Rechercher les choses d’en haut

Est-il interdit de ne pas interdire ? La question est abrupte mais n’importe quel Martien ou n’importe quel représentant de lointaine tribu isolée se la poserait certainement s’il mettait le pied dans un pays occidental, ces temps. Sans y comprendre grand-chose, il verrait de bonnes âmes – généralement de gauche, il faut bien le dire – s’acharner à sauver la planète et nos poumons en faisant la chasse aux cigarettes électroniques, aux pubs pour le tabac ou à l’usage de véhicules de type SUV. Puis, à droite, il verrait de jeunes gens pas tout à fait secs derrière les oreilles se présenter – comme Bardella en France – en « bons pères de famille » déterminés à redresser le pays sans n’avoir jamais rien dirigé d’autre qu’un personnage dans un jeu vidéo. D’un bout à l’autre du spectre politique, une même arrogance, une même vanité, une même farce.

Le gamer qui veut vous apprendre à vivre.

Notre visiteur, certainement, se demanderait alors : mais où est passée la fameuse liberté dont ces peuples se gargarisent ? Ils ont un système dont ils sont très fiers : cette fameuse démocratie qu’ils n’hésitent pas à exporter à coups de canon. Mais leurs libertés réelles, qu’en ont-ils fait ? Pourquoi, alors qu’ils se croient au pic de leur civilisation, n’osent-ils même plus dire ce qui leur passe par la tête de peur de perdre leur boulot ? Et pourquoi cet enthousiasme obligatoire parce que leurs enfants peuvent choisir leur genre avant même d’avoir appris à faire leurs lacets ?

Un Dieu, pas de maître

En même temps qu’il est un observatoire d’un progrès en roue libre, ce journal se veut un repère pour les hommes libres. Ce précieux sens de la liberté qui nous anime vient du fait que nous avons encore un Dieu. Oui, un Dieu, et pas de maître. En tout cas pas au sein de cette hyperclasse d’élus censés porter la volonté de leurs électeurs mais qui sont surtout obsédés par l’idée de les rééduquer. Si au moins ils avaient la décence, comme les dictateurs du siècle dernier, de ne pas faire semblant d’être démocrates ! Mais non, il faut encore qu’ils soient doucereux, pédagogues et intéressés par nos ressentis ! Certains lecteurs, nous ne les ignorons pas, puisent leur indépendance à d’autres sources philosophiques que nous mais partagent avec nous ce désir farouche de ne plus subir le catéchisme hygiéniste, légaliste et égalitaire de l’époque. 

Jeudi 20 juin à la radio, sur La Première, une étrange chanson est passée aux alentours de 19h50. Interprétée par un groupe suisse nommée WolfWolf (l’anglais étant devenu une langue nationale), elle évoquait complaisamment des usages très étranges de l’eau bénite des catholiques. On y décrivait, dans un blues un peu macabre, des individus s’en servant pour tirer la chasse d’eau, préparer le thé ou arroser les plantes… Cette créativité dans l’outrance, à vrai dire, aurait presque mérité le respect à une période de l’histoire où moquer la religion des chrétiens représentait encore une prise de risques. En des temps moins grotesques que les nôtres, où le nihilisme ne s’apprenait pas encore en garderie à grands coups de Drag Queens Story Hours, peut-être même aurions-nous trouvé tout cela audacieux. 

Un extrait du clip des Wolfwolf, dont la chanson passait récemment sur le service public.

« Paternalisme total d’un côté, régression subventionnée de l’autre », voilà ce que conclurait notre visiteur désabusé. Mais à ceux qui, comme nous, ont gardé le précieux sens de la liberté, nous voulons rappeler la belle devise de la ville d’Yverdon-les-Bains : ce fameux Superna quaerite, inscrit sur le fronton du temple pour nous appeler à « rechercher les choses d’en haut ».

En haut, tout en haut, nous voulons croire qu’il n’y a plus d’élus pour tenter de nous interdire la dégustation de modules cubains. Nous voulons aussi croire qu’il n’y a plus personne pour prétendre nous représenter dans un hémicycle. 




Il y a des indexations en enfer #blog

Mon premier souvenir de Lausanne doit dater de 1991. C’était la fin de l’année, les décorations de Noël réchauffaient admirablement le climat et une tante m’avait emmené voir La Belle et la Bête, sauce Walt Disney, au cinéma. À moi qui venais d’un petit village comme Vallorbe, la ville me semblait majestueuse et féérique.

Plus tard, dans ma vie, j’ai vécu à Lausanne. J’aimais mon quartier, très multiculturel, et je m’y sentais bien. Mais la féérie avait disparu : parfois, des gens s’asseyaient sur le bord de la fenêtre de mon salon pour dealer, et il arrivait aussi que ma femme et moi soyons réveillés par la police qui sonnait chez nous alors qu’elle venait arrêter le voisin du dessous. Les cambriolages étaient aussi fréquents. 

Une caste bloquée au Pays imaginaire

C’est la nature des choses : en grandissant, on guérit des illusions de son enfance et on accède à des réalités plus crues. L’épreuve est souvent douloureuse, mais elle vaut mieux qu’une existence entière à Neverland, le Pays des rêves. Le malheur étant qu’aujourd’hui, la belle ville de Lausanne semble administrée par des gens qui n’ont pas complètement rompu avec la Fée Clochette, Peter Pan et le Capitaine Crochet. Y a-t-il, en effet, un autre univers où des municipaux peuvent se regarder tranquillement dans le miroir avec des salaires indexés à hauteur de +11 et +12k (pour le syndic) le soir-même où des comptes déficitaires (3,5 millions, quand même) sont approuvés par leur législatif ? A part ces grandes banques où faire n’importe quoi débouche sur une prime ou une prudente mutation, je ne vois pas d’autre exemples d’une même obscénité.

