Le Salut par le poulpe

Les égouts de notre société sont souvent moraux : un peu partout, des scènes inimaginables il y a encore vingt ou trente ans, comme la présence de drag-queens dans des bibliothèques publiques pour faire la lecture aux plus petits, sont non seulement promues, mais financées par de l’argent public. Deux intervenants, le philosophe Jean Romain et la politicien UDC Yohan Ziehli, en parlent mieux que nous ne saurions le faire dans notre édition. Alors que faire ? Combattre chaque nouvelle absurdité, comme un taureau devant lequel on agite un drapeau rouge ? Perpétuellement sonner le tocsin, au point de ne plus être entendu ? Au Peuple, nous tentons de résister à cette tentation en défendant la littérature comme contre-pouvoir.

Il y a une fatigue, en effet, à défendre le sens commun dans une société entièrement organisée pour détruire toute forme de vie intérieure. Qu’un élu du peuple (nous ne parlons pas du journal, mais bien du peuple qui élit ses représentants) demande des comptes aux plus hautes autorités politiques au sujet de telle ou telle dérive subventionnée, on lui rira gentiment au nez. Vous n’allez pas dans le sens de l’histoire, mon brave monsieur ! Quant à la société civile, elle réagit désormais comme sous tout bon régime totalitaire : on ose dire entre nous que nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec certaines choses, bien entendu, mais pas au point de sortir du rang pour ne plus laisser le mensonge passer par nous. Le déclin du courage annoncé par Soljenitsyne a eu raison de nous.

D’abord, admettre l’échec

Le rôle des politiciens consiste à trouver des solutions, celui des journalistes à dire le pays réel. Peut-être, après tout, devrions-nous simplement rechercher d’autres réalités et admettre que nous avons perdu la partie. À quoi bon se révolter ? La religion qui a fondé l’Europe est peu à peu supplantée par une autre, et nos proches en souffriront. Le sens de la liberté, ce bien si précieux, a déserté nos semblables, qui ne voient rien de bien grave dans la mise en place de plus en plus rapide d’un État maternant. Quant à l’effondrement de la langue française, la majorité des adultes sont eux-mêmes parvenus à un tel état d’abrutissement qu’ils ne savent même plus s’inquiéter de la disparition du « nous » ou des pronoms relatifs chez leurs enfants.

Depuis toujours, l’humanité a cherché à donner du sens à la présence du mal dans le monde. Les exemples classiques expliquaient que tel ou tel instrument, pour sonner juste, avait besoin d’une corde dont le son, isolément, faisait mal aux oreilles. D’autres y ont vu la volonté d’un Dieu tout-puissant, certes, mais respectueux de la liberté des hommes. Certains, enfin, ont fui ces questions, accepté le réel et se sont réfugiés dans une quête esthétique. La beauté, évidemment, ne suffit pas à elle seule à donner une clé de compréhension aux malheurs du genre humain. Elle aide toutefois à les supporter.

Tandis que la chaleur nous écrase, imaginons-nous un instant sur un port crétois, un ouzo à la main, quelques olives sur la table et un poulpe délicatement grillé dans une assiette. Voilà qui ne suffit assurément pas à accepter l’asservissement de notre condition de modernes, et c’est tant mieux. Contre l’État maternant ou pour une société digne et décente, les raisons de se battre ne manqueront jamais et il est sain de rester éternellement révolté. Mais le point de départ de tout engagement consiste à se rappeler que la vie est belle, que le premier miracle associé au Sauveur des chrétiens consiste à avoir changé l’eau en vin pour que tout le monde puisse se réjouir. Ainsi en va-t-il de notre civilisation : face au mystère du mal, elle a su s’appuyer sur la beauté pour nous rendre la vie plus humaine.

L’ouzo, le poulpe et les olives ne constituent certes pas une théodicée, mais déjà un premier pas vers le Salut.




Pourquoi Macron se soumet-il devant Elon Musk ?

Choose France. Voilà le nom du sommet annuel, inauguré en 2018 par le président français, consacré à l’attractivité de l’Hexagone sur la scène internationale. Le but est d’encourager les entrepreneurs privés à investir dans son pays et ainsi participer à sa réindustrialisation. Le dernier en date a eu lieu le 15 mai et a réuni plus de 200 chefs de différentes multinationales qui ont fait le déplacement au château de Versailles et à l’Élysée. L’événement a permis au gouvernement français d’obtenir des promesses d’investissements à hauteur de 13 milliards d’euros de la part de Pfizer, Ikea ou encore du fabricant de batteries taiwanais ProLogium. D’heureuses perspectives qui devraient mener à la création de 8000 emplois.

Si l’événement a été particulièrement scruté, la cause principale en est la venue d’Elon Musk. Reçu en véritable star par le gouvernement français, cet homme d’affaires surpuissant possède un véritable empire avec ses entreprises Tesla, SpaceX ou Twitter. Pourtant, l’entrepreneur n’a, pour l’instant, annoncé aucun investissement en France. Pour sa part, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a évoqué des négociations positives qui concernent Tesla. La venue de Musk peut être comprise à l’aune des projets concernant les usines de batteries, éléments indispensables pour ses voitures électriques, qui pourraient être implantées en France.

Qui sert qui ?

Depuis quelques années, les acteurs privés semblent avoir de plus en plus l’ascendant sur les chefs d’État. Musk est omniprésent en politique, et ne crache d’ailleurs pas sur une petite pique contre les wokes de temps en temps. Un récent sondage réalisé par le Harvard Harris Poll place le milliardaire comme personnalité politique préférée des Américains. Ce 24 mai, sur Twitter, il a lancé la campagne présidentielle de Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride. Mais il n’est pas le seul patron à évoluer vers un statut de quasi-rock star. L’influence des GAFAM se renforce même à mesure que de nouveaux chefs d’entreprise émergent avec l’intelligence artificielle. Sam Altman, fondateur de ChatGPT, rencontre lui aussi les politiciens du monde entier afin d’évoquer cette nouvelle technologie. Macron l’a reçu à l’Élysée quelques jours après Musk.

Avec son regard de libéral assumé, Nicolas Jutzet juge que « c’est plutôt un bon signe » si les chefs d’entreprise surpassent les gouvernements, car cela prouve leur « indépendance ». Le co-fondateur du média Liber-thé rappelle d’ailleurs que « c’est l’État qui doit être au service de l’économie et non l’inverse ».

