de peau des personnages!
Il y a plusieurs choses dont, au Peuple, nous ne nous soucions guère: l’épiderme des gens, la sexualité des écrivains et les leçons de morale de jeunes décérébrés, fussent-ils munis d’une carte de presse.

On veut sa retraite à 90 ans!

DR

C’est l’une des stars de cette édition et elle le mérite bien. Quand elle ne compare pas les élus à des tortionnaires nazis, Franziska
Meinherz est en effet capable de poser des questions cruciales. Ainsi, à l’annonce de la fin de carrière d’un ambassadeur de la 5G nommé Roger Federer, l’élue d’extrême-gauche lausannoise s’est fendue d’un message sur les réseaux sociaux demandant pourquoi elle devrait bosser jusqu’à 65 ans, contre 41 ans pour le génie de la balle jaune.
Nous avons la réponse: pour nous faire rêver le plus longtemps possible.

La foire à la saucisse

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Une bonne vieille grève du sexe pour faire les pieds (de porc) aux mangeurs de viande. Voilà la nouvelle proposition de l’organisation PETA, censée défendre les droits des animaux, pour faire face à… on ne sait pas, en fait. Disons pour faire face à la présence du mal dans le monde, pour faire simple. Car les méchants, ceux qui polluent, ont tous un truc en commun: ils aiment les saucisses! Et la PETA allemande d’enfoncer le clou à propos des bienfaits de la chasteté forcée pour les viandards: non seulement elle fera beaucoup souffrir les hétéro-beaufs, mais elle sauvera aussi la planète en économisant 58,6 tonnes de CO2 par an grâce à chaque enfant qui ne naîtra pas. Supprimons le sexe, la viande et les enfants, et le paradis, enfin, reviendra sur terre! La proposition aura au moins ceci de positif qu’elle évitera peut-être que des membres de la PETA se reproduisent.

La blanche colombe est revenue

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A intervalles réguliers, la francophonie ébahie voit le philosophe (paraît-il) Bernard-Henri Lévy revenir d’un pays en guerre et appeler à ne rien lâcher. Et c’est précieux, car en général, celui qui n’a pas de grandes conceptions géopolitiques peut se servir de la geste du seigneur germanopratin comme boussole pour basculer dans le camp opposé. Cette fois, c’est d’Ukraine que revient notre héros, où il lui a semblé bon de se faire prendre en photo sur une multitude de champs de bataille, la chemise impeccablement blanche et le brushing à l’avenant. Et gageons que les combats n’y étaient pas particulièrement intenses, puisqu’il a survécu. A moins que les Russes aient compris qu’être attaqués par pareille baudruche était tout de même plus agréable que la lecture de ses livres.




Anatomie d’un délire bien-pensant

Nous sommes vendredi 2 septembre en fin de journée, à Henniez, devant le nouveau café exploité par la Commune. Un bistrot – déclarons d’emblée nos intérêts – qui propose Le Peuple à ses clients. L’assemblée est solide, compte-tenu des 400 habitants de l’endroit, et devise tranquillement autour d’un verre tandis que la présidente du Conseil d’État, Christelle Luisier, est attendue pour un discours. La partie officielle débute. Un des exploitants des lieux, d’origine mauricienne, prend la parole le premier pour rassembler les convives. Puis paisiblement, un chœur mixte commence à chanter «bonjour» dans toutes les langues, de l’espagnol à l’arabe.
Voilà le point culminant, aussi paisible que joyeusement banal, d’une triste affaire débutée près d’une semaine plus tôt dans la presse. A l’origine, une lettre vengeresse d’un habitant, ancien patron d’un bistrot qui n’est pas parvenu à tenir sur le long terme dans la commune. Peu assidu au Conseil général, il n’en dénonce pas moins l’implication des autorités dans la mise sur pied du projet, la personne du syndic, et l’imagerie choisie pour l’endroit. «L’inadmissible, ce qui interpelle», dit-il avec emphase, est qu’un tel endroit s’appelle Le Confédéré, et montre une représentation stylisée de hallebarde dans la rue. Ce serait, apprend-on, un clin d’œil à l’extrême-droite inacceptable. Ni une ni deux, un habitant prend la défense de la Municipalité dans un deuxième tout-ménage, avant que l’exécutif lui-même réponde à son administré.

Une construction de toutes pièces

Récapitulons: un habitant mécontent sort du bois et règle ses comptes dans un tout-ménage, deux semaines avant une inauguration. Des accusations graves sont portées contre un individu, avec lequel il ne semble pas vouloir garder les vaches. A ce stade, toute cette valse d’amabilités aurait pu rester à l’état de tempête dans un verre d’eau, à ceci près que La Liberté, dont seul un photographe s’est rendu sur place, enclenche la machine. «Polémique villageoise sur le nom du bistrot», écrit-elle sur ses affichettes. Un mot-clé apparaît: diviser. Une seule personne, visiblement en rupture, se plaint d’un projet décidé au sein des instances démocratiques, mais Le Confédéré devient «le bistrot qui divise». 24 heures, quelques jours plus tard, élabore: non seulement le bistrot «divise le village au lieu de le réunir», mais «le nom et l’enseigne retenus créent la polémique».

