« J’aime la guerre… des idées ! »

Marie-Hélène Miauton, vous venez de quitter la présidence du Conseil d’administration de votre institut MIS Trend. Comment vous sentez-vous?

Je me sens très bien! Il était temps de tourner cette page et de choisir un président plus jeune (ndlr François Huguenet, directeur de l’agence FTC Communication et ancien Conseiller communal lausannois Vert).

Votre successeur a une autre sensibilité politique que vous…

Oui, et c’est un excellent communicateur, même si je crois avoir aussi fait du bon travail dans ce domaine. Toute l’équipe va très bien s’en sortir sans moi, je ne me fais aucun souci.

Est-ce que ce pas de retrait signifie que l’on va moins vous entendre dans les débats de société?

On ne m’entendait déjà plus à propos de MIS Trend depuis que j’en avais quitté la direction opérationnelle, il y a 11 ans. Dans le fond, je crois que cette nouvelle donne ne va rien changer. Ce sont mes chroniques qui font parfois réagir les médias, de même que mes livres.

Votre actualité ne signifie donc pas que vous souhaitez une plus grande paix…

Ah non, j’aime la guerre ! Mais la guerre des idées bien sûr, pas celle qui brise des vies. Je crois que si on la mène avec ouverture, avec humour, en respectant le débat, en acceptant la contradiction, en ne condamnant personne pour ses opinions, alors les vraies guerres n’auraient pas lieu.

Vous avez le sentiment que cette hauteur de vue se perd dans notre société?

C’est malheureusement de plus en plus flagrant. La France et les États-Unis sont en avance sur nous de ce point de vue, mais ça nous menace. Enfin, tant que vous et moi nous pouvons nous exprimer sur la place publique, c’est que notre situation n’est encore pas désespérée.

On est entré dans une ère de la diabolisation?

Oui, toutes les idées n’ont malheureusement plus le droit de cité. Moi je pense qu’on ne peut évidemment pas accepter certains actes illégaux, de même que les attaques visant des personnes, mais toutes les idées oui. Je suis pour la liberté d’expression.

Mais comment expliquez-vous que vous ayez pu être si médiatique en incarnant une sensibilité, libérale-conservatrice, que vous jugez si malmenée?

Mais parce qu’il y a encore énormément de gens qui veulent entendre une voix comme la mienne! Nous sommes peut-être de moins en moins nombreux à exprimer des opinions de droite, mais cela ne signifie pas que nous soyons de moins en moins nombreux à les partager. J’imagine donc, et j’espère, que ma durabilité dans Le Temps correspond à la demande d’un lectorat.

Un domaine où cette offensive de la pensée unique est forte, c’est l’université. C’est votre grande inquiétude?

Oui mais ce n’est pas que l’université: ce sont les médias et les métiers du verbe en général. C’est l’instruction aussi. En fait, tout ce qui devrait être formateur est devenu formaté. Je le vois avec les programmes scolaires, la façon dont une forme d’endoctrinement se glisse un peu partout. L’histoire s’y prête évidemment très bien, la littérature aussi, mais le conditionnement alimentaire en fait également partie.

Pourquoi la droite a-t-elle perdu la bataille des idées, d’après vous?

Parce qu’elle a quitté les métiers du verbe, tout simplement. Si on avait une représentation équilibrée de la pensée de gauche et de droite dans les médias ou à l’université, le monde irait beaucoup mieux. C’est tout de même un monde que l’on constate en Suisse une relative majorité de droite dans les élections, mais que l’on soit intégralement menés par des idées de gauche.

A votre âge, pensez-vous être encore à même de comprendre ce qui préoccupe cette génération «woke», qui a la vingtaine?

Oui parce qu’il n’y a pas que ces jeunes-là dans notre société. Je crois même qu’ils sont une infime minorité, ce qui rend d’autant plus choquant qu’on ne parle que d’eux. Vous savez, j’ai des enfants, des petits-enfants, je connais leurs amis. Je ne suis pas coupée du monde au point de penser que toute la jeunesse est «woke». Les sondages d’ailleurs le prouvent.

