Un dimanche chez les mormons

D’où naît l’envie de faire un reportage ? Du désir de « faire de la pub » ? De l’envie de nuire ? En fait, elle peut provenir de bien des émotions – et parfois d’un simple biscuit. Posons le cadre : fin des vacances scolaires d’octobre 2024, sur une place de jeu proche de la gare d’Yverdon-les-Bains. Deux adolescentes, joyeuses et pleines de vie, s’approchent de parents venus laisser leurs enfants se dégourdir les jambes. Elles nous offrent un cookie joliment emballé avec un sourire et repartent aussi vite. Sur le biscuit, un post-it vert : « Dieu vous aime » et un QR code qui, dans notre cas, ne fonctionnera pas. À moins que notre téléphone ou notre technophobie maladive soit en cause.

Quoi qu’il en soit, le style est très évangélique. L’enthousiasme des demoiselles rappellent ces scènes de prières publiques et cette fraîcheur missionnaire si typique des paroisses sans financement étatique. Mais ici, un détail intrigue : non loin, un jeune homme semble porter la tenue caractéristique des missionnaires mormons. En tout cas, son style « clean-cut » (propret) tranche avec la dégaine habituelle de bien des gens de son âge. Et pour cause ! Une fois n’est pas coutume, ce cookie nous a été offert par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours.

Le biscuit à l’origine de notre reportage.

Une franchise appréciée

Deux possibilités se présentent à ce stade : soit réaliser un article pour évoquer une « distribution sauvage » de biscuits dans un lieu connu pour la vente de produits moins sympathiques – le jardin japonais a longtemps constitué l’épicentre du deal à Yverdon – soit saisir la balle au bond pour aller découvrir les pâtissiers d’un jour.  Nous choisissons la deuxième option, bien aidés par la franchise des responsables régionaux de la communauté. Par courriels, ces derniers expliquent que l’activité a été réalisée dans le cadre d’un camp de jeunes qu’ils ne supervisaient pas, qu’elle « partait de bonnes intentions », mais qu’elle « s’est révélée insuffisamment préparée vu le manque de communication et l’absence d’autorisation ». Pour tout dire, avant nos questions, eux-mêmes ignoraient tout de la démarche menée par un groupe genevois qui se réunissait dans la région.

Le président du pieu de Lausanne, Pierre-Alain Michaud.

Quoi qu’il en soit, une relation de confiance et de respect réciproques s’établit, qui aboutira à une visite à la chapelle locale le premier dimanche de 2025. Ce 4 janvier, la communauté se retrouvera dans le cadre d’une « réunion de jeûne et de témoignages », explique Franco Vigliotti, chargé de communication pour le pieu de Lausanne (l’équivalent d’un diocèse, qui inclut la Ville d’Yverdon-les-Bains notamment). 50 à 60 fidèles sont attendus pour ce moment, qu’on nous décrit généralement « édifiant ». À jeun depuis près de 24 heures, pour la plupart (l’argent économisé est reversé pour diverses œuvres), les fidèles seront invités à prendre le micro dans l’assemblée pour un témoignage libre de leur foi, plus ou moins long, après la Sainte-Cène version mormone. 

Une théologie plus inclusive qu’on ne le croit habituellement

Célébré avec révérence, cet acte liturgique intervient très rapidement – quinze minutes tout au plus – après le début de la cérémonie. Un chant délicieusement vieillot l’a précédé de même que quelques paroles de prières. En plus de manger un bout de pain, les mormons ont la particularité de boire un peu d’eau dans un minuscule verre en plastique. Tout est réalisé de manière très sobre, sans procession. On est loin du vin de messe servi dans un spectaculaire calice brillant de mille feux. « Vous pouvez communier, nous glisse Franco Vigliotti, physicien. Jésus est ressuscité pour tous ». Cet accent sur la résurrection du Christ se reflète dans la décoration des lieux, totalement dépourvue de Croix : les mormons privilégient le souvenir de la victoire du Christ sur la mort plutôt que celui de la Passion. On nous présente en outre une sympathique originalité dogmatique : dans la théologie mormone, la résurrection du Christ a la particularité de permettre le Salut de toute l’humanité, qu’elle soit membre de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ou non. Cependant, les rachetés accéderont à divers degrés de gloire en fonction de leurs mérites respectifs. Bien que les mormons se perçoivent comme la véritable Église, à l’instar de nombreuses autres confessions, ils mettent particulièrement l’accent sur le Salut par les œuvres. Intéressant travail d’équilibrisme, en résumé, entre universalisme et méritocratie. 

Un bal « incroyable »

Rapidement, nous arrivons au moment des témoignages des membres de l’assemblée, qui vont durer quelque 45 minutes. L’émotion est palpable chez plusieurs femmes qui prennent la parole : « Je vous aime, mes frères et sœurs, vous êtes importants pour moi », lance l’une d’elles juste avant de fondre en larmes. Plusieurs jeunes, plus insouciants, racontent le camp auquel ils viennent de participer, les amitiés nouées et le bal très sage – en plus d’être abstinents du point de vue de l’alcool, les mormons ne boivent ni thé ni café et mettent l’accent sur des lois de chasteté strictes – mais « incroyable ». Chaque prise de parole, même chez les plus jeunes, est conclue par « C’est le témoignage que je vous laisse au nom de Jésus-Christ, amen ».  

Tout est très spontané, parfois un peu décousu, et décrit une religion aux dogmes forts bien implantés chez ses fidèles, mais sans la crainte du jugement communautaire. Bien entendu, il n’est jamais question de polygamie, pratique abandonnée depuis 1889 sauf chez certains groupes dissidents. Signe que l’Église fait toutefois un peu bande à part, il ne sera jamais fait mention de l’Épiphanie, célébrée ce dimanche au sein des autres communautés chrétiennes. On nous explique que les mormons sont plus raccords avec le calendrier chrétien autour des grandes fêtes comme Pâques ou Noël.

Chantal nous indique le temple de Berne, aux côtés de Franco Vigliotti. C’est dans les temples (et non dans les chapelles locales) que se déroulent les baptêmes pour les morts, une pratique essentielle dans la théologie des mormons.

Soudain, Chantal prend la parole. De prime abord, rien ne la distingue d’une paroissienne catholique ou réformée classique. Mais très vite, elle se « branche » sur une des spécificités de la foi de son Église : le baptême des morts. Elle raconte son « travail de tous les jours » dans le domaine de la généalogie, évoque la grande histoire des mormons en Suisse, débutée au milieu du 19ème siècle et appelle ses « frères et sœurs » à prendre soin de leurs proches, qu’ils soient membres de la communauté ou non. Lors d’une discussion en bilatérale après la cérémonie, elle sera presque aussi enthousiaste pour nous dire tout le bien qu’elle pense du socialiste Pierre-Yves Maillard ! Mais dans l’intervalle, d’autres témoignages viendront conclure la première heure, avec notamment des récits de guérisons rendues possibles par la prière d’anciens de la communauté. Pudiquement, le récent décès d’un jeune mormon de la région est aussi évoqué.


Une étrange trinité

Les jeunes, justement : dans l’assemblée, il y a ceux qui font sensation avec leur look « corporate », complet-cravate pour des garçons parfois à peine ados, jupe longue et élégante chez les filles. On est loin du training hégémonique dans tant d’autres Églises !  Mais tout le monde n’est pas au même degré d’élégance. Couché entre deux chaises, un jeune sirote même un Capri-Sun durant les témoignages, sans d’ailleurs que quiconque ne semble s’en émouvoir. Contrairement à ce que suggèrent les reportages qui inondent YouTube, une certaine charité, et même une certaine bonté guide le rapport aux « cabossés de la vie ». Ici, chaque membre a sa place et si la théologie se présente comme « ambitieuse », la pratique se veut très horizontale. D’ailleurs, si les prêtres sont tous des hommes, les femmes sont invitées à enseigner durant la deuxième heure, où nous continuons notre reportage hors de la salle. D’autres groupes, adaptés aux différentes classes d’âges, sont réunis dans des pièces annexes.

Chantal, avec laquelle nous allons passer un bon moment, est décidemment très diserte tandis que nous visitons la petite bibliothèque, où se trouvent encore quelques exemplaires du Livre de Mormons. En fait, comme beaucoup de fidèles, notre interlocutrice semble regretter les caricatures dont les mormons font très souvent l’objet. Alors bien sûr, le petit groupe qui s’est formé autour de nous s’anime au moment d’évoquer « l’autre témoignage de Jésus-Christ » (et notamment son apparition en Amérique) raconté dans le fameux Livre de Mormon. L’on s’étonne aussi de découvrir que les croyants de cette Église tiennent le Père, le Fils et de le Saint-Esprit pour trois êtres distincts, à rebours du dogme de la consubstantialité fixé lors du Concile de Nicée en 325. Pour autant, aucune discussion théologique ne semble taboue et toute la chapelle peut être visitée librement. Il faut dire qu’à part un babyfoot, rien ne saute vraiment aux yeux dans ce bâtiment moderne et épuré. Tout, ici, est fonctionnel et efficace, sans volonté d’impressionner le visiteur.

Le bassin de baptême de la chapelle.

La deuxième heure arrive tranquillement à son terme et rapidement, Franco Vigliotti devra nous quitter, après nous avoir chaleureusement accompagné, tout en discrétion et en élégance. Président du pieu de Lausanne, Pierre-Alain Michaud prend le relais, sans s’imposer, tandis qu’un baptême se prépare à côté de nous. Un prêtre africain, encore en costume quelques instants plus tôt, est désormais vêtu, comme le futur baptisé, d’un uniforme blanc qui n’est pas sans évoquer les tenues de prisonniers américains. Chacun vit sa vie, et d’aucuns discutent dans un coin tandis que l’immersion se prépare. La présence de notre interlocuteur, ingénieur chimiste de profession, ne semble pas avoir grande influence sur la vie de la communauté locale et lui-même ne s’en formalise pas un instant. 