Une séance d’humiliation

Dans le cas de Choose France, il déclare que « ce qui est marquant, c’est qu’Elon Musk a négligé son rendez-vous avec le président français, en arrivant en retard, et en étant mal rasé ». En agissant de la sorte, il démontre que sa rencontre avec les dirigeants français n’était pas un événement important dans son agenda. Les dirigeants français sont « inférieurs » au pouvoir de l’homme le plus riche au monde. Durant le sommet, Bruno Le Maire n’a pas pu s’empêcher de publier un selfie de lui et du milliardaire sur son compte LinkedIn. Cette photo révèle « une proximité inquiétante avec les politiciens ». Celle-ci peut « mener à des privilèges pour certaines grosses entreprises et ainsi nuire à la concurrence ». Néanmoins, cette photo s’apparente surtout à « une tentative un peu grossière de communication », « qui ressemble à un selfie d’un fan avec son idole ». 

Quant à l’impact de l’événement, Nicolas Jutzet relativise. En réalité, « les investisseurs n’attendent pas ce sommet pour prospecter le marché français ». Ils n’ont pas besoin du gouvernement pour « chercher des locaux ou une main-d’œuvre qualifiée par exemple ».  En somme, Choose France est un « coup marketing » d’Emmanuel Macron, selon lui.

Opération séduction

Elon Musk scrute l’actualité française. En janvier dernier, il avait publié un tweet soutenant la position de Macron concernant la très contestée réforme des retraites. Ce soutien de poids, certainement très bien accueilli par le président français, a même été renouvelé en mars lorsqu’il s’est exprimé une nouvelle fois en faveur des changements prônés par le maître de l’Élysée. 

À la suite de son entrevue avec les autorités de l’Hexagone, Musk a déclaré « je ne ferai pas d’annonce aujourd’hui, mais je suis très impressionné par le président Macron et le gouvernement français, à quel point ils sont accueillants pour l’industrie ». Quant à Macron, il a annoncé sur Twitter plusieurs accords avec diverses multinationales. Cependant, l’unique photo postée sur ses réseaux ce jour-là le met en scène avec le patron de Twitter, bien que ce dernier ne participe pas aux investissements pour l’instant. Il ne se gêne d’ailleurs pas pour lui faire les yeux doux : « Avec Elon Musk, nous avons parlé de l’attractivité de la France et des avancées significatives dans les secteurs des véhicules électriques et de l’énergie. De régulation numérique également. Nous avons tant à faire ensemble ».




Qui se souvient des hommes…

Qui se souvient des hommes… Cette question, ou plutôt cette lamentation, n’est pas la nôtre, mais celle de l’immense écrivain Jean Raspail. Dans ce roman, paru en 1986, il nous racontait l’épopée terrible des Indiens Alakalufs, ces habitants de la Terre de Feu conduits à l’extinction par les ravages conjugués de la guerre entre clans, des élans missionnaires européens et du progrès sous toutes ses formes. Oui, le progrès autoritaire, parfois, fait mourir des peuples. Il agit, pour cela, en attaquant leur langue, leur longue mémoire ou leurs coutumes. Cela vous rappelle-t-il l’époque que nous vivons ? C’est normal, rassurez-vous.

Devenons-nous des Indiens Alakalufs ?

Car oui, peut-être sommes-nous aussi en train de devenir des Alakalufs, nous qui nous croyons si souvent à l’avant-garde de l’humanité. Dans ce numéro, nous montrons par exemple comment l’un de nos contributeurs a facilement créé un robot information – un bot dans le langage des passionnés d’informatique – capable de débiter à volonté des sorties de militant de droite un peu rance sur les réseaux sociaux. Non seulement sa créature déverse admirablement bien sa mauvaise humeur réac, mais en plus des personnes se laissent régulièrement prendre et répondent avec agressivité à un être qui n’existe pas.

D’aucuns y verront la preuve des immenses dangers de l’informatique moderne, et prôneront le « retour en arrière ». Récemment, nous avons même vu des libéraux qui proposaient d’interdire l’intelligence artificielle, par prudence, comme d’autres avaient tenté d’empêcher la révolution industrielle pour sauver la classe ouvrière au début du 19e siècle. Nous sommes journalistes et non prophètes, mais gageons que le succès semble de nouveau peu probable. Il semble déjà si ambitieux d’inviter nos proches à apprivoiser l’intelligence artificielle avec un peu de méfiance, un peu comme l’on prendrait un Panadol un lendemain de cuite.

Il ne s’agit plus de combattre la machine en elle-même, mais de sauver l’Homme avec un grand H. Si des logiciels sont aujourd’hui capables de se substituer à des journalistes et des universitaires, c’est que ceux-ci étaient déjà devenus interchangeables bien avant ChatGPT. Si un bot est à même de se faire passer pour un authentique militant de droite atrabilaire, c’est que, bien souvent, la pensée conservatrice a évolué vers une caricature d’elle-même. Et que dire, bien sûr, de l’effacement progressif des repères anthropologiques que nous poursuivons, « attirés par l’odeur du progrès comme des mouches vertes sur un chat crevé » (Orwell, dans le Quai de Wigan ) ? Nous n’avons par exemple pas attendu ChatGPT pour décréter, contre toute la sagesse de notre civilisation, qu’un enfant pouvait grandir sans avoir besoin de connaître son père ou sa mère, par exemple. Et ce n’est pas non plus ChatGPT qui pousse les parents à sacrifier leurs enfants à la rééducation arc-en-ciel des Drag Queens qui prennent possession des bibliothèques publiques.

Il ne s’agit plus de tenter d’échapper à la machine : nous sommes tous englués dans le type de société qu’elle produit. Mais sans doute pouvons-nous encore cultiver ce qui fait de nous des êtres humains : la faculté de ressentir et d’exprimer des émotions. Ce sens de l’émerveillement, aussi, qui devrait nous caractériser devant la beauté du monde. Oui, il n’existe aucun combat qui se gagne autrement que dans la joie, autour d’une bonne bouteille et d’une bonne côte de bœuf. Ces choses vous paraissent-elles trop simples ? Peut-être, mais elles sont infiniment plus réelles que les abstractions que nous poursuivons – progrès, liberté, égalité – tandis que la sève de notre civilisation se tarit.




Libertaires de tous les partis, unissez-vous !

