Faire de l’affiche une bonne affaire à la bonne image

Un centre-ville historique doit veiller à son charme. Sa prospérité, comme son bien-vivre, passe par l’entretien de ce charme, son attrait. Pour le touriste, certes, mais aussi pour ses habitants. Sans tourisme, sans habitants, ou sans entreprises attirées par le cadre, un centre-ville historique se meurt peu à peu, au profit de villes sachant rester plus authentiques. Face aux villes grises, pierres et colombages conservent à la fois valeur et valeurs.

On sait que la publicité est nécessaire au commerce, mais trop de publicité peut nuire au charme. Nous avons tous traversé ces endroits où fleurissent des affiches sauvages en toutes saisons, apportant des couleurs criardes pouvant heurter l’œil. Sans publicité pourtant, comment promouvoir les commerces et produits locaux? Comment attirer le regard de ceux pour qui la ville se fait belle? Savoir-faire sans faire savoir trouve vite ses limites, on le sait bien.

La publicité est aussi une source de revenus qui peut être importante, les supports peuvent être précieux pour le commerce local. Le propriétaire d’une surface n’est pas en cause quand la publicité affichée choque: comment justifier sans arbitraire de le priver de revenus venus de notre meilleure information?

Sous prétexte de laideur, souvent ponctuelle, certains proposent d’interdire la publicité. Mais sans plus de nuances, l’interdiction nuirait à la prospérité de tous. Parce que faire-savoir est un besoin fort légitime, toute interdiction serait bien vite détournée par l’imagination créative. Qui imaginait que les affiches deviendraient des écrans géants pouvant jouer à cache-cache avec tout règlement? Comme lors de la prohibition de l’alcool dans les années 30, interdire est le meilleur moyen de voir la jungle tant redoutée se mettre en place.

De plus, la question reste ouverte de savoir qui interdirait et selon quels critères. On dira qu’au contraire, c’est facile, puisqu’il s’agit de ne favoriser que le commerce local. Mais quid de la publicité pour un parfum, une voiture ou un téléphone, tous vendus dans quelque boutique du centre? Faut-il proscrire la publicité pour un vin étranger, même servi à nos tables?

Bien sûr, on dira qu’il suffit de monter un comité des commerçants devant lequel les plans publicitaires devront passer. Mais un commerçant, ça travaille, tout le monde n’a pas de temps pour un comité Théodule. La corruption, du moins la connivence, ne peut donc être exclue et elle n’est pas connue pour être un gage de beauté, ni d’équité.

Alors comment faire?

Une alternative contre-intuitive consiste à rendre les propriétaires de supports totalement libres de leur affichage. Mais en créant une place de marché de l’affichage publicitaire local et en laissant le qu’en-dira-t-on agir pour réguler. Je possède un panneau, je mets une semaine de location en vente sur l’application locale. Tous les afficheurs peuvent faire une offre, y compris les étrangers à la ville.

Pour rendre le propriétaire responsable de la beauté de ce qu’il affiche, on encourage les habitants à voter chaque jour pour l’affiche la plus belle et décider des plus affreuses. Les meilleurs emplacements aux plus belles affiches monteront leurs prix. Ils seront bien plus attentifs à leur esthétique. Les autres devront réagir pour rester rentables.
Laissons faire.

Le podium de l’affiche, en somme: que l’affichage soit tant une bonne affaire qu’une bonne image.

Stéphane Geyres est Président de l’Institut Mises France et cofondateur des Lettres de Libéralie. Amoureux de la Liberté et des Hommes, il s’attache à partager un autre regard sur le monde. Humble mais aux convictions fermes, il s’adresse à ceux qui se cherchent dans le brouhaha actuel confus, tumulte haineux et irrespectueux qui peut faire douter.

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Légende : Stéphane Geyres est Président de l’Institut Mises France et cofondateur des Lettres de Libéralie.




Et si la publicité quittait les rues romandes ?

Ce qui a été refusé, à Bienne il y a un peu plus d’une année a été accepté à Yverdon-les-Bains au début du mois. La deuxième ville du canton de Vaud est désormais sur la même longueur d’onde que le Mont-sur-Lausanne. Cette localité avait décidé, en janvier 2019, de «lutter contre la pollution visuelle en renonçant à toute publicité sur le domaine public».

