Nous avons le doigt d’y croire

Des raisons de désespérer, l’actualité nous en propose cependant en abondance. En Suisse, les scènes pathétiques se sont d’ailleurs multipliées ces dernières semaines : c’était par exemple le fameux doigt d’honneur adressé au drapeau rouge et blanc par une jeune militante socialiste valaisanne, issue de bonne famille, à l’occasion de notre Fête fédérale (oui, nous disons bien fédérale !). C’étaient aussi les singeries d’Alain Berset, président de la Confédération, sur une love mobile à la Street Parade : signe de cornes avec ses mains, Heineken tiède, cigare au bec et boa autour du cou…  Qu’aurait-on dit s’il s’était agi de Trump ? Mais parce que nous n’avons pas d’œillères, il nous faut ajouter que nous n’avons guère goûté le nouveau clip de campagne, douloureux à regarder d’une traite, qui nous montre les élus UDC se déhancher en boîte de nuit. Aura-t-on davantage envie de voter pour tel ou tel représentant parce qu’il nous montre sa capacité à faire la fête, sombrer dans la vulgarité et en rire publiquement ? Ce serait là un signe assez dramatique de déclin du sens démocratique dans ce pays, au même titre que l’abstention.

Et pourtant, la reprise nous permet déjà de croire aux premiers signes d’un renouveau helvétique. Parce que les préoccupations portent plus sur les fins de mois que sur le sexe des anges (non binaires), des personnalités de gauche osent de plus en plus fréquemment dénoncer des thèmes de campagne qui, dans leur propre camp, se trouvent à des années-lumière des préoccupations de la population. À l’heure où nous rédigeons ce texte, la démission de chez les Vert-e-s du député vaudois au Grand Conseil Andreas Wüthrich en est le symbole éclatant. Pour rappel, l’élu a motivé sa décision par l’obsession de son parti pour les questions dites « sociétales », qui laissent la défense de l’environnement au second plan. Doit-on rappeler qu’en mars, des témoignages nous faisaient déjà part d’un malaise grandissant au sein du parti autour de l’omniprésence de ces sujets ? Et que dire de Vincent Keller, député popiste au Grand Conseil vaudois, chef du groupe réunissant toute l’extrême-gauche : « Ce ne sont pas des chiottes non genrées qui paieront les factures des classes POPulaires », tonne l’élu sur Twitter ! Il fut un temps où des antifas vous agressaient pour moins que ça. Dans cette édition elle-même, la présence d’une chronique du socialiste Pierre Dessemontet, pourtant très hostile à nos positions, indique bien qu’une certaine gauche semble vouloir reprendre le dialogue avec des personnes souvent caricaturées jusque-là.

Diantre ! Le Peuple aurait-il viré sa cuti ? Le portrait laudateur de Jaurès – immense socialiste devant l’Éternel – qui figure dans la présente édition pourrait le laisser croire. En réalité, ce semblant de « virage à gauche » s’inscrit dans la continuité des valeurs que nous prônons depuis le début. Voici les derniers mots de notre charte, que vous retrouvez traditionnellement à la fin de nos éditions : « Se voulant à la fois combatif et bienveillant, et entendant favoriser une authentique culture du débat, Le Peuple met un point d’honneur à traiter avec professionnalisme et intégrité les positions qu’il critique. »

Il ne s’agit pas simplement d’une ligne éditoriale, mais d’une ligne de conduite pour l’existence en général. Nul besoin de se trouver plus ou moins à gauche de l’échiquier pour défendre l’art de la controverse argumentée, fondement de la démocratie directe. Quitter l’entre-soi idéologique, sans jamais se renier, cela s’appelle la maturité. Nous espérons y parvenir grâce à votre fidélité.




Plaidoyer pour les vacances en Suisse

« Quand j’étais enfant, le glacier d’Aletsch remontait encore jusqu’au lac de Märjelen », lance un sexagénaire alerte, entouré de ses petits-enfants, tout près de la sortie du tunnel du Tälligrat, sur les hauts de Fiesch (VS). Alors que le grésil sévissait encore la veille, il fait bon en ce jeudi de la fin du mois de juillet, et les VTT électriques ne se privent pas de faire régner leur loi sur les chemins pédestres. Au risque, parfois, d’emporter un jeune garçon remuant ou une grand-mère trop pensive aux yeux des nouveaux caïds sur deux roues.

C’est pas mal et c’est chez nous.

Dans ces lieux peut-être davantage propices à la contemplation, le fun sévit comme partout, et la technologie poursuit son œuvre sinistre. Transformés en aventuriers, les adeptes des sensations fortes passent à côté de tout, mais ne voient plus grand-chose. Peu importe ! Dans vingt minutes, deux jeunes enfants, sept et dix ans, découvriront le plus grand glacier des Alpes, juste après avoir longé son petit frère de Fiesch dans une vallée parallèle durant deux premières heures de randonnée. Moraines, névés, pierriers… Tout un vocabulaire s’imprime dans leurs esprits, soudainement très éloignés des transformations de Pokémons. Pikachu se trouve assurément très loin, mais si la famille monte à l’Eggishorn, plus tard dans la journée, une figure autrement plus mythique fera son apparition : le Cervin, que le ciel dégagé permettra d’admirer dans toute sa majesté. Pour l’heure, on se contentera de s’amuser de l’interminable séance photo d’un couple d’amoureux déterminés à inonder les réseaux sociaux d’un bonheur reconnaissable à des poses aussi grandiloquentes qu’un slogan des Jeunes Socialistes Suisses.

