«Ielles» mangent comme des cochons

Pas grave puisque nous sommes toujours là pour servir. Alors pour aller vite, il s’agit d’un programme qui, sans doute avec le graphisme le plus moche du monde, met en scène une petite truie qui aime se rouler dans la boue avec l’enthousiasme d’un militant «woke» devant une nouvelle norme à déconstruire. «Déconstruire» les repères sociétaux, la série s’y emploie d’ailleurs avec une belle énergie puisqu’à la suite d’une pétition, le premier couple homoparental y a été introduit dans un épisode de sa septième saison. En l’occurrence, c’est une oursonne polaire qui présente sa famille arc-en-ciel à ses amis. Le tout avec un texte très fort: «Je vis avec ma maman et mon autre maman». Alors, n’étant pas spécialistes du programme, nous n’allons pas nous lancer dans une longue exégèse. Deux remarques, toutefois: tout d’abord, il y a tout de même de quoi être vexée quand on devient, devant les amis de sa descendance, «l’autre maman». Sans doute là une nouvelle discrimination à combattre dans un prochain épisode. Et surtout: on ne voit que des glucides sur la table du repas familial, et point de protéines. Pas idéal pour le développement musculaire de l’enfant, mais voilà ce qui arrive quand – n’en déplaise à la députée française Sandrine Rousseau – on a chassé tous les mâles susceptibles de faire cuire les entrecôtes.

La tiers-mondisation a du bon

Voilà une dame, brillante, polyglotte, musicienne, qui a essentiellement dirigé des fondations avant d’arriver à l’Everest politique que l’on connaît.

Pauvre Simonetta Sommaruga. Pas un jour qui passe sans que de bons gros bourrins de droite jouent aux babouins à propos de son plan pour bien passer l’hiver. Parce que voyez-vous, la socialiste a eu l’audace suprême, dans les colonnes de Blick, d’affirmer qu’elle buvait du thé chaud et portait des pulls… (bravo, vous avez bien anticipé) chauds, l’hiver. Alors que la population doit «faire des sacrifices», ce genre de recommandations passent modérément bien. Et pourtant, il y a de quoi se réjouir: voilà une dame, brillante, polyglotte, musicienne, qui a essentiellement dirigé des fondations avant d’arriver à l’Everest politique que l’on connaît (et où il fait si froid). Quelqu’un de précieux pour la démocratie, donc, mais qui n’a jamais eu pour fonction de produire de la richesse. Gageons qu’après une carrière si admirable, la découverte prochaine du négoce de lapsang souchong et de pulls en poils d’alpagas lui feront quitter les rivages de l’autoritarisme économique cher à son parti.

La neutralité neutralisée

«Toutes ces options sont compatibles avec la neutralité de la Suisse», jure la Conseillère fédérale Viola Amherd

La Suisse doit se rapprocher de ses voisins pour assurer sa sécurité. C’est ce qu’annonce un rapport complémentaire du Conseil fédéral, qui prône l’intensification du partenariat» – en langage clair, la soumission – avec l’Otan. Mais puisque nos bons maîtres aiment les cache-sexes, à part de temps en temps sous un bureau ovale, réjouissons-nous: «Toutes ces options sont compatibles avec la neutralité de la Suisse», jure la Conseillère fédérale Viola Amherd. On n’en doutait pas, et l’émotion nous gagne rien qu’en imaginant nos recrues aller lâcher des bombes en toute neutralité sur les gens que nous sanctionnons déjà économiquement de façon impartiale.

Loup y es-tu?

Naia Okami est une femme transgenre – donc biologiquement un homme – qui s’identifie à un loup de Colombie-Britannique

Honnêtement, nous voulions une photo d’animal pour boucler cette page. En France, il y avait cette histoire de gens qui souhaitent interdire les balades à dos d’ânes pour les enfants, qui nous séduisait. Mais, plus classiquement, nous avons décidé de nous rabattre sur une femme transgenre – donc biologiquement un homme – qui s’identifie à un loup de Colombie-Britannique, et parfois aussi à un renard roux. Une particularité qui la fait appartenir à une nouvelle minorité, celle des thérianes, qui n’attendra pas bien longtemps avant de réclamer de nouveaux droits absurdes. Ce canidé transgenre répondant au doux nom de Naia Okami fait un peu parler de lui ces derniers jours, avec un passage remarqué dans une émission à sa gloire. Nous profitons de sa gloire momentanée pour nous adresser à l’animal afin de l’inviter à éviter les montagnes valaisannes.




