Contre le terrorisme, la souveraineté ?

« Pourquoi ce silence en Romandie ? ». Voici la question que posait le journaliste de Watson Antoine Menusier dans la foulée de l’attaque au couteau, samedi trois mars à Zurich, d’un juif orthodoxe par un ado de 15 ans. Se réclamant de l’État Islamique dans une vidéo, ce jeune Suisse d’origine tunisienne voulait participer avec son acte à « un combat mondial contre les juifs ». Une attaque d’une gravité peu commune en Suisse, mais trop peu traitée dans un premier temps par les médias romands aux yeux du journaliste. La faute à la barrière de la langue ? Peut-être mais pas seulement. Car pour Antoine Menusier, le fait divers venait aussi mettre le doigt sur les contradictions de notre politique d’intégration : « Parmi les antisémites, on trouve des jeunes gens pour lesquels sont élaborées des campagnes antiracistes », relevait-il ainsi dans sa chronique. 

Des digues ont sauté

Une autre question mérite également d’être posée : celle du rejet croissant de notre tradition de neutralité. Du conflit ukrainien à la guerre au Proche-Orient, bien des digues semblent en effet avoir sauté dans l’affirmation des valeurs helvétiques. Ainsi n’est-il plus étonnant d’avoir le drapeau d’un belligérant sur un Hôtel de Ville ou des représentants d’un parti gouvernemental appelant à boycotter tous les produits d’origine israélienne. Fin février, une chercheuse de l’Université de Lausanne et députée socialiste vaudoise, Oriane Sarrasin, était allée jusqu’à annoncer son refus de collaborer professionnellement avec ses homologues de l’État hébreux ! Une initiative pour le moins troublante, s’agissant d’une employée d’une institution publique, mais qui ne l’avait pas empêché de recevoir le soutien de son président de parti, Romain Pilloud sur X (ex-Twitter ).

Parmi les antisémites, on trouve des jeunes gens pour lesquels sont élaborées des campagnes antiracistes

Antoine Menusier, journaliste à Watson

Et si ce climat inédit favorisait un ensauvagement de la vie publique ? Nous avons posé la question à Antoine Menusier. Pour lui, neutralité ou souveraineté entrent peu en ligne de compte : « Le jeune terroriste inscrit son geste dans une vision islamiste, qui est civilisationnelle et supranationale. Il s’agit de restaurer la grandeur passée du califat. Pour cela, il faut battre les concurrents que sont les juifs et les chrétiens. » Certes, mais un regain souverainiste, en Suisse, ne permettrait-il pas de faire face à des volontés de ce type ? Pour ce spécialiste des questions de société, rien ne l’indique : « La Suisse est souveraine, la chose est de toute façon garantie. Avec la famille de ce jeune, on n’a probablement pas affaire à un cas Schengen, donc rien qui ait un rapport avec la question de la libre-circulation des personnes. C’est une famille qui s’est installée conformément aux règles et l’on ne peut en aucun cas affirmer à ce stade de l’enquête (ndlr 7 mars 2024) qu’elle partage les vues radicales du jeune auteur présumé de l’attaque. »

« La Suisse a abdiqué ses valeurs »

Une toute bête manifestation de choc de civilisation, donc ? Telle n’est pas la vision d’un sympathisant du Hezbollah d’origine libanaise vivant dans le canton de Vaud que nous avons contacté : « Il y a surtout une instrumentalisation du conflit au Proche-Orient pour alimenter une haine antimusulmane », tonne ce catholique, en condamnant néanmoins l’agression survenue à Zurich.  Il refuse en outre l’idée qu’Israël, « État fondé sur le terrorisme » à ses yeux, serait l’avant-garde de l’Occident comme on l’entend souvent.

Message radical, donc, mais quid de la neutralité helvétique ? S’il s’y dit tout à fait favorable, il n’en demeure pas moins selon lui que les habitants de notre pays ont bien le droit d’exprimer leur opinion sur des conflits lointains. Il estime que la Suisse a de toute manière abdiqué ses valeurs en s’alignant sur les sanctions contre la Russie ou en projetant le drapeau israélien sur la Tout de l’Horloge de Berne au lendemain des attaques du 7 octobre.

L'initiative sur la neutralité : un début de solution ?
L’initiative sur la neutralité : un début de solution ?

Pour sauvegarder la neutralité, cesser de brader la nationalité

Président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier se montre plus combatif : « La neutralité est un pilier historique sur laquelle la Suisse a bâti paix et sécurité. C’est vrai pour notre cohésion nationale et sociale, donc à l’intérieur de nos frontières, comme à l’extérieur, dans nos relations diplomatiques et internationales. Bien sûr, cette attaque terrible à Zurich a un lien avec le conflit israélo-palestinien qui fait rage en ce moment, mais elle s’inscrit aussi dans une dérive qui affaiblit la Suisse depuis trop longtemps :  comment rester en sécurité si on ouvre sans aucun contrôle nos frontières à des immigrés qui importent leur conflit dans notre pays ? Pire, par faiblesse d’esprit, on brade notre nationalité et on attribue des passeports suisses comme on vend des petits pains !  Comment rester souverains si on continue à naturaliser des gens qui ne comprennent, ni ne partagent nos piliers fondateurs, comme l’est, en autre, la neutralité ? » Et de fustiger « la politique d’immigration et d’intégration coupable de la gauche » qui a implicitement conduit, à ses yeux, à l’attaque antisémite zurichoise. 

Comment rester souverains si on continue à naturaliser des gens qui ne comprennent, ni ne partagent nos piliers fondateurs ?

Kevin Grangier, président de l’UDC Vaud

Ces propos font écho à ceux tenus au Grand Conseil zurichois, peu après l’attaque : le député UDC Tobias Weidmann y a suscité le tollé en déclarant que l’antisémitisme, désormais, ne venait plus de la droite, mais de la gauche anticapitaliste et des migrants. 

Kevin Grangier, quant à lui, conclut en rappelant la demande du Conseiller d’État zurichois et ancien socialiste Mario Fehr de révoquer la nationalité de l’agresseur.




Quand le ciel nous tombera sur la tête

Un soir d’été, quelques jours avant la Théophanie, j’étais l’invité d’un homme d’État à la retraite. Il avait été, dans sa région et au-delà, une grande figure de la droite. (Cette dernière précision suffit à vous indiquer qu’il ne pouvait s’agir du canton de Genève.)

En face de sa maison, il y avait l’à-pic d’une montagne vide de toute remontée mécanique, de toute habitation, de toute centrale électrique, bref une montagne oubliée des hommes.

Il y eut alors un long moment où je pris conscience que, pour la première fois depuis des années, j’avais en face de moi la nuit originale, le ciel constellé d’étoiles, sans aucune trace de lumière artificielle. L’effet était saisissant et me plongeait dans une forme d’intranquillité. 

Je me rendis alors compte que la pollution lumineuse était devenue pour moi la norme, et que la nuit, telle qu’elle avait existé autrefois et telle qu’elle survivait dans ce coin de montagne, m’était devenue une chose étrange et étrangère.

Quelques jours plus tard, j’entreprenais la lecture d’un des livres très spécialisés que Springer arrive encore à publier en imprimant à la demande.

J’eus un moment de honte lorsque je me rendis compte que le livre que je lisais était en fait une traduction de l’italien vers l’anglais, et que j’avais manqué à mes devoirs envers la Péninsule en ne l’achetant pas dans la langue d’origine. J’ai retrouvé bonne conscience à la fin, lorsque Madame Patrizia Caraveo explique que Saving the Starry Night est la version anglaise considérablement révisée et mise à jour de l’original italien Il cielo è di tutti. Et puis l’édition anglaise a pour couverture une photographie d’une beauté renversante des trois cimes de Lavaredo, dans les Dolomites, au coucher du soleil en octobre 2020.