A Yverdon-les-Bains, jeudi 3 mars, le Conseil communal a adopté le postulat de Mathilde Marendaz (Solidarité & Ecologie)  intitulé «Libérons la ville du royaume de la consommation». L’objet, validé par 48 voix contre 42, pousse la ville à proposer une solution pour supprimer tous les affichages commerciaux sur le territoire communal, puis à mettre à disposition des emplacements promotionnels destinés aux institutions locales. L’élue, qui était par ailleurs candidate aux Conseil d’Etat lors des élections cantonales vaudoises du 20 mars, parle d’une victoire politique symbolique: «Cela reste un postulat n’impliquant pas des changements immédiats, comme le serait une motion. La Municipalité doit maintenant proposer une solution.»

Méchants capitalistes, bons écologistes

Comme à Bienne et Genève, ce sont le capitalisme et la surconsommation qui sont montrés du doigt par les défenseurs d’une ville sans publicité. Lors des débats du Conseil de ville biennois en janvier 2021, Nina Schlup (Jeunes socialistes) estimait que «la réclame fait la promotion de produits inutiles, crée des besoins factices et nuit à la planète.»

Une justification qui n’avait d’ailleurs pas franchement séduit l’élu libéral biennois Bernhard Leuenberger, cité par Le Journal du Jura: «Ce n’est pas la publicité qui crée des besoins mais bien la demande qui génère l’offre.» Il évoquait une motion peu subtile, allant à l’encontre de la liberté d’entreprendre: «Le monde n’est pas seulement composé de mauvais capitalistes et de bons militants pour le climat. Ce type de demandes est une voie express pour la dictature.»

A Yverdon-les-Bains, c’était plus ou moins la même rengaine, brandie par le rapporteur de la majorité, le socialiste Philipp Müller: «Nous soutenons les objectifs politiques du postulat. Nous vivons dans une société ou l’exposition outrancière à toutes sortes d’entreprises commerciales a un impact négatif pour un développement social harmonieux.»

Hormis l’aspect incitatif – et non contraignant –  de l’objet accepté le 3 mars, une autre donnée doit être prise en compte. La Ville d’Yverdon-les-Bains est liée, par contrat, jusqu’en 2029 avec la SGA, qui s’occupe de tout l’affichage sur le territoire communal, se chargeant également, et gratuitement, de la pose de publicités culturelles communales. Pour Mathilde Marendaz, il s’agit maintenant de trouver un moyen de briser ce lien avant l’échéance: «Un avocat qui siège au Conseil communal estime que le contrat conclut avec APG/SGA s’est fait sans appel d’offres. Il faut désormais examiner s’il est possible de l’invalider juridiquement.» La responsable de la communication de APG/SGA, Nadja Mühlemann avance un argument pragmatique: «Notre entreprise respecte les conditions contractuelles de tous ses partenaires, pour lesquels le secret des affaires s’applique. Les contrats ne sont pas concernés par la validation des lois et les débats politiques. Il en va de même pour la ville d’Yverdon-les-Bains. »

Cette possible interdiction de la publicité représente le clou dans le cercueil pour certains commerçants de la cité thermale. «J’ai bien peur que cette nouvelle mesure fasse mourir des petits commerçants», souligne madame Robellaz de la boucherie Robellaz. Jean-Louis, son fils et gérant de l’établissement, renchérit: «Nous allons fêter nos 100 ans en 2024. Avec l’harmonisation des horaires du parking payant dans les environs de la gare, le commerce devient difficile et je n’exclus pas de déménager la boutique.»

Déconsommation et décroissance

Directeur de l’agence de communication lausannoise Synthèse, Hervé Devanthéry reste sceptique quant à l’efficacité de ces possibles interdictions: «Les véritables objectifs sont la déconsommation et la décroissance. C’est une volonté d’imposer une pensée unique: consommer, c’est mal. C’est une vision, mais est-elle partagée par Monsieur et Madame Tout-le-monde? J’en doute, à voir le succès du Black Friday et autres promotions.»

Le spécialiste en communication y voit même une potentielle dérive idéologique: «A Genève, l’initiative «Zéro pub» vise à interdire les campagnes commerciales tout en épargnant celles à caractère culturel et institutionnel. Le théâtre, c’est bien. La politique, c’est bien. Les vêtements, c’est mal. Ce sont des choix arbitraires et dogmatiques qui annihilent le libre-arbitre et la responsabilité du consommateur. On lui dit ce qu’il doit faire, où il a le droit de partir en vacances, ce qu’il doit manger, comment il soit s’habiller. Quelle est la prochaine étape?»