De polémique, ce vendredi 2 septembre, il n’y en aura guère. Amusée, la présidente du Conseil d’État glissera rapidement un mot sur l’affaire dans un discours tout à fait apaisé sur les vertus de la démocratie villageoise. Quant au syndic, muet depuis le début de l’emballement médiatique, il évoquera un lieu «dédié à la joie de vivre, à la cohésion sociale». Une auberge «où se retrouvent des représentants de tous milieux». Et de citer l’auteur anglais G. K. Chesterton, pour qui «le déclin des tavernes n’est qu’un aspect du déclin général de la démocratie.»

Partie officielle terminée. Dans l’assemblée, une jeune fille voilée boit un verre de soda aux côtés de quelque sommité locale. Des enfants jouent dans le parc situé à quelques mètres. Nul esclandre. Une fête de village tout à fait banale, mais chaleureuse. Tandis que tout ce joli monde se rassasie, un nouveau reportage sur la polémique, bien difficile à constater sur place, commence à tourner sur La Télé. D’aucuns le découvriront en fin de soirée. Et l’on s’étonnera d’avoir été tous réunis par un bistrot qui, dans la langue des médias, devait diviser la population.

Comment a-t-on pu en arriver là? En trois points.

D’un point de vue journalistique, voici les éléments qui ont concouru à créer un décalage sidérant entre le récit des journalistes (présomption de sympathie pour l’extrême-droite, division du village) et la réalité, d’une glorieuse banalité.

1) La distance par rapport au terrain: Le premier article a été réalisé par une personne qui n’a pas jugé utile de se rendre sur les lieux. C’est pourtant ce papier qui a posé les jalons des sujets à venir, imposant la notion de «division».

2) La logique comptable des journalistes: Deux ou trois éléments concordants, dans la langue des médias, suffisent généralement à valider l’hypothèse de la «tendance». De même, ici, des lettres ouvertes successives, même lorsqu’elles contribuaient à donner l’image d’un quérulent isolé, ont suffi à valider le thème de la guéguerre clochemerlesque.


3) Une question de taille:
À quoi bon prendre des pincettes avec une administration villageoise qui, certes, agit dans les règles, mais avec une sensibilité conservatrice? Aurait-on imaginé offrir un tel porte-voix à un, voire trois habitants qui, à Lausanne, auraient dénoncé la politique de la Municipalité? Non, parce qu’un tel exécutif, avec ses qualités et ses défauts, ne sera jamais jugé «sulfureux».




Vous avez dit réac?

Parfois, lors de discussions autour d’une bière ou d’un café on me lâche à la cantonade: «Tu es tout de même un peu réac!». Longtemps, j’ai mal assumé mon côté «réactionnaire», comme une sorte de maladie honteuse. Aujourd’hui, je réponds invariablement avec Léon Daudet: «Je suis tellement réactionnaire que quelquefois j’en perds le souffle», puis je passe à autre chose.

Vous comprenez aisément pourquoi le titre et surtout le sous-titre de l’ouvrage (De Maurras à Houellebecq) m’a interpellé. A peine acheté, je me suis mis à le lire. Plus j’avançais dans la lecture et plus mon crayon rouge soulignait et griffonnait des remarques dans les marges. J’avais l’impression de lire le travail de maturité d’un gymnasien militant d’Extinction Rebellion ou d’un zadiste du Mormont. En fait, l’ouvrage de Monsieur Berthelier est le fruit trop mûr de sa thèse réalisée sous la direction de Christelle Reggiani de la Sorbonne et de Gilles Philippe, professeur ordinaire de l’Université de Lausanne.

La méthode utilisée pour analyser les différents auteurs est, on peut être en droit de la contester, une grille de lecture marxiste empruntée au philosophe et sociologue Lucien Goldmann (1913-1970). Moi qui croyais que le matérialisme historique avait été jeté aux oubliettes de l’histoire! Il faut dire que notre auteur organise depuis des années des séminaires de «Lecture de Marx» ainsi que le «Séminaire littéraire des armes de la critique». On peut tout de même douter de son objectivité. Non content de se faire l’héritier d’une critique marxiste, Monsieur Berthelier fait des incursions dans le genre «psychologique» notamment avec Marcel Jouhandeau. Il explique que Jouhandeau va publier à la NRF – que Berthelier qualifie de «cénacle de la bourgeoisie mondaine et esthète» – à cause de la récente fortune de sa famille et de son homosexualité. On ne peut que saluer la rigueur de la critique académique!
En ce qui concerne le contenu de cet ouvrage, je suis aussi assez dubitatif. Tout d’abord pourquoi partir de Maurras? Barrès aurait été plus approprié, mais laissons cela. Notre auteur commet un grand nombre d’erreurs sur Maurras. Passés les poncifs que l’extrême gauche accumule sur le maître de Martigues, on découvre que Monsieur Berthelier ne connaît pas son sujet. Maurras appréciait le style de Proust, contrairement à ce qu’affirme l’ouvrage. Il fut même un des premiers lecteurs enthousiastes des Plaisirs et les jours, œuvre de jeunesse de Proust. L’auteur lui en sera toujours reconnaissant, comme il l’écrit dans des lettres à la fin de sa vie. D’ailleurs, tous deux fréquentaient les mêmes salons mondains vers 1895. Sur le plan formel, Maurras appréciait davantage la liberté de la Renaissance que le formalisme du Grand Siècle.