La politique de l’immobilisme

1. Honneur aux dames

Mireille Vallette, dans son blog «Boulevard de l’islamisme», nous conte l’histoire de Marie. Mère de deux enfants de nationalité suisse et saoudienne, elle-même a porté divers voiles islamiques et, depuis cette période, se bat contre ces mœurs. Établie à Genève, elle observe fin juillet une femme devant le change Migros de Rive, le visage dissimulé. Elle l’interpelle pour lui rappeler qu’en Suisse a été votée une loi qui interdit de se voiler le visage. L’altercation se termine par un appel de Marie à la police. Une patrouille arrive et Marie explique à la policière la situation. Cette dernière «se montre stupéfaite, lui rit au nez, lui lance qu’il existe une marge d’interprétation de la loi et la laisse en plan».

Marie se renseigne auprès du porte-parole de la police, qui lui apprend qu’il n’existe pas encore de base légale pour sanctionner. Ce sera fait pour mars 2023. Rappelons que la loi en question a été votée au niveau fédéral en 2021. À Genève, des exceptions permettront de toute manière aux femmes de se recouvrir «si la dissimulation du visage est nécessaire à la liberté d’expression ou de réunion ou s’il s’agit de l’expression imagée d’une opinion». Nous voilà bien loin, en temps et en volonté politique, du respect du verdict des urnes.

2. Mendicité et droits de l’homme

Autre exemple: la mendicité. Une loi datant de 2008 interdisait de faire la manche sur tout le territoire genevois. La Cour européenne des droits de l’homme avait alors condamné la Suisse: interdire cette pratique serait contraire aux droits humains. La loi a donc été suspendue et les rues du canton prises d’assaut par les mendiants. Ce qui est encore le cas, bien qu’une nouvelle loi ait été votée par le Grand Conseil en décembre 2021. Celle-ci n’interdit pas la mendicité, à part près des écoles et des commerces. Là encore, contestation immédiate. Début août, la Chambre constitutionnelle genevoise valide la nouvelle loi et irrite les défenseurs des mendiants, qui entendent saisir le Tribunal fédéral. De son côté, le Département de la sécurité précise déjà qu’il ne faudra pas s’attendre à une multiplication des interventions policières: «Les injonctions aux intéressés seront toujours privilégiées par rapport aux sanctions tant que les forces de l’ordre ne seront pas confrontées à une opposition manifeste». Voilà quinze ans que dure ce dossier dans lequel on cherchera vainement une quelconque détermination du côté de l’exécutif.

3. Les dépanneurs

Les «dépanneurs», ce sont ces petites épiceries qui se multiplient dans les grandes villes. Le Grand Conseil s’est penché à plusieurs reprises sur ce sujet. Dès 2014, le député Thierry Cerutti (MCG) faisait part de ses préoccupations devant le développement de ces boutiques qui «viennent systématiquement remplacer les commerces de proximité voués à la disparition». Plusieurs auditions, dont celle de Pierre Maudet, alors conseiller d’État, démontraient que le problème était connu des autorités. L’élu soulignait «le développement autour de ces établissements de divers trafics, de nuisances en tout genre et même de bagarres impliquant l’intervention répétée de la police». Et de préciser que «toutes ces incivilités et infractions allant du simple délit à l’activité criminelle font d’ailleurs l’objet d’enquêtes plus approfondies de la part de la police judiciaire (blanchiment, recel, vente d’alcool, drogue, etc.)».

Que s’est-il passé depuis lors? Créée en 2016, c’est seulement fin 2019 que l’Inspection paritaire des entreprises (IPE) fait part de ses préoccupations concernant les dépanneurs, les barbiers et les coiffeurs. Les épiceries ouvertes 7/7 ne respectent pas la loi cantonale sur les heures d’ouverture dominicales, pas plus que la loi fédérale sur le travail. Seuls les cadres peuvent en effet exercer une activité le dimanche. Or, l’IPE a constaté que cette règle était souvent ignorée, voire contournée. «Une entreprise a inscrit six personnes comme patrons au Registre du commerce avec deux employés. Cinq d’entre elles possèdent une part sociale, la sixième tout le reste», a expliqué à la presse Joël Varone, président de l’IPE.

Ce n’est là qu’un des multiples problèmes rencontrés par la trentaine d’inspecteurs de l’IPE. Et de rappeler qu’une première condamnation a été rendue en 2019 pour violation de la loi sur le travail. L’entreprise fautive a écopé de 90 jours-amende à 150 fr. avec sursis. «Le Ministère public a tapé fort», s’est réjouie Mafalda D’Alfonso, juriste de l’association paritaire. Plusieurs autres cas ont été dénoncés aux autorités pénales. Ce qui n’empêche pas les dépanneurs et autres commerces ethniques de se multiplier.

