BERNE MANIE LA MENACE FANTÔME

Déjà adepte des grandes déclarations à la «en même temps», Macron semble désormais avoir basculé en crise orwellienne. Le 5 septembre dernier, sans prévenir, le locataire de l’Elysée lâchait: «La meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.» Inspiré par les paroles de Jupiter, Xavier Company, municipal Vert lausannois chargé des services industriels, s’exprimait mot pour mot de la même manière dans 24 heures du 16 septembre. Mais face à la crise énergétique à venir, le Conseil fédéral vient de proposer une étonnante variante de la déclaration macronienne: le meilleur contrôle est celui qui n’est pas effectué.

«On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.»

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan

Revenons sur nos pas. Un article paru sur le site de Blick le 6 septembre nous apprenait que nous, citoyens et entrepreneurs, risquions la peine pécuniaire, voire la prison, si nous osions trop chauffer nos foyers. Plus précisément, le papier mentionnait une peine de trois ans de prison en cas d’infraction délibérée aux directives et précisait qu’en cas d’infraction par négligence une peine pécuniaire pouvant aller jusqu’à 180 jours-amende était possible. En cas de pénurie, il sera donc interdit de chauffer son foyer à plus de 19°, de bouillir l’eau au-dessus de 60° (on rappelle ici volontiers que l’eau est censée bouillir à environ 100°, vive les spaghettis mal cuits) ou d’utiliser un chauffage d’appoint électrique.

On devient vite criminel de nos jours

Dans ce même article, le porte-parole du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Markus Spörndli, brandit la grosse menace: «Les infractions à la loi sur l’approvisionnement du pays sont toujours des délits, voire ponctuellement des crimes, et doivent être poursuivies d’office par les cantons.» Des crimes, rien que ça… Voilà qui méritait bien une liste étoffée de questions de la part du Peuple. Nous souhaitions notamment savoir à quel moment ces mesures seraient ordonnées, comment, précisément, les contrôles seraient effectués, ou si nous devions nous attendre à des visites de contrôle de la part des policiers. A cette douzaine de questions, Markus Spörndli répond ceci: «À l’heure actuelle, il n’y a ni pénurie d’électricité ni pénurie de gaz en Suisse, c’est pourquoi aucune restriction ni interdiction d’utilisation n’est en vigueur. Il ne peut donc y avoir d’infraction à de telles dispositions. L’administration est en train de préparer des mesures de restriction et d’interdiction pour le cas où une pénurie grave surviendrait. Un projet d’ordonnance en prévision d’une pénurie de gaz est actuellement en consultation auprès des milieux intéressés.» Mieux, le communicant avoue, à demi-mots, que les contrôles ne pourront pas vraiment être effectués: «L’essentiel est qu’il ne serait pas possible ni souhaitable de contrôler étroitement le respect des prescriptions. En Suisse, nous tablons sur le fait que la population respecte la loi.»

Des menaces largement irréalistes

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan, juge ridicule de brandir des menaces d’amende ou d’emprisonnement: «Cela tient de la plaisanterie et démontre que le gouvernement n’est pas prêt à l’éventualité d’une telle crise. Si nous nous retrouvons dans une telle situation énergétique, c’est à cause de la politique suisse, opportuniste, qui a tourné le dos au nucléaire pour des motifs électoraux. Le pire est que les politiciens n’assument pas. Certains disent encore que cela n’a rien à voir avec les décisions du passé.» Pour François Pointet, conseiller national vaudois Vert Libéral, les contrôles à domicile semblent absolument irréalisables: «À mon avis, il n’y aura pas la possibilité de venir mesurer la température des chambres chez les privés. En effet, il faut un mandat de perquisition pour pouvoir pénétrer dans un lieu privé. Il faut comprendre que de telles punitions doivent être prévues pour des personnes se permettant, par exemple, de continuer à utiliser des chauffages sur les terrasses, ou d’autres aberrations visibles.»

Vers l’état policier?

Ces menaces et ces potentiels contrôles pourraient laisser à penser que la Suisse se transforme peu à peu, après un premier épisode Covid, en état policier. Jérôme Desmeules nuance: «On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.» Parler d’état policier semble un tantinet trop fort pour François Pointet: «Nous ne sommes pas au point où les policiers auront la possibilité de rentrer chez chacun pour faire des contrôles. Il faudrait encore lever la nécessité d’avoir un mandat de perquisition. Il est clair que les lieux publics seront plus facilement soumis aux contrôles.» D’autant plus que la situation n’est pas similaire, selon lui, à celle vécue lors de la crise du Covid. «Nous avons vu, durant le Covid, que la population a plutôt bien suivi les prescriptions. Pour l’essentiel, les seuls débordements qui ont été dénoncés concernaient des lieux publics. On peut partir du principe que nous aurons la même situation dans le cas de cette ordonnance. La situation politique est toutefois différente, le Parlement n’a pas été arrêté, son travail d’éventuel contre-poids au Conseil fédéral sera donc plus simple», complète-t-il.

De quoi se demander ce que le gouvernement choisira pour se faire obéir de la population. Des slogans niais et des affiches infantilisantes, comme il y a deux ans avec le virus?