Sauver la nuit étoilée, donc. Mais dans quel but ? Et la sauver de quoi ?

La Nuit étoilée de Vincent van Gogh, en 1889.

Caraveo, qui travaille à l’institut national d’astrophysique à Milan, nous rappelle d’abord l’importance du ciel en tant qu’héritage culturel. Les anciens regardaient le ciel et ils y voyaient des prodiges auxquels nous sommes devenus indifférents. Le ciel a une histoire, que rappellent ces constellations qui évoquent des mythes grecs et ces étoiles aux noms arabes ou latins issus d’empires disparus. N’oublions pas non plus que la révolution scientifique a commencé avec l’astronomie : citons les noms de Copernic et de Galilée, le messager des étoiles. Mais ceci a fait l’objet d’un autre livre, et justifierait une autre chronique. 

À la nuit s’oppose la lumière, elle aussi objet de découvertes scientifiques de premier plan auxquelles reste attaché le prix Nobel de physique accordé à Einstein en 1919. Et la lumière artificielle fait reculer, décennie après décennie, la nuit : les observatoires astronomiques historiques, comme celui de Paris ou celui de Naples, étaient construits au cœur des villes. À partir du moment où l’éclairage nocturne est devenu la norme, les observatoires ont dû être déplacés vers des lieux de plus en plus sauvages, désert d’Atacama ou sommet du volcan Mauna Kea.

Le livre abonde en graphiques et en photographies qui montrent que la nuit recule année après année et qu’elle n’existe presque plus en Europe occidentale. Toutefois, même dans cette petite partie du monde, les différences sont impressionnantes : la pollution nocturne est 7’000 fois plus importante dans la région de Delft, riche en serres artificielles, que dans les Hébrides extérieures (page 45). Dans un ciel 10 fois plus éclairé qu’au naturel, il n’est plus possible de voir la Voie lactée (page 63).

Il appartient toutefois à l’auteur de nous convaincre que cette pollution lumineuse n’est pas souhaitable. En effet, nous savons aussi que l’éclairage de nos villes représente une victoire sur un danger bien tangible, qui était celui des brigands qui profitaient de l’obscurité pour attaquer les passants. Alors, comment justifier que des ténèbres puissent être préférables à la lumière ?

Ce livre contient donc une apologie de l’obscurité. L’excès d’éclairage nocturne s’oppose au rythme circadien, porte atteinte au sommeil, favorise le cancer par la diminution de la mélatonine, détruit le biorythme des animaux, des insectes et des végétaux et provoque la mort de très nombreux insectes. 

Bien entendu, la solution ne réside pas dans des opérations politico-publicitaires sans lendemain comme « une nuit sans éclairage dans le Grand Genève » : à un problème créé par la technique, il existe des solutions techniques. Caraveo cite l’exemple de Tucson, dans l’Arizona, où l’utilisation de lampes à sodium à basse pression a permis de diviser par 3 la pollution nocturne sans aucune incidence sur les habitudes de vie de la population (page 77). J’en déduis que l’innovation technique et scientifique est un meilleur remède aux diverses formes de pollution que les hausses d’impôts et l’écriture inclusive.

La nuit est belle est un événement co-organisé depuis 2019 par le Grand Genève, le Muséum d’histoire naturelle de Genève, la Société Astronomique de Genève et la Maison du Salève.

La pollution électromagnétique affecte aussi les ondes radio, et entraîne une perte d’efficacité aussi grande pour la radioastronomie que la pollution lumineuse pour l’astronomie optique. 

Les deux derniers chapitres du livre ouvrent les perspectives les plus inquiétantes, et aussi les plus stimulantes. Sous nos yeux indifférents, le ciel est en train de devenir le terrain d’une nouvelle révolution industrielle. Notre époque panurgique aura en effet vu l’avènement de deux individualités originales, Michel Houellebecq en littérature et Elon Musk dans l’industrie. Le prophète et l’ingénieur. On sait que le deuxième est parti à la conquête du ciel. 

L’entrée du Prométhée de Pretoria dans le domaine spatial nous fait changer d’ère. Depuis le Spoutnik soviétique de 1957 jusqu’à 2019, on a lancé 9’000 satellites, dont seulement 1’500 fonctionnent encore (page 151). Le réseau GPS repose sur en tout et pour tout 32 satellites, dont 24 actifs en permanence, et coûte 2 millions de dollars par jour à l’armée étasunienne (pages 127-128). Or, Space X de Musk a obtenu l’autorisation d’en lancer 12’000. Le consortium One Web a obtenu l’autorisation d’en lancer 6’372 ; Samsung 4’700 ; Amazon 3’263 ; Boeing 3’000 ; en comptant les plans de Facebook, Link, Kepler, Telsat et divers projets russes et chinois, on va vraisemblablement arriver à 100’000 satellites. Comme ils auront une durée de vie de 5 à 10 ans, il y aura à terme 10’000 lancements par an pour maintenir cette population. Comme d’habitude, l’Europe occidentale, terre devenue hostile aux entrepreneurs et réticente à la science et à la technique, est complètement hors du coup et ne saura que critiquer les autres au lieu d’agir. Passer de 9’000 satellites à 100’000 satellites, c’est créer une situation qui est riche de promesses (l’Internet par satellite), mais aussi de menaces. Très impressionnante à cet égard est la photo de la trace laissée dans l’espace par le premier train de 60 satellites lancé par Musk en mai 2019 (page 119). Ce serait un mensonge que d’affirmer que tout a été prévu : on ne sait pas vraiment quels sont les risques liés à une telle cohue dans l’espace, d’autant plus que la plupart de ces engins se trouveront sur une orbite assez basse. Comment éviter les collisions ? Le 2 septembre 2019, on est passé très près d’une collision entre un satellite de l’Agence spatiale européenne et un satellite de Musk. Si toutes les branches de l’astronomie souffrent d’ores et déjà (le passage d’un train de satellites Space X suffit à rendre inutilisable une image du ciel – page 139), la plus touchée sera l’observation des astéroïdes qui représentent un danger potentiel pour la Terre. Il est aussi possible que la radioastronomie soit mise en danger par les interférences dues à la prolifération de ces nouveaux utilisateurs de fréquences radio. Et peut-on vraiment affirmer qu’il n’y aura aucun risque lié aux épaves ?

Il n’est pas question de jouer au luddite et de condamner cette nouvelle aventure industrielle. Musk est plus ouvert que d’autres aux dialogues avec ses critiques, et il a réponse à tout : si ses satellites gênent le travail des observatoires sur Terre, alors il faut envoyer les observatoires dans l’espace (page 159).

Il faut en revanche rappeler qu’il n’y a eu aucun examen réel des risques liés à cette nouvelle étape de l’industrie spatiale. Les autorisations sont délivrées par la commission étasunienne des communications (Federal Communications Commission). Or, celle-ci est un des très rares organismes du gouvernement de Washington, qui, de par la loi, est exempté d’examiner les conséquences de ses décisions sur l’environnement. Ce qui est exigé pour un permis de construire ne l’est pas pour le lancement de 12’000 satellites. En droit international, le traité sur l’espace du 27 janvier 1967 est dépassé, car il n’appréhende que dans une mesure très limitée (article VI) l’intervention d’acteurs non gouvernementaux dans l’espace. Aucun juriste n’est assez naïf pour penser que la législation peut régler tous les problèmes, mais on a tout de même le droit de penser que certaines autorisations ont été accordées à la légère.

En conclusion, tous les acteurs concernés (États ; industriels ; scientifiques compétents en astronomie, astronautique et astrophysique ; consommateurs) devraient sans doute coopérer à une prévention des risques liés à cette nouvelle révolution industrielle. 