Commentaire

Ces trois dossiers bien connus agacent les Genevois, tout comme les élus de tout bord que l’exécutif traite avec beaucoup de légèreté. Pour ne pas dire plus. Les habitants de la Cité de Calvin connaissent par cœur les litanies gouvernementales. Le voile intégral? Ce ne sont que quelques cas isolés qui ne méritent pas sévérité. La mendicité ? Elle ne gêne personne. Ce qui n’est pas vrai. Et le Conseil d’État feint d’ignorer les problèmes graves d’hygiène, les camps sauvages au bord de l’Arve et une précarité qui oblige les autorités à héberger les mendiants par temps froid. La facture devient salée pour les contribuables et coule certains budgets communaux. Quant aux dépanneurs, nous sommes au comble de l’hypocrisie. Ces commerces se multiplient sous nos yeux au détriment d’autres négoces, souvent avec l’aide de fonds douteux. Ils ne répondent souvent pas aux exigences légales, concurrencent les épiceries installées de longue date, vendent alcool et tabac aux heures interdites par la loi. Ils étaient 35 commerces aux Pâquis en 2014, ils y sont plus de 60 aujourd’hui. Ils se sont en outre éparpillés dans toutes les communes. Tous ces cas prouvent le laisser-aller du Conseil d’État, à l’image de son Service du commerce défaillant depuis trente ans. Tous démontrent l’absence de volonté politique… hors des campagnes électorales bien sûr !




Extinction Rebellion s’essaye à la spiritualité

«Ce groupe s’inscrit dans la lignée de la culture régénératrice et se veut une invitation à prendre soin, à se relier à soi, aux autres.» A première vue, un tel texte évoque tout au plus la fin de séance de yoga et les huiles essentielles, mais rien de bien choquant. Pourtant, cet été, c’est à une véritable volée de bois vert qu’ont dû faire face les militants de «XR Spi», déclinaison «méditative» d’Extinction Rebellion, avec le faire-part de naissance de leur groupe. Annoncée par le compte Twitter du mouvement, en France, la démarche inclusive, sans coloration religieuse spécifique, a suscité des accusations de dérives sectaires, de piège new age, voire carrément de pétainisme. «La parution d’articles à la suite de notre week-end inaugural a fait réagir sur les réseaux sociaux de manière aussi violente qu’inattendue», concède Yaya Tigwenn, activiste. Elle évoque toutefois un accueil globalement très bienveillant dans le milieu. Elle poursuit: «Quelques personnes d’XR ont souffert de la mauvaise publicité rejaillissant alors sur l’ensemble du mouvement… Ce fut un moment compliqué qu’il nous faudra panser et (re)penser». Selon elle, aucun militant suisse ne s’est joint à l’événement, malgré une invitation envoyée aux camarades helvètes.

Le projet «Spi» d’XR est d’ailleurs accueilli avec des sentiments divers en Suisse. «C’est positif qu’il y ait une grande diversité de mouvements qui s’intéressent à une écologie radicale, autant de portes d’entrée qui diffusent à des publics divers un message qui doit l’être le plus vite et largement possible», juge par exemple Théophile Schenker, député Vert-e-s vaudois. A ses yeux, des personnes qui souffrent «d’éco-anxiété» peuvent trouver une aide dans une telle démarche. L’enthousiasme s’arrêtera là: «A l’interface entre écologie et spiritualité, il y a une pente glissante très claire vers l’anthroposophie et les croyances new age, qui causent déjà suffisamment de dégâts au mouvement écologiste et sont complètement incompatibles avec les bases scientifiques solides sur lesquelles XR construit ses revendications.» Et d’appeler le dernier-né du mouvement à se distancier au plus vite de ces dérives.




Trop blancs pour chanter

I l était une fois un concert de reggae organisé dans un lieu alternatif de la capitale. Plutôt: il était une fois un concert de reggae interrompu par ses propres organisateurs, la Brasserie Lorraine, à Berne. Motif? Les musiciens sont blancs! Pire, ils osent arborer des dreadlocks, sur leurs têtes de blancs. Ne riez pas, les tenanciers du lieu ont plié sous la pression d’un petit comité qui s’est senti «mal à l’aise» (unwohl en allemand), invoquant l’«appropriation culturelle» par le groupe qui devait se produire lors de la soirée du 18 juillet.

Lavant plus blanc que blanc, la Brasserie Lorraine en a rajouté une couche sur sa page Facebook. Morceaux choisis: «Nous tenons à nous excuser auprès de toutes les personnes à qui le concert a causé de mauvais sentiments. Nous sommes responsables étant donné que nous avons invité le groupe Lauwarm à jouer dans notre établissement.» Ou encore: «Notre manque de sensibilité et les réactions de nombreux invités à l’annulation du concert nous ont montré une fois de plus que le sujet est chargé émotionnellement.» Et la Brasserie Lorraine de conclure son message ainsi: «Le racisme et les autres discriminations n’ont pas leur place chez nous.» Comment appelle-t-on le fait de refuser l’accès à sa scène pour des raisons de couleur de peau ou de coupe de cheveux?