Lutter contre la violence, batte en main

«Don’t you dare!», soit «n’y pense même pas», en français. C’est le message d’un visuel de l’organisation Pink Cross, diffusé sur son site et sur les réseaux sociaux. Le projet: inviter les personnes queers à une formation à l’autodéfense sur deux jours, organisée fin octobre au centre sportif des Bergières, à Lausanne. Seul petit hic, le visuel retenu pour faire la promotion de l’événement est plutôt douteux, avec la présence d’une batte de base-ball — rien que ça — dans les mains d’une personne manifestement queer et déterminée à ne pas se laisser attaquer dans la rue. «Nous faisons évoluer la société grâce à notre activisme politique, mais cela prend du temps. Mais nous pouvons aussi apprendre à mieux nous défendre nous-mêmes», souligne Pink Cross sur son site. Projet très vertueux, certes, mais au point de manipuler un objet pouvant être considéré comme une arme? «Je vous rassure, nous n’apprenons pas à utiliser de batte dans ces cours, rigole Gaé Colussi, porte-parole. Nous voulons surtout apprendre à repérer les lieux, avoir l’air sûr de soi même quand on ne l’est pas, sans tomber dans le straight acting (ndlr: se déguiser en hétéro turboviril et sûr de lui).» De fait, le visuel n’est pas nouveau, mais c’est la première fois qu’il apparaît en Suisse romande, où ces cours font leur apparition cette année. Les techniques d’autodéfense semblent essentiellement inspirées du krav-maga.

«Je pense que ça répond à une impression et aussi à un besoin», réagit un membre d’une association partenaire de Pink Cross. «Impression car il y a de plus en plus de mentions de personnes LGBT+ dans les médias ou sur les réseaux sociaux qui se font agresser, soit verbalement soit, surtout, physiquement. Du coup, à mon avis, naît un besoin de se dire: ʻSi je me fais agresser, je veux savoir me défendre et pas uniquement me mettre en position latérale de sécurité pour subir les coupsʼ». Il juge néanmoins l’image «discutable», sans non plus crier au scandale. Reste que l’on peut se demander comment elle aurait été perçue dans le contexte d’un cours d’introduction à l’autodéfense destiné à n’importe quelle autre catégorie de la population. Des membres d’un parti de droite, par exemple…

Contactée, la Police Municipale de Lausanne ne fait pas de commentaire. L’événement tel qu’organisé ne demandait pas d’autorisation officielle, et ne suscitait pas d’analyse particulière sur son visuel.




Libre de se taire

En langage journalistique, Korab Rashiti constitue ce que l’on appelle un «trublion»: un politicien qui ne connaît pas l’autocensure et fait feu de tout bois sur les réseaux sociaux. Seulement voilà, le député de Gerolfingen vient de mettre le feu aux poudres lors d’une discussion avec l’historien Raphael Racine, ancien élu socialiste. En cause: l’assimilation de l’idéologie de son interlocuteur aux totalitarismes du siècle dernier, et l’idée que les socialistes d’aujourd’hui auraient simplement renoncé à la moustache – d’Hitler ou de Staline, à chacun son interprétation. Un dépassement de la «ligne rouge» qui incite Raphael Racine à exiger sa démission du Grand Conseil, annonce Le Journal du Jura. Étrange pudeur pour un historien: l’un de ses collègues, Johann Chapoutot, n’est-il pas passé sur les plus grandes chaînes d’informations en 2020 pour défendre un essai sur les racines nazies du management? Quand il est de gauche, l’intellectuel semble avoir peu d’ennuis en assimilant «lutte pour la vie» des nazis et lutte pour la compétitivité capitaliste. Et combien de fois, en Suisse, des propositions du parti de Korab Rashiti ont-elles été comparées à des politiques allemandes du siècle dernier?

On est libre de trouver, ou non, élégants les propos en question. Pour notre part, nous ne sommes pas friands de comparaisons entre partis qui respectent les usages démocratiques et dictatures qui massacraient des innocents, qu’elles soient communistes ou nazies. Reste qu’en traçant de nouvelles «lignes rouges», à géométrie variable qui plus est, c’est encore à la liberté que l’on s’en prend. Et c’est autrement plus effrayant que des propos trop enlevés sur Facebook.

À Lausanne aussi…

Situation inversée au Conseil communal de la Capitale Olympique. Cette fois, c’est Franziska Meinherz, élue d’extrême-gauche au tempérament particulier, qui a comparé un municipal à un nazi. La grande faute du PLR Pierre-Antoine Hildbrand, avoir vanté «l’émancipation par le travail» lors d’un débat sur la mendicité. Au moment où ce journal sera mis sous presse, gageons qu’une batterie d’historiens aura également condamné des raccourcis indignes. RP




Le malaise grandissant des jeunes chrétiens

«L’exclusion et la dévalorisation des personnes appartenant au spectre LGBTIAQ+ sont également rejetées comme contraires à l’Évangile et à la foi vécue.» Ces mots sont tirés du Rapport synodal suisse 2022, publié par la Conférence des évêques suisses. Résultat d’une consultation ayant eu lieu dans tous les diocèses catholiques suisses, il sera envoyé au Vatican en vue du Synode sur la synodalité, une réunion d’évêques du monde entier qui se tiendra en 2023, à la demande du pape François.

Force est de constater que le document recèle des revendications à connotation souvent très progressiste: il faudrait mettre fin au «rejet des personnes issues de la mouvance LGBTIAQ+» comme celui des personnes «queers»; les «étroitesses cléricales» doivent être combattues, une «adaptation des normes liturgiques [aux] contextes culturels» est nécessaire, «l’exclusion des femmes de l’ordination» est perçue comme «incompatible avec l’Évangile et l’action de Jésus»; il faut promouvoir une Église du dialogue contre «une culture cléricale étriquée dépassée» qui accorde trop d’importance à la hiérarchie, etc.

