Après l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade, quoi ?

Néanmoins, le fait que « nous n’avons rien connu de tel de notre vivant », comme l’admet un homme politique américain,
devrait nous alerter. Si, après 50 ans de jurisprudence, la question du contrôle de l’avortement a ressurgi avec tant de force,
c’est que sa pratique n’est pas anodine. Elle remet brusquement sur le tapis plusieurs questions qui dépassent le cadre des
convictions individuelles.

Quand un embryon devient-il un être humain ?

Pour certains, il commence par n’être qu’un amas « anonyme » de cellules. Si c’est le cas, à quel stade de son développement
peut-on le considérer comme une personne ? À partir des premiers battements du cœur ? Quand la médecine le considère
viable ? Il est pratiquement impossible de répondre à cette question parce qu’elle suppose, comme le dualisme grec, une
séparation entre matière et esprit. C’est ce qu’illustrent les différentes lois sur les délais.

En juillet 2020, Curtis est né en Alabama à 21 semaines de grossesse. Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où l’avortement est
possible respectivement jusqu’à la 22 e et la 24 e semaine, ses parents auraient pu décider qu’il n’était pas désiré et obtenir un
avortement. Par contre, une telle démarche leur aurait été impossible en Suisse où la loi, sauf exceptions, place la limite à 12
semaines.

Face à l’impossibilité de déterminer quand un embryon devient une personne, il est plus simple d’admettre que les êtres
humains conçoivent et donnent naissance à d’autres êtres humains. Cela implique que, dès sa conception, l’embryon est un
corps en devenir doté d’esprit et un esprit habitant ce corps en devenir. Ce fait ne dépend ni de son développement ni de
l’attachement plus ou moins fort que sa mère et son père éprouvent pour lui mais de sa condition humaine.

Dès sa conception, l’embryon est un corps en devenir doté d’esprit et un esprit habitant ce corps en devenir. Ce fait ne dépend ni de son développement ni de l’attachement plus ou moins fort que sa mère et son père éprouvent pour lui mais de sa condition humaine.

Quel est le rôle de la loi dans nos sociétés ?

Son but premier est de préserver la vie humaine. Mais qu’est-ce qu’être humain ? Est-ce une qualité partagée par tous ? Les
femmes, les esclaves, les gens d’une autre couleur ou d’une autre religion, les enfants et en particulier les enfants à naître
sont-ils tous, au même degré, humains ? Les avis ont beaucoup varié dans le passé et ils diffèrent aujourd’hui encore. Mais
dans les sociétés qui ont bénéficié de l’éclairage biblique, l’idée que les humains portent en eux l’image de Dieu les a
radicalement transformées. La polygamie a disparu. L’esclavage aussi. L’éducation des filles est devenue possible. Et, depuis
peu, certains pays européens condamnent les relations sexuelles non consenties. C’est dans ce contexte de reconnaissance de
la dignité de tout être humain que se repose la question de la protection de l’embryon.

Comment évoluent les cultures ?

Elles changent en fonction de ce que leurs membres croient à propos de Dieu, d’eux-mêmes, des autres et de la nature. Elles
peuvent évoluer vers une meilleure protection de la vie ou retourner à la barbarie. Abandonner l’idée que l’être humain est
« image de Dieu » rend toutes les dérives autoritaires possibles et amplifie les inégalités sociales. En d’autres termes, nos
cultures sont plus ou moins saines et peuvent, dans certains domaines, faire fausse route. Cette observation vaut pour notre
conception de la sexualité.

Comment repenser la sexualité ?

Cette question est liée à celle de l’avortement. Making Love Makes Babies ! avertissait une affiche. Elle rappelait qu’une
relation intime engage notre responsabilité. Le Make Love, not War de la contre-culture américaine des années 60-70 a tourné
en dérision la pruderie d’une génération jugée autoritaire et martiale. Il a aussi contribué à répandre l’idée que la sexualité
était naturelle et bonne (ce qu’elle est), et pouvait être vécue comme un loisir sans conséquence (ce qu’elle n’est pas).
Cinquante ans plus tard, le mouvement #MeToo nous a fait savoir que le jeu était trop inégal et qu’il fallait siffler la fin de la
partie.