Bourde sur bourde

Les réactions sous la publication de la Brasserie Lorraine montrent que la manœuvre ne passe pas vraiment. En plus d’un nombre de «smileys » colériques ou hilares plus important que ceux montrant une approbation, on peut lire des commentaires plutôt épicés: «Je suis mort de rire», «Terrorisme culturel!», ou encore un autre, plus préoccupant. Un utilisateur de Facebook présent lors de la soirée écrit qu’il s’est permis de demander aux organisateurs du concert si ce n’était justement pas du racisme que d’empêcher des caucasiens de se produire pour le motif qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau. Il s’est apparemment vu répondre: «Certainement pas, étant donné que c’est une minorité qui s’est sentie heurtée.»

Dès lors, que se passerait-il si les lieux accueillaient un concerto de Vivaldi interprété par des musiciens «racisés» et qu’un groupe de caucasiens faisait part de son «malaise» au personnel du lieu?

Non contente de se prendre une veste sur le réseau social, la Brasserie Lorraine a remis le couvert le lendemain par le biais d’un communiqué de presse, posté sur la page du bar. Le collectif gérant le lieu s’y dit «très surpris que la publication Facebook ait fait autant de vagues». Résultat: une nouvelle vague d’indignation sur le réseau social. Et un ratio encore plus catastrophique entre les réactions négatives et positives. S’y ajoutent plus de 600 commentaires en à peine quelques heures, dont un cinglant: «J’espère qu’avec cette attitude vous fermerez la boutique».

Dans son texte, le collectif invoque le «racisme systémique»: «Nous ne pensons pas que les membres du groupe ou les personnes ʻblanchesʼ soient automatiquement racistes. Ici, nous quittons le niveau personnel pour parler de racisme structurel. Il y a une différence entre être un raciste avoué et reproduire inconsciemment des structures racistes.»

Soirée interdite aux hommes

Pour aborder toutes ces problématiques, la brasserie organisera une soirée de discussion le 19 août à propos de cette affaire et, surtout, de l’appropriation culturelle. Dans son document à destination des médias, elle explique qu‘il s’agira de définir «les aspects problématiques de l’appropriation culturelle dans une société postcoloniale», «ce que nous pouvons changer dans notre comportement» et enfin «le rôle du système d’asile suisse dans cette question».
En attendant, la Brasserie Lorraine prévoit, le 6 août, une soirée TINFA, soit un événement strictement interdit aux hommes cisgenres*. L’établissement explique la signification de l’acronyme: «toutes les femmes, les personnes intersexuées, les personnes non binaires, les personnes trans, les personnes sans genre ainsi que d’autres (queer) qui sont opprimées en raison de leur désir et/ou de leur identité de genre.»

*La novlangue désigne sous ce terme les personnes en adéquation avec le genre qui leur a été assigné à la naissance. Traduction: qui n’envisagent pas de changer de sexe.




« Il n’y a pas d’opportunisme de ma part »

EEn sortant de ce bistrot, que se passera-t-il si vous croisez Mgr Morerod?

Rien de particulier. On se saluera et je serai heureux de savoir comment il va.

Vous l’avez vu, depuis la sortie de votre livre?

Non, le dernier contact date de mon excardination (ndlr: le fait de se séparer de son diocèse pour un prêtre), il y a une année et demie.

Vous avez des anecdotes terribles sur les évêques, dans votre livre. Vous racontez par exemple le moment où l’un d’eux laisse des enfants en plan pour courir après sa calotte emportée par le vent. Vous réglez enfin vos comptes?

Pas du tout. D’ailleurs je ne cite jamais les noms des personnes concernées par ces épisodes, qui ont près de trente ans pour certains. En fait, je réponds simplement à une demande du pape François : au travers des faits concrets que j’ai vécus, et que je rapporte ici, j’essaie de dire ce qui peut être fait pour améliorer la conduite de l’Église, qui est extrêmement lourde pour les évêques. Actuellement, ces derniers concentrent les pouvoirs de chefs spirituels, de patrons et de juges suprêmes. Or je crois que ce système doit être dépassé, car il écrase les hommes qui ont ces fonctions. Et quand on est écrasé, on ne fait pas toujours du bon travail.

Vous proposez un « renouveau », dans la gestion des diocèses, que vous opposez à la tentation de la « liquidation partielle ». C’est une décision en particulier de Mgr Morerod à laquelle vous vous attaquez ici?

