Chouchoutage des soldats non-binaires : l’UDC va taper du poing sur la table

Cet article est proposé en partenariat avec Pro Suisse.

« Notre Armée manque de moyens. Elle en a assez, toutefois, pour financer un sondage sur la « non-binarité dans l’Armée suisse » ». C’est sur ce ton, un brin agacé, que débute l’interpellation concoctée par le conseiller national UDC Jean-Luc Addor après une drôle d’audace de l’Armée suisse. Alors que l’existence d’un genre dit « non-binaire » n’est pas reconnue par le droit suisse (n’en déplaise au chanteur Nemo), l’institution a lancé la semaine dernière un questionnaire visant à connaître le degré de bien-être des membres de cette communauté sous les drapeaux.

« Cela va nous permettre de mieux comprendre votre réalité et vos besoins », précise la page officielle du site de la Confédération. Les résultats, nous dit-on, « constituent une sorte de baromètre de l’interaction avec les militaires non binaires. » D’une durée de cinq à dix minutes, le sondage nous demande « quels sont les plus grands défis dans l’Armée suisse pour une personne non-binaire ? », si nous avons déjà vécu des discriminations dans ce contexte et, le cas échéant, si nous les avons dénoncées. 

Mais pourquoi écrire « nous », au fait ? Simplement parce que le sondage est ouvert à tous, une simple « information sur le sexe administratif selon la carte d’identité » étant requise à sa fin. Autant dire que pour la scientificité des résultats obtenus, des doutes sont permis. En revanche, niveau progressisme, toutes les garanties sont là.

Supprimer la diversité

C’en est de toute façon trop pour Jean-Luc Addor. Pour lui, il convient maintenant d’en savoir plus sur le budget du Service Femmes dans l’Armée et diversité (FdAD), à l’origine de cette enquête, ainsi qu’à propos du coût de l’enquête elle-même.

Proposant rien de moins que la suppression du volet « diversité » du FdAD, il livre le fond de sa pensée : « Au moment où Conseil fédéral et Parlement se retrouvent face au défi de moderniser notre Armée à temps pour faire face à des risques grandissants pour la sécurité du Pays, le moment n’est-il pas venu de revoir l’affectation de certains des moyens au demeurant insuffisants qui lui sont alloués ? »

En 2019, l’armée avait déjà fait sensation en ouvrant un bureau centré sur l’intégration des personnes transgenres. Des mesures avaient été annoncées pour « s’affranchir des règlements actuels qui discriminent les personnes transidentitaires », rapportaient Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung. On parlait alors de 18 personnes concernées au sein de l’armée. La ministre de la Défense Viola Amherd avait également présenté des objectifs de réduction des émissions de CO2 de son département. 

Commentaire : Soldat Bozo au rapport !

« Se soucier de ses soldats, leur montrer qu’on se préoccupe de leur bien-être et de leur moral, c’est central. Donc l’armée a en effet tout intérêt à s’y intéresser. Alors quel est le problème ? » Ainsi s’exprime un militant socialiste vaudois, Nicolas Schnorhk, sur X (ex-Twitter). Et à vrai dire, la question mérite d’être posée. Mais peut-être pas en temps de crise géopolitique majeure. 

Tandis que la guerre sévit en Europe et que la menace de terrorisme reste élevée, doit-on vraiment consacrer de l’argent public à une cause si marginale que le bien-être d’une minorité inexistante aux yeux de la loi au sein de l’armée ? Pourquoi pas, pendant qu’on y est, former les recrues au respect des accords toltèques et à l’ouverture des chakras, si le bien-être des soldats est « central » ?

Nous aurons peut-être, un jour, l’armée la plus morale du monde. Le seul problème est qu’elle servira à faire rire des enfants russes ou chinois dans des chapiteaux de cirque. 

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Sagres

La plupart de ceux qui ignorent les noms de Bartolomeu Dias, Vasco de Gama et Magellan, savent au
moins que les Portugais dispersés à travers l’Europe occidentale ont tendance à ouvrir partout des
cafés qui s’appellent Sagres et où l’on sert la bière du même nom. Ceci étant, la brasserie, elle n’a
jamais été à Sagres, mais près de Lisbonne. À Sagres, il y a autre chose, tout autre chose, quelque
chose de bien plus important.

À quelque cinq kilomètres de là, il y a le cap Saint-Vincent, la pointe extrême sud-ouest de l’Europe,
le vrai bout du monde. La falaise où, pour la première fois depuis longtemps, je viens d’éprouver le
vertige. Un humoriste qui tient une baraque à saucisses sur la route carrossable où l’on s’arrête avant
le phare proclame en allemand une vérité incontestable : Letzte Bratwurst vor Amerika.

Que l’on m’excuse d’insister, mais ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de voir le bout du
monde. Les Romains ont ressenti les mêmes choses que les touristes d’aujourd’hui. Il paraît que
Sagres serait une déformation de Promontorium Sacrum, le promontoire sacré. D’autant plus sacré
qu’au bout, et pendant des siècles, il n’y avait rien.

De Sagres, il y a plus à savoir que le goût de la bière du même nom. (Crédit photo: Picasa)

Et puis, un jour, la dynastie d’Avis a voulu donner un grand destin à son petit royaume et un prince a
consacré sa vie à réunir toutes les connaissances de son temps en matière de navigation.
Collectionner les portulans, réunir autour de lui les meilleurs capitaines, lancer expédition après
expédition. On l’a appelé Henri le Navigateur, alors qu’il n’a probablement fait qu’un seul voyage
dans sa vie, lors de la conquête de Ceuta en 1415.

Il a quitté Porto pour Lagos, et il a passé les vingt-deux dernières années de sa vie sur cette falaise.
Beaucoup d’historiens disent aujourd’hui que l’École de Sagres n’a jamais existé ; que c’est un mythe
romantique du XIX e siècle ; que toutes les expéditions ont été préparées à Lagos. Pourtant, c’est bien
ici qu’il a fini sa vie. On peut quand même supposer que des gens venaient lui rendre visite, sinon
quel sens aurait eu son séjour dans cette désolation ?

Comme tant de choses au Portugal, les bâtiments qui existaient du temps de l’Infant ont été détruits
par le terrible tremblement de terre de 1755. Et comme tant de choses encore, le fort de Sagres a été
reconstruit du temps du marquis de Pombal. Du passé le plus glorieux, il ne reste plus que les murs
d’une tour qui aurait servi de citerne du temps d’Henri le Navigateur.