Dans ce nouveau numéro du Peuple, nous montronscomment certaines figures du parti, dont la conseillère nationale et présidente de la fondation Santé Sexuelle Suisse Léonore Porchet, ont vivement encouragé les téléspectateurs romands à ne surtout pas se faire une idée par eux-mêmes au sujet d’un reportage de Temps Présent diffusé au début du mois de mars. Alors que des pressions dignes de sectes – c’est le producteur de l’émission qui le dit – faisaient rage sur les journalistes, ces élus n’ont pas hésité à diaboliser leur travail avant même qu’il ne soit rendu public. Prétexte invoqué : en s’intéressant aux cas de « détransitions » de genre, c’est-à-dire aux personnes décidant de faire marche arrière dans leur changement d’identité, l’équipe de Temps Présent s’intéressait à une réalité très marginale qui ne méritait aucune attention.

L’autoritarisme progressiste

Étrange argumentation : pas un jour sans que les exemples les plus extrêmes de « convergence des luttes », drag queens véganes déguisées en vache ou sans-papier non binaire en fauteuil roulant, ne soient portés aux nues sur le service public, sans que cela semble offusquer les Vert-e-s ou les militants queers. Mais de laisser entendre que, peut-être, la pression des réseaux sociaux et de certains organismes subventionnés pourrait conduire des ados à faire des choix périlleux pour leur santé, vous n’y pensez pas : « Transphobie en prime time à la RTS », a fulminé Léonore Porchet, avant même la diffusion du reportage incriminé. Des postures qui, comme nous le montrons dans notre dossier, agacent jusqu’au sein du parti. Pourquoi diable, en effet, la nécessaire préoccupation climatique devrait-elle s’accompagner d’un tel autoritarisme progressiste ?

Marginal, mais positif cette fois.

Mais venons-en à notre propre idéologie : voue-t-on une haine particulière aux Vert-e-s, au point de leur consacrer ces quelques pages ? Certes non. Ces dernières semaines, l’affaire Dittli – du nom de la ministre vaudoise des finances accusée d’évasion fiscale – a malheureusement montré que la droite savait tout autant y faire, en matière de mépris de la liberté de la presse. Que l’on juge la question de fond problématique ou non, les journalistes du service public avaient effectué leur travail en dévoilant comment l’élue centriste avait dirigé un parti cantonal tout en payant ses impôts dans une autre région. Or qu’a-t-on vu le mois passé ? Des députés bourgeois attaquer du « tout petit journalisme de bas étage », quand bien même le gouvernement vaudois prenait la polémique suffisamment au sérieux pour engager un expert.

La Visitation, par Giotto. Un épisode de la Bible à réécrire? Image: Wikipedia

Mépris de la liberté, enfin, dans cette information que nous révélons au sujet du journal Le Temps. Nos lecteurs vétérans se souviennent sans doute de l’entretien que nous avait accordé l’ancienne conseillère nationale libérale et professeur de droit Suzette Sandoz, l’été dernier. Blogueuse pour le quotidien genevois, elle venait d’être remise à l’ordre publiquement pour avoir osé affirmer que l’enfant qu’une femme portait en son sein, dès la conception, était… un enfant. Un scandale, assurément, qui nous conduira sans doute à réécrire un jour l’épisode de la Visitation. Dans cette scène de la Bible qui a inspiré tant d’artistes, personne n’avait encore pensé à s’indigner, en effet, de cet enfant qui bondit de joie dans le ventre d’Élisabeth en apprenant que Marie est enceinte. Si l’évangéliste Luc nous lit, peut-être saura-t-il rectifier le tir en évoquant l’allégresse du fœtus de Jean-Baptiste… Toujours est-il que nous révélons dans cette édition que la publication de l’article avait débouché sur une menace d’attentat, dont l’auteur, un gentil progressiste, n’a jamais été inquiété.

Nous pourrions ironiser à l’infini, mais notre inquiétude est réelle. Et cela d’autant plus qu’elle n’est pas partisane. Faute de savoir défendre une culture de la controverse amicale ou argumentée, notre société semble en effet basculer dans le manichéisme. Chacun voit, dans l’autre bord, des impurs auxquels il serait permis de faire n’importe quoi, n’importe comment. Même le Vert Marius Diserens, dont nous mentionnons les errances dans ce numéro, a récemment fait l’objet d’une campagne de cyberharcèlement inacceptable. Saurait-on s’en réjouir ? Bien sûr que non : un comportement laid est un comportement laid, peu importe qui est ciblé.

Peu importe la cible, un comportement laid est un comportement laid.

Nous l’avons dit cent fois, mais nous le redisons : l’idéal de notre journal n’est ni complètement chrétien, ni complètement libéral, ni totalement conservateur, et a fortiori pas d’extrême droite. Notre propos est de participer, sans piocher pour cela dans les poches du contribuable, à la renaissance d’une culture du débat authentique. Pour que la chose soit enfin possible, libertaires de tous les partis, unissez-vous !




Pourquoi nous combattons

Peut-être vous souvenez-vous de la vidéo d’un polytoxicomane notoire, assis sur un banc de pique-nique, qui nous parlait de prévention santé durant la pandémie de coronavirus. « Pour protéger les autres et pour te protéger toi », cet humoriste nous invitait à porter le masque « bien sur le nez et bien sur la bouche » avec une autorité morale surprenante venant d’une personne peu portée sur la vie saine. Mais peu importe : il s’agissait alors de « passer les gestes, pas le virus », comme nous l’expliquait cet exercice de « pédagogie » subventionné par la Ville de Paris et par l’UNICEF.

Quand Palmade nous apprenait à vivre. (DR)

Protéger les autres comme soi-même est certainement une régression sanitaire de l’ancienne exigence chrétienne d’« aimer son prochain comme soi-même ». Elle conserve cependant une étincelle de vérité. À ce titre, il aurait été agréable de voir la star de ce spot de prévention, Pierre Palmade, l’appliquer à elle-même. Las, comme chacun le sait désormais, l’acteur a détruit une famille en prenant sa voiture après de longues heures d’orgie, semant la mort et la dévastation sur son passage. Ajoutant l’indignité à la tragédie, les deux escort-boys qui l’accompagnaient n’ont pas jugé nécessaire de porter assistance aux victimes de leur ami, préférant prendre la fuite.

La collision de deux mondes

La portée symbolique du fait divers est immense. Dans une société où les humoristes ont pris depuis une dizaine d’années une étonnante place de prescripteurs, elle vient nous rappeler que l’on peut défier l’ordre bourgeois sans être soi-même un exemple, ou ne serait-ce qu’un homme décent. Le drame, survenu entre un centre commercial Carrefour et un village de 2000 habitants, est aussi le tableau d’une collision entre deux mondes. Celui des gens du commun, dans leurs Twingo, et d’une hyperclasse cumulant vices, arrogance et mépris de la loi. Comment ne pas ressentir de colère lorsque la tragédie dévoile la triste intimité de ceux qui sont payés pour nous donner des leçons en temps de crise, et pour nous divertir quand la crise ne fait que couver ? Quelques jours après l’accident, la chaîne TF1 ne diffusait-elle pas encore une adaptation cinématographique d’Astérix dans laquelle Palmade, ironie macabre, joue le rôle d’Assurancetourix…

Et pourtant, la haine n’est pas une fatalité.