Quant à Céline, Monsieur Berthelier reconnaît qu’il est étudié brièvement, juste pour rappeler qu’il n’a aucun lien avec Maurras et aussi «parce qu’il existe déjà une quantité pléthorique d’études céliniennes».
Le traitement que l’auteur réserve à Georges Bernanos reste dans le ton de l’ouvrage, un travail d’étudiant qui n’a pas compris grand-chose, et en particulier pas le génie prophétique de l’auteur. Le maître de conférence omet encore un grand nombre d’auteurs: Léon Daudet, René Barjavel, Pierre Benoit, Abel Bonnard, Henry Bordeaux, Paul Chack, Alphonse de Châteaubriant, Bernard Faÿ, Maurice Bardèche, Pierre-Antoine Cousteau et j’en oublie. En ce qui concerne Les Hussards, je ne saurais trop recommander le livre de Marc Dambre, Génération Hussards, qui vient de paraître.
Je m’arrête là et laisse de côté tout ce qu’il faudrait écrire sur l’étrange choix d’inclure Renaud Camus dans la liste autant que celui de s’en prendre à Houellebecq, qui relève de l’art d’enfoncer des portes ouvertes.
Pour Vincent Berthelier: «Chez les réactionnaires, une anecdote personnelle peut servir de point de départ à un texte apocalyptique». Il est vrai que le réactionnaire authentique ne vit pas dans le monde des idées, il ne fait pas de sculpture sur nuages, mais il met ses mains dans la pâte humaine et s’enracine dans la réalité, loin des idéologies et des préconcepts.
Le chroniqueur culturel de Bon pour la tête – média qui se qualifie lui-même d’indocile – ne s’est pas trompé en intitulant son article «Le style réac: usine à maximes». Le but de l’ouvrage est de fourbir des arguments au camp de la culture de l’effacement en discréditant les auteurs qui pourraient permettre de structurer une résistance intellectuelle. Ne nous laissons pas culpabiliser par les mandarins du politiquement correct, qu’ils soient revêtus du bonnet de docteur ou qu’ils tiennent la plume de l’information. Rejetons cet «index librorum prohibitorum» d’un revers de main! Comme l’affirmait Nicolás Gómez Dávila: «Le réactionnaire n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles.»

Vincent Berthelier, Le style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq, Paris, Éditions Amsterdam, 2022

Marc Dambre, Génération Hussards. Nimier, Blondin Laurent… Histoire d’une rébellion en littérature, Paris, Perrin, 2022

Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique, Monaco, Éditions du Rocher, 2005




Hommage à une grande reine

(Extrait issu de la newsletter personnelle de Raphaël Pomey)
[…] Je ne vais pas tartiner sur son héroïsme, sur sa descendance pas toujours très digne, mais plutôt sur ce qu’elle incarnait en termes de continuité historique. Il y a en effet quelque chose de réjouissant à voir tous les démolisseurs, déconstructeurs et rebelles d’état forcés de s’incliner devant le souvenir de la grande dame, restée farouchement fidèle à la tradition de son sang et de son rang. Cette reine, chrétienne, était l’antithèse vivante du foutoir égalitaire, des «valeurs de la République» et du nouveau management des peuples.

J’ai peu regardé les émissions hommages consécutives à son décès. Mais je peux vous en faire un résumé: une femme d’un autre temps, l’occasion de dépoussiérer le fonctionnement de la famille royale et un nouveau roi, certes un peu gauche, mais qui a une réjouissante fibre écolo. Voilà. J’ai tenu cinq minutes devant ces foutaises et cette arrogance. Cela paraît peu mais j’ai quand même encaissé l’intervention d’un prof de littérature qui reprochait à la nouvelle première ministre anglaise d’avoir loué les vertus unificatrices de la reine, «tandis que le parti de Madame Liz Truss ne fait rien pour la grande majorité de la population». Ce serait dommage de ne pas utiliser un deuil pour pousser un peu son agenda de sangsue à subventions. […] La mort de la reine ne m’affecte pas. Je n’ai pas envie d’écouter le God Save The Queen des Sex Pistols ou de faire semblant de ne plus trouver de sens à ma vie parce qu’une vieille dame a rendu l’âme à Dieu. Je ne la connaissais que par écran interposé et elle n’était point de mon peuple. Mais avec elle, c’est une certaine idée d’un stoïcisme européen qui s’en va, et une discipline personnelle qui jurait délicieusement avec le règne larmoyant des Aurélien Barrau, du prince Harry ou des apologètes de la sous-culture woke.