Une exposition a été installée pour rappeler ce que fut la vie d’Henri le Navigateur et ce que furent
les découvertes portugaises. Une exposition modeste, certes. Mais ici, tout prend une autre
importance, puisque c’est ici que tout a commencé.

L’endroit n’est pas hospitalier, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a même un gouffre en plein
milieu de la falaise, que l’on a eu l’obligeance d’entourer d’une solide clôture pour diminuer la
mortalité des touristes. Après une heure à entendre le vent, je me demande comment on peut
passer une nuit ici. Alors passer toutes les nuits pendant vingt-deux ans ? Comme si l’Infant avait
voulu que le vent et le ressac lui rappelassent sans arrêt quelle était sa mission en ce monde.

En 1960, pour le cinquième centenaire de la mort du prince Henri, il y a eu une commémoration ici. Il
y avait le président du Portugal, l’amiral Tomas, le président du Brésil, Kubitschek, l’inamovible
Salazar et le cardinal Cerejeira. Curieux symbole, d’ailleurs, que la présence de ces deux-là. Ils avaient
longtemps vécu ensemble en colocation à Coimbra, comme pour prolonger leur vie d’étudiants.
Probablement la dernière fois que le chef temporel et le chef spirituel d’un pays européen se
connaissaient si bien. Deux hommes sans femme et sans enfants, comme Henri lui-même. Tous ces
gens sont oubliés depuis des lustres, sauf peut-être Kubitschek, fondateur de Brasilia. Il n’est pas
venu ici sans raison. Par des voies inattendues, il y a bien un fil de l’histoire qui relie ce promontoire
abandonné des hommes au bout de l’Europe à la capitale symbole de la modernité en Amérique du
Sud.

Pièce de monnaie célébrant le 500e anniversaire de la mort du prince Henri, en 1960.

Quand j’étais gamin, on nous faisait encore croire que le Carthaginois Hannon avait navigué jusqu’au
Gabon et qu’il avait vu le Mont Cameroun. Même Carcopino y avait cru. Il paraît que c’est encore ce
qu’on enseigne aux enfants dans les écoles camerounaises. Mais non, hélas, mille fois hélas, car moi
aussi j’ai rêvé de circumnavigations antiques. Il n’est pas allé plus loin que l’îlot de Mogador, ou peut-
être l’oued Drâa, la limite du vrai désert. (Il faudrait qu’un jour quelqu’un écrive un livre sur le rôle
considérable du Maroc dans l’Histoire, en tant qu’Extrême-Occident.) Mais non, on n’a jamais trouvé
aucun vestige punique ou romain au sud de Mogador, et il y a tout lieu de penser que personne
n’avait jamais navigué au sud du cap Bojador. Combien d’expéditions l’Infant Henri a-t-il organisées
jusqu’à ce que Gil Eanes franchisse enfin le cap ? Douze, treize ? Et ce jour-là, le petit Portugal a pris
les dimensions du monde. Une fois le premier obstacle surmonté, tout a été fait avec une facilité
déconcertante. Cap Bojador en 1434 (Gil Eanes), cap de Bonne-Espérance en 1488 (Bartolomeu Dias),
Calicut en 1498 (Vasco de Gama), le tour du monde en 1522 (Elkano après la mort de Magellan). Et
tout a commencé ici.

Des mondes inconnus se sont rencontrés, pour le meilleur et pour le pire. L’Europe a enfin échappé à
son destin de proie du djihad en établissant le contact direct avec l’Inde et la Chine. Tout, absolument tout, a changé. Tout a procédé de Sagres. Y compris le président Senghor, y compris le président Houphouët-Boigny, y compris ma propre vie. Je ne suis pas grand-chose ; mais ma propre vie est quand même importante à mes yeux ; et sans ce qui s’est passé ici, en Algarve, il y a si longtemps, elle aurait été tout autre.

Il y a eu ceux qui ont commencé les premiers et qui ont connu le succès (le Portugal et l’Espagne).
Ceux qui sont venus après et qui ont fini par rafler la mise (l’Angleterre). Ceux qui sont venus encore
plus tard et qui n’ont joué qu’un rôle plus modeste (la France, les Pays-Bas). Le paradoxe, c’est que si
la Commission de Bruxelles rêve d’une Europe qui ne parlerait qu’anglais, c’est parce que l’anglais
s’est répandu à travers le monde, ce qui aurait été impossible sans le pari des Portugais…

Un jour, un petit pays qui avait fort peu de moyens a jeté toutes ses forces dans un rêve impossible. Il
a joué, et il a gagné. Et ce projet, il ne l’a pas conçu dans sa capitale ou dans un grand port. Il l’a mûri,
il l’a préparé ici, au bout de la terre, au milieu de rien, là où tout était soumis à l’océan et où tout
rappelait l’âpreté du défi à relever.

Ici, à Sagres, extrémité de l’Europe, commencement du monde.




L’observatoire du progrès // Juillet 2024

Une comparaison qui nous fait bien Marguet

Le graphiste du peuple est encore en stage.

Peut-être ne le saviez-vous pas, mais le Requiem de Mozart est « une vraie merde ». Eh oui ! Il n’y a pas à douter de cette analyse puisqu’elle est le fait de l’humoriste Yann Marguet, fierté de Sainte-Croix, dans un entretien à Libé. On y découvre que le chroniqueur de l’émission Quotidien a des goûts autrement plus pointus puisqu’il apprécie aussi bien les rappeurs du Wu-Tang Clan que le punk rock de NOFX. Bon, petite concession de l’ancienne gloire du service public suisse : à ses funérailles, nous dit-il, il aimerait que l’on passe Le Dernier Repas de Brel, même si « certaines paroles ne sont plus vraiment en accord avec la société moderne ». Que voilà un garçon soudainement bien progressiste comme il faut ! Si ça continue, il finira par nous expliquer que Virgile ne tient pas la distance face à ses nouvelles audaces germanopratines.

Le Château de mammaire

On a dit et écrit beaucoup de choses, l’an dernier, à propos du fameux concert Ejaculate de la cathédrale de Lausanne, dans le cadre du Festival de la Cité. Rien de tel, cette année, et nous n’avions d’ailleurs pas la tête à chercher la petite bête. Reste que le concert Friction, de Sophia Rodriguez, mérite quand même une petite mention pour ses tétages généreux. Répétons-le goulûment : à Lausanne, l’art contemporain s’apprécie comme du petit lait.

La création contemporaine se porte bien.