Neverland dans un livre de 1911 illustré par Francis Donkin Bedford. On observe que l’argent n’y pousse pas sur les arbres.

Mais oui je sais : dans le privé, on trouve des gens qui n’ont pas le quart des responsabilités du syndic de Lausanne et de son collège et qui gagnent tout autant, voire plus. Mais vu que la gauche nous parle d’exemplarité du secteur public à chaque fois qu’elle accorde de nouveaux privilèges à son administration (congés menstruels, longues semaines de congé paternité, grève des femmes salariée…) que ne donne-t-elle pas l’exemple ? Que ne commence-t-elle pas par demander à ses élus de se serrer la ceinture en tentant de survivre avec le revenu annuel de trois familles normales, sans indexation ?

Petite pause dans ce texte pour vous inviter à soutenir notre travail avec un abonnement au Peuple ou avec un don

Un ami me dit qu’il y a, dans le canton de Vaud, 2% de contribuables (9000 au total donc) qui gagnent davantage que Grégoire Junod et ses camarades. Soit. Mais la vocation du socialisme consiste-t-elle à caler ses avantages sur ceux de l’hyperclasse qu’elle dénonce toute l’année ? Je me souviens d’un slogan qui disait « Pour tous, sans privilèges ». S’est-il transformé en « Nous aussi on a le droit de copier les pires dérives » ?

Et surtout ne changez rien. © Ville de Lausanne – Noura Gauper

Du besoin de morale dans la vie publique

Jusqu’ici, j’imagine que ce texte fait le plein chez mes amis droitards qui seront ravis de pouvoir se faire une Muni de gauche. Mais que l’on ne s’y méprenne pas : mon propos n’est pas partisan. Il est celui d’un chrétien qui ne juge pas concevable qu’une société survive à l’écart d’un sens minimal de la décence. 

Que la morale soit violée dans le public ou le privé ne change rien à l’affaire pour qui n’a pas d’œillère idéologique, mais simplement le sentiment que notre monde est très malade.

« Si tu vois, dans le pays, l’oppression du pauvre, le droit et la justice violés, ne t’étonne pas de tels agissements ; car un grand personnage est couvert par un plus grand, et ceux-là le sont par de plus grands encore. »

Ecclésiaste 5 : 8

Texte issu du blog En enfer il y a…




Nemo Erectus

Il a brisé le code, jure-t-il avec sa chanson. Ni homme, ni femme – puisqu’il est « iel » – citoyen du monde installé dans la terrifiante ville de Berlin, le chanteur Nemo est le nouveau visage de la Suisse qui gagne. Hourra ! Flonflons ! Nous ne savons plus comment payer l’assurance-maladie et le moindre passage au magasin nous coûte un rein mais un Conchita Wurst imberbe a gagné un concours criard, vulgaire et exhibitionniste ! Comment pourrait-on échapper à l’enthousiasme général ! Qui saurait refuser le nouveau totalitarisme festif ?

Voyez-vous, messieurs-dames (on profite tant que ce n’est pas encore pénal d’écrire cela), sur l’Île aux enfants qui constitue notre réalité quotidienne, peut-être que même un Federer présentait encore trop d’aspérités. Son désir de vaincre, sa sale manie de gagner beaucoup d’argent et de le planquer, voilà qui ne jouait plus. Aussi sommes-nous très heureux aujourd’hui d’enterrer l’ancienne idole, dont la marque de chaussure n’est pas extraordinaire paraît-il. Oui, il nous fallait un nouveau capitaine : ce sera Nemo (son vrai prénom, qui signifie « personne » en latin). 

En vente sur le site de l’artiste, ce T-shirt peut-être pas si ironique.

Notre nouveau capitaine

Pour plusieurs générations, Nemo était d’abord un personnage génial et tourmenté dans le Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne. Un homme qui avait un passé douloureux et donc une destinée. Puis Disney en a fait un poisson handicapé. Son ultime avatar, un Biennois qui porte des jupes, a désormais pour mission de nous guider loin des rivages de la binarité des sexes, loin de la conflictualité, loin, en somme, de la négativité inhérente à la marche de l’histoire humaine. « Moi, j’ai traversé l’enfer et j’en suis revenu pour me remettre sur les rails », chante le petit frère du peuple, pourtant né dans un certain confort.

Ce qui devrait étonner, chez le gagnant de l’Eurovision, ce sont moins les questions de genre dont il est le symbole que son étrange mélange de régression infantile complète et de passion pour la loi. Parce qu’il a gagné un spectacle en chantant dans la langue du McMonde, voici en effet un garçon de 24 ans qui veut mettre la société au pas et dire ses quatre vérités au Conseil fédéral : oui, il y cinq ou six ans, tout le monde pouvait encore se marrer quand un type barbu disait « Mais je ne suis pas un homme, Monsieur », à la télé. Aujourd’hui, tout cela a bien changé : la catégorie « non-binaire » doit entrer dans le cadre légal et nul ne saurait contester la reconnaissance étatique d’une projection de soi partagée par tel ou tel individu. En quelques siècles, nous voilà passés du « je pense donc je suis » de Descartes au « je ressens donc la société doit promulguer de nouvelles lois » de Nemo. Que ce rebellocrate gentillet se tourne vers l’État à peine son concours remporté est à ce titre riche d’enseignements.