Mon propos est plus général: j’ai le sentiment qu’il faut décentraliser la conduite de l’église. Beaucoup de choses qui sont aujourd’hui décidées par Rome doivent l’être sur place, à la lumière des besoins que les gens ressentent réellement, dans leur diocèse. A ce moment-là, je suis convaincu qu’une forme de crédibilité de l’église reviendra.

Vous avez été un homme de pouvoir, dans la religion comme en politique, d’ailleurs. N’est-ce pas un peu paradoxal, aujourd’hui, de vouloir casser le système?

Mais je ne veux pas «casser le système» ! Je veux simplement que les pouvoirs soient confiés à des personnes qui ont les charismes nécessaires pour les assumer. Je n’apporte rien de nouveau par rapport aux piliers de la foi: ce que je fais, c’est puiser dans l’histoire de l’Église pour trouver les bonnes réponses à des problèmes structurels. Jusqu’au XIIe siècle, par exemple, on avait une séparation des pouvoirs, que j’appelle un «splitting» dans mon livre. C’est seulement après cette époque qu’on a concentré les différents ministères sur des personnes ordonnées. Jusqu’alors, dans certaines abbayes territoriales, le pouvoir administratif et décisionnel pouvait même être en main d’une femme, abbesse, qui était mitrée et crossée.

Ces jours, on vous découvre d’une manière très éloignée de l’image plutôt stricte qui était la vôtre durant votre «pic médiatique», à la fin des années 2000. Aviez-vous l’envie, en quelque sorte, de vous «mettre à nu»?

Peut-être l’envie de mettre de la distance avec l’image que l’on m’a faite. Ce ne sont pas que les médias qui en sont responsables, d’ailleurs. Ils faisaient avec ce qu’ils recevaient comme «nourriture» et je crois qu’il y a eu beaucoup de médisance et de jalousie à mon égard à cette période. Il est vrai que j’ai eu subitement un certain pouvoir lorsque Mgr Genoud était malade. Par loyauté envers lui, j’ai accompli le travail qu’il me confiait tout en sachant bien que cela allait m’attirer la critique de confrères. Et je suis moi-même capable de critique envers ma propre situation: dans le contexte des affaires d’abus sexuels à la fin des années 2000, par exemple, j’ai été à la fois official, donc un homme de justice au niveau du diocèse, et porte-parole. Un mélange qui n’était pas idéal.

Est-ce qu’il y a une part d’opportunisme, aujourd’hui, à vous présenter comme un réformiste sous un pontificat qui prône ce genre de choses, tandis que vous apparaissiez comme un conservateur sous Benoît XVI?

Mais j’étais porte-parole, à l’époque, et j’exerçais un ministère directement lié à l’évêque. Désormais, je me sens beaucoup plus libre parce que je suis un prêtre en paroisse et un théologien, qui prend le risque de la parole conformément à la demande du pape. Franchement, il n’y a pas d’opportunisme dans ma démarche. Ce qui m’a incité à écrire ce livre, c’est de voir des gens qui souffrent à cause du système, et qui n’osent pas parler.

Ces gens, vous les avez rencontrés quand?

Principalement ces dix dernières années. Je me sens le devoir de les aider.

Vous vous montrez parfois très élogieux à l’égard de l’Église allemande, ou suisse allemande, alors qu’elles sont tout de même très libérales et marquées par le protestantisme. C’est un hasard?

Martin Luther lui-même voulait ce que beaucoup voudraient aujourd’hui: faire évoluer l’église parce qu’il voyait que ça ne marchait pas bien sur certains points. Résultat, on l’a mis dehors, excommunié. Aujourd’hui, je pense que nous devons tous avoir le droit de dire certaines choses sans pour autant que la communion soit blessée. Et j’aimerais même dire qu’il ne s’agit pas seulement d’un droit, mais aussi d’un devoir.

Vous avez le sentiment d’avoir fait souffrir des personnes à cause de vos fonctions. C’est un sacré poids, non ?

Oui. C’est un sacré poids. Et quand on a une responsabilité, il faut l’assumer. Et quand on décide, on mécontente souvent une partie des personnes concernées. C’est normal. Mais il faut essayer de faire au mieux, de trouver un chemin qui rassemble un maximum de personnes et qui cherche sans cesse le compromis. Mais attention, le pouvoir mal défini et mal vécu peut rapidement conduire à l’abus de pouvoir. Mon livre tente de démontrer ce mécanisme et d’esquisser aussi des solutions.




Faire vivre la tradition, à la façon écolo

Alberto Mocchi, vous avez présenté votre choix comme «utile» et «écologique», dans 24 heures. Ce sont les mots-clés d’un nouveau puritanisme?

