L’exemple concret d’un non-débat

Peut-on intéresser le public lorsque tous les intervenants sont d’accord? C’est en tout cas le pari d’une récente discussion entre journalistes sur la RTS. Au cœur des échanges: les modifications légales encadrant l’avortement aux états-Unis.
Doit-on renoncer au débat juridique lorsqu’un enjeu est sensible? Le pari interpelle. UNSPLASH
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Forum des médias de la RTS, le 8 mai: lors de l’émission titrée «L’avortement bientôt interdit aux états-Unis ?», le présentateur Mehmet Gultas introduit le sujet en parlant d’une «Annulation probable du droit à l’avortement aux états-Unis».

Le problème n’est pas tant l’objet du débat: l’équipe aurait tout aussi bien pu traiter de l’origine des pokémons ou, plus sérieusement, de la guerre en Ukraine. Le premier souci réside dans l’accroche donnée par le journaliste. Grégor Puppinck – docteur en droit, directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ) – donne une tout autre interprétation, dans les colonnes de Valeurs Actuelles: «Ce projet d’arrêt ne déclare pas l’avortement contraire à la Constitution, comme le fit par exemple la Cour constitutionnelle polonaise en 2020, à propos de l’avortement eugénique: il rend au peuple et à ses représentants le pouvoir de trancher cette question, comme c’était le cas avant l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Avec une telle décision, les États fédérés américains n’ont plus l’obligation de légaliser l’avortement, mais ils n’ont pas davantage l’obligation de l’abroger.» Une telle subtilité juridique ne sera à l’évidence pas proposée dans le cadre de l’émission, mais passons.

Autre fait saillant de cette discussion: les journalistes invités, Géraldine Savary (Femina) , Valérie de Graffenried (Le Temps) et Frédéric Autran (Libération) se révèlent unanimement choqués que la Cour Suprême songe à donner la possibilité aux États de choisir la ligne qu’ils souhaitent adopter en matière d’avortement. Et Frédéric Autran de déplorer: «Cela permet un revirement catastrophique 50 ans après l’affaire Roe v. Wade et cela pose la question de la représentativité et de la légitimité démocratique de la Cour Suprême.» Pour le journaliste de Libération, accorder davantage de liberté démocratique aux États serait nuisible à… la démocratie.

“Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire.”

Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS

Au final, la discussion ne portera jamais sur les mécanismes démocratiques américains, mais uniquement sur les implications sociétales d’un éventuel renversement légal. Contactée à ce sujet, Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS, botte en touche: «Nous avons choisi d’aborder une question d’actualité qui intéresse largement nos auditrices et auditeurs et pas de traiter ce thème, sous un angle émotionnel.» Elle n’estime pas non plus que ce type de discussion soit dommageable pour l’image de la RTS et des journalistes en général, qui, quand ils débattent, partagent généralement les mêmes opinions: «L’équipe de Forum, comme les autres rédactions de la RTS, abordent tous les sujets avec un même esprit critique et indépendant. Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire. Il s’agit d’une discussion entre journalistes livrant leur analyse ou leur point de vue sur des sujets d’actualité.»

Si certains politiciens que nous avons contactés ont préféré ne pas s’exprimer sur une tendance à l’uniformisation du message lorsque les médias traitent un thème sensible tel que l’avortement, Oskar Freysinger, ancien conseiller d’État valaisan UDC, ne se fait pas prier pour livrer son analyse: «Cela fait sept ou huit ans que je ne n’écoute plus la radio et que je ne regarde plus la télévision. Je n’ai pas envie de me faire sucer le cerveau tous les soirs.»

Pour l’ex-politicien, le journalisme relève de l’histoire ancienne : «Ce domaine est mort. Les journalistes sont des zombies qui ne savent plus que faire du copier/coller des différentes agences de presse. Par contre, ils n’hésitent pas à faire appel à des personnalités comme la mienne afin que j’envoie des missiles et, qu’ensuite, je puisse servir de punching-ball.»

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