Les gardes roses de la révolution

Désormais, Nemo est bien plus qu’un artiste, par ailleurs fort talentueux : il est le parfait khmer rose d’une révolution sucrée. Marius Diserens, élu Vert nyonnais, ne s’y trompe d’ailleurs pas en affirmant chez Blick : « En conférence de presse, lorsque Nemo a affirmé que la première personne qu’iel appellerait serait Beat Jans, iel a fait un geste politique puissant. » Et l’on imagine la pointe d’amertume chez cet autre non-binaire, dont l’hyperactivité médiatique n’a pas entrainé d’élection au Conseil national. Peut-être aurait-il fallu apprendre à chanter ?

On a pu lire, çà et là, que Nemo bousculait les codes, comme un Martin Luther King des temps modernes. Rien ne saurait être plus faux : avec son rejet de la maturation psychologique, avec son refus de toutes les frontières (entre les sexes, les pays et entre l’adulte et l’enfant), il incarne à peu près tous les conformismes de l’époque. 

Nemo n’a pas brisé le code. Il vient de nous l’imposer.
Nous sommes entrés, avec lui, dans l’ère du Nemo erectus 

Notre vidéo sur le phénomène :




Une université à la Hamas

Au milieu des années 2000, alors que j’étais étudiant à l’Université de Lausanne, une affichette avait attiré mon attention. Un mouvement qui réunissait des étudiant.e.x.s et des assistant.e.x.s encore injustement dépourvus de « x » à l’époque – sans doute le Groupe Regards Critiques – avait invité un porte-parole du Hezbollah à donner une conférence à la gloire de la lutte armée. J’étais jeune, mais j’avais déjà l’esprit étroit et méchant. Aussi m’étais-je étonné qu’un cadre si progressiste, où le cervelas et l’humour étaient bannis, déroule le tapis rouge à un mouvement paramilitaire islamiste. Surprenant programme que l’amitié entre les peuples au nom d’une haine commune d’Israël. Mais je n’avais rien dit.

Sans doute avais-je eu raison car certaines choses ne souffraient déjà plus la contradiction. Lorsque j’étais au gymnase, par exemple, mes congénères et moi avions été vivement encouragés à défiler dans la rue en criant « Bush, Sharon, c’est vous les terroristes » tandis que les États-Unis tentaient d’exporter leur modèle de société en Irak et en Afghanistan. Bush était certainement un sale type, Sharon aussi, mais défiler avec des gens était au-dessus de mes forces et j’étais parti acheter Muscle et Fitness ainsi que Flex, dans l’espoir de développer mes deltoïdes postérieurs. Quinze ans plus tard, je sais que j’aurais réagi de même, même si on ne trouve malheureusement plus Flex en kiosque, lors des méga-manifestations pour le climat. A la sympathie que peut susciter en moi une cause répondra toujours la détestation plus forte de l’abruti capable de crier des slogans dans un mégaphone.

Une moraline à géométrie variable

Depuis quelques jours, des jeunes gens occupent l’université où j’ai découvert Saint Thomas d’Aquin, Nietzsche et Péguy. Ils dénoncent une occupation, mais pas la leur. On les laisse faire, même si leur colère peut surprendre. Où étaient ces belles âmes, ces derniers mois, tandis que les Arméniens fuyaient le Haut-Karabakh ? Pas assez exotiques ? Trop banalement chrétiens ? Quid de la situation des Ouïghours ? Enfin, que diraient ces gens si un autre groupe de manifestants occupait un bâtiment universitaire pour demander le retour des otages du Hamas ? 

« From the river to the sea » entonnent les manifestants à la fin de cette vidéo partagée par le président du PS Vaudois.

Nous sommes Suisses, et comme pays neutre, nous n’avons pas à tolérer que les lieux d’études que nous payons avec nos impôts se transforment en université d’été (ou plutôt de printemps) du Hamas, de solidaritéS ou d’adorateurs du monstre du spaghetti volant. 

S’agit-il de fermer les yeux sur un désastre humanitaire ? Certes non, mais on se demande bien combien de vies seront sauvées par les opportunistes qui portent un keffieh depuis cinq jours, comme ils déguisaient naguère en guérilléros de la décroissance. Il est temps que nos lieux de savoir retrouvent leur vocation, qui n’est pas de servir de tremplin à des carrières médiatiques. Il est temps que nous formions de nouveau des élites capables d’apporter un peu du génie suisse dans ce monde.

Oui, osons parler du « génie suisse » ! Lorsque mon pays n’avait pas encore renoncé à sa destinée, ce terme désignait bien des choses, dont une tradition de « bons offices » rendue possible par notre neutralité. Si l’on n’y prend pas garde, ce terme n’évoquera bientôt plus que le rappeur non-binaire Nemo qui doit nous représenter à l’Eurovison, 




Pour en finir avec le wokisme (qui n’existe pas)

Jusqu’au dernier quart du 20ème siècle, nos sociétés vivaient encore dans des temps historiques. Les pouvoirs en place (Église, famille, armée…) ne se cachaient pas d’être exclusifs et verticaux. Il était hors de question pour eux de partager leurs privilèges et leurs prérogatives :  ils connaissaient encore souvent, à ce titre, une chose qu’on appelait la contestation. 

