La grillade, ce truc de mecs

On l’a présentée comme une radicale, une gaffeuse, voire une cinglée. Pourtant, en affirmant la réalité d’un lien entre goût pour le bœuf grillé et masculinité triomphante, l’économiste et femme politique Sandrine Rousseau n’a rien fait d’autre que répéter un point doctrinal courant au sein des courants écoféministes.

Porte-parole de l’association PEA – Pour l’Égalité Animale, Pia Shazar le confirme sur deux questions clés:

Existe-t-il un lien entre culte de la virilité et consommation de viande?
Oui, nous partageons le constat des liens clairs et avérés entre viande et virilisme. C’est une évidence que le barbecue est un symbole de virilité, comme l’attestent les analyses des publicités faites par exemple par Carol Adams ou Axelle Playoust-Braure. Les études montrent également que les hommes consomment beaucoup plus de viande que les femmes ou encore que la population végétarienne est majoritairement féminine.

De façon générale, l’on voit également une tendance plus réactionnaire chez les hommes que chez les femmes lorsqu’il s’agit du traitement de la question animale en politique. Les sondages au sujet des prochaines votations contre l’élevage intensif en sont un bon exemple puisqu’ils démontrent que 64% des femmes interrogées seraient favorables à cette initiative, contre seulement 44% des hommes. On peut lire ces chiffres de différentes manières. Une chose est sûre, l’animalisme a été historiquement et majoritairement porté par des femmes, et selon nous, il n’y a pas de hasard, mais une condition commune, une cause commune entre individus considérés de second rang.

Un barbecue féministe est-il possible, à vos yeux?

L’idée d’un barbecue féministe semble alors absurde et contradictoire. La consommation de viande a quelque chose à voir avec le virilisme et donc avec une forme de sexisme dans la mesure où il consiste en une chosification des corps que l’on s’approprie et que l’on consomme.
La proximité avec la façon dont notre société sexiste traite et (dé)considère les corps des femmes est ainsi flagrante. Manger quelqu’un est un acte d’une violence innommable, c’est traiter l’autre comme moins qu’un objet, c’est asseoir sa domination, c’est faire sien et tuer l’autre, c’est faire fi du consentement. Manger quelqu’un, en somme, semble bien loin de toute interprétation des valeurs féministes.
Ce n’est donc probablement pas un hasard non plus que les hommes se sentent menacés par l’antispécisme ou le véganisme, c’est que cette idéologie et cette pratique bousculent des logiques suprémacistes qui se sont construites à leur bénéfice, c’est que ça vient les remettre à leur place; c’est à dire, à égalité. Et ça, bien des hommes, n’en veulent manifestement pas.

Commentaire

Parfaitement libres, nous ne détestons pas non plus les contre-pieds, au Peuple. Pas au point, cependant, de présenter l’ineffable Sandrine Rousseau comme un phare de la pensée contemporaine. Mais plus que ses propos sur la viande, c’est surtout son souhait, exprimé au début du mois, d’inventer des délits pour non-respect des tâches ménagères qui nous pétrifie. Voici une femme, intelligente à l’évidence, qui se targue de venir fliquer nos vies privées et, en particulier, la manière dont les uns et les autres se répartissent les responsabilités logistiques. Un tel projet semble autrement plus inquiétant que l’idée, qui se constate aisément dans la vie de tous les jours, selon laquelle les hommes seraient plus carnassiers que les dames. Il faut n’avoir jamais participé à un giron ou à une soirée entre amis pour constater la répartition genrée des fonctions alimentaires.
Dans ses réponses à nos questions, l’association PEA – Pour l’Égalité Animale, explique d’ailleurs avec des arguments valables que ce lien n’est pas fantasmé, mais résulte d’une construction sociale. La question n’est donc pas de remettre en cause la rigueur intellectuelle de ceux qui s’opposent à la consommation de viande, ou à l’élevage intensif, mais de savoir si le monde labellisé sans souffrance qu’ils nous promettent ne sera pas pire que celui qu’ils veulent effacer. Il est peut-être des constructions et des normes sociales qui répondent à des nécessités. Il est peut-être des réalités économiques qui ne cochent pas toutes les cases du paradis sur terre, mais qui permettent à la population de se nourrir sans se ruiner intégralement. Que les femmes fassent davantage la salade que les hommes est un enjeu qui paraît tout de même bien anodin alors que l’inflation explose et torture les familles.