Dans ce sens, les rapprochements entre l’homosexualité de Palmade et son crime n’honorent pas ceux qui les multiplient. On connaît de bons pères de famille qui n’hésitent pas à prendre le volant, certes sans « compagnons » sur la banquette arrière, mais avec trois grammes par orteil. Dire que l’autre est un « dégénéré », un « monstre » ou un « fou » lorsqu’il révèle le pire de lui-même est une manière confortable de nous rassurer sur notre propre condition. Un mécanisme de défense psychologique bien naturel mais qui n’élève pas le niveau des âmes. On peut espérer que la justice des hommes soit impitoyable sans vouloir se substituer à celle qui, pour ceux qui y croient, nous attend dans le monde suivant.

Des mous ?

Sommes-nous finalement des mous, au Peuple, lorsque nous refusons de hurler avec les loups ? La question s’est aussi posée à propos de notre enthousiasme tout relatif au sujet d’un référendum lancé à Genève contre l’autorisation du port du burkini dans les piscines municipales. Décidé par le politique, cet assouplissement nous fait rire jaune à nous aussi : pour rappel, les chrétiens, au même moment, n’ont plus le droit de se faire baptiser dans le lac ! Pour autant, doit-on partir au combat contre un maillot de bain un peu plus couvrant que la moyenne ? Imagine-t-on 300 Spartiates mourir au défilé des Thermopyles pour garantir le « vivre-ensemble » dans nos piscines ? Relever le caractère un peu dérisoire, et perdu d’avance, de ces combats, ne signifie pas que nous sommes déloyaux avec les gens dont nous sommes proches. Les personnes qui s’engagent contre la présence visible d’un islam conquérant sont parfois courageuses, doivent pouvoir s’exprimer et trouveront toujours un accueil respectueux dans nos pages. Toutefois, nous peinons à imaginer un chef de famille salafiste laissant sa femme aller croiser des corps d’hommes à moitié nus toute une après-midi à condition qu’elle porte un burkini. On croit souvent déceler l’islamisation rampante là où se trouve la simple réalité démographique…

Doit-on réellement se battre contre le burkini pour défendre son identité ? (Unsplash)

La vérité est que nous sommes tous liés : faites autoriser les processions catholiques à Genève, et vous aurez les prières de rue musulmanes. Interdisez des choses à l’un, et vous les interdirez à l’autre aussi. Dans ces conditions, et dans le contexte d’une société largement sécularisée, y a-t-il un sens à s’engager politiquement au nom de la foi chrétienne ? Pour le panache, peut-être. Reste qu’après cinquante ans de « libérations » en tous genres, le constat est sans appel : les conservateurs n’ont fait que ralentir la destruction du monde qu’ils défendaient, et qui est quand même tombé en miettes aujourd’hui.

Nous ne plaidons pas pour le désespoir, ni pour le désengagement. Chacun ses vertus, chacun son charisme. La mission de notre journal n’est pas politique, et encore moins partisane. Elle consiste à transmettre le sens de la liberté, et de l’honneur chrétien. Un goût pour la beauté du monde réel, aussi. C’est peu




Pourquoi tant de ressentiment?

Il s’agit en réalité d’un mème internet, soit une image largement partagée sur les forums et les réseaux sociaux à des fins satiriques. Ce petit bonhomme épouvantable possède en outre un petit nom rigolo: on pourrait le traduire par l’homme-soja qui pleure. Les internautes utilisent généralement cette figure pour se moquer d’un personnage à l’idéologie progressiste constamment rattrapé par une réalité très éloignée de ses idéaux. Mais c’est aussi et surtout un homme rongé par le ressentiment.

Le ressentiment: voilà un mal qui, drapé dans de nobles idéaux, ronge notre société. Prenons trois exemples qui se trouvent tous dans cette édition: que peut-il bien y avoir d’autre dans la tête de militants qui se rendent en altitude pour saboter des stations de ski déjà en grande souffrance? Derrière l’excuse de l’éco-anxiété, au demeurant compréhensible, n’est-ce pas encore le ressentiment qui conduit des personnes bien au chaud dans leur villa à s’opposer à toute nouvelle construction de même nature dans leur quartier? Qu’y a-t-il derrière la vague moraline égalitaire qui pousse des élus à exprimer leur rêve d’une société sans riche devant un auditoire de convaincus?

Le philosophe Nietzsche l’avait écrit avec son style bien à lui: «L’insurrection des esclaves dans la morale commence quand le ressentiment (n.d.l.r.: c’est l’auteur qui use de l’italique) lui-même devient créateur et engendre des valeurs.» Une autre observation intéressante de ce passage de la Généalogie de la morale, c’est que l’homme du ressentiment a toujours besoin de diriger son regard vers l’extérieur, et non sur lui-même, pour trouver du sens à son existence. C’est donc un homme de la réaction, qui passe sa vie à souffrir de la distance qui existe entre le monde tel qu’il est, et le monde tel qu’il le rêve.

Tel n’est pas notre idéal, telle n’est pas notre disposition d’esprit. Défendant une civilisation riche, dont nous sommes les débiteurs insolvables, nous préférons vivre dans la gratitude. Gratitude parce que notre société ne nous contraint pas encore à la pauvreté généralisée, même si l’exigence de sobriété n’est jamais loin depuis quelques mois. Gratitude aussi parce que personne ne peut décider pour nous de ce qu’il nous est permis ou non de penser, même si la loi restreint de façon de plus en plus inquiétante le champ de la liberté d’expression. Nous sommes remplis de gratitude, enfin, parce que contre tous les pronostics, nous continuons à construire l’histoire d’un nouveau journal quinzaine après quinzaine. Ce journal s’est présenté, dans un premier temps, comme un contrepoids à l’idéologie majoritaire dans le monde médiatique. C’était sans doute une erreur. Notre volonté n’est plus de rééquilibrer quoi que ce soit, mais de faire connaître un autre idéal. Un idéal de gratitude, de combativité et de pluralisme authentique.