Si, suite à la décision de la Cour suprême, certains États américains réduisent les délais dans lesquels l’avortement est
possible, il y a peu de chance que le pays, comme le suggérait Margaret Atwood de manière dramatique, revienne aux procès
en sorcellerie du XVIIe siècle. Plutôt que de voir dans l’idée de limiter les possibilités d’avorter un mal absolu, il serait sans
doute préférable de proposer une réflexion renouvelée sur la sexualité. C’est en effet une réalité morale et spirituelle
qu’hommes et femmes doivent approcher à la lumière du fait qu’ils sont, les uns et les autres, « images de Dieu ». Se
reconnaître mutuellement cette dignité épargnerait sans doute à bien des couples les tourments d’un avortement.

Christian Bibollet – membre de la Paroisse de la Rive droite – Genève
*Rubrique Opinion, LT, 3.6.2022




Jusqu’à quand va-t-on nous tondre?

Quel conservatisme! Elle est aussi un peu beauf parce qu’il lui arrive de regretter une période où l’on pouvait fumer des cigarettes à la chaîne, écouter du rock sans évaluer le politiquement correct des paroles, et rouler sans casque à moto. Cette classe est la mienne, la classe moyenne – même si je n’ai jamais touché un véhicule à deux roues.

Parce que nous ne vivons pas dans une «bulle protégée», dixit le conseiller aux États zurichois Ruedi Noser (PLR), les élites politiques ne se précipitent pas tellement pour la soutenir, cette classe sociale. Qu’elle paie son essence à des prix totalement indécents n’y changera rien, d’ailleurs: l’État ne peut arroser tout le monde, vous comprenez… Oui on comprend bien, et ce n’est d’ailleurs pas ce qu’on lui demande. En réalité, on aimerait simplement que, à l’instar de certains pays voisins, nos bons maîtres cessent de nous tondre quelques instants, via une diminution des taxes sur les carburants, par exemple.

Il est vrai qu’on ne peut mettre la transition écologique en stand-by. Il est vrai peut-être aussi que la stabilité de notre modèle vacillerait si l’on innovait en ne renvoyant plus les gens du commun vers les joies du «M-Budget» et du «Prix Garantie». Il y a déjà tellement de causes subalternes à soutenir, où irait-on si on faisait un geste fort pour la majorité de la population?

Une fois de plus, ma classe sociale est certainement disposée à faire l’effort. Mais de grâce, tant qu’à nous laisser nous appauvrir, au moins qu’on cesse de nous expliquer qu’il faut renoncer à manger de la viande matin, midi et soir pour soigner nos économies, comme a pu le faire Guy Parmelin dans les colonnes de Blick. On veut bien admettre que l’on n’intéresse plus grand monde, mais de là à supporter qu’un ministre de l’Économie nous apprenne à gérer les nôtres, d’économies, il va falloir nous initier assez largement à la méditation transcendantale. Et sûr que ça plomberait encore un peu plus les finances
publiques.




Un chiffre qui compte

En cause, un sondage à propos d’animaux domestiques qui vaut son pesant de Whiskas. Signe que l’archaïsme demeure et qu’une bonne grève des femmes n’est jamais perdue, l’article révèle en effet que 81% des dames interrogées estiment en faire davantage que leur conjoint pour leurs bêbêtes. Horreur! Peste noire! Et de citer les douleurs de la maîtresse de Pako, dont monsieur ne s’occupe qu’après s’être fait enguirlander. Une véritable «charge mentale», déplore le quotidien français. Comment ne pas s’émouvoir également de cette maman « larguée par la situation » car son mari, égoïstement, a décidé de se consacrer à l’entretien du jardin et de la maison, tandis qu’elle-même doit gérer un toutou en mauvaise santé… «Clairement préoccupant», on vous a dit, et on espère bien qu’un collectif en non-mixité choisie sera rapidement mis en place pour permettre de combler le vide juridique que reflètent ces inégalités.




Doit-on continuer à engraisser la RTS?

NON, selon Alec Von Barnekow

«Je trouve cette initiative très intéressante, parce qu’elle replace le consommateur au cœur du débat», entonne Alec von Barnekow, président des JLR fribourgeois. Sans parler au nom de son parti, ce dernier n’ayant pas encore pris position, le jeune libéral-radical se dit favorable à une «meilleure considération des habitudes de consommation de la population, d’autant plus qu’elles ont énormément évolué ces dernières années, en particulier chez les jeunes». Dans un tel contexte, ajoute-t-il, la redevance «doit être repensée pour définir plus précisément à quoi elle doit servir. Il ne s’agit pas, par exemple, de démanteler toutes les télévisions ou radios locales, qui peuvent avoir besoin pour survivre d’un certain soutien financier, et auxquelles les consommateurs sont attachés. Mais il n’est pas juste de maintenir un système dans lequel tout le monde doit payer cher – la redevance audiovisuelle suisse est plus élevée que celles de tous les pays voisins – pour un service qu’il ne souhaite pas forcément consommer.»