Une autre de vos inquiétudes, c’est l’islam politique…

Oui. On a la chance, vous et moi, d’être nés dans une civilisation prodigieuse, et je ne veux certainement pas la voir s’affadir ou disparaître.

Mais s’affadit-elle réellement sous les coups de boutoir de cette communauté-là ? Ne reprochez-vous pas aux musulmans de ne pas être aussi morts que nous spirituellement?

Une bonne part de l’attractivité de la religion musulmane tient à notre propre désert spirituel, en effet. Je ne leur reproche donc certainement pas leur ferveur. J’aimerais que nos églises soient aussi pleines que leurs mosquées. Ce que je leur reproche, ce sont des principes, un art de vivre et une culture tellement différente de la nôtre qu’ils la détruiront. Je précise que je parle ici d’un islam intégriste tel qu’il est porté par les pays du Golfe.
Le fait d’avoir vécu ma petite enfance dans un pays musulman, le Maroc, me donne un regard très bienveillant sur une femme musulmane, avec sa foi sincère et non-envahissante, des enfants perdus dans ses jupons. J’ai vécu parmi ces gens et on ne peut pas m’accuser d’islamophobie. Mais l’islam politique nous a déclaré une forme de guerre et nous sommes en devoir de se battre pour nos valeurs.

C’est pesant, parfois, pour vous, d’être enfermée dans une image de femme de combat?

Il faut faire une différence entre la femme publique et privée. Qui je suis, réellement en tant que personne, peu de gens le savent. Beaucoup me disent qu’ils m’ont réellement découverte à travers le livre que j’ai sorti ce printemps après avoir marché sur la Via Francigena. Ils y ont découvert une sensibilité, des préoccupations, mon amour de la nature… Je suis très attachée à la pudeur et à l’intimité, vous savez.

Marie-Hélène Miauton, Chemins obliques, Editions de l’Aire, mars 2022




Après la crise, l’épuration

C’est le genre de reportages que l’on aimerait écrire à la manière d’une plongée dans un tripot clandestin de l’ère de la prohibition, au milieu des volutes de cigares, avec des mines patibulaires de mafieux dans tous les coins. Pourtant, c’est à un rendez-vous très relax dans un caveau d’une grande ville vaudoise que nous nous rendons, ce jour-là, une belle bouteille de chardonnay italien bien fraîche sur la table. Notre hôte, du reste, n’a pas grand-chose à cacher. Oui, il a fait usage de vrais-faux pass Covid, français et suisse, obtenus sans passage par la case piqûre, moyennant quelques centaines de francs. Un peu par défiance envers le climat d’infantilisation générale, un peu à cause de doutes autour des bénéfices liés à la vaccination: «La plus belle décision de ma vie, explique le jeune businessman. Plus tu m’enlèves des libertés, plus je vais dans le sens inverse.» Si son niveau de vie le met à l’abri de conséquences graves liées à une probable condamnation, notre rebelle digère mal plusieurs choses: le fait qu’une dénonciation anonyme soit à l’origine de ses tracas, et que l’enquête qui le concerne ait provoqué une descente chez un proche. «Une véritable débauche de moyens», dénonce celui qui n’attend qu’une chose : découvrir qui l’a «balancé», et lui pourrir la vie tant qu’il en aura la possibilité.

Une vaste campagne de répression

Comme lui, Bruno* est dans le collimateur de la justice vaudoise depuis quelques semaines. Non seulement pour avoir possédé un faux passeport, mais aussi pour avoir permis à d’autres d’en acquérir en «mettant des gens en relation», comme il le dit avec un certain art de la litote: «Je ne l’ai pas fait pour l’argent, mais pour briser des chaînes», annonce-t-il tout de go. Il précise que les policiers qui se sont occupés de son cas durant une perquisition à son domicile, avec politesse et professionnalisme d’ailleurs, lui auraient glissé qu’une action «forte et coordonnée» avait été exigée en haut lieu pour faire tomber les gens comme lui.

