Les vérités partielles font d’excellents mensonges

L’enquête sur les abus sexuels commis dans l’environnement de l’Église catholique en Suisse (1950 – 2020) a l’immense mérite de jeter un rayon de lumière sur des actes qui, sans elle, seraient certainement demeurés cachés, et auraient pu, longtemps encore, être sous-estimés et niés. Je partage avec les enquêteurs la conviction que le nombre de cas identifiés n’est que la partie visible de l’iceberg – pour mille raisons qui leur appartiennent, beaucoup de victimes ne parleront jamais.

Mais c’est là que s’arrête mon approbation. En effet, la méthode révélée par le premier rapport d’enquête et par les communications officielles qui ont suivi sa publication, soulève un grave problème, qui est celui des vérités partielles. S’il s’agissait uniquement d’observer ce qui s’est passé, dans tel milieu, à telle époque, alors limiter la recherche audit milieu et à ladite époque serait justifié, et suffisant. Toutefois, la recherche sur la violence a toujours des visées qui vont au-delà de cette seule observation ; elle cherche à identifier les causes de la violence, dans un but en principe avoué de prévention. Or, il est impossible de s’exprimer sur les causes de la violence si le champ d’observation est verrouillé sur le milieu concerné. Sans surprise, les causes sont alors nécessairement trouvées dans les caractéristiques attribuées au milieu en question. En l’occurrence, le célibat des prêtres, des idées dépassées en matière de sexualité, une vision trop verticale de la hiérarchie, etc.

Or, si l’on étend le champ d’observation à la société dans son ensemble (ce qui entre dans la mission des enquêteurs puisque “l’environnement de l’Église catholique en Suisse” est évidemment aussi constitué de l’ordre juridique suisse et de la façon dont il est respecté, ou pas, de manière générale), la compréhension de la situation est bien différente.

En effet, une brève recherche (sur une piste entrevue dans le sillage de mon Pacte des Idoles) m’a permis de découvrir qu’en 1992, la population suisse a accepté lors d’un referendum de réduire de 10 ans à 5 ans le délai de prescription des actes d’ordre sexuel avec des enfants. Ce délai de 5 ans était le résultat d’un compromis des Chambres fédérales, car notre Conseil fédéral avait de son côté préconisé (dans un Message de 1985) de le réduire à 2 ans, précisant qu’une telle réduction était “dans l’intérêt de la victime”. Cette opinion du Conseil fédéral se fondait sur le rapport d’une commission d’experts émis en 1977 (après six années de travaux entamés en 1971). Selon ladite commission d’experts, qui était composée de nombreux professeurs d’université, juristes, médecins et magistrats, la majorité sexuelle devait être abaissée à 14 ans (certains experts envisageaient 10 ou 12 ans), il n’était pas certain que les actes d’ordre sexuel avec des enfants commis sans violence ni menace soient nuisibles pour les enfants, alors que l’expérience avait selon eux démontré que les enfants souffraient des enquêtes et de la désapprobation de leurs parents, la plupart des enfants entre 12 et 16 ans n’étaient (enquêtes scientifiques chiffrées à l’appui) pas des victimes, mais avaient initié les actes d’ordre sexuel, s’y étaient volontiers adonnés ou y avaient consenti. Pour toutes ces raisons, si aucune procédure n’avait été engagée dans un délai de 2 ans après les faits, il fallait éviter de “réveiller le passé”. Le rapport de la commission d’experts affirme expressément vouloir mettre fin à la pruderie issue du XIXè siècle, la sexualité étant désormais une activité comme une autre, “une des diverses possibilités du comportement humain”. L’Amnésie de l’ogre fournira au lecteur davantage de détails, et lui proposera quelques pistes de réflexion.