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La cancel culture nous fait une fleur

Très belle entreprise d’épuration éthique dans le domaine des sciences naturelles ! Le Parisien nous apprend que le mois dernier, des experts réunis en congrès « ont voté pour l’abolition de plus de 200 noms d’espèces de plantes, de champignons et d’algues jugés racistes ». En cause, des appellations comme Erythrina Caffra ou Dovyalis Caffra ou encore Protea Caffra. Oui, le problème n’est pas évident pour nous mais il faut savoir que dans le contexte sud-africain, le mot « Caffra » a longtemps été utilisé pour désigner péjorativement les Noirs. Le mot incriminé sera désormais remplacé par « Affra » afin de rappeler les origines de ces espèces. Le coup sera assurément très dur à supporter pour les hordes de crânes rasés férus de botanique.

Vraiment beaucoup döner

Attention ça chauffe entre l’Allemagne et la Turquie ! Et pas à propos de n’importe quoi, mais à propos de la paternité du döner kebab. Alors pour ceux qui ne nourrissent pas de passion particulière pour la Street Food (à la différence sans doute de Yann Marguet), cette précision : le kebab désigne à l’origine la viande grillée, et le döner est sa variante, hyper populaire en Allemagne, consommée en sandwich. Mais là où ça se corse – même sans sauce piquante – c’est que « des producteurs turcs ont déposé à Bruxelles une demande pour faire du döner kebab une marque protégée », nous apprend le correspondant à Berlin du journal Le Soir. La chose est carrément perçue comme « une attaque contre la culture gastronomique nationale » en Allemagne, selon le journaliste. Diantre ! Admettons que ça ouvre des perspectives intéressantes : d’ici quelques décennies, verra-t-on la France se battre pour qu’on reconnaisse qu’elle est à l’origine de la burka ?

La France arrivée à bon porc

Gastronomie toujours, mais cette fois en France : « Mantes-la-Jolie : au Val-Fourré, le dernier commerce qui vendait du porc et de l’alcool a fermé. » Voilà le titre d’un article du Parisien consacré à la fermeture d’une supérette causée, nous dit-on, à un ras-le-bol général et à l’inflation. Ras-le-bol de qui ? De quoi ? en tout cas pas des produits proposés puisque l’enseigne était la seule du coin à vendre encore du cochon et de la gnôle. Mais le journal ne nous prend pas pour des imbéciles et admet pudiquement que cette disparition « marque aussi un changement dans les habitudes culinaires du quartier ». La faute à cette obsession pour le summer body, très certainement. 

Le jour le plus con

Voilà que le stagiaire nosu massacre des photos des troupes britanniques.

« Nous incarnons une rébellion nécessaire face au fascisme ». Voici le titre de la tribune signée par pas moins de mille artistes drag queens dans les colonnes de Libération. On n’entrera pas beaucoup plus avant dans le contenu de leur prose. Suffit d’imaginer les hauts talons et les faux cils de La Briochée, Paloma ou Minima Gesté sur les plages de Normandie en 44 pour comprendre qu’en matière de résistance au totalitarisme, ces créatures de boîtes de nuit ont effectivement tout à nous apprendre.




La violente crise Miss.Tic d’Avignon

Elle voulait « la France au Maliens », ne croyait qu’en « un Éternel féminin » et partageait volontiers les dernières nouvelles de ses organes reproductifs avec le monde entier. « Elle », c’est Miss.Tic, Radhia Anouallah de son vrai nom, dont l’œuvre est à l’honneur tout au long du parcours de visite du palais des papes d’Avignon jusqu’en janvier 2025. C’est ici, dans ce bâtiment somptueux que la tête de l’Église catholique avait fui l’instabilité politique de Rome entre le XIVème et le premier quart du XVème siècle. 

Spectaculaire collision, cette première exposition post-mortem de l’artiste parisienne est présentée comme son « ultime provocation » sur un panneau disposé au début de la visite, à quelques pa(pe)s de la machine à café Lavazza. Mieux, l’obligation de se coltiner l’œuvre de cette « enragée » nous est même assénée comme « un dernier pied-de-nez à l’histoire et au pouvoir dans un lieu de la puissance masculine ».  Preuves indubitables du caractère sulfureux du programme : les logos de soutiens étatiques de l’exposition, ainsi que celui de la FNAC.

Quand le misérable rencontre le colossal.

Face à un menu si peu alléchant, le visiteur un brin délicat se décidera peut-être à contourner les créations de cette « poétesse de la ville et artiste dans la cité ». Espoir rapidement déçu : dès la première chapelle, sublime, une vidéo tourne en boucle où la nouvelle maîtresse des lieux explique puiser son inspiration « dans son vécu ».  Quelle audace ! Comment se concentrer sur des fresques qui ont traversé les siècles quand une artiste au nom de sorcière (le pseudo de l’artiste est tiré des aventures de Picsou) nous dit cent fois que son œuvre est éminemment subjective et qu’elle fait la part belle à quelque synergie ? Alors on se force, et on se dit que l’on pourra faire abstraction de l’écran pour se noyer dans la beauté des lieux. Mais si la beauté sauvera le monde (d’après Dostoïevski et beaucoup de tatouages de ceux qui ne l’ont pas lu), elle ne nous libèrera pas de Miss.Tic. Au vrai, l’artiste n’est de toute façon pas la seule nuisance de l’endroit, qu’il convient de visiter en portant un histopad, sorte d’iPad encombrant et reproduisant la réalité médiévale des pièces grâce à des QR codes situés sur des bornes.

L’histopad porte l’estocade

Remarquable, ce travail de restitution n’en a pas moins pour effet de rendre les visiteurs totalement étrangers à la réalité qui les entoure, particulièrement les plus jeunes. Ainsi la figure de cet enfant, dans un minuscule escalier médiéval, qui s’engage sans prêter attention à l’endroit où se poseront ses pas – sans doute dans le vide. Mourir pour des idées, ironisait Brassens, l’idée est excellente, mais mourir pour un histopad, voilà qui jetterai un froid chez les modernes. 

Rien que ça.