L’Église catholique, à la réputation pourtant conservatrice, semble – dans ses discours du moins – se calquer de plus en plus sur certaines évolutions de la société actuelle. Un simple tour sur des médias comme cath.ch permet d’en avoir la certitude. Edward Mezger, un Fribourgeois de 20 ans ayant participé aux discussions synodales dans sa paroisse, se dit perplexe à la lecture du rapport: «J’ai l’impression qu’on a perdu le sens premier de la religion, qui est de partir d’un donné commun – la révélation et l’enseignement de l’Église – et d’essayer de cheminer avec ça. Beaucoup de personnes ayant participé aux discussions ont pensé qu’on leur demandait simplement leur avis, mais l’Église n’est pas une assemblée législative et démocratique.»

«Quand je vais à l’Église ou que j’écoute le Pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.»

Marie, paroissienne bulloise de 20 ans

Face à une Église au discours de plus en plus aligné sur les revendications sociétales actuelle, Marie, 20 ans, déplore que la foi se mêle sans cesse de politique: «On oublie que l’Église doit d’abord et avant tout aider les fidèles dans leur vie spirituelle qui doit les mener au salut, et que cela passe par les sacrements, l’enseignement, etc. Pourtant, on se mêle toujours plus de politique, partout: il faut prendre position sur ceci ou cela, défendre telle ou telle cause qui ne nous concerne pas!», et la paroissienne bulloise de continuer: «Quand je vais à l’église ou que j’écoute le pape, je ne veux pas entendre parler de CO2 ou de personnes à l’orientation sexuelle peu conventionnelle. J’en entends déjà parler partout autour de moi.» Quant à savoir s’il faut réformer l’Église, ordonner des femmes prêtres ou encore démanteler une hiérarchie trop sclérosée, Marie est sans appel: «Ce sont des revendications de boomers qui ont mal digéré leurs racines soixante-huitardes. Cela dit, il y a de très graves dysfonctionnements dans l’institution de l’Église, à tous les niveaux, mais on ne les réglera pas en se calquant sur la marche du monde d’aujourd’hui.»

Un œcuménisme dans le malaise

Même agacement du côté réformé, quand l’Église se mêle de politique: Sébastien Mercier, un jeune réformé vaudois, nous a confié son énervement face à une «Église qui pense qu’elle attirera du monde en reprenant à son compte le discours progressiste ambiant, alors que manifestement cette tactique est infructueuse: les temples sont vides!» Et le jeune homme de poursuivre: «C’est agaçant de voir l’Église réformée vaudoise, par exemple, afficher systématiquement des positionnements politiques là où on s’en fout qu’elle donne son avis. Quand on affiche ʻOui aux multinationales responsablesʼ dans des églises, c’est extrêmement choquant, et ça fait fuir de nombreux protestants chez les évangéliques, entre autres.»

Chez les catholiques, comme chez les protestants, deux visions plutôt contradictoires semblent donc s’affronter: d’un côté un élan réformiste et poussant vers une certaine politisation, de l’autre un mouvement conservateur rétif à toute idée d’alignement avec la société actuelle. Selon un sociologue que nous avons pu contacter, observateur de la démarche synodale catholique en Suisse romande, il ne faut pas sous-estimer la dimension générationnelle de ces clivages: «Ce que je constate, c’est que les revendications les plus progressistes émanent la plupart du temps de personnes âgées, alors que les propositions les plus conservatrices émanent de jeunes entre 25 et 35 ans. Ces jeunes, continue-t-il, ont la particularité d’avoir un engagement religieux beaucoup plus fort que leurs aînés, et ils souhaitent rompre avec une Église qui fait des compromis avec le contexte culturel dans lequel elle évolue.» Le sociologue observe des mouvements similaires chez les réformés, même si, selon lui, il n’y a pas symétrie exacte: «Il ne faut pas oublier, dit-il, que l’ADN des réformés est plutôt libéral et progressiste. On peut remonter pour cela au Kulturkampf qui a modelé la Suisse d’aujourd’hui, où les catholiques incarnaient plutôt le conservatisme face aux protestants libéraux. Les jeunes réformés conservateurs rompent donc avec l’identité réformée telle qu’elle s’est construite depuis deux siècles et se rapprochent plutôt des piétistes ou des évangéliques.»




Le rap «libéré» n’apprécie guère les homos

Taper sur les homosexuels dans ses chansons pour créer le buzz. C’est ça, désormais, la marche à suivre pour se faire connaître dans le rap?

Je pense que Tovaritch a été autant surpris que moi de tout ce buzz. Cela fait des années qu’il est dans le circuit, avec une personnalité et un style bien à lui. Il s’est créé une petite fan base avec son rap que je classerais dans la catégorie «musique de salle de muscu», il n’a jamais prétendu faire plus. Le rap semble être pour lui un petit à-côté et il n’a du reste pas l’air d’être particulièrement à plaindre financièrement. Si je comprends et soutiens complètement le combat contre l’homophobie, j’ai un peu l’impression qu’en s’en prenant à Tovaritch on se trompe de cible.

Mais alors comment expliquer cette mise en scène, une fois la polémique en marche, où il se fait filmer en train d’apporter un gâteau à une association LGBTQIA+?