L’angoisse de l’Infini

Une de mes grands-tantes pratiquait l’art exigeant de la cartophilie. Amoureusement, elle amassait, dans d’innombrables albums, des cartes postales classées par pays et par régions. Voyageant peu, elle s’évadait de la monotonie du quotidien en contemplant plages ensoleillées, palmiers au vent et ruines illuminées par le soleil couchant. Soudain, du jour au lendemain, elle a renoncé à son violon d’Ingres et par là-même à ses voyages virtuels. La raison? Ma tante avait découvert, lors d’une escapade espagnole, que les cartes postales ne correspondaient pas à la réalité.

Il en va de même pour certains auteurs, comme Charles Maurras, qui suscitent des commentaires spécieux, de doctes anathèmes et des morales sentencieuses. Ces auteurs «maudits» sont trop souvent réduits à des «cartes postales», c’est-à-dire à la doxa commune des penseurs de seconde main et de la presse dite «engagée». Quand nous lisons réellement leurs œuvres et que nous partageons un moment en leur compagnie, nous ne pouvons que renoncer aux «cartes postales» de l’opinion dominante. La publication de la correspondance entre Charles Maurras et des carmélites nous donne l’opportunité de vivre cet exercice de salubrité mentale.

Un inconnu

Contrairement à Léon Blois ou à Georges Bernanos, Charles Maurras reste bien souvent un inconnu. Trop longtemps ses œuvres furent introuvables hormis chez quelques bouquinistes érudits, tombées dans un certain discrédit et réduites à des formules, souvent mal interprétées, telles que «l’opposition du pays réel au pays légal», «la divine surprise», «le nationalisme intégral» et j’en passe. Celui qui fut le maître à penser de toute une génération peut être redécouvert aujourd’hui.

Une vie placée sous le signe de l’intelligence

Charles Maurras est né à Martigues, en Provence, le 20 avril 1868. À l’âge de quatorze ans, il devient sourd et doit renoncer à entrer à l’École navale. Sa mère prend pour précepteur l’abbé Jean-Baptiste Penon, qui donne des cours particuliers au jeune Charles et qui fut selon les propos de l’adolescent «la bénédiction de sa vie».

Après avoir obtenu son baccalauréat, Maurras s’installe à Paris avec sa mère et son frère. Ne pouvant suivre les cours à cause de son handicap, il fréquente assidûment les bibliothèques, où il perfectionne ses connaissances. Il en profite pour collaborer à différents journaux et revues. En 1891, Maurras fonde avec Jean Moréas l’École Romane, qui est un groupe de jeunes poètes opposés aux symbolistes et prônant un néo-classicisme débarrassé de tout académisme.

Dès 1889, les idées politiques de Maurras évoluent vers la monarchie. Dix ans plus tard, il rejoint la Revue d’Action française fondée par Maurice Pujo et Henri Vaugeois. Sous l’impulsion de Maurras, cette revue nationaliste et républicaine devient royaliste. En 1905, il fonde la Ligue d’Action française pour soutenir la revue éponyme. En 1906, avec l’aide de Léon Daudet, la revue mensuelle devient un quotidien sous le titre bien connu: L’Action française.

Il ne faudrait pas oublier que Maurras est également un auteur reconnu avec Le Chemin de Paradis (1895), nouvelles philosophiques; Anthinéa (1900), essai de voyage principalement sur la Grèce; Les Amants de Venise (1900), traitant de l’histoire d’amour de George Sand et Alfred de Musset; Enquête sur la monarchie (1900) et L’Avenir de l’intelligence (1905).
Maurras perdit une partie de son influence politique lorsque, le 29 décembre 1926, l’Église catholique romaine mit à l’Index certains de ses livres et L’Action française, le privant ainsi de nombreux sympathisants au sein du clergé français.
Le Martégal est reçu à l’Académie française en 1938. Pendant l’occupation allemande, tout en étant fermement opposé au nazisme, il soutient le régime de Vichy. Il est arrêté en septembre 1944, jugé et condamné pour «intelligence avec l’ennemi» à la réclusion à perpétuité. Libéré en 1952 pour raisons de santé, il expire le 16 novembre de la même année à la clinique Saint-Grégoire de Saint-Symphorien-lès-Tours.

La question du Mal

L’épreuve de la surdité a conduit l’adolescent Maurras à l’agnosticisme. Afin de bien comprendre cet agnosticisme, on peut rapprocher Maurras de Charles Jundzill, personnage réel qui lui sert de héros dans une étude sur Auguste Comte: «[…] Avant sa dix-neuvième année, il avait constaté jusqu’à l’évidence son inaptitude à la foi et surtout à la foi en Dieu. […] On emploierait un langage bien inexact si l’on disait que Dieu lui manquait. Non seulement Dieu ne manquait pas à son esprit, mais son esprit sentait, si l’on peut s’exprimer ainsi, un besoin rigoureux de manquer de Dieu: aucune interprétation théologique du monde et de l’homme ne lui était plus supportable.» Maurras explique dans une lettre du 21 janvier 1937 où il proteste vivement contre les accusations d’athéisme ou d’irréligiosité lancées à son encontre: «Je ne suis ni athée comme l’on dit, et l’auront cru, d’innombrables imbéciles, ni irréligieux. Mais mon sentiment profond des Puissances supérieures n’a jamais pu se fixer dans le monothéisme, et, si ce qui m’est donné ou offert comme explication me paraît redoubler les difficultés, c’est un fait auquel je ne peux rien!»

Pourquoi «ce besoin rigoureux de manquer de Dieu»? Pourquoi est-ce que son sentiment religieux «n’a jamais pu se fixer dans le monothéisme»? En fait, Maurras ne peut accepter l’existence du Mal, qu’il expérimente jusque dans sa propre chair avec l’épreuve de la surdité. Comme il l’admettait au chanoine Cormier, Maurras ne peut pas réciter la fin du «Notre Père»: «Et ne nos inducas in tentationem» (Ne nous induis pas en tentation). Bien plus, il ne «comprend pas qu’on puisse demander à Dieu, qui est souverainement bon, de ne pas tromper ses créatures». Et l’académicien de poursuivre: «Toujours ce problème du mal qui me harcèle. Je n’arrive pas à comprendre comment Dieu qui est le Souverain Bien peut tolérer le mal.»

