Et Céline anéantit le wokisme

En décrivant des femmes qui sont tantôt «bandatoires de naissance» ou susceptibles de «mettre le feu à la bite», le roman inédit de Céline, qui vient de paraître, a peu de chances de figurer un jour dans la bibliothèque idéale du jeune déconstructionniste. Pourtant, c’est un document exceptionnel sur l’horreur du premier conflit mondial, et sur les crises morales qui en ont découlé, que l’histoire vient de nous restituer avec la publication de Guerre. Conçu à partir d’un manuscrit perdu, puis tenu à l’écart de la veuve de l’auteur, ce récit nous plonge dans la réalité de Peurdu-sur-la-Lys, une localité paumée des Flandres où le protagoniste entame sa convalescence, dans le dégoût de l’humanité et la quête fragile d’une lueur d’espérance.

Roman des blessures de la chair, c’est aussi le récit des rapports humains détruits par l’expérience des tranchées. Ainsi, la figure d’une infirmière, moitié tortionnaire, moitié vénusienne, qui poursuivra le principal protagoniste de ses assiduités, mais aussi de son goût pervers pour les sondages vésicaux. «C’est un beau livre où l’on découvre des femmes dans des rôles très “genrés”, analyse Patrick Gilliéron Lopreno, photographe et chroniqueur littéraire pour L’Antipresse. Il y a la mère, l’infirmière et la prostituée, et toutes sont, à leur manière, restées aimantes sauf que le cadre moral a complètement éclaté.» Autre tension importante qui traverse le roman, la haine «des planqués», et une certaine solidarité «de classe» entre rescapés du front. «Malgré la détestation que peut inspirer sa pensée politique, cet aspect de l’œuvre nous rappelle que Céline lui-même s’est toujours senti du côté des exploités», poursuit Patrick Gilliéron Lopreno. A ses yeux, cette livraison post mortem relève du «grand Céline», à côté du Voyage au bout de la nuit ou de Mort à crédit. Et de relever que Gallimard a eu du courage de sortir le roman sans le censurer, même si un autre que Céline, et a fortiori un auteur vivant, n’aurait jamais pu publier un livre comme celui-ci en 2022.

« Tout le reste paraît bien pâle, en comparaison. C’est une excellente entrée dans l’œuvre de Céline. »

Laurent Passer, Président de l’association éditrice de la revue littéraire La cinquième saison

Un tel brulot pourrait-il d’ailleurs avoir sa place en classe? Président de l’association éditrice de la revue littéraire La cinquième saison, Laurent Passer estime que oui, à condition d’un bon encadrement. A part Houellebecq, il ne voit pas qui, dans la production contemporaine, pourrait résister au «coup de poing» représenté par la sortie de Guerre: «Tout le reste paraît bien pâle, en comparaison. C’est une excellente entrée dans l’œuvre de Céline, dont tous les thèmes sont présents.» Pas question, non plus, de trop s’attarder sur l’aspect très cru de certaines scènes de sexe: «Ce sont les ennemis de Céline qui estiment qu’il faudrait quasiment les interdire. J’aimerais mieux que l’on relève son style, qui me fascine et me séduit, ou son pacifisme, très présent dans ce livre, et que beaucoup semblent négliger.»

Éditorial: Le retour du grand contradicteur

Il y a tout d’abord ce titre, Guerre, qui vient nous engueuler d’un siècle qui nous paraît déjà si lointain, alors que la plupart d’entre nous y sommes pourtant nés. Un siècle où l’on pouvait encore célébrer l’«entrain» des jeunes enthousiastes qui allaient se jeter dans des tranchées pour participer au suicide sans gloire de leur continent.

Et il y a cette figure, Céline. La figure d’un homme brisé par les blessures, par les acouphènes, par la «mocherie humaine» aussi. Un homme façonné par l’horreur de la guerre sur laquelle s’ouvrent les premières pages du roman inédit publié ces jours chez Gallimard. Un anarchiste contrarié qui n’était peut-être pas tout à fait programmé pour la joie.

Céline: une figure que ses errements antisémites et ses compromissions semblaient avoir condamnée à ne plus rien pouvoir nous dire. Car nous vivons, nous autres modernes, dans l’Empire du Bien que vitupérait l’un de ses grands lecteurs, Philippe Muray. Un monde où l’on exige des guerres sans morts, du Coca sans sucre et une vie sexuelle aux contours soigneusement délimités par des contrats. Combien paraît loin cet univers à la pornographie débridée que nous découvrons, médusés, dans le nouveau roman de l’ermite de Meudon !

Pour bien illustrer ce choc des réalités, cette image troublante dans une grande librairie vaudoise: la collision entre, bien en évidence près de la caisse, le Guerre de Céline et, quelques rayons plus loin, un livre qui nous invitait à «cuisiner simplissime et aider l’Ukraine». Comme si préparer du chou farci et du bortsch allait tout soudainement nous transformer en valeureux guerriers de la liberté! Au fond, si Céline reste essentiel, c’est qu’il vient nous rappeler qu’il n’y a pas d’histoire, pas de littérature et peut-être pas tout à fait d’humanité sans un moteur fondamental qui s’appelle la contradiction. Céline, et c’est sa grandeur, est ce grand contradicteur d’une société qui a troqué le tragique pour le fun.