Nommer, deux jours avant son décès, la nouvelle locataire du Downing Street est l’ultime acte de bravoure d’une dame qui représentait ce que notre civilisation a de meilleur. C’est aussi, d’une certaine manière, un pied de nez (on ne fait pas de doigts chez ces gens-là) à la déliquescence des mœurs modernes, à notre fragilité et à notre inconséquence. En ceci, la reine Elizabeth II sera, pour toujours, infiniment plus rebelle que les grotesques boomeurs qui lui vomissaient dessus dans leurs hymnes punks.
La reine est entrée dans l’éternité de Dieu. Puisse-t-elle prier pour nous, que son souvenir nous prémunisse d’entrer dans l’éternité des baudruches.
Vive la reine.




«Ielles» mangent comme des cochons

Pas grave puisque nous sommes toujours là pour servir. Alors pour aller vite, il s’agit d’un programme qui, sans doute avec le graphisme le plus moche du monde, met en scène une petite truie qui aime se rouler dans la boue avec l’enthousiasme d’un militant «woke» devant une nouvelle norme à déconstruire. «Déconstruire» les repères sociétaux, la série s’y emploie d’ailleurs avec une belle énergie puisqu’à la suite d’une pétition, le premier couple homoparental y a été introduit dans un épisode de sa septième saison. En l’occurrence, c’est une oursonne polaire qui présente sa famille arc-en-ciel à ses amis. Le tout avec un texte très fort: «Je vis avec ma maman et mon autre maman». Alors, n’étant pas spécialistes du programme, nous n’allons pas nous lancer dans une longue exégèse. Deux remarques, toutefois: tout d’abord, il y a tout de même de quoi être vexée quand on devient, devant les amis de sa descendance, «l’autre maman». Sans doute là une nouvelle discrimination à combattre dans un prochain épisode. Et surtout: on ne voit que des glucides sur la table du repas familial, et point de protéines. Pas idéal pour le développement musculaire de l’enfant, mais voilà ce qui arrive quand – n’en déplaise à la députée française Sandrine Rousseau – on a chassé tous les mâles susceptibles de faire cuire les entrecôtes.

La tiers-mondisation a du bon

Voilà une dame, brillante, polyglotte, musicienne, qui a essentiellement dirigé des fondations avant d’arriver à l’Everest politique que l’on connaît.

Pauvre Simonetta Sommaruga. Pas un jour qui passe sans que de bons gros bourrins de droite jouent aux babouins à propos de son plan pour bien passer l’hiver. Parce que voyez-vous, la socialiste a eu l’audace suprême, dans les colonnes de Blick, d’affirmer qu’elle buvait du thé chaud et portait des pulls… (bravo, vous avez bien anticipé) chauds, l’hiver. Alors que la population doit «faire des sacrifices», ce genre de recommandations passent modérément bien. Et pourtant, il y a de quoi se réjouir: voilà une dame, brillante, polyglotte, musicienne, qui a essentiellement dirigé des fondations avant d’arriver à l’Everest politique que l’on connaît (et où il fait si froid). Quelqu’un de précieux pour la démocratie, donc, mais qui n’a jamais eu pour fonction de produire de la richesse. Gageons qu’après une carrière si admirable, la découverte prochaine du négoce de lapsang souchong et de pulls en poils d’alpagas lui feront quitter les rivages de l’autoritarisme économique cher à son parti.

La neutralité neutralisée

«Toutes ces options sont compatibles avec la neutralité de la Suisse», jure la Conseillère fédérale Viola Amherd

La Suisse doit se rapprocher de ses voisins pour assurer sa sécurité. C’est ce qu’annonce un rapport complémentaire du Conseil fédéral, qui prône l’intensification du partenariat» – en langage clair, la soumission – avec l’Otan. Mais puisque nos bons maîtres aiment les cache-sexes, à part de temps en temps sous un bureau ovale, réjouissons-nous: «Toutes ces options sont compatibles avec la neutralité de la Suisse», jure la Conseillère fédérale Viola Amherd. On n’en doutait pas, et l’émotion nous gagne rien qu’en imaginant nos recrues aller lâcher des bombes en toute neutralité sur les gens que nous sanctionnons déjà économiquement de façon impartiale.

Loup y es-tu?