Et modernes, nos jeunes visiteurs le sont assurément, à croire ce garçon de huit ou neuf ans qui demande à sa génitrice « il porte quoi le monsieur » devant une représentation du Portement de la Croix. Plus facile, en effet, de comprendre la prose de Miss.Tic qui, avec ses pochoirs, nous indique sur un mur voisin qu’on n’est « ni de droite ni de gauche » mais bel et bien « dans la merde ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Les plus politisés apprécieront aussi à sa juste valeur l’affirmation selon laquelle « nous sommes tous en situation irrégulière ». On regrettera simplement que la glorieuse épopée créatrice de la dame, décédée en 2022, ait eu lieu à une période où le masculin générique sévissait encore librement. Mais peu importe puisqu’une touriste aux cuisses de dinosaure s’enthousiasme pour tant de vista, au point de discuter de la portée philosophique de chaque slogan avec un mari à moustache dépassé par les événements. Lui qui espérait une ambiance Da Vinci Code, quelle douleur de se retrouver face à sa moitié désormais investie d’une mission de rééducation ! 

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De quoi se souviendront les hommes…

Il est temps de nous diriger vers la grande chapelle, non sans avoir appris en route que le sexe est « au cœur de la vie » et l’amour « au cul de l’existence ». Le ton reste cru, mais c’est qu’à l’époque où elle réalisait cette nouvelle série, Miss.Tic exposait en galerie, mais en ayant abandonné « ni la rue, ni la révolte », comme l’indique un nouveau panneau. 

Nous découvrons l’espace rituel principal du palais des papes, immense vaisseau de pierre débarrassé des symboles de l’ancienne religion. Tout autour de nous, des pièces reproduites sur de faux murs recréent une ambiance de Street Art. Dans une sacristie, des enfants regardent une vidéo de l’artiste en train de réaliser des découpages de sa seule main valide tandis que, réduits au silence pour l’éternité, des gisants de papes se trouvent à quelques centimètres. L’un d’eux – un enfant, donc, pas un pape – se réjouit soudain : sur son histopad, il vient de remporter un trophée d’enquêteur en herbe. Non pas pour avoir bien observé les fresques ou l’architecture des lieux, mais parce qu’il a trouvé des éléments cachés dans la recomposition 3D des pièces qu’il a visitées par écran interposé. 

Le monde comme il ne va pas.

Anesthésiés par la transformation de l’histoire en jeux vidéo, abreuvés de révolte conformiste, de quoi se souviendront les plus jeunes ? Sauront-ils qu’à une époque, des hommes affreusement cisgenres sont morts sur les chantiers d’édifices religieux aujourd’hui colonisés par les poncifs contre la domination masculine de Miss.Tic ? Comprendront-ils que notre civilisation était plus belle lorsque les artistes croyaient toucher le Ciel avec le pinceau ou la truelle ? Sauront-ils encore rêver de temps où des tableaux commandés avec de l’argent public ne servaient pas à appeler à la « turlutte générale » et à « arrêter de tout avaler » ?  Toute époque, sans doute, s’achève en carnaval. Mais le nôtre est triste. 

La visite, saccagée par l’acouphène Miss.Tic, touche à sa fin. Les enfants, trois par trois, sont encore invités à perdre un peu de leur part de rêve sur l’autel de la rébellion ludique.  Une dernière pièce est consacrée à une œuvre collaborative. L’expérience se déroule sous la férule d’une jeune collaboratrice – une saisonnière sans doute – certaine de participer à l’avènement d’un monde meilleur en portant plus loin le message d’une Miss.Tic sans réaliser qu’il est aujourd’hui le discours dominant des castes lettrées. Un message boboïsant, sans frontièriste, sans passé et sans futur. Un message que l’on aimerait jeter dans la même benne que l’ histopad qui vient de nous cogner deux heures contre les genoux.

Tuer le réel ne suffisait pas

Une fois sortis de la boutique souvenirs, nous regardons vers le sommet des murs de l’édifice, en quête de nuages bien absents en cette fin juillet. Et l’on se dit qu’aux dimensions colossales des réalisations de nos ancêtres, notre époque n’a de cesse d’opposer l’intime, le minuscule, quand ce n’est pas le misérable. Quelque part, une commissaire d’exposition s’est-elle dit « On va leur faire payer leur machin hétéronormé, à ces touristes » ? Nul doute en tout cas que quelque tête pensante à anneau dans le nez a dû trouver un tel projet « disruptif » lors d’une discussion de café avec son collègue vegan.

L’écrivain Philippe Muray, dès les années 1990, avait annoncé la « festivisation du réel », c’est-à-dire sa colonisation par un mélange de régression enfantine et de judiciarisation des rapports sociaux pour les réfractaires. À ce virage dans une hyperréalité de substitution s’ajoute aujourd’hui un processus de destruction systématique et quasiment industriel de la longue mémoire des peuples. Alors que les autres civilisations se refusent à entrer dans un tel processus suicidaire, la permanence d’un fond culturel commun semble pourtant seule à même de permettre aux Européens de traverser les temps d’épreuves auxquels ils semblent destinés. 

La culture comme entreprise de démolition.

À la Révolution française, les nihilistes arrachaient les têtes des saints pour se faire quelques sous et souiller les Églises de leurs pas. C’était encore bien artisanal. Désormais, des expositions parallèles et des écrans effectuent un travail remarquable pour que jamais plus un enfant sache où ceux qui l’ont précédé avaient placé leurs espérances. On peut bien sûr juger ces espérances absurdes, quand on n’a pas la foi, mais elles avaient fait traverser des océans, peindre la chapelle Sixtine et bâtir des cathédrales.   

Ce n’est donc pas à une exposition un peu audacieuse que nous avons été soumis. Elle est le symptôme des moyens colossaux dont disposent aujourd’hui les rebelles subventionnés pour qu’à la sortie d’un édifice religieux, les enfants en sachent davantage sur le sexe oral que sur la figure fondatrice de leur civilisation, un homme qu’on appelle le Christ.  




Trump, les balles et le déclin de la culture civique

« Un des hommes les plus dangereux du monde à l’heure actuelle » : le 11 avril dernier, voici comment l’émission de la RTS Temps Présent présentait Donald Trump dans un reportage. Décrivant l’Amérique à venir en cas de réélection du républicain, le reportage ne faisait pas dans la dentelle et comparait même le politicien à Hitler ! Un parallèle assumé dans nos colonnes par la présentatrice et co-productrice de l’émission Élisabeth Logean. Mais aujourd’hui, un autre détail du reportage mérite qu’on y revienne : des bruits de coups de feu ajoutés en illustration sonore à la deuxième minute, tandis qu’un acteur grimé en Trump se trouvait en plein écran. 

Ces coups de feu devaient illustrer la dangerosité de l’ancien locataire de la Maison Blanche mais ils sont devenus une réalité en Pennsylvanie. À cela près qu’ils n’ont pas visé de pauvres progressistes traqués par le nouveau régime, mais le candidat Trump lui-même. Ils ont aussi tué un de ses partisans et grièvement blessé deux autres. Oui, dans une puissante démocratie, des quidams ont été touchés par des balles cet été pour s’être déplacés afin d’écouter parler un politicien. La symbolique de l’événement est immense.