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul»

Ruben Ramchurn

«En tant que petit-fils d’un Juste parmi les nations, je pense que la postérité reconnaîtra à ces personnes les mêmes mérites qu’aux personnes telles que mon aïeul», s’enthousiasme l’UDC Ruben Ramchurn, figure la plus «sans filtre» de la contestation des mesures Covid depuis 2020, et qui se voit lui-même, avec la procédure qui le touche, comme un «pionnier».

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, qui demande l’abrogation de la loi Covid, Daniel Rousseau dénonce lui aussi une contre-offensive «disproportionnée» des autorités. Son inquiétude porte en particulier sur des descentes qui viseraient des professionnels de la santé (voir encadré), soupçonnés d’avoir délivré des certificats de complaisance pour permettre à diverses personnes d’échapper au port du masque: « On entre dans une ère sans précédent. J’ai exercé la fonction de DRH pendant plus de dix ans et j’en ai vu des certificats de complaisance, mais jusqu’à présent, on n’avait jamais vu de perquisitions pour de tels motifs. Sans parler de l’acharnement de l’État contre de nombreux médecins suspectés de ʻpropagande antivaxʼ.»

Contactée, la Police cantonale vaudoise nous confirme que les autorités de poursuite pénale vaudoises (police et Ministère public) sont chargées d’une dizaine d’enquêtes portant sur la confection et la remise de faux certificats Covid. Les premières remontent à l’été 2021.

Depuis, des actes de procédure ont été accomplis régulièrement mais ces affaires sont, logiquement, en diminution depuis l’abolition de l’exigence du certificat Covid en février 2022. Une réalité statistique qui ne signifie toutefois pas qu’un tour de vis visant les contestataires les plus remuants de la crise serait totalement improbable, estiment certains opposants à l’obligation vaccinale. Il n’y a toutefois «pas d’action coordonnée entre les cantons», précise la police… à part pour des cas dans lesquels des actes auraient été commis dans plusieurs cantons, «qui exigeraient entre les autorités concernées une certaine coordination».
Et la Polcant de conclure: «Dans le canton de Vaud, les perquisitions, au nombre d’une dizaine, n’ont eu lieu que chez des personnes soupçonnées d’avoir fabriqué ou remis des faux certificats. La seule possession, en tant que ʻbénéficiaireʼ, d’un faux certificat, ne justifie en principe pas une telle mesure.»

L’émotion d’une psy

À Berne, c’est une psychiatre, Ruke Wyler, que nous avons rencontrée récemment sur une terrasse de la capitale. Elle souhaitait y témoigner d’une récente «visite» policière sur son lieu de travail, laquelle a heureusement eu lieu en l’absence de clients. Une démonstration de force à laquelle elle ne s’attendait pas et qui l’a choquée: «Il y avait trois agents de police et un juriste de la Direction cantonale de la santé.» En bas du bâtiment, «5 à 7 policiers armés, une rue plus loin un véhicule avec 20 autres», selon son récit. Tout ça pour quoi? Pour démêler le vrai du faux à propos de dispenses de port du masque délivrées à une septantaine de personnes, dont une vaste majorité d’enfants. «J’ai constaté une augmentation des descentes depuis deux mois: une dizaine de mes connaissances, toutes médecins en Suisse alémanique, ont été touchées.» Avec un objectif, à ses yeux, qui ne souffre aucun doute: «Museler ceux qui ne croient pas aux mesures destinées à lutter contre le Covid.»

*nom connu de la rédaction




Récit: Hier encore, nous avions vingt ans

Le mot «woke» n’était pas encore sur toutes les lèvres et on n’y parlait pas encore d’écriture inclusive. Une secrète complicité, toutefois, semblait unir les défenseurs de toutes les causes contre-culturelles, persuadés de participer à l’avènement d’un monde plus fluide et plus ouvert. Ainsi, une affiche sur un mur du B2 – le bâtiment des Lettres, où se trouvait déjà une cafétéria sans viande – pouvait-elle annoncer la présence, au sein d’un même espace de parole, d’un conférencier du Hezbollah, puis la semaine suivante d’une féministe universaliste ou d’un militant pacifiste. Le look punk était encore un peu tendance, même si la résurgence du tournant de l’an 2000 tirait déjà sur sa fin.