Naia Okami est une femme transgenre – donc biologiquement un homme – qui s’identifie à un loup de Colombie-Britannique

Honnêtement, nous voulions une photo d’animal pour boucler cette page. En France, il y avait cette histoire de gens qui souhaitent interdire les balades à dos d’ânes pour les enfants, qui nous séduisait. Mais, plus classiquement, nous avons décidé de nous rabattre sur une femme transgenre – donc biologiquement un homme – qui s’identifie à un loup de Colombie-Britannique, et parfois aussi à un renard roux. Une particularité qui la fait appartenir à une nouvelle minorité, celle des thérianes, qui n’attendra pas bien longtemps avant de réclamer de nouveaux droits absurdes. Ce canidé transgenre répondant au doux nom de Naia Okami fait un peu parler de lui ces derniers jours, avec un passage remarqué dans une émission à sa gloire. Nous profitons de sa gloire momentanée pour nous adresser à l’animal afin de l’inviter à éviter les montagnes valaisannes.




Extinction Rebellion s’essaye à la spiritualité

«Ce groupe s’inscrit dans la lignée de la culture régénératrice et se veut une invitation à prendre soin, à se relier à soi, aux autres.» A première vue, un tel texte évoque tout au plus la fin de séance de yoga et les huiles essentielles, mais rien de bien choquant. Pourtant, cet été, c’est à une véritable volée de bois vert qu’ont dû faire face les militants de «XR Spi», déclinaison «méditative» d’Extinction Rebellion, avec le faire-part de naissance de leur groupe. Annoncée par le compte Twitter du mouvement, en France, la démarche inclusive, sans coloration religieuse spécifique, a suscité des accusations de dérives sectaires, de piège new age, voire carrément de pétainisme. «La parution d’articles à la suite de notre week-end inaugural a fait réagir sur les réseaux sociaux de manière aussi violente qu’inattendue», concède Yaya Tigwenn, activiste. Elle évoque toutefois un accueil globalement très bienveillant dans le milieu. Elle poursuit: «Quelques personnes d’XR ont souffert de la mauvaise publicité rejaillissant alors sur l’ensemble du mouvement… Ce fut un moment compliqué qu’il nous faudra panser et (re)penser». Selon elle, aucun militant suisse ne s’est joint à l’événement, malgré une invitation envoyée aux camarades helvètes.

Le projet «Spi» d’XR est d’ailleurs accueilli avec des sentiments divers en Suisse. «C’est positif qu’il y ait une grande diversité de mouvements qui s’intéressent à une écologie radicale, autant de portes d’entrée qui diffusent à des publics divers un message qui doit l’être le plus vite et largement possible», juge par exemple Théophile Schenker, député Vert-e-s vaudois. A ses yeux, des personnes qui souffrent «d’éco-anxiété» peuvent trouver une aide dans une telle démarche. L’enthousiasme s’arrêtera là: «A l’interface entre écologie et spiritualité, il y a une pente glissante très claire vers l’anthroposophie et les croyances new age, qui causent déjà suffisamment de dégâts au mouvement écologiste et sont complètement incompatibles avec les bases scientifiques solides sur lesquelles XR construit ses revendications.» Et d’appeler le dernier-né du mouvement à se distancier au plus vite de ces dérives.




La politique de l’immobilisme

1. Honneur aux dames

Mireille Vallette, dans son blog «Boulevard de l’islamisme», nous conte l’histoire de Marie. Mère de deux enfants de nationalité suisse et saoudienne, elle-même a porté divers voiles islamiques et, depuis cette période, se bat contre ces mœurs. Établie à Genève, elle observe fin juillet une femme devant le change Migros de Rive, le visage dissimulé. Elle l’interpelle pour lui rappeler qu’en Suisse a été votée une loi qui interdit de se voiler le visage. L’altercation se termine par un appel de Marie à la police. Une patrouille arrive et Marie explique à la policière la situation. Cette dernière «se montre stupéfaite, lui rit au nez, lui lance qu’il existe une marge d’interprétation de la loi et la laisse en plan».

Marie se renseigne auprès du porte-parole de la police, qui lui apprend qu’il n’existe pas encore de base légale pour sanctionner. Ce sera fait pour mars 2023. Rappelons que la loi en question a été votée au niveau fédéral en 2021. À Genève, des exceptions permettront de toute manière aux femmes de se recouvrir «si la dissimulation du visage est nécessaire à la liberté d’expression ou de réunion ou s’il s’agit de l’expression imagée d’une opinion». Nous voilà bien loin, en temps et en volonté politique, du respect du verdict des urnes.