Selon le Fribourgeois, la baisse de la redevance à 200 francs proposée par l’initiative SSR apporterait des solutions à ce problème, tout en respectant l’attachement des Suisses aux médias de service public clairement exprimé en 2018 lors du rejet de l’initiative No Billag. Interrogé sur l’argumentaire très libéral des initiants, qui militent pour «plus de marché, moins d’état» et affirment que «seule une concurrence conforme aux lois du marché entre les producteurs médiatiques [serait apte à garantir] une démocratie vivante et performante», le jeune politicien acquiesce: «Les médias forment un marché dans lequel il est normal que s’applique une forme de concurrence». Et le jeune libéral-radical de conclure sur une note optimiste et habilement flatteuse: «En tant que partisan du modèle capitaliste, je crois qu’il existe un fort potentiel d’innovation dans un marché où est mise en œuvre une saine concurrence, c’est-à-dire où il n’y a pas seulement deux ou trois acteurs. La nécessité de satisfaire les consommateurs pousse à créer de nouvelles alternatives. Le Peuple, du reste, est un bon exemple de cette créativité, de cette volonté de proposer des offres nouvelles.»

OUI, selon Antoine Bernhard

Discuter du prix sans doute trop élevé de la redevance, se demander si elle n’est pas mal utilisée ou si les médias de service public font bien leur travail, ce sont certes des discussions pertinentes. Elles n’en demeurent pas moins anecdotiques au regard de l’enjeu majeur du débat dont il est question. Car le parti pris des porteurs de l’initiative «200 francs ça suffit» est résolument libéral: «Plus de marché, moins d’état» lit-on sur leur site. Privatisation, concurrence, indexation de la politique publique sur les habitudes de consommation, tout est là. Une question fondamentale est alors posée: souhaitons-nous libéraliser de plus en plus nos médias de service public ou non? Pour les initiants, la réponse semble évidente: seule une telle libéralisation garantirait une «démocratie vivante et performante». A titre personnel, je ne peux pas adhérer aux dogmes libéraux qui sous-tendent une telle position.

Une question de principe tout simplement: pourquoi les habitudes de consommation individuelles devraient-elles être la boussole de nos actions politiques? Il y a, je crois, dans la notion même de «service public» l’idée d’un espace qui doit échapper au marché, à la consommation et aux fluctuations des modes. Les acteurs privés, contrairement à l’état, ne sont pas soumis à ce même impératif. La concurrence leur impose de poursuivre d’autres objectifs, d’être prêts à sacrifier sur l’autel de leurs intérêts propres et du profit bien des valeurs morales comme la défense du pluralisme ou de la démocratie libérale, pourtant chère aux initiants. On ne doit jamais perdre de vue la question du bien commun. Il serait dangereux de confier complètement aux lois du marché la gestion de l’intégralité des médias. Une partie, au moins, doit en être préservée, afin de garantir certains services particuliers. Certes, l’initiative dont il est question aujourd’hui est très édulcorée, bien loin de la radicalité de sa prédécesseure No Billag. Dans le principe cependant, elle relève de la même volonté: démanteler progressivement les services publics au profit d’une logique de marché qui, à court terme, réglera peut-être le problème d’une politisation excessive de la SSR, mais en apportera bien d’autres par la suite.




« J’aime la guerre… des idées ! »

Marie-Hélène Miauton, vous venez de quitter la présidence du Conseil d’administration de votre institut MIS Trend. Comment vous sentez-vous?

Je me sens très bien! Il était temps de tourner cette page et de choisir un président plus jeune (ndlr François Huguenet, directeur de l’agence FTC Communication et ancien Conseiller communal lausannois Vert).

Votre successeur a une autre sensibilité politique que vous…

Oui, et c’est un excellent communicateur, même si je crois avoir aussi fait du bon travail dans ce domaine. Toute l’équipe va très bien s’en sortir sans moi, je ne me fais aucun souci.

Est-ce que ce pas de retrait signifie que l’on va moins vous entendre dans les débats de société?