Un anti-étatiste radical entre au grand conseil

Vous revendiquez une appartenance philosophique au libertarianisme, à l’anarcho-capitalisme. Expliquez-nous?
C’est venu naturellement. Je n’ai pas eu besoin de me pencher sur des ouvrages de Hans-Hermann Hoppe ou Ludwig von Mises pour comprendre que l’entité qui me prend la plus grande part de ce que je gagne est l’État. De plus en plus, d’ailleurs. À partir de cette constatation empirique, j’ai commencé à m’intéresser au mécanisme qui fait que cet argent est pris dans ma poche pour finir dans celle de l’État ou des monopoles qu’il détient, comme l’énergie, la santé, l’eau ou les assurances sociales. J’ai donc constaté qu’en tant qu’individu, je n’ai que peu de choix dans mes dépenses les plus élevées. Je pense que les idées libertariennes parlent beaucoup plus à des gens ayant un certain niveau intellectuel et une compréhension poussée du monde.

Les libertariens ne croient pas au jeu électoral et favorisent plutôt une approche sécessionniste. Pourquoi vous êtes-vous tout de même présenté en politique?
Nous vivons dans un monde très éloigné des idées libérales. Aujourd’hui, nous entrons dans un système de plus en plus étatiste, de plus en plus socialiste. Je pense qu’il est important d’avoir une ou plusieurs voix avec un réel esprit libéral qui s’expriment dans les différents parlements. Je peux aussi espérer que les médias, locaux ou nationaux, relaient ce type de messages afin qu’une réflexion s’installe parmi la population. C’est mon but premier et c’est un combat, intellectuel et philosophique, sur le long terme. Si les vrais libéraux lâchent ce terrain, on ne pourra que constater que nous n’avons rien fait pour inverser la tendance.

« Le PLR a fait plus de mal que de bien au libéralisme. »

Korab Rashiti

L’UDC est considérée comme un parti plus conservateur que libéral, pourquoi avoir rallié cette formation plutôt que le PLR?
En analysant les prises de position du PLR, au niveau des différents parlements, j’ai constaté que ce parti s’est éloigné des idées libérales. Ce parti a tendance à favoriser le capitalisme de connivence (ndlr: une économie capitaliste où le succès en affaires dépend de relations étroites avec les représentants du gouvernement) et c’est cette position qui cause le plus de dommages aux idées libérales. Le PLR a fait plus de mal que de bien au libéralisme. Prenons un exemple: ce parti, dans sa grande majorité, militait pour l’acceptation de la loi CO2 en juin 2021. C’est un pur exemple d’économie planifiée.

Vous avez obtenu un siège au Grand Conseil bernois en tant que quatrième viennent-ensuite. Comment justifiez-vous que les candidats précédents aient pris part à l’élection en sachant qu’ils ne voudraient pas du siège. Jugez-vous normal d’avoir été élu avec moins de voix que des candidats d’autres partis?
L’idée était tout d’abord de remplir la liste francophone de l’UDC car il existe un électorat romand dans notre région. Ensuite, nous voulions avoir une voix romande au Parlement cantonal bernois.

Vous comprenez les envolées lues dans la presse suite à ces manœuvres?
Il s’agit plutôt d’une manœuvre politique de la part de nos adversaires, afin de discréditer la liste ou le représentant élu de celle-ci. Je me suis plongé dans les archives d’autres partis, comme le PS par exemple. J’ai constaté qu’il s’est déjà passé des permutations du même type. Comme mes adversaires n’arrivent pas à me cerner politiquement ni à répondre à mes arguments, le seul moyen qu’ils ont trouvé est de déclarer mon élection illégitime. C’est une insulte faite au système en lequel ils croient tant: la démocratie.

Suite à cette élection, on a pu lire sur les réseaux que vous étiez ingérable au sein de votre parti.
Ce sont, à nouveau, des accusations lancées par des opposants politiques, je ne vais pas citer ici les noms. Si j’étais vraiment ingérable, je ne pense pas que je serais devenu le président de l’UDC Gerolfingen-Täuffelen-Hagneck. Mes positions peuvent parfois trancher avec la ligne générale de mon parti, mais c’est une bonne chose, ça créé une dynamique. La liberté d’expression est respectée au sein de cette formation, bien plus que dans d’autres partis.

Vous êtes très présent sur les réseaux, apportant une analyse sur bien des sujets. Parfois en ratant un peu le coche, non?
Vous faites référence à mon commentaire sur la non-élection de Michaël Buffat qui visait un siège au gouvernement vaudois. J’ai voulu apporter une analyse critique. Je ne pense pas que l’UDC vaudoise a fait une mauvaise campagne. J’estime seulement que cette formation, et les autres en Romandie, ne sont pas suffisamment libérales et n’ont pas un socle idéologique solide, ce qui explique leurs échecs alors que l’UDC s’en sort très bien dans les cantons germanophones.

Une personnalité biennoise vous a qualifié de «fascistoïde». Étant libertarien, cela vous fait sourire?
Les mots ont un sens. Il faudrait déjà que cette personne comprenne ce qu’est le fascisme, soit : «Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État!», selon Mussolini. Je me positionne comme un défenseur de la liberté individuelle et de la propriété privée et je prône une réduction du pouvoir de l’État. Mon accusateur rate totalement le coche. En réalité, ces gens-là n’ont strictement aucun argument à m’opposer quand on leur met des faits sous les yeux. Quand ils n’ont plus rien à dire, ils balancent des qualificatifs comme celui que vous avez cité.

Selon vous, personne ne comprend l’anarcho-capitalisme?
Effectivement, cela demande de s’émanciper de tout ce que l’on a entendu au cours de sa vie: à savoir que l’État a son mot à dire dans tous les domaines. S’extirper de ce schéma demande de la réflexion et de la volonté. C’est pour cela qu’une grande partie de la population n’y arrive pas. Maintenant, c’est à nous, les libéraux, de vulgariser les concepts philosophiques et de ne pas jouer le jeu de l’entre-soi.