Je ne crois pas. D’abord, il faut en revenir à ce qu’est fondamentalement le 1er août, à savoir une fête où l’on célèbre un certain nombre de valeurs qui nous font vivre ensemble. Cela une fois posé, qu’est-ce qui nous conduit à nous rassembler physiquement à cette occasion ? Des explosions dans le ciel, ou un brunch convivial ? Aujourd’hui, je constate qu’il y a plus de gens qui participent à notre événement qu’il y a trois ou quatre ans. A l’évidence, les feux ne sont donc pas incontournables. De plus, notre brunch donne un coup de pouce bienvenu à l’économie locale, durement éprouvée par le Covid. Et puis je dois dire que je ne vois pas en quoi manger de la tresse, de la confiture d’abricot ou de la charcuterie serait particulièrement puritain…

C’est bien gentil d’offrir du miel à vos habitants le 1er août, mais les souvenirs, la poésie d’un ciel qui s’embrase, ça ne vous dit rien, à vous?

Oui, bien sûr que ça me dit quelque chose. Nous avons d’ailleurs gardé le grand feu et les lampions, et nous n’interdisons pas aux personnes qui le souhaitent de tirer leurs fusées, sauf raisons de sécheresse. Mais il faut tout de même garder en tête que certaines personnes détestent les feux d’artifice alors que personne ne déteste les brunchs. Depuis le changement de programme des festivités, l’an dernier, nous n’avons reçu aucun commentaire négatif. Peut-être que des gens ont râlé chez eux, mais tous les retours ont été encourageants, y compris ceux de gens de droite, ou plutôt conservateurs.

N’avez-vous pas le sentiment de faire de l’écologie une matrice d’interdictions en tout genre?

Je n’interdis rien. Je fais un choix de politique publique et tout un chacun est libre d’aller à Lausanne Ouchy ou ailleurs pour regarder des feux d’artifice si telle est sa préférence. La Municipalité de Daillens a simplement fait une autre proposition. Les fêtes évoluent ; je ne pense pas que nous fêtions le 1er août de la même manière qu’en 1922 ! A chaque époque, certaines innovations, comme peut-être les feux d’artifice d’ailleurs, ont dû représenter une épouvantable diablerie moderne. Je ne crois pas au progrès constant et linéaire, mais je pense que c’est en faisant évoluer les traditions qu’on leur permet de survivre.

Doit-on simplement accepter de renoncer à tous les charmes de notre style de vie parce que c’est bon pour la planète?

On doit renoncer à certains éléments, pas à tout. Aujourd’hui, on vit depuis trop longtemps à crédit et certains comportements ne sont tout simplement plus acceptables, car nous n’en avons plus les moyens. Par analogie avec un ménage, on ne peut continuer à s’endetter et à gaspiller sans cesse : à un moment donné les créanciers – dans notre cas l’environnement – finissent par réclamer leur dû. En être conscients est juste une question de bon sens, pas d’idéologie.

Commentaire

D’accord, il tient un blog sur Le Temps qui fait la part belle à une langue inclusive qui ne nous est guère agréable, que ce soit esthétiquement ou idéologiquement. Mais avec son souci de marier traditions, patriotisme et question écologique, Alberto Mocchi représente une sensibilité verte qu’il nous faut saluer. Parce qu’au lieu d’interdire les joies les plus innocentes, comme faire partir des fusées lors du 1er août, elle propose autre chose. Un brunch, en l’occurrence, avec de la viande pour ceux qui en veulent.
Est-ce à dire que nous aussi, au nom d’une eschatologie écologiste étouffante, considérons qu’il faut renoncer à ces moments traditionnels de fête fédérale où le ciel s’enflamme, et les yeux des enfants s’émerveillent ? Certainement pas, car pour important qu’il soit, le respect de la Création ne doit pas prendre le pas sur la célébration, un jour par an, de la communauté politique. On connaît tellement de situations où la modernité des incultes vient polluer la nature – pensons aux randonneurs équipés de boombox – que l’on ne comprend d’ailleurs pas trop pourquoi les festivités du 1er août, en particulier, semblent soudainement si dramatiques.
Peut-être parce que l’on veut bien honorer encore les traditions, mais à condition de les stériliser, de les rendre responsables. C’est sans doute le prix de leur survie, et au moins peut-on se réjouir de voir un Vert, solidement implanté dans la vie locale, veiller à sa manière au maintien de l’identité de notre beau pays.




Tofu le camp

Déjà personnalité de l’année de l’association animaliste PETA en 2015, le pape François poursuit sur sa lancée, très soucieux du bien-être de nos amies les bêtes. Cette fois avec un message fort adressé aux participants d’une conférence de l’UE pour les jeunes qui se tenait à Prague ces derniers jours. «Dans certaines parties du monde, a expliqué l’Argentin, il conviendrait de diminuer la consommation de viande», sachant que «cela aussi pouvait contribuer à sauver l’environnement». Sages paroles, qui vont certainement amener l’activiste climatique Greta Thunberg à la messe. Pour autant évidemment, que quelqu’un se charge de lui préciser que dans le catholicisme, ce n’est visiblement plus Dieu qui sauve, mais bien le discours des jeunes vert-e-x-s.