Le crime de pensée n’avait pas encore été éradiqué, une batterie d’articles de loi à l’appui, et une autre réalité pouvait encore faire rêver. Beaucoup s’employaient à la faire advenir, d’ailleurs. Lorsque les jeunes bourgeois de Mai 68 jetaient des pavés dans la rue contre la police et l’ancien monde, leurs idéaux gauchisants pouvaient certes paraître grotesques ou dangereux, mais ils dénonçaient un adversaire à peu près vivant. Le général de Gaulle était encore au pouvoir, la famille n’avait pas volé en éclats grâce à l’omniprésence des spécialistes du genre et l’Église ne renonçait pas encore à sa singularité en cherchant à « cheminer » avec ses fidèles pour leur faire pratiquer le qi gong dans des « city churches ».

Square Charles de Gaulle, Toulouse, en 1968. Ou quand la révolte s’inscrivait encore dans l’histoire. (André Cros/Wikimedia Commons)

Mais dans la carnavalisation terminale du McMonde qui vient, qui saura encore dénoncer le ridicule d’une assurance maladie qui nous apprend à préparer des gâteaux, faire des tours à dos de poney et ramasser des déchets durant notre footing ? Pas grand monde. Il faut dire que les bons sentiments sont devenus hégémoniques. Un exemple ? Dans notre réalité de substitution, même les manifestations contre les autoroutes prennent désormais la forme de « cyclo-parades festives et politiques » (24 heures du 20 avril dernier). DJ à vélo, exposition en collaboration avec le festival BDFIL et demande de requalifier le tronçon d’autoroute Ecublens-Maladière « en boulevard urbain » … Aucun artifice de la sacro-sainte fête ne saurait être oublié pour une « commémoration » (sic) en bonne et due forme des 60 ans de l’A1 entre Lausanne et Genève. 

« Chacun veut la même chose, tous sont égaux »

Dans un tel Disneyland de la contestation, plus personne ne veut renverser le pouvoir : pourquoi y songer puisque la révolte elle-même est organisée par les élus que nous entretenons ? A quoi bon dénoncer encore nos bons maîtres puisqu’ils sont là, devant nous, représentés par les conseillères nationales Brenda Tuosto (PS/VD), Léonore Porchet (Verte/VD et co-directrice de BDFIL) ou par l’inénarrable président du Parti socialiste vaudois Romain Pilloud, secrétaire général de l’ATE Vaud ? Des rebelles d’État s’opposent au travail de ce même État – garantir une mobilité décente digne d’un pays riche – à grand renfort de subventions : la boucle est bouclée. Empapaouté, tout un pan de la jeunesse est là, qui approuve totalement la marche du monde tel qu’il va, noyé dans un océan de décibels et d’écologisme de surface. « Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous », comme l’annonçait Nietzsche dans son Zarathoustra.

Portrait de Nietzsche par Munch en 1906. Quelque chose d’un prophète de la décadence.

Certains, heureusement, n’ont pas encore totalement désappris à penser. S’ils sentent le ridicule de notre épuisement civilisationnel, ils tentent de lui donner une cohérence sous l’appellation de « wokisme ». Nul ne sait vraiment où commence et où s’arrête le concept, et des notions aussi diverses que la « masculinité toxique », les « oppressions systémiques » ou la « non-binarité » lui sont généralement associées. Mais quid du combat pour la « libération animale », omniprésent dans les années 2010 ? Quid du transhumanisme ? Du sans-papiérisme ? Et que faire des contradictions internes d’un mouvement qui surinvestirait la portée de la biologie dans un sens (le Blanc naîtrait oppresseur et le Noir victime) tout en la niant dans un autre registre en préférant « l’expression de genre » au donné naturel du sexe ?

Le carnaval pour horizon

Peu importe, wokisme ! Ainsi naît un épouvantail bien pratique, mais qui ne nous aide pas à penser. Au contraire, il nous présente comme de radicales nouveautés des tendances à l’œuvre depuis des décennies. Dans son journal intime de 1994-1995, l’écrivain Philippe Muray ne s’énerve-t-il pas ainsi déjà contre la tendance à réécrire la vie des grands écrivains pour la rendre plus conforme à la moraline moderne ? Oui, ce qu’on appellerait plus tard la « cancel culture », ou « culture de l’annulation », est déjà bien là dans la volonté d’un scribouillard de dénoncer l’indifférence de Shakespeare devant les malheurs des paysans de son temps (p.161). Quant à la masculinité toxique, Muray la dénonce déjà en 1994 à propos du « mur de la honte » d’une importante université américaine où sont affiché les noms des harceleurs… et de ceux qui est suspectés de le devenir un jour (p.103). Et l’écrivain de résumer le tout en une formule lapidaire : « La persécution au nom de la lutte contre les persécuteurs » (p.83).

Que l’on cherche à englober tout cela dans l’idée plus générale d’un « wokisme » qui rongerait nos sociétés, pourquoi pas, après tout. Muray parle lui de « cordicolisme » ou de carnavalisation du monde. Peut-être cette dernière notion est-elle toutefois la plus efficace : moment hors du calendrier, moment d’inversion des hiérarchies naturelles, moment bruyant, sans doute le carnaval est-il bien la matrice du monde moderne.  