On ne peut qu’être frappé par la richesse d’un livre qui, en si peu de pages, nous parle aussi bien des difficultés des chasseurs d’étoiles que de la mort des insectes ou de l’invasion de l’espace. Car enfin, si l’humanité a passé le XXesiècle à fantasmer sur des envahisseurs venus d’autre planète, c’est bien elle qui est en train de s’emparer de l’espace.

La pollution lumineuse, en bien des lieux, nous a déjà conduits à faire l’expérience bien réelle d’une nuit privée d’étoiles, différente de celle qu’avait vécue Thomas Merton. Le risque est maintenant que les satellites se substituent aux étoiles, et que le ciel nous tombe, définitivement, sur la tête.

  • Patrizia Caraveo, Saving the Starry Night, Springer, Cham 2021, 165 pages.



Édition 31 – Un journal contre les robots

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Il n’y a pas que les changements de sites, dans la vie. Il y a aussi ces éditions que nous sortons mois après mois, avec un contenu qui se veut combatif, libre, mais surtout rigoureux.

Dans notre nouvelle édition, vous trouverez notamment un édito inédit concernant la mobilisation de différents journalistes face au sentiment d’uniformité des médias suisses. Et si, effectivement, nous étions entrés dans un monde de robots ?

Autres exclusivités, notre interview de l’ambassadrice d’Israël ou la lettre adressée aux autorités catholiques fribourgeoises par de jeunes fidèles heurtés par un appel à la prière musulmane dans des églises à l’occasion de concerts payants.

Des découvertes, encore, dont la présentation de l’œuvre de T. S. Eliot, poète majeur et apôtre du retour à la tradition. Ceux qui ont déjà vu le film Apocalypse Now retrouveront des souvenirs…

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Sauver les frontières pour sauver les agriculteurs

Cet article est également paru sur le site de Pro Suisse.

Panneaux retournés, slogans « on marche sur la tête » inscrits sur des meules, pétitions et débats… Comme ailleurs en Europe, la colère agricole s’est fait entendre en Suisse depuis le début de l’année. Pourtant, hormis la descente d’une trentaine de tracteurs à Genève au début du mois de février – action pilotée par l’organisation Uniterre – force est de constater que la mobilisation est toujours restée sage chez dame Helvetia. Ainsi, entre nos frontières, pas de blocages d’autoroutes, d’aéroports ou de « siège » de ville.

A la fin du mois de janvier 2024, un supermarché Aldi après le passage des agriculteurs en colère à Marmande (F). (Cosmiaou/Wikimedia Commons)

Vice-président de l’Union suisse des paysans, Francis Egger n’en faisait d’ailleurs pas mystère au micro de la RTS, à la fin du mois de janvier, un tel durcissement n’était pas souhaité : « Ce qu’on ne veut pas, c’est que ça dérape sur des actions violentes et illégales, ce qui n’est pas dans la culture suisse. On est encore dans une situation où l’on peut dialoguer. »

Trop gentils, les Suisses ?

Une simple question de « culture » aurait-elle permis à la Suisse, en tout cas jusqu’ici, de passer entre les gouttes d’une contestation trop véhémente ? Doit-on réellement au tempérament helvétique d’avoir évité un blocage du Palais fédéral similaire à celui du Parlement européen, encerclé par les 1000 tracteurs ? Pour le conseiller national de l’UDC Vaud Sylvain Freymond, agriculteur de métier, il y a là un début d’explication : « Les dossiers qui ont mobilisé les collègues français, nous les connaissons tous puisque nous reprenons les directives européennes. Nous avons même parmi les normes les plus restrictives au monde, par exemple en matière de bien-être animal ou au niveau de l’interdiction totale des hormones visant à augmenter la production de viande ou de lait. À cela s’ajoute une différence de taille : chez nous, des contrôles sont réellement effectués. Mais nous sommes beaucoup trop gentils pour aller aussi loin que dans d’autres pays voisins dans les manifestations, même si on n’en pense pas moins. » Et de préciser que les paysans suisses, pas mieux lotis que les confrères européens à bien des égards, ont au moins le privilège de recevoir les paiements directs quand ils leur sont dus.

Reste une pente sur laquelle il espère que la Suisse va cesser de s’engager : la bureaucratisation et la centralisation des autorités chargées d’encadrer la profession : « Actuellement, on va jusqu’à inventer des postes de contrôleurs des contrôleurs ! Ce climat devient de plus en plus pesant et le contact est en train de se perdre avec la base. » Heureusement, avec 10% d’élus au niveau fédéral, l’agriculture suisse peut s’appuyer sur une solide délégation qui lui permet aussi de faire entendre sa voix au plus haut niveau : « Nous sommes le seul pays comme ça et il faut absolument préserver ce particularisme. Mais attention, le fossé se creuse et il y a de plus en plus de bureaux qui s’occupent de nous, comme dans les pays de l’Union européenne. »

Une Europe plus ambitieuse

L’Union européenne, justement, parlons-en : que la crise déchire l’Europe, mais épargne largement la Suisse, n’est-il pas le signe que notre souveraineté nous protège ? A cette question, Darius Farman, co-directeur du Forum de politique étrangère suisse foraus répond avec nuance : « Plutôt que des différences de souveraineté, ce sont d’autres facteurs qui peuvent expliquer les différences d’intensité dans la contestation agricole, notamment la force de représentation, le degré de conflit entre intérêts et le fonctionnement des institutions. Premièrement, les milieux agricoles sont plus fortement représentés dans la classe politique suisse que dans celle de l’Union européenne et peuvent plus facilement représenter leurs intérêts. Deuxièmement, les décisions et orientations prises dans l’Union ces dernières années, notamment dans le cadre du Pacte vert (Green Deal), entrent davantage en conflit avec des intérêts agricoles. Troisièmement, les outils de la démocratie semi-directe suisse offrent d’autres moyens d’expression démocratique que des mouvements sociaux – à l’image des deux initiatives agricoles sur lesquelles les Suisses se sont exprimés en 2021. »

Et d’évoquer un ultime facteur d’explication trop souvent négligé à ses yeux : « L’Union européenne a développé des législations plus ambitieuses que la Suisse en matière de politique climatique et environnementale ces dernières années et ces réglementations ont un fort impact sur le monde agricole. Mon hypothèse : si la Confédération avait envisagé de telles législations, elle aurait également connu une forte résistance – même si celle-ci aurait probablement pris des formes plus institutionnelles. »

Face au rouleau-compresseur libéral, les frontières

Cette position « à la pointe d’une certaine transition écologique », le député Vert vaudois Alberto Mocchi la reconnaît également à l’Union européenne : « Elle se fixe des objectifs relativement ambitieux et tente de faire en sorte que les pays membres les respectent. » Se refusant à tout jugement manichéen, il rappelle aussi le facteur stabilisateur de l’UE dans l’histoire récente de notre continent.

Symboliquement très fort : le Parlement européen se préparant à l’arrivée des agriculteurs devant un slogan incitant à faire bon usage de son droit de vote. (Twitter)

Il n’en regrette pas moins un côté détestable dans la technocratie bruxelloise et sa volonté de faire passer « le commerce et l’accroissement des richesses de quelques entreprises comme un but ultime. » Ce en quoi le syndic de Daillens (VD) ne cache du reste pas qu’il est personnellement défavorable à l’adhésion de la Suisse : « Notamment parce que notre agriculture n’aurait aucune chance de résister à des accords de libre-échange complets avec les pays européens. » C’est dans cette optique qu’il vient d’ailleurs de déposer une initiative innovante au Grand Conseil vaudois, cosignée par des députés de tous bords, à l’exception du PLR. Destinée à Berne, elle vise à imposer pour les aliments importés les mêmes normes que pour notre agriculture. « Faisons en sorte que ce qu’on a en dans nos assiettes, que ce soit cultivé en Suisse, en France ou au Sénégal, réponde à nos standards ».