Anatomie d’un délire bien-pensant

Nous sommes vendredi 2 septembre en fin de journée, à Henniez, devant le nouveau café exploité par la Commune. Un bistrot – déclarons d’emblée nos intérêts – qui propose Le Peuple à ses clients. L’assemblée est solide, compte-tenu des 400 habitants de l’endroit, et devise tranquillement autour d’un verre tandis que la présidente du Conseil d’État, Christelle Luisier, est attendue pour un discours. La partie officielle débute. Un des exploitants des lieux, d’origine mauricienne, prend la parole le premier pour rassembler les convives. Puis paisiblement, un chœur mixte commence à chanter «bonjour» dans toutes les langues, de l’espagnol à l’arabe.
Voilà le point culminant, aussi paisible que joyeusement banal, d’une triste affaire débutée près d’une semaine plus tôt dans la presse. A l’origine, une lettre vengeresse d’un habitant, ancien patron d’un bistrot qui n’est pas parvenu à tenir sur le long terme dans la commune. Peu assidu au Conseil général, il n’en dénonce pas moins l’implication des autorités dans la mise sur pied du projet, la personne du syndic, et l’imagerie choisie pour l’endroit. «L’inadmissible, ce qui interpelle», dit-il avec emphase, est qu’un tel endroit s’appelle Le Confédéré, et montre une représentation stylisée de hallebarde dans la rue. Ce serait, apprend-on, un clin d’œil à l’extrême-droite inacceptable. Ni une ni deux, un habitant prend la défense de la Municipalité dans un deuxième tout-ménage, avant que l’exécutif lui-même réponde à son administré.

Une construction de toutes pièces

Récapitulons: un habitant mécontent sort du bois et règle ses comptes dans un tout-ménage, deux semaines avant une inauguration. Des accusations graves sont portées contre un individu, avec lequel il ne semble pas vouloir garder les vaches. A ce stade, toute cette valse d’amabilités aurait pu rester à l’état de tempête dans un verre d’eau, à ceci près que La Liberté, dont seul un photographe s’est rendu sur place, enclenche la machine. «Polémique villageoise sur le nom du bistrot», écrit-elle sur ses affichettes. Un mot-clé apparaît: diviser. Une seule personne, visiblement en rupture, se plaint d’un projet décidé au sein des instances démocratiques, mais Le Confédéré devient «le bistrot qui divise». 24 heures, quelques jours plus tard, élabore: non seulement le bistrot «divise le village au lieu de le réunir», mais «le nom et l’enseigne retenus créent la polémique».

De polémique, ce vendredi 2 septembre, il n’y en aura guère. Amusée, la présidente du Conseil d’État glissera rapidement un mot sur l’affaire dans un discours tout à fait apaisé sur les vertus de la démocratie villageoise. Quant au syndic, muet depuis le début de l’emballement médiatique, il évoquera un lieu «dédié à la joie de vivre, à la cohésion sociale». Une auberge «où se retrouvent des représentants de tous milieux». Et de citer l’auteur anglais G. K. Chesterton, pour qui «le déclin des tavernes n’est qu’un aspect du déclin général de la démocratie.»

Partie officielle terminée. Dans l’assemblée, une jeune fille voilée boit un verre de soda aux côtés de quelque sommité locale. Des enfants jouent dans le parc situé à quelques mètres. Nul esclandre. Une fête de village tout à fait banale, mais chaleureuse. Tandis que tout ce joli monde se rassasie, un nouveau reportage sur la polémique, bien difficile à constater sur place, commence à tourner sur La Télé. D’aucuns le découvriront en fin de soirée. Et l’on s’étonnera d’avoir été tous réunis par un bistrot qui, dans la langue des médias, devait diviser la population.

Comment a-t-on pu en arriver là? En trois points.

D’un point de vue journalistique, voici les éléments qui ont concouru à créer un décalage sidérant entre le récit des journalistes (présomption de sympathie pour l’extrême-droite, division du village) et la réalité, d’une glorieuse banalité.

1) La distance par rapport au terrain: Le premier article a été réalisé par une personne qui n’a pas jugé utile de se rendre sur les lieux. C’est pourtant ce papier qui a posé les jalons des sujets à venir, imposant la notion de «division».

2) La logique comptable des journalistes: Deux ou trois éléments concordants, dans la langue des médias, suffisent généralement à valider l’hypothèse de la «tendance». De même, ici, des lettres ouvertes successives, même lorsqu’elles contribuaient à donner l’image d’un quérulent isolé, ont suffi à valider le thème de la guéguerre clochemerlesque.


3) Une question de taille:
À quoi bon prendre des pincettes avec une administration villageoise qui, certes, agit dans les règles, mais avec une sensibilité conservatrice? Aurait-on imaginé offrir un tel porte-voix à un, voire trois habitants qui, à Lausanne, auraient dénoncé la politique de la Municipalité? Non, parce qu’un tel exécutif, avec ses qualités et ses défauts, ne sera jamais jugé «sulfureux».




Vous avez dit réac?

Parfois, lors de discussions autour d’une bière ou d’un café on me lâche à la cantonade: «Tu es tout de même un peu réac!». Longtemps, j’ai mal assumé mon côté «réactionnaire», comme une sorte de maladie honteuse. Aujourd’hui, je réponds invariablement avec Léon Daudet: «Je suis tellement réactionnaire que quelquefois j’en perds le souffle», puis je passe à autre chose.