Puisse bientôt revenir un mercredi des Cendres.




Nous, « plumes de droite »

Un journaliste devrait toujours se considérer comme un peintre sans talent. Nous disons cela car ses œuvres, comme la plupart de celles qui sont menées sous le soleil, sont périssables. Qu’adviendra-t-il de l’édito du jour, du bon mot de la veille, de l’audace déjà dépassée de l’été dernier ? La réponse est très simple : il n’en restera bientôt rien, ou au mieux une vague estime chez les lecteurs les plus fidèles. Un artiste, au moins, a la consolation d’apporter un peu de beauté dans le monde. C’est en quoi son destin est sans doute plus enviable.

J. M. W. Turner, Tempête de neige en mer

Mais à sa façon, le journaliste est néanmoins un peu peintre. Pour peu qu’il ait choisi la liberté – chose qui se paie parfois cher – il renoncera à défendre la ligne d’un parti, d’un courant ou d’une chapelle pour se satisfaire de présenter au monde un tempérament, des doutes, parfois même des obsessions. Ceux dont les tableaux continuent de nous inspirer ont fait pareil avant nous. On pense ici à Georgia O’Keeffe (1887-1986) qui, rejetant l’interprétation freudienne que certains voulaient imposer à ses tableaux de fleurs, rappelait contre le monde entier qu’elle voulait simplement représenter la manière dont les pétales lui apparaissaient. On peut penser aussi à J. M. W. Turner (1775-1851) qui se fichait pas mal de la réception critique de sa célèbre œuvre Tempête de neige en mer réalisée en 1842, que d’aucuns jugeaient à peine digne d’un gribouillage : « Je ne l’ai pas peinte pour être compris mais je désirais montrer à quoi ressemblait une telle scène », avait déclaré le génie.

Le goût des listes

Notre époque a ceci en commun avec les pires régimes du siècle dernier qu’elle n’aime rien tant que dresser des listes, face à ceux qui souhaitent suivre leur propre chemin. Bien sûr, un éditorialiste ou un chroniqueur n’est ni fauviste ni dadaïste, mais beaucoup aimeront le faire entrer dans la liste des « plumes de droites » (nous l’avons vécu le 24 mars dernier dans Le Matin) ou de gauche, quand ce n’est pas la case infâmante des « conspis », des « mondialistes » ou des agents du Kremlin. Poursuivre un désir de liberté farouche ? Simplement vouloir écrire les choses comme on les ressent ? Voilà qui ne saurait être toléré par le troupeau bêlant. C’est pourtant notre seul moteur.

Certains trouveront désolant que notre édition de mars donne la parole, même de façon critique, à des personnes qu’ils considèrent comme des adversaires. Ils menaceront peut-être même de se désabonner pour nous faire rentrer dans le rang. Qu’importe ! Un journal n’est qu’un simple empêcheur de penser en rond. Cela impose une confrontation courtoise avec ceux qui nous semblent totalement différents.

Certains trouveront aussi étonnant qu’un tel désir de liberté puisse coïncider avec la propension de ce journal à tirer la sonnette d’alarme. Quand des institutions religieuses sont à côté de la plaque, par exemple lorsqu’elles organisent des soirées sur le « sadomasochisme éthique », ne devrions-nous pas les laisser faire ? La réponse serait peut-être « oui » si elles ne vivaient pas d’argent public et ne prétendaient pas faire vivre une foi nourrie par le sang des martyrs.

Voilà les choses comme nous les voyons. Voilà la modeste réalité d’une « plume de droite ».




La Suisse contre les robots

Covid, Ukraine, climat… Voilà bien des sujets pour lesquels nous n’avons jamais prétendu proposer une expertise particulière mais qui, pour bien des auteurs du livre, semblent centraux : ils seraient, estiment-ils, au cœur d’un vaste complot contre nos libertés associé à la notion un peu trouble de « mondialisme ». Lors du vernissage du livre au Club suisse de la presse, le 6 février dernier, le rédacteur en chef de l’Antipresse Slobodan Despot n’est-il pas allé jusqu’à dénoncer notre entrée dans une « époque nazie » parce que, dépourvu de l’« Ausweis » vaccinal, il n’avait pas pu boire un verre dans un bistrot après une randonnée effectuée au plus fort de la panique covidienne ?

Qu’on ne s’y trompe pas : né dans un régime autoritaire, socialiste en l’occurrence, l’auteur a bien raison de dénoncer une époque de « robots » qui nous plongerait, comme il l’explique, dans des enjeux métaphysiques et existentiels nouveaux. Nous ne partageons certes pas son pessimisme radical (ni la comparaison avec les méthodes du troisième Reich), mais il nous plaît que des opinions aussi tranchées puissent s’exprimer dans une époque qui, comme l’avait annoncé Bernanos dans Les Grands cimetières sous la lune, semble appartenir aux monstres mous. Et soyons reconnaissants : cette prise de position avait également précipité l’apéro.

Un danger nous guette toutefois : assimiler la liberté, dans le domaine médiatique, au choix systématique de positions en décalage, ou en opposition totale, avec la pensée dominante. Au risque de passer pour de dangereux modérés, il nous importe de rappeler qu’il arrive occasionnellement que la majorité ait raison. On voit mal comment l’on pourrait à la fois défendre, comme nous, une démocratie la plus directe possible – protégée du magistère moral des juges européens et des dames patronnesses d’Amnesty International – et nous complaire dans une posture romantique consistant à mépriser le sens commun.