Le sens de l’émerveillement

Tout au plus un peu de tristesse s’impose sur les visages lorsque l’ainé des enfants s’interroge sur l’étrange ligne qui indique l’endroit que touchait jadis le glacier sur la montagne en face. Que voulez-vous ? Sur cette autoroute à vacanciers, on vient voir un chef-d’œuvre de la nature, mais il faut bien avouer que l’on a parfois aussi l’impression de se trouver au chevet d’un mourant. Est-ce à dire que des vacances en famille près d’un glacier incitent forcément à basculer dans la vision la plus autoritaire de l’écologie ? Ce serait rendre politique une chose qui doit en être préservée : le sens de l’émerveillement. Ce précieux sens de l’émerveillement qu’il s’agit de transmettre aux enfants pour qu’ils décident librement du genre de vie qu’ils veulent adopter à l’âge de raison. Le propos peut sembler très général, d’accord, mais n’est-il pas plus à même de transmettre un souci environnemental que la mise en scène de 600 figurants nus naguère organisée en ces lieux par Greenpeace ?

Un pays en héritage.

Certains militants climatiques bloquent des routes puis prennent l’avion pour aller au Mexique. D’autres s’arrêtent devant un glacier et ne savent honnêtement plus quel serait le bon dosage entre respect des libertés individuelles et défense de la Création. Comment trancher ? Des vacances dans son propre pays ne donnent ni la solution ni une position de surplomb moral. Mais elles permettent de comprendre ce que les étrangers viennent trouver chez nous : une Suisse fière et protectrice de ses richesses naturelles, une Suisse qui n’a pas honte de ses dialectes ou de son patrimoine culturel et religieux. Partir en vacances dans son propre pays, par choix ou par contrainte, c’est redécouvrir un style de vie qui faisait la joie de nos anciens : gravir des cols, traverser des vallées, visiter des chapelles qui, à trois heures de train de chez soi, font partie de nos âmes. 

À trente minutes en train de Fiesch, un ossuaire – celui de Naters – annonce :« Was ihr seid, das waren wir / Was wir sind, das werdet ihr ».« Ce que vous êtes, nous l’étions / Ce que nous sommes, vous le serez ». Surmontant des milliers de crânes, la devise peut sembler terrible ; nous la trouvons pleine d’espérance. Quelques heures de rail nous ont permis de redécouvrir un lien avec des personnes reposant en ces lieux depuis 500 ans, et pour l’éternité.

Des vacances toutes bêtes, auxquelles on aurait d’abord préféré la dégustation d’un poulpe grillé sur une plage de Crète, nous ont rappelé que nous vivons dans un beau pays. Et qu’il faut, en trouvant un compromis entre nos diverses sensibilités, en préserver la grandeur.




L’impensé de la gauche

On se sent souvent bien seul, à défendre le sens commun. Généralement, les belles âmes nous reprochent de faire des montagnes pour un rien, d’être réactionnaire ou d’extrême-droite. Seulement, vient un moment où même des personnes fort éloignées des choses de la foi, ou juste attachées au minimum de règles informelles nécessaires à la vie en société, disent elles aussi stop face au scandale de trop.

Le PLR n’est pas un parti conservateur. Pourquoi aurait-il eu besoin de l’être en des temps où il ne serait jamais venu à l’idée de quiconque de chanter sa haine de la police, des bourgeois ou des assureurs dans une cathédrale ? L’époque a changé, et certains ont perdu leurs repères, enfermés dans la certitude d’incarner le progrès. Face au scandale qui éclabousse Lausanne et la gestion de sa cathédrale, il faut savoir gré au centre-droit d’avoir pris les choses en main en appelant un chat un chat. On aurait aimé que les gens qui ont pour mission de représenter les croyants en fassent autant. Sans doute ont-ils un bilan de la consommation énergétique de leurs paroisses à établir. 

Depuis plus d’une année, Le Peuple fait face aux caricatures. Qu’il n’ait jamais écrit pour dénigrer telle ou telle communauté d’origine étrangère, peu importe : beaucoup ont tenté de faire de nous l’épouvantail d’extrême-droite dont ils avaient besoin pour s’inventer des combats. Aujourd’hui, alors que des personnes parfois libérales, athées, et même souvent d’autres confessions nous rejoignent dans notre combat, le sol se dérobe sous leurs pieds. Oui, l’écrasante majorité des gens en a marre de voir l’insulte, la mauvaise humeur et le déni de démocratie érigés en vertus cardinales. 

C’est l’heure de la confidence : insulter le capitalisme, le bon Dieu et la police, nous aussi nous l’avons fait, et longtemps. Mais il ne nous serait jamais venu à l’idée de nous indigner des retombées de nos provocations. Lorsque nous étions de petits punks enragés, nihilistes et désespérés, nous savions que nous avions peu de chances de recevoir des médailles. Plutôt des coups de pied au derrière. Certains nous ont fait du bien, quelques-uns ont même sauvé nos vies.