2. Mendicité et droits de l’homme

Autre exemple: la mendicité. Une loi datant de 2008 interdisait de faire la manche sur tout le territoire genevois. La Cour européenne des droits de l’homme avait alors condamné la Suisse: interdire cette pratique serait contraire aux droits humains. La loi a donc été suspendue et les rues du canton prises d’assaut par les mendiants. Ce qui est encore le cas, bien qu’une nouvelle loi ait été votée par le Grand Conseil en décembre 2021. Celle-ci n’interdit pas la mendicité, à part près des écoles et des commerces. Là encore, contestation immédiate. Début août, la Chambre constitutionnelle genevoise valide la nouvelle loi et irrite les défenseurs des mendiants, qui entendent saisir le Tribunal fédéral. De son côté, le Département de la sécurité précise déjà qu’il ne faudra pas s’attendre à une multiplication des interventions policières: «Les injonctions aux intéressés seront toujours privilégiées par rapport aux sanctions tant que les forces de l’ordre ne seront pas confrontées à une opposition manifeste». Voilà quinze ans que dure ce dossier dans lequel on cherchera vainement une quelconque détermination du côté de l’exécutif.

3. Les dépanneurs

Les «dépanneurs», ce sont ces petites épiceries qui se multiplient dans les grandes villes. Le Grand Conseil s’est penché à plusieurs reprises sur ce sujet. Dès 2014, le député Thierry Cerutti (MCG) faisait part de ses préoccupations devant le développement de ces boutiques qui «viennent systématiquement remplacer les commerces de proximité voués à la disparition». Plusieurs auditions, dont celle de Pierre Maudet, alors conseiller d’État, démontraient que le problème était connu des autorités. L’élu soulignait «le développement autour de ces établissements de divers trafics, de nuisances en tout genre et même de bagarres impliquant l’intervention répétée de la police». Et de préciser que «toutes ces incivilités et infractions allant du simple délit à l’activité criminelle font d’ailleurs l’objet d’enquêtes plus approfondies de la part de la police judiciaire (blanchiment, recel, vente d’alcool, drogue, etc.)».

Que s’est-il passé depuis lors? Créée en 2016, c’est seulement fin 2019 que l’Inspection paritaire des entreprises (IPE) fait part de ses préoccupations concernant les dépanneurs, les barbiers et les coiffeurs. Les épiceries ouvertes 7/7 ne respectent pas la loi cantonale sur les heures d’ouverture dominicales, pas plus que la loi fédérale sur le travail. Seuls les cadres peuvent en effet exercer une activité le dimanche. Or, l’IPE a constaté que cette règle était souvent ignorée, voire contournée. «Une entreprise a inscrit six personnes comme patrons au Registre du commerce avec deux employés. Cinq d’entre elles possèdent une part sociale, la sixième tout le reste», a expliqué à la presse Joël Varone, président de l’IPE.

Ce n’est là qu’un des multiples problèmes rencontrés par la trentaine d’inspecteurs de l’IPE. Et de rappeler qu’une première condamnation a été rendue en 2019 pour violation de la loi sur le travail. L’entreprise fautive a écopé de 90 jours-amende à 150 fr. avec sursis. «Le Ministère public a tapé fort», s’est réjouie Mafalda D’Alfonso, juriste de l’association paritaire. Plusieurs autres cas ont été dénoncés aux autorités pénales. Ce qui n’empêche pas les dépanneurs et autres commerces ethniques de se multiplier.

Commentaire

Ces trois dossiers bien connus agacent les Genevois, tout comme les élus de tout bord que l’exécutif traite avec beaucoup de légèreté. Pour ne pas dire plus. Les habitants de la Cité de Calvin connaissent par cœur les litanies gouvernementales. Le voile intégral? Ce ne sont que quelques cas isolés qui ne méritent pas sévérité. La mendicité ? Elle ne gêne personne. Ce qui n’est pas vrai. Et le Conseil d’État feint d’ignorer les problèmes graves d’hygiène, les camps sauvages au bord de l’Arve et une précarité qui oblige les autorités à héberger les mendiants par temps froid. La facture devient salée pour les contribuables et coule certains budgets communaux. Quant aux dépanneurs, nous sommes au comble de l’hypocrisie. Ces commerces se multiplient sous nos yeux au détriment d’autres négoces, souvent avec l’aide de fonds douteux. Ils ne répondent souvent pas aux exigences légales, concurrencent les épiceries installées de longue date, vendent alcool et tabac aux heures interdites par la loi. Ils étaient 35 commerces aux Pâquis en 2014, ils y sont plus de 60 aujourd’hui. Ils se sont en outre éparpillés dans toutes les communes. Tous ces cas prouvent le laisser-aller du Conseil d’État, à l’image de son Service du commerce défaillant depuis trente ans. Tous démontrent l’absence de volonté politique… hors des campagnes électorales bien sûr !




Trop blancs pour chanter

I l était une fois un concert de reggae organisé dans un lieu alternatif de la capitale. Plutôt: il était une fois un concert de reggae interrompu par ses propres organisateurs, la Brasserie Lorraine, à Berne. Motif? Les musiciens sont blancs! Pire, ils osent arborer des dreadlocks, sur leurs têtes de blancs. Ne riez pas, les tenanciers du lieu ont plié sous la pression d’un petit comité qui s’est senti «mal à l’aise» (unwohl en allemand), invoquant l’«appropriation culturelle» par le groupe qui devait se produire lors de la soirée du 18 juillet.