La négation désespérée

À la fin de sa vie, dans ses entretiens avec le prêtre qui le visite, Maurras reconnaît: «Tous mes raisonnements n’aboutissent à rien. Je suis comme un écureuil qui tourne dans sa cage. Depuis des années je me heurte aux murs d’une prison. Je suis las de tourner ainsi.» Nous voyons bien que le polémiste a fait place au sage et que son attitude uniquement fondée sur la raison le mène dans une impasse. Malgré l’admiration qu’il voue à l’Église catholique pour ses bienfaits et non pas seulement comme principe d’ordre social, Maurras écrit, le 14 septembre 1936: «Je ne peux pas dire: ʻJe croisʼ quand je ne crois pas.»

Cette négation désespérée d’une réponse possible à sa quête le tourmente et l’écartèle intérieurement. L’âme de Maurras vit implicitement l’expérience décrite dans les premières pages des Confessions (I, 1) de saint Augustin: «Tu nous as faits pour Toi Seigneur et notre cœur est inquiet, jusqu’à ce qu’il repose en toi.»

Ce n’est pas qu’il ne veut pas croire, c’est qu’il ne peut pas. Toutefois, il reconnaît que son agnosticisme n’est pas immobile et qu’il a constaté avec étonnement que sa réflexion l’avait éloigné de certains faits qu’il croyait autrefois insurmontables. Il reste à Maurras le désir: «[…] Je ne puis quant à moi, retenir des procédures de Pascal autre chose que le chercher en gémissant, quelquefois même sans plainte, sans autre sentiment que le désir de voir, de savoir, de trouver» (lettre du 6 mars 1937).

À Maurras, qui a besoin de «comprendre pour croire», on peut répondre en écho avec cette phrase que Blaise Pascal met sur les lèvres du Christ: «Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé» (pensée 553).

Le fil rouge du Benedictus

Nous apprenons dans cette correspondance que Maurras éprouve une affection particulière pour la prière du «Benedictus», appelée aussi le «cantique de Zacharie», qui figure dans le texte de l’Évangile selon Luc (Lc 1, 68-79). Ce texte est prononcé par Zacharie à la naissance de son fils Jean-Baptiste. Le Jeudi saint de 1945, il écrit: «quelquefois, la nuit, je me sens bercé pas les longues volutes de son rythme qui ne m’a pas quitté depuis le Collège.»

Au printemps 1937, Maurras avait écrit un verset de ce cantique au dos d’une image pieuse envoyée aux carmélites. Le texte au dos de l’image était: «Illuminare his qui in tenebris et in umbra mortis jacent», c’est-à-dire: «Illumine ceux qui sont couchés dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort». Or Maurras a commis une erreur, au lieu de «sedent» (assis), il a écrit «jacent» (couchés). Les pieuses carmélites ayant envoyé, à l’insu de l’auteur, la carte au pape Pie XI, ce dernier désire connaître la raison de ce changement. Et Maurras de répondre au souverain pontife: «[…] il s’agit d’une erreur de mémoire. Cependant je ne peux m’empêcher de me demander si cette erreur était absolument fortuite et ne tirait pas sa raison de quelque logique secrète. […]» Et Maurras d’ouvrir son âme au pape qui a condamné L’Action française: «Le ʻjacentʼ, inexact par rapport au texte, se rapportait à mon état personnel. Celui qui ʻgîtʼ quelque part n’y gît point parce qu’il le veut, mais parce qu’il y est. Il est là, il en est là, il ne peut y avoir été jeté: non assis, mais couché dans l’ombre de la mort, ce n’est point par volonté, ni par le choix de son cœur» (25 mai 1937).

Le «vieux cœur de soldat n’a point connu la haine»

L’échange épistolaire entre Maurras et les religieuses de Lisieux met en évidence les liens qui unissent l’écrivain et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus; ces liens vont conduire Maurras à dépasser sa rationalité d’agnostique. Peu à peu, l’intelligence de Maurras va se laisser éclairer et comprendre que «ce n’est pas avec les yeux, mais avec le cœur qu’il faut chercher Dieu» (s. Augustin, 7e sermon sur la 1ère épître de Jean, 10).

La lecture de cette correspondance nous fait découvrir un autre Maurras. Loin du polémiste autant redouté que redoutable, nous découvrons l’homme nu face à la question de l’Infini. Nous abordons avec pudeur le chemin secret de la grâce dans un cœur sincère épris de vérité. Nous comprenons pourquoi, au soir de sa vie, il a reçu l’extrême-onction et vraisemblablement dit: «Pour la première fois, j’entends quelqu’un venir.»

Un chemin de conversion – Correspondance choisie entre Charles Maurras et deux carmélites de Lisieux (1936-1952), rassemblée par Xavier Michaux, Téqui, 2022.

Prière de la fin

Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.
Ce vieux cœur de soldat n’a point connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.

Le combat qu’il soutint fut pour une Patrie,
Pour un Roi, les plus beaux qu’on ait vus sous le ciel,
La France des Bourbons, de Mesdames Marie,
Jeanne d’Arc et Thérèse et Monsieur Saint Michel.

Notre Paris jamais ne rompit avec Rome.
Rome d’Athènes en fleur a récolté le fruit,
Beauté, raison, vertu, tous les honneurs de l’homme,
Les visages divins qui sortent de ma nuit:

Car, Seigneur, je ne sais qui vous êtes. J’ignore
Quel est cet artisan du vivre et du mourir,
Au cœur appelé mien quelles ondes sonores
Ont dit ou contredit son éternel désir.

Et je ne comprends rien à l’être de mon être,
Tant de Dieux ennemis se le sont disputé!
Mes os vont soulever la dalle des ancêtres,
Je cherche en y tombant la même vérité.

Écoutez ce besoin de comprendre pour croire!
Est-il un sens aux mots que je profère? Est-il,
Outre leur labyrinthe, une porte de gloire?
Ariane me manque et je n’ai pas son fil.

Comment croire, Seigneur, pour une âme que traîne
Son obscur appétit des lumières du jour?
Seigneur, endormez-la dans votre paix certaine
Entre les bras de l’Espérance et de l’Amour.




Et si on «fact-checkait» notre radio d’État ?

31 décembre 2022 – 11h00. Au volant de la voiture, à l’heure de faire quelques commissions en vue du réveillon, j’écoute le journal horaire de la RTS. Le journaliste commence en annonçant le décès du pape émérite Benoît XVI, confirmant ainsi les messages que j’ai reçus dans la dernière demi-heure pour annoncer le rappel à Dieu du pape émérite. Il continue en lisant le résumé de la vie de Joseph Ratzinger. À l’évocation de la résistance au nazisme des catholiques allemands ou encore de son riche héritage théologique, je ne cache pas mon étonnement, constatant alors une certaine justesse de ton, bien rare sur les ondes de la radio d’État lorsqu’il s’agit de sujets religieux. Sans doute les quelques jours d’agonie du pape Benoît XVI auront valu de nombreuses grâces pour l’Église, ainsi que quelques lumières pour le rédacteur du texte destiné à être dégainé au moment du décès!