Effectivement, le 8 mars dernier, l’initiative Genève Zéro pub a été votée par le Conseil municipal. La droite ne compte pas en rester là et va lancer un référendum, arguments à l’appui. Elle évoque des pertes allant de 6 à 8 millions de francs par an pour la Ville et la suppression de 130 emplois. Hervé Devanthéry appuie cette justification: «Une ville comme Genève perçoit chaque année plus de 4 millions de francs de redevances liées à l’affichage public, sans compter les prestations offertes par les concessionnaires. Son budget 2022 prévoit une perte de plus de 243 millions. Ces 4 millions ne sont donc qu’une goutte d’eau dans un océan de déficit. Mais pour le contribuable, c’est une somme colossale. On en fait des choses avec 4 millions!»

Les géants du numérique raflent tout

Les différentes initiatives romandes visent le solide, le concret, les centres-villes, sans jamais évoquer l’espace numérique, alors que les dangers semblent bien réels pour le directeur de Synthèse: «Cela détourne les investissements publicitaires vers des moyens numériques mondiaux au détriment d’acteurs locaux. Facebook, Google, LinkedIn et consorts se frottent les mains pendant que les médias locaux souffrent et disparaissent petit à petit.»

Nadja Mühlemann apporte une contradiction à l’argument de la pollution visuelle, souvent amené dans le débat par les opposants à la réclame: «La publicité extérieure est perçue par la plupart des gens comme sympathique, discrète et informative. Pour beaucoup, les écrans numériques avec des informations en temps réel et les affiches analogiques sont des touches de couleur bienvenues au quotidien.» Un point de vue partagé par le directeur de Synthèse: «En Suisse, nous avons la chance d’avoir une publicité peu intrusive. Les emplacements d’affichage sont limités et les infrastructures de qualité. La branche fait preuve d’une auto-régulation rare. Nous sommes les premiers à dire que trop de publicité, ou une publicité de mauvaise qualité, n’est bonne pour personne, ni pour l’annonceur, ni le pour consommateur. Dans ce contexte, pas besoin de pression politique, nous sommes conscients de ce que nous pouvons faire ou pas. Les publicitaires ne sont pas des voyous!»

Hervé Devanthéry rappelle que la branche publicitaire est la cible toute trouvée pour mener un combat politique: «C’est le bouc émissaire idéal. Les anti-pubs sont complètement impuissants face aux annonceurs, ils s’attaquent donc à leurs moyens de communication sous des prétextes inattaquables de manipulation, de santé, de pollution, de lutte contre la mondialisation, etc.» Pour conclure, il brise le mythe de l’aliénation par la publicité: «C’est oublier que – au bout du compte – c’est le consommateur, complètement conscient des techniques de marketing et loin d’être aussi idiot qu’ils veulent le faire croire, qui décide ce qu’il veut acheter ou pas.»

Légende : Les commerçants du centre ville d’Yverdon-les-Bains se montrent cirsconspects quant à une éventuelle interdiction de la publicité.

Un sursis pour les messages religieux?

Les affiches bleu roi de l’Agence C (photo) fleurissent dans toutes les rues, et sur certains bus, suisses. Mais si une interdiction de la publicité vient frapper les villes romandes, sont-elles également concernées? Difficile à dire, étant donné que l’Agence C, basée à Lyss, ne vend pas directement un produit. Son directeur, Peter Stucki, n’a pas souhaité répondre à nos questions. Notamment concernant une éventuelle inquiétude quant à l’avenir des réclames bibliques.

Stéphane Klopfenstein, directeur adjoint et responsable de la communication pour le Réseau évangélique suisse (RES), se dit étonné que les affiches de l’Agence C soient toujours visibles: «Nous sommes reconnaissants que ces réclames puissent être montrées dans l’espace public. Je sais que l’Agence C a déjà dû se battre pour pouvoir afficher ces versets. Il serait vraiment dommage que ces messages soient interdits. Je pense que si une prohibition de la publicité devait être prononcée, il n’y aura pas de traitement de faveur pour les réclames à caractère confessionnel.»

Stéphane Klopfenstein doute également que les messages à caractère religieux puissent bénéficier d’une exception vis-à-vis de la loi: «Dans un pays séculier ou la laïcité est bien mise en avant, je crois qu’il est difficile d’avoir un statut particulier pour ce type d’affiche.»