Cette proposition de lutte contre une concurrence déloyale est assurément vertueuse, mais laisse Sylvain Freymond encore un peu sceptique : « Tant qu’à faire, je préfère que ce qu’on consomme soit produit chez nous parce qu’au-delà de la réglementation, il y a toujours la question de la réalité des contrôles. Et dans notre pays, je peux garantir qu’ils ont bel et bien lieu ! »

Raphaël Pomey




Dieu sans Dieu

En me promenant au boulevard de Grancy, à Lausanne, j’ai été intrigué par une étrange structure architecturale. Qu’était-ce donc ? Comme il était impossible que ce soit une station intermédiaire de télécabine, j’ai opté pour une entrée de parking souterrain avec kiosque et toilettes publiques. Fort de cette constatation, je m’approche dudit édifice et je constate qu’il s’agit d’un lieu de culte, une City-Church. Quel ne fut pas mon étonnement ! A peine de retour chez moi, je me renseigne sur cette étrange église et je dois constater que ce que l’on y fait me semble à l’image de son architecture : vide et froid.

Une architecture qui veut tout dire

De quoi à l’air ce lieu ? Une chapelle ronde et dépouillée ressemblant à une salle de gymnastique, une salle de méditation aussi vide et terne qu’une salle polyvalente, des salles de rencontres et des espaces pour entretiens individuels.

Est-ce bien sérieux ?

La City-Church est présentée dans une vidéo de moins de quatre minutes. En la regardant, je suis pris entre tristesse et colère. J’ai envie de crier ces paroles venant d’un autre temps : Deus Vult ou Montjoie ! Saint Denis !

Dans cette vidéo, on entend, tel un mantra, les mots « intériorité », « recentrer », « chercheur de sens ». La religion présentée ici n’est pas la religion du Dieu qui se fait homme mais bien celle de l’homme qui s’imagine et se pense Dieu. Cela n’a rien à voir avec le christianisme, c’est même son inversion. En fait, nous sommes devant une bouillabaisse psycho-affective de développement personnel.

Ce lieu est pensé et conçu comme un « laboratoire à travers des expositions et des conférences ». Bien plus, pour être certain de plaire et d’être efficace, une chargée de projets culturels y a été engagée. Cette dernière nous apprend, entre autres, que tout un chacun pourra « valoriser le moment » et « le lien avec notre propre corps ». Cela ne s’invente pas !

Un panel d’activités révélateur

En parcourant le site de l’Église catholique du canton de Vaud, on peut découvrir, outre les messes et des méditations de différents types, les activités proposées. Tout d’abord il y a une « atelier d’écriture Maurice Zundel ». De quoi s’agit-il ? « Le but de l’atelier est de créer une carte en forme de flamme pour signifier la lumière. Chaque personne prend un livre de Maurice Zundel et essaie de trouver une phrase qui l’interpelle pour ensuite l’écrire sur la flamme cartonnée. » Rassurez-vous : ce n’est pas pour les enfants, même si cela ressemble à une activité catéchétique de première communion ou de confirmation. Parlons maintenant des conférences « Un auteur spirituel par mois ». Je m’attendais à y trouver saint Augustin, saint Jean de la Croix, le cardinal de Bérulle, saint Théophane le Reclus, saint Nicolas Vélimirovitch et bien non. Il semble que les auteurs faisant autorité cadrent mal dans cette architecture futuriste. On préfère nous entretenir sur Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste, ou Antony de Mello, jésuite dénoncé en 1998 par le cardinal Ratzinger (futur Benoît XVI) pour son syncrétisme.

Rien de nouveau sous le soleil

Cette religiosité du Pays des Merveilles n’est pas nouvelle. En 1963, l’évêque anglican John Robinson publie Honest to God, une véritable bombe qui fait pénetrer dans la communion anglicane la « théologie de la mort de Dieu ». Robinson s’attaque à l’idée d’un Dieu transcendant et extérieur à l’homme et propose une conception immanente de Dieu, présente dans chaque être humain. Fini l’Être transcendant et tout-puissant, la théologie et la spiritualité doivent dorénavant s’adapter au monde moderne.

De quoi est-ce le nom ?

Cette City Church est le signe et l’illustration du mal dont est rongé le christianisme. L’église urbaine du boulevard de Grancy et ses activités ne sont pas un progrès, mais un retour à l’arianisme, l’hérésie négatrice de la divinité du Christ. Comme le souligne saint Justin Popovitch (1894-1979) : « L’arianisme n’a pas encore été enterré, il est aujourd’hui plus à la mode et plus diffusé que jamais. Il s’est répandu comme l’âme dans le corps de l’Europe contemporaine. Si vous considérez la culture de l’Europe, vous verrez qu’elle cache, au fond, l’arianisme : tout s’y limite à l’homme et à lui seul, et l’on a réduit le Dieu-Homme, le Christ, aux limites de l’homme. » (L’homme et le Dieu-Homme, trad. J.-L. Palierne, L’Age d’homme, 1989)

En écrivant, j’écoute le Cantique de Racine mis en musique par Gabriel Fauré et je me dis que la City Churchet ses activités ne sont rien par rapport à la foi de l’Église. Ce n’est qu’une mode et la mode ça passe. Preuve en est, les audaces qu’on programme à Lausanne sont pour la plupart dépassées depuis cinquante ans.

A bon entendeur, salut !




« Ni les émeutes de Nahel ni l’assassinat de Thomas ne m’ont surpris…»


Il porte un nom à particule, une chevalière aux armes de sa famille à l’annulaire, un scapulaire discrètement posé sur son torse et un chapelet toujours à portée de main et de prières. Henri d’Anselme a du sang bleu dans les veines. Celui d’une famille catholique française de la noblesse d’épée qui n’a pas honte de qui elle est ni ne s’en vante. Mais la noblesse du jeune diplômé en philosophie et management de 25 ans est avant tout de cœur et de courage. Fin juin dernier, une journée durant, j’avais eu le privilège d’accompagner « le héros d’Annecy » sur son Tour de France des Cathédrales. C’était du côté de l’Abbaye d’Hautecombe, splendide nécropole néogothique des Comtes de Savoie, érigée sur les bords du lac du Bourget au XIIe.  

Ce fut une belle occasion de constater l’immense popularité dont jouissait déjà celui qui, avec son sac à dos Eastpack pour seule arme, venait de s’illustrer en faisant fuir Abdalmasih H, empêchant ainsi ce requérant d’asile syrien chrétien de 31 ans à la dérive, de faire plus de victimes encore lors de sa folle et sanglante attaque au couteau le 8 juin dernier sur une place de jeux des bords du lac d’Annecy en Haute-Savoie voisine. Par miracle, ses victimes, Ennio, 2 ans, Alba, 2 ans, Ettie, 3 ans, Peter, 22 mois, Youssouf, 78 ans et Manuel, 62 ans, avaient toutes survécu. Mais l’anonymat d’Henri, lui, avait succombé ce jour-là.

Promu héros national malgré lui, interviewé en boucle sur les grandes chaines de télévision, le jeune catholique, originaire de Le Pecq dans les Yvelines, y avait déployé avec calme, intelligence et sincérité un argumentaire clair, précis et rassembleur. Soit en résumé : « Chaque Français est capable d’agir comme je l’ai fait. S’il y a bien une leçon à retenir de cette histoire, c’est qu’il faut arrêter de rester passif face à de telles attaques. Il faut se nourrir de ce qu’il y a de grand et de beau dans notre pays et notre Histoire, relever la tête et décider d’arrêter de subir. » Ou encore, comme il nous l’avait confié lors de notre rencontre : «Mon message est en réalité hautement politique, mais au sens noble du terme: pour retrouver une société unie autour de la recherche du bien commun, il faut se nourrir du Beau, du Bien et du Vrai. Si un jour mes petits-enfants me demandent ce que j’ai défendu durant ma vie, je ne veux pas leur répondre que je me suis battu pour La France insoumise ou pour Les Républicains. Ces combats seront si vite totalement dépassés. Je leur préfère de loin la défense des grandes valeurs universelles et immuables » !