Cet état de grâce n’allait cependant pas durer. Le naturel revenant au galop, ma satisfaction est rapidement douchée à l’écoute du journal télévisé de 19 h 30 du 4 janvier 2023, veille des funérailles. Le sujet du soir concernant l’actualité vaticane ne fait référence qu’aux supposées luttes d’influence que la mort du prélat allemand pourrait provoquer. D’un côté les «ultra-conservateurs» ne seraient plus tempérés par le pape émérite, n’hésitant plus à entrer en résistance face au pape François; de l’autre côté de l’échiquier ecclésial, le pape François aurait les coudées franches suite à la mort du «conservateur» Benoît XVI. Alors que le corps du Saint-Père est encore exposé à la vénération des 135 000 fidèles venus se recueillir sans cesse du matin au soir depuis trois jours, la télévision suisse imagine un film hollywoodien où il est question de guerres intestines et de potentiels complots.

Le soir de la sépulture, n’attendant plus rien de la RTS à ce sujet, mais espérant apercevoir quelque garde suisse connu ou autre compatriote helvétique au gré d’un reportage, je ne peux m’empêcher de visionner, une nouvelle fois, le journal télévisé. Et durant les trois minutes trente dédiées à la cérémonie présidée par le pape François, la présentatrice aborde la cérémonie sous l’angle de la popularité de Benoît XVI par rapport à son successeur. «Foule bien moins nombreuse que ce qu’avaient prévu les autorités» ou encore «Benoît XVI n’a jamais été très populaire auprès des Romains, et peu nombreux sont les jeunes catholiques qui ont fait le déplacement depuis l’étranger». En tant que catholique «génération Benoît XVI», qui l’a rencontré lors des JMJ de Madrid ou de son dernier Angelus du 24 février 2013, parmi les 200 000 catholiques venus lui dire un dernier au revoir, je suis piqué au vif. Comment peut-on, alors que la sépulture du pape allemand vient tout juste d’être refermée, affirmer que Benoît XVI n’a jamais été populaire, sans bien sûr justifier ces assertions par les moindres chiffres?

Je décide alors de mener ma petite enquête. La première difficulté consiste à retrouver les archives du Bollettino dans les méandres du site du Vatican. Je fais alors une première constatation: les statistiques sur «la participation des fidèles aux audiences et aux rencontres avec le Saint-Père» – titre officiel de la communication annuelle, généralement faite en décembre ou en janvier de l’année suivante – s’arrêtent, sans aucune explication, en 2016. Plus aucune statistique officielle n’est disponible pour l’année 2017 et les années suivantes. Une fois les données compilées, il apparaît clairement que Benoît XVI a joui d’une audience élevée et constante tout au long de son pontificat, du même ordre que celle que connut Jean-Paul II. Passées les deux premières années qui ont suivi son élection au ministère pétrinien, durant lesquelles les fidèles du monde entier, et notamment d’Amérique du Sud, furent particulièrement curieux de découvrir ce nouveau pape extra-européen, le pape François n’attire pas plus les foules que son prédécesseur.

Ainsi, bien que les données analysées n’aient en elles-mêmes aucune portée spirituelle et ne doivent pas servir de prétexte pour juger de la légitimité ou de la qualité d’un pontificat, je regrette que, alors que la presse du monde entier salue la mémoire du bien-aimé pape Benoît XVI, la RTS s’acharne à rabaisser la figure inoubliable que fut celle de Joseph Ratzinger. Plutôt que de comparer le pape démissionnaire au pape régnant, je voudrais proposer à notre télévision suisse de faire un sujet sur l’héritage théologique et sur les nombreux enseignements du pape bénédictin, qui perpétua les enseignements des audiences du mercredi initiées par Jean-Paul II. Je ne peux que conseiller aux lecteurs de relire les audiences générales traitant des grands saints tels que saint Augustin, saint Benoît, saint Paul, sainte Catherine de Sienne ou sainte Hildegarde de Bingen, ainsi que les explications du Credo ou du sacerdoce.

Au journal télévisé du 5 janvier, après le sujet sur les funérailles, la journaliste de la RTS s’interroge sur l’exposition du corps du pape défunt qui aurait créé «un certain malaise». Plus que jamais, notre monde moderne aurait besoin de grands théologiens comme Benoît XVI pour éclairer nos contemporains sur le sens de la vie. Alors que certains journalistes comme Jean-Pierre Denis, ancien directeur du journal La Vie, qui eut des mots très durs à l’encontre de Benoît XVI durant son pontificat, ont avoué avoir été «transformés» par ce pape, la couverture par la RTS de ces journées de deuil pour l’Église catholique a été particulièrement médiocre. Ce mauvais traitement de l’information, relevé de plus en plus souvent par les sphères politiques suisses, risque de contraindre la RTS à entamer une sérieuse remise en question; quitte à devoir à son tour faire face à sa propre disparition…

Nombre de fidèles présents chaque année aux audiences générales, aux audiences spéciales, aux célébrations liturgiques et à l’Angelus de 2000 à 2016 (Source: press.vatican.va)
Nombre de fidèles présents chaque années aux seules audiences générales de 1978 à 2018 (Source: press.vatican.va et agence SIR pour 2018)



Combat pour la liberté

Un profil psychologique fort actuel, la mort sociale ayant remplacé la peine capitale, mais dont Orwell a pourtant assez mal anticipé l’activité professionnelle. Car Syme, dans la dystopie, est un destructeur, pur et dur: «Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail est d’inventer des mots nouveaux? Pas du tout! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os», se réjouit-il.