Lavant plus blanc que blanc, la Brasserie Lorraine en a rajouté une couche sur sa page Facebook. Morceaux choisis: «Nous tenons à nous excuser auprès de toutes les personnes à qui le concert a causé de mauvais sentiments. Nous sommes responsables étant donné que nous avons invité le groupe Lauwarm à jouer dans notre établissement.» Ou encore: «Notre manque de sensibilité et les réactions de nombreux invités à l’annulation du concert nous ont montré une fois de plus que le sujet est chargé émotionnellement.» Et la Brasserie Lorraine de conclure son message ainsi: «Le racisme et les autres discriminations n’ont pas leur place chez nous.» Comment appelle-t-on le fait de refuser l’accès à sa scène pour des raisons de couleur de peau ou de coupe de cheveux?

Bourde sur bourde

Les réactions sous la publication de la Brasserie Lorraine montrent que la manœuvre ne passe pas vraiment. En plus d’un nombre de «smileys » colériques ou hilares plus important que ceux montrant une approbation, on peut lire des commentaires plutôt épicés: «Je suis mort de rire», «Terrorisme culturel!», ou encore un autre, plus préoccupant. Un utilisateur de Facebook présent lors de la soirée écrit qu’il s’est permis de demander aux organisateurs du concert si ce n’était justement pas du racisme que d’empêcher des caucasiens de se produire pour le motif qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau. Il s’est apparemment vu répondre: «Certainement pas, étant donné que c’est une minorité qui s’est sentie heurtée.»

Dès lors, que se passerait-il si les lieux accueillaient un concerto de Vivaldi interprété par des musiciens «racisés» et qu’un groupe de caucasiens faisait part de son «malaise» au personnel du lieu?

Non contente de se prendre une veste sur le réseau social, la Brasserie Lorraine a remis le couvert le lendemain par le biais d’un communiqué de presse, posté sur la page du bar. Le collectif gérant le lieu s’y dit «très surpris que la publication Facebook ait fait autant de vagues». Résultat: une nouvelle vague d’indignation sur le réseau social. Et un ratio encore plus catastrophique entre les réactions négatives et positives. S’y ajoutent plus de 600 commentaires en à peine quelques heures, dont un cinglant: «J’espère qu’avec cette attitude vous fermerez la boutique».

Dans son texte, le collectif invoque le «racisme systémique»: «Nous ne pensons pas que les membres du groupe ou les personnes ʻblanchesʼ soient automatiquement racistes. Ici, nous quittons le niveau personnel pour parler de racisme structurel. Il y a une différence entre être un raciste avoué et reproduire inconsciemment des structures racistes.»

Soirée interdite aux hommes

Pour aborder toutes ces problématiques, la brasserie organisera une soirée de discussion le 19 août à propos de cette affaire et, surtout, de l’appropriation culturelle. Dans son document à destination des médias, elle explique qu‘il s’agira de définir «les aspects problématiques de l’appropriation culturelle dans une société postcoloniale», «ce que nous pouvons changer dans notre comportement» et enfin «le rôle du système d’asile suisse dans cette question».
En attendant, la Brasserie Lorraine prévoit, le 6 août, une soirée TINFA, soit un événement strictement interdit aux hommes cisgenres*. L’établissement explique la signification de l’acronyme: «toutes les femmes, les personnes intersexuées, les personnes non binaires, les personnes trans, les personnes sans genre ainsi que d’autres (queer) qui sont opprimées en raison de leur désir et/ou de leur identité de genre.»

*La novlangue désigne sous ce terme les personnes en adéquation avec le genre qui leur a été assigné à la naissance. Traduction: qui n’envisagent pas de changer de sexe.




« Il n’y a pas d’opportunisme de ma part »

EEn sortant de ce bistrot, que se passera-t-il si vous croisez Mgr Morerod?

Rien de particulier. On se saluera et je serai heureux de savoir comment il va.

Vous l’avez vu, depuis la sortie de votre livre?

Non, le dernier contact date de mon excardination (ndlr: le fait de se séparer de son diocèse pour un prêtre), il y a une année et demie.

Vous avez des anecdotes terribles sur les évêques, dans votre livre. Vous racontez par exemple le moment où l’un d’eux laisse des enfants en plan pour courir après sa calotte emportée par le vent. Vous réglez enfin vos comptes?

Pas du tout. D’ailleurs je ne cite jamais les noms des personnes concernées par ces épisodes, qui ont près de trente ans pour certains. En fait, je réponds simplement à une demande du pape François : au travers des faits concrets que j’ai vécus, et que je rapporte ici, j’essaie de dire ce qui peut être fait pour améliorer la conduite de l’Église, qui est extrêmement lourde pour les évêques. Actuellement, ces derniers concentrent les pouvoirs de chefs spirituels, de patrons et de juges suprêmes. Or je crois que ce système doit être dépassé, car il écrase les hommes qui ont ces fonctions. Et quand on est écrasé, on ne fait pas toujours du bon travail.