Évidemment, tout cela ne change rien à la gravité de ce qui s’est passé au sein de l’Église catholique, qui, à l’époque comme aujourd’hui, n’était pas censée suivre la mode des experts mais fonder sa doctrine et son comportement sur l’Encyclique Humanae Vitae (qui règle le compte des experts dès son préambule). Toutefois, c’est quand même sur cette toile de fond (de banalisation par les experts et la politique) qu’agissaient les catholiques (et les non catholiques, d’ailleurs), et que des parents, directeurs d’école, prêtres ou évêques ont dû prendre les décisions qui leur sont aujourd’hui reprochées (comme s’ils avaient évolué dans un petit monde fermé et particulièrement pervers). Aussi, à la lecture du rapport d’enquête publié au sujet de l’Église catholique par les experts de l’Université de Zurich (qui ont succédé à leurs collègues de 1977), on devrait quand même s’interroger sur les raisons d’une lacune aussi béante dans leur recherche – pas un mot sur les experts, sur le monde académique, sur la politique suisse. Les vérités partielles font en cela d’excellents mensonges, et ceux qui veulent cacher quelque chose pourraient bien, ici, ne pas être ceux qui font l’objet de l’enquête.

Raphaël Baeriswyl

Pour aller plus loin

  • Le Pacte des Idoles – trois essais girardiens, Ad Solem, Paris, 2019
  • L’Amnésie de l’ogre, REVELATEUR, Chêne-Bougeries, 2021
https://www.raphaelbaeriswyl.ch/



Le marquis de Sade en théologien ?

« Est-ce un poisson d’avril ? » me dis-je en laissant tomber mon monocle. Terminant mon café pour reprendre mes esprits, mon regard se pose à nouveau sur le document qu’un ami m’a envoyé. Il s’agit du programme du groupe inclusivité de l’Église réformée du canton de Vaud : « Dieu-e e(s)t orgasme ? », « BDSM : éthique ? », « Café Queer Spiritualités – Christianisme ». Je n’en reviens pas. Le 13 mars, interrogé par le quotidien 24 Heures, Laurent Zumstein, conseiller synodal de ladite Église, justifie cette dérive : « Pourquoi l’Église ne devrait-elle pas aborder ces questions alors que justement les personnes qui nous ont demandé d’organiser cet événement se les posent ? Je pense au contraire que l’EERV répond pleinement à sa mission en permettant à toutes et tous de réfléchir au sens de leurs pratiques, quelles qu’elles soient. La loi stipule que l’Église se doit de répondre aux besoins spirituels des citoyens et citoyennes. C’est ce que nous faisons aussi lorsque nous organisons une conférence comme celle de ce jeudi. »

Chouette programme d’Église.

Une révolution

N’en déplaise à Monsieur Zumstein, il ne s’agit pas seulement de répondre à une demande minoritaire mais d’un véritable retournement théologique. En 2022, les célèbres éditions protestantes Labor et Fides publiaient Théologie queer une traduction du livre de Linn Marie Tonstad qui enseigne la théologie à l’Université de Yale. Cet ouvrage de plus de deux cents pages, présente cette « théologie » qui cherche à remettre en question les interprétations traditionnelles des textes religieux, à la reconnaissance et à la diversité des expériences humaines, en particulier des personnes LGBTQIA+. Elle examine également les rôles qu’ont la religion et la spiritualité dans la construction des identités queer, ainsi que la façon dont les identités influent sur la compréhension et la pratique de la foi.

Vous avez dit queer ?