Vous comprenez aisément pourquoi le titre et surtout le sous-titre de l’ouvrage (De Maurras à Houellebecq) m’a interpellé. A peine acheté, je me suis mis à le lire. Plus j’avançais dans la lecture et plus mon crayon rouge soulignait et griffonnait des remarques dans les marges. J’avais l’impression de lire le travail de maturité d’un gymnasien militant d’Extinction Rebellion ou d’un zadiste du Mormont. En fait, l’ouvrage de Monsieur Berthelier est le fruit trop mûr de sa thèse réalisée sous la direction de Christelle Reggiani de la Sorbonne et de Gilles Philippe, professeur ordinaire de l’Université de Lausanne.

La méthode utilisée pour analyser les différents auteurs est, on peut être en droit de la contester, une grille de lecture marxiste empruntée au philosophe et sociologue Lucien Goldmann (1913-1970). Moi qui croyais que le matérialisme historique avait été jeté aux oubliettes de l’histoire! Il faut dire que notre auteur organise depuis des années des séminaires de «Lecture de Marx» ainsi que le «Séminaire littéraire des armes de la critique». On peut tout de même douter de son objectivité. Non content de se faire l’héritier d’une critique marxiste, Monsieur Berthelier fait des incursions dans le genre «psychologique» notamment avec Marcel Jouhandeau. Il explique que Jouhandeau va publier à la NRF – que Berthelier qualifie de «cénacle de la bourgeoisie mondaine et esthète» – à cause de la récente fortune de sa famille et de son homosexualité. On ne peut que saluer la rigueur de la critique académique!
En ce qui concerne le contenu de cet ouvrage, je suis aussi assez dubitatif. Tout d’abord pourquoi partir de Maurras? Barrès aurait été plus approprié, mais laissons cela. Notre auteur commet un grand nombre d’erreurs sur Maurras. Passés les poncifs que l’extrême gauche accumule sur le maître de Martigues, on découvre que Monsieur Berthelier ne connaît pas son sujet. Maurras appréciait le style de Proust, contrairement à ce qu’affirme l’ouvrage. Il fut même un des premiers lecteurs enthousiastes des Plaisirs et les jours, œuvre de jeunesse de Proust. L’auteur lui en sera toujours reconnaissant, comme il l’écrit dans des lettres à la fin de sa vie. D’ailleurs, tous deux fréquentaient les mêmes salons mondains vers 1895. Sur le plan formel, Maurras appréciait davantage la liberté de la Renaissance que le formalisme du Grand Siècle.

Quant à Céline, Monsieur Berthelier reconnaît qu’il est étudié brièvement, juste pour rappeler qu’il n’a aucun lien avec Maurras et aussi «parce qu’il existe déjà une quantité pléthorique d’études céliniennes».
Le traitement que l’auteur réserve à Georges Bernanos reste dans le ton de l’ouvrage, un travail d’étudiant qui n’a pas compris grand-chose, et en particulier pas le génie prophétique de l’auteur. Le maître de conférence omet encore un grand nombre d’auteurs: Léon Daudet, René Barjavel, Pierre Benoit, Abel Bonnard, Henry Bordeaux, Paul Chack, Alphonse de Châteaubriant, Bernard Faÿ, Maurice Bardèche, Pierre-Antoine Cousteau et j’en oublie. En ce qui concerne Les Hussards, je ne saurais trop recommander le livre de Marc Dambre, Génération Hussards, qui vient de paraître.
Je m’arrête là et laisse de côté tout ce qu’il faudrait écrire sur l’étrange choix d’inclure Renaud Camus dans la liste autant que celui de s’en prendre à Houellebecq, qui relève de l’art d’enfoncer des portes ouvertes.
Pour Vincent Berthelier: «Chez les réactionnaires, une anecdote personnelle peut servir de point de départ à un texte apocalyptique». Il est vrai que le réactionnaire authentique ne vit pas dans le monde des idées, il ne fait pas de sculpture sur nuages, mais il met ses mains dans la pâte humaine et s’enracine dans la réalité, loin des idéologies et des préconcepts.
Le chroniqueur culturel de Bon pour la tête – média qui se qualifie lui-même d’indocile – ne s’est pas trompé en intitulant son article «Le style réac: usine à maximes». Le but de l’ouvrage est de fourbir des arguments au camp de la culture de l’effacement en discréditant les auteurs qui pourraient permettre de structurer une résistance intellectuelle. Ne nous laissons pas culpabiliser par les mandarins du politiquement correct, qu’ils soient revêtus du bonnet de docteur ou qu’ils tiennent la plume de l’information. Rejetons cet «index librorum prohibitorum» d’un revers de main! Comme l’affirmait Nicolás Gómez Dávila: «Le réactionnaire n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles.»