Vous proposez un « renouveau », dans la gestion des diocèses, que vous opposez à la tentation de la « liquidation partielle ». C’est une décision en particulier de Mgr Morerod à laquelle vous vous attaquez ici?

Mon propos est plus général: j’ai le sentiment qu’il faut décentraliser la conduite de l’église. Beaucoup de choses qui sont aujourd’hui décidées par Rome doivent l’être sur place, à la lumière des besoins que les gens ressentent réellement, dans leur diocèse. A ce moment-là, je suis convaincu qu’une forme de crédibilité de l’église reviendra.

Vous avez été un homme de pouvoir, dans la religion comme en politique, d’ailleurs. N’est-ce pas un peu paradoxal, aujourd’hui, de vouloir casser le système?

Mais je ne veux pas «casser le système» ! Je veux simplement que les pouvoirs soient confiés à des personnes qui ont les charismes nécessaires pour les assumer. Je n’apporte rien de nouveau par rapport aux piliers de la foi: ce que je fais, c’est puiser dans l’histoire de l’Église pour trouver les bonnes réponses à des problèmes structurels. Jusqu’au XIIe siècle, par exemple, on avait une séparation des pouvoirs, que j’appelle un «splitting» dans mon livre. C’est seulement après cette époque qu’on a concentré les différents ministères sur des personnes ordonnées. Jusqu’alors, dans certaines abbayes territoriales, le pouvoir administratif et décisionnel pouvait même être en main d’une femme, abbesse, qui était mitrée et crossée.

Ces jours, on vous découvre d’une manière très éloignée de l’image plutôt stricte qui était la vôtre durant votre «pic médiatique», à la fin des années 2000. Aviez-vous l’envie, en quelque sorte, de vous «mettre à nu»?

Peut-être l’envie de mettre de la distance avec l’image que l’on m’a faite. Ce ne sont pas que les médias qui en sont responsables, d’ailleurs. Ils faisaient avec ce qu’ils recevaient comme «nourriture» et je crois qu’il y a eu beaucoup de médisance et de jalousie à mon égard à cette période. Il est vrai que j’ai eu subitement un certain pouvoir lorsque Mgr Genoud était malade. Par loyauté envers lui, j’ai accompli le travail qu’il me confiait tout en sachant bien que cela allait m’attirer la critique de confrères. Et je suis moi-même capable de critique envers ma propre situation: dans le contexte des affaires d’abus sexuels à la fin des années 2000, par exemple, j’ai été à la fois official, donc un homme de justice au niveau du diocèse, et porte-parole. Un mélange qui n’était pas idéal.

Est-ce qu’il y a une part d’opportunisme, aujourd’hui, à vous présenter comme un réformiste sous un pontificat qui prône ce genre de choses, tandis que vous apparaissiez comme un conservateur sous Benoît XVI?

Mais j’étais porte-parole, à l’époque, et j’exerçais un ministère directement lié à l’évêque. Désormais, je me sens beaucoup plus libre parce que je suis un prêtre en paroisse et un théologien, qui prend le risque de la parole conformément à la demande du pape. Franchement, il n’y a pas d’opportunisme dans ma démarche. Ce qui m’a incité à écrire ce livre, c’est de voir des gens qui souffrent à cause du système, et qui n’osent pas parler.

Ces gens, vous les avez rencontrés quand?

Principalement ces dix dernières années. Je me sens le devoir de les aider.

Vous vous montrez parfois très élogieux à l’égard de l’Église allemande, ou suisse allemande, alors qu’elles sont tout de même très libérales et marquées par le protestantisme. C’est un hasard?

Martin Luther lui-même voulait ce que beaucoup voudraient aujourd’hui: faire évoluer l’église parce qu’il voyait que ça ne marchait pas bien sur certains points. Résultat, on l’a mis dehors, excommunié. Aujourd’hui, je pense que nous devons tous avoir le droit de dire certaines choses sans pour autant que la communion soit blessée. Et j’aimerais même dire qu’il ne s’agit pas seulement d’un droit, mais aussi d’un devoir.

Vous avez le sentiment d’avoir fait souffrir des personnes à cause de vos fonctions. C’est un sacré poids, non ?

Oui. C’est un sacré poids. Et quand on a une responsabilité, il faut l’assumer. Et quand on décide, on mécontente souvent une partie des personnes concernées. C’est normal. Mais il faut essayer de faire au mieux, de trouver un chemin qui rassemble un maximum de personnes et qui cherche sans cesse le compromis. Mais attention, le pouvoir mal défini et mal vécu peut rapidement conduire à l’abus de pouvoir. Mon livre tente de démontrer ce mécanisme et d’esquisser aussi des solutions.