Le mot anglo-saxon queer est souvent utilisé, mais ce terme à une histoire, une origine et un sens. Il n’est pas inintéressant de s’y attarder. A l’origine, queer signifie « bizarre », « étrange », « inadapté ». C’est à la fin XIXème siècle que ce mot va désigner les femmes trop masculines, les hommes efféminés ainsi les personnes vivant une sexualité autre que l’hétérosexualité. A l’époque, il s’agit d’une insulte. L’utilisation de ce terme pour se référer à une identité remonte aux années 1980, lorsque des activistes et des universitaires ont commencé à l’employer comme un moyen de rejeter les étiquettes binaires et les catégories strictes de genre et de sexualité. Plutôt que de se conformer aux normes établies, le terme queer a été adopté comme une revendication de la diversité et de la non-conformité. Aujourd’hui, queer est souvent utilisé comme un terme générique pour désigner toute personne dont l’identité de genre ou l’orientation sexuelle ne correspond pas aux normes hétérosexuelles. Le mot queer est également utilisé comme un terme politique et militant pour remettre en question les structures de pouvoir et les normes sociales. C’est d’ailleurs ce qu’écrit Linn Marie Tonstadt : « Dans la mesure où ce livre avance l’argument selon lequel la théologie queer ne consiste pas à faire l’apologie de l’inclusion des minorités sexuelles et de genre dans le christianisme, mais à proposer des visions de transformation sociopolitique qui modifient les pratiques de distinction, pratiques préjudiciables aux minorités sexuelles et de genre ainsi qu’aux autres populations minorisées, alors queer semble un terme raisonnablement (in)adéquat à utiliser » (Théologie queer, p. 13-14).

Une certaine légitimité

On peut affirmer qu’il existe des aspirations bonnes au fondement des questions queer : le désir de mettre fin aux discriminations que d’aucuns subissent quant à leur choix de vie, la volonté de rechercher l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la condamnation de toute violence, rapports non consentis et atteintes à la dignité des personnes concernées sont justes. Cela ne doit pas faire oublier le développement et la finalité recherchée qui ne peut obtenir notre adhésion. Cela ne justifie pas une « théologie queer ».

Qu’est-ce que la théologie ?

Posons le cadre. Le mot grec theologia est composé des mots logos qui signifie « parole » ou « discours » et theos qui veut dire « Dieu ». Étymologiquement « théologie » signifie « discours ou parole sur Dieu ». La théologie s’enracine dans la Tradition qui se compose de l’Écriture Sainte, des Conciles et de l’enseignement des Pères de l’Église.  Je sais bien que le mot « Tradition » avec un « T » majuscule peut heurter certains esprits sensibles tournés vers les lendemains qui chantent et adeptes de la tabula rasa.  Comme l’écrit fort justement le théologien orthodoxe, Jean-Claude Larchet : « On peut dire ainsi que la théologie conforme à la Tradition est une théologie en continuité et en harmonie avec la théologie du passé, mais aussi avec la théologie de l’avenir qui exprimera la même Vérité immuable sous une forme qui la respecte pleinement » (Qu’est-ce que la théologie ? p. 30). Le théologien est celui qui vit de la prière et par la prière. Le discours théologique qui ne s’enracine pas dans la prière de l’Église est vaine spéculation : « Si tu pries, tu es théologien et, si tu es théologien tu pries vraiment » (Evagre le Pontique, Chapitres sur la prière 60)

Sade nouveau père de l’Église

Comme vous l’avez bien compris, la prétendue « théologie » queer n’a de théologie que le nom. Après les théologies dites de la libération, contextuelles ou de la mort de Dieu, nous voici face à un énième essai de pervertir le message chrétien sous l’égide discrète et implicite du marquis de Sade. Est-ce exagéré de ma part. Que nenni ! 

William F. Edmiston présente et analyse comment le marquis de Sade, à travers sa révolte contre les tabous sexuels, moraux et sociaux, anticipe les discours queer. Selon Edmiston, Sade serait le premier à détruire l’idée de normalité sexuelle : « L’œuvre de Sade défait la relation male-masculin-hétérosexuel, et la remplace par une autre relation mâle/masculin-féminin/homosexuel, qui marginalise les femmes et l’approche chrétienne et reproductive de la sexualité » (Sade : queer theorist, p. 100). 