On ne m’entendait déjà plus à propos de MIS Trend depuis que j’en avais quitté la direction opérationnelle, il y a 11 ans. Dans le fond, je crois que cette nouvelle donne ne va rien changer. Ce sont mes chroniques qui font parfois réagir les médias, de même que mes livres.

Votre actualité ne signifie donc pas que vous souhaitez une plus grande paix…

Ah non, j’aime la guerre ! Mais la guerre des idées bien sûr, pas celle qui brise des vies. Je crois que si on la mène avec ouverture, avec humour, en respectant le débat, en acceptant la contradiction, en ne condamnant personne pour ses opinions, alors les vraies guerres n’auraient pas lieu.

Vous avez le sentiment que cette hauteur de vue se perd dans notre société?

C’est malheureusement de plus en plus flagrant. La France et les États-Unis sont en avance sur nous de ce point de vue, mais ça nous menace. Enfin, tant que vous et moi nous pouvons nous exprimer sur la place publique, c’est que notre situation n’est encore pas désespérée.

On est entré dans une ère de la diabolisation?

Oui, toutes les idées n’ont malheureusement plus le droit de cité. Moi je pense qu’on ne peut évidemment pas accepter certains actes illégaux, de même que les attaques visant des personnes, mais toutes les idées oui. Je suis pour la liberté d’expression.

Mais comment expliquez-vous que vous ayez pu être si médiatique en incarnant une sensibilité, libérale-conservatrice, que vous jugez si malmenée?

Mais parce qu’il y a encore énormément de gens qui veulent entendre une voix comme la mienne! Nous sommes peut-être de moins en moins nombreux à exprimer des opinions de droite, mais cela ne signifie pas que nous soyons de moins en moins nombreux à les partager. J’imagine donc, et j’espère, que ma durabilité dans Le Temps correspond à la demande d’un lectorat.

Un domaine où cette offensive de la pensée unique est forte, c’est l’université. C’est votre grande inquiétude?

Oui mais ce n’est pas que l’université: ce sont les médias et les métiers du verbe en général. C’est l’instruction aussi. En fait, tout ce qui devrait être formateur est devenu formaté. Je le vois avec les programmes scolaires, la façon dont une forme d’endoctrinement se glisse un peu partout. L’histoire s’y prête évidemment très bien, la littérature aussi, mais le conditionnement alimentaire en fait également partie.

Pourquoi la droite a-t-elle perdu la bataille des idées, d’après vous?

Parce qu’elle a quitté les métiers du verbe, tout simplement. Si on avait une représentation équilibrée de la pensée de gauche et de droite dans les médias ou à l’université, le monde irait beaucoup mieux. C’est tout de même un monde que l’on constate en Suisse une relative majorité de droite dans les élections, mais que l’on soit intégralement menés par des idées de gauche.

A votre âge, pensez-vous être encore à même de comprendre ce qui préoccupe cette génération «woke», qui a la vingtaine?

Oui parce qu’il n’y a pas que ces jeunes-là dans notre société. Je crois même qu’ils sont une infime minorité, ce qui rend d’autant plus choquant qu’on ne parle que d’eux. Vous savez, j’ai des enfants, des petits-enfants, je connais leurs amis. Je ne suis pas coupée du monde au point de penser que toute la jeunesse est «woke». Les sondages d’ailleurs le prouvent.

Une autre de vos inquiétudes, c’est l’islam politique…

Oui. On a la chance, vous et moi, d’être nés dans une civilisation prodigieuse, et je ne veux certainement pas la voir s’affadir ou disparaître.

Mais s’affadit-elle réellement sous les coups de boutoir de cette communauté-là ? Ne reprochez-vous pas aux musulmans de ne pas être aussi morts que nous spirituellement?

Une bonne part de l’attractivité de la religion musulmane tient à notre propre désert spirituel, en effet. Je ne leur reproche donc certainement pas leur ferveur. J’aimerais que nos églises soient aussi pleines que leurs mosquées. Ce que je leur reproche, ce sont des principes, un art de vivre et une culture tellement différente de la nôtre qu’ils la détruiront. Je précise que je parle ici d’un islam intégriste tel qu’il est porté par les pays du Golfe.
Le fait d’avoir vécu ma petite enfance dans un pays musulman, le Maroc, me donne un regard très bienveillant sur une femme musulmane, avec sa foi sincère et non-envahissante, des enfants perdus dans ses jupons. J’ai vécu parmi ces gens et on ne peut pas m’accuser d’islamophobie. Mais l’islam politique nous a déclaré une forme de guerre et nous sommes en devoir de se battre pour nos valeurs.