Comme nous avons le goût de l’enquête, au Peuple, nous nous sommes plongés dans un livre consacré aux recettes en vogue du côté du Vatican, sorti en Suisse en 2015. On y apprend que le successeur de saint Pierre raffole d’empanadas farcis de bœuf haché et de colita de cuadril, recette de bœuf (à braiser cette fois). Deux spécialités, fort sympathiques par ailleurs, que l’on imagine compliquées à préparer avec du tofu. Comme quoi l’évêque de Rome sait concilier souci de l’environnement et plaisirs de la table. Reste qu’à force de donner des gages à des gens qui ne se reconnaissent de toute façon pas dans le discours de l’église, on peut se demander s’il existera encore longtemps une église pour bousculer ses adversaires




Apolitique mais pas trop

«La SSUP essaie d’empêcher l’instrumentalisation politique du Grütli». Soit, noble idéal. Mais un observateur attentif aura tôt fait de flairer l’arnaque. Notre «Grütli apolitique» est-il vraiment vierge de toute motivation politique? Dans le style au moins, les documents de la SSUP – organisatrice l’an dernier d’un «Grütli des femmes» – pastichent à merveille les discours internationalistes du parti socialiste. On y apprend notamment que «le Grütli devrait servir à la cohésion des différentes cultures en Suisse», ou encore que «ce lieu emblématique devrait également exprimer l’ouverture de la Suisse au monde». La SSUP tient aussi à montrer son aversion radicale pour toute forme de conservatisme: «Après la Seconde Guerre mondiale, lit-on quelques lignes plus loin, le Grütli [a perdu] sa symbolique de liberté, indépendance et résistance, étant plutôt utilisé pour la propagande conservatrice, patriarcale, voire xénophobe.» Ce à quoi le Règlement d’utilisation de la prairie du Grütli le 1er août ajoute: «Il est interdit de prendre avec soi […] du matériel de propagande.» Reste à savoir de quel matériel il peut s’agir.

Un hymne national revisité

Qu’y a-t-il de plus conservateur qu’un «hymne national», d’une part, qui contient des phrases du type «Suisse, espère en Dieu toujours!» d’autre part? Pas grand-chose. Raison pour laquelle, peut-être, le Cantique suisse n’est plus chanté le 1er août sur le Grütli. Depuis quelques années, la SSUP y a substitué un nouveau chant, plus inclusif. La mélodie semblable, le texte différent. Les accents émus d’un cœur pieux ont disparu, remplacés par ces strophes si poétiques:

Sur fond rouge la croix blanche,
symbole de notre alliance,
signe de paix et d’indépendance.
Ouvrons notre cœur à l’équité
et respectons nos diversités.
A chacun la liberté
dans la solidarité.
Notre drapeau suisse déployé,
symbole de paix et de liberté.

Ce à quoi la SSUP ajoute une couche supplémentaire d’«ouverture» en proposant, en plus des quatre langues nationales, une version anglaise du nouvel hymne national, dont voici un extrait:


Open to the world in solidarity,
Swiss are one in peace and diversity.

Contactée, la SSUP nous a expliqué que «les paroles traditionnelles de l’hymne national ne sont pas chantées du tout le 1er août», et que «tous les participants sont encouragés à chanter les nouvelles paroles, même si on ne leur interdit pas de chanter les paroles traditionnelles». En somme, chacun fait ce qu’il veut, la cacophonie ayant remplacé la traditionnelle cohésion fédérale. Quoi qu’il en soit, ouverts au monde dans la solidarité ou pas, les participants de la fête du Grütli en 2022, placée sous le signe de la «lutte pacifique» – qu’est censée représenter le lutte suisse – seront invités à traiter le lieu au moins aussi bien que des toilettes publiques, puisque le règlement se conlut sur ces mots doux: «En quittant la prairie du Grütli, veuillez la laisser dans le même état qu’à votre arrivée.»




Pour une histoire méditative…

Il y a quelques années, un professeur d’université n’hésitait pas à affirmer que «c’est la pensée de l’historien qui crée le fait historique». L’éminent homme voulait faire comprendre à ses étudiants que l’histoire est une construction et non un fait. Il en va de même dans l’enseignement obligatoire, où les élèves doivent «construire» l’histoire, non sans l’avoir «déconstruite» au préalable, à l’aide de «situations problèmes». Est-ce étonnant ? Non, l’histoire est davantage devenue le lieu du «mémoriel». Comme l’écrivait déjà Dom Guéranger en 1858: «Le grand malheur de l’historien serait de prendre pour règle d’appréciation les idées du jour, et de les transposer dans ses jugements sur le passé.»