Portrait du marquis de Sade par Charles Amédée Philippe van Loo

Face à une Église qui propose des conférences sur le BDSM et la spiritualité, face à une « théologie » qui veut déconstruire la théologie traditionnelle, je me dis que Sade doit être proclamé nouveau docteur de l’Église et qu’un donjon doit être aménagé dans le clocher de la cathédrale de Lausanne. Je me dis aussi que la vision d’Oscar Wilde est en train de devenir réalité : « J’ai le sentiment que j’aimerais fonder un ordre pour ceux qui ne peuvent croire : la Confrérie des Orphelins, l’appellerait-on, où devant un autel sur lequel ne brûlerait aucun cierge, un prêtre qui n’aurait pas la paix au cœur célébrerait l’office avec du pain profane et un calice vide de vin. Tout à vrai dire, doit devenir une religion (…). » (Lettres, trad. H. de Boissard, Gallimard, 1994, p. 300-301).  En ce qui me concerne mon choix est fait et il ne me reste qu’à secouer la poussière de mes pieds et à m’écrier avec saint Athanase d’Alexandrie : « Ils ont les Églises, mais nous avons la foi apostolique. »

Paul Sernine

Bibliographie 

  • Linn Marie Tonstad, Théologie queer, Labor et Fides, 2022.
  • Jean-Claude Larchet, Qu’est-ce que la théologie ?, Editions des Syrtes, 2022.
  • William F. Edmiston, Sade : queer theorist, Voltaire Foundation Oxford, 2013.

Quand l’avant-propos devient un manifeste

« La pertinence nous semble évidente : la question du genre et du sexe, les études qui interrogent l’hétéronormativité en tant qu’idéologie, qui remettent en question les relations entre individus, notre rapport à l’argent, au pouvoir et au système de domination tel qu’il est maintenu en place en Occident, tout cela dérange certain.es, mais ces travaux inéluctables à nos yeux. Nous ne pouvons plus nous permettre de penser et de vivre avec des présupposés aussi rigides ou essentialisants en ce qu’ils sont sources d’injustices et d’exclusion. Les stéréotypes ont la vie dure. Ils méritent d’autant plus d’être bousculés.

L’impertinence est tout aussi remarquable dans bon nombre d’ouvrages de théologie queer. Le présent livre est d’ailleurs relativement mesuré en la matière. Nous laissons les lecteurs et les lectrices découvrir cet aspect au fil de la lecture. Cette attitude d’impertinence, voire d’indécence, décontenancera et même choquera certain.es, nous le savons. Et pourtant il peut y avoir quelque chose d’intéressant et de positif dans cette démarche de la théologie queer : elle permet désacraliser, si besoin était, le discours théologique, de nous souvenir de son caractère humain – pas à moitié mais de part en part. Bien sûr, le fait que la théologie parle de réalité « sacrées » pour beaucoup est la source de l’étonnement, voir du choc que peuvent provoquer certaines assertions ou suggestions de la théologie queer. Voici toutefois notre recommandation : éviter toute pudibonderie et pruderie et consentir à se laisser désarçonner par tel ou tel propos.  La théologie travaille avec un certain nombre de présupposés implicites, non interrogé, concernant ce qui « convient » (ce qui est « décent » en latin : decet) à Dieu et surtout à nos discours sur Dieu. La théologie queer se moque de ces convenances ; elle les bouscule allégrement et non sans humour. Mais ça n’est pas une raison pour ne pas écouter ce que la théologie queer a à nous dire non seulement sur les êtres humains, leur chair et leur corps, la manière dont sexe et genre façonnent qui nous sommes, les formes d’injustice qui existent par rapport aux personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’hétéronormativité inhérente à notre culture, mais aussi sur Dieu et ce que le christianisme confesse comme étant la révélation de Dieu dans sa parole. »

Apolline Thomas et Christophe Chalamet,
Avant-propos à la traduction française de Théologie queer de Linn Marie Tonstad

Notre vidéo sur la dérive:




Contre le terrorisme, la souveraineté ?