Un déçu du monde évangélique témoigne

Avec le président, nous sortons voir deux affiches de versets jaunes sur fond bleu (les fameuses images de la très chrétienne Agence C ) situés juste devant l’église. D’un naturel bonhomme, il semble amusé par cette coïncidence. À moins qu’il ne s’agisse d’une volonté de remettre les mormons sur un chemin chrétien plus classique, sans « nouvelle révélation » sortie du 19ème siècle. Abstinent dans une région viticole comme le Chablais, Pierre-Alain Michaud a de toute manière le cuir épais. 

Une délicate attention juste en face du temple.

Mais qu’est-ce qui peut pousser une personne à se rapprocher d’une Église aux pratiques et aux dogmes si originaux ? Ancien président du Conseil communal d’Yverdon-les-Bains, l’UDC Roland Villard peut en témoigner, lui qui fréquente les mormons depuis plus d’une année. Vétéran du monde évangélique, il ne fréquentait plus réellement d’Église depuis le Covid : « Je priais pour retrouver une communauté, n’importe laquelle, pourvu que ce ne soit pas les Témoins de Jéhovah ou les mormons. » Finalement, une discussion avec des missionnaires l’a entraîné là où il ne pensait jamais aller. Désormais baptisé mormon (l’Église ne reconnaît pas les autres baptêmes), malgré certaines réticences initiales, il se sent à l’aise dans une communauté qui l’a d’abord plus convaincu par sa réalité pratique que par ses dogmes. « J’y retrouve un amour des uns pour les autres, et aussi pour le reste de la société, que je voyais de moins en moins dans le monde évangélique. Un autre aspect qui me plaît est que les fidèles sont toujours invités à progresser professionnellement, à devenir des citoyens-modèles et à s’engager au profit de la société. J’aime ce côté conservateur mais j’apprécie aussi un certain esprit « à l’américaine » qui met l’accent sur le perfectionnement de soi-même et la responsabilité personnelle. »




Le menhir n’est plus

Un grand tumulte s’est éteint. Le tonnerre de la controverse, qui a longtemps parsemé la vie de Jean-Marie Le Pen, s’est tu. Et maintenant, loin des passions qui, tantôt, ont éclairé, tantôt obscurci son existence, est venu le temps pour les générations suivantes d’évaluer l’action de cet homme. Jean-Marie Le Pen s’en est allé, emportant avec lui le dernier éclat d’une époque où le verbe politique fleurait bon le défi, où l’orateur électrisait les foules et troublait les esprits et les cœurs tièdes. C’était un météore : brillant, incandescent, mais portant une part d’ombre. 

Qui était Jean-Marie Le Pen ? Un patriote ? Un tribun ? Un provocateur ? Une force irrésistible ? Un semeur de discordes ? La vérité, comme souvent, se trouve quelque part entre les deux. Ses discours témoignaient de la ferveur désespérée et indignée de ceux qui sentent leur patrie glisser vers le chaos. Il était exigeant, exclusif et provocateur dans son amour pour la France. Cette passion, portée à son paroxysme, l’entraînait souvent à des excès qui lui aliénaient même ceux qui partageaient, en partie, ses inquiétudes.

Était-ce un homme de combats ? Oui, et toute sa vie a été une guerre. Si nous pouvons désapprouver ses actes, ses opinions et ses propos, nous ne pouvons qu’admirer sa détermination. De ses humbles origines bretonnes aux tribunes agitées des campagnes électorales, Jean-Marie Le Pen était un homme de combat, un adversaire redoutable et redouté ainsi qu’un homme qui ne se laissait pas troubler par les tempêtes judiciaires et médiatiques.

Ce tribun cachait en lui un je-ne-sais-quoi qui le rendait aussi fascinant que dangereux. Son verbe acéré, souvent excessif, blessait.  Ses idées, profondément enracinées dans une certaine vision de la France, s’accompagnaient parfois de formules si tranchantes qu’elles semblaient oublier que la nation ne se construit pas seulement sur l’héritage, mais aussi sur l’accueil et le renouvellement.

On ne peut pas simplement résumer Jean-Marie Le Pen à ses provocations. Derrière l’homme politique et le chef de parti controversé, se dessine l’homme fidèle à ses convictions, à ses proches, à une certaine idée de la France qu’il voulait, à tort ou à raison, sauver de ce qu’il voyait comme son déclin.

Jean-Marie Le Pen laisse derrière lui un héritage et un défi. Il a réveillé des angoisses profondes, obligeant son pays à affronter ses divisions et ses doutes. Il a aussi, par ses excès, figé le débat dans des oppositions autant stériles qu’inutiles, où la réflexion cède souvent le pas à l’invective.

Aujourd’hui, il est enfin en paix. Les éloges et les anathèmes s’élèveront sans fin. Devant le menhir, nous devons accepter une question : comment voulons-nous nous souvenir de cet homme ? Comme d’un combattant qui, par sa ténacité, a marqué l’histoire politique française, ou comme d’un homme dont les luttes furent parfois aussi destructrices qu’inspirantes ?

Reposez en paix, Monsieur Le Pen ! Vous avez aimé une certaine idée de la France, et cette France vous doit au moins la reconnaissance de cette passion pour elle. 

Reposez en paix, Monsieur Le Pen ! Même si vous avez parfois oublié qu’un pays ne se résume pas seulement à sa grandeur passée, mais aussi à sa capacité de se renouveler. 

Reposez en paix Monsieur, Le Pen ! Que chacun retienne ce qu’il voudra : que ce soit l’orateur, le provocateur, le patriote ou le polémiste. Mais que l’on n’oublie jamais que vous étiez avant tout un homme avec vos forces et vos failles, un homme qui, quoi qu’on en pense, n’a jamais cessé de lutter pour ce qu’il croyait être juste.

Reposez en paix, Monsieur Le Pen ! Vous avez combattu avec ferveur, aimé avec passion et divisé avec éclat. Que le repos vous soit donné, enfin, au-delà des tumultes terrestres.




Édition 41 – Tout n’est pas un combat

Après un deuxième — et ultime — passage dans le désert algérien, nous voici de retour à nos fondamentaux : souverainisme, critique du progressisme fou et distance humoristique.

Au menu :
– Notre édito adressé à la socialiste Mathilde Mottet
– Les dernières nouvelles de la liquidation de la neutralité suisse
– Notre point de vue sur les ennuis post-mortem de l’Abbé Pierre
– Une histoire de l’aluminium en Valais
– Notre traditionnel observatoire du progrès

Bien du plaisir !

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La Syrie, l’UE et la « neutralité alignée »

Cet article est réalisé en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.
L’association défend une Suisse indépendante et neutre.

Si vous avez appris à ne pas frapper un homme à terre, sachez que la règle vaut en morale, mais pas en politique. À la mi-décembre, la Suisse a annoncé de nouvelles sanctions visant la Syrie : en ligne de mire, trois pontes du gouvernement déchu de Bachar al-Assad. Au menu, du très classique : interdiction de passage sur le territoire et blocage des éventuels avoirs stockés dans notre pays, rappelle Blick. Et le média de préciser : « La Suisse suit ainsi une décision de l’UE. »

Suivre ou « s’aligner sur » les décisions de l’Europe », voilà un domaine où la Suisse excelle. D’ailleurs le jour-même, le Blick annonçait que cette posture serait aussi adoptée concernant 99 millions de francs bloqués dans nos banques. De fait, une consultation des mesures prises à l’encontre de la Syrie depuis 2011 livre un verdict très clair. Dans sa communication, la Confédération souligne presque toujours sa volonté de se rallier aux sanctions européennes voire, comme en 2014, d’adapter notre « dispositif de défense » à « l’arsenal mis en place par l’UE ».

Mais quel est ce pays neutre qui rampe après les décisions d’un voisin avec lequel il est lui-même en bisbille ? Europhile et progressiste, le Vice-président des Vert.e.s suisses Nicolas Walder nuance. L’alignement, rappelle-t-il, n’est pas systématique : « Par exemple vis-à-vis de la Russie la Suisse n’a pas repris, même si je le regrette, les sanctions de l’UE contre les chaines de propagande Russian TV et Spoutnik. Ensuite parce que notre neutralité est avant tout militaire. Il est aujourd’hui attendu de la Suisse qu’elle se positionne politiquement en faveur du respect du droit international, et c’est ce qu’elle fait en principe. » Ce qui ne l’empêche pas de soutenir les sanctions économiques : « Il est important que la Suisse ne se rende pas complice de criminels (au sens du droit international). Sans quoi la neutralité suisse serait perçue à juste titre comme purement opportuniste. » 

Une loi qui commence à dater

Sur le fond, un contexte légal particulier mérite d’être rappelé : « Si l’on reprend tout ou partie des sanctions de l’UE c’est que notre législation (loi sur les Embargos) ne nous autorise pas à adopter nos propres sanctions, explique l’ancien du CICR. Le texte précise en effet que la Suisse peut reprendre celles de nos « principaux partenaires ». Nous avons voulu modifier cette loi au parlement il y a trois ans pour introduire la possibilité de sanctions autonomes mais sans succès face à la majorité (de droite) qui l’a refusée. »