La propriété privée peut résoudre tous les soucis selon vous?
Elle ne pourra pas tout résoudre. Mais si elle est comprise et véritablement respectée, nous nous dirigerons vers une société beaucoup plus apaisée et sereine. Si le monde est sous tension aujourd’hui, c’est parce que l’on bafoue ce concept. Nous avons pu le constater avec le droit à disposer de son corps librement, qui a été foulé aux pieds durant le pic de la crise du Covid-19. Il faut redonner un sens au droit naturel: soit le respect de la propriété de chacun, dont le corps lui-même.

Avec vos positions radicales, pensez-vous pouvoir changer des choses au niveau cantonal bernois?
Dire que ce que je gagne m’appartient et que je suis seul à décider quoi faire de cette somme ne me semble pas radical.

Quels sont vos projets en tant qu’élu?
Premièrement, faire en sorte que le canton de Berne redevienne attractif au niveau fiscal. Nous avons le taux d’imposition le plus élevé pour les entreprises au niveau national et nous nous situons à la troisième place concernant les personnes physiques. Le canton de Berne a une carte à jouer, au niveau national et international. Deuxièmement, je souhaite voir une institution cantonale se délocaliser dans le Jura bernois. Ainsi, nous verrons qui, dans ce nouveau parlement, prend vraiment position pour les Romands du canton. Enfin, il faut ouvrir le débat sur l’autonomie des institutions scolaires. Si nous payons des impôts pour financer l’éducation, nous devons avoir la possibilité de scolariser nos enfants de la manière dont nous le souhaitons. Il est aberrant de ne pouvoir bénéficier que d’un seul programme d’enseignement unifié.

Qu’allez-vous faire pour modifier cette fiscalité?
Quand on veut baisser les impôts, surgissent immédiatement des réfractaires, généralement des fonctionnaires. Le PS travaille pour cette catégorie de la population et joue la carte du clientélisme. Je crois qu’il va falloir faire de la pédagogie en démontrant que si la fiscalité élevée est maintenue, de plus en plus de personnes vivront grâce à l’impôt tandis que d’autres souffriront à cause de l’impôt.




Une précocité politique qui divise

Initiative «99%» de la jeunesse socialiste, légalisation de la polygamie proposée par les Jeunes PLR, gratuité des transports publics voulue par les Jeunes Verts… l’implication croissante de la jeunesse en politique semble entraîner une forme de radicalité. Cet engagement militant très marqué – que de nombreux observateurs voient d’un bon œil – est-il réellement souhaitable?

Nicolas Jutzet, ancien membre du PLR – dans lequel il s’était engagé à 20 ans – et ancien coordinateur de la campagne «No Billag» en Suisse romande, parle d’expérience: «Avec le recul, je conseillerais à un jeune de ne pas s’engager dans un parti politique pour ne pas s’imposer de carcan collectif et demeurer un esprit libre.» Pour le Neuchâtelois, actif maintenant dans la sphère métapolitique avec son média Liber-thé, le problème vient de la structure des partis politiques : «Elle mène nécessairement à une forme de conformisme, puisque le parti a intérêt à ce que tous ses membres aient la même ligne.»

Plus à droite, l’ancien président de l’UDC du Valais romand Cyrille Fauchère nuance: «Le cas est différent dans chaque parti. Il est vrai qu’on encourage parfois trop les jeunes à développer un esprit militant sans être suffisamment versés dans la culture du débat d’idées.» Un défaut qui, selon le Valaisan, touche surtout les partis bien implantés dans le tissu local – comme les partis réputés au centre – qui ont moins besoin de faire valoir leurs idées. Pour éviter cet écueil, il convient, ajoute-t-il, «d’encourager les sections de jeunes à fonctionner comme les partis traditionnels, en allant par exemple au contact des autres partis pour ne pas se complaire dans un entre-soi autour d’une position unique.»

« Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement. »

Abdelmalek Saiah, PS Yverdon

Qu’en pensent les militants eux-mêmes? La problématique n’inquiète pas Abdelmalek Saiah, Vaudois de 16 ans: «Je ne ressens pas ce problème au PS. Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement. Tout comme lorsqu’un autre parti partage une idée que je trouve bonne.» Pour lui, l’engagement des jeunes devrait même être reconnu via un droit de vote à 16 ans déjà. L’Yverdonnois justifie cette revendication par le fait que les jeunes «sont beaucoup plus conscients des enjeux importants, comme le climat et l’égalité, sur lesquels notre société doit se bouger», comme il l’écrivait en substance dans un billet publié le 18 mai dans 24 heures.

En tous les cas, l’abaissement de la majorité civique à 16 ans pose une question cruciale: celle de la maturité nécessaire à l’engagement politique. La frontière qui sépare les opposants et les partisans d’une telle mesure dessine les contours de deux visions opposées de «l’engagement jeune». Pour Cyrille Fauchère, «on a un déficit de maturité à 16 ans, qui fait qu’on ne peut pas appréhender certains sujets de société avec le recul nécessaire. On est encore en pleine formation professionnelle, mais aussi intellectuelle et émotionnelle». Une position qui tranche radicalement avec celle de la présidente du parti socialiste vaudois, Jessica Jaccoud, pour qui «le fait de considérer que les jeunes de 16 ans doivent être en mesure de chercher un travail, de trouver une place d’apprentissage, de gérer leur vie, tout en leur disant qu’ils ne sont pas matures pour voter, est une aberration totale. D’autant plus que les jeunes générations ont montré leur volonté de s’exprimer sur les sujets qui les concerneront dans le futur.»