Vincent Berthelier, Le style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq, Paris, Éditions Amsterdam, 2022

Marc Dambre, Génération Hussards. Nimier, Blondin Laurent… Histoire d’une rébellion en littérature, Paris, Perrin, 2022

Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique, Monaco, Éditions du Rocher, 2005




Un anarchiste en costume-cravate

Je rédige souvent mes chroniques sur mon lieu de travail durant la pause de midi. Un jour, un collègue un peu curieux lit par-dessus mon épaule en me demandant ce que je fais. Je lui explique que j’écris des chroniques littéraires. J’ai pour réponse un «C’est quoi?» un peu lourd. J’essaie de lui faire comprendre en quoi cela consiste. J’arrête la conversation après un «En somme, tu résumes des bouquins.» C’est à ce moment que je comprends que l’on ne sait plus ce qu’est la critique littéraire et qu’on la confond trop souvent avec un vague résumé qui repose sur le principe binaire «j’aime/je n’aime pas»; une vaste opération publicitaire visant l’augmentation des ventes et l’engrangement de nombreux prix.

En parcourant le recueil de textes De la Bible à Kafka de Georges Steiner (1929-2022), nous sommes invités à rencontrer une authentique critique littéraire qui «naît d’une véritable dette d’amour». Steiner va jusqu’à affirmer: «Il est très rare que je puisse dire du mal d’un livre: en général, je n’en parle pas si je n’en reconnais pas la valeur. Je suis un critique positif: quand j’écris sur un livre, cela signifie aussi pour moi que je solde une dette de reconnaissance». D’ailleurs Georges Steiner a des mots très rudes sur les «maîtres du dédain» et ce que Péguy appelait les «professeurs soudains», ces «critiques improvisés» et «maquereaux du commérage littéraire» qui «crachent leur venin sur ceux qui voient un horizon plus large».

On entre dans les nombreux essais de cet ouvrage comme on pénètre dans une église romane. Tout d’abord les ténèbres nous saisissent. S’habituant au manque de lumière, nos yeux se mettent à distinguer astragales, chapiteaux, tores et griffes. En avançant encore, on arrive dans le chœur éclairé par de rares baies. Et c’est alors que le mystère nous saisit et ne nous lâche plus.
Pour Steiner, «le texte est un foyer» et «chaque commentaire, un retour». On en prend bien conscience en déambulant dans cet ouvrage. Chaque texte est un prétexte pour aller plus loin et plus haut. Que Steiner écrive sur une péricope biblique ou qu’il rédige une préface pour une édition de Kafka, toute la littérature est appelée à rayonner depuis ce foyer initial et ainsi parvient à toucher l’intimité de notre être en le transfigurant. La critique devient alors, selon l’heureuse expression d’Oscar Wilde: «une création dans une création».

Georges Steiner est un grand critique parce que c’est un homme libre, on pourrait même dire un anarchiste. Pour lui, «un vrai penseur, un penseur de la vérité, un savant ne doit connaître ni nation ni corps politiques, ni credo ni idéal moral, et la nécessité, fût-elle celle de la survie humaine, a valeur de fausseté, d’illusion délibérée ou de manipulation d’un texte. Ce savoir et cette observance sont sa patrie. C’est la fausse lecture, l’erratum qui le rend apatride.» Pour Steiner, toutes les communautés humaines finissent toujours par paraître inacceptables, par exclure, par juger et condamner. La seule patrie est pour lui le texte qu’il commente en créant ainsi un autre texte appelé à être lui-même commenté.

Ce livre est une invitation à prendre le large en choisissant le texte pour patrie afin de vivre et de rester libre.

Georges Steiner, De La Bible à Kafka, Paris, Les Belles Lettres, 2022.




A mort Balzac!

A part ceux qui, prévoyants, avaient déjà eu le bon goût de jeter leur télé par la fenêtre au début des années 2000, nul n’a oublié le fameux «Vous êtes le maillon faible», de la présentatrice Laurence Boccolini, sur TF1. Vingt ans plus tard, cette triste logique de course à l’audimat s’est déplacée dans le domaine de la littérature. Un récent article de La Liberté nous apprend ainsi que la bibliothèque publique de la ville de Fribourg a fait le tri dans ses classiques, éliminant des noms aussi prestigieux que Balzac, Bernanos ou Racine des rayons. Et la responsable de l’établissement, Lara Jovignot, de l’assurer: personne ne veut faire la guerre aux monstres sacrés. Ce toilettage s’est effectué sur la base d’usage, d’ancienneté au catalogue, et d’usure des objets. «Nous n’avons pas fait de l’évaluation intellectuelle», souligne-t-elle même, comme s’il s’agissait d’une prouesse.

Voici justement le problème: sans «évaluation intellectuelle», il y a fort à parier que Fifty Shades of Grey, loin devant Proust, deviendra rapidement le ténor des bibliothèques publiques. Chesterton avait eu une belle phrase: «Quand tout s’affaiblit et devient stérile au sein d’un peuple, il commence à parler d’efficacité». Voilà une citation qui pousse à la réflexion sur le sort que nous réservons aux géants qui nous ont précédés. Une réflexion qui ne sera toutefois plus possible si les ouvrages consacrés au développement personnel ou à la vie intestinale, au hasard, devaient continuer à prendre le pas sur les œuvres de génies tels que Balzac, Bernanos et Racine.