Une élection gagnée, une démocratie perdue.

Au commencement était le Verbe, à la fin les balles

Nous vivons dans une civilisation fondée sur la parole. Au commencement, croient les chrétiens, « était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu » (Évangile de Jean). Orateur remarquable – quoique l’on pense de ses options politiques – Trump s’inscrit lui-même dans cet héritage. Mais au Verbe fondateur s’oppose la parole qui diabolise l’adversaire, la fake news et, ultimement, le bruit des balles. À ce titre, les événements de Butler illustrent en accéléré le déclin de la démocratie moderne : au commencement, un discours – corrosif – et à la fin la boucherie. Qu’il semble loin, aujourd’hui, l’art de la controverse argumentée qui a fait la grandeur passée de la culture civique américaine !

Quel enseignement pour nous autres Helvètes ? Que la stabilité de notre système politique passe par le respect, toujours et en tous lieux, de l’adversaire, quel qu’il soit. Revendiquer le conservatisme, aujourd’hui, c’est d’abord cela : défendre des institutions fondées sur la recherche du compromis et du bien commun. 

Face aux bruits des balles, nous osons croire que le Verbe peut encore triompher.

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Le TF a tranché : pas de procession pour la Fraternité Saint-Pie X

Pas de baptêmes dans le lac pour les uns, pas de procession de la Fête-Dieu pour les autres : Les expressions de la foi et les théologies diffèrent fortement, mais le verdict est le même. Faute de soumission totale à l’État, concrétisée par la signature d’une déclaration d’engagement aux accents progressistes, de modestes expressions de la foi dans l’espace public sont définitivement interdites à Genève. « Christian pride », la procession n’avait pourtant jamais suscité de difficulté depuis 1993… Jusqu’à ce que la nouvelle loi genevoise sur la laïcité produise ses effets

« La religion est désormais a priori suspecte », s’indigne l’Abbé Jean de Loÿe, de l’oratoire Saint-Joseph de la Fraternité Saint-Pie X (FSSPX). Peu coutumier du fait, le jeune prêtre n’y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer la décision du TF dans un courrier envoyé aux médias. Dans son message, il dénonce une déclaration d’engagement qui empêcherait, de facto, l’Église catholique de faire état de ses positions au sujet des « actes homosexuels » ou de l’avortement. L’affirmation de la « primauté de l’ordre juridique suisse », sans précision ni nuance, est également attaquée dans son texte, une juste désobéissance civile motivée par la foi ayant parfois constitué un rempart précieux à la barbarie. Un argument pas très éloigné de ceux du pasteur Jean-René Moret dans nos colonnes encore récemment.

La FFSPX fera-t-elle recours auprès de la cour européenne des droits de l’homme ? Non, car en Suisse c’est au TF d’avoir le dernier mot au niveau juridique, à ses yeux, et pas une instance plus lointaine. Quant à la prochaine procession, elle se fera sur le parking de l’oratoire, comme depuis 2022. « Nous revendiquons une certaine filiation avec les catholiques genevois qui ont souffert durant le Kulturkampf au 19ème siècle, avec d’ailleurs une continuité des positions. »

Qui aurait cru que le triomphe du progrès s’accompagnerait de la destruction des libertés religieuses minimales…

Sur le même thème:
Visite à « Tradiland » : https://lepeuple.ch/visite-a-tradiland-reportage/
Le pèlerinage de Chartres fait un petit en Suisse : https://lepeuple.ch/le-pelerinage-de-chartres-fait-un-petit-en-suisse/




Une maladie médiatique

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Voyage dans la cinquième dimension 

Prenons le cas de ce qui se fait de mieux en vulgarisation scientifique en langue française : l’astronome d’origine vietnamienne Trinh Xuan Thuan. Auteur sérieux, il mentionne l’hypothèse de Kaluza, mais croit que son auteur était « un physicien polonais » (Le chaos et l’harmonie, page 559 de l’édition Bouquins de 2022). Or, c’était un mathématicien allemand. Triste destin d’un génie, déjà méconnu de son vivant. Certes, le nom de Kaluza est polonais (kałuża = flaque, mare), et il était catholique romain dans une Prusse-Orientale plutôt luthérienne. Mais il était Allemand – qui plus est, décoré de la Croix de Fer en 1917. Il était donc un produit du système éducatif mis en place par Wilhelm von Humboldt, qui avait réorganisé l’enseignement secondaire prussien pour construire des hommes complets, connaissant les sciences exactes, les langues et le travail manuel. (C’est ainsi que Kaluza fit un apprentissage de relieur.) Ce système a, au bout de quelques décennies, donné à l’Allemagne une avance scientifique et technique impressionnante sur le reste du monde, dont elle fit ensuite l’usage déplorable que l’on sait.

Kaluza, qui n’appréciait guère l’armée, en 1918.

Au-delà de l’enseignement obligatoire, dans le système scolaire allemand de l’époque, des trois langues classiques (grec ancien, hébreu et latin) et d’une langue vivante (dans le cas de Kaluza, ce fut le français), le jeune lycéen Kaluza apprit l’anglais, le hongrois et l’italien dans ses loisirs (Wuensch, p. 51), ce qui, ajouté à l’allemand, représente déjà la pratique de 8 langues. (Le hongrois, une performance pour un étrangerNyelvében él a nemzet! ) Toutefois, de telles connaissances n’en faisaient pas pour autant un linguiste, comme certains l’ont cru. De formation, Theodor Kaluza était mathématicien. Ce profil atypique de mathématicien passionné par la physique a gêné sa carrière, puisqu’il entrait difficilement dans un moule. Il dut attendre 20 ans entre son habilitation en 1909 et sa nomination comme professeur en 1929. Kaluza enseigna à Königsberg comme privat-docent. Il fut ensuite professeur à Kiel, puis à Gottingue à partir de 1935. De sa vie, je ne dirai ici, faute de place, que le strict minimum. Je renvoie à la lecture de sa biographie par Daniela Wuensch, qui souligne l’importance du milieu familial et géographique. Milieu géographique : Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad) et son université Albertina fondée en 1544, là où Immanuel Kant avait enseigné et où David Hilbert et Hermann Minkowski avaient fait leurs études. Milieu familial : un père professeur d’anglais à l’Albertina ; une fortune évanouie lors de la première Guerre mondiale ; une femme, Anna Beyer (1885-1974), de santé fragile, mais qui lui survivra vingt ans, et deux enfants, Theodor junior (1910-1994) et Dorothea (1916-2006) ; des difficultés financières. Deux points qu’il faut souligner : 1) le fait qu’il dut, en 1925, s’éloigner de la physique pour obtenir une chaire de mathématiques et survivre (Wuensch, p. 339) ; 2) son absence totale de compromission avec le nazisme.