L’affaire de cette semaine, en vérité, est éprouvante. Elle est éprouvante car elle met en lumière le degré de mollesse des grandes Églises, si longtemps soucieuses de mendier la sympathie du monde qu’elles ont fini par accepter d’accueillir l’insulte entre leurs murs. Insultes pour les capitalistes, les bourgeois et même la police qui protège les manifestations culturelles révolutionnaires organisées avec l’argent des braves gens. Elle montre aussi qu’à force de faire tout sauf leur travail central – annoncer l’évangile –, elles ont fini par se trouver remplies de n’importe quoi.

Reste une ultime question : si l’on peut se féliciter de la réaction du centre-droit, on peut aussi se demander ce qui empêche les socialistes de marquer à leur tour leur désapprobation. Pour avoir des idéaux égalitaires, ce qui n’est philosophiquement pas inconcevable, doit-on pour autant se solidariser de la haine du flic, du bourgeois et du mâle ? Il y a là un impensé qui, malheureusement, fait fuir quantité de gens tout à fait recommandables d’une gauche qui vaut mieux que cela. 




Le Salut par le poulpe

Les égouts de notre société sont souvent moraux : un peu partout, des scènes inimaginables il y a encore vingt ou trente ans, comme la présence de drag-queens dans des bibliothèques publiques pour faire la lecture aux plus petits, sont non seulement promues, mais financées par de l’argent public. Deux intervenants, le philosophe Jean Romain et la politicien UDC Yohan Ziehli, en parlent mieux que nous ne saurions le faire dans notre édition. Alors que faire ? Combattre chaque nouvelle absurdité, comme un taureau devant lequel on agite un drapeau rouge ? Perpétuellement sonner le tocsin, au point de ne plus être entendu ? Au Peuple, nous tentons de résister à cette tentation en défendant la littérature comme contre-pouvoir.

Il y a une fatigue, en effet, à défendre le sens commun dans une société entièrement organisée pour détruire toute forme de vie intérieure. Qu’un élu du peuple (nous ne parlons pas du journal, mais bien du peuple qui élit ses représentants) demande des comptes aux plus hautes autorités politiques au sujet de telle ou telle dérive subventionnée, on lui rira gentiment au nez. Vous n’allez pas dans le sens de l’histoire, mon brave monsieur ! Quant à la société civile, elle réagit désormais comme sous tout bon régime totalitaire : on ose dire entre nous que nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec certaines choses, bien entendu, mais pas au point de sortir du rang pour ne plus laisser le mensonge passer par nous. Le déclin du courage annoncé par Soljenitsyne a eu raison de nous.

D’abord, admettre l’échec

Le rôle des politiciens consiste à trouver des solutions, celui des journalistes à dire le pays réel. Peut-être, après tout, devrions-nous simplement rechercher d’autres réalités et admettre que nous avons perdu la partie. À quoi bon se révolter ? La religion qui a fondé l’Europe est peu à peu supplantée par une autre, et nos proches en souffriront. Le sens de la liberté, ce bien si précieux, a déserté nos semblables, qui ne voient rien de bien grave dans la mise en place de plus en plus rapide d’un État maternant. Quant à l’effondrement de la langue française, la majorité des adultes sont eux-mêmes parvenus à un tel état d’abrutissement qu’ils ne savent même plus s’inquiéter de la disparition du « nous » ou des pronoms relatifs chez leurs enfants.

Depuis toujours, l’humanité a cherché à donner du sens à la présence du mal dans le monde. Les exemples classiques expliquaient que tel ou tel instrument, pour sonner juste, avait besoin d’une corde dont le son, isolément, faisait mal aux oreilles. D’autres y ont vu la volonté d’un Dieu tout-puissant, certes, mais respectueux de la liberté des hommes. Certains, enfin, ont fui ces questions, accepté le réel et se sont réfugiés dans une quête esthétique. La beauté, évidemment, ne suffit pas à elle seule à donner une clé de compréhension aux malheurs du genre humain. Elle aide toutefois à les supporter.

Tandis que la chaleur nous écrase, imaginons-nous un instant sur un port crétois, un ouzo à la main, quelques olives sur la table et un poulpe délicatement grillé dans une assiette. Voilà qui ne suffit assurément pas à accepter l’asservissement de notre condition de modernes, et c’est tant mieux. Contre l’État maternant ou pour une société digne et décente, les raisons de se battre ne manqueront jamais et il est sain de rester éternellement révolté. Mais le point de départ de tout engagement consiste à se rappeler que la vie est belle, que le premier miracle associé au Sauveur des chrétiens consiste à avoir changé l’eau en vin pour que tout le monde puisse se réjouir. Ainsi en va-t-il de notre civilisation : face au mystère du mal, elle a su s’appuyer sur la beauté pour nous rendre la vie plus humaine.

L’ouzo, le poulpe et les olives ne constituent certes pas une théodicée, mais déjà un premier pas vers le Salut.