Ce discours avait touché juste, soufflant sur les braises d’une fierté nationale mise à rude épreuve ces dernières années par les repentances historiques à répétition et les déclassements économiques et géopolitiques notamment. Et cet admirateur de Jeanne d’Arc était ainsi devenu à son corps défendant un symbole de la résistance tricolore au mal. Sa bravoure avait été récompensée d’une légion d’honneur, ce qui l’avait beaucoup gêné, lui dont le « grand père général l’avait vraiment méritée ». Cette médaille lui avait d’ailleurs valu d’être reçu par « Manu » Macron, un Président anormal, plus à un ‘’coup de com‘’ ni à un ‘’en même-temps’’ près, et dont Henri ne pense pas forcément que du bien.

En même temps, cette bravoure et ce discours en avaient dérangé certains du côté gauche de l’échiquier politico-activiste hexagonal. Une petite partie de la « grande » Presse française avait ainsi cru déceler dans le passé scout d’Henri, dans les messes en latin auxquelles il assiste parfois et dans son expérience de journaliste au sein du magazine catho conservateur « L’Homme Nouveau » des relents d’ « ultra droite ». le ridicule de cette étiquette en forme de néologisme orwellien censée discréditer le héros, assorti à la hargne de ces journalistes, qu’on imagine assez mal dégainer un Eastpack en invoquant Arnaud Beltrame et la Vierge Marie pour parer des coups de couteau d’un fou furieux, n’ont très majoritairement suscité que du mépris chez les Français.

Tout ça et bien d’autre choses nous ont donné envie de revenir vers Henri d’Anselme, à moi le premier, qui suis Suisse d’adoption mais Français de nationalité et qui plus est originaire d’Annecy… Car à l’heure où notre grand voisin s’enfonce à vue d’œil dans l’ensauvagement et les compromissions, il semble qu’un peu de la droiture du « héros au sac », même dégustée avec recul et par interview interposée, pouvait se révéler un brin salutaire. Entretien :

Bonjour Henri. Comment se sont passés les six mois nous séparant de l’attaque au couteau d’Annecy, au cours de laquelle vous vous étiez illustré par écrans interposés jusqu’en Suisse romande ?

Très bien. Il m’a fallu accepter mon nouveau statut. Lequel ne m’a pas empêché de continuer à me déplacer en partie en auto stop. Je suis monté vers le Jura, les Vosges puis le Grand Est. Souvent mais moins qu’au début, je suis reconnu dans la rue. Les gens m’abordent avec beaucoup de bienveillance et me félicitent. Avec le recul, je me suis rendu compte que mon message a porté plus que mon geste. J’en suis ravi car tel était mon souhait. Je suis passé de 12’000 followers sur mon instagram avant l’attaque d’Annecy à près de 142’000 aujourd’hui…

Sur votre chemin, vous dites avoir compris aussi pourquoi les Français sont des râleurs, une réputation d’ailleurs bien vivace ici en Suisse… Alors pourquoi le sont-ils donc ?

(Rires) Car les vrais Français sont des gens qui ne supportent pas la médiocrité quand bien même sont-ils eux-mêmes parfois médiocres par moment. Dans son héritage et son environnement immédiat, le Français perçoit tant de grandeur que la petitesse lui devient forcément insupportable !

Les médias continuent-ils de s’intéresser à vous aujourd’hui?

Je viens de donner une interview dans la Croix. Un documentaire en quatre épisodes centré sur mon tour de France des cathédrales, tourné sur quatre semaines d’août à novembre dernier pour la chaine télé C8, y sera diffusé début 2024. Ces professionnels ont découvert avec moi un peu à leurs dépens le monde des cathédrales (Rire). Et leur œil neuf m’a poussé dans mes retranchements en m’obligeant à vulgariser de mon mieux. En parallèle, j’ai ciselé des pastilles vidéo de 1mn30 pour CNews. Au total, 25 seront diffusées. Si je fais ça, c’est que cela a du sens. Mon intention n’a jamais été de surfer sur la popularité pour nourrir mon égo ou mon compte en banque mais de faire partager au plus grand nombre la beauté de nos cathédrales. Je bosse aussi sur un livre dans le même esprit à paraître l’année prochaine chez un grand éditeur français…

Mais en quoi transmettre la beauté de ce patrimoine architectural, artistique, historique et religieux serait-il donc si important ?

Mon tour de France répondait d’emblée à une triple dimension à laquelle je suis resté fidèle : aventure – découverte, pèlerinage et transmission. Mon envie est de transmettre une beauté qui est notre héritage dans l’idée qu’elle nous élève et pose les bases de l’unité dans le contexte d’une société très divisée. Toute société se construit autour de valeurs communes. On parle souvent de Fraternité et du « vivre-ensemble » mais ce sont finalement des concepts assez creux dans lesquels certains injectent de généreuses doses d’idéologie. Moi, je veux valoriser des valeurs communes réelles ! La France a peut-être le plus beau patrimoine construit au monde, des paysages époustouflants et divers, compte le plus grands nombres de Saints avec l’Italie… Quelle richesse ! Ma démarche relève de la Politique avec un grand P. Je ne m’inscris pas dans une fiction rousseauiste du contrat social qui se pique d’inventer l’unité. La véritable unité s’ancre dans le concret…

Certaines des personnes que vous croisez sur votre route rejettent-elles cette vision ?

Bien sûr, mais pas souvent et en général de façon idéologique. On m’a dit plusieurs fois : « Je ne suis pas dans la religion », une expression qui en réalité ne veut pas dire grand-chose. Mais ces même personnes me disent aussi : « Je rentre parfois dans une église car je sais que c’est beau et que ça nous appartient ». Les gens sont touchés par la gratuité de cet héritage. Une cathédrale, ça ne sert à rien au fond. C’est un trou financier pour l’état et les communes mais c’est très beau et ce n’est pas l’utilité matérielle qui est importante. Ce beau gratuit touche nos âmes. Nos ancêtres se sont inscrits dans le temps long pour ériger ces chefs d’œuvres. Certaines pierres ont exigé douze jours de travail à deux compagnons. Le comprendre donne de la densité au temps. Cela nous ramène à l’échelle d’une cathédrale, soit un bâtiment qui sera là 500 ans voire à jamais. Cela invite à privilégier la qualité sur la quantité. Le beau sur l’utile.  

Le jeune homme prend le temps et du plaisir à échanger d’égal à égal avec tous ceux qui l’abordent.

Lors de votre entrevue avec le Président Macron en juin, il vous avait invité à l’inauguration de Notre Dame de Paris dans sa version restaurée. Irez-vous ?

Evidemment. La catastrophe de Notre Dame est intéressante. Notre Dame qui brûle, c’est symboliquement la civilisation chrétienne qui brûle… Si ce drame a tant touché les Français, croyants ou non pour la plupart, c’est qu’ils ont senti intuitivement que c’était leur héritage profond qui avait été touché. Ce bâtiment a 800 ans et sa charpente datait du moyen-âge. Sa destruction par les flammes a ému le monde entier. Même des Américains sont venus pour la restaurer ! J’honorerai donc l’invitation du Président. Ce sera le 8 décembre 2024. Après l’incendie, il avait promis de reconstruire en cinq ans. On avait besoin de cette promesse et elle sera tenue. C’est fort ! Pour lui, c’était évidemment aussi un coup de com mais pas que. Je crois qu’Emmanuel Macron, quoique peu croyant, a senti intuitivement ce que cet évènement représentait, tout comme aurait su le faire De Gaulle en son temps.