« Pourquoi ce silence en Romandie ? ». Voici la question que posait le journaliste de Watson Antoine Menusier dans la foulée de l’attaque au couteau, samedi trois mars à Zurich, d’un juif orthodoxe par un ado de 15 ans. Se réclamant de l’État Islamique dans une vidéo, ce jeune Suisse d’origine tunisienne voulait participer avec son acte à « un combat mondial contre les juifs ». Une attaque d’une gravité peu commune en Suisse, mais trop peu traitée dans un premier temps par les médias romands aux yeux du journaliste. La faute à la barrière de la langue ? Peut-être mais pas seulement. Car pour Antoine Menusier, le fait divers venait aussi mettre le doigt sur les contradictions de notre politique d’intégration : « Parmi les antisémites, on trouve des jeunes gens pour lesquels sont élaborées des campagnes antiracistes », relevait-il ainsi dans sa chronique. 

Des digues ont sauté

Une autre question mérite également d’être posée : celle du rejet croissant de notre tradition de neutralité. Du conflit ukrainien à la guerre au Proche-Orient, bien des digues semblent en effet avoir sauté dans l’affirmation des valeurs helvétiques. Ainsi n’est-il plus étonnant d’avoir le drapeau d’un belligérant sur un Hôtel de Ville ou des représentants d’un parti gouvernemental appelant à boycotter tous les produits d’origine israélienne. Fin février, une chercheuse de l’Université de Lausanne et députée socialiste vaudoise, Oriane Sarrasin, était allée jusqu’à annoncer son refus de collaborer professionnellement avec ses homologues de l’État hébreux ! Une initiative pour le moins troublante, s’agissant d’une employée d’une institution publique, mais qui ne l’avait pas empêché de recevoir le soutien de son président de parti, Romain Pilloud sur X (ex-Twitter ).

Parmi les antisémites, on trouve des jeunes gens pour lesquels sont élaborées des campagnes antiracistes

Antoine Menusier, journaliste à Watson

Et si ce climat inédit favorisait un ensauvagement de la vie publique ? Nous avons posé la question à Antoine Menusier. Pour lui, neutralité ou souveraineté entrent peu en ligne de compte : « Le jeune terroriste inscrit son geste dans une vision islamiste, qui est civilisationnelle et supranationale. Il s’agit de restaurer la grandeur passée du califat. Pour cela, il faut battre les concurrents que sont les juifs et les chrétiens. » Certes, mais un regain souverainiste, en Suisse, ne permettrait-il pas de faire face à des volontés de ce type ? Pour ce spécialiste des questions de société, rien ne l’indique : « La Suisse est souveraine, la chose est de toute façon garantie. Avec la famille de ce jeune, on n’a probablement pas affaire à un cas Schengen, donc rien qui ait un rapport avec la question de la libre-circulation des personnes. C’est une famille qui s’est installée conformément aux règles et l’on ne peut en aucun cas affirmer à ce stade de l’enquête (ndlr 7 mars 2024) qu’elle partage les vues radicales du jeune auteur présumé de l’attaque. »

« La Suisse a abdiqué ses valeurs »

Une toute bête manifestation de choc de civilisation, donc ? Telle n’est pas la vision d’un sympathisant du Hezbollah d’origine libanaise vivant dans le canton de Vaud que nous avons contacté : « Il y a surtout une instrumentalisation du conflit au Proche-Orient pour alimenter une haine antimusulmane », tonne ce catholique, en condamnant néanmoins l’agression survenue à Zurich.  Il refuse en outre l’idée qu’Israël, « État fondé sur le terrorisme » à ses yeux, serait l’avant-garde de l’Occident comme on l’entend souvent.

Message radical, donc, mais quid de la neutralité helvétique ? S’il s’y dit tout à fait favorable, il n’en demeure pas moins selon lui que les habitants de notre pays ont bien le droit d’exprimer leur opinion sur des conflits lointains. Il estime que la Suisse a de toute manière abdiqué ses valeurs en s’alignant sur les sanctions contre la Russie ou en projetant le drapeau israélien sur la Tout de l’Horloge de Berne au lendemain des attaques du 7 octobre.