Qui se souvient des hommes…

Qui se souvient des hommes… Cette question, ou plutôt cette lamentation, n’est pas la nôtre, mais celle de l’immense écrivain Jean Raspail. Dans ce roman, paru en 1986, il nous racontait l’épopée terrible des Indiens Alakalufs, ces habitants de la Terre de Feu conduits à l’extinction par les ravages conjugués de la guerre entre clans, des élans missionnaires européens et du progrès sous toutes ses formes. Oui, le progrès autoritaire, parfois, fait mourir des peuples. Il agit, pour cela, en attaquant leur langue, leur longue mémoire ou leurs coutumes. Cela vous rappelle-t-il l’époque que nous vivons ? C’est normal, rassurez-vous.

Devenons-nous des Indiens Alakalufs ?

Car oui, peut-être sommes-nous aussi en train de devenir des Alakalufs, nous qui nous croyons si souvent à l’avant-garde de l’humanité. Dans ce numéro, nous montrons par exemple comment l’un de nos contributeurs a facilement créé un robot information – un bot dans le langage des passionnés d’informatique – capable de débiter à volonté des sorties de militant de droite un peu rance sur les réseaux sociaux. Non seulement sa créature déverse admirablement bien sa mauvaise humeur réac, mais en plus des personnes se laissent régulièrement prendre et répondent avec agressivité à un être qui n’existe pas.

D’aucuns y verront la preuve des immenses dangers de l’informatique moderne, et prôneront le « retour en arrière ». Récemment, nous avons même vu des libéraux qui proposaient d’interdire l’intelligence artificielle, par prudence, comme d’autres avaient tenté d’empêcher la révolution industrielle pour sauver la classe ouvrière au début du 19e siècle. Nous sommes journalistes et non prophètes, mais gageons que le succès semble de nouveau peu probable. Il semble déjà si ambitieux d’inviter nos proches à apprivoiser l’intelligence artificielle avec un peu de méfiance, un peu comme l’on prendrait un Panadol un lendemain de cuite.

Il ne s’agit plus de combattre la machine en elle-même, mais de sauver l’Homme avec un grand H. Si des logiciels sont aujourd’hui capables de se substituer à des journalistes et des universitaires, c’est que ceux-ci étaient déjà devenus interchangeables bien avant ChatGPT. Si un bot est à même de se faire passer pour un authentique militant de droite atrabilaire, c’est que, bien souvent, la pensée conservatrice a évolué vers une caricature d’elle-même. Et que dire, bien sûr, de l’effacement progressif des repères anthropologiques que nous poursuivons, « attirés par l’odeur du progrès comme des mouches vertes sur un chat crevé » (Orwell, dans le Quai de Wigan ) ? Nous n’avons par exemple pas attendu ChatGPT pour décréter, contre toute la sagesse de notre civilisation, qu’un enfant pouvait grandir sans avoir besoin de connaître son père ou sa mère, par exemple. Et ce n’est pas non plus ChatGPT qui pousse les parents à sacrifier leurs enfants à la rééducation arc-en-ciel des Drag Queens qui prennent possession des bibliothèques publiques.

Il ne s’agit plus de tenter d’échapper à la machine : nous sommes tous englués dans le type de société qu’elle produit. Mais sans doute pouvons-nous encore cultiver ce qui fait de nous des êtres humains : la faculté de ressentir et d’exprimer des émotions. Ce sens de l’émerveillement, aussi, qui devrait nous caractériser devant la beauté du monde. Oui, il n’existe aucun combat qui se gagne autrement que dans la joie, autour d’une bonne bouteille et d’une bonne côte de bœuf. Ces choses vous paraissent-elles trop simples ? Peut-être, mais elles sont infiniment plus réelles que les abstractions que nous poursuivons – progrès, liberté, égalité – tandis que la sève de notre civilisation se tarit.




Sur les épaules des géants

Il est beaucoup question d’oubli dans cette édition. Oubli, plus ou moins organisé, de traditions religieuses que l’on n’ose même plus nommer sur le service public. Oubli de notre patrimoine identitaire – souvent sous couvert d’intégration. Oubli de ce qu’est une femme, par-delà la possession d’un utérus. Oubli, surtout, de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas : ce qu’Orwell appelait la décence commune (common decency). 

Toute vie en société, en effet, implique des interdits moraux qui ne dépendent pas des valeurs propres aux uns et aux autres, mais de conventions qui évoluent généralement à un rythme bien plus lent que le cadre légal. Nous qui n’aimons guère l’autorité, a fortiori lorsqu’elle est étatique, nous jugeons bon que ces interdits soient réduits au maximum, sans quoi la vie en commun évolue rapidement vers le totalitarisme. Reste qu’il est illusoire de croire que nous pouvons nous supporter en l’absence d’un cadre de valeurs communément partagé. Cet optimisme, pour un conservateur, fait fi de la nature fondamentalement déchue de l’homme. Pour le libéral, elle néglige la réalité de l’état de nature dépeint par Hobbes : la guerre de tous contre tous.