Une soignante face au cauchemar de l’avortement tardif

«Dans le milieu, on appelle ça le ʻsale boulotʼ», explique une soignante que nous avons rencontrée. Confrontée dans son métier à la pratique de l’avortement, Agnès1 décrit une pratique pénible: «Dans les maternités, nous sommes tous confrontés aux avortements tardifs, puisqu’au-delà de 14 semaines de grossesse, un accouchement est nécessaire.» Ce qu’on nomme parfois, pudiquement, «interruption de grossesse à un stade avancé» désigne les avortements pratiqués au-delà du délai légal, 12 semaines en Suisse, pendant lequel l’avortement peut être pratiqué sans réelle restriction.

Ce cas de figure peut donc concerner tous les stades de la grossesse, en théorie jusqu’au terme. Sur les dix mille à onze mille avortements recensés chaque année par l’Office fédéral de la statistique (OFS), environ 150 sont pratiqués à partir de la 17e semaine, «dont une quarantaine au cours de la 23e semaine ou plus tard», précise un document de la Commission nationale d’éthique (CNE), paru en 2018. Ce nombre, certes restreint, n’en représente pas moins des situations très dures pour les soignants concernés: «Le cas le plus tardif auquel j’ai été confrontée, témoigne Agnès, c’est un bébé de 30 semaines. Le bébé était déjà mort au moment de l’accouchement, mais c’est un moment extrêmement difficile, puisqu’on se retrouve avec un enfant de 7 mois dans les bras, qui aurait pu vivre.»

« Le cas le plus tardif auquel j’ai été confrontée, témoigne Agnès, c’est un bébé de 30 semaines. »

Une soignante

Car à partir de 22 semaines, «dans certaines circonstances et avec un soutien médical adapté», la survie du bébé est possible à la naissance, toujours selon la CNE. Et la soignante de préciser: «Un bébé qui naît prématurément à 24 semaines, par exemple, est réanimé, dans la mesure du possible. Seulement, dans le cas des avortements, on les tue généralement avant la naissance par une injection de chlorure de potassium dans le cœur.» C’est ce qu’on appelle en langage médical le «fœticide».

Cette pratique repose sur une particularité du code civil, comme nous l’explique un ancien membre de la CNE que nous avons pu contacter: «Un fœtus n’est considéré comme une personne qu’une fois la naissance accomplie, et s’il est vivant»2 avant d’ajouter: «Avant la naissance, le statut juridique du fœtus permet la pratique légale du fœticide.» Le protocole n’est pas sans faire froid dans le dos: «Dans le cas d’un fœticide, un obstétricien spécialisé en médecine prénatale injecte, sous vision échographique, une substance (chlorure de potassium) dans le fœtus, généralement par voie intracardiaque, ce qui entraîne un arrêt cardiaque fœtal. Le fœticide peut également être pratiqué par injection de digoxine dans le cordon ombilical ou le liquide amniotique. Pour s’assurer que le fœtus ne ressent pas de douleur, des analgésiques anesthésiques ou des sédatifs peuvent être administrés.»

Le bébé est tué parce qu’il pourrait être encore vivant en naissant

Toujours selon le CNE, trois établissements en Suisse pratiquent le fœticide «indépendamment de la semaine de grossesse», donc potentiellement jusqu’au terme. En revanche, si le fœticide n’est pas pratiqué, ou échoue, le bébé naissant avec des signes de vie devra être réanimé et soigné. Ainsi, le bébé est tué parce qu’il pourrait être encore vivant en naissant. La formulation de la CNE est on ne peut plus claire: «[La survie du fœtus], dans certaines circonstances […] est possible. C’est pourquoi un produit létal est parfois administré au fœtus dans l’utérus pour qu’il naisse sans vie.»

Contacté, le rédacteur en chef de la Revue médicale suisse Bertrand Kiefer n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Nous avons toutefois pu recueillir les propos du Chef des affaires juridiques et éthiques de l’Hôpital du Valais, le Docteur Damian König: «Bien sûr, c’est une problématique grave et complexe et la situation actuelle n’est pas parfaite d’un point de vue du droit et de l’éthique». Et de préciser sur la question du fœticide: «La loi suisse privilégie la ʻsécurité du droitʼ [le fait de fixer des critères clairement identifiables] pour déterminer le moment à partir duquel l’être humain est protégé. Le droit privilégie également les intérêts de la femme et son autonomie, par rapport à ceux de l’être humain à naître. Si la norme juridique (ici le Code pénal) permet de protéger certains biens et de promouvoir certaines valeurs, elle provoque aussi inévitablement des tensions et des situations indésirables.» Et Damian König de conclure: «En ce qui concerne les interruptions de grossesse à un stade avancé, la législation actuelle fait très largement confiance aux médecins, chargés d’établir si les risques encourus par la femme enceinte justifient la pratique de l’avortement. On pourrait aussi imaginer fixer un autre critère que la naissance [ndlr: comme moment où le fœtus devient une personne], mais cela engendrerait de nombreuses autres difficultés sur le plan pratique, juridique et éthique.»

  1. Prénom d’emprunt
  2. Art. 31 (CC)
    1. La personnalité commence avec la naissance accomplie de l’enfant vivant; elle finit par la mort.