Mais qu’est-ce que l’histoire ? Pour l’historien et paléographe Charles Samaran (1879-1982), l’histoire est une «connaissance du passé humain fondée sur le témoignage». De plus, il n’y a «pas d’histoire sans documents, le mot document étant pris au sens le plus large: document écrit, figuré, transmis par le son, l’image ou toute autre manière.» Enfin, «il n’y a pas d’histoire sans érudition, c’est-à-dire sans critique préalable des témoignages.» Connaissance du passé, documents et érudition, mais où est «le devoir de mémoire» si cher à nos contemporains? Dans son brillant essai sur l’histoire des Européens, Dominique Venner (1935-2013) éclaire notre lanterne à ce sujet: «Bien que le domaine de l’histoire soit le mémorable, la «mémoire», tant invoquée à la fin du XXe siècle, se distingue de l’histoire. L’histoire est factuelle et philosophique alors que la mémoire est mythique et fondatrice.»

Fondateur du Grapo

Pio Moa illustre très bien cette démarche. Né en 1948, activiste antifranquiste, membre fondateur du mouvement terroriste GRAPO (l’aile armée du parti communiste espagnol), il se retire de l’action politique au début des années huitante. De 1988 à 1990, il dirige deux revues historiques espagnoles et devient bibliothécaire de l’Ateneo de Madrid. C’est en cette qualité qu’il a pu avoir accès aux archives de la Fondation socialiste Pablo Iglesias. Il vit là son chemin de Damas. Après une étude minutieuse des documents, il arrive à la conclusion que les responsabilités de la guerre civile incombent à la gauche. Il n’est plus question de «mémoire» mais de faits.
Outre une substantielle introduction pour le lecteur francophone, rédigée par Arnaud Imatz qui replace l’ouvrage dans son contexte, le livre se divise en deux parties. Dans la première partie, l’auteur présente les différents personnages politiques qui interviennent dans cette marche vers la guerre. Il clôt cette galerie de portraits par d’intéressantes considérations sur les causes de la guerre civile. La deuxième partie, quant à elle, répond à différentes questions précises telles que: «L’or envoyé à Moscou, un mythe franquiste?», «La plus grande persécution religieuse de l’histoire», «L’énigme Franco», etc.

L’ouvrage de Pio Moa nous rappelle que le mot d’ordre de l’historien n’est pas de juger mais de comprendre. Il est commode de condamner mais il est plus difficile de comprendre. L’autre, celui qui ne pense pas comme nous, ne doit pas devenir nécessairement un suspect, un ennemi ou pire un monstre. Une fois de plus, il nous faut rencontrer l’humain dans toute son épaisseur, ses paradoxes et ses contradictions. En ce sens, l’histoire devient une compréhension méditative, j’oserais même dire contemplative du passé. A rebours de tout prêt-à-penser, l’histoire peut enfin être source d’identité, de sagesse ainsi qu’une aide pour supporter le présent.




Le Peuple en goguette à la Radio

C’est pourtant l’hypothèse plusieurs fois soulevée lors du passage du Peuple sur les ondes de la RTS, samedi 14 mai. Alors nous n’allons pas cracher dans la soupe – connue pour être pleine sur notre service public – et tenons à vivement saluer l’ouverture d’esprit de l’émission Forum qui, non contente de s’intéresser à notre cas, s’est également penchée sur celui de nos amis de Liber-thé et à diverses expériences libertariennes, dans la même édition. Reste une observation qui ne manque pas de sel: ainsi, parce qu’il défend une ligne qui n’est pas celle, hégémonique dans les médias, du progressisme sous perfusion étatique, Le Peuple serait du côté du pouvoir, des méchants capitalistes voire du trumpisme.
Suggérer une telle hypothèse, dans le jargon, s’appelle tenir un angle, et il n’est pas question pour nous de reprocher à notre confrère Renaud Malik d’avoir – autre terme jargonnant –bien vendu son interview. Impossible néanmoins de ne pas constater un glissement des rapports de force qui en dit long sur notre société : les personnes croyant incarner la pensée critique, les Blick, les RTS, les Tamedia… toutes, quelles que soient leurs qualités respectives, travaillent dans des conditions matérielles généralement plus confortables que les acteurs qui, comme L’Antipresse, Le Regard Libre ou La Nation, s’efforcent de rééquilibrer le paysage médiatique. Assez piquant, donc, de constater que ce sont souvent les journalistes qui travaillent en haut d’une tour (d’ivoire) qui voient chez leurs adversaires idéologiques les représentants du pouvoir.