Mais les conventions ne sont pas seulement la marque d’une malédiction liée à la nature imparfaite de l’homme. Elles rendent possible une certaine stabilité des mœurs qui confèrent à une nation ou à un pays un charme propre et un art de vivre. Elles empêchent aussi des blessures inutiles : jusqu’à peu, il était par exemple coutume de ne pas toucher volontiers au sacré d’autrui, dans nos sociétés. On pouvait penser pis que pendre de tel ou tel prophète ou de telle religion, mais on n’allait pas l’écrire, ou alors à destination d’un cercle restreint de lecteurs. Simplement parce que cela n’apportait rien, mais risquait tout au plus de fragmenter la communauté nationale. La contestation de tel ou tel aspect du dogme revenait à ceux qui les avaient étudiés, et pouvaient dès lors en parler avec plus d’autorité qu’un militant déconstructionniste abreuvé de réseaux sociaux. On pouvait bien sûr ne pas croire au monde suivant, mais il n’était pas au programme d’insulter ceux qui y plaçaient leurs espérances, ou leurs illusions selon les points de vue. Convenons qu’en ces temps-là, les questions que posaient la littérature étaient plus élevées que celles de la modernité : de façon abrupte, nous affirmons même qu’il y a un lien incontestable entre la déchristianisation et la fascination contemporaine pour le fonctionnement des intestins.

Une perte de sève

Le constat est sans appel : les valeurs qui fondaient une civilisation, nous les avons perdues. Dans cette édition, nous relatons par exemple la manière dont la Vigile pascale – le moment le plus mystérieux de la foi chrétienne – a été troublée dans la basilique Notre-Dame de Fribourg par un jet de pavé à travers un vitrail. Oh, rien de dramatique : juste une grosse pierre, lancée par un homme ivre et qui n’a d’ailleurs pas exprimé de sentiments anti-chrétiens particuliers. Pourquoi en parler, dès lors ? Parce que cet incident s’inscrit dans une sorte de mépris du sacré, à bas seuil, qui rend tout possible. Du moins lorsque l’on vise les chrétiens.

Dans le cadre de la diffusion de notre article sur les réseaux sociaux, les belles âmes nous ont en effet expliqué que nous nous énervions pour pas grand-chose et qu’il ne fallait pas surévaluer la « cathophobie » dans notre pays. C’est bien, c’est haut et c’est noble, mais les mêmes propos auraient-ils été tenus si une synagogue ou une mosquée avait été touchée lors d’une fête importante des confessions concernées ? Certainement pas. En effet, chacun reste conscient que les croyants en question, à la différence des chrétiens, ne se satisfont pas d’un rôle de paillasson. Et ils ont raison. La religion sur laquelle s’est constitué ce continent, par contraste, a perdu sa virilité – osons un gros mot –, et il n’est pas tout à fait certain que les femmes en sortent réellement gagnantes. 

On a beaucoup vu tourner, ces derniers jours, la photo épouvantable d’une jeune femme prenant la pose, à la façon d’une influenceuse, sur les rails menant à Auschwitz. La souffrance des personnes blessées par cette mise en scène d’une bêtise inouïe est évidemment incomparable avec ce qui s’est déroulé à Fribourg. Mais les racines du mal sont peut-être bien les mêmes : le totalitarisme du festif, le culte du fun et l’oubli de ce que l’expérience humaine a d’indicible, et qui doit être respecté. 

La littérature pour Salut

Alors comment lutter contre la bêtise ambiante ? Tout d’abord, en ne confondant plus le souci de la mémoire avec l’obsession contemporaine de nettoyer le passé de ses scories. N’est-il pas frappant que la culture de l’oubli se développe de façon concomitante à celle de la surmoralisation ? Car oui, pour être sortis de la religion en tant que phénomène structurant la vie en commun, nous n’en sommes pas pour autant sortis des règles de pureté, ne serait-ce qu’au niveau de l’alimentation. Nous ne sommes pas davantage sortis d’un certain mépris du corps ou d’une volonté d’éradiquer tout mal sur terre. Peut-être que seule la littérature peut encore nous sauver. Peut-être est-il simplement bon de revenir au poème fondateur de l’Europe, L’Illiade, qui commence ainsi : « Chante, ô Muse, la colère d’Achille, fils de Pélée, colère funeste, qui causa tant de malheurs aux Grecs, qui précipita dans les enfers les âmes courageuses de tant de héros, et rendit leurs corps la proie des chiens et des vautours. » Oui, alors que les âmes étaient encore tournées vers la grandeur, et non vers nos petits soucis particuliers, les Grecs ont su fonder une civilisation sur une colère funeste qui transforma les corps de guerriers valeureux en nourriture pour chiens. On savait composer avec le tragique, en ces temps, alors qu’on l’évacue frénétiquement aujourd’hui.

Nous sommes des nains, aujourd’hui plus que jamais. Mais nous pouvons encore remonter sur les épaules des géants, pour paraphraser Bernard de Chartres. Car seule la connaissance du temps long de l’histoire, et de ce qu’elle a parfois de sombre, saura nous permettre de survivre aux bouleversements qui viennent.




Libertaires de tous les partis, unissez-vous !

Dans ce nouveau numéro du Peuple, nous montronscomment certaines figures du parti, dont la conseillère nationale et présidente de la fondation Santé Sexuelle Suisse Léonore Porchet, ont vivement encouragé les téléspectateurs romands à ne surtout pas se faire une idée par eux-mêmes au sujet d’un reportage de Temps Présent diffusé au début du mois de mars. Alors que des pressions dignes de sectes – c’est le producteur de l’émission qui le dit – faisaient rage sur les journalistes, ces élus n’ont pas hésité à diaboliser leur travail avant même qu’il ne soit rendu public. Prétexte invoqué : en s’intéressant aux cas de « détransitions » de genre, c’est-à-dire aux personnes décidant de faire marche arrière dans leur changement d’identité, l’équipe de Temps Présent s’intéressait à une réalité très marginale qui ne méritait aucune attention.