    2. L’enfant conçu jouit des droits civils, à la condition qu’il naisse vivant.



« Il y a un problème bien plus profond que l’annulation de concerts »

Philippe Kenel, depuis quelques semaines, les cibles de certains militants antiracistes sont des fans de reggae, sous prétexte que leur couleur de peau leur interdit de se réclamer d’une culture noire. Cela vous inquiète?

C’est une question de fond très importante, en tout cas. Je fais partie d’un courant que je crois largement majoritaire à la Licra et qui souhaiterait que la couleur de peau des uns et des autres ne paraisse pas importante pour évaluer telle ou telle situation. Par exemple, quand Barack Obama avait été élu la première fois, je me souviens que des journalistes m’avaient appelé pour me demander si cela signifiait que le racisme était mort selon moi. Croyez-moi, j’aurais rêvé que ce soit le cas, mais j’aurais également aimé que l’on parle de l’élection du président américain sans devoir évoquer sa couleur de peau.

Ces partisans des annulations de concert sont-ils des alliés de votre cause?

Leurs valeurs ne sont pas totalement contraires aux nôtres dans la mesure où le but poursuivi par les uns et les autres reste l’égalité. Mais il y a une vision déterministe qui consiste à dire que si vous êtes d’origine africaine, européenne ou asiatique, vous n’avez pas le droit de vous intéresser aux mêmes choses. Cette idée d’un ancrage culturel extrêmement marqué me paraît largement contre-productive. Elle pose des problèmes bien plus importants que des annulations de concert, car elle remet en cause un certain universalisme auquel nous sommes attachés.

Est-ce qu’il n’y a pas aussi un conflit de générations entre militants antiracistes, qui s’exprime actuellement?

On peut peut-être observer la même chose au niveau du combat féministe: oui, il y a un décalage générationnel qui s’accroît et qui m’inquiète. Face à cette situation, j’aimerais réunir tout le monde autour de la table. Encore une fois, il me semble important de souligner que nous avons des buts semblables les uns et les autres, même si nous divergeons sur les méthodes à employer pour les poursuivre. Dès lors, pourquoi ne pas convoquer des assises regroupant toutes les associations luttant contre les discriminations sous toutes les formes pour mieux se comprendre? Je l’avais fait il y a plus de dix ans et je pense que c’est le moment de remettre le couvert. Je ne suis cependant pas naïf, et je sais bien que certains refuseraient de se joindre à un tel événement. Mais c’est parce que ce sera difficile que ce sera intéressant.




Extinction Rebellion s’essaye à la spiritualité

«Ce groupe s’inscrit dans la lignée de la culture régénératrice et se veut une invitation à prendre soin, à se relier à soi, aux autres.» A première vue, un tel texte évoque tout au plus la fin de séance de yoga et les huiles essentielles, mais rien de bien choquant. Pourtant, cet été, c’est à une véritable volée de bois vert qu’ont dû faire face les militants de «XR Spi», déclinaison «méditative» d’Extinction Rebellion, avec le faire-part de naissance de leur groupe. Annoncée par le compte Twitter du mouvement, en France, la démarche inclusive, sans coloration religieuse spécifique, a suscité des accusations de dérives sectaires, de piège new age, voire carrément de pétainisme. «La parution d’articles à la suite de notre week-end inaugural a fait réagir sur les réseaux sociaux de manière aussi violente qu’inattendue», concède Yaya Tigwenn, activiste. Elle évoque toutefois un accueil globalement très bienveillant dans le milieu. Elle poursuit: «Quelques personnes d’XR ont souffert de la mauvaise publicité rejaillissant alors sur l’ensemble du mouvement… Ce fut un moment compliqué qu’il nous faudra panser et (re)penser». Selon elle, aucun militant suisse ne s’est joint à l’événement, malgré une invitation envoyée aux camarades helvètes.

Le projet «Spi» d’XR est d’ailleurs accueilli avec des sentiments divers en Suisse. «C’est positif qu’il y ait une grande diversité de mouvements qui s’intéressent à une écologie radicale, autant de portes d’entrée qui diffusent à des publics divers un message qui doit l’être le plus vite et largement possible», juge par exemple Théophile Schenker, député Vert-e-s vaudois. A ses yeux, des personnes qui souffrent «d’éco-anxiété» peuvent trouver une aide dans une telle démarche. L’enthousiasme s’arrêtera là: «A l’interface entre écologie et spiritualité, il y a une pente glissante très claire vers l’anthroposophie et les croyances new age, qui causent déjà suffisamment de dégâts au mouvement écologiste et sont complètement incompatibles avec les bases scientifiques solides sur lesquelles XR construit ses revendications.» Et d’appeler le dernier-né du mouvement à se distancier au plus vite de ces dérives.