Dans cet univers, des débats opposaient parfois avec une certaine virulence des adversaires idéologiques et il n’était pas rare que l’un d’eux – même issu du corps professoral – cherche à épater l’auditoire avec un coup d’éclat. Quelques rencontres sur le thème du partenariat enregistré entre personnes du même sexe – l’ancêtre du mariage gay – avaient ainsi parfois fini en eau de boudin entre sociologues et experts du droit. Mais ces échanges avaient eu lieu, au moins l’espace de quelques instants, et nous pouvions faire notre marché entre des méthodologies diverses.

En vingt ans, les causes n’ont finalement pas beaucoup changé, à part que l’idéal de «convergence des luttes» semble avoir pris un peu de plomb dans l’aile sous l’effet des attentats de la dernière décennie. Le phénomène nouveau, en réalité, est que d’aucuns puissent croire lutter pour la liberté en niant à autrui la liberté de se confronter à des avis contraires. Ainsi s’est terminé l’esprit de 68, dont nous pensions encore être les héritiers: il est désormais bien souvent interdit de ne pas interdire. RP




«Le Peuple» s’engage pour Candyland!

Aujourd’hui, il a la possibilité de faire du plogging pour compenser sa fâcheuse tendance à sombrer dans le littering. Vous n’y comprenez rien? Sans doute parce que vous n’êtes pas assez modernes, mais nous allons vous aider. «Concept suédois», comme le hareng fermenté en canette ou l’hyper-judiciarisation de la vie privée, le plogging consiste à aller faire son jogging avec un sac destiné à recueillir les déchets sauvages trouvés sur le chemin. Enfin, soyons précis: «vos» déchets, selon les termes de la Capitale Olympique, tant il est vrai que ce sont toujours les sujets indisciplinés qui polluent, entre mille autres fautes, et jamais les employés des administrations publiques. Si la virée n’est pas chronométrée, une pesée du sac est organisée à l’arrivée de ce bel événement mis sur pied en collaboration avec une association lauréate du «budget participatif». Le noir et blanc de notre maquette actuelle nous empêche de pleinement apprécier le visuel proposé par la Ville de Lausanne, qui nous montre des sportifs aux cheveux fluos partir à l’assaut d’un monde meilleur, des déchets bariolés plein les mains. Le paradis des bobos ressemblera au jeu pour enfants Candyland. Peut-être même n’y sera-t-il plus nécessaire de payer un service de propreté urbaine avec nos impôts, tant le plogging aura remplacé la sinistre course au tour de biceps dans des fitness climatisés.

Faisant ici son devoir citoyen, votre journal vous invite chaleureusement à prendre contact avec nous via info@lepeuple.ch pour nous rejoindre le 18 juin prochain au Parc Mon-Repos afin de participer à l’avènement d’un monde meilleur.




Les riches recommandations des autorités fédérales

L’ eau ça mouille, le feu ça brûle, et un grand nombre de voitures présentes simultanément sur la chaussée occasionne parfois des bouchons. Soyez heureux parce que l’on vous transmet ces précieuses informations sans les financer avec vos impôts, à la différence de l’Office fédéral des route (OFROU). Depuis quelques jours, ce dernier suscite des réactions que l’on dira pudiquement contrastées, avec un texte affiché sur les «panneaux à messages variables», comme l’on dit dans le jargon, situés au-dessus des voies autoroutières: «Évitez les heures de pointe pour échapper aux bouchons».

«Du pur génie, du foutage de gueule, de l’humour suisse allemand ou de l’incompétence totale?»