L’autoritarisme progressiste

Étrange argumentation : pas un jour sans que les exemples les plus extrêmes de « convergence des luttes », drag queens véganes déguisées en vache ou sans-papier non binaire en fauteuil roulant, ne soient portés aux nues sur le service public, sans que cela semble offusquer les Vert-e-s ou les militants queers. Mais de laisser entendre que, peut-être, la pression des réseaux sociaux et de certains organismes subventionnés pourrait conduire des ados à faire des choix périlleux pour leur santé, vous n’y pensez pas : « Transphobie en prime time à la RTS », a fulminé Léonore Porchet, avant même la diffusion du reportage incriminé. Des postures qui, comme nous le montrons dans notre dossier, agacent jusqu’au sein du parti. Pourquoi diable, en effet, la nécessaire préoccupation climatique devrait-elle s’accompagner d’un tel autoritarisme progressiste ?

Marginal, mais positif cette fois.

Mais venons-en à notre propre idéologie : voue-t-on une haine particulière aux Vert-e-s, au point de leur consacrer ces quelques pages ? Certes non. Ces dernières semaines, l’affaire Dittli – du nom de la ministre vaudoise des finances accusée d’évasion fiscale – a malheureusement montré que la droite savait tout autant y faire, en matière de mépris de la liberté de la presse. Que l’on juge la question de fond problématique ou non, les journalistes du service public avaient effectué leur travail en dévoilant comment l’élue centriste avait dirigé un parti cantonal tout en payant ses impôts dans une autre région. Or qu’a-t-on vu le mois passé ? Des députés bourgeois attaquer du « tout petit journalisme de bas étage », quand bien même le gouvernement vaudois prenait la polémique suffisamment au sérieux pour engager un expert.

La Visitation, par Giotto. Un épisode de la Bible à réécrire? Image: Wikipedia

Mépris de la liberté, enfin, dans cette information que nous révélons au sujet du journal Le Temps. Nos lecteurs vétérans se souviennent sans doute de l’entretien que nous avait accordé l’ancienne conseillère nationale libérale et professeur de droit Suzette Sandoz, l’été dernier. Blogueuse pour le quotidien genevois, elle venait d’être remise à l’ordre publiquement pour avoir osé affirmer que l’enfant qu’une femme portait en son sein, dès la conception, était… un enfant. Un scandale, assurément, qui nous conduira sans doute à réécrire un jour l’épisode de la Visitation. Dans cette scène de la Bible qui a inspiré tant d’artistes, personne n’avait encore pensé à s’indigner, en effet, de cet enfant qui bondit de joie dans le ventre d’Élisabeth en apprenant que Marie est enceinte. Si l’évangéliste Luc nous lit, peut-être saura-t-il rectifier le tir en évoquant l’allégresse du fœtus de Jean-Baptiste… Toujours est-il que nous révélons dans cette édition que la publication de l’article avait débouché sur une menace d’attentat, dont l’auteur, un gentil progressiste, n’a jamais été inquiété.

Nous pourrions ironiser à l’infini, mais notre inquiétude est réelle. Et cela d’autant plus qu’elle n’est pas partisane. Faute de savoir défendre une culture de la controverse amicale ou argumentée, notre société semble en effet basculer dans le manichéisme. Chacun voit, dans l’autre bord, des impurs auxquels il serait permis de faire n’importe quoi, n’importe comment. Même le Vert Marius Diserens, dont nous mentionnons les errances dans ce numéro, a récemment fait l’objet d’une campagne de cyberharcèlement inacceptable. Saurait-on s’en réjouir ? Bien sûr que non : un comportement laid est un comportement laid, peu importe qui est ciblé.

Peu importe la cible, un comportement laid est un comportement laid.

Nous l’avons dit cent fois, mais nous le redisons : l’idéal de notre journal n’est ni complètement chrétien, ni complètement libéral, ni totalement conservateur, et a fortiori pas d’extrême droite. Notre propos est de participer, sans piocher pour cela dans les poches du contribuable, à la renaissance d’une culture du débat authentique. Pour que la chose soit enfin possible, libertaires de tous les partis, unissez-vous !




Pourquoi nous combattons

Peut-être vous souvenez-vous de la vidéo d’un polytoxicomane notoire, assis sur un banc de pique-nique, qui nous parlait de prévention santé durant la pandémie de coronavirus. « Pour protéger les autres et pour te protéger toi », cet humoriste nous invitait à porter le masque « bien sur le nez et bien sur la bouche » avec une autorité morale surprenante venant d’une personne peu portée sur la vie saine. Mais peu importe : il s’agissait alors de « passer les gestes, pas le virus », comme nous l’expliquait cet exercice de « pédagogie » subventionné par la Ville de Paris et par l’UNICEF.