Après un refus dans les urnes zurichoises à la mi-mai, les Bernois auront bientôt l’occasion de voter à leur tour sur le droit de vote dès 16 ans.

Commentaire

La question de l’engagement politique s’est posée pour moi lorsque j’avais quinze ans. J’étais, à l’époque, traversé par quelques velléités d’adhésion à un parti, que mes parents ont eu le bon sens de raisonner à temps. Du haut de mes vingt ans, je revois avec amusement ces ardeurs juvéniles, et j’observe avec une certaine circonspection les jeunes de mon âge qui ont fait ce choix du militantisme.

J’ose le dire: ces jeunes ne sont pas à leur place. Un adolescent, quoi qu’on en dise, n’a pas encore le recul nécessaire à l’engagement politique. Et ce pour une raison simple: il n’a pas encore pu faire l’expérience de la fragilité de ses propres convictions. Il est encore la victime de ce que les psychologues appellent «l’effet Dunning-Kruger», qui veut qu’un novice dans un domaine surestime nécessairement ses compétences, avant que l’expérience ne lui enseigne que le chemin de la maturité est encore long.
L’adolescence est encore l’âge de l’éducation, où l’on apprend l’engagement associatif, la fidélité à son club sportif ou à sa fanfare par exemple, le tout dans l’humilité et le respect des anciens. Les partis politiques qui s’appuient sur la détermination naïve des jeunes à s’engager se rendent coupables de les en empêcher, car ils en font trop tôt les adultes qu’ils ne peuvent pas encore être. AB




L’exemple concret d’un non-débat

Forum des médias de la RTS, le 8 mai: lors de l’émission titrée «L’avortement bientôt interdit aux états-Unis ?», le présentateur Mehmet Gultas introduit le sujet en parlant d’une «Annulation probable du droit à l’avortement aux états-Unis».

Le problème n’est pas tant l’objet du débat: l’équipe aurait tout aussi bien pu traiter de l’origine des pokémons ou, plus sérieusement, de la guerre en Ukraine. Le premier souci réside dans l’accroche donnée par le journaliste. Grégor Puppinck – docteur en droit, directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ) – donne une tout autre interprétation, dans les colonnes de Valeurs Actuelles: «Ce projet d’arrêt ne déclare pas l’avortement contraire à la Constitution, comme le fit par exemple la Cour constitutionnelle polonaise en 2020, à propos de l’avortement eugénique: il rend au peuple et à ses représentants le pouvoir de trancher cette question, comme c’était le cas avant l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Avec une telle décision, les États fédérés américains n’ont plus l’obligation de légaliser l’avortement, mais ils n’ont pas davantage l’obligation de l’abroger.» Une telle subtilité juridique ne sera à l’évidence pas proposée dans le cadre de l’émission, mais passons.

Autre fait saillant de cette discussion: les journalistes invités, Géraldine Savary (Femina) , Valérie de Graffenried (Le Temps) et Frédéric Autran (Libération) se révèlent unanimement choqués que la Cour Suprême songe à donner la possibilité aux États de choisir la ligne qu’ils souhaitent adopter en matière d’avortement. Et Frédéric Autran de déplorer: «Cela permet un revirement catastrophique 50 ans après l’affaire Roe v. Wade et cela pose la question de la représentativité et de la légitimité démocratique de la Cour Suprême.» Pour le journaliste de Libération, accorder davantage de liberté démocratique aux États serait nuisible à… la démocratie.

« Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire. »

Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS

Au final, la discussion ne portera jamais sur les mécanismes démocratiques américains, mais uniquement sur les implications sociétales d’un éventuel renversement légal. Contactée à ce sujet, Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS, botte en touche: «Nous avons choisi d’aborder une question d’actualité qui intéresse largement nos auditrices et auditeurs et pas de traiter ce thème, sous un angle émotionnel.» Elle n’estime pas non plus que ce type de discussion soit dommageable pour l’image de la RTS et des journalistes en général, qui, quand ils débattent, partagent généralement les mêmes opinions: «L’équipe de Forum, comme les autres rédactions de la RTS, abordent tous les sujets avec un même esprit critique et indépendant. Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire. Il s’agit d’une discussion entre journalistes livrant leur analyse ou leur point de vue sur des sujets d’actualité.»

Si certains politiciens que nous avons contactés ont préféré ne pas s’exprimer sur une tendance à l’uniformisation du message lorsque les médias traitent un thème sensible tel que l’avortement, Oskar Freysinger, ancien conseiller d’État valaisan UDC, ne se fait pas prier pour livrer son analyse: «Cela fait sept ou huit ans que je ne n’écoute plus la radio et que je ne regarde plus la télévision. Je n’ai pas envie de me faire sucer le cerveau tous les soirs.»

Pour l’ex-politicien, le journalisme relève de l’histoire ancienne : «Ce domaine est mort. Les journalistes sont des zombies qui ne savent plus que faire du copier/coller des différentes agences de presse. Par contre, ils n’hésitent pas à faire appel à des personnalités comme la mienne afin que j’envoie des missiles et, qu’ensuite, je puisse servir de punching-ball.»




L’outrage sur le métier

Sale temps pour les médias. Entre l’interdiction facilitée de la publication d’articles récemment décidée à Berne, une nouvelle offensive visant la RTS, ou la proposition d’obliger les journalistes à déclarer leurs intérêts, la profession fait face à un déluge d’attaques sans précédent de la part de la droite. Au cœur du malaise, cette critique selon laquelle des invités d’accord entre eux tiendraient souvent le haut du pavé, tandis que les intervenants moins progressistes, sans même parler de journalistes dissidents, seraient tenus à l’écart. « Cette orientation se ressent peu lors des émissions Forum ou du 19h30, mais au-delà, il n’y a plus de limites », précisait récemment le PLR Philippe Nantermod à nos confrères du Temps.