Un automobiliste vaudois

D’un côté, difficile de ne pas reconnaître une certaine logique à ce message, mais est-il vraiment utile ? Pas aux yeux de cet automobiliste vaudois qui l’a repéré à la fin du mois de mai près de la Cité de Calvin: «Du pur génie, du foutage de gueule, de l’humour suisse allemand ou de l’incompétence totale? Génie cela se saurait. Foutage de gueule peut-être. Humour? Impossible, c’est l’OFROU. Reste donc l’incompétence. Alors, bien sûr, cher OFROU, j’ai pris le panneau en photo et, ni une ni deux, lundi, je suis allé voir mon patron et je lui ai dit: «Patron, dès demain, je suis les conseils – les ordres? – de l’Autorité et j’évite les heures de bouchon. Je participe au Bien commun cher à Aristote. Donc je viendrai désormais travailler vers 10h30 et je repartirai à 15h au plus tard, 13h le vendredi.» Sur Facebook, où circule la photo d’un des panneaux assortis du message, certains évoquent encore «une connerie sans nom» ou, ironiquement, «l’œuvre de vrais génies».

Contacté, un communiquant du Touring Club Suisse (TCS) admet avoir également été surpris en découvrant cette recommandation alors qu’il était au volant: «D’habitude, ces moyens de communication sont utilisés à bon escient, pour annoncer un danger immédiat. Dans le cas présent, il est peut-être un peu trop générique.» La priorité, avec ce genre d’outils, est de diffuser des informations qui ne prêtent pas à confusion, précise le TCS. Gageons que cet écueil aura été évité dans le cas présent.

Alors, communication loupée? Benno Schmidt, de l’Office fédéral des routes, ne s’exprimera pas. En nous renvoyant à un communiqué de 2017, il souligne uniquement que «les messages directs aux conducteurs sont une des mesures de l’OFROU pour fluidifier le trafic.»
On l’aura compris, en évitant l’heure des bouchons.




« Je me fiche de passer pour un ovni »

N’avez-vous pas fait preuve d’un manque de sensibilité en affirmant qu’il n’y avait pas forcément un «droit à l’avortement»?

Tout d’abord, j’ai écrit «y a-t-il»! Je pose toujours une question parce que je veux ouvrir un débat, pas dire «moi j’affirme telle ou telle chose, et c’est comme ça un point c’est tout». Alors peut-être que je le fais avec certaines opinions, bien sûr, mais je recherche avant tout le débat. Dans le cas présent, j’ai écrit ce texte parce que j’étais révoltée et dégoûtée par les manifestations aux états-Unis où l’on voyait des femmes défiler en réclamant leur «droit à l’avortement», présenté comme une preuve de leur valeur et de leur liberté.

Révoltée, vraiment?

Oui, vous savez, je ne suis pas opposée de façon absolue à l’interruption de grossesse, qu’il faut encadrer légalement. Mais présenter ça comme la plus grande conquête de la femme, c’est quelque chose que je juge éthiquement insupportable.

Mais vous avez heurté des gens…

Je n’ai condamné personne, à ma connaissance, j’ai simplement souligné un problème éthique. Si ces manifestantes s’étaient promenées en demandant la possibilité de subir une interruption volontaire de grossesse et non pas un avortement, je n’aurais pas réagi de la même façon. Ce sont des finesses linguistiques, certes, mais au fond, cela aurait impliqué qu’on envisageait les choses sous l’angle de la détresse, du besoin d’aide. Parler de «droit à l’avortement», à l’inverse, cela signifie que lorsque j’ai en moi quelque chose qui me déplaît, eh bien je peux le supprimer à ma guise, au mépris d’une personne éventuelle.

Venir avec des subtilités byzantines en opposant avortement et IVG, est-ce vraiment bien senti?

Est-ce que vous voulez dire que cela devrait être interdit parce que mal «senti»? Ou alors demandez vous s’il ne faudrait plus aborder certains sujets parce que les gens sont devenus bêtes au point qu’on finira par passer pour un ovni si on ose le faire? Vous savez, cela m’est égal de passer pour un ovni, en revanche j’aimerais savoir pourquoi la sensibilité d’un sujet devrait entraîner l’interdiction d’en discuter. Si tel devait être le cas, autant tous rester au fond de nos lits avec un bon bouquin, mais les bons bouquins finiront par devenir eux aussi trop sensibles pour être publiés…

Vous n’aimez pas la notion de «droit à». Mais entre le droit et l’interdiction, existe-t-il un moyen terme?