La politique de l’immobilisme

1. Honneur aux dames

Mireille Vallette, dans son blog «Boulevard de l’islamisme», nous conte l’histoire de Marie. Mère de deux enfants de nationalité suisse et saoudienne, elle-même a porté divers voiles islamiques et, depuis cette période, se bat contre ces mœurs. Établie à Genève, elle observe fin juillet une femme devant le change Migros de Rive, le visage dissimulé. Elle l’interpelle pour lui rappeler qu’en Suisse a été votée une loi qui interdit de se voiler le visage. L’altercation se termine par un appel de Marie à la police. Une patrouille arrive et Marie explique à la policière la situation. Cette dernière «se montre stupéfaite, lui rit au nez, lui lance qu’il existe une marge d’interprétation de la loi et la laisse en plan».

Marie se renseigne auprès du porte-parole de la police, qui lui apprend qu’il n’existe pas encore de base légale pour sanctionner. Ce sera fait pour mars 2023. Rappelons que la loi en question a été votée au niveau fédéral en 2021. À Genève, des exceptions permettront de toute manière aux femmes de se recouvrir «si la dissimulation du visage est nécessaire à la liberté d’expression ou de réunion ou s’il s’agit de l’expression imagée d’une opinion». Nous voilà bien loin, en temps et en volonté politique, du respect du verdict des urnes.

2. Mendicité et droits de l’homme

Autre exemple: la mendicité. Une loi datant de 2008 interdisait de faire la manche sur tout le territoire genevois. La Cour européenne des droits de l’homme avait alors condamné la Suisse: interdire cette pratique serait contraire aux droits humains. La loi a donc été suspendue et les rues du canton prises d’assaut par les mendiants. Ce qui est encore le cas, bien qu’une nouvelle loi ait été votée par le Grand Conseil en décembre 2021. Celle-ci n’interdit pas la mendicité, à part près des écoles et des commerces. Là encore, contestation immédiate. Début août, la Chambre constitutionnelle genevoise valide la nouvelle loi et irrite les défenseurs des mendiants, qui entendent saisir le Tribunal fédéral. De son côté, le Département de la sécurité précise déjà qu’il ne faudra pas s’attendre à une multiplication des interventions policières: «Les injonctions aux intéressés seront toujours privilégiées par rapport aux sanctions tant que les forces de l’ordre ne seront pas confrontées à une opposition manifeste». Voilà quinze ans que dure ce dossier dans lequel on cherchera vainement une quelconque détermination du côté de l’exécutif.

3. Les dépanneurs

Les «dépanneurs», ce sont ces petites épiceries qui se multiplient dans les grandes villes. Le Grand Conseil s’est penché à plusieurs reprises sur ce sujet. Dès 2014, le député Thierry Cerutti (MCG) faisait part de ses préoccupations devant le développement de ces boutiques qui «viennent systématiquement remplacer les commerces de proximité voués à la disparition». Plusieurs auditions, dont celle de Pierre Maudet, alors conseiller d’État, démontraient que le problème était connu des autorités. L’élu soulignait «le développement autour de ces établissements de divers trafics, de nuisances en tout genre et même de bagarres impliquant l’intervention répétée de la police». Et de préciser que «toutes ces incivilités et infractions allant du simple délit à l’activité criminelle font d’ailleurs l’objet d’enquêtes plus approfondies de la part de la police judiciaire (blanchiment, recel, vente d’alcool, drogue, etc.)».

Que s’est-il passé depuis lors? Créée en 2016, c’est seulement fin 2019 que l’Inspection paritaire des entreprises (IPE) fait part de ses préoccupations concernant les dépanneurs, les barbiers et les coiffeurs. Les épiceries ouvertes 7/7 ne respectent pas la loi cantonale sur les heures d’ouverture dominicales, pas plus que la loi fédérale sur le travail. Seuls les cadres peuvent en effet exercer une activité le dimanche. Or, l’IPE a constaté que cette règle était souvent ignorée, voire contournée. «Une entreprise a inscrit six personnes comme patrons au Registre du commerce avec deux employés. Cinq d’entre elles possèdent une part sociale, la sixième tout le reste», a expliqué à la presse Joël Varone, président de l’IPE.

Ce n’est là qu’un des multiples problèmes rencontrés par la trentaine d’inspecteurs de l’IPE. Et de rappeler qu’une première condamnation a été rendue en 2019 pour violation de la loi sur le travail. L’entreprise fautive a écopé de 90 jours-amende à 150 fr. avec sursis. «Le Ministère public a tapé fort», s’est réjouie Mafalda D’Alfonso, juriste de l’association paritaire. Plusieurs autres cas ont été dénoncés aux autorités pénales. Ce qui n’empêche pas les dépanneurs et autres commerces ethniques de se multiplier.