Que vous ont inspiré les émeutes ayant embrasé la France en juin suite à la mort du jeune Nahel tué par un policier alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle ? Et l’assassinat en novembre du jeune Thomas par une bande de délinquants venus de banlieue avec des couteaux pour s’incruster à une fête de village à Crépol dans la Drôme ?

De la tristesse peut-être. Tout sauf de la surprise en tous cas. Car cela fait des années que je vois venir ce genre d’évènements. Cela fait des années aussi que les politiciens n’apportent aucune solution à la hauteur de ces enjeux. Le rôle d’une véritable politique, c’est pourtant de proposer un idéal aux gens pour bâtir dessus un projet. Aucun parti ne le fait. À droite, on ne voit que des références à une grandeur passée et à gauche des projections imaginaires sur un hypothétique futur fait de  progressisme voire de transhumanisme. Mais nulle part, je ne vois d’idéal ancré dans le réel et permettant de réinventer un vrai futur ensemble. Que certains s’étonnent encore que le ministre de l’intérieur Darmanin ait tenté de cacher les prénoms à consonance maghrébine des assassins, c’est plutôt ça qui m’étonne ! Je n’attends plus rien de ces « élites » mais il est difficile pour moi d’en dire davantage sans sortir du rôle que je me suis fixé et qui est de contribuer à rassembler. Mon premier réflexe, c’est peut-être de dire : ok, ça existe ! Ok on vit dans un pays où ça existe ! Mais comment va-t-on s’en nourrir pour s’élever, se transcender et pouvoir agir ?

Et quelle est votre réponse à cette grande question ?

Ma réponse est qu’il faut relever la tête, arrêter de subir et que pour ça, on doit se recentrer sur ce qu’on a de beau et de grand dans notre pays et chez nous. Il y a des jeunes français qui sont « plantés ». Des bébés aussi à Annecy. Et nous n’avons pas le droit d’accepter cette fatalité ni de nous y soumettre. Mais en même temps, on n’a pas le droit non plus de s’en servir pour attiser le chaos ! L’urgence c’est de reconstruire une unité autour de notre héritage et lorsque ce sera fait, toutes ces affaires vont nous devenir plus insupportables encore. Mais nous serons alors armés pour proposer quelque chose de plus beau et de plus grand et pour avoir infiniment plus de résilience. Cela dit, la colère est légitime et elle est juste aussi. Moi aussi, je suis en colère et c’est même pour ça que je fais le tour de France des cathédrales…

L’immigration est-elle encore « une chance pour la France », comme le clamait le politicien Bernard Stasi ?  Voilà en substance la question que se posent de plus en plus ouvertement nombre de vos compatriotes.  Cette question est-elle légitime ? Quelle réponse lui donnez-vous ?

Oui évidemment qu’elle est légitime mais pour l’instant ce n’est pas du tout mon rôle de donner mon avis là-dessus… Si on accueille des migrants en France, il faut qu’ils puissent être abreuvés à la grandeur française et ainsi en mesure de suivre un idéal qui les élèvera aussi. Ce constat d’ailleurs est valable pour tout Français. Car ces dernières décennies,  beaucoup de mes concitoyens ont été comme amputés de leur passé, notamment via une éducation nationale défaillante, et je pense que ce fut en partie un mouvement volontaire que je juge d’ailleurs criminel. Ce n’est pas pour rien si les écoles libres (ndlr : catholiques) ont tant de succès aujourd’hui. J’ai eu la chance de passer par là moi-même et ce fut édifiant car ces structures ont été fondées par des gens nourris à la grandeur française et qui ne pouvaient donc que la transmettre à leurs enfants.

En Suisse comme en France, de sordides affaires d’abus sexuels dans l’église sont mis en lumière. Qu’est ce que cela vous inspire ?

Il est bon que ces histoires émergent. Cela permet une purification de l’Église. Un chrétien n’a rien à cacher. Il ne peut qu’être heureux de voir la vérité émerger. La vérité est toujours bonne à dire pour lui. Seuls les crétins se gargarisent de ces scandales. Ils sont ravis de tirer sur l’ambulance sans comprendre qu’ils le font comme des jeunes de cités caillassant le camion de pompiers qui venait précisément chez eux éteindre un incendie … La nature a horreur du vide. Or la déchristianisation de nos sociétés en a creusé un béant. S’est immiscé dedans le choc des civilisations entre notre christianisme dépressif et un Islam conquérant. Ce n’est pas criminel de le dire. Cela relève du constat. La chrétienté a été l’une des plus grandes civilisations du monde. Pour qu’elle redevienne grande, il faut qu’elle redevienne la Chrétienté. Et c’est là qu’il faudra se poser la question de la vocation de la France qui est d’être « fille aînée de l’église », comme le rappelait en son temps le Pape Jean-Paul II. Elle fut en effet le premier pays institutionnellement chrétien, avec l’Arménie mais à une tout autre échelle.

Quel est votre avis sur le Pape François ?

(Sourire) Par souci de respect filial, je ne vous le donnerai pas. Ce serait trop facile de le critiquer et ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas un expert. Je dirais des bêtises et puis ça reste le pape…

En septembre, vous avez participé à la soirée des éveilleurs, une association conservatrice née de « La Manif pour tous ». Vous avez aussi tenu plusieurs chroniques patrimoniales dans Valeurs Actuelles, hebdomadaire conservateur à succès que ses détracteurs se plaisent à enfermer à l’extrême droite. Ne craignez-vous pas que ces collaborations aillent à l’encontre de votre volonté de rassembler ?

Je me fiche de me mettre des gens à dos tant que mon discours reste en adéquation avec mon rôle de rassembleurqui ne veut pas non plus rassembler à tout prix… Cette collaboration dans « VA » m’a valu autant de nuits blanches que de chroniques et je l’ai donc abandonnée faute de temps… Mais là, ça va mieux et j’ai bien envie de la reprendre tiens…

L’ensauvagement ne concerne pas que certains jeunes de banlieue. Il semble rampant un peu partout. En tant que Chrétien, voyez-vous là un élément du combat eschatologique?

Un peu oui mais cela ne me fait pas peur. On a déjà gagné la grande guerre entre l’ombre et la lumière. Le Christ est mort sur la croix pour ça. Quand on a compris ça en tant que chrétiens, on a compris qu’on n’a plus rien à perdre. Notre génération est condamnée à l’héroïsme et pour ceux qui sont chrétiens à la sainteté. Soit on décide de se battre et nos descendants nous béniront soit on ne le fait pas et ils nous maudiront. Qu’a-t-on à perdre ? Notre confort bourgeois ? Notre civilisation chrétienne est déjà morte mais renaitra autrement. Un vrai chrétien devrait penser et réagir comme ça. Tout juger à l’aune de la Vie éternelle, c’est là toute la radicalité de la sainteté…

TEXTE ET PHOTOS Laurent Grabet




Comment les Jeunes Vert-exs vaudois ont colonisé l’UNIL

Il faisait beau, le 12 octobre dernier, et les étudiants qui gravitaient autour du bâtiment Géopolis, dans le secteur UNIL-Mouline, ont eu droit à une surprise rafraîchissante : une distribution de maté en canette. Aux commandes, des militants des Jeunes Vert-exs Vaud (JVVD) munis de pancartes pour appeler à voter pour leur formation et en particulier pour Angela Zimmermann, candidate au Conseil des États (14’070 suffrages dix jours plus tard).

Photo de l’événement postée sur le compte Instagram des Jeunes vert-e-x-s Vaud.

Problème, quelques semaines auparavant, le responsable technique des Jeunes UDC Vaud, Colin Métraux, venait lui-même de recevoir un refus de l’UNIL pour organiser une action du même type. En cause, non pas une question idéologique, mais simplement une directive relative à l’organisation dans ses infrastructures de réunions étrangères à la mission universitaire. Cette dernière refuse notamment les « manifestations politiques à caractère partisan ». Et peu importe que les jeunes agrariens aient spécifiquement demandé de rencontrer les étudiants sur le campus et non dans les bâtiments, comme les JVVD quelques jours plus tard.