Tout n’est pas un «droit à», dans la vie. Il existe aussi des autorisations…

On se bat tout de même sur des mots…

Parce qu’ils sont importants! On m’a par exemple reproché d’avoir «violé le droit» en utilisant le terme d’«enfant» futur. Mais je me plaçais dans le contexte éthique et pas juridique, et on ne demande généralement pas à une femme si elle attend un fœtus ou un embryon, mais bien un enfant. Sincèrement, je n’ai pas compris: selon certains, la loi nous obligerait-elle à demander «ah vous attendez un embryon» ou «un fœtus»? C’est d’une bêtise inimaginable! Une personne parmi mes commentateurs a même comparé l’embryon à un têtard. Je me suis quand même permis de l’informer qu’on ne donne pas naissance à une grenouille par la suite!

Que Le Temps vienne vous faire la morale, par la suite, ça vous a fait quoi?

Au téléphone, ils m’ont dit qu’avec mon nom et mon parcours, je ne pouvais pas me permettre d’écrire des choses contraires au droit. Et dans un courriel qu’ils m’ont envoyé, il m’ont aussi dit qu’il était impossible d’employer le terme de «mise à mort» dans un contexte légal. Vous savez, je suis opposée à la peine de mort, mais je leur ai tout de même demandé si, lorsqu’une personne est légalement exécutée, on peut ou non parler de mise à mort…

Vous prêtez quand même le flanc à la critique en vous exprimant sur le terrain de l’éthique alors que votre expertise est juridique…

Excusez-moi, mais ne pouvez-vous pas parler d’éthique alors que les cours d’introduction au droit montrent justement quelle est la surface commune des deux cercles, droit et éthique? Le droit, d’ailleurs, n’en reprend qu’une petite partie, l’éthique étant bien plus étendue…

Vous avez reçu du soutien au sein du monde politique?

Pas au sein du PLR vaudois, en tout cas, mais c’est normal, je n’en suis pas membre et j’y suis totalement persona non grata.

Cela vous plaît, ce rôle d’empêcheuse de tourner en rond? Vous vous rendez bien compte qu’il y a un sens du débat qui s’effondre dans notre société…

Oui et c’est précisément pour ça que j’aimerais le relancer.

N’y a-t-il pas une forme de jubilation?

Plutôt une recherche d’incitation à la réflexion, je dirais. Pourquoi ne pourrait-on pas dire que l’on réfléchit? On n’arrête pas de nous dire que nous sommes responsables de tout, du climat, de la guerre, des inégalités. On met le monde sur le dos de nos enfants à l’école et nous, comme adultes, nous ne pourrions pas poser une question sans que ce soit considéré comme une atteinte à la dignité des gens? Il y a là une dérive à laquelle je vais continuer à m’opposer.




Les hommes des cavernes, ces chauds lapins

«L’époque qui commence représente la plus grande attaque contre le fond culturel juif de l’Occident, c’est-à-dire contre les suites de l’exil du Jardin d’Eden.» Ainsi s’exprimait l’écrivain Philippe Muray, en 2000, refusant l’invasion des professions inutiles mais cools, des Prides et des trottinettes sur nos trottoirs. Deux décennies plus tard, les trottinettes sont devenues électriques et la marche forcée vers l’infantilisation générale s’accélère à tel point que l’on se demande souvent ce qu’aurait écrit le père de Festivus Festivus s’il était encore parmi nous. Qu’aurait-il pensé, par exemple, de la réflexion proposée par la RTS, vendredi 27 mai vers 21 h 00, au sujet de la sexualité dans les abris rocheux? «Est-ce que les hommes de Cro-Magnon pratiquaient la levrette?», en voilà une question passionnante!
Prenons le pari de répondre pour Muray. Sans doute aurait-il jugé que l’humanité se donne vraiment bien du mal pour réintégrer le Jardin enchanté dont elle n’aurait jamais dû être expulsée. Pensez donc! En des temps où le judéo-christianisme ne sévissait pas encore, notre espèce était festive et portée sur la chose. Vite, faisons comme nos ancêtres et finissons-en une bonne fois pour toutes avec cette idée lamentable de culpabilité!