La gloire de Kaluza tient à un article, Zum Unitätsproblem der Physik, envoyé à Albert Einstein en avril 1919. Après l’avoir longtemps examiné, Einstein accepta d’en faire communication à l’Académie des Sciences de Prusse à Berlin le 8 décembre 1921 ; il fut ensuite publié dans les Sitzungsberichten de l’Académie du 22 décembre 1921, pp. 966-972 (article aujourd’hui accessible en ligne).

L’idée fondamentale de Kaluza peut être résumée en une phrase : pour unifier les deux interactions fondamentales que sont la gravitation et l’électromagnétisme, il faut postuler un espace-temps à cinq dimensions. (En 1919, l’interaction faible et l’interaction forte n’avaient pas encore été découvertes.)

Ces idées ne sortent pas du néant. La réflexion sur les dimensions commence avec le Timée de Platon. Dans son roman de maths-fiction Flatland (1884), Edwin Abbott imaginait des dimensions que nous ne percevons pas, mettant à la mode l’idée d’un univers à plus de trois dimensions. En 1903, le lieutenant-colonel Esprit Jouffret, professeur d’artillerie… et actuaire, publie un Traité élémentaire de géométrie à quatre dimensions (cf. Wuensch, p. 209). C’est à Minkowski que reviendra l’honneur, dès 1907, de développer une nouvelle base mathématique pour la relativité spéciale publiée par Einstein en 1905, donnant ainsi une réalité physique à l’espace à quatre dimensions. Dans la conception de Minkowski, la quatrième dimension était le temps, l’espace ne contenant que trois dimensions. Les univers à plus de trois dimensions d’Abbott et de Howard Hinton semblaient oubliés.

Quant à la recherche d’une théorie unitaire de la physique, elle a commencé avec Héraclite (Wuensch, p. 228) et a suscité le vif intérêt de Bernhard Riemann, fondateur en 1854 de la géométrie à dimensions dont il faut rappeler qu’elle a fourni le cadre et les outils mathématiques indispensables à la relativité générale présentée par Einstein en 1915 (cf. Rouvière, p. 140).  En 1914, Gunnar Nordström publie une théorie unifiée de la gravitation et de l’électromagnétisme dans un espace à cinq dimensions. On commence à se rapprocher de l’hypothèse de Kaluza, qui, dans son article de 1919, se réfère à l’article Gravitation und Elektrizität publié en 1918 par Hermann Weyl, alors professeur à Zurich (in Sitzungsberichte der Berliner Akademie, 1918, p. 465), mais atteint le même objectif par d’autres moyens. En effet, il reformule les équations du champ gravitationnel d’Einstein, en ajoutant une dimension qui sera associée à l’interaction électromagnétique.  

La condition du cylindre

Kaluza pose (p. 967) la « condition du cylindre » (Zylinderbedingung) : sa théorie exige qu’aucun élément de la métrique en cinq dimensions ne dépende de la cinquième dimension elle-même, mais uniquement des quatre dimensions perceptibles. Au demeurant, l’univers kaluzien est un monde cylindrique, dans lequel la cinquième dimension indique l’axe du cylindre (Wuensch, p. 285).  En tout état de cause, l’article de Kaluza représente un grand pas vers la géométrisation de la physique.

Wuensch, p. 286, et Vladimirov, p. 66, résument les résultats de Kaluza, en termes de langage mathématique moderne, sous la forme d’une matrice d’ordre 5×5 du tenseur métrique.  En fait, il s’agit de la combinaison d’une matrice centrale d’ordre 4×4 qui représente la gravitation et d’une cinquième ligne et d’une cinquième colonne qui représentent l’électromagnétisme. La composante métrique g55 = 2g à l’intersection de la cinquième ligne et de la cinquième colonne, est un nouveau champ, que Kaluza, page 970, qualifie de « potentiel de gravitation négatif ». (Dans son article, Kaluza n’utilise pas de matrice.) 

Einstein n’a jamais approuvé ou condamné la théorie de Kaluza, mais il a vérifié qu’elle était juste sur le plan formel, et c’est pour cette raison qu’il l’a présentée à l’Académie de Berlin. Elle l’a impressionné dès le début : dans une lettre du 21 avril 1919, Einstein écrit à Kaluza que sa pensée lui plaisait („Ihr Gedanke gefällt mir zunächst außerordentlich“) (Wuensch, p. 303). Einstein est d’ailleurs revenu à plusieurs reprises sur l’hypothèse de Kaluza, en 1930, 1931, 1938 et 1941 (Ivanov, p. 72). Citons notamment l’article, co-écrit en 1938 avec Peter Bergmann, où Einstein explique que la cinquième dimension est contre-intuitive, mais qu’il faut la prendre au sérieux (Wuensch, p. 369). Louis de Broglie a lui aussi consacré en 1927 un travail à la cinquième dimension. Cela fait beaucoup de sommités au chevet d’une théorie qu’on a surtout enterrée parce que son fondateur ne pouvait plus la défendre. Un des derniers à prendre la défense de la cinquième dimension de Kaluza fut Kurt Gödel dans un article de 1946, d’ailleurs d’inspiration kantienne (Wuensch, p. 373).

Kaluza en 1928. Il sera nommé professeur un an plus tard.

En 1926, le physicien suédois Oskar Klein a démontré que la composante métrique g55 de Kaluza était une constante et que la cinquième dimension introduite par Kaluza doit être enroulée et de très faibles dimensions, de l’ordre de la longueur de Planck (1,6 x 10-35 m). Ce développement est appelé hypothèse de Kaluza-Klein.

Malgré sa perfection formelle et sa génialité, l’hypothèse de Kaluza n’est pas devenue un « instrument de travail » pour les physiciens (Vladimirov, pp. 72-77). Elle paraît rocambolesque. La cinquième dimension n’est pas observable. On a obtenu des résultats plus probants et plus rapides dans le domaine de la mécanique quantique. Enfin, Kaluza avait travaillé à l’unification des deux interactions connues à son époque : quid de l’interaction forte et de l’interaction faible ?