C’est certainement sa manière de relativiser ses propos, de dire qu’il n’a rien contre les homosexuels. Pour lui, aller offrir un gâteau à une association était une manière d’enterrer la hache de guerre, de dire «bon les gars on peut passer à autre chose maintenant». Ça a été pris comme de la provoc. Alors oui il y en a un peu, mais pour moi on est au niveau d’une blague potache. Ce n’est évidemment pas très malin, mais qu’attendre de plus d’un Tovaritch…? Et puis surtout il me donne l’impression de joyeusement se foutre de toute cette affaire. Pour lui, ce qu’il dit dans son rap n’a rien de violent. C’est une rhétorique commune dans le monde du sport, cette homophobie ordinaire du type  «on est des vrais bonshommes, on n’est pas des pédés». Bien entendu je dénonce ce genre de propos, mais quand on remarque que des centaines de commentaires provenant de la communauté LGBTQIA+ sur sa page Instagram le traitent d’homosexuel refoulé j’ai un peu l’impression que cette homophobie ordinaire est tolérée quand elle émane des concernés…

Toute sa conduite ressemble quand même drôlement à une course au buzz, non?

Au départ c’est une page Instagram LGBTQIA+ qui a créé ce buzz, très vite repris par les associations et certains politiques… Après oui il en joue, il surfe dessus en faisant du Tovaritch. Dans le rap on aime bien cette citation «Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi», donc oui il en profite, mais il ne tombe jamais dans la violence, ça reste potache. Et sans vouloir minimiser le problème réel de misogynie et d’homophobie dans le rap, pour le coup la réelle violence est surtout du fait de la communauté LGBTQIA+ si on en croit les printscreens partagés par Tovaritch dans lesquels on peut trouver des menaces de mort, voire de viol sur sa fille…

On a l’impression que les associations LGBTQIA+ se retrouvent face à un mur, avec cette affaire. Comment l’expliquer?

Il y a certainement plusieurs pistes à explorer, mais selon moi l’une des plus pertinentes est celle des nouveaux modèles de business pour les artistes sur le Net. Tovaritch est un artiste parfaitement indépendant qui streame. Il diffuse sa musique sans avoir besoin d’une maison de disque. Il n’y a personne pour faire pression et lui dire ce qu’il peut dire ou non. Et surtout, quand une polémique éclate il est libre de réagir comme il le veut, il n’a pas à être politiquement correct pour conserver un contrat. Il peut tout simplement s’en foutre… Freeze Corleone, un autre rappeur attaqué pour ses paroles, est un peu dans la même situation. Il était signé en major quand une polémique a débuté, il a refusé de rentrer dans le rang et s’est donc fait virer. Depuis il est un des artistes rap français qui streament le plus et ses concerts sont tous complets (quand ils peuvent avoir lieu). Le fameux tribunal du Net se retrouve désormais face à des gens qui se sont libérés et qui, maîtres de leur destin, peuvent décider de réagir aux polémiques comme ils l’entendent.




A bas l’intelligence !

Il y a quelques années, lors d’une soirée où les autorités politiques étaient présentes, j’ai eu la mauvaise surprise d‘entendre un ancien conseiller d’État affirmer à plusieurs reprises, qu’en politique, on n’avait pas besoin d’intellectuels et qu’il fallait se méfier d’eux. Le petit groupe qui taillait le bout de gras avec lui abondait en son sens en filant la métaphore. Le film d’Amenábar illustre assez bien cette tension entre le monde intellectuel, représenté par Miguel de Unamuno, et le monde politique, incarné par le général Franco et le commandant en chef de la légion espagnole Millán-Astray.

Tout comme Plutarque, Amenábar nous offre, avec ce film, des vies parallèles entre Unamuno et Franco.

Miguel de Unamuno (1864-1936), considéré comme le plus grand penseur espagnol de son époque, occupe les fonctions de recteur de la prestigieuse université de Salamanque à partir de 1900. Destitué en 1914 pour ses positions antimonarchiques, il est exilé aux Iles Canaries puis en France de 1924 à 1930. Lorsque la République est proclamée en 1930, il retrouve son poste de recteur.
Le film commence en 1936, lorsque les nationalistes se révoltent contre une république sombrant dans l’illégalité. Unamuno décide de les soutenir en leur versant 5’000 pesetas soit six mois de salaire. Là, c’est l’incompréhension de son entourage. Comment lui, l’homme qui s’est opposé à la monarchie puis à la dictature militaire de Primo de Rivera, lui qui fut le premier professeur d’université inscrit au parti socialiste, pouvait-il soutenir l’insurrection nationaliste des militaires? Dans les premiers jours de cette rébellion, le recteur de l’université de Salamanque la conçoit comme un des nombreux pronunciamientos qu’a connus l’Espagne au XIXe siècle. Il pense que les militaires vont rétablir l’ordre républicain. Il devait partager en cela l’opinion d’Alejandro Lerroux, radical républicain et président du conseil des ministres (1933-1935): «Ni Franco ni l’armée n’ont enfreint la loi, ni ne se sont élevés contre une démocratie légale, normale et fonctionnant normalement. Ils n’ont fait que la remplacer dans le vide qu’elle a laissé lorsqu’elle s’est dissoute dans le sang, la boue et les larmes.» Miguel de Unamuno va progressivement ouvrir les yeux sur la réalité de l’insurrection et prendre conscience de la tournure dramatique des événements. Le 12 octobre 1936, dans l’amphithéâtre de l’université où l’on célèbre la «Fête de la race», qui est le jour de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, Unamuno improvise un discours afin de répondre aux inepties proférées dans ce temple du savoir: «Il y a des circonstances où se taire est mentir. Car le silence peut être interprété comme un acquiescement. […] Vous vaincrez parce que vous possédez plus de force brutale qu’il ne vous en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car, pour convaincre, il faudrait que vous persuadiez. Or, pour persuader, il faudrait avoir ce qui vous manque: la raison et le droit dans la lutte.»