Festivocrature

Au fond, l’on pourrait se contenter d’ironiser si nous n’avions pas conscience, grâce à la lecture des Exorcismes spirituels de Muray, de ce qui se joue devant nous. Ainsi, «la fouille hallucinée des archives» n’a-t-elle plus uniquement pour vocation de «donner du travail aux SDF de l’indignation». Dans la «permutation néo-carnavalesque» des valeurs à laquelle participe cette exploration du passé, il s’agit désormais de ramener les morts dans la morale de notre temps et d’étendre un peu plus l’obligation de ne garder que la sexualité comme horizon. «Qui songerait», disait l’auteur, «à se révolter contre une oppression qui ne communique, au fond, que l’ordre de s’amuser?»

Souvent réduite à sa critique de la «festivocrature», la pensée de Muray n’est pas seulement indispensable pour comprendre les rouages de la pensée unique actuelle. Elle nous permet aussi, en prolongeant les analyses de La Société du Spectacle de Guy Debord, de ne plus être acteurs d’un effondrement sans précédent de la pensée critique.




L’étrange décoration de la Police de Lausanne

On connaît l’engagement marqué de la Police Municipale de Lausanne (PML) en faveur du multiculturalisme, depuis de nombreuses années, avec des agents spécialisés dans le suivi de ces questions. Ces derniers jours, des passants ont été surpris de découvrir la place prise par cette thématique… dans la décoration même de certains bureaux.

Drapeau albanais, drapeau turc et – plus modeste par la taille – drapeau suisse ornent en effet un mur de l’hôtel de Police, parfaitement identifiable depuis l’espace public. Sur fond de célébration polémique de joueurs de foot d’origine albanaise, en 2018, ou de débats similaires dans le contexte de l’armée, il n’en fallait pas davantage pour que ces images se répandent comme une trainée de poudre sur WhatsApp.

J’espère toutefois que la même tolérance serait de mise au sein du personnel communal envers des personnes qui afficheraient un patriotisme fervent, mais suisse!»

Yohan Ziehli, Conseiller communal UDC

Sans surprise, c’est au sein de l’UDC vaudoise que la pilule passe le plus mal. Des interventions politiques sont d’ailleurs envisagées par certains pour demander des explications. Excessif? Légitime? On peut en effet se demander si des drapeaux suédois, ou valaisans, auraient provoqué un même agacement. Conseiller communal UDC lausannois, Yohan Ziehli préfère ironiser : «Je suis opposé à la surrèglementation des aspects les plus anodins de la vie ordinaire à laquelle la Ville de Lausanne nous a habitués. Je ne vais donc pas changer mon fusil d’épaule à cause de la décoration d’un bureau. J’espère toutefois que la même tolérance serait de mise au sein du personnel communal envers des personnes qui afficheraient un patriotisme fervent, mais suisse!»

Contactée, la PML ne s’exprimera pas sur la dimension problématique, ou non, de la présence d’étendards d’autres nationalités au sein de ses locaux: «La présence de drapeaux peut s’expliquer par l’attachement à certaines équipes de football ou à certains joueurs. Cela peut aussi avoir un lien avec l’origine de certain-e-s de nos collaborateurs-trices».




Humeur express: ton bouquin, on l’a pas lu!

En l’occurrence, c’est celle de Genève qui a fort à faire, ces temps, avec des « militant-x-e-s » désireux de faire régner, sans qu’ils y aient réellement été encouragés, une certaine pureté doctrinale parmi les invités de l’institution. Dernier en date à avoir vu sa conférence sabotée, un intellectuel français,
Eric Marty, venu présenter son livre, Le sexe des Modernes. Pensée du Neutre et théorie du genre. «L’ouvrage remet en question l’accès des mineur·es à la transition au nom de la protection de l’enfant», dénoncent les personnes venues empêcher la conférence (la même mésaventure était déjà arrivée à deux conférencières moins d’un mois auparavant). Un reproche que l’on imagine nécessairement fondé dans la mesure où, lors de son petit happening, le «collectif» a scandé «ton bouquin c’est de la merde, on l’a pas lu». Ainsi va le wokisme: muni de casseroles et de la certitude d’incarner la vérité, nul besoin désormais d’avoir potassé la production littéraire de ses adversaires idéologiques pour la dénoncer comme infâme.