En défense des gens ordinaires

Si les gens ordinaires étaient si bêtes que cela, le vote du peuple aurait conduit notre pays vers l’abîme depuis longtemps. En méprisant à notre tour les « moutons » sur un catalogue de sujets imposés, nous parlerions la même langue que ces élites qui réclament un effort supplémentaire de « pédagogie » à chaque fois que la population vote à droite, donc très mal selon eux. Or nous ne méprisons pas le peuple, mais préférons au contraire nous revendiquer des valeurs spontanées qui, chez lui, résistent encore au rouleau compresseur Netflix. L’immense Chesterton ne se disait-il pas lui-même « plus enclin à croire en la masse des travailleurs qu’en cette classe réservée et ennuyeuse des littérateurs » à laquelle il appartenait ? Cette humilité doit continuer à nous inspirer.

Oui, on peut être parfaitement libre comme intellectuel ou comme journaliste et estimer, en effet, que la Suisse doit entrer dans l’Union européenne, défendre inconditionnellement Israël et sanctionner la Russie. Telles ne sont pas nécessairement nos positions, mais un journal doit représenter un lieu de débat s’il ne veut pas sentir le renfermé. Dans cette édition, cette curiosité naturelle s’exprime dans notre rencontre avec Ifat Reshef, ambassadrice d’Israël en Suisse, ou dans le micro tendu à l’Université de Neuchâtel dont le responsable de la communication nous explique certains choix très progressistes de son institution.

Pas des martyrs, des entrepreneurs

Alors la presse suisse manque-t-elle réellement de diversité ? Cette question, chez beaucoup, appelle une sorte de jugement moral auquel nous sommes étrangers. On ne lance pas un journal par goût du martyr, mais parce que l’on croit qu’il y a peut-être un marché. On le fait parfois aussi parce que, quitte à ne jamais devenir fortuné, on estime qu’on sera plus heureux qu’en continuant à publier des diaporamas débiles sur le site d’un éditeur qui ne se privera pas de nous virer à la première occasion de dégraisser.

En bref, on le fait d’abord parce qu’on le sent. Hurler au complot mondial pour montrer à quel point l’on est indispensable avec notre feuille de chou n’apparaît pas comme l’idée marketing du siècle.

Bien sûr, certains se plaindront que la plupart des journalistes aient le cœur à gauche. Mais cela, encore, ne dit rien de leur qualité intrinsèque. On connaît des gens parfaitement droitiers, souverainistes comme nous, mais dépourvus de déontologie, sectaires, et qui secrètement méprisent notre beau métier.

S’il y a un clivage, il est sociologique et non pas idéologique : métier populaire, à l’origine, le journalisme s’est transformé depuis quelques années en chasse gardée d’une certaine élite sociale, particulièrement depuis qu’il s’apprend à l’université. Défendre la diversité, dès lors, ne consiste pas à choisir le contre-pied à tout prix sur l’Ukraine ou le Covid : c’est oser se positionner en défenseur de valeurs de liberté, de courtoisie, et de cette glorieuse irresponsabilité qui fait le sel de notre vocation.




La tyrannie du tofu

Mais un cœur rebelle ne se commande pas. Et déjà, à vingt ans, quelque chose en nous rêvait d’une destinée plus haute : rejoindre Ernst Jünger dans les tranchées de 14-18, Sylvain Tesson au sommet de l’Himalaya, Jean Raspail quelque part au loin, très loin, dans une Patagonie crépusculaire.

Bien sûr, il nous fallait tout de même remplir notre canard et nous acceptions de traiter de sujets absurdes, des absences de Miss Suisse en cours, des balbutiements de Facebook ou encore des actions des premiers militants vegans. Ces derniers ne menaçaient du reste pas grand-monde, à l’époque. À la fin d’un entretien, certains avouaient même craquer de temps en temps pour un bout de fromage, sur le ton de la confidence. Telles étaient nos vies de jeunes journalistes : nous rigolions, nous finissions le boulot très tard et nous remettions chaque soir les Orages d’acier au lendemain.

Quelque quinze ans plus tard, notre Verdun de l’esprit se fait toujours attendre. Les raisons de rester rebelles, en revanche, ne manquent pas. Dans ce numéro, nous vous présentons le combat du diacre fribourgeois Daniel Pittet contre les abus sexuels, qui ont détruit tant de destins dans l’Église et ailleurs. Mais nous évoquons aussi l’un des étranges produits de notre époque : un curieux progressisme autoritaire, qui colonise jusqu’aux assiettes des étudiants de l’Université de Neuchâtel. En ces lieux, plus question en effet de manger autre chose que du tempeh ou du tofu, bref des mets végétaliens, dans les cafétérias. Parce que tel est visiblement le sens de l’histoire.

Bien sûr, voilà une affaire qui sonne moins dramatique que le bruit des schrapnels dans une

bataille en Lorraine ou les vies brisées par des pervers. Ne sous-estimons toutefois pas la portée du symbole : d’autorité, voici un lieu dédié aux études – bon nombre de futurs journalistes y sont d’ailleurs formés – qui décide pour toute une population ce qu’elle peut moralement se permettre de manger. Comment imaginer qu’elle se privera de dire demain à ces gens ce qu’ils ont le droit de penser ?