Il eut pour toute réponse le cri de «A bas l’intelligence!» et ne dut son salut qu’à la présence de la femme de Franco. Assigné à résidence, il rendit l’âme le dernier jour de 1936.

En parallèle Amenábar met en scène un Franco inattendu et assez proche du personnage historique. Tout comme l’a relevé Bartolomé Bennassar, biographe du Caudillo, nous nous trouvons en face d’un personnage pusillanime masquant son ambition, sa ruse et son opportunisme politique.

Un passage assez subtil du film d’Amenábar est celui où le général Franco fait remplacer le drapeau républicain par le drapeau royaliste. Les soldats entonnent la «Marcha Real» avec des paroles différentes: celles de Marquina plutôt de tendance royaliste, celles de Pemán rédigées à la demande du dictateur Primo de Rivera. Cela tend à nous montrer que le mouvement nationaliste est très diversifié avant la mise en place de l’idéologie nationale-catholique franquiste.

Un autre mérite de ce film est de faire découvrir Miguel de Unamuno à un public non hispanophone. A ce jour, il n’existe pas de biographie en français du recteur de Salamanque mais on peut lire dans la langue de Molière certaines de ses œuvres. L’accès à la pensée unamunienne n’est, de prime abord, pas aisé. Tout comme Chesterton, Unamuno manie le paradoxe qui «est le moyen le plus tranchant et plus efficace de transmettre la vérité aux endormis et aux distraits.» La pensée de Unamuno est une pensée agonique, c’est-à-dire en lutte perpétuelle: «Les idées qui me viennent de tous côtés sont toujours en lutte dans mon esprit et je n’arrive pas à les mettre en paix. Je n’y arrive pas parce que je n’essaie même pas. J’ai besoin de ces luttes.» Ces batailles d’idées qui peuvent nous sembler parfois contradictoires font de notre auteur un penseur inclassable: «Ce que je fuis, je le répète, comme la peste, c’est d’être classé: je veux mourir en entendant les paresseux d’esprit qui s’arrêtent parfois à m’écouter, demander à mon sujet: «Et celui-là, qu’est-il?» Les libéraux et les progressistes bêtes me tiendront pour réactionnaire et même pour mystique, sans savoir, bien sûr, ce que cela veut dire, les conservateurs et réactionnaires bêtes me tiendront pour une sorte d’anarchiste spiritualiste, et les uns comme les autres verront en moi un pauvre homme désireux de se singulariser et de passer pour original, dont la tête est comme pleine de grillons. Mais personne ne doit se soucier de ce que pensent de lui les imbéciles, qu’ils soient progressistes ou conservateurs, libéraux ou réactionnaires.»

«Lettre à Franco» est un film exigeant et poétique. Exigeant, car il demande une certaine connaissance de l’histoire espagnole. Poétique, car à travers ses paysages et les rues de la ville, à travers ses dialogues, ses silences et ses lenteurs, nous sommes portés à une saine réflexion qui ne sombre pas dans un didactisme manichéen. Avec ce film, Alejandro Amenábar rejoint les trois ambitions qui doivent animer les artistes selon la Poétique d’Aristote: instruire, émouvoir et plaire.

Alejandro Amenábar, Lettre à Franco, 2019, 103 minutes
Bartolomé Bennassar, Franco, Paris, Perrin, 2002
Miguel de Unamuno, Aphorismes et définitions, Paris, Rivages, 2021
Miguel de Unamuno, Contes, Paris, Gallimard, coll. Folio Classique, 2020
Miguel de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 1997
Miguel de Unamuno, L’agonie du christianisme, Paris, R&N Éditions, 2016




La grillade, ce truc de mecs

On l’a présentée comme une radicale, une gaffeuse, voire une cinglée. Pourtant, en affirmant la réalité d’un lien entre goût pour le bœuf grillé et masculinité triomphante, l’économiste et femme politique Sandrine Rousseau n’a rien fait d’autre que répéter un point doctrinal courant au sein des courants écoféministes.

Porte-parole de l’association PEA – Pour l’Égalité Animale, Pia Shazar le confirme sur deux questions clés:

Existe-t-il un lien entre culte de la virilité et consommation de viande?
Oui, nous partageons le constat des liens clairs et avérés entre viande et virilisme. C’est une évidence que le barbecue est un symbole de virilité, comme l’attestent les analyses des publicités faites par exemple par Carol Adams ou Axelle Playoust-Braure. Les études montrent également que les hommes consomment beaucoup plus de viande que les femmes ou encore que la population végétarienne est majoritairement féminine.

De façon générale, l’on voit également une tendance plus réactionnaire chez les hommes que chez les femmes lorsqu’il s’agit du traitement de la question animale en politique. Les sondages au sujet des prochaines votations contre l’élevage intensif en sont un bon exemple puisqu’ils démontrent que 64% des femmes interrogées seraient favorables à cette initiative, contre seulement 44% des hommes. On peut lire ces chiffres de différentes manières. Une chose est sûre, l’animalisme a été historiquement et majoritairement porté par des femmes, et selon nous, il n’y a pas de hasard, mais une condition commune, une cause commune entre individus considérés de second rang.

Un barbecue féministe est-il possible, à vos yeux?