C’est pesant, parfois, pour vous, d’être enfermée dans une image de femme de combat?

Il faut faire une différence entre la femme publique et privée. Qui je suis, réellement en tant que personne, peu de gens le savent. Beaucoup me disent qu’ils m’ont réellement découverte à travers le livre que j’ai sorti ce printemps après avoir marché sur la Via Francigena. Ils y ont découvert une sensibilité, des préoccupations, mon amour de la nature… Je suis très attachée à la pudeur et à l’intimité, vous savez.

Marie-Hélène Miauton, Chemins obliques, Editions de l’Aire, mars 2022




La grande régression du Disneyland de l’intimité

«Vous n’avez pas vu? Vous venez de passer sous une vulve géante!» Boomeuse, selon ses propres termes, mais toujours au fait des dernières luttes intersectionnelles, cette sympathique bénévole du festival «Viva la vulva» distribue des prospectus à l’entrée des Bains des Pâquis, ce vendredi de la mi-juin. Des familles avec enfants, des amateurs de nudisme ou des jeunes défilent devant elle, tantôt pour aller profiter du soleil, tantôt pour aller s’initier à la grande célébration des sexes féminins, parfois un peu des deux.

Car c’est un programme peu banal qui débute dans cette institution genevoise. Un programme, à vrai dire, qui a de quoi bousculer les certitudes d’un journaliste fraîchement débarqué de ses campagnes. Destiné à un public large, mais constitué de personnes «désireuses-x et amis-es-x des vulves», selon la documentation officielle, le festival conjugue le fun, le médical et le militantisme pour mettre le doigt sur tous les aspects sensibles de la sexualité féminine. Enfin, «dite féminine», selon une banderole à l’entrée, tant l’on comprendra bien vite que nos vieux cours d’éducation sexuelle ne sont désormais plus guère à la page. De fait, la question de la sexualité, si elle est récurrente (avec notamment un «café sexo» ouvert aux enfants dès trois ans), ne plane pas pour autant sur tous les sujets traités. Entre cabines, expositions ou ateliers, des surprises sont aussi au rendez-vous.

Quid d’un festival de la b…?

Dans un coin bibliothèque, un ouvrage se penche par exemple sur la gestion différenciée des pleurs de bambins en fonction de leur genre, prélude à une vie de discrimination pour les filles. Ailleurs, c’est la classification des sexes anatomiques qui est sous le feu des critiques – trop binaire, là encore – via des banderoles apposées sur du matériel de musculation urbaine: «C’est un peu la mauvaise surprise du festival», se lamentent quelques jeunes hommes parfaitement cisgenres, réduits à faire des pompes par terre pour gonfler leurs pectoraux. Un festival de la vulve, ils n’ont rien contre, cela dit, «mais moi je suis pour l’égalité, alors à quand un festival de la b…», lâche l’un d’eux en rigolant. Pas du tout amusée, une jeune femme au look assez radical rétorque, plutôt renfrognée: «C’est déjà tous les jours, le festival du pénis!» Elle poursuit son chemin, sa vérité étant sans doute trop définitive pour mériter la discussion.

L’ambiance, néanmoins, se révèle globalement très agréable, à condition de ne pas être chatouilleux sur le français overinclusif: à l’image, par exemple, de cette invitation à se montrer «attenti.f.ve.x» au moment de pénétrer dans Vulvita, une cabine transformée en «berceau de création, de nettoyage et de renaissance» grâce au travail de deux artistes. A condition, également, de ne pas être allergique au new age, comme dans cet atelier sur le «féminin sacré», espace «vulvico-spirituel» à découvrir en toute sororité.
«Bien sûr, il y a des trucs qui vont très loin, mais c’est super fun et ici, ça ne choque personne», philosophe Damien, employé des Bains des Pâquis. S’il admet que des collègues ont pu être choqués par ce «Disneyland de la ch…», avec son omniprésence de sexes féminins en plein air, lui ne voit rien de problématique dans cet événement soutenu, entres autres, par les Hôpitaux Universitaires, l’Université et, bien évidemment, la Ville de Genève.

Reste cette interrogation: si le sexe féminin est si censuré, comment expliquer que ces subventions s’engouffrent si joyeusement pour assurer sa présence géante dans l’espace public? N’est-ce pas que, loin de «briser des tabous», cette sexualité de rue fait office de triomphe revanchard sur une oppression bien moribonde? N’est-ce pas enfin que, à tout transformer en objet de lutte, nous risquons de nous soumettre à un nouveau catéchisme, autrement plus étouffant que l’ancien?