Cette loi, souligne l’avocat et président de Ligue Vauoise Félicien Monnier, date effectivement de 2002. Quand elle a été adoptée, les Etats-Unis faisaient encore la pluie et le beau temps et l’Union Européenne ne criait pas bien fort lorsque les troupes de Georges W. Bush partaient apporter la démocratie et les droits de l’Homme dans des pays qui n’en demandaient pas tant. L’opposition, par exemple en France, était surtout venue de personnalités politiques comme Dominique de Villepin, qui avait frappé les esprits avec un discours mémorable aux Nations unies. « À partir de 2014, le monde a de nouveau évolué vers davantage de multipolarisation et c’est comme si nous ne nous rendions pas compte que nous avons changé de réalité géopolitique », observe le Vaudois. Le grand basculement, soutient-il, intervient en 2022 avec la reprise automatique des sanctions contre la Russie. « La loi sur les Embargos prévoit qu’on peut prendre des sanctions quand nos « principaux partenaires commerciaux » le font les premiers. Mais comme l’UE a pris une importance qu’elle n’avait pas encore en 2002, le maintien de cette loi dans son état actuel nous place dans une situation où nous institutionnalisons un lien de dépendance vis-à-vis de ce voisin. »

Dans le cas qui nous occupe, n’est-il de toute façon pas un peu ridicule de prendre des mesures contre des ministres d’un régime qui vient de s’effondrer ? « J’aurais aussi aimé que la Suisse soit plus critique et engagée contre le clan Assad durant les 50 dernières années, reconnaît Nicolas Walder. Malheureusement, notre pays a traditionnellement privilégié ses intérêts économiques sur la défense du droit et de ses valeurs. Je relève quand-même que des sanctions contre le gouvernement de Bashar el-Assad ont déjà été adoptées en 2011. Quant aux derniers officiels ajoutés par la Suisse ce mois à la liste, cela fait suite à la décision de l’UE en novembre 2024. Donc oui c’est tard mais comme dit l’adage : mieux vaut tard que jamais ! »

La grêle avec les vendanges

Plus bucolique, Félicien Monnier espère quant à lui que cette « grêle après les vendanges ne démontre pas la lenteur de l’Administration fédérale à s’adapter à la nouvelle donne géopolitique ». Les ministres syriens, Louai Emad El-Din al-Munajjid, Firas Hassan Qaddour et Ahmed Mohammad Bustaji, ont en effet tous été nommés en septembre…

Reste une question de fond : comme pays appelé à favoriser la paix dans le monde, nous incombe-t-il de choisir un camp à la fin d’une guerre civile ? « Je partage l’avis que la Suisse doit s’engager encore plus dans la promotion de la paix grâce à la coopération internationale et à ses bons offices, abonde Nicolas Walder. C’est pour cela qu’il ne faut pas réduire les budgets comme le veulent l’UDC et le PLR. Et pour promouvoir la paix, il faut aussi renoncer à financer les efforts de guerre des pays violant le droit international. C’est pourquoi il est important d’adopter des sanctions pour que les entreprises suisses ne financent pas ces crimes. » Il rappelle que notre pays « n’est pas le CICR », mais bien la 20ème économie mondiale et qu’il a, à ce titre, une responsabilité à ce que sa puissance ne soit pas engagée au service de guerres d’agression. 

Priorité à la défense 

Un « tout diplomatique » qui convainc fort peu Félicien Monnier : « Le Parlement a constaté qu’il y avait d’importants problèmes budgétaires à régler mais il a aussi observé, avec raison, que 30 ans de coupes budgétaires avaient laissé notre armée dans un état absolument critique. Actuellement, elle n’est pas du tout prête à faire face à la redistribution des cartes géopolitiques sur le plan mondial. Il est donc tout à fait logique de mettre l’accent sur elle pour assurer la sécurité du pays. »




L’Observatoire du progrès // décembre 2024

Le pays des cendres et des rêves

Le saviez-vous ? Il est interdit de disperser les cendres de vos proches dans les parcs Disney. C’est ce que rappelle la firme des amis de Mickey dans un article du Wall Street Journal consacré à cette macabre pratique qui sévit à Disneyland, en Californie, et à Walt Disney World, en Floride. Mais pourquoi diantre vouloir reposer en ces lieux plutôt que dans un paisible cimetière, entouré de ceux qu’on a aimés ? L’article nous apprend que les défunts cherchent à reposer dans ce qu’ils perçoivent comme « l’endroit le plus heureux du monde ». 

Et il nous faut ici narrer un grand moment de souffrance : celui où, après avoir attendu deux heures pour permettre à un rejeton de faire une photo avec un Latino déguisé en Mickey, l’auteur de ces lignes n’avait pas pu commander de bière « parce qu’il n’y a pas besoin d’alcool au pays des rêves », comme le lui avait maternellement expliqué une serveuse floridienne. Certes, la vente de gnôle semble s’être un tout petit peu libéralisée depuis ce sordide épisode de 2016, mais en matière d’endroit le plus heureux du monde, peut mieux faire ! Alors, à défaut d’y amener mes cendres, quand le Père éternel me rappellera à lui, pensez, chers lecteurs, à y emmener quelques bouteilles d’absinthe et de Talisker. 

Yacine City

Cela fait des décennies que, depuis notre paisible Suisse, nous voyons François Bayrou émerger du néant à chaque élection présidentielle, avant de replonger dans un anonymat bien rempli (rédaction d’essais, enseignement, procédures judiciaires…). Mais cette fois, c’est fini : après une brillante carrière de second couteau dans la fonction publique, le voilà enfin Premier ministre !

Et comme personne ne sait vraiment ce qu’il a fait ces vingt dernières années, la presse s’est replongée dans son plus fameux moment de gloire : cette scène de 2002 où le centriste avait administré une claque mémorable à un gosse qui lui faisait les poches à Strasbourg. Miracle médiatique : BFMTV a retrouvé le turbulent jeune homme.

Yacine – c’est son prénom – purge aujourd’hui une longue peine pour trafic de stups, après une carrière criminelle riche en condamnations. Comme quoi, la violence éducative ne fonctionne pas toujours. Mais Dieu qu’elle fait souvent du bien.

Le dessinateur avait bu un Vert de trop

Oui, on sait, l’actualité de la ville d’Yverdon-les-Bains occupe une place trop importante dans ce magazine. Mais comprenez-nous aussi ! Comment ne pas parler d’une cité de 30’000 âmes où un parti de la majorité ose nous pondre un visuel qui laisse presque penser qu’à ses yeux, l’argent pousse sur les arbres ? Ayant longuement réfléchi à cette image, nous allons toutefois être honnêtes avec nos amis Vert-e-x-s : il semblerait que les gentils bobos sur le dessin ornent l’arbre de pièces et de billets, plutôt que de les cueillir. Mais en fin de compte, peu importe : dans les deux cas, ce ne seront pas eux qui les auront produits.

Aux arbres citoyens

Dans les choses qui ne font pas très envie dans l’existence, il y a l’idée de faire partie d’un « collectif / laboratoire » composé « à parts égales humain.e.s et autres qu’humain.e.s » formant une « membrane ». À Lyon, pourtant, la majorité écologiste (désolé, on ne s’acharne pas, c’est l’actu) a jugé opportun de payer 3000 euros pour qu’une telle troupe, baptisée Le Lychen, forme du personnel de la ville au « dialogue inter-espèce », comme le souligne Le Figaro. En soi, pourquoi pas ? Et d’ailleurs on serait parfois tenté d’élire « Bouleau pleureur » ou « Coquelicot », « membres non-humains du Lichen », à la tête de certaines villes. Nul doute qu’ils ne gaspilleraient pas l’argent des autres, eux. 

Le calumet du dialogue

Bonne nouvelle pour ceux que les ravages du deal de rue inquiètent : à Lausanne, la Municipalité a décidé de créer une Commission consultative de la politique des 4 piliers, « afin de renforcer le dialogue avec le Conseil communal autour de la politique des drogues et de son évolution ». Combinée à la vente régulée de cannabis dans le cadre du projet Cann-L, voilà un nouveau geste fort de l’exécutif qui, à coup sûr, fera fuir les vendeurs de mort !

Propagande à capuchon

« Le problème avec la voiture, c’est que tu commences à ne penser qu’à ton petit cul dès que tu en as une. » Ce n’est pas nous qui le disons, mais une légende du quartier sous-gare à Lausanne : l’humoriste Blaise Bersinger, interviewé par L’Illustré. Devenu l’égérie des CFF à l’occasion d’un changement d’horaires pénalisant gravement la région de bouseux où nous vivons, le bobo rigolo compare les automobilistes à « des chats d’appartement, très heureux tant qu’ils n’ont pas découvert qu’il existe dehors un milliard de plaines. »

Et l’on se surprend à penser que cette caste d’humoristes d’État n’a plus grand-chose à envier aux curés d’autrefois, la quête de sainteté en moins. Leur séminaire s’appelle simplement la RTS, et ils ont troqué les aubes pour des pulls à capuchon.





En 2025, allez vous balader dans les champs, Madame Mottet

Lorsque des traditions sont maintenues artificiellement dans une société déchristianisée, comme Noël, il est rare que le décorum parvienne encore à nous arracher un sourire. Certes, il reste des éléments charmants : ces poésies mal récitées par des enfants qui ne savent plus faire semblant de les avoir apprises, ces cultes où des pasteurs semblent gênés de devoir encore mentionner le Bon Dieu, ou encore ce saucisson vendu à 95 francs le kilo au marché de Noël. Mais pour l’édition 2024, c’est un cadeau tombé du Ciel qui a éclairé nos fêtes : les conseils rhétoriques de Mathilde Mottet.