Une paresse terrible pousse le camp conservateur à voir du wokisme partout. C’est une erreur car on ne sait pas bien au juste ce que renferme cette notion, la plupart du temps inopérante. Ce qui nous menace, c’est un autoritarisme qui ne se cache même plus, et que l’odeur du progrès ne suffit plus à rendre désirable.

Le tofu n’est pas un aliment désagréable. Il se périme toutefois vite, comme les idéologies sorties d’un chapeau progressiste. Mais frit et nappé d’une sauce aromatique – on peut penser à la préparation « général Tao » – voici un mets qui peut se révéler agréable. Pour peu évidemment qu’il ne nous soit pas imposé.

Pour peu, aussi, qu’il ne s’impose pas comme le symbole d’une époque désespérément sans saveur.

Ernst Jünger vers 1920. Guerrier héroïque, anarchiste conservateur, écologiste avant l’heure.



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Il existe, dans le Code pénal suisse, un passage qui indique que « quiconque, publiquement et de façon vile, offense ou bafoue les convictions d’autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, ou profane les objets de la vénération religieuse, (…) est puni d’une peine pécuniaire. »

Au bout du lac, dans ce qui fut autrefois la Rome protestante, cette mise en garde ne semble plus guère inquiéter les autorités puisque c’est bien « avec le soutien de la Ville de Genève » qu’une exposition aux Bains des Pâquis a fait parler d’elle ces dernières semaines en raillant la foi des chrétiens. L’un de ses visuels, que seul Ray Charles, un artiste décalé ou un conseiller administratif progressiste pouvait juger en adéquation avec la loi, plaçait un paresseux dans les bras de la Vierge Marie, comme si Celui que les chrétiens considèrent comme leur Sauveur pouvait être remplacé par un mammifère arboricole.

« Avec le soutien de la Ville de Genève. »

Le paresseux est une créature certes fort sympathique, mais l’histoire de son sacrifice sur une Croix, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas encore enfanté une civilisation magnifique, dont nous sommes autant d’héritiers. Si le buzz visé par les rebelles subventionnés des Bains des Pâquis se réalise, tout au plus inspirera-t-il un jour la mythologie puérile d’éco-anxieux rachitiques aux mains collées sur les routes et aux cheveux violets. C’est pourtant ce bestiau que des provocateurs conformistes ont choisi pour taquiner gentiment une minorité de ce pays – la seule de ce type, d’ailleurs – qui devrait toujours subir en se taisant : celle des chrétiens pratiquants.

Genève est à l’évidence une ville un peu spéciale en matière de droits religieux. Les chrétiens évangéliques s’y battent pour pouvoir se faire baptiser dans le lac, certains catholiques pour défiler paisiblement dans une rue en faisant trois prières, tandis que des espaces culturels dressent des vagins géants dans le ciel (c’était en 2023, déjà sur la jetée des Pâquis) ou placent des animaux dans les bras de la Vierge avec de l’argent public à quelques jours de Noël. Parfois, pour le campagnard qui traverse la Cité de Calvin, il semble qu’il n’y a plus guère que les restaurants libanais et quelques librairies qui n’ont pas encore subi le largage d’une bombe atomique de bêtise. C’est du reste aussi dans cette ville que, régulièrement, notre service public s’attaque lui aussi à la foi en présentant, comme lors d’un récent sujet de l’émission de la RTS Mise au Point, les religions comme du mauvais cholestérol qu’il faudrait éliminer.

Bains des Pâquis, 2022 (Photo: RP).

La question que toutes ces banderilles suscitent chez le taureau chrétien est la suivante : doit-on donner au public le spectacle qu’il espère, entre deux gorgées de rouge, un peu de jambon cru et la satisfaction d’avoir assisté à un combat perdu d’avance pour la bête ? Ou doit-on se résigner à la bataille face au toréador subventionné, même si on risque fort d’y laisser les oreilles et la queue ? Une autre option se présente à nous : l’on pourrait aussi, si on a le don de la foi, se souvenir qu’il est des combats qu’il ne faut pas trop mener, et qu’il est parfois bon de se réfugier dans nos bibliothèques, comme la Sainte Famille fuyant en Égypte.

Notre proposition, cependant, est bien différente : combattre, oui, mais dans la joie d’avoir en face de nous de bien pauvres adversaires. « Les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière », dit la Bible, et il ne faut pas s’étonner que nos tentatives de les affronter sur leur propre terrain, celui du recours à l’État et à ses institutions, soient toujours vouées à l’échec. Mais il en est un autre, de ring, sur lequel nous devons les affronter : celui de l’humour, celui des visages des jeunes gens rayonnants parce qu’ils peuvent encore croire, malgré toutes les monstruosités qui frappent le christianisme en Suisse depuis des mois, à un idéal qui les tient debout. Pour que nos luttes se déroulent à l’abri du désespoir, sans doute que la foi qui a inspiré la grandeur de notre civilisation doit à présent inspirer notre humour.

Il ne s’agit plus pour nous de dénoncer en souris grises des pseudos-rebelles qui, parfois, ne comprennent même plus que leur bêtise puisse heurter. Il s’agit, tout simplement, de rire de ces semi-habiles, capables de palper des subventions mais certainement pas d’inspirer, ni même de donner envie de visiter leur exposition. Au vu de leur souci de sauvegarder la planète, on ne misera pas beaucoup non plus sur leur capacité à se reproduire.