Un joueur de foot doit-il épouser les causes de l’époque?

NON, selon Raphaël Pomey
Posons tranquillement le décor: un footballeur musulman très pieux, dont le club est aux mains d’un représentant d’un État appliquant la peine de mort pour les homosexuels, suscite la polémique pour avoir refusé de porter un maillot aux couleurs de l’arc-en-ciel. Est-il vraiment nécessaire de développer pour saisir le ridicule de la situation? Non pas qu’il soit anodin que des personnes LGBT soient encore agressées dans la rue, insultées, ou bien évidemment condamnées par des États en raison de leurs inclinations propres. Simplement, il paraît tout de même doucement hypocrite que l’on demande à des sportifs de porter des causes qui les dépassent et dont on peut légitimement penser qu’elles ne hantent guère les nuits de leurs patrons du Golfe. Idrissa Gana Gueye n’est sans doute pas le plus tolérant des hommes, mais il se trouve que son travail consiste à taper dans un ballon, et non pas à porter le feu de l’égalité aux humains, tel un Prométhée post-moderne. A force de demander à des personnalités extérieures au jeu politique de s’engager sur des enjeux qui, eux, relèvent très clairement de la chose publique, un risque fait peu à peu surface: que l’engagement citoyen ou associatif de base, ciment de notre société, paraisse peu à peu inutile. A quoi bon s’exprimer à propos de la gestion des comptes d’une société de tennis si, de toute manière, il n’y a que des grandes causes dans ce monde, sur lesquelles n’importe quel avis fait autorité? Loin de permettre une «évolution des mentalités», comme on nous le promet toujours, la multiplication des «journées de» et des actions symboliques noie surtout les souffrances de ce monde dans une guimauve vaguement dénonciatrice qui ne sert à personne.

OUI, selon Jérôme Burgener
Faisons fi des idéologies qui gravitent autour de cette affaire et revenons sur la réelle question qui se pose ici. Il s’agit simplement d’une relation contractuelle entre une entreprise et son employé. Revenons sur la définition d’un contrat. Il s’agit d’un accord volontaire entre deux ou plusieurs personnes, faisant naître des obligations entre elles. Pascal Salin, économiste et philosophe français, en donne une description encore plus précise dans «Libérons-nous», sorti en 2014: «Si un contrat existe, c’est évidemment parce qu’il est satisfaisant pour les deux co-contractants. Si le contrat est librement décidé et signé, il rend impossible toute domination des uns par les autres: les contractants partagent la même liberté et la même dignité.» Idrissa Gana Gueye a, en 2019, signé un contrat avec le PSG lui rapportant plus de sept millions d’euros par année. Nous pouvons bien imaginer que l’accord spécifie que le joueur doit porter le maillot, donc l’uniforme, du club qui l’a engagé. Un peu comme un employé de McDonald’s ou un agent de police. Si le joueur refuse de porter le maillot, même si celui-ci affiche les couleurs arc-en-ciel à titre exceptionnel pour la journée de la lutte contre l’homophobie, il n’honore pas les termes du document qui le lie à son club. Ce dernier peut donc prendre des sanctions contre Idrissa Gana Gueye. Une décision qui semble difficilement contestable, si elle a lieu. La pression exercée par Rouge Direct, qui dénonce l’homophobie dans le sport, est plus contestable. L’association a interpellé les deux parties ainsi que la ligue sur Twitter: «L’homophobie n’est pas une opinion mais un délit. La ligue et le PSG doivent demander à Gana Gueye de s’expliquer et très vite. Et le sanctionner le cas échéant.» On doute que cette ire résulte d’une rupture de contrat.