Rappelons, pour mémoire, que l’irruption sur la scène médiatique de la coprésidente des femmes socialistes s’est faite à grands renforts de doigts d’honneur — adressés aussi bien au drapeau de son pays qu’à ses propres camarades. Mais cette année, point de gesticulations, simplement des astuces « pour clouer le bec de vos tontons droitards » aux repas de fête ! Pour la jeune femme, peu de place pour la convivialité : non, il s’agit d’arriver « préparé·es à affronter les pires arguments » autour de la table, comme si toute relation humaine devait rapidement se transformer en champ de bataille. Au fond, la vie en société avec Mathilde Mottet doit un peu ressembler à l’état de nature décrit par Thomas Hobbes : une guerre de touXtes contre tous.

1er août 2023, naissance d’une philosophe.
(Instagram: thilde_mottet)

Tout juste remise d’un vilain burnout documenté sur sa page Instagram, voilà donc la politicienne valaisanne qui nous explique dans Blick comment défendre (mais pas trop) le Hamas, prôner le véganisme ou justifier une vision assez étriquée de la liberté d’expression. Car pour cette rebelle parmi les rebelles, il y a des limites à ne pas franchir. Elle nous rappelle ainsi gentiment que « Te taire à l’avenir, c’est pour ton bien », le racisme et l’homophobie étant punis par l’article 261bis du Code pénal et le harcèlement sexuel par l’article 4 de la Loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes. Étrange créature qui « doit s’imaginer en permanence dans la marge afin de pouvoir continuer à se tenir dans la norme », comme l’écrivait le penseur Christopher Lasch. Le seul changement, et il est capital, c’est que la norme en question soit devenue norme légale.

En Suisse, le paysage médiatique regorge de ces rebelles en carton. Il peut s’agir d’humoristes chatouilleux dès qu’on remet en question leur autorité morale — comme Blaise Bersinger sur notre chaîne YouTube. Chez Blick, toujours, cette égérie des CFF n’hésitait pas à comparer les automobilistes à des animaux domestiques aveugles au progrès. Mais qu’un modeste bouseux sur son micro-média s’en offusque ? Voilà une chose que ce gentil bobo à casquette ne pouvait supporter, et il nous l’a fait savoir. Il y a aussi les Mathilde Mottet, les Nemo, et tous ceux qui, en pleine ère du vide, s’attellent à accélérer notre marche vers le néant.

Il y a urgence à attaquer chaque jour leur supercherie. Même si nos médias sont plus fragiles que jamais, il y a urgence à rappeler que ces mutins de Panurge (Philippe Muray) se rêvent plus souvent qu’à leur tour en matons. Mais il y a surtout urgence à rappeler que notre monde est beau et mérite d’être chéri.

Ne pas oublier le beau (Photo: RP)

Si Mathilde Mottet venait se balader dans notre arrière-pays, peut-être verrait-elle ces hommes cisgenres privilégiés aux mains calleuses qui s’occupaient de leurs vaches, ce matin glacial de Noël, comme tous les matins. Peut-être entendrait-elle le chant d’un oiseau au-dessus des champs. Peut-être sentirait-elle de la tendresse, nous l’en croyons capable, pour ces familles qui n’entendent aucunement faire la guerre aux minorités, mais qui ne demandent qu’à élever des enfants dans un monde à peu près stable.

Pour les chrétiens, le Verbe s’est fait chair, et Il a habité parmi nous (Jn 1, 14). L’aventure, c’est vrai, n’a pas été de tout repos, mais elle indique que ce monde comportait quand même suffisamment de dignité pour que le Fils de Dieu, vrai homme et vrai Dieu, s’y incarne et participe activement à quelques agapes. Nous avons peu d’espoir de convertir Madame Mottet à la foi chrétienne, et le secret des âmes ne nous appartient pas. Mais puisse une balade dans les champs, quelque part dans le Nord vaudois où nous couchons ces lignes, la convaincre que tout n’est pas combat.




Un voyage en Algérie (2)

Pour reprendre le périple de notre auteur depuis le début, cliquez ici.

Avant de quitter Alger nous montons à la basilique Notre-Dame d’Afrique. Surplombant la ville et lui faisant face, elle domine la mer chargée de bateaux en attente. La situation est unique, et les familles algériennes viennent  se retrouver sur l’esplanade.

Terminée en 1872, elle a été construite dans le style romano-byzantin. L’intérieur est lumineux. Le regard, distrait par les fresques et décorations multiples, ne distingue pas tout de suite l’inscription dans le chœur : « Notre Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans ». En-dessous et sur les murs des bas-côtés, des ex-voto par milliers, dont plusieurs de Charles de Foucauld lui-même. Les chapelles latérales sont dédiées à Saint Augustin et à sa mère Sainte Monique. Considérée comme la sœur jumelle de la basilique marseillaise Notre-Dame-de-la-Gardequi lui fait face de l’autre côté de la Méditerranée, Notre-Dame d’Afrique pointe symboliquement son abside vers le désert. Sur le parvis, une statue de Mgr Lavigerie rappelle qu’il a fondé la Société des missionnaires d’Afrique en 1868. Aujourd’hui, lesdits « Pères blancs » sont principalement africains, tout comme les sœurs qui tiennent la boutique à l’entrée. 

Entre méharée et pèlerinage

Puis c’est le départ pour Tamanrasset, au sud du pays. 2000 kilomètres en 2h15 de vol. Et dire qu’entre les deux ermitages de Beni Abbès et Tamanrasset, il y a 1400 km… Et que Charles de Foucauld a parcouru régulièrement cette distance les dernières années de sa vie, soucieux qu’il était d’assurer une présence partout. 1400 kilomètres dans le désert, un voyage d’un mois à pied et à dos de dromadaire, à raison de 50 kilomètres par jour … Une odyssée répétée qui l’a transformé à chaque pas. On réalise petit à petit qui était le personnage. « Il n’y a qu’une certaine race d’hommes qui puisse songer à se retirer au désert pour toujours », a écrit Camus de la côte…

Petite pause dans notre récit: Cet article vous est intégralement offert par amour du beau. 
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Aujourd’hui, Tamanrasset compte 100’000 habitants. A six kilomètres de l’aéroport, l’entrée en ville se fait à travers un de ces arcs communs aux agglomérations sahariennes : « La ville de Tamanrasset vous souhaite la bienvenue », est-il écrit en français et en arabe, mais pas en tamasheq, langue des Touareg. L’arabisation de la région est un sujet sensible… Lorsque Charles de Foucauld arrive à Tamanrasset en 1905, c’est un hameau de quelques dizaines d’âmes. Son ami Laperrine, responsable militaire des oasis sahariennes et fondateur des méharistes, l’y a conduit depuis Beni Abbès. Immergé en milieu étranger, parfois hostile, à 700 km du premier poste français, il ne bénéficiera d’aucune autre protection que le cœur brodé sur son vêtement. Si les soldats occupaient une partie de son ministère à Beni Abbès, à Tamanrasset il se dédie entièrement aux Touareg. Ermite, ancien officier, compagnon de cette aventure qui mêle conquête et « pacification » … Difficile mariage du spirituel qui se propose et du colon qui s’impose. Sans conteste favorable à un certain type de colonisation, persuadé que la France peut apporter une civilisation matérielle, intellectuelle et morale aux peuples de Sahara, Charles de Foucauld regrettera pourtant en 1907 : « Notre Algérie, on n’y fait pour ainsi dire rien pour les indigènes. ». Lui qui rêvait d’une chrétienté par la base, de conversions à travers l’exemple de sa vie dans l’esprit de Nazareth, aura cherché à tout concilier jusqu’au bout. En juillet 1916, quelques mois avant sa mort, il écrivait encore à son futur biographe René Bazin ce qu’il pensait d’une colonisation qui ne viendrait pas toucher les cœurs : « Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français est qu’ils deviennent chrétiens. ». Un siècle plus tard, l’actualité de la bande sahélo-saharienne semble continuer de lui donner raison. Avec les dernières troupes françaises qui partent, ce sont aussi les écoles françaises qui ferment, l’anglais et l’arabe qui remplacent la langue de Sansal et de Senghor. 

Ce qu’on appelle « La Frégate » est un grand cube de terre argileuse posé au milieu de la ville. C’est là que Charles de Foucauld s’établit en 1905, à l’époque à l’écart de tout. Il souhaite qu’on vienne à lui librement. Il construit une maison d’une pièce, mais la chaleur est tellement étouffante qu’il l’agrandira pour créer différentes ouvertures et permettre une circulation d’air. Là aussi, pauvreté absolue. Il dort à même le sol, célèbre la messe seul dans une chapelle qui n’est que le prolongement de sa chambre.

Le dénuement est plus grand encore qu’à Beni Abbès. Lorsqu’on lit ses lettres et carnets, il ne semble pourtant pas que les circonstances externes l’affectent. Il ne les évoque que rarement et parle surtout de sa vie intérieure, de ses combats, de ses faiblesses. Vu de loin, son style est un peu simpliste, et la matière trop pauvre ; l’ermite semble se complaire dans un langage presque enfantin. Sur place, on comprend qu’il a vécu la sécheresse du désert dans sa chair. Que sa plume reflète la rudesse de l’environnement. Dans le silence des immensités vides, les priorités changent, on n’entend plus que les battements de son cœur, et la plume prend le rythme du pouls. Tout paraît fou, surhumain : les distances, son rythme de travail, sa solitude… Impossible de sombrer dans la niaiserie, d’entonner des cantiques à l’eau de rose. L’âme se tait face au sacrifice. Le silence s’impose. C’est le vent de sable qui donne le ton. Comment un homme seul a-t-il pu tenir ? Se faire accepter ?

