Tiré de l’infolettre En enfer il y a…, ce texte fait suite à d’autres réflexions sur la mort des civilisations.
Chers amis, chers camarades,
Laissez-moi vous parler de ma spécialité : lancer des sujets qui finissent par m’échapper, faute de ressources pour les exploiter jusqu’au bout. Et ce texte n’y échappera sûrement pas. Mais ça me va. Ça m’évite de tomber dans le rôle caricatural qu’on attend de moi quand on ne me lit pas. Et puis, soyons clairs, je suis en vacances. Je ne devrais même pas être en train de vous écrire.
Alors, pour faire simple : aujourd’hui, ma petite famille et moi avons visité Bellinzone. Au programme : histoire, grandeur, et boomers progressistes infoutus de se tenir dans des lieux de culte. Hier, je parlais de la manière dont les civilisations s’essoufflent et meurent. J’aurais sans doute dû inclure la perche à selfies parmi les causes.
Mais Bellinzone, c’est joli. Dommage que j’aie dû subir tout l’après-midi des cris au sujet de Gaza dans des haut-parleurs. Je ne condamne pas leur cause, loin de là. Si j’avais un fils soldat à la FINUL, peut-être que j’aurais rejoint le cortège. Un peu moins si j’avais de la famille coincée dans un trou à rats depuis un an ou une gamine démembrée pour être allée à un concert techno. Mais je vais m’arrêter là : vous n’aurez pas encore aujourd’hui ma vision sur ce conflit.
En fin d’après-midi, une retraitée arpentait le quai, drapeau palestinien en main, visiblement investie d’une mission. On sentait qu’elle avait aussi dû faire la grève des femmes récemment. Quelques jeunes filles voilées, plus discrètes, se trouvaient aussi dans le coin. « Vivre et laisser vivre », me dis-je. Après tout, nos grand-mères aussi portaient des fichus, toussa toussa… J’ai bien appris ma leçon. Et puis tout ce beau monde n’allait pas nous suivre dans le wagon familles.
En fait, j’ai eu mieux : le « Traverso ». Présenté comme le « plus beau lien entre le nord et le sud », cette collaboration entre les CFF et la SOB nous offrait une déco multicolore avec des petits personnages censés représenter la Suisse. Mon œil s’est arrêté sur un couple tchétchène, une femme voilée style Golfe persique, et bien sûr, la très nécessaire touche LGBT. Entre autres.
Et donc, je reviens à ma question du moment : comment meurent les civilisations ? Probablement quand, par humanisme, elles ne savent plus ce qui les définit. En disant cela, je ne nie pas l’apport des gens venus d’ailleurs ou appartenant à des minorités quelles qu’elles soient. Comme Saint-Exupéry, je crois que « celui qui diffère de moi, loin de me léser m’enrichit ». Mais je fais partie de ceux qui constatent que ma société, qui rejette son propre héritage, semble paradoxalement s’extasier devant des modes de vie aux valeurs pourtant bien éloignées de ses douceurs pastel.
On me dit dans l’oreillette que le patron des CFF est un catholique traditionaliste. Je me demande s’il est toujours très à l’aise avec le grand virage inclusif de sa boutique.
Que Dieu nous garde,
Raphaël