Un procédé cavalier

Pourquoi, dès lors, les jeunes écologistes vaudois ont-ils pu organiser leur distribution de canettes ? La recette est simple : il suffisait de ne pas demander ! « Si les Jeunes Verts font campagne sur le site de l’UNIL, c’est sans notre autorisation », s’est ainsi vu répondre Colin Métraux, « très surpris » et avide d’explications, par une responsable Accueil Événements et Gestion de Salles. Signe que la chose n’était pas anodine, le service de la sécurité a été mis en copie de cette réponse, datée du 13 octobre.

Contactés, les Jeunes Vert-exs contestent pourtant avoir fait quoi que ce soit d’irrégulier : « Une manifestation, selon le Larousse, est un « événement attirant un public relativement large (fête, festival, exposition, salon, etc.), organisé dans un but commercial, culturel, publicitaire ou de simple réjouissance ». Dans notre cas, qui est une distribution à quelques personnes, je n’ai pas l’impression que ça colle à cette définition », tranche Ambroise Delaly, membre du comité vaudois. Comme leur distribution de « boisson à haute teneur en caféine, qui remplace le café pour certain·e·x·s » a eu lieu dans un espace extérieur, le jeune politicien maintient que sa section n’avait pas à « demander une dérogation ».

Tractage sauvage et débat très particulier

Une belle assurance qui ne suffit toutefois pas à convaincre l’UNIL. Géraldine Falbriard, attachée de presse, confirme que « s’il y avait eu une demande, nous n’aurions pas accepté. » Elle se montre d’autant plus agacée que sur le réseau social Instagram, les jeunes écologistes se félicitent aussi d’avoir participé, quelques jours avant leur action, à un débat pour le moins unilatéral. Portant sur « le projet révolutionnaire aujourd’hui », ce dernier réunissait représentants du Parti socialiste, de la jeunesse socialiste et du POP. À droite ? Personne, évidemment…

Équilibré, vous avez dit ?

« Nous nous étonnons, n’ayant pas trouvé trace de demande de location il y a trois semaines », regrette Géraldine Falbriard. Si un débat peut évidemment avoir lieu dans l’université, un événement au casting aussi monocolore est en effet plus déroutant. Mais cette fois, pas de reproche spécifique pour les Jeunes Verts. L’organisation de la discussion, nous expliquent-ils « revenait à des étudiant-exs dans le cadre d’un séminaire sur le projet révolutionnaire. Nous y avons agréablement été convié-exs ».

Entre tractage sauvage, affichage massif et pression sociale gauchisante, le climat est pour le moins particulier à l’UNIL, explique un jeune lecteur du Peuple. « Avec ses convictions qu’elle juge justes et bienveillantes, la gauche est omniprésente ici, explique cet étudiant en sciences humaines. On le voit avec le nombre impressionnant de flyers et d’affiches que l’on trouve sur les murs. A ce climat général s’ajoute que bon nombre d’enseignants sont affiliés à des partis de gauche, ce qui interroge quant à leur neutralité. » Et d’expliquer que quelques jours avant le deuxième tour, un flyer appelant à voter pour le Vert Raphaël Mahaim venait de lui être tendu à la sortie de la bibliothèque.

Porte d’entrée du bureau d’une enseignante, photographiée en avril dernier.

Colin Métraux, lui, ne peut que condamner les procédés de ses adversaires politiques : « Ce n’est pas parce qu’on est un parti de jeunes que l’on peut se soustraire à la loi et aux règlements ! ».

Signe d’un retour du pluralisme, des visuels moins verts mais plus rouges ont fait leur apparition sur le campus ces derniers jours. On vous laisse les apprécier.




Macabre, sortilèges et non-binarité : encore un drôle de concert dans un temple vaudois

Après le fameux concert « Ejaculate » de la cathédrale de Lausanne, cet été, un nouvel événement artistique promet de faire rejaillir la question de l’ouverture des lieux de culte à tous les vents. D’après le site du festival Les Urbaines, un concert étonnant se tiendra le 2 décembre prochain au Temple de Chavannes, situé près de la gare de Renens.

La musique du duo est sombre et désespérée.

Au programme, .pastoral, un duo composé de ErmenX aka Gabi Pedrosa et St. Asterión Diamantista VII. D’après le site du festival, ce groupe « expérimente des perspectives aussi bien musicales que scénographiques et visuelles » dans un « style éclectique sorti de marécages ensorcelés, entre indie-folk exacerbé et post-metal ». Selon la description en ligne, « .pastoral adopte principalement les guitares, le chant et la batterie pour conter des narrations à la fois tendres et grotesques, habitées de mélodies sensibles, d’incantations macabres et de sortilèges. »

Macabre, sortilèges, ensorcellement… Le champ lexical de la présentation de cette première européenne laisse à penser que le cadre d’un temple chrétien n’est peut-être pas tout à fait le lieu idoine pour accueillir de telles expérimentations au fumet funèbre. Pourquoi, dès lors, ce « duo d’artistes et musiciennexs » – dont il faut visiblement parler en « iels », selon le site du festival – s’y produira-t-il ?

Pour redécouvrir la fameuse affaire de la cathédrale, nous vous offrons exceptionnellement ce lien vers notre édition du mois d’août (page 1 à 7).

Contactée, l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) botte gentiment en touche. « Ces questions relèvent de la compétence de la paroisse et de la Commune qui ont en charge l’utilisation des temples. » Quelques mois à peine après un scandale national au sujet d’un autre concert branchouille et peu en cohérence avec les valeurs chrétiennes à la cathédrale, on ne saura pas si cet étrange écho est bien assumé.

Malgré nos demandes, silence radio depuis mercredi dernier, aussi, du côté de la Commune, du festival et du pasteur responsable des lieux – il est vrai en formation.

Dans l’hypothèse que cette posture ne durera pas éternellement, voici quelques réflexions :

  • Ne serait-il pas temps, bientôt, d’accueillir dans les lieux de culte des artistes susceptibles de les fréquenter en temps normal ?
  • Pourquoi les seuls lieux de culte colonisés par les artistes « ensorceleurs », « non binaires » et révolutionnaires subventionnés sont-ils toujours des lieux de culte chrétiens ?
  • Combien de temps des institutions religieuses payées par nos impôts laisseront-elles des spectacles heurter la sensibilité des chrétiens au sein de nos édifices ?

Telles sont les questions que nous espérons aborder avec les acteurs concernés… Quand ils daigneront s’intéresser un peu au sentiment insupportable de christianophobie cool que nous devons feindre d’apprécier toute l’année.

On rappelle pour finir qu’après l’affaire de la cathédrale, le Conseil synodal (l’exécutif) de l’EERV avait réaffirmé « sa volonté que l’Eglise réformée vaudoise, dans ses lieux et propositions, serve à nourrir la dimension spirituelle de toutes et de tous. »




Et le monde occidental devint stérile

Le 22 octobre dernier, une petite délégation d’élus de l’UDC Vaud s’est rendue à la cathédrale de Lausanne pour suivre le culte du matin. Peu fréquentée – les vacances n’aidant pas – la vénérable église rassemblait essentiellement des personnes âgées et quelques touristes. Les plus jeunes dans l’assemblée, sans surprise, venaient surtout du parti agrarien.

Diffusé sur internet depuis quelques jours, un visuel annonçait le thème de la prédication de la pasteure Line Dépraz. Il s’agissait de méditer le texte de la Bible dans lequel l’apôtre Paul annonce qu’il n’y a plus, « en Christ (…) ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. » Une « fake news ? » allait-on se demander. 