Et pourtant, après une trentaine d’années, l’hypothèse de Kaluza a ressurgi de l’oubli. Puisqu’il s’agit maintenant de travailler à l’unification de quatre, et non plus de deux interactions, on s’est mis à raisonner au-delà de la cinquième dimension, en modèle Kaluza-Klein à 4+n dimensions (Wuensch, p. 375). Force est dès lors de constater que toutes les versions de la théorie des cordes sont du type Kaluza-Klein (Wuensch, pp. 380 et 632). Exemple : la théorie des supercordes suppose 10 dimensions, dont 9 spatiales et 1 temporelle (Gubser, p. 65). Au fond, ne serait-ce pas du Kaluza avec 5 dimensions en plus ?

Peut-être qu’un jour, les progrès de nos moyens d’observation permettront d’infirmer ou de confirmer la théorie de Kaluza. Après tout, la théorie de Nicolas Copernic, publiée en 1543, n’a eu de confirmation expérimentale que lorsque Friedrich Bessel a fait la première mesure de la parallaxe d’une étoile en 1838.

Qu’elle soit vraie ou fausse, l’hypothèse de Kaluza a le mérite de nous inviter à penser différemment, et à accepter l’idée que l’univers puisse être différent de ce que nous en percevons. C’est le premier bienfait que nous pouvons retirer d’un voyage dans la cinquième dimension, et c’est déjà remarquable. 

En accord avec sa biographe (Wuensch, p. 628), je crois qu’il faut rendre hommage à un grand savant qui a eu une vie difficile et n’a pas connu la reconnaissance scientifique dont ont bénéficié ses contemporains Einstein et Heisenberg.

Steven Gubser, traduit de l’anglais par Julien Bambaggi, Petite introduction à la théorie des cordes, Dunod, Malakoff 2012, 181 pages.

François Rouvière, Initiation à la géométrie de Riemann, Calvage & Mounet, Paris 2018, 343 pages.

Youri Sergueïevitch Vladimirov, Пространство-время, URSS, Moscou 2016, 202 pages.

Daniela Wuensch, Der Erfinder der 5. Dimension. Theodor Kaluza. Leben und Werk, Termessos, Gottingue et Stuttgart 2008, 716 pages.




La droite a bien raison d’attaquer l’Eurovision


La bête immonde bouge encore ! Si, si, on l’a vue cette semaine, à Berne et à Zurich. Elle y menace le financement massif (respectivement 30 et 20 millions de francs) de l’organisation du concours remporté par l’activiste non-binaire suisse Nemo en mai dernier. Comment ? En proposant de soumettre au vote des citoyens ce déluge de gros sous pour un événement qui, il faut bien le dire, ne fait pas l’unanimité. L’UDC n’est d’ailleurs pas seule à monter au front puisque le parti de droite évangélique UDF se joint à l’action.

Il n’en fallait pas plus pour que toutes les bonnes âmes, comme le président du Parti Socialiste vaudois Romain Pilloud, fassent connaître leur indignation. « L’UDC refuse qu’on lui colle l’étiquette « d’extrême droite », explique ce dernier sur X (ex-Twitter). Pourtant, un des éléments centraux qui permet de la définir est le contrôle de la culture : définir la culture considérée comme légitime, et censurer celle qui ne va pas dans son sens. » 

Intéressante analyse : n’est-ce pourtant pas la gauche, dans les principales villes du canton de Romain Pilloud ainsi qu’à l’échelon fédéral, qui tient la culture ? Et pourquoi, dès lors qu’il s’agit de culture, le peuple ne devrait pas avoir le droit de s’exprimer sur la manière dont on utilise l’argent qu’il ramène à l’État ? La censure ne serait-elle pas plutôt dans son camp ?

Bambie Thug, visage de l’Irlande à l’Eurovision 2024. (Crédit photo : Pedro J Pacheco)

On nous dira peut-être que l’Eurovision est un moment de grande communion pacifique entre les peuples. En mai dernier, toutes ces vertus du concours de l’Eurovision ne sautaient pas aux yeux. En plein week-end de l’Ascension, il fallait voir déferler sur nos écrans une délégation irlandaise conjuguant activisme pro-Gaza, non-binarité et intérêt pour la sorcellerie ! Il fallait voir une candidate de vingt ans chanter sous les huées parce qu’elle avait le tort d’être née en Israël. Il fallait subir, enfin, le catéchisme politique incessant de notre Nemo national. 

Oui la droite a raison de taper du poing sur la table. Et l’on regrette que les seules formations qui osent s’engager dans le combat culturel – avec des armes pourtant parfaitement démocratiques ! – soient les plus à droite. Aura-t-on un jour un centre-droit qui, lui aussi, ne prenne pas froid aux pieds au moment de dire qu’un spectacle qui coûte des millions d’argent public doit convenir au plus grand nombre ? Pourquoi tant de pudeur ?




Les « marins des montagnes » naviguent sur leurs toits de tavillons

On appelle ça « la bouteille du mort ». Les tavillonneurs la trouvent presque chaque fois qu’ils refont
un toit. Leur prédécesseur, qui avait fait de même 30 à 50 ans plus tôt, a laissé dedans un message
manuscrit spécialement pour eux. Ce « testament » jauni indique son nom, pour le compte de qui il
avait refait ce toit, d’où provenait le bois utilisé, quand avait-il été coupé et quel avait été le premier
jour de pose. François Krummenacher n’a pas trouvé de « bouteille du mort » sous le toit du chalet
d’alpage – Fromagerie l’Etivaz « Les Leysalets », qu’il est en train de rénover, à 1’331 m d’altitude,
avec ses collègues au cœur du Pays d’Enhaut, pour le compte de la fondation Sandoz. Mais l’artisan
de 40 ans, dont l’entreprise Tavillons Sàrl est située à Montbovon (FR) et qui est ébéniste de
formation, promet de laisser la sienne.

C’est une manière de respecter la tradition et de s’inscrire ainsi dans la longue lignée des
tavillonneurs qui ont rendu nos Alpes plus belles encore au fil des siècles. Ce chantier, situé dans un
pâturage idyllique au bord d’un ruisseau ronronnant et au pied de l’imposante Gummfluh qui nous
domine de ses 2’457 mètres, durera environ six semaines. Ces 300 m² de toit, répartis sur quatre
pans, seront recouverts de l’équivalent d’un volume de 35 m³ de tavillons en épicéa local superposés
en douze couches. Il faut quelque 250 tavillons par mètre carré de toit et il en coûte environ 175 francs
chacun au client final. Quand tout sera fini, le Gruérien ne poussera pas « une petite youtze » comme
le font certain de ses collègues mais il sera empli de la même grande fierté joyeuse.