L’idée d’un barbecue féministe semble alors absurde et contradictoire. La consommation de viande a quelque chose à voir avec le virilisme et donc avec une forme de sexisme dans la mesure où il consiste en une chosification des corps que l’on s’approprie et que l’on consomme.
La proximité avec la façon dont notre société sexiste traite et (dé)considère les corps des femmes est ainsi flagrante. Manger quelqu’un est un acte d’une violence innommable, c’est traiter l’autre comme moins qu’un objet, c’est asseoir sa domination, c’est faire sien et tuer l’autre, c’est faire fi du consentement. Manger quelqu’un, en somme, semble bien loin de toute interprétation des valeurs féministes.
Ce n’est donc probablement pas un hasard non plus que les hommes se sentent menacés par l’antispécisme ou le véganisme, c’est que cette idéologie et cette pratique bousculent des logiques suprémacistes qui se sont construites à leur bénéfice, c’est que ça vient les remettre à leur place; c’est à dire, à égalité. Et ça, bien des hommes, n’en veulent manifestement pas.

Commentaire

Parfaitement libres, nous ne détestons pas non plus les contre-pieds, au Peuple. Pas au point, cependant, de présenter l’ineffable Sandrine Rousseau comme un phare de la pensée contemporaine. Mais plus que ses propos sur la viande, c’est surtout son souhait, exprimé au début du mois, d’inventer des délits pour non-respect des tâches ménagères qui nous pétrifie. Voici une femme, intelligente à l’évidence, qui se targue de venir fliquer nos vies privées et, en particulier, la manière dont les uns et les autres se répartissent les responsabilités logistiques. Un tel projet semble autrement plus inquiétant que l’idée, qui se constate aisément dans la vie de tous les jours, selon laquelle les hommes seraient plus carnassiers que les dames. Il faut n’avoir jamais participé à un giron ou à une soirée entre amis pour constater la répartition genrée des fonctions alimentaires.
Dans ses réponses à nos questions, l’association PEA – Pour l’Égalité Animale, explique d’ailleurs avec des arguments valables que ce lien n’est pas fantasmé, mais résulte d’une construction sociale. La question n’est donc pas de remettre en cause la rigueur intellectuelle de ceux qui s’opposent à la consommation de viande, ou à l’élevage intensif, mais de savoir si le monde labellisé sans souffrance qu’ils nous promettent ne sera pas pire que celui qu’ils veulent effacer. Il est peut-être des constructions et des normes sociales qui répondent à des nécessités. Il est peut-être des réalités économiques qui ne cochent pas toutes les cases du paradis sur terre, mais qui permettent à la population de se nourrir sans se ruiner intégralement. Que les femmes fassent davantage la salade que les hommes est un enjeu qui paraît tout de même bien anodin alors que l’inflation explose et torture les familles.




Anatomie d’un délire bien-pensant

Nous sommes vendredi 2 septembre en fin de journée, à Henniez, devant le nouveau café exploité par la Commune. Un bistrot – déclarons d’emblée nos intérêts – qui propose Le Peuple à ses clients. L’assemblée est solide, compte-tenu des 400 habitants de l’endroit, et devise tranquillement autour d’un verre tandis que la présidente du Conseil d’État, Christelle Luisier, est attendue pour un discours. La partie officielle débute. Un des exploitants des lieux, d’origine mauricienne, prend la parole le premier pour rassembler les convives. Puis paisiblement, un chœur mixte commence à chanter «bonjour» dans toutes les langues, de l’espagnol à l’arabe.
Voilà le point culminant, aussi paisible que joyeusement banal, d’une triste affaire débutée près d’une semaine plus tôt dans la presse. A l’origine, une lettre vengeresse d’un habitant, ancien patron d’un bistrot qui n’est pas parvenu à tenir sur le long terme dans la commune. Peu assidu au Conseil général, il n’en dénonce pas moins l’implication des autorités dans la mise sur pied du projet, la personne du syndic, et l’imagerie choisie pour l’endroit. «L’inadmissible, ce qui interpelle», dit-il avec emphase, est qu’un tel endroit s’appelle Le Confédéré, et montre une représentation stylisée de hallebarde dans la rue. Ce serait, apprend-on, un clin d’œil à l’extrême-droite inacceptable. Ni une ni deux, un habitant prend la défense de la Municipalité dans un deuxième tout-ménage, avant que l’exécutif lui-même réponde à son administré.

Une construction de toutes pièces

Récapitulons: un habitant mécontent sort du bois et règle ses comptes dans un tout-ménage, deux semaines avant une inauguration. Des accusations graves sont portées contre un individu, avec lequel il ne semble pas vouloir garder les vaches. A ce stade, toute cette valse d’amabilités aurait pu rester à l’état de tempête dans un verre d’eau, à ceci près que La Liberté, dont seul un photographe s’est rendu sur place, enclenche la machine. «Polémique villageoise sur le nom du bistrot», écrit-elle sur ses affichettes. Un mot-clé apparaît: diviser. Une seule personne, visiblement en rupture, se plaint d’un projet décidé au sein des instances démocratiques, mais Le Confédéré devient «le bistrot qui divise». 24 heures, quelques jours plus tard, élabore: non seulement le bistrot «divise le village au lieu de le réunir», mais «le nom et l’enseigne retenus créent la polémique».