Taillé jusqu’à l’os, notre langage l’est assurément. Comment pourrait-il en être autrement quand des leçons de respect mutuel prennent la place du français dans des classes d’école peuplées de petits illettrés? Mais c’est une des ruses de notre époque de contribuer aussi à cette décadence sous prétexte d’enrichissement du langage, à l’image de la récente introduction de l’angoissant «iel» dans le dictionnaire. Prenons la multiplication des «phobies»: comment préserver un langage commun lorsque le moindre désaccord avec le néo-puritanisme ambiant peut vous valoir d’être accusé d’un nouveau succédané de racisme tout juste sorti d’une faculté de sciences humaines? Comment garder le sens du réel quand de pures projections de l’esprit, comme la non-binarité des genres ou l’éco-anxiété, prennent davantage de place dans les médias classiques que le souci, très concret, du pouvoir d’achat? En résulte une tyrannie de l’émotion: les personnalités parlent avec leurs tripes, croquent dans la vie à belles dents ou se lâchent totalement. Mais qui tendra le micro à ceux qui voudront garder un peu de l’épaisseur de la tragédie antique ou de la Passion chrétienne, sur laquelle une civilisation admirable a pu être bâtie? Doit-on se résoudre à ce que la complexité des sentiments ne quitte une société tout entière tournée vers le progrès, assimilé à n’importe quelle lubie? Doit-on accepter que tout ce qui est ancien, tout ce qui est beau, comme chez Orwell, finisse par devenir suspect?

Au Peuple, nous faisons le pari du tragique. Nous donnons la parole à ceux, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui refusent le manichéisme, le déterminisme et la caricature. Pas que nous soyons toujours d’accord avec eux, mais simplement parce qu’ils défendent un monde où l’on peut dialoguer en adultes. Parce qu’eux aussi refusent un avenir où, si le progrès l’exige, nous devrons nous résoudre à croire que deux et deux peuvent faire cinq.




De nouveaux mots pour de grands maux

Si vous n’avez pas encore songé à «chiller» avec votre «go», c’est sans doute que vous n’êtes qu’un «babtou fragile» qui n’a pas encore investi dans les «NFT». Vous êtes encore avec nous? Merci et bravo pour l’effort. Ne vous en faites d’ailleurs pas si vous n’avez rien compris à cette prose sous acide: c’est tout simplement que vous êtes un individu ordinaire, chose qui équivaut aujourd’hui à un titre de noblesse sous l’Ancien Régime.

Ces mots obscurs font partie des nouvelles entrées remarquées du Petit Robert 2023 qui, d’après Midi Libre, «s’enrichit chaque année pour répondre aux nouvelles habitudes de langage des Français». Et quelle richesse, en effet, que de voir apparaître dans un ouvrage de référence des expressions et des termes que n’importe quel parent à peu près normalement constitué interdit à ses enfants. Chroniqueur littéraire de votre publication préférée, et professeur de français dans la vie, Paul Sernine parait d’ailleurs un brin désabusé: «Jadis, on ne parlait pas tellement des nouveaux mots du dictionnaire. Actuellement c’est un passage obligé dans la presse. Je pense que cela ne va pas changer grand-chose, si ce n’est que cela enlaidit la langue (“go”, “woke”) et impose un cadre idéologique (“iel”). Pour moi la référence reste la seconde édition du Littré!», assène cet amoureux de la langue, fermement cramponné à son dico des années 1870.

Surtout, l’introduction du «iel» apparaît comme un coup dur porté à ceux qui, comme le député UDC valaisan Damien Raboud, s’engagent pour défendre une langue classique, reflet de la division de l’espèce en deux sexes sur le plan biologique, donc sans exotismes comme les «non-binaires» et autres personnalités «gender fluid». Un combat contre l’écriture inclusive qui s’est soldé par une victoire d’étape, dans son canton, avec une directive excluant désormais l’utilisation de la langue inclusive des services de l’administration. Enfin, en théorie: «Cette petite heure de gloire s’est révélée bien éphémère», constate le député, qui avait porté un postulat sur le sujet en 2021 avec son collègue Alexandre Cipolla. «De fait, avec les innombrables institutions paraétatiques, on sait bien que ce texte est constamment contourné.» Preuve en sont les nombreuses captures d’écran qu’il reçoit régulièrement de camarades zélés, et confrontés à la novlangue à leur poste de travail. «Parfois on ne sait plus quoi faire: prendre du recul et rigoler, ou continuer à se battre.»

Journaliste et écrivain, Myret Zaki tempère: «Intégrer des mots dans le Petit Robert ne devrait pas faire polémique, car les inclure ne revient pas à les soutenir, sauf s’il y a désaccord avec la définition choisie.» Si cette dernière s’avère suffisamment neutre, elle y voit simplement un moyen de comprendre ce que veut dire un mot devenu omniprésent et donc difficile à ignorer. Et de poursuivre: «Il est cependant vrai qu’inclure un mot dans un dictionnaire de référence en légitime l’usage, confère une sorte de sceau de la république, mais encore une fois il s’agit surtout d’acter le fait que ces mots sont déjà très largement employés par les médias francophones, tant par leurs partisans que par leurs détracteurs.»

Journaliste économique, elle tente l’analogie suivante: «Les mots sont comme les monnaies, qui à force de circuler, ont cours légal. Le lexique woke ou les néologismes technologiques, c’est un peu comme l’argot des décennies passées, c’est une culture informelle qui se généralise au point qu’il lui faut devenir formelle pour que le dico serve son but.»

Au Peuple, nous opterons – une fois encore – pour la solution du combat des idées. Il consiste dans notre cas à privilégier une langue classique, dans la mesure de nos possibilités, quitte à susciter la «gênance». Un barbarisme que notre traitement de texte continue fort heureusement de surligner comme une erreur d’orthographe.

Grand moment de bravoure

Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle

Nombreuses sont les manières de détruire les Lettres. On peut remplacer les cours de français à l’école par des leçons de respect des minorités ou maltraiter la langue à l’infini, mais on peut également mettre en avant des militants déguisés en artistes pour discréditer la littérature. Ainsi la figure de «Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle! RP

Notre sélection

• Ecoanxiété : terme invoqué par des militants pour le climat qui paralysent les routes (voir p. 2) afin de réclamer une justice d’exception. Également utilisé pour réclamer des sous, sans travailler, aux contribuables.

• Iel : contraction de «il» et «elle» visant à donner une réalité à un phénomène quasi inexistant sur le plan biologique, à savoir la non-binarité de genre.

• Babtou fragile : expression d’origine africaine visant à dénigrer le mâle blanc, perçu comme physiquement faible et largement défaillant sur le plan de la virilité.

• Go : tiré de l’argot ivoirien, le terme désigne une jeune femme, voire une petite amie. Sans être péjoratif, il s’utilise en général dans des cadres très majoritairement masculins.

• Wokisme : nouvelle religion mondiale. L’apostasie entraîne la mort sociale.

• Brouteur : arnaqueur généralement africain. Très actif sur internet auprès des boomeurs, auxquels il promet richesse et luxure.

• Gênance : issu du langage adolescent, ce mot a le même sens que la «gêne», mais a l’utilité d’avilir encore un peu plus la langue.