Envoûtantes répétitions

Mais avant cela, il en reste des tavillons à poser et des clous à planter ! Ils sont six travailleurs à s’y
employer aujourd’hui âgés de 16 à 71 ans, preuve que la chaîne n’est pas prête d’être rompue !
Chacun utilise en moyenne 3 à 4 kg de clous par jour. « Ils sont électrozingués et lisses ce qui permet
au tavillon de coulisser dessus sans se fendre au fil des variations de températures et d’humidité »,
explique François Krummenacher. Refaire un toit est un travail de bénédictin. Les artisans sont assis
sur leur « chaule », une sorte de banc dont les pieds sont crantés pour éviter la glissade, et
inlassablement ils déplient une poignée de tavillons, comme s’il s’agissait d’un jeu de cartes, les
posent délicatement sur le toit et les crucifient de leur « martèle ». Cet esthétique outil « trois en un »
est à la fois un marteau, une hachette et un arrache-clous. La répétition aiguise la présence et
confinerait même à une sorte de méditation. « Pas un tavillon n’est pareil et pas une pose non plus.
On a donc l’esprit toujours focalisé sur ce que l’on fait », explique Patrick Jamper. Le tavillonneur
jurassien de 42 ans, généreusement tatoué, est venu prêter main forte sur ce projet depuis Neuchâtel.
Tout comme François Krummenacher, il a appris le métier un peu sur le tard, grâce au regretté Olivier
Veuve (1954-2017). L’Ormonan de la Forclaz (VD), auteur d’un livre de référence sur son art et héros
d’un documentaire de Jacqueline Veuve, était d’avis qu’il fallait être un peu fou et marginal pour se
faire tavillonneur. Patrick Jamper ne le contredit pas. « On dit parfois de nous qu’on est ‘‘les marins de
montagne’’ et en un sens, c’est un peu vrai. Notre saison s’étale d’avril à octobre. On est alors
souvent loin de la maison. Les nuits sont alors passées sur place au cœur de la nature. Les journées
sont traversées au contact des éléments au grand air. » On s’y fatigue mais on y gagne en force
aussi. Il faut d’ailleurs être un solide gaillard pour tenir le rythme sur la durée et il faut évidemment
aussi avoir le pied sûr pour esquiver les chutes ! Disposer d’un bon pot de crème solaire constitue
également une aide précieuse et même indispensable les jours de grand beau.

La «chaule», la martèle et la boite à clous à ceinturon sont des outils indispensables aux tavillonneurs.

À nouveau dans l’air du temps

Dans les années 80, le métier a traversé un passage à vide mais ces dernières années, il a
l’air écologique du temps avec lui et on compte un dizaine d’entreprises actives dans ce secteur de
niche rien qu’en Suisse romande. Et diverses subventions mises à disposition par les Biens culturels,
Fonds Suisses ou certains cantons permettent de réduire les factures de 20 jusqu’à parfois 55% !
Cela encourage la clientèle des tavillonneurs. Point commun de ces artisans? L’amour du travail bien
fait. Leur art existe dans sa forme actuelle depuis au moins 350 ans et ils mettent un point d’honneur
à se montrer à la hauteur de ce trésor du patrimoine helvétique. Lequel est cultivé aussi au Japon
ainsi que dans certains pays de l’Est mais dans des variantes un peu différentes. Le tavillon diffère du
« simple » toit en bardeau, constitué d’une seule couche plus épaisse, que l’on retrouve ailleurs dans
les Alpes. « L’artisanat du tavillon a pris un essor avec la révolution industrielle qui a permis de passer
de la production de clous par un forgeron à une production à la chaîne. Avant, les matériaux étaient
chers et la main d’œuvre bon marché et désormais c’est l’inverse», analyse Patrick Jamper.

Les précieux tavillons sont produits à la mauvaise saison, le plus souvent à la main. Ils sont à 95% en
épicéa mais on en trouve aussi en châtaignier ou en mélèze. La durée de vie de ces derniers peut
être de 20 ans supérieure mais ils sont plus difficiles à produire. Ces « écailles de chalets » mesurent
environ 45 cm de long pour 8 à 15cm de large et ont une épaisseur de 5 à 6 millimètres. Selon la
charte de l’Association Romande des Tavillonneurs, ce bois doit être coupé dans des versants nord,
dit « ubac », et au-dessus de 1000 m d’altitude. « Pour maximiser la durée de vie de nos toits,
l’expérience des anciens nous a appris qu’il est important de couper ce bois à la bonne lune, soit à la
lune descendante », rappelle Hervé Schopfer. Le tavillonneur de Château-d’Oex, également actif sur
ce chantier, s’y connaît puisqu’il produit ses propres tavillons lui-même.

La fée des Leysalets

Il profite de l’occasion pour nous raconter une célèbre légende des Alpes vaudoises à laquelle le
chalet « Les Leysalets » servit de décor. Cette histoire explique l’origine des chutes de pierres qui ont
donné son nom à la réserve naturelle de la Pierreuse où nous nous trouvons. Il y est question d’une
fée, à qui le paysan local déposait chaque matin une seille de lait. Un jour, ce lait avait tourné
provoquant la colère de la fée, laquelle avait alors déclenché un gigantesque éboulement dans la
zone… Le septuagénaire est ravi d’avoir sa place dans ce beau folklore. Malgré une opération au
cœur toute récente, il a le pied sûr sur ce toit. Comme ses collègues, il s’enorgueillit de ce plaisir
simple mais finalement assez rare : « Quand je partirai, je laisserai quelques chose derrière moi. Ces
tavillons vivront 35 à 50 ans encore ! »

Malgré une opération au cœur récente, Hervé Schopfer a le pied sûr sur ce toit.

Le métier de tavillonneur ne fait pas l’objet d’un CFC. Il s’apprend sur le tas au contact de passionnés,
aux airs de vieux sages, du genre d’Hervé Schopfer. C’est un savoir-faire ancestral dont certaines
origines remontent au néolithique. Il reste vivant, utile et précieux. Précieux comme l’exigence de ré-
enracinement qu’il porte en lui. Précieux comme ce conseil que les tavillons susurrent parfois à
l’oreille de ceux qui les caressent : « Seul celui qui a un passé a un avenir… »