De polémique, ce vendredi 2 septembre, il n’y en aura guère. Amusée, la présidente du Conseil d’État glissera rapidement un mot sur l’affaire dans un discours tout à fait apaisé sur les vertus de la démocratie villageoise. Quant au syndic, muet depuis le début de l’emballement médiatique, il évoquera un lieu «dédié à la joie de vivre, à la cohésion sociale». Une auberge «où se retrouvent des représentants de tous milieux». Et de citer l’auteur anglais G. K. Chesterton, pour qui «le déclin des tavernes n’est qu’un aspect du déclin général de la démocratie.»

Partie officielle terminée. Dans l’assemblée, une jeune fille voilée boit un verre de soda aux côtés de quelque sommité locale. Des enfants jouent dans le parc situé à quelques mètres. Nul esclandre. Une fête de village tout à fait banale, mais chaleureuse. Tandis que tout ce joli monde se rassasie, un nouveau reportage sur la polémique, bien difficile à constater sur place, commence à tourner sur La Télé. D’aucuns le découvriront en fin de soirée. Et l’on s’étonnera d’avoir été tous réunis par un bistrot qui, dans la langue des médias, devait diviser la population.

Comment a-t-on pu en arriver là? En trois points.

D’un point de vue journalistique, voici les éléments qui ont concouru à créer un décalage sidérant entre le récit des journalistes (présomption de sympathie pour l’extrême-droite, division du village) et la réalité, d’une glorieuse banalité.

1) La distance par rapport au terrain: Le premier article a été réalisé par une personne qui n’a pas jugé utile de se rendre sur les lieux. C’est pourtant ce papier qui a posé les jalons des sujets à venir, imposant la notion de «division».

2) La logique comptable des journalistes: Deux ou trois éléments concordants, dans la langue des médias, suffisent généralement à valider l’hypothèse de la «tendance». De même, ici, des lettres ouvertes successives, même lorsqu’elles contribuaient à donner l’image d’un quérulent isolé, ont suffi à valider le thème de la guéguerre clochemerlesque.


3) Une question de taille:
À quoi bon prendre des pincettes avec une administration villageoise qui, certes, agit dans les règles, mais avec une sensibilité conservatrice? Aurait-on imaginé offrir un tel porte-voix à un, voire trois habitants qui, à Lausanne, auraient dénoncé la politique de la Municipalité? Non, parce qu’un tel exécutif, avec ses qualités et ses défauts, ne sera jamais jugé «sulfureux».




Vous avez dit réac?

Parfois, lors de discussions autour d’une bière ou d’un café on me lâche à la cantonade: «Tu es tout de même un peu réac!». Longtemps, j’ai mal assumé mon côté «réactionnaire», comme une sorte de maladie honteuse. Aujourd’hui, je réponds invariablement avec Léon Daudet: «Je suis tellement réactionnaire que quelquefois j’en perds le souffle», puis je passe à autre chose.

Vous comprenez aisément pourquoi le titre et surtout le sous-titre de l’ouvrage (De Maurras à Houellebecq) m’a interpellé. A peine acheté, je me suis mis à le lire. Plus j’avançais dans la lecture et plus mon crayon rouge soulignait et griffonnait des remarques dans les marges. J’avais l’impression de lire le travail de maturité d’un gymnasien militant d’Extinction Rebellion ou d’un zadiste du Mormont. En fait, l’ouvrage de Monsieur Berthelier est le fruit trop mûr de sa thèse réalisée sous la direction de Christelle Reggiani de la Sorbonne et de Gilles Philippe, professeur ordinaire de l’Université de Lausanne.

La méthode utilisée pour analyser les différents auteurs est, on peut être en droit de la contester, une grille de lecture marxiste empruntée au philosophe et sociologue Lucien Goldmann (1913-1970). Moi qui croyais que le matérialisme historique avait été jeté aux oubliettes de l’histoire! Il faut dire que notre auteur organise depuis des années des séminaires de «Lecture de Marx» ainsi que le «Séminaire littéraire des armes de la critique». On peut tout de même douter de son objectivité. Non content de se faire l’héritier d’une critique marxiste, Monsieur Berthelier fait des incursions dans le genre «psychologique» notamment avec Marcel Jouhandeau. Il explique que Jouhandeau va publier à la NRF – que Berthelier qualifie de «cénacle de la bourgeoisie mondaine et esthète» – à cause de la récente fortune de sa famille et de son homosexualité. On ne peut que saluer la rigueur de la critique académique!
En ce qui concerne le contenu de cet ouvrage, je suis aussi assez dubitatif. Tout d’abord pourquoi partir de Maurras? Barrès aurait été plus approprié, mais laissons cela. Notre auteur commet un grand nombre d’erreurs sur Maurras. Passés les poncifs que l’extrême gauche accumule sur le maître de Martigues, on découvre que Monsieur Berthelier ne connaît pas son sujet. Maurras appréciait le style de Proust, contrairement à ce qu’affirme l’ouvrage. Il fut même un des premiers lecteurs enthousiastes des Plaisirs et les jours, œuvre de jeunesse de Proust. L’auteur lui en sera toujours reconnaissant, comme il l’écrit dans des lettres à la fin de sa vie. D’ailleurs, tous deux fréquentaient les mêmes salons mondains vers 1895. Sur le plan formel, Maurras appréciait davantage la liberté de la Renaissance que le formalisme du Grand Siècle.