Dans le canton de Vaud, le coup de grâce vient d’être porté au Grand Conseil par une motion signée par une équipe mixte de PLR et d’UDC, et portée par l’agrarien Cédric Weissert. Le texte, qui n’est pas près de déboucher sur un résultat concret, demande la «transparence des deux côtés du miroir». Ainsi, les journalistes devraient à l’avenir déclarer leurs intérêts, au même titre que les députés en début de législature. «Ce n’est pas une attaque contre le journalisme, qui est un métier magnifique», assure l’auteur de la motion. De fait, il jure même qu’il aurait préféré ne pas devoir la rédiger. En secouant le cocotier, il entend simplement inviter les rédactions à rétablir un semblant d’équilibre idéologique, de manière à recréer le lien de confiance avec les consommateurs.

« J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles. »

Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias.

«Certains journalistes rétorqueront qu’être membre ou sympathisant cotisant de telle ou telle association à but non lucratif, social ou environnemental ne gêne pas leur objectivité au travail», réagit Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias. Et de préciser : «J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles. Ou quand le journalisme devient une autre façon de s’engager pour une cause, y compris noble…».

Entre idéalisme mal placé et pressions politiques ou économiques croissantes, pas sûr que l’âge d’or ne revienne de sitôt dans la branche.

Commentaire: Le prix de l’entre-soi généralisé

Une petite quinzaine d’années de journalisme dans les pattes, et pourtant, déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées… Des causes que certains collègues voulaient défendre frénétiquement au travers de leurs articles. La lutte contre la déforestation aux côtés de Greenpeace, autrefois, pour l’égalité animale aux côtés de militants vegans, par la suite. Et puis l’accélération : le réchauffement climatique, dès la fin de la dernière décennie, la vaccination contre le Covid et, enfin, les questions liées à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le genre. Doit-on s’en offusquer ? A la vérité, pas forcément. Nous-mêmes nous avons logiquement, durant notre carrière, travaillé les thèmes qui nous touchaient, tandis que nos confrères et consœurs s’étonnaient parfois que les questions que nous posions puissent intéresser quiconque. Ainsi en va-t-il de n’importe quel travail impliquant une solide dose de subjectivité, et le journalisme en fait partie qu’on le veuille ou non.

Déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées…

Qu’on nous pardonne, dès lors, de mobiliser une grille de lecture marxiste dans une revue que d’aucuns se plaisent à classer à droite : il nous apparaît en effet que le malaise actuel –celui que tentent de révéler les élus bourgeois – provient avant toute chose de l’homogénéité des profils travaillant dans ce milieu. En clair, d’une surreprésentation de la classe moyenne supérieure dans un métier censé s’adresser à toutes les couches de la population, y compris aux prolétaires. Même avec les meilleures intentions du monde, comment un enfant de la bourgeoisie pourrait-il réellement traduire les souffrances et les aspirations de milieux qu’il n’a jamais fréquentés, et qu’il apprécie souvent à condition de les côtoyer de très loin ? A ce titre, et sans nier la qualité de l’enseignement qui en découle, la transformation croissante du journalisme en science universitaire ne nous paraît pas porter avec elle que de belles promesses.




« Certaines conseillères d’État se sont montrées indignes de leurs fonctions »

C’est un mercredi un peu plus agité que d’habitude, surtout hors session, sous la Coupole fédérale. Tout juste de retour de Kiev, la fameuse délégation de parlementaires va bientôt débuter sa conférence de presse et Yves Nidegger, collègue de parti de Michaël Buffat, nous fait ses adieux tandis que nous nous apprêtons à quitter le bar pour une table. Sans grande surprise, le conseiller national vaudois n’optera pas pour le muffin vegan. Nous non plus. 

Trois semaines après le résultat des urnes, quel est votre état d’esprit ?

On est forcément déçu, quand on a raté une élection. Mais j’ai un œil qui rit et un œil qui pleure : je suis content que nous ayons pu renverser la majorité de gauche avec l’Alliance vaudoise, et je crois y avoir participé. D’un autre côté, j’aurais aimé continuer à porter ce projet avec mes colistiers. La population en a décidé autrement. C’est comme ça.

Vous pensez vraiment avoir «raté» cette élection ?

Logiquement, je n’ai pas réussi puisque je n’ai pas été élu.

Mais pouviez-vous réussir, surtout avec des villes clairement à gauche ?

C’est une bonne question. Je dirais que si on se lance dans une élection, c’est qu’on a la foi de pouvoir réussir. Moi je me suis lancé avec un projet pour le pouvoir d’achat des Vaudois. A l’évidence, je n’ai pas réussi à convaincre que je pouvais être la personne capable de le mener à terme, même si en tant qu’équipe, encore une fois, nous avons gagné. Ce qui me met du baume au cœur, c’est de savoir que les quatre personnes élues seront capables de construire l’avenir du canton. Pour le reste, je dois encore analyser les résultats des votes, mais il est vrai que nous avons un sacré potentiel d’amélioration dans les villes.