A l’extérieur de la palissade qui entoure l’ermitage, un homme jeune nous observe. L’État policier continue de nous suivre. Juste en face, nous sommes invités à assister à la messe de la petite communauté chrétienne. L’assemblée est composée pour moitié de subsahariens et pour le reste de visiteurs européens. Les uns ont interrompu leur transhumance vers les côtes méditerranéennes, les autres sont venus par les airs marcher sur les traces de l’ermite. La seule convergence fugitive de ces deux mondes qui s’observent sans pouvoir se comprendre laisse pantois. Sans le savoir, ils sont venus à la recherche l’un de l’autre. « Dieu, descends sur nous ton onction, je suis disposé à la recevoir », chante le chœur. Frissons garantis. « La paix commence en nous, autour de nous, avec les autres. Ensuite, elle deviendra contagieuse », rappelle le prêtre. On touche du doigt le mystère de cet apôtre de la rencontre. 

Retraite en altitude

Lorsqu’on monte à l’ermitage de l’Assekrem, dans le massif du Hoggar, la beauté des lieux nous envahit. En route, les tapis blancs d’asphodèles répondent aux champs d’oseille rouge, car la saison a été pluvieuse. Sur un autre versant, le duvet argenté des feuilles indique qu’il s’agit d’armoise, l’absinthe mentionnée dans la Bible. Pour une fois, le désert est en fête ! Arrivés au col, les véhicules s’arrêtent. Ascension au sommet. L’ermitage se trouve au bord du haut plateau ouvert sur un horizon en dentelles. Le rocher et les sables pour seule compagnie, Charles de Foucauld en fera sans doute souvent le tour. « Il y a là-haut une vue merveilleuse, fantastique même, on domine sur un enchevêtrement d’aiguilles sauvages et étranges, au nord et au sud rien n’arrête la vue : c’est un beau lieu pour adorer le Créateur ». Après un moment de recueillement, nous assistons au plus célèbre coucher de soleil du pays. Le soir, dîner dans le refuge en contrebas, d’un repas préparé au coin du feu par nos chauffeurs touareg. La nuit se passe en dortoir, sur des matelas à même le sol. Certains relèveront les conditions de logement misérables… Le matin, les plus hardis montent dans l’obscurité pour assister au lever du soleil. Dans la grande intimité de ce moment privilégié, le silence s’impose à nous et la prière jaillit sans effort. « Dieu est grand », comme ils disent. Et pourtant, il s’est aussi fait si petit… Mais comment assurer un apostolat à 2780 m d’altitude ? Pas une habitation en vue, même si le regard porte jusqu’à 150 km vers le nord et le sud. Rien, ni personne. Un campement de nomade par moment ? L’ermite réalisera finalement que cet emplacement est trop reculé pour servir sa vocation de « frère universel ». Après cinq mois sur place au milieu des vents nocturnes glacés, Charles de Foucauld rentrera à Tamanrasset, et s’y fixera. Nous redescendons nous aussi par la piste cahoteuse qui ramène à la ville, à 80 km de là. 

« Je ne pense plus voyager », écrit-il dans l’une de ses lettres. Charles de Foucauld aura tout tenté, mais il réalise que son œuvre n’intéresse personne, n’attire pas les Français, ne convertit pas les Touareg. Il comprend qu’il ne convaincra pas les hommes et se résigne à rester à Tamanrasset pour y faire le bien qu’il pourra encore. Soucieux de protéger la population contre le soulèvement qui a éclaté dans le Sud libyen et a atteint Djanet, plus à l’Est, il construit un véritable petit fortin, dans lequel les autochtones pourront se réfugier. Il y stocke des provisions et accepte, apparemment contre son gré, des armes qu’il ne distribuera jamais. Ce sont des fusils Gras, déjà largement dépassés, du modèle qui accompagnait Rimbaud sur une photo célèbre prise à Aden. Ici aussi, sa chambre est en enfilade de la chapelle. Lorsqu’il se lève le matin, c’est l’autel et le Christ qu’il voit. Toujours ce tête-à-tête dans la solitude. 

Comme le met en évidence sa biographie par François Sureau, la vie de l’ermite des sables réunit une somme d’échecs cuisants. Parti pour évangéliser, il ne fera que deux conversions sans lendemain. Avide de vivre en frère de tous, il ne parviendra jamais à attirer durablement un seul compagnon. Voulant protéger les populations contre les razzias des tribus nomades, il mourra lui-même à l’extérieur du fort qu’il avait construit pour protéger les autres ; avec la complicité d’un jeune homme qu’il avait soigné ; et des mains d’un inconnu, « dans son affolement », comme un peu par hasard, est-il rapporté. Quelle déchéance ! Et pourtant, la grande réussite de Charles de Foucauld, c’est précisément d’avoir tout échoué : « Mon Père, je m’abandonne à toi », dit sa célèbre prière. 

A l’extérieur du fort, un trou dans le mur, agrandi par les doigts des visiteurs venus toucher pour croire, témoigne de l’ultime instant.

Le 1er décembre 1916, il meurt en effet d’une balle dite perdue. On l’imagine à terre, prononcer ses derniers mots en tamashek : « Baghi n’mout » : « C’est l’heure de ma mort », « je vais mourir ». Personne pour l’assister dans cette scène de panique. Il sera découvert par des soldats français arrivés trop tard. Des années auparavant, il avait exprimé ce souhait étrange : « Je désire mourir violemment, douloureusement tué. » Moussa Ag Amastane, aménokal du Hoggar, c’est-à-dire chef traditionnel de la région où vivait Charles de Foucauld, écrivit dans une lettre à sa petite sœur Marie de Blic : « Charles le marabout n’est pas mort que pour vous autres seuls, il est mort aussi pour nous tous ». Ami de Charles de Foucauld, ce guerrier avait prêté allégeance à la France… Laperrine et Charles de Foucauld seront provisoirement ensevelis côte à côte. 

Un serviteur inutile

Comme un artiste en avance sur son temps, Charles de Foucauld n’assistera pas à sa reconnaissance posthume. Ignoré de son vivant, il n’a cessé depuis un siècle d’alimenter les plumes et de nourrir les vocations. A ce jour, pas moins de 10 communautés se réclament de lui, et les visiteurs affluent autour des témoignages de son passage. Le séjour de l’ermite en milieu musulman en fait d’ailleurs un précurseur et un prophète. En attendant, l’Etat algérien n’invite pas vraiment à la mission, puisque l’entrée des églises est interdite aux mineurs algériens et que les visites sont strictement séparées des offices. Au nom d’Allah ou de la laïcité ? Ni l’un ni l’autre, et c’est toute la complexité d’un pays tiraillé. D’ailleurs, parmi les écrivains franco-algériens, Kamel Daoud est interdit de vente et Boualem Sansal en prison depuis le 16 novembre, car l’un et l’autre ont eu le malheur de remuer le passé et de questionner le présent. Crime de lèse-majesté ? Visiter l’Algérie rappelle la Syrie d’Assad : des forces de l’ordre omniprésentes, un contrôle permanent de l’information et des individus, comme une angoisse de laisser vivre les hommes. Comment réconcilier avec lui-même ce pays qui vit de ses blessures ?

La présence de communautés chrétiennes au sein de la société algérienne mérite toute notre admiration et notre soutien. L’esprit de Charles de Foucauld n’est pas mort avec lui, il brille à travers les figures admirables qui perpétuent son souvenir. Il ne demande qu’un peu de liberté pour éclore, comme dans le désert les fleurs après la pluie. A la mélancolie ou la révolte des écrivains qui ont marqué l’histoire du pays, Charles de Foucauld oppose l’acceptation. « Fais de moi ce qu’il te plaira », dit sa prière d’abandon. Il ne demande que cette fameuse dernière place, celle que personne ne souhaite, histoire d’imiter le Christ, mais aussi d’établir la paix autour de lui. Il rêvait d’un destin collectif, il est mort seul et misérable. Mais seule comptait pour lui la finalité invisible et, quelques heures avant sa mort, il écrivait encore à sa cousine Marie : « Comme c’est vrai, on n’aimera jamais assez ; mais le bon Dieu, qui sait de quelle boue Il nous a pétris et qui nous aime bien plus qu’une mère peut aimer son enfant nous a dit, Lui qui ne meurt pas, qu’Il ne repousserait pas celui qui vient à lui… ». 

Le moment est venu de regagner le vieux continent. De survoler encore une fois ce désert fécond, d’entrevoir par le hublot les flots qui ont englouti l’avion de Saint-Exupéry. Grand bond trop rapide par-dessus ces deux univers mystérieux qui ont tant inspiré les hommes. Atterrissage prévu à Paris en milieu de journée. Aéroport, RER, centre-ville. Comment le vicomte de Foucauld, converti à l’Eglise Saint-Augustin, rebaptisé Charles de Jésus, peut-il parler à nos contemporains errants, assoiffés de spiritualité ? Peut-il toucher nos sociétés partagées entre la fièvre de consommation et celle de la violence ? Les Algériens aiment aujourd’hui à souligner que le premier éveil spirituel de Charles de Foucauld a eu lieu au contact de la piété des musulmans, lors de sa fameuse « Reconnaissance du Maroc ». Cette vérité, comme son rapport mystérieux à l’islam, n’ont pas fini d’alimenter nos méditations sur le sujet. On a essayé de dénaturer son ministère en affirmant qu’à la fin de sa vie il avait même abandonné sa croix. Ce choix peut effectivement choquer. Mais qui n’a pas vécu l’immersion totale en milieu musulman ne peut juger ce qui lui permettait d’approcher et de toucher au mieux la population « indigène », comme il aimait à dire avec tendresse. Quand il se voue « aux plus pauvres », il pense bien à ceux qui ne connaissent pas le Sacré Cœur. En 1902, il lui a consacré toute la mission du Sahara. 