Les amoureux du paresseux ont-ils réussi leur coup en faisant sauter au plafond tout ce qu’il reste de chrétiens dans notre pays ? Sans doute, et avec le silence toujours assourdissant d’Églises aussi combatives que Joe Biden affrontant Mike Tyson au MGM de Las Vegas. Reste que le repas de Noël – ou plutôt des Fêtes, comme on dit en novlangue de ces pauvres bougres sera à basses calories et arrosé au kéfir ou au Champomy.

Nous qui communions dans une espérance invincible, nous avons pour nous l’art de la table, l’amitié, la liturgie pour ceux qu’elle intéresse, mais aussi et surtout un frère et un Dieu né en ce jour dans la crèche.

Noël 2023,
Raphaël Pomey




Et le monde occidental devint stérile

Le 22 octobre dernier, une petite délégation d’élus de l’UDC Vaud s’est rendue à la cathédrale de Lausanne pour suivre le culte du matin. Peu fréquentée – les vacances n’aidant pas – la vénérable église rassemblait essentiellement des personnes âgées et quelques touristes. Les plus jeunes dans l’assemblée, sans surprise, venaient surtout du parti agrarien.

Diffusé sur internet depuis quelques jours, un visuel annonçait le thème de la prédication de la pasteure Line Dépraz. Il s’agissait de méditer le texte de la Bible dans lequel l’apôtre Paul annonce qu’il n’y a plus, « en Christ (…) ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. » Une « fake news ? » allait-on se demander. 

Il ne s’agit pas ici de proposer une contre-homélie. Chacun son métier. Il vaut toutefois la peine de relever que la maîtresse des lieux n’a pas attendu bien longtemps avant d’affirmer que « des hommes, des femmes et des iels, on en croise tous les matins. » Étonnant, n’est-ce pas, alors que les fidèles venaient d’entendre la Genèse leur rappeler que « mâles et femelles Il les créa » ? Oracle d’une étrange théologie wokeLine Dépraz n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Il lui fallait encore nous présenter Paul en rêveur déterminé à déboulonner le patriarcat. Ce même apôtre qui demande aux femmes de se taire en assemblée, qui affirme que ni les « efféminés », ni les « impudiques » n’hériteront du Royaume de Dieu, oui ce même Paul aurait en réalité été un farouche opposant à l’ordre social masculiniste ! Et nous n’aurions rien compris en 2000 ans !

https://www.youtube.com/embed/djeqW39GCjQ
Une cathédrale où l’on a aussi fait ça cet été.

La cité desséchée

Il faut s’imaginer ces églises vides où le chant ne consiste plus qu’en un vague bourdonnement totalement recouvert par l’orgue. Il faut se représenter ces fidèles au soir de leur vie, auxquels on ne parle plus du Ciel, mais des iels. Et l’on se dit que le monde qu’annonçait Péguy dans Notre Jeunesse – le monde de ceux qui n’ont plus de mystique et qui s’en félicitent – est bel et bien sous nos yeux. Dans cette nouvelle réalité, disait l’immense écrivain, « une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu.  C’est proprement la stérilité moderne. » 

Livret de prière en langue inclusive.

Pourquoi mettons-nous ce parallèle en évidence ? Parce que la déroute des Verts dans le cadre des élections fédérales, quelques heures après ce culte, n’est rien d’autre que le versant séculier des églises qui se vident devant des obsessions à des années-lumière des préoccupations des gens ordinaires. Les Suisses n’ont-ils aucune conscience écologique ? Se réjouissent-ils de voir leurs glaciers rétrécir ? Bien sûr que non. Mais comment leur reprocher de ne pas avoir jugé crédible un parti qui semblait souvent plus préoccupé par le droit de ses élus non-binaires à posséder un septième sac à main Dior ? Reconnaissons, sur ce point, que le Parti socialiste a mené une campagne intelligente et réaliste, loin des délires para-universitaires dans lesquels se sont perdus leurs alliés. 

Le combat du Peuple n’est pas un combat pour la droite ou contre la gauche. C’est un combat pour le réel. Ce réel, lorsqu’il est nié en chaire ou dans le débat politique, mis à la porte parce qu’il ne colle plus aux derniers développements de la doctrine, finit toujours par revenir par la fenêtre. Les Verts en ont fait l’expérience voilà quelques jours. Nos églises qui se vident en sont une illustration dramatique depuis qu’elles donnent des gages pour courir les subventions.

L’heure est pourtant aux réjouissances. Non pas parce qu’untel a été élu à Berne plutôt qu’un autre, mais parce que, par-delà les clivages partisans, c’est un certain sens de la politique à la Suisse qui a triomphé. Non plus une politique du buzz ou de la course à l’oiseau rare, mais une volonté – qui n’appartient d’ailleurs à aucun parti en particulier – de trouver des réponses aux soucis de la population.

Dans la foulée des élections, la conseillère nationale verte (réélue) Léonore Porchet a proposé une prestation terrible à Forum pour expliquer la déroute de sa formation. La faute à la radicalité de l’autre bord, nous a-t-elle juré. La faute aux médias (qui ne l’ont pourtant jamais mal servie), la faute aux hommes quinquagénaires et « privilégiés »… Cette satellisation volontaire n’augure rien de bon pour ceux qui veulent remettre la préoccupation écologique sur le devant de la scène. Elle annonce en revanche une jolie traversée du désert pour certaines starlettes de ces derniers mois dont on se réjouit de découvrir le nouvel avatar dans quatre ans.