Parmi vos partenaires élues, il y a Valérie Dittli, du «Centre»…

Depuis le début de la campagne, nous savions que nos alliés PLR étaient quasiment assurés d’avoir leur siège, mais que nous deux devrions nous battre. La pire des situations aurait été que ni elle ni moi ne soyons élus. Sincèrement, je suis content pour elle : c’est une personne très compétente, solide, brillante (ndlr voir son portrait en page 5). On a eu un bon feeling depuis le début de la campagne. Je ne me fais pas de souci pour elle.

Pour vous, la campagne a été très dure. Vous avez été particulièrement ciblé. Vous l’avez vécu comment ?

Cela faisait partie du plan de la gauche dès le début des élections. En décembre, déjà, on m’avait averti que je serais l’homme à abattre. Cela s’est amplifié au vu des résultats du premier tour. Dès ce moment, il a fallu me coller dessus tous les adjectifs négatifs de la terre.

Parmi ceux-ci, il y a eu «climato-sceptique»

Oui, et que j’étais le parlementaire le plus à droite de la délégation vaudoise, aussi, ce qui n’est d’ailleurs pas compliqué comme UDC. On a aussi dit que j’étais d’extrême-droite, bref, tout ce qu’on peut dire pour décrédibiliser une personne. 

Y a-t-il des choses que vous ne pouvez pas pardonner ?

Peut-être que c’était une erreur de ma part, mais j’ai préféré faire le dos rond. Les critiques me paraissaient grotesques tant elles étaient extrêmes. J’aurais peut-être dû réagir un peu plus fort par moment. J’ai préféré défendre mon projet, sans m’abaisser à attaquer les personnes.

De toutes les critiques, laquelle vous a le plus touché ?

Comme politicien, j’ai appris à avoir le cuir épais, c’est surtout pour ma famille que certaines choses ont été difficiles à vivre. Je pense en particulier à des détournements qui nous visaient, Valérie et moi, sur Instagram. Ce que j’ai trouvé regrettable, c’est que des conseillères d’Etat en place se mêlent aux attaques basses. La présidente Nuria Gorrite, en particulier, a momentanément « liké » cette page dont certains éléments relevaient à mon sens du pénal. Ce n’est pas l’image que je me fais d’une personne à un tel poste, surtout quand son gouvernement investit massivement dans la prévention du harcèlement. Certaines attaques de madame Amarelle, dans la presse, m’ont également semblé indignes de sa fonction. En tout cas moi, je ne me suis pas laissé aller à faire ce genre de choses.

Ce que j’ai trouvé regrettable, c’est que des conseillères d’État en place se mêlent aux attaques basses.

L’avenir, pour vous, il est plutôt dans la politique ou dans le privé ?

On ne fait pas de politique pour poursuivre un plan de carrière. On en fait parce qu’on a ça dans les tripes, parce qu’on a besoin de défendre des idées. Je veux continuer. Si la question est : «Vais-je me présenter aux élections fédérales l’an prochain», la réponse est positive. Tant que j’aurai la foi de pouvoir être utile à mon pays, je continuerai.

N’y a-t-il pas des moments où vous vous dites que votre carrière professionnelle pourrait être plus riche sans un «frein» politique ?

Si on est du genre à calculer, on ne s’engage pas, et particulièrement pas à l’UDC. Il n’y a du reste pas que la carrière qui peut pâtir d’un tel mandat, il y a la famille également. Là, par exemple, je sors de trois mois sans l’avoir vue. Être en campagne, c’est rentrer à minuit pendant que ses proches dorment et repartir tôt le matin tandis qu’ils dorment encore. C’est une vie parfois éprouvante mais c’est plus fort que nous.




Ces cathos qui aiment l’ancien

Dans les années soixante, dans la foulée des réformes initiées dans l’Église catholique par le concile Vatican II, le pape Paul VI a amorcé un mouvement ayant pour but de modifier en profondeur les usages liturgiques catholiques. Cette réforme a abouti, en 1970, à la publication d’une nouvelle édition du Missel romain – livre qui réunit tous les textes et les indications nécessaires à la liturgie – incluant une refonte de la célébration de la messe, considérablement modernisée. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la «forme ordinaire» du rite romain, par opposition à la «forme extraordinaire» qui était en vigueur jusque-là sous le nom de rite tridentin.
Dans la foulée de ces réformes, certaines pratiques se sont largement répandues, comme l’utilisation systématique de la langue vernaculaire pour toutes les prières et les lectures de la messe, ou encore la communion debout et dans la main, plutôt qu’à genoux et sur la langue. On a également généralisé la célébration de la messe «face au peuple» et non plus ad orientem – en direction de l’Est, sens de construction habituel des églises. En effet, l’usage majoritaire jusqu’à ce moment-là était que le prêtre célèbre la messe en regardant dans la même direction que les fidèles, toute l’assemblée étant symboliquement tournée vers Dieu.
En réaction à ces évolutions, un mouvement dit «traditionaliste», défenseur de la messe traditionnelle, s’est développé au sein même de l’Église catholique. Il est désormais implanté dans de nombreux lieux, remédiant souvent au manque toujours plus marqué de prêtres catholiques. A Fribourg, par exemple, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre – une communauté de prêtres traditionalistes – est responsable de la Basilique Notre-Dame de Fribourg, depuis de nombreuses années. On peut y voir des prêtres qui portent encore la soutane célébrer la messe selon le rite tridentin, en latin, accompagnée le dimanche par des chants grégoriens.
Étonnamment, ce retour à la tradition, à l’ancien, semble attirer tout particulièrement la jeunesse. «Incontestablement, une des premières choses que l’on remarque lorsqu’on se rend à la messe traditionnelle, c’est le nombre de jeunes», affirme Tanguy, jeune catholique jurassien de 29 ans. «Je fréquente aussi les messes en rite ordinaire, mais j’y suis souvent le seul paroissien en dessous de 50 ans. La différence est flagrante», continue-t-il. Guillaume, la vingtaine, fréquente aussi régulièrement la messe traditionnelle. Il fait à peu près le même constat: «A la messe du dimanche à la Basilique de Fribourg, l’église est pleine, et en grande partie remplie de jeunes et de familles.» Pour lui, c’est une évidence: «Il y a un vrai mouvement de la jeunesse autour de la forme extraordinaire du rite romain.»
Comment expliquer ce phénomène? Les jeunes interrogés semblent tous d’accord sur un point: la messe traditionnelle offre des repères dans la pratique de la religion. Comme le note Simon, un autre jeune fidèle de la Basilique de Fribourg, les messes traditionnelles, parce qu’elles sont très codifiées, offrent une stabilité et donc une certaine paix, importante pour de nombreuses personnes. En outre, c’est aussi un sens du sacré que les jeunes trouvent dans la célébration du rite tridentin: «Le soin, l’attention, la minutie du prêtre et des servants dessinent les contours du mystère imperceptible pour nos sens, pourtant bien présent», détaille Tanguy, pour qui le rituel très strict de la messe traditionnelle «pousse à se questionner sur la signification des gestes de la liturgie».
Mais au-delà de la liturgie, ces jeunes semblent néanmoins accorder une importance cruciale au fait que les gestes, les codes, ne doivent pas être, et ne sont pas la fin ultime de la pratique religieuse. Ils doivent s’ancrer dans une vraie vie spirituelle, qui ne se réduit pas à des questions de forme. La liturgie traditionnelle, selon eux, est d’abord un vecteur de la foi. Sans la foi, elle n’aurait aucun sens.