Missionnaire d’une chrétienté en reflux, Charles de Foucauld a adapté la voile au vent qui tournait. Il a revisité pour notre époque l’idéal des Pères du désert. Personnalité rugueuse par son austérité, il reste universellement incontestable grâce à sa charité vécue. Il incarne par excellence la figure capable de réunir ces civilisations qui se choquent à présent sur nos territoires, car, dans sa radicalité, il a tout embrassé. Il a aimé sa famille et ses amis en les nourrissant de lettres régulières ; il a accompagné ses compatriotes en armes avec les sacrements ; il a chéri cette terre d’Algérie en y apprenant la langue, les codes, les gestes ; il a servi les indigènes en les accueillant, en les soignant et en offrant le témoignage de sa vie ; il a finalement aimé Jésus et Marie en cherchant à s’identifier à eux en tout. Une phrase le résume bien : « Je voudrais être assez bon pour qu’on dise : Si tel est le serviteur, comment doit être le maître ? ». Le Christ en croix qui orne le mur de son ermitage de Beni Abbès dit tout de son auteur : il regarde au loin et embrasse l’humanité de ses bras déployés.

Saint-Exupéry avait-il lu Charles de Foucauld ? Comme lui, il mourra dans l’action, prince des nuées happé par une mer en furie avec laquelle il avait tant joué. Lui aussi aimait le désert, l’aventure, la découverte, le risque, les autres… Sa fraternité s’appelait camaraderie et son amour du ciel prenait des airs d’étreinte physique, jusqu’à la chute finale en forme d’épectase. Quand l’un rédigeait des règles de vie pour des communautés imaginaires, l’autre rêvait à une terre où les hommes seraient transcendés par une ascension commune. Les deux aimaient autant le silence de la solitude que la présence de leurs frères humains. Travailleurs infatigables, ils ont pareillement ciselé leur âme à force de contraindre leurs corps. Témoins de l’au-delà, ils sont repartis comme ils souhaitaient quitter le monde : violemment, dans l’exercice de leur passion ; le premier en bataillant avec le vent et les vagues, le second à genoux, puis couché, répandant son sang sur cette terre qu’il avait tant aimée. Tous deux étaient à leur façon des chevaliers du ciel. 

Pour aller plus loin:




Une expression de l’ivresse du pouvoir

Animé des valeurs réformées, taiseux, plus proche des métiers de la terre que de ceux de l’industrie ou des services, volontaire à la tâche et tellement amoureux de ses lois, l’électeur vaudois ne présente, a priori, pas le profil entier de l’ouvrier de l’Arc jurassien, ni celui, urbain et un tantinet revendicateur, de la Cité de Calvin. Mais alors, comment est-ce que les Vaudois, modérés et toujours en quête d’harmonie ont-ils laissé s’installer une situation si déséquilibrée ?

Dès le début des années 2000, une conjoncture très favorable est la source d’une évolution démographique délirante et d’une urbanisation erratique. Soucieuses de se défaire du bonnet d’âne sanctionnant la situation catastrophique des finances publiques de la décennie précédente, les autorités vaudoises ont répondu les yeux fermés à une demande de logements dopée par une immigration massive. Elles ont ainsi surtout servi quelques illustres promoteurs immobiliers, dont on n’a pas terminé de payer les séquelles des actes. Depuis une trentaine d’années, le Canton et de nombreuses communes, galvanisés par l’illusion du développement, ont réalisé la ville à la campagne. Quel syndic n’a-t-il pas plastroné en vantant la croissance démographique de sa commune ? Cette évolution incontrôlée est marquée par l’exception de Lavaux. Terroir préservé grâce à l’agitation politique de Monsieur Franz Weber, écolo financièrement à l’aise et très intègre… voire intégriste. Il n’est pas surprenant de constater que le contexte de surchauffe économique a favorisé la croissance des partis aux couleurs rose – rouge – vert, dans une majorité des cités du Canton. Les animateurs de ces formations sont, en effet, orientés vers l’administration et la distribution des richesses, plutôt qu’à l’origine de leur création.

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Dans cette ambiance guillerette, le Conseil d’Etat, déjà sous l’influence de son administration, a envisagé, puis mis en place un véritable essorage des bourses communales. Ce processus infernal a permis de masquer les effets d’une politique inconsidérée de dépenses et de maintenir à flot, pour environ 1,5 milliards ( !) la généreuse caisse de pensions de l’Etat, forte de 40’000 « actifs ». Les appels à l’aide, puis les quelques mouvements de révolte de la part des communes ciblées par l’aspirateur cantonal ont été promptement assourdis. 

Un coup de barre à gauche

La disparition du parti libéral du paysage politique, puis l’éjection de l’UDC du gouvernement cantonal ont donné un nouveau coup de barre à gauche et ont aggravé les symptomes de l’incontinence budgétaire. L’évolution des dépenses publiques prend la forme d’une spirale hyperbolique durant la célèbre entente cordiale entre Monsieur Maillard, patriote ancré à gauche, et Monsieur Broulis, plus cosmopolite, mais tout autant à gauche. Une clientèle électorale de gauche a ainsi été fidélisée autant dans les urnes que dans les rangs de l’administration du Canton et des principales communes.

À l’exception du Chef-lieu, laboratoire paléo-marxiste caractérisé par une « Vénézualisation » chronique, l’électeur vaudois essaie parfois de soulever la chape de plomb rose-verte. Ce fut le cas en 2022, lorsqu’il éjecta une socialiste décidément trop extrême. Le nouveau gouvernement s’est constitué autour de 3 PLR servants de la liturgie de l’entente cordiale précitée et d’une Centriste, que peu avaient vu venir depuis Zoug et que tous cherchent à faire taire lorsqu’elle aborde la question fiscale. 

Au parlement, à l’exception de trois ou quatre personnalités, c’est le jeu du ni oui, ni non. On fait du petit bois des perches tendues par la Cour des comptes. Les nombreux « députés-maires » n’y portent surtout pas la voix des communes. La presse, aussi monocolore que moribonde, ne suffit malheureusement pas à donner un sens à la séparation des pouvoirs, baromètre de la santé d’une démocratie. L’étendue des dégâts peut se mesurer au nombre de journalistes qui ont rejoint les rangs de l’administration cantonale au cours des dix dernières années.

Cette situation politique bancale donne un sentiment d’ivresse triste, elle conduit même les autorités exécutives vaudoises à adopter des comportements schizophrènes. Des exemples attestent du diagnostic :

Doté d’un Office de la durabilité et du climat, comptant près de 20 collaborateurs, l’administration cantronale promeut, notamment, l’économie des ressources et l’usage de matériaux durables. Il s’agit, en particulier, d’encourager le bois et ses dérivés dans la construction. Les ministres écologistes et leur administration ont d’ailleurs profité des événements de la ZAD du Mormont pour cibler directement l’usage du béton.  Mais dans le même temps, ces mêmes autorités décident de donner un statut de réserve naturelle stricte (dans lesquelles est désormais interdite la cueillette des champignons) à 10 km2 de forêts lausannoises comptant parmi les mieux desservies et les plus productrices du Canton.

Depuis 2018, le Canton s’est doté d’une loi, appelée LPPPL, censée préserver et promouvoir le parc de logements locatifs. Aucun autre canton suisse, à l’exception de Genève, ne s’est doté d’un arsenal législatif aussi restrictif du droit de propriété ! Les propriétaires désireux de rénover leurs bâtiments doivent prendre en compte la limitation drastique de leurs revenus locatifs par l’administration dans leurs calculs de rentabilité et ils en prennent parfois pour 10 ans. Parallèlement, celui qui croit – enfin – accéder à la propriété d’un immeuble de rendement voit son contrat de vente proposé à l’autorité, qui peut décider de lui piquer l’affaire. Paradoxalement Vaud et Genève présentent des taux de pénurie de logements parmi les plus aigus du pays ! Pire, la proportion de logements à loyers modérés réellement créés par les administrations communales, depuis 2018, demeure extrêmement faible, pour ne pas écrire nulle. 

Le diktat du « tout électrique » s’impose aussi bien à la mobilité qu’à l’habitation. Il est mis en place à grands renforts de subventions par les pouvoirs publics, propriétaires des distributeurs d’électricité. L’instabilité géopolitique et la faiblesse de nos grands voisins européens fait néanmoins craindre des situations de pénurie d’électricité et devrait inciter à ne pas placer tous nos œufs dans le même panier, d’autant plus qu’une incohérente majorité refuse toujours le recours au nucléaire.   

Plus de deux ans après le « changement de majorité » au Conseil d’Etat, le pari pessimiste estimant que cette tendance schizophrène ne s’inverserait pas est en voie d’être gagné. Premièrement, parce que la croissance des effectifs de l’administration s’accélère sans changement de cap politique. Deuxièmement parce que les discours climato-anxieux n’ont pas changé. Troisièmement, le recours à l’immigration et son corollaire, le bétonnage des terrains agricoles, demeure le fil rouge de la pensée économique cantonale. Quatrièmement, l’amélioration du pouvoir d’achat des forces vives est sans cesse reportée au nom de la prétendue justice fiscale. À ce propos, est-il juste et bon que 8% des contribuables (personnes physiques) s’acquittent de la moitié des recettes cantonales sur le revenu ?

