Vous avez dit réac?

L’abondante rentrée littéraire nous réserve une plaisanterie d’un goût douteux: Le style réactionnaire de Vincent Berthelier. À peine publié chez un éditeur qui se veut «démocritique» et pratiquant l’orthographe rectifiée, cet ouvrage où le raccourci est roi – et où les préjugés conjugués aux poncifs passent les plats – est encensé ou modérément critiqué par les médias.
Dans le secret des bibliothèques, tant de livres que des experts du bon goût voudraient nous interdire de lire. Unsplash
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Parfois, lors de discussions autour d’une bière ou d’un café on me lâche à la cantonade: «Tu es tout de même un peu réac!». Longtemps, j’ai mal assumé mon côté «réactionnaire», comme une sorte de maladie honteuse. Aujourd’hui, je réponds invariablement avec Léon Daudet: «Je suis tellement réactionnaire que quelquefois j’en perds le souffle», puis je passe à autre chose.

Vous comprenez aisément pourquoi le titre et surtout le sous-titre de l’ouvrage (De Maurras à Houellebecq) m’a interpellé. A peine acheté, je me suis mis à le lire. Plus j’avançais dans la lecture et plus mon crayon rouge soulignait et griffonnait des remarques dans les marges. J’avais l’impression de lire le travail de maturité d’un gymnasien militant d’Extinction Rebellion ou d’un zadiste du Mormont. En fait, l’ouvrage de Monsieur Berthelier est le fruit trop mûr de sa thèse réalisée sous la direction de Christelle Reggiani de la Sorbonne et de Gilles Philippe, professeur ordinaire de l’Université de Lausanne.

La méthode utilisée pour analyser les différents auteurs est, on peut être en droit de la contester, une grille de lecture marxiste empruntée au philosophe et sociologue Lucien Goldmann (1913-1970). Moi qui croyais que le matérialisme historique avait été jeté aux oubliettes de l’histoire! Il faut dire que notre auteur organise depuis des années des séminaires de «Lecture de Marx» ainsi que le «Séminaire littéraire des armes de la critique». On peut tout de même douter de son objectivité. Non content de se faire l’héritier d’une critique marxiste, Monsieur Berthelier fait des incursions dans le genre «psychologique» notamment avec Marcel Jouhandeau. Il explique que Jouhandeau va publier à la NRF – que Berthelier qualifie de «cénacle de la bourgeoisie mondaine et esthète» – à cause de la récente fortune de sa famille et de son homosexualité. On ne peut que saluer la rigueur de la critique académique!
En ce qui concerne le contenu de cet ouvrage, je suis aussi assez dubitatif. Tout d’abord pourquoi partir de Maurras? Barrès aurait été plus approprié, mais laissons cela. Notre auteur commet un grand nombre d’erreurs sur Maurras. Passés les poncifs que l’extrême gauche accumule sur le maître de Martigues, on découvre que Monsieur Berthelier ne connaît pas son sujet. Maurras appréciait le style de Proust, contrairement à ce qu’affirme l’ouvrage. Il fut même un des premiers lecteurs enthousiastes des Plaisirs et les jours, œuvre de jeunesse de Proust. L’auteur lui en sera toujours reconnaissant, comme il l’écrit dans des lettres à la fin de sa vie. D’ailleurs, tous deux fréquentaient les mêmes salons mondains vers 1895. Sur le plan formel, Maurras appréciait davantage la liberté de la Renaissance que le formalisme du Grand Siècle.

Quant à Céline, Monsieur Berthelier reconnaît qu’il est étudié brièvement, juste pour rappeler qu’il n’a aucun lien avec Maurras et aussi «parce qu’il existe déjà une quantité pléthorique d’études céliniennes».
Le traitement que l’auteur réserve à Georges Bernanos reste dans le ton de l’ouvrage, un travail d’étudiant qui n’a pas compris grand-chose, et en particulier pas le génie prophétique de l’auteur. Le maître de conférence omet encore un grand nombre d’auteurs: Léon Daudet, René Barjavel, Pierre Benoit, Abel Bonnard, Henry Bordeaux, Paul Chack, Alphonse de Châteaubriant, Bernard Faÿ, Maurice Bardèche, Pierre-Antoine Cousteau et j’en oublie. En ce qui concerne Les Hussards, je ne saurais trop recommander le livre de Marc Dambre, Génération Hussards, qui vient de paraître.
Je m’arrête là et laisse de côté tout ce qu’il faudrait écrire sur l’étrange choix d’inclure Renaud Camus dans la liste autant que celui de s’en prendre à Houellebecq, qui relève de l’art d’enfoncer des portes ouvertes.
Pour Vincent Berthelier: «Chez les réactionnaires, une anecdote personnelle peut servir de point de départ à un texte apocalyptique». Il est vrai que le réactionnaire authentique ne vit pas dans le monde des idées, il ne fait pas de sculpture sur nuages, mais il met ses mains dans la pâte humaine et s’enracine dans la réalité, loin des idéologies et des préconcepts.
Le chroniqueur culturel de Bon pour la tête – média qui se qualifie lui-même d’indocile – ne s’est pas trompé en intitulant son article «Le style réac: usine à maximes». Le but de l’ouvrage est de fourbir des arguments au camp de la culture de l’effacement en discréditant les auteurs qui pourraient permettre de structurer une résistance intellectuelle. Ne nous laissons pas culpabiliser par les mandarins du politiquement correct, qu’ils soient revêtus du bonnet de docteur ou qu’ils tiennent la plume de l’information. Rejetons cet «index librorum prohibitorum» d’un revers de main! Comme l’affirmait Nicolás Gómez Dávila: «Le réactionnaire n’est pas un nostalgique rêvant de passés abolis, mais celui qui traque des ombres sacrées sur les collines éternelles.»

Vincent Berthelier, Le style réactionnaire. De Maurras à Houellebecq, Paris, Éditions Amsterdam, 2022

Marc Dambre, Génération Hussards. Nimier, Blondin Laurent… Histoire d’une rébellion en littérature, Paris, Perrin, 2022

Nicolás Gómez Dávila, Le Réactionnaire authentique, Monaco, Éditions du Rocher, 2005

Voir aussi

  • L’imposture conceptuelle

  • L’invitation ubuesque du Bureau de l’égalité

  • Réservé aux abonnés Oscar Wilde : Histoire d’une âme

  • Droit d’aînesse

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