Un Amit pour la vie

Prenez l’un de ces repas de fête où un convive un peu éméché, pas forcément le bonhomme le plus malin de la tablée, dirait: «De toute façon, dans ces universités, il n’y a bientôt plus que les gauchistes qui ont le droit de s’exprimer!» Ce serait très bête et très caricatural, n’est-ce pas? Eh bien c’est pourtant ce que nous assène, certes en des mots plus choisis, le chef de la police politique de nos camarades de Blick, j’ai nommé le sémillant Amit Juillard. Pour notre confrère, les choses sont simples: «l’université doit être un lieu de savoir et de connaissance, pas un lieu de désinformation et d’idéologie conservatrice.»

Et de célébrer, dans un billet virevoltant, les actions d’intimidation menées sur des conférenciers invités à l’université. Il faut dire qu’à ses yeux, ces auteurs auraient la grande tare d’être «transphobes», ce qui n’est assurément pas bien, même si leurs travaux dénoncent surtout les ravages d’interventions médicales trop précoces. Plus inquiétant encore, les premières victimes de censures à l’UNIGE, Caroline Eliacheff et Céline Masson, pourraient même être proches de « milieux bigots ultra-cathos qui prient en latin.» Qu’on les interne, vite! Notre ami Amit, néanmoins, n’est pas contre le débat: tout juste décrète-t-il que ce dernier «ne peut avoir lieu que si on écoute les spécialistes, si on lit des études sérieuses et si on convoque les personnes directement concernées.» Autant dire, entre gens bien. Des gens comme lui. Des gens autour desquels il se sentirait volontiers de tracer les limites de la fréquentabilité. Sommes-nous conservateurs, au Peuple? Nous croyons surtout que nous sommes restés punks. Car l’autorité, cette même autorité qui nous agaçait à 15 ans, est aujourd’hui du côté de tous ceux qui justifient leur refus de la liberté d’expression par un sentiment de persécution fantasmé. Peu importe la cause, que des journalistes célèbrent la censure est un pas décisif vers la destruction de l’intelligence et de la démocratie.




Le cri du cœur de la quinzaine

Et elle l’a fait savoir sur Twitter: «Je suis en télétravail et une souffleuse est tellement forte que je n’arrive pas à me concentrer. A quand l’interdiction des souffleuses de feuilles à Lausanne? Merci». Contactée, l’écologiste et réalisatrice n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il aurait été pourtant intéressant d’avoir son point de vue sur l’éventualité d’interdire tout ce qui lui déplaît et si elle allait transmettre le dossier à un collègue de parti. Ou tout simplement s’il n’était pas plus simple, et plus écologique, de fermer sa fenêtre.




Après la crise, l’épuration

C’est le genre de reportages que l’on aimerait écrire à la manière d’une plongée dans un tripot clandestin de l’ère de la prohibition, au milieu des volutes de cigares, avec des mines patibulaires de mafieux dans tous les coins. Pourtant, c’est à un rendez-vous très relax dans un caveau d’une grande ville vaudoise que nous nous rendons, ce jour-là, une belle bouteille de chardonnay italien bien fraîche sur la table. Notre hôte, du reste, n’a pas grand-chose à cacher. Oui, il a fait usage de vrais-faux pass Covid, français et suisse, obtenus sans passage par la case piqûre, moyennant quelques centaines de francs. Un peu par défiance envers le climat d’infantilisation générale, un peu à cause de doutes autour des bénéfices liés à la vaccination: «La plus belle décision de ma vie, explique le jeune businessman. Plus tu m’enlèves des libertés, plus je vais dans le sens inverse.» Si son niveau de vie le met à l’abri de conséquences graves liées à une probable condamnation, notre rebelle digère mal plusieurs choses: le fait qu’une dénonciation anonyme soit à l’origine de ses tracas, et que l’enquête qui le concerne ait provoqué une descente chez un proche. «Une véritable débauche de moyens», dénonce celui qui n’attend qu’une chose : découvrir qui l’a «balancé», et lui pourrir la vie tant qu’il en aura la possibilité.