Quand Palmade nous apprenait à vivre. (DR)

Protéger les autres comme soi-même est certainement une régression sanitaire de l’ancienne exigence chrétienne d’« aimer son prochain comme soi-même ». Elle conserve cependant une étincelle de vérité. À ce titre, il aurait été agréable de voir la star de ce spot de prévention, Pierre Palmade, l’appliquer à elle-même. Las, comme chacun le sait désormais, l’acteur a détruit une famille en prenant sa voiture après de longues heures d’orgie, semant la mort et la dévastation sur son passage. Ajoutant l’indignité à la tragédie, les deux escort-boys qui l’accompagnaient n’ont pas jugé nécessaire de porter assistance aux victimes de leur ami, préférant prendre la fuite.

La collision de deux mondes

La portée symbolique du fait divers est immense. Dans une société où les humoristes ont pris depuis une dizaine d’années une étonnante place de prescripteurs, elle vient nous rappeler que l’on peut défier l’ordre bourgeois sans être soi-même un exemple, ou ne serait-ce qu’un homme décent. Le drame, survenu entre un centre commercial Carrefour et un village de 2000 habitants, est aussi le tableau d’une collision entre deux mondes. Celui des gens du commun, dans leurs Twingo, et d’une hyperclasse cumulant vices, arrogance et mépris de la loi. Comment ne pas ressentir de colère lorsque la tragédie dévoile la triste intimité de ceux qui sont payés pour nous donner des leçons en temps de crise, et pour nous divertir quand la crise ne fait que couver ? Quelques jours après l’accident, la chaîne TF1 ne diffusait-elle pas encore une adaptation cinématographique d’Astérix dans laquelle Palmade, ironie macabre, joue le rôle d’Assurancetourix…

Et pourtant, la haine n’est pas une fatalité.

Dans ce sens, les rapprochements entre l’homosexualité de Palmade et son crime n’honorent pas ceux qui les multiplient. On connaît de bons pères de famille qui n’hésitent pas à prendre le volant, certes sans « compagnons » sur la banquette arrière, mais avec trois grammes par orteil. Dire que l’autre est un « dégénéré », un « monstre » ou un « fou » lorsqu’il révèle le pire de lui-même est une manière confortable de nous rassurer sur notre propre condition. Un mécanisme de défense psychologique bien naturel mais qui n’élève pas le niveau des âmes. On peut espérer que la justice des hommes soit impitoyable sans vouloir se substituer à celle qui, pour ceux qui y croient, nous attend dans le monde suivant.

Des mous ?

Sommes-nous finalement des mous, au Peuple, lorsque nous refusons de hurler avec les loups ? La question s’est aussi posée à propos de notre enthousiasme tout relatif au sujet d’un référendum lancé à Genève contre l’autorisation du port du burkini dans les piscines municipales. Décidé par le politique, cet assouplissement nous fait rire jaune à nous aussi : pour rappel, les chrétiens, au même moment, n’ont plus le droit de se faire baptiser dans le lac ! Pour autant, doit-on partir au combat contre un maillot de bain un peu plus couvrant que la moyenne ? Imagine-t-on 300 Spartiates mourir au défilé des Thermopyles pour garantir le « vivre-ensemble » dans nos piscines ? Relever le caractère un peu dérisoire, et perdu d’avance, de ces combats, ne signifie pas que nous sommes déloyaux avec les gens dont nous sommes proches. Les personnes qui s’engagent contre la présence visible d’un islam conquérant sont parfois courageuses, doivent pouvoir s’exprimer et trouveront toujours un accueil respectueux dans nos pages. Toutefois, nous peinons à imaginer un chef de famille salafiste laissant sa femme aller croiser des corps d’hommes à moitié nus toute une après-midi à condition qu’elle porte un burkini. On croit souvent déceler l’islamisation rampante là où se trouve la simple réalité démographique…

Doit-on réellement se battre contre le burkini pour défendre son identité ? (Unsplash)

La vérité est que nous sommes tous liés : faites autoriser les processions catholiques à Genève, et vous aurez les prières de rue musulmanes. Interdisez des choses à l’un, et vous les interdirez à l’autre aussi. Dans ces conditions, et dans le contexte d’une société largement sécularisée, y a-t-il un sens à s’engager politiquement au nom de la foi chrétienne ? Pour le panache, peut-être. Reste qu’après cinquante ans de « libérations » en tous genres, le constat est sans appel : les conservateurs n’ont fait que ralentir la destruction du monde qu’ils défendaient, et qui est quand même tombé en miettes aujourd’hui.

Nous ne plaidons pas pour le désespoir, ni pour le désengagement. Chacun ses vertus, chacun son charisme. La mission de notre journal n’est pas politique, et encore moins partisane. Elle consiste à transmettre le sens de la liberté, et de l’honneur chrétien. Un goût pour la beauté du monde réel, aussi. C’est peu




Pourquoi tant de ressentiment?

Il s’agit en réalité d’un mème internet, soit une image largement partagée sur les forums et les réseaux sociaux à des fins satiriques. Ce petit bonhomme épouvantable possède en outre un petit nom rigolo: on pourrait le traduire par l’homme-soja qui pleure. Les internautes utilisent généralement cette figure pour se moquer d’un personnage à l’idéologie progressiste constamment rattrapé par une réalité très éloignée de ses idéaux. Mais c’est aussi et surtout un homme rongé par le ressentiment.