La pensée de gauche est médiatiquement présentée comme la garante du bonheur collectif ultime. Elle est souvent paraphrasée par un centre-droite vaudois, orphelin de la pensée libérale. 

La partition vaudoise, interprétée par un orchestre de petits hommes gris, guidés par un collège ivre de son pouvoir, porte gravement atteinte à la propriété, aux infrastructures privées de santé, à la mobilité individuelle, aux terrains fertiles, etc. Autant de facteurs conduisant irrémédiablement aux pénuries, donc au rationnement. L’absence de contres-pouvoirs parlementaire et médiatique ne laisse pas entrevoir un retour à la sobriété administrative et législative en terre vaudoise. 

Nicolas Daïna




Réouverture de Notre-Dame : au-delà de l’incompréhension

« Bruit littéralement inaudible, voire diabolique. » « Laideur affligeante. » « Insulte à l’Église ! » Si la réouverture de Notre-Dame, samedi 7 décembre, devait être une opération de charme pour le grand public, le verdict des réseaux sociaux a montré que l’objectif n’a pas été atteint. Pire, ce moment d’unité – déjà terni par l’absence du pape François – pourrait même avoir accentué le sentiment de déconnexion entre les attentes des chrétiens culturels et certains choix élitistes du clergé.

Parmi les incompréhensions, les improvisations à l’orgue ont occupé une place de choix. Car loin de proposer un style accessible pour s’harmoniser avec l’événement, les organistes titulaires de la cathédrale ont œuvré dans un registre de musique contemporain peu connu en dehors des églises (et pas toujours apprécié au sein même de celles-ci).

Notre réaction presque à chaud :

Des organistes un peu dans leur monde

Titulaire de la carte professionnelle des organistes de Paris, Louis Venant n’est toutefois pas surpris : « Ce style n’est pas tombé du ciel pour cette cérémonie en particulier. C’est ce que font les organistes parisiens depuis des décennies, et ils sont connus loin à la ronde pour ça. » S’il avoue un certain intérêt pour ce type d’improvisation, il reconnaît que les virtuoses de la réouverture ont peut-être parfois manqué le coche : « Ces gens sont des génies, mais ils vivent un peu dans leur monde. Du haut de leur tribune, ils ne perçoivent pas toujours ce qui se joue autour d’eux. »

Selon lui, c’est l’absence de « pédagogie » qui a pêché lors d’une cérémonie pourtant idéale pour faire découvrir l’orgue et la liturgie à un large public. Il déplore une école d’orgue française parfois « prise en otage par une élite qui tourne à vide ». Cela dit, il souligne plusieurs points positifs : la prestation des célèbres frères Capuçon au début de la cérémonie, le chant de la Maîtrise, à la fois beau et moderne, ainsi que la qualité intrinsèque des improvisations concises et maîtrisées d’Olivier Latry – à condition de mettre en sourdine la question de leur adéquation avec l’événement.

Son collègue Thomas Vodzak, également formé dans la classe de Jean-Christophe Geiser et dans la classe d’improvisation de Thomas Kientz à la Haute École de Musique Vaud-Valais-Fribourg, se montre plus enthousiaste : « Il est tout à fait normal que les organistes de Notre-Dame de Paris improvisent dans le style parisien. L’improvisation est une pratique courante dans la liturgie catholique, notamment en France. S’agissant d’une célébration catholique et d’actes liturgiques (malgré la présence des têtes de l’État et la diffusion mondiale), il me paraît logique que la musique reste fidèle à son contexte habituel. »

Un style qui fait partie de l’identité des lieux

Si le grand public a pu être dérouté par ce style pour le moins exigeant, il rappelle que ces improvisations sont familières aux paroissiens de Notre-Dame et d’autres grandes églises parisiennes comme Saint-Eustache, Sainte-Clotilde ou Saint-Sulpice. « Cette manière d’improviser fait partie de l’identité de la cathédrale », insiste-t-il.

Mais pourquoi ne pas avoir opté pour un registre un peu plus populaire ? « Les organistes titulaires de Notre-Dame sont capables d’improviser dans tous les styles et de jouer tout le répertoire d’orgue. Cependant, la pression d’être regardés par des millions de spectateurs les a peut-être poussés à choisir le style qu’ils maîtrisent le mieux. Ceux qui jugent cela inaudible se rendent-ils compte de la complexité des connaissances nécessaires à l’improvisation ? Les modes dorien et lydien, les échelles “ton-demi-ton” (mode II de Messiaen), les gammes par tons (utilisées par exemple dans le générique des «Simpsons »), acoustiques et leurs transpositions, les accords associés, le traitement des thèmes… et bien plus encore. Pensez-vous qu’un enfant de quatre ans pourrait assimiler tout cela ? »

Garder l’émotion du beau

Et si le mot-clé de toute l’affaire était « déconnexion » ? La tension entre excellence artistique et perception du public ne se limite en effet pas à la musique. Elle transparaît également dans d’autres choix esthétiques, comme celui des vêtements liturgiques. Là encore, d’aucuns n’ont pas hésité à affirmer que le travail d’un professionnel reconnu aurait pu être accompli par un enfant en bas âge. Sans aller jusque-là, la chasublière Jeanne Venant (sœur de Louis) n’épargne pas pour autant les vêtements à gros carreaux colorés imaginés par Jean-Charles de Castelbajac : « Ils ont voulu faire quelque chose d’élitiste qui est tombé à côté. Faire appel à un grand couturier devait nous montrer que, oui, l’Église est ouverte sur le monde, mais ça n’a pas touché les gens, catholiques ou non. Si on n’a pas lu ou écouté les explications du créateur, difficile, en effet, d’y comprendre grand-chose. Un peu comme si l’homme de la rue assistait à un défilé de mode sans rien connaître au domaine : il trouverait sûrement ça moche. »

Indépendante pendant une dizaine d’années, elle-même a confectionné de nombreux habits liturgiques, notamment pour la cathédrale d’Amiens. Loin de se limiter à un style purement « tradi », elle estime qu’il faut être moderne « dans le bon sens du terme », en veillant à ce que les fidèles aient envie d’assister à une cérémonie où le prêtre est élégamment vêtu : « Dans ce domaine comme dans d’autres, certaines audaces ne plaisent qu’à une élite autoréférencée. Je crois qu’il est important de préserver l’émotion du beau, pour que le sacré puisse être ressenti à travers le plaisir des sens. »

Un ornement conçu par Jeanne Venant pour la cathédrale d’Amiens



L’aluminium, ou la vie dans nos vallées

Je ne connais pas d’endroit où la plaine et la montagne soient plus étroitement liées que dans le district de Sierre dans le canton du Valais. Non seulement suffit-il d’une vingtaine de minutes pour passer de l’autoroute du Rhône au départ des télécabines de Crans-Montana. Mais surtout, que l’on descende les pistes de ski ou que l’on randonne à raquettes, il est difficile, de ces hauteurs alpestres, de ne pas apercevoir une immense usine d’aluminium qui s’étale à la sortie de la ville de Sierre. Et pour ma part, je suis très attaché à la vue sur cette usine, qui rappelle que les habitants des Alpes ont aussi voulu être autre chose que des portiers d’hôtel et qu’ils ont cru, que, comme tout un chacun, ils avaient le droit de vivre de ce qu’ils produisaient. Et ceci a été possible grâce à la rencontre de l’aluminium et d’un torrent de montagne.

Au point de départ de toute réflexion sur l’économie, il y a cette forte pensée, que je ne cesse de rappeler, de la prophétesse Verte Sandrine Rousseau, élue à l’Assemblée nationale française le 22 juin 2022 par 20’634 ennemis du courant électrique : « Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR » (Charlie Hebdo, 27 août 2021. NDLR Les EPR sont un type de réacteurs nucléaires). J’espère qu’elle a poussé sa logique jusqu’au bout et qu’elle a résilié son abonnement à Electricité de France. (Quant aux sorts, je doute qu’elle se soit donné la peine de lire Éliphas Lévi.) Bien entendu, il est facile de tenir ce genre de discours quand, comme elle, on représente Paris, enrichi depuis des siècles par l’exploitation des provinces françaises. En revanche, il est impossible de croire à ce genre de fadaises quand on habite en Valais et que l’on sait que, sans l’électricité, il n’y aurait plus de vie depuis longtemps. 

Car s’il n’y avait pas eu des hommes, au XIXe siècle, pour s’intéresser à l’électricité, les hommes et les femmes des vallées alpines seraient restés une des populations les plus pauvres d’Europe, condamnée au crétinisme, au goître et à la misère. Pour commencer à sortir du sous-développement, il a fallu qu’arrivent le chemin de fer (arrivé à Brigue dès 1878), l’électricité et la découverte de l’aluminium. Commençons par le léger métal.

« Les crétin du Valais » dessinés par le peintre Wolfgang Adam Töpffer (1766–1847).

Il est probable que nous ayons quitté, au XXe siècle, l’âge du fer pour entrer dans l’âge de l’aluminium. Ce si léger métal est devenu omniprésent dans nos vies, des cadres de fenêtres aux carrosseries pour automobiles. L’objet emblématique de notre civilisation, la canette de Coca-Cola, n’est-il pas fabriqué en aluminium ?