Quant à Céline, Monsieur Berthelier reconnaît qu’il est étudié brièvement, juste pour rappeler qu’il n’a aucun lien avec Maurras et aussi «parce qu’il existe déjà une quantité pléthorique d’études céliniennes».
Le traitement que l’auteur réserve à Georges Bernanos reste dans le ton de l’ouvrage, un travail d’étudiant qui n’a pas compris grand-chose, et en particulier pas le génie prophétique de l’auteur. Le maître de conférence omet encore un grand nombre d’auteurs: Léon Daudet, René Barjavel, Pierre Benoit, Abel Bonnard, Henry Bordeaux, Paul Chack, Alphonse de Châteaubriant, Bernard Faÿ, Maurice Bardèche, Pierre-Antoine Cousteau et j’en oublie. En ce qui concerne Les Hussards, je ne saurais trop recommander le livre de Marc Dambre, Génération Hussards, qui vient de paraître.
Je m’arrête là et laisse de côté tout ce qu’il faudrait écrire sur l’étrange choix d’inclure Renaud Camus dans la liste autant que celui de s’en prendre à Houellebecq, qui relève de l’art d’enfoncer des portes ouvertes.
Pour Vincent Berthelier: «Chez les réactionnaires, une anecdote personnelle peut servir de point de départ à un texte apocalyptique». Il est vrai que le réactionnaire authentique ne vit pas dans le monde des idées, il ne fait pas de sculpture sur nuages, mais il met ses mains dans la pâte humaine et s’enracine dans la réalité, loin des idéologies et des préconcepts.
Le chroniqueur culturel de Bon pour la tête – média qui se qualifie lui-même d’indocile – ne s’est pas trompé en intitulant son article «Le style réac: usine à maximes». Le but de l’ouvrage est de fourbir des arguments au camp de la culture de l’effacement en discréditant les auteurs qui pourraient permettre de structurer une résistance intellectuelle. Ne nous laissons pas culpabiliser par les mandarins du politiquement correct, qu’ils soient revêtus du bonnet de docteur ou qu’ils tiennent la plume de l’information. Rejetons cet «index librorum prohibitorum» d’un revers de main! Comme l’affirmait Nicolás Gómez Dávila: «Le réactionnaire n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles.»

Vincent Berthelier, Le style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq, Paris, Éditions Amsterdam, 2022

Marc Dambre, Génération Hussards. Nimier, Blondin Laurent… Histoire d’une rébellion en littérature, Paris, Perrin, 2022

Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique, Monaco, Éditions du Rocher, 2005




Du Covid aux pénuries, l’autoritarisme mou

La stratégie «de la carotte et du bâton». C’est ainsi que nos confrères de 24 heures, au début du mois, ont synthétisé l’ensemble des mesures proposées par Berne, avec le soutien d’une large coalition d’acteurs économiques et politiques, pour faire face aux menaces de pénuries d’énergie. Au menu, des «recommandations» aussi basiques que remplir complètement le lave-vaisselle avant de l’utiliser, bien essorer le linge ou – nous citons – «aérer intelligemment» sa demeure.

Pas peur du ridicule

Autant de bons conseils qui nous forcent à faire un constat clair: face aux enjeux de taille, les dirigeants ne craignent plus d’assumer un certain ridicule en se substituant aux cadres familiaux, où se passaient naguère ces savoirs. «Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font, s’amuse d’ailleurs Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale. Cuire avec un couvercle, faire bouillir l’eau dans une bouilloire plutôt que dans une casserole, éteindre la lumière systématiquement, se doucher plutôt que se baigner.» Là où l’affaire devient moins amusante, c’est quand Berne menace de manier le bâton, pardon, de faire recours à un «appel plus pressant», dans le langage du Conseiller fédéral Guy Parmelin. Il est ainsi prévu que, si le volontarisme ne suffit pas, les Cantons se muent en policiers de la consommation d’énergie dans les ménages, pour éviter notamment que ces derniers soient chauffés au-delà de 19 degrés. «Ce qui est sûr, c’est qu’une surveillance dans les maisons individuelles serait irréalisable, conclut Suzette Sandoz. Ce sont les éventuels modes de surveillance qui m’inquièteront.»

Un héritage en question

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, né de l’opposition à la loi Covid, Daniel Rousseau va encore plus loin. Pour lui, cette façon d’agiter la carotte et le bâton est un héritage clair de la gestion de la pandémie: «La recette est assez simple: il faut agiter le drapeau de la peur sur nos libertés en décrivant le pire. Dans un second temps, on annonce au peuple que c’est moins pire que prévu pour le convaincre qu’il doit accepter aujourd’hui ce qu’il aurait refusé hier. Ce concept s’appelle ʻla soumission librement consentieʼ et il est largement utilisé dans la vente.» Une illusion démocratique qui le conduit à la question suivante: «La manipulation psychologique pour le bien commun est-elle justifiée?»

«Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font.»

Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale

Président du groupe Ensemble à Gauche au Conseil communal de Lausanne, Johann Dupuis tempère: certes, l’approche a été utilisée pour le Covid, mais non, elle n’a pas été inventée pour lui. Il s’agirait en réalité d’un héritage néolibéral de l’ère Thatcher-Reagan, dans les années 80: «L’état ne doit plus réglementer ni même réguler, mais informer, conseiller voire tout au plus inciter à». Une posture qui le pousse à invoquer la possibilité d’interdictions uniquement en cas de crise grave, ou «comme une espèce d’épée de Damoclès qui interviendrait seulement pour venir trancher une main invisible éventuellement égarée».
Un nouveau mode de «management» des peuples qui, quelle que soit son origine, laisse ouverte une question fondamentale: combien de temps un peuple unifié par le désir de liberté acceptera-t-il de se laisser mener avec une carotte et un bâton, à la manière des ânes?