Il ne s’agit pas ici de proposer une contre-homélie. Chacun son métier. Il vaut toutefois la peine de relever que la maîtresse des lieux n’a pas attendu bien longtemps avant d’affirmer que « des hommes, des femmes et des iels, on en croise tous les matins. » Étonnant, n’est-ce pas, alors que les fidèles venaient d’entendre la Genèse leur rappeler que « mâles et femelles Il les créa » ? Oracle d’une étrange théologie wokeLine Dépraz n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Il lui fallait encore nous présenter Paul en rêveur déterminé à déboulonner le patriarcat. Ce même apôtre qui demande aux femmes de se taire en assemblée, qui affirme que ni les « efféminés », ni les « impudiques » n’hériteront du Royaume de Dieu, oui ce même Paul aurait en réalité été un farouche opposant à l’ordre social masculiniste ! Et nous n’aurions rien compris en 2000 ans !

https://www.youtube.com/embed/djeqW39GCjQ
Une cathédrale où l’on a aussi fait ça cet été.

La cité desséchée

Il faut s’imaginer ces églises vides où le chant ne consiste plus qu’en un vague bourdonnement totalement recouvert par l’orgue. Il faut se représenter ces fidèles au soir de leur vie, auxquels on ne parle plus du Ciel, mais des iels. Et l’on se dit que le monde qu’annonçait Péguy dans Notre Jeunesse – le monde de ceux qui n’ont plus de mystique et qui s’en félicitent – est bel et bien sous nos yeux. Dans cette nouvelle réalité, disait l’immense écrivain, « une même stérilité dessèche la cité et la chrétienté. La cité politique et la cité chrétienne. La cité des hommes et la cité de Dieu.  C’est proprement la stérilité moderne. » 

Livret de prière en langue inclusive.

Pourquoi mettons-nous ce parallèle en évidence ? Parce que la déroute des Verts dans le cadre des élections fédérales, quelques heures après ce culte, n’est rien d’autre que le versant séculier des églises qui se vident devant des obsessions à des années-lumière des préoccupations des gens ordinaires. Les Suisses n’ont-ils aucune conscience écologique ? Se réjouissent-ils de voir leurs glaciers rétrécir ? Bien sûr que non. Mais comment leur reprocher de ne pas avoir jugé crédible un parti qui semblait souvent plus préoccupé par le droit de ses élus non-binaires à posséder un septième sac à main Dior ? Reconnaissons, sur ce point, que le Parti socialiste a mené une campagne intelligente et réaliste, loin des délires para-universitaires dans lesquels se sont perdus leurs alliés. 

Le combat du Peuple n’est pas un combat pour la droite ou contre la gauche. C’est un combat pour le réel. Ce réel, lorsqu’il est nié en chaire ou dans le débat politique, mis à la porte parce qu’il ne colle plus aux derniers développements de la doctrine, finit toujours par revenir par la fenêtre. Les Verts en ont fait l’expérience voilà quelques jours. Nos églises qui se vident en sont une illustration dramatique depuis qu’elles donnent des gages pour courir les subventions.

L’heure est pourtant aux réjouissances. Non pas parce qu’untel a été élu à Berne plutôt qu’un autre, mais parce que, par-delà les clivages partisans, c’est un certain sens de la politique à la Suisse qui a triomphé. Non plus une politique du buzz ou de la course à l’oiseau rare, mais une volonté – qui n’appartient d’ailleurs à aucun parti en particulier – de trouver des réponses aux soucis de la population.

Dans la foulée des élections, la conseillère nationale verte (réélue) Léonore Porchet a proposé une prestation terrible à Forum pour expliquer la déroute de sa formation. La faute à la radicalité de l’autre bord, nous a-t-elle juré. La faute aux médias (qui ne l’ont pourtant jamais mal servie), la faute aux hommes quinquagénaires et « privilégiés »… Cette satellisation volontaire n’augure rien de bon pour ceux qui veulent remettre la préoccupation écologique sur le devant de la scène. Elle annonce en revanche une jolie traversée du désert pour certaines starlettes de ces derniers mois dont on se réjouit de découvrir le nouvel avatar dans quatre ans.




Nous avons le doigt d’y croire

Des raisons de désespérer, l’actualité nous en propose cependant en abondance. En Suisse, les scènes pathétiques se sont d’ailleurs multipliées ces dernières semaines : c’était par exemple le fameux doigt d’honneur adressé au drapeau rouge et blanc par une jeune militante socialiste valaisanne, issue de bonne famille, à l’occasion de notre Fête fédérale (oui, nous disons bien fédérale !). C’étaient aussi les singeries d’Alain Berset, président de la Confédération, sur une love mobile à la Street Parade : signe de cornes avec ses mains, Heineken tiède, cigare au bec et boa autour du cou…  Qu’aurait-on dit s’il s’était agi de Trump ? Mais parce que nous n’avons pas d’œillères, il nous faut ajouter que nous n’avons guère goûté le nouveau clip de campagne, douloureux à regarder d’une traite, qui nous montre les élus UDC se déhancher en boîte de nuit. Aura-t-on davantage envie de voter pour tel ou tel représentant parce qu’il nous montre sa capacité à faire la fête, sombrer dans la vulgarité et en rire publiquement ? Ce serait là un signe assez dramatique de déclin du sens démocratique dans ce pays, au même titre que l’abstention.

Et pourtant, la reprise nous permet déjà de croire aux premiers signes d’un renouveau helvétique. Parce que les préoccupations portent plus sur les fins de mois que sur le sexe des anges (non binaires), des personnalités de gauche osent de plus en plus fréquemment dénoncer des thèmes de campagne qui, dans leur propre camp, se trouvent à des années-lumière des préoccupations de la population. À l’heure où nous rédigeons ce texte, la démission de chez les Vert-e-s du député vaudois au Grand Conseil Andreas Wüthrich en est le symbole éclatant. Pour rappel, l’élu a motivé sa décision par l’obsession de son parti pour les questions dites « sociétales », qui laissent la défense de l’environnement au second plan. Doit-on rappeler qu’en mars, des témoignages nous faisaient déjà part d’un malaise grandissant au sein du parti autour de l’omniprésence de ces sujets ? Et que dire de Vincent Keller, député popiste au Grand Conseil vaudois, chef du groupe réunissant toute l’extrême-gauche : « Ce ne sont pas des chiottes non genrées qui paieront les factures des classes POPulaires », tonne l’élu sur Twitter ! Il fut un temps où des antifas vous agressaient pour moins que ça. Dans cette édition elle-même, la présence d’une chronique du socialiste Pierre Dessemontet, pourtant très hostile à nos positions, indique bien qu’une certaine gauche semble vouloir reprendre le dialogue avec des personnes souvent caricaturées jusque-là.

Diantre ! Le Peuple aurait-il viré sa cuti ? Le portrait laudateur de Jaurès – immense socialiste devant l’Éternel – qui figure dans la présente édition pourrait le laisser croire. En réalité, ce semblant de « virage à gauche » s’inscrit dans la continuité des valeurs que nous prônons depuis le début. Voici les derniers mots de notre charte, que vous retrouvez traditionnellement à la fin de nos éditions : « Se voulant à la fois combatif et bienveillant, et entendant favoriser une authentique culture du débat, Le Peuple met un point d’honneur à traiter avec professionnalisme et intégrité les positions qu’il critique. »

Il ne s’agit pas simplement d’une ligne éditoriale, mais d’une ligne de conduite pour l’existence en général. Nul besoin de se trouver plus ou moins à gauche de l’échiquier pour défendre l’art de la controverse argumentée, fondement de la démocratie directe. Quitter l’entre-soi idéologique, sans jamais se renier, cela s’appelle la maturité. Nous espérons y parvenir grâce à votre fidélité.