Une vaste campagne de répression

Comme lui, Bruno* est dans le collimateur de la justice vaudoise depuis quelques semaines. Non seulement pour avoir possédé un faux passeport, mais aussi pour avoir permis à d’autres d’en acquérir en «mettant des gens en relation», comme il le dit avec un certain art de la litote: «Je ne l’ai pas fait pour l’argent, mais pour briser des chaînes», annonce-t-il tout de go. Il précise que les policiers qui se sont occupés de son cas durant une perquisition à son domicile, avec politesse et professionnalisme d’ailleurs, lui auraient glissé qu’une action «forte et coordonnée» avait été exigée en haut lieu pour faire tomber les gens comme lui.

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul»

Ruben Ramchurn

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul», s’enthousiasme l’UDC Ruben Ramchurn, figure la plus «sans filtre» de la contestation des mesures Covid depuis 2020, et qui se voit lui-même, avec la procédure qui le touche, comme un «pionnier».

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, qui demande l’abrogation de la loi Covid, Daniel Rousseau dénonce lui aussi une contre-offensive «disproportionnée» des autorités. Son inquiétude porte en particulier sur des descentes qui viseraient des professionnels de la santé (voir encadré), soupçonnés d’avoir délivré des certificats de complaisance pour permettre à diverses personnes d’échapper au port du masque: « On entre dans une ère sans précédent. J’ai exercé la fonction de DRH pendant plus de dix ans et j’en ai vu des certificats de complaisance, mais jusqu’à présent, on n’avait jamais vu de perquisitions pour de tels motifs. Sans parler de l’acharnement de l’État contre de nombreux médecins suspectés de ʻpropagande antivaxʼ.»

Contactée, la Police cantonale vaudoise nous confirme que les autorités de poursuite pénale vaudoises (police et Ministère public) sont chargées d’une dizaine d’enquêtes portant sur la confection et la remise de faux certificats Covid. Les premières remontent à l’été 2021.

Depuis, des actes de procédure ont été accomplis régulièrement mais ces affaires sont, logiquement, en diminution depuis l’abolition de l’exigence du certificat Covid en février 2022. Une réalité statistique qui ne signifie toutefois pas qu’un tour de vis visant les contestataires les plus remuants de la crise serait totalement improbable, estiment certains opposants à l’obligation vaccinale. Il n’y a toutefois «pas d’action coordonnée entre les cantons», précise la police… à part pour des cas dans lesquels des actes auraient été commis dans plusieurs cantons, «qui exigeraient entre les autorités concernées une certaine coordination».
Et la Polcant de conclure: «Dans le canton de Vaud, les perquisitions, au nombre d’une dizaine, n’ont eu lieu que chez des personnes soupçonnées d’avoir fabriqué ou remis des faux certificats. La seule possession, en tant que ʻbénéficiaireʼ, d’un faux certificat, ne justifie en principe pas une telle mesure.»

L’émotion d’une psy

À Berne, c’est une psychiatre, Ruke Wyler, que nous avons rencontrée récemment sur une terrasse de la capitale. Elle souhaitait y témoigner d’une récente «visite» policière sur son lieu de travail, laquelle a heureusement eu lieu en l’absence de clients. Une démonstration de force à laquelle elle ne s’attendait pas et qui l’a choquée: «Il y avait trois agents de police et un juriste de la Direction cantonale de la santé.» En bas du bâtiment, «5 à 7 policiers armés, une rue plus loin un véhicule avec 20 autres», selon son récit. Tout ça pour quoi? Pour démêler le vrai du faux à propos de dispenses de port du masque délivrées à une septantaine de personnes, dont une vaste majorité d’enfants. «J’ai constaté une augmentation des descentes depuis deux mois: une dizaine de mes connaissances, toutes médecins en Suisse alémanique, ont été touchées.» Avec un objectif, à ses yeux, qui ne souffre aucun doute: «Museler ceux qui ne croient pas aux mesures destinées à lutter contre le Covid.»

*nom connu de la rédaction




L’université sous pression

À l’Université de Genève, les activistes semblent faire la loi. Deux actions ont été menées en l’espace de trois semaines par des associations se réclamant de la défense des LGBTQIA+. En avril, des agitateurs ont réussi à faire annuler une conférence de Caroline Eliacheff et Céline Masson autour de leur livre La Fabrique de l’enfant transgenre, jugé transphobe. Plus récemment, un groupuscule (le même?) a saboté la conférence d’Eric Marty (lire ci-contre), hurlant :«Ton livre c’est de la merde, on l’a pas lu.» Motif? Toujours la présupposée transphobie de l’auteur.