Rappelons ses caractéristiques : point de fusion à 660,3 degrés Celsius ; point d’ébullition à 2’467 degrés Celsius ; densité de 2,698 g/cm(le fer est à 7,874 g/cm3). En plus d’être exceptionnellement léger, l’aluminium est résistant à la corrosion (cf. Green, p. 194). Bref, un métal fait pour l’industrie. Pourtant, l’aluminium est loin d’avoir le passé glorieux de métaux comme le cuivre, le fer, l’or ou l’argent. C’est un nouveau venu. Il représente 8,1% de la croûte terrestre (cf. Green, p. 92), mais il est extrêmement difficile à isoler des minerais. Il a fallu attendre 1808 pour que Humphry Davy l’identifie, et 1827 pour que Friedrich Wöhler l’isole (cf. Green, p. 110). À l’échelle de l’Histoire, c’est très récent. Mais l’utilisation industrielle de l’aluminium est encore plus récente.

Un métal précieux

En 1854, le chimiste français Henri Sainte-Claire Deville parvient à mettre au point un procédé de production de l’aluminium par réaction d’un minerai, l’alumine, avec le sodium. Les premiers lingots d’aluminium obtenus par ce procédé seront montrés au public lors de l’Exposition universelle de Paris en 1855. Le procédé était coûteux, et faisait de l’aluminium un métal précieux, dont l’utilisation était réservée à l’horlogerie, à l’orfèvrerie et à la fabrication d’objets liturgiques. La légende veut que, lors d’un banquet, Napoléon III ait eu des couverts en aluminium, tandis que les autres convives devaient se contenter de couverts… en argent (cf. La Souchère, page 60). En vrai savant, Sainte-Claire Deville avait prédit que l’aluminium deviendrait un métal usuel et que d’autres iraient donc au-delà de sa découverte.

Tout ceci allait changer grâce à deux hommes dont l’extraordinaire destinée serait de nature à nous rendre confiance dans la divine Providence. Et ici, le vrai n’est pas vraisemblable. Soit deux hommes nés la même année (1863) et mort la même année (1914), sur deux continents différents, ayant tous deux lu le traité de Sainte-Claire Deville sur l’aluminium, et ayant tous deux, la même année, sans aucune concertation, mis au point un procédé qui allait créer une nouvelle industrie, et, dans une certaine mesure, une nouvelle civilisation. J’ai nommé les deux Dioscures de l’aluminium, l’Américain Charles Martin Hall et le Français Paul Héroult. Dans un bel effort de justice, la postérité a donné le nom de procédé Hall-Héroult à l’électrolyse de l’aluminium.

Or donc, en 1886, Hall et Héroult, chacun de leur côté, découvrirent que l’alumine était soluble dans un bain de cryolithe, un sel fluoré fondu à un peu plus de 1’000 degrés Celsius, ce qui permettait l’électrolyse. Ce procédé allait devenir l’exemple classique de l’électrolyse : le courant de la dynamo entrait par l’anode de charbon et sortait par la cathode de fer (cf. Boll, p. 35). « Lors du passage du courant, l’aluminium liquide obtenu à la cathode se déposait au fond des cuves, où il était régulièrement siphonné, avant d’être dégazé et traité pour être solidifié et conditionné en fils, plaques ou lingots » (La Souchère, p. 61). Bien entendu, l’électrolyse supposait une production d’électricité, c’est-à-dire, pour parler comme Rousseau (Sandrine, pas Jean-Jacques), « des hommes qui construisent des EPR »… ou plutôt des conduites forcées. Or, en 1827, le Français Benoît Fourneyron avait donné à la turbine électrique sa forme moderne, et il y avait depuis les années 1870 des réalisations d’envergure dans le domaine des conduites forcées (cf. La Souchère, p. 132). L’ère de la houille blanche allait commencer, et des régions délaissées allaient devenir le théâtre d’aventures industrielles inattendues : vallée de la Romanche dans l’Isère, ou région de Sierre en Valais.

Les compétences scientifiques de Héroult s’unirent au sens des affaires des Suisses Gustave Naville, Georg Neher, Peter Emil Huber, qui furent les premiers, en Europe, à croire à l’avenir de cette industrie. Les quatre associés suisses et français fondèrent en 1888 à Zurich l’Aluminium Industrie Aktien Gesellschaft (AIAG), qui construisit la même année la première usine d’aluminium à Neuhausen am Rheinfall, dans le canton de Schaffhouse, à proximité d’importantes chutes d’eau ; elle restera en service jusqu’en 1944.

Quelques années plus tard, l’AIAG s’intéressera au canton le plus pauvre de Suisse, le Valais : main d’œuvre bon marché et abondance de houille blanche. En 1905, la société achète la concession des eaux de la Navizance, rivière qui parcourt le val d’Anniviers : elle prend sa source dans le glacier de Zinal à 2’100 mètres d’altitude, et se jette dans le Rhône à Chippis, 23 kilomètres plus loin, et 1’578 mètres plus bas. La centrale électrique est mise en service en 1908, en même temps que l’usine de Chippis, à l’entrée de Sierre. 

Chippis, en 1955. Photo aérienne historique de Werner Friedli (ETH-Bibliothek).

C’est une véritable révolution économique, sociologique et géographique. Avant 1850, les montagnes des Alpes n’avaient strictement aucune utilité économique. Les populations étaient condamnées à une économie agropastorale à la limite de la survie. Et voici qu’en quelques décennies, grâce à ce progrès technique et scientifique tant vilipendé aujourd’hui, la montagne devient une source de prospérité. Pas uniquement par le tourisme. Mais d’abord parce que ses pentes facilitent la production d’électricité. Comme le chemin de fer a réduit les distances et permet d’acheminer les minerais vers les lieux de production, on peut installer au pied des montagnes les industries les plus gourmandes en électricité : la production d’aluminium en premier lieu. 

Un canton particulièrement pauvre et sous-développé va devenir en quelques années une terre d’élection de l’industrie lourde, pourvu d’une usine qui, dès 1908, fournissait à elle seule 5% de la production mondiale d’aluminium (cf. Valais économique, p. 77).  La part de la population active valaisanne occupée dans l’industrie bondit de 12,7% en 1888 à 24,2% en 1910 (cf. Clavien, p. 601). En 1920, 25 à 30% de la population du district de Sierre travaillait dans l’aluminium. L’industrie apporte des revenus réguliers à une population qui vivait jusque-là dans une extrême précarité. La prolétarisation et les luttes sociales existent, mais sont limitées par le maintien, pendant encore plusieurs décennies, du modèle de l’ouvrier-paysan qui conserve une activité agricole tout en travaillant à l’usine. Un propriétaire, même un tout petit propriétaire, est-il réellement un prolétaire ?

La production d’aluminium a connu des hauts et des bas, et les effectifs employés ne sont plus ceux des grandes années, mais l’usine d’aluminium de Sierre est toujours là, avec 750 employés en 2015 (cf. Valais économique, p. 81). Elle est visible de toutes les hauteurs de la région. Tant qu’elle sera là, la vie continuera.

Le Valais est toujours le canton le plus pauvre de Suisse, ou à peu de choses près, mais cette pauvreté est à relativiser dans un contexte où le négoce de matières premières fait exploser les statiques en faveur de Genève et de Zoug. En réalité, avec un PIB cantonal par habitant de 56’710 francs par habitant en 2022, c’est-à-dire USD 57’556.- par habitant au cours moyen de décembre 2022, le Valais aurait été le onzième pays le plus riche du monde, derrière l’Australie et devant les Pays-Bas. Les anciens riches, eux, se traînaient à USD 45’850.- par habitant (Royaume-Uni) ou USD 40’964.- par habitant (France). Les montagnards pauvres produisent tout de même 40% de richesses en plus que la moyenne française. Et l’industrie lourde représentait toujours, en 2022, 11,4% du PIB cantonal. Et l’on a appris avec stupéfaction, le 24 juillet 2024, que l’arrêt de l’usine d’aluminium de Sierre suite à des inondations entraînerait un manque à gagner d’un milliard d’euros pour le constructeur allemand Porsche.

C’est ainsi qu’un canton qui était considéré comme particulièrement défavorisé par la nature est passé de 81’559 habitants au premier recensement fédéral, en 1850, à 272’399 habitants au dernier recensement fédéral, en 2000. À titre de comparaison, le département français des Hautes-Alpes, région alpine d’une superficie comparable, qui  a connu le développement touristique, mais pas l’industrialisation, est passé de 132’038 habitants au recensement de 1851 à 121’419 habitants au recensement de 1999. 

Parce qu’un jeune Normand nommé Héroult a un jour lu le livre où Sainte-Claire Deville rêvait d’un destin glorieux pour l’aluminium, une région entière des Alpes suisses a échappé à la pauvreté et au dépeuplement. L’Europe s’est prise de haine pour l’industrie ; il est pourtant facile de savoir où elle en serait si elle n’avait pas connu l’industrialisation.

L’expérience m’incite donc à préférer les hommes et les femmes qui construisent des centrales électriques aux jeteurs de sorts, et à tous ceux qui ont décidé de définitivement éteindre les Lumières.

Sources :

Marcel Boll, La chimie au laboratoire & à l’usine, dans la nature & dans la vie, Larousse, Paris 1935, 298 pages.
Alain Clavien, « La modernisation du Valais », in Histoire du Valais, tome 3, pp. 581-636, Société d’Histoire du Valais romand, 2002.
Dan Green, traduit de l’anglais et adapté par Antonia Leibovici, Éléments chimiques minute, Éditions Contre-Dires, Paris 2017
Marie-Christine de La Souchère, Histoire de l’électricité, 2e édition, Ellipses, Paris 2023, 288 pages.
Valais économique d’hier et d’aujourd’hui, Éditions « Valais Valeur Ajoutée », Sion 2015, 391 pages.