Antoine Bernhard est rédacteur pour «Le Regard Libre».
leregardlibre.com




Houellebecq, un chrétien de notre temps

Céline du rayon surgelé, l’auteur d’«Anéantir» est surtout un catholique contrarié, affirme une étude des soubassements théologiques de son œuvre. Décapant. Par Raphaël Pomey

Pour ceux qui voient uniquement en Houellebecq le chantre d’une sexualité triste, l’idée qu’il puisse représenter «une des voix catholiques les plus authentiques de notre temps» peut surprendre, voire choquer. Pourtant, c’est ce que démontre un ouvrage collectif, «Misère de l’homme sans Dieu», paru cette année chez Flammarion, dans le sillage de son dernier roman. Étude pointue de son rapport à la foi, l’ouvrage nous dresse le portrait d’un «amant malheureux de la religion». Un amant bien incapable de croire, hélas pour lui, mais qui se montre néanmoins nostalgique du rôle de «ciment social» que le christianisme jouait dans nos pays. Pays où règne désormais, selon lui, un individualisme corrosif. Ne déclarait-il pas déjà en 1998: «Je ne crois pas à la possibilité de société sans religion. L’idée de société et l’idée de religion sont pour moi identiques»? Auteur classé à droite, souvent en raison de provocations destinées à faire la promotion de ses livres, Houellebecq n’en est pas moins à la recherche d’un «rempart contre le libéralisme», souligne l’étude.

Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation

Doit-on, à sa suite, espérer la naissance d’une religion pouvant cohabiter avec la froide rationalité moderne, ou tenter de ressusciter une «société organique» soudée par la foi? Sans réellement trancher, le dernier roman de Houellebecq, «Anéantir», ouvre une voie pour le moins inattendue : on y découvre une femme aux croyances un peu farfelues (elle est plus ou moins adepte de la Wicca, religion new age) qui permet au héros principal, chrétien de tradition, de se préparer à la mort avec un minimum de sérénité, et avec les plaisirs de la chair comme ultimes sacrements. Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation, en somme.

Pour un nouveau pari pascalien
De la double lecture du dernier roman de Houellebecq et de l’ouvrage consacré à sa théologie, un regret s’impose: que seuls les bénéfices sociaux de la religion apparaissent sous sa plume, sans que la foi pure, celle des enfants, semble une option pour ce positiviste de conviction. A cette aporie, un autre scientifique, Pascal, avait répondu par un pari. Celui de tenter l’espérance, même à partir d’un postulat agnostique, voire athée. «Espérer contre toute espérance», comme l’avait déjà écrit saint Paul en Romains, 4, 18. Peut-être une voie pour notre temps?




Elle a mis les Vaudois dans ses petits souliers

La survie en politique passe sans doute par la capacité à placer l’urgence avant les sentiments. À ce jeu-là, Valérie Dittli fait déjà montre d’une certaine maturité puisque c’est sans elle que nous avons dû nous résoudre à rédiger ce portrait au début du mois. Contexte politique étouffant, répartition hyper-complexe des rôles au sein du futur Conseil d’État, surveillance de l’inévitable service comm’… Il faut dire que la rentrée s’annonçait chargée pour la future ministre d’origine zougoise. Pas facile, d’un moment à l’autre, de reconfigurer une jeune existence pour les cinq prochaines années.

«Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois»

Un élu agrarien

Arrivée sur la scène politique vaudoise en 2021, la native d’Oberägeri incarne une droite décomplexée, dont l’étiquette politique est jugée trompeuse par certains: «Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois», glisse un élu du parti agrarien. Ses adversaires, durant la campagne pour l’exécutif, ne s’embarrassaient pas de tant de subtilités, eux qui la dépeignaient tranquillement en «réac» sur les réseaux sociaux. Mais plus que son positionnement politique, influencé par sa pratique du droit, c’est la poigne de la future édile qui a rapidement fait sa renommée: «Il fallait du courage pour pousser Neirynck et Béglé vers la sortie, admet un élu de gauche, je ne crois pas que beaucoup de gens auraient été capables d’en faire autant à son âge» (29 ans, 28 au moment des faits). Au micro de la RTS, Jacques Neirynck avait alors dénoncé «un jeunisme peu respectueux des anciens». Un jugement qui, à l’évidence, n’aura pas retourné l’électorat contre la présidente de l’ex-PDC.