Voir des activistes s’offusquer d’un ouvrage dont ils ne connaissent pas le contenu peut faire sourire. C’est le cas chez Ralph Müller, doctorant en langue et littérature françaises modernes à l’UNIGE et créateur de contenus sur Youtube: «Dès le moment où vous affirmez que vous n’avez pas lu un livre, il devient difficile de dire qu’on est offensé. Il faut condamner ces activistes, critiquer leurs méthodes mais aussi essayer de comprendre pourquoi ils en viennent à adopter ce genre de postures.»

Une vision tronquée de la réalité

En plus d’y voir un enfermement idéologique malsain, Ralph Müller redoute que les pressions exercées par les activistes ne donnent une vision biaisée de la population estudiantine aux autorités universitaires: «Le danger est que ces associations tendent à donner l’illusion d’être les thermomètres d’une sensibilité intellectuelle unique chez des étudiants. Les professeurs et le rectorat pourraient y croire et se dire que les revendications sont partagées par une majorité.»

Ces deux affaires font parler d’elles au-delà de la Romandie: le magazine français Causeur a d’ailleurs relayé un article initialement publié par Jonas Follonier dans Le Regard Libre. Notre confrère y rappelle qu’Eric Marty a une pensée s’inscrivant plutôt… à gauche. Contacté, le service presse de l’UNIGE affirme qu’il ne cédera pas aux injonctions des agitateurs: «Les enseignant-es choisissent librement leurs intervenant-es (sic), non pas selon leur caractère plus ou moins consensuel, mais en fonction de leur pertinence dans le cadre d’un cours ou d’une conférence. La confrontation des écoles de pensée fait partie de la démarche académique, l’université doit veiller à éviter les tentations d’autocensure.»

L’Université de Genève reste laconique quant à un éventuel renforcement de son service de sécurité en cas de futures venues d’orateurs jugés «sulfureux»: «L’université accueille plus de 700 événements publics par année et adapte depuis longtemps son dispositif de sécurité aux caractéristiques de chacun d’entre eux. Les sujets politiques ou la venue de personnalités internationales impliquent par exemple une sécurité renforcée.»

Les événements de ces deux derniers mois dans la Cité de Calvin sont observés, aussi bien par les médias que par des jeunes d’autres universités. C’est le cas de Barry Lopez, ancien président des Jeunes PLR vaudois et ancien assistant parlementaire d’Isabelle Moret. Malgré l’image très à gauche de l’institution, l’étudiant en droit estime que la situation à Lausanne est moins problématique qu’à Genève. Il évoque des débats et des discussions qui le font doucement sourire, «mais pas de pression malsaine». Tout au plus déplore-t-il quelques actes isolés. «Certaines affiches se font taguer ou arracher quand les sujets sont clivants. Il est dommage de voir de l’intolérance de la part de personnes qui se revendiquent de l’ouverture», ironise Barry Lopez.

Evaluer le ressenti?

Si les actes commis par des groupes de pression peuvent être jugés inquiétants pour la liberté, l’Université de Fribourg elle-même se rapproche doucement du 1984 d’Orwell en publiant, dans ses locaux, une série d’affiches dont l’une déclare, sur fond rose: «Ici on fait des blagues! Mais déplacées ou osées, c’est du harcèlement». Elle est accompagnée d’un commentaire dont les implications ne sont pas évidentes: «Le ressenti de la personne prime sur l’intention de l’auteur·e de la blague.»

Comment fera l’université pour évaluer un ressenti? Sans surprise, le verdict reviendra à la «victime», explique Marius Widmer, responsable de la communication de l’UNIFR. «Pour savoir ce qui porte atteinte à la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne », il préconise de se fier à «l’avis de la personne concernée», qui est forcément «subjectif». «Le message de l’affiche est de dire que le respect de chacune et chacun est primordial», poursuit-il. «Faire des blagues qui visent à inférioriser une personne ne peut pas être l’objectif de l’humour.»

Si on ne risque pas de beaucoup se taper sur les cuisses, du côté de la Sarine, au moins une satisfaction: pas question d’y annuler préventivement la venue d’un conférencier, quel qu’il soit. «L’université comme lieu d’échange intellectuel et de confrontation d’idées laisse et laissera la place à diverses opinions et avis. Finalement, la recherche a aussi un lien avec la société et dans ce sens, il est opportun qu’elle apporte des éclairages avec un fondement scientifique et argumenté.»