Commentaire

Ces trois dossiers bien connus agacent les Genevois, tout comme les élus de tout bord que l’exécutif traite avec beaucoup de légèreté. Pour ne pas dire plus. Les habitants de la Cité de Calvin connaissent par cœur les litanies gouvernementales. Le voile intégral? Ce ne sont que quelques cas isolés qui ne méritent pas sévérité. La mendicité ? Elle ne gêne personne. Ce qui n’est pas vrai. Et le Conseil d’État feint d’ignorer les problèmes graves d’hygiène, les camps sauvages au bord de l’Arve et une précarité qui oblige les autorités à héberger les mendiants par temps froid. La facture devient salée pour les contribuables et coule certains budgets communaux. Quant aux dépanneurs, nous sommes au comble de l’hypocrisie. Ces commerces se multiplient sous nos yeux au détriment d’autres négoces, souvent avec l’aide de fonds douteux. Ils ne répondent souvent pas aux exigences légales, concurrencent les épiceries installées de longue date, vendent alcool et tabac aux heures interdites par la loi. Ils étaient 35 commerces aux Pâquis en 2014, ils y sont plus de 60 aujourd’hui. Ils se sont en outre éparpillés dans toutes les communes. Tous ces cas prouvent le laisser-aller du Conseil d’État, à l’image de son Service du commerce défaillant depuis trente ans. Tous démontrent l’absence de volonté politique… hors des campagnes électorales bien sûr !




Des gaufres pornos aux limites du légal

Il faut d’abord se représenter un établissement rose bonbon, doux mélange de parc d’attractions fetish et de garderie: «La Quéquetterie», à quelques encablures de la gare de la Capitale olympique. Un lieu où résonnent les gloussements des clients, essentiellement des adolescents armés de leurs portables. Car ces mineurs ne se rendent pas uniquement sur place pour boire et manger. Non, pour ces jeunes férus de réseaux sociaux, le projet consiste tout autant à se prendre en photo devant une représentation de pénis triomphant, dans une pièce spécialement conçue à cet effet. Aux murs, des messages sans ambiguïté: «A prendre ou à lécher», ou encore «Ouvrez grand la bouche». Sans être particulièrement spécialiste de sex-shops, difficile d’imaginer un magasin pour adultes comme «Magic X» aller aussi loin dans sa communication. Quand bien même, d’ailleurs, lui est destiné… aux adultes.

Au milieu du mois dernier, plusieurs médias romands ont célébré l’ouverture du nouveau «corner» de cette franchise française, à la Rue du Midi, près de la gare de Lausanne. Le ton: généralement fun et décalé. Et le Blick, par exemple, de narrer la «queue» de clients «impatient de croquer dans des bites et des chattes». Sans oublier le «haut potentiel instagrammable» (ndlr: la possibilité de générer beaucoup de petits cœurs d’approbation sur les réseaux sociaux) des lieux. Reste un éléphant dans le corridor: l’activité même de ce commerce respecte-t-elle réellement le cadre légal posé en ville de Lausanne ? Le règlement général de police prévoit en effet la chose suivante: «En tout lieu à la vue du public ou accessible à celui-ci, il est interdit d’exposer, de vendre ou de distribuer des objets de nature à blesser la décence ou à offenser la morale, notamment des écrits, des images ou des enregistrements sonores ou visuels.»

Il s’agit de pâtisseries. Nous n’avons pas reçu de plaintes. Cas échéant une bouchée réduirait l’éventuelle atteinte à la décence

Pierre-Antoine Hildbrand, conseiller municipal de Lausanne PLR.

Une bouchée et puis s’en va

Vendre des gaufres en forme de «quéquettes» ou de «foufounes» à des ados heurte-t-il la morale? Pas facile de trancher du point de vue de toute une collectivité, tant ces mets séduisent la presse avec leur caractère «mignon» et «décalé». Reste qu’à Angers (F), l’an dernier, une pétition en ligne a été lancée pour s’opposer à l’installation d’une «Quéquetterie» à proximité d’une école. Mais pas de quoi affoler les autorités de la quatrième ville de Suisse: «Il s’agit de pâtisseries. Nous n’avons pas reçu de plaintes. Cas échéant une bouchée réduirait l’éventuelle atteinte à la décence», ironise le municipal lausannois de l’économie et de la sécurité, Pierre-Antoine Hildbrand.

Et c’est tout? Pas sûr. Un coup d’œil au menu révèle ainsi l’existence de gaufres répondant au sobriquet de «sugar mummy» (ndlr: une variante de la «cougar»), «happy bite day» ou «hot dick». On vous passera les traductions sur les deux dernières, au cas où le journal trônerait sur la table du salon. Toujours est-il que ce sont là des appellations qui indiquent bien le ton résolument frontal de la communication de l’endroit. Selon divers spécialistes du droit contactés par Le Peuple, dont Maître Samuel Thétaz (lire également en page trois), les friandises coquines de «La Quéquetterie» ne devraient pas être visibles de la rue, notamment à cause des enfants. Quid des ados? Voici un joli casse-tête en perspective. Une différence de traitement est également dénoncée entre le sort réservé aux publicitaires, sous haute surveillance à Lausanne, et la grande liberté accordée aux spécialistes des gaufres pornos. Un autre enjeu qu’une seule bouchée ne suffira pas à faire disparaître.

Selon nos informations, des démarches individuelles sont déjà envisagées pour appeler les tenanciers de l’établissement à une exposition moins frontale à la pornographie pour leurs jeunes clients.