Une bonne camarade
De la poigne, donc, et un certain sens de l’opportunisme. Sympathique et bonne camarade au quotidien, la future ministre s’est plusieurs fois illustrée par sa capacité à prendre tout l’espace disponible en débat télévisé. Un show dans lequel elle semble se lancer sans grande appréhension concernant la qualité, remarquable pour une deuxième langue, de son français. Reste une question: comment gouverner sans groupe politique derrière soi au Grand Conseil, et en portant les couleurs d’un parti qui se trouvait en grandes difficultés jusqu’aux dernières élections? Interrogé sous la Coupole fédérale (voir page 5), son colistier malheureux Michaël Buffat, emballé par la campagne menée à ses côtés, ne se montrait pas du tout inquiet. C’est d’ailleurs au sein de l’Alliance vaudoise que certaines de ses idées, comme la réalisation de vidéos décalées et plus ou moins réussies sur TikTok, ont fait émerger le visage d’une femme qui n’a peur ni de faire sourire, ni du succès. Une impression renforcée par son choix de baskets blanches, détonnantes face aux talons vertigineux de certaines de ses collègues.

Comment se déroulera sa vie de ministre ? Souvent alimentées par une condescendance à peine masquée, les prédictions apocalyptiques abondent. «Elle va exploser en vol», entend-on souvent, comme si la jeune femme ne devait son élection qu’au hasard, et pas un minimum à son talent propre. Chez ceux qui ont appris à la découvrir en campagne, le pronostic, quel qu’il soit, est généralement bien moins définitif. Reste à voir, désormais, si Valérie Dittli gouvernera en chaussures velcro.




Le PS Suisse et le coup de la grande dixence

«Est-ce qu’on est bien sur la page Facebook du PS Suisse?». Voici, en substance, le cœur des réactions suscitées par un message publié le 22 avril dernier sur le réseau social. Dans le contexte du duel Macron-Le Pen, la formation politique appelait à se rendre aux urnes «pour une France antifasciste». Et le PS de préciser: «Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, les fondements de la démocratie et de l’État de droit seront en danger. Évitons que l’abstention serve ses intérêts. Votez Macron, faites barrage à l’extrême-droite.» La fin du message, toutefois, masquait difficilement un certain malaise à l’idée de soutenir l’ancien banquier d’affaires: «S’il est élu, il sera possible de combattre toute attaque contre l’État social et la démocratie dans les institutions.» Comprendre: Macron n’est pas le roi des bons types, mais au moins il n’est pas totalement un dictateur, contrairement à son adversaire.
Ces recommandations font dresser les cheveux sur la tête de Yohan Ziehli, collaborateur scientifique de l’UDC Suisse: «Si Madame Le Pen avait été élue, nous nous serions retrouvés avec un parti gouvernemental qui aurait fait face à une personne qu’il avait traitée de fasciste au préalable. Cela me semble inadmissible en matière de bons offices et montre une nouvelle fois que le Parti socialiste est déterminé à miner toute neutralité helvétique, toute capacité, aussi, à jouer notre rôle historique de médiateurs.»
Jean Romain, député PLR genevois, est moins radical, si l’on peut dire. Ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard amusé sur les contradictions intrinsèques d’un tel appel: «La posture politique ne m’intéresse guère, c’est la posture idéologique qui me semble curieuse. On peint le diable sur la muraille et derrière on soutient un opposant politique.» Il lui semble en effet assez «cocasse» que le PS appelle à voter pour un représentant de la droite orléaniste alors que Marine Le Pen est politiquement davantage tournée vers les nécessiteux que son rival, à ses yeux.
«Je suis membre d’un parti qui se veut profondément internationaliste, conclut Pierre Dessemontet, «co-syndic» socialiste d’Yverdon-les-Bains: «Je le suis moi-même: je me sens éminemment européen, et quand bien même mon pays a choisi de ne pas rejoindre le processus d’intégration européenne, c’est un point où je suis fondamentalement en désaccord avec lui. Je me sens profondément concerné par ce qui se passe, politiquement, dans les pays européens, et plus encore quand c’est le grand pays voisin avec qui nous avons tant de choses en commun, à commencer par l’histoire.»
Un point de vue forcément partagé par le co-président du parti et conseiller national argovien Cédric Wermuth: «Se prononcer sur les affaires politiques d’autres pays ne date pas d’hier, surtout lorsqu’elles ont un impact potentiel sur la politique internationale. En l’occurrence, les liens de madame Le Pen avec des banques proches du Kremlin inscrivaient cette élection dans le contexte international.» Il précise bien que le PS a appelé à voter Macron non pas par conviction politique, «mais bien pour appeler à faire barrage à l’extrême-droite. Chaque alternative démocratique est meilleure.»
Ingérence ou non? Le débat dépasse le cadre des élections présidentielles, et s’inscrit dans un changement de perception de la notion de neutralité suisse. Un mot, en tout cas, semble de plus en plus avoir fait son temps: «faire barrage». Comme en rigole l’humoriste français Franjo, «maintenant on fait barrage tous les cinq ans; apparemment on est devenus des castors.»