L’outrage sur le métier

2022 ne restera pas dans les annales comme une année faste pour le journalisme. Depuis le début de l’année, les pressions politiques se multiplient pour secouer la branche. Mais doit-on réellement s’en étonner?
Les jeunes journalistes apparaissent de plus en plus souvent comme des militants déguisés lorsqu’ils intègrent une rédaction en tant que stagiaires. UNSPLASH
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Sale temps pour les médias. Entre l’interdiction facilitée de la publication d’articles récemment décidée à Berne, une nouvelle offensive visant la RTS, ou la proposition d’obliger les journalistes à déclarer leurs intérêts, la profession fait face à un déluge d’attaques sans précédent de la part de la droite. Au cœur du malaise, cette critique selon laquelle des invités d’accord entre eux tiendraient souvent le haut du pavé, tandis que les intervenants moins progressistes, sans même parler de journalistes dissidents, seraient tenus à l’écart. « Cette orientation se ressent peu lors des émissions Forum ou du 19h30, mais au-delà, il n’y a plus de limites », précisait récemment le PLR Philippe Nantermod à nos confrères du Temps.

Dans le canton de Vaud, le coup de grâce vient d’être porté au Grand Conseil par une motion signée par une équipe mixte de PLR et d’UDC, et portée par l’agrarien Cédric Weissert. Le texte, qui n’est pas près de déboucher sur un résultat concret, demande la «transparence des deux côtés du miroir». Ainsi, les journalistes devraient à l’avenir déclarer leurs intérêts, au même titre que les députés en début de législature. «Ce n’est pas une attaque contre le journalisme, qui est un métier magnifique», assure l’auteur de la motion. De fait, il jure même qu’il aurait préféré ne pas devoir la rédiger. En secouant le cocotier, il entend simplement inviter les rédactions à rétablir un semblant d’équilibre idéologique, de manière à recréer le lien de confiance avec les consommateurs.

“J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles.”

Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias.

«Certains journalistes rétorqueront qu’être membre ou sympathisant cotisant de telle ou telle association à but non lucratif, social ou environnemental ne gêne pas leur objectivité au travail», réagit Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias. Et de préciser : «J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles. Ou quand le journalisme devient une autre façon de s’engager pour une cause, y compris noble…».

Entre idéalisme mal placé et pressions politiques ou économiques croissantes, pas sûr que l’âge d’or ne revienne de sitôt dans la branche.

Commentaire: Le prix de l’entre-soi généralisé

Une petite quinzaine d’années de journalisme dans les pattes, et pourtant, déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées… Des causes que certains collègues voulaient défendre frénétiquement au travers de leurs articles. La lutte contre la déforestation aux côtés de Greenpeace, autrefois, pour l’égalité animale aux côtés de militants vegans, par la suite. Et puis l’accélération : le réchauffement climatique, dès la fin de la dernière décennie, la vaccination contre le Covid et, enfin, les questions liées à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le genre. Doit-on s’en offusquer ? A la vérité, pas forcément. Nous-mêmes nous avons logiquement, durant notre carrière, travaillé les thèmes qui nous touchaient, tandis que nos confrères et consœurs s’étonnaient parfois que les questions que nous posions puissent intéresser quiconque. Ainsi en va-t-il de n’importe quel travail impliquant une solide dose de subjectivité, et le journalisme en fait partie qu’on le veuille ou non.

Déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées…

Qu’on nous pardonne, dès lors, de mobiliser une grille de lecture marxiste dans une revue que d’aucuns se plaisent à classer à droite : il nous apparaît en effet que le malaise actuel –celui que tentent de révéler les élus bourgeois – provient avant toute chose de l’homogénéité des profils travaillant dans ce milieu. En clair, d’une surreprésentation de la classe moyenne supérieure dans un métier censé s’adresser à toutes les couches de la population, y compris aux prolétaires. Même avec les meilleures intentions du monde, comment un enfant de la bourgeoisie pourrait-il réellement traduire les souffrances et les aspirations de milieux qu’il n’a jamais fréquentés, et qu’il apprécie souvent à condition de les côtoyer de très loin ? A ce titre, et sans nier la qualité de l’enseignement qui en découle, la transformation croissante du journalisme en science universitaire ne nous paraît pas porter avec elle que de belles promesses.

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