Le ressentiment: voilà un mal qui, drapé dans de nobles idéaux, ronge notre société. Prenons trois exemples qui se trouvent tous dans cette édition: que peut-il bien y avoir d’autre dans la tête de militants qui se rendent en altitude pour saboter des stations de ski déjà en grande souffrance? Derrière l’excuse de l’éco-anxiété, au demeurant compréhensible, n’est-ce pas encore le ressentiment qui conduit des personnes bien au chaud dans leur villa à s’opposer à toute nouvelle construction de même nature dans leur quartier? Qu’y a-t-il derrière la vague moraline égalitaire qui pousse des élus à exprimer leur rêve d’une société sans riche devant un auditoire de convaincus?

Le philosophe Nietzsche l’avait écrit avec son style bien à lui: «L’insurrection des esclaves dans la morale commence quand le ressentiment (n.d.l.r.: c’est l’auteur qui use de l’italique) lui-même devient créateur et engendre des valeurs.» Une autre observation intéressante de ce passage de la Généalogie de la morale, c’est que l’homme du ressentiment a toujours besoin de diriger son regard vers l’extérieur, et non sur lui-même, pour trouver du sens à son existence. C’est donc un homme de la réaction, qui passe sa vie à souffrir de la distance qui existe entre le monde tel qu’il est, et le monde tel qu’il le rêve.

Tel n’est pas notre idéal, telle n’est pas notre disposition d’esprit. Défendant une civilisation riche, dont nous sommes les débiteurs insolvables, nous préférons vivre dans la gratitude. Gratitude parce que notre société ne nous contraint pas encore à la pauvreté généralisée, même si l’exigence de sobriété n’est jamais loin depuis quelques mois. Gratitude aussi parce que personne ne peut décider pour nous de ce qu’il nous est permis ou non de penser, même si la loi restreint de façon de plus en plus inquiétante le champ de la liberté d’expression. Nous sommes remplis de gratitude, enfin, parce que contre tous les pronostics, nous continuons à construire l’histoire d’un nouveau journal quinzaine après quinzaine. Ce journal s’est présenté, dans un premier temps, comme un contrepoids à l’idéologie majoritaire dans le monde médiatique. C’était sans doute une erreur. Notre volonté n’est plus de rééquilibrer quoi que ce soit, mais de faire connaître un autre idéal. Un idéal de gratitude, de combativité et de pluralisme authentique.




Être et avoir été (chez le coiffeur)

Ne pouvant cautionner qu’un festival dans lequel leur bouillie était programmée se tienne à Perpignan – ville tenue par le Rassemblement National –, les rescapés de la new wave ont ainsi menacé de quitter la programmation à moins qu’un nouveau site ne soit trouvé. Dans la langue de leur compte Twitter, ça donne ceci: «[…] Hier soir, le maire RN de Perpignan a tweeté qu’il était heureux d’accueillir le festival. Nous demandons expressément à la direction des Déferlantes de déplacer ce festival dans un autre lieu, faute de quoi nous annulerons notre venue.» Une pression à laquelle n’allaient pas résister les organisateurs, d’autant plus que les épouvantables Louise Attaque menaçaient également de les lâcher.

L’histoire est pleine de rebondissements. Il y a un peu plus d’une trentaine d’années, les artistes occidentaux déferlaient en URSS pour unir les peuples sous la bannière du rock. Pourtant pas le plus humaniste des régimes, le pouvoir soviétique satisfaisait alors le désir de changement de son peuple en accueillant Billy Joel, alors au sommet de sa gloire, puis Bon Jovi ou Metallica. Personne ne reproche aujourd’hui à ces artistes d’avoir fait danser les fantômes des goulags. Mais visiblement, les choses ont un peu changé: c’est dans des cadres inclusifs et bienveillants que des artistes totalement has been consentent désormais à venir prendre leur cachet. Il ne s’agirait en effet pas de faire entonner l’air pénible de L’Aventurier à des festivaliers dont on pourrait imaginer qu’ils ont mal voté.

Alors voilà, Les Déferlantes n’auront pas lieu à Perpignan. Ceux qui aiment la bonne musique autant qu’ils méprisent les baudruches pourront s’en réjouir. Mais l’on attend déjà avec impatience les articles de la presse branchouille qui viendront nous expliquer, d’ici quelques mois, que la vie artistique des villes aux mains de la droite est triste à mourir. RP

Dracula en Sibérie

«Nous revendiquons que nous ne voulons plus en France de milliardaires. Nous voulons une France sans milliardaires.» Voilà les propos très forts tenus par la délicieuse Marine Tondelier, ces derniers jours, lors d’un rassemblement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. Mais oui, vous savez, la NUPES, cette coalition qui a absorbé le PS, les communistes et les Verts, chez nos voisins français. Marine Tondelier, elle, est végétarienne, anti-chasse et «très engagée sur les questions sociales», comme on dit. Elle n’aime vraiment pas les très riches, qu’elle appelle les «vampires». Elle n’a pas peur de les déclarer inutiles voire nuisibles, parce que «ce ne sont pas eux qui créent des emplois mais c’est vous, c’est nous». Conseillère municipale, conseillère régionale puis secrétaire nationale de son parti… On se demande combien elle a pu créer d’emplois avec un tel parcours d’apparatchik, mais gageons que ses électeurs fourniront bien des efforts pour la croire quand ils seront sommés de produire de la richesse du fin fond d’un goulag. RP