L'initiative sur la neutralité : un début de solution ?
L’initiative sur la neutralité : un début de solution ?

Pour sauvegarder la neutralité, cesser de brader la nationalité

Président de l’UDC Vaud, Kevin Grangier se montre plus combatif : « La neutralité est un pilier historique sur laquelle la Suisse a bâti paix et sécurité. C’est vrai pour notre cohésion nationale et sociale, donc à l’intérieur de nos frontières, comme à l’extérieur, dans nos relations diplomatiques et internationales. Bien sûr, cette attaque terrible à Zurich a un lien avec le conflit israélo-palestinien qui fait rage en ce moment, mais elle s’inscrit aussi dans une dérive qui affaiblit la Suisse depuis trop longtemps :  comment rester en sécurité si on ouvre sans aucun contrôle nos frontières à des immigrés qui importent leur conflit dans notre pays ? Pire, par faiblesse d’esprit, on brade notre nationalité et on attribue des passeports suisses comme on vend des petits pains !  Comment rester souverains si on continue à naturaliser des gens qui ne comprennent, ni ne partagent nos piliers fondateurs, comme l’est, en autre, la neutralité ? » Et de fustiger « la politique d’immigration et d’intégration coupable de la gauche » qui a implicitement conduit, à ses yeux, à l’attaque antisémite zurichoise. 

Comment rester souverains si on continue à naturaliser des gens qui ne comprennent, ni ne partagent nos piliers fondateurs ?

Kevin Grangier, président de l’UDC Vaud

Ces propos font écho à ceux tenus au Grand Conseil zurichois, peu après l’attaque : le député UDC Tobias Weidmann y a suscité le tollé en déclarant que l’antisémitisme, désormais, ne venait plus de la droite, mais de la gauche anticapitaliste et des migrants. 

Kevin Grangier, quant à lui, conclut en rappelant la demande du Conseiller d’État zurichois et ancien socialiste Mario Fehr de révoquer la nationalité de l’agresseur.




Quand le ciel nous tombera sur la tête

Un soir d’été, quelques jours avant la Théophanie, j’étais l’invité d’un homme d’État à la retraite. Il avait été, dans sa région et au-delà, une grande figure de la droite. (Cette dernière précision suffit à vous indiquer qu’il ne pouvait s’agir du canton de Genève.)

En face de sa maison, il y avait l’à-pic d’une montagne vide de toute remontée mécanique, de toute habitation, de toute centrale électrique, bref une montagne oubliée des hommes.

Il y eut alors un long moment où je pris conscience que, pour la première fois depuis des années, j’avais en face de moi la nuit originale, le ciel constellé d’étoiles, sans aucune trace de lumière artificielle. L’effet était saisissant et me plongeait dans une forme d’intranquillité. 

Je me rendis alors compte que la pollution lumineuse était devenue pour moi la norme, et que la nuit, telle qu’elle avait existé autrefois et telle qu’elle survivait dans ce coin de montagne, m’était devenue une chose étrange et étrangère.

Quelques jours plus tard, j’entreprenais la lecture d’un des livres très spécialisés que Springer arrive encore à publier en imprimant à la demande.

J’eus un moment de honte lorsque je me rendis compte que le livre que je lisais était en fait une traduction de l’italien vers l’anglais, et que j’avais manqué à mes devoirs envers la Péninsule en ne l’achetant pas dans la langue d’origine. J’ai retrouvé bonne conscience à la fin, lorsque Madame Patrizia Caraveo explique que Saving the Starry Night est la version anglaise considérablement révisée et mise à jour de l’original italien Il cielo è di tutti. Et puis l’édition anglaise a pour couverture une photographie d’une beauté renversante des trois cimes de Lavaredo, dans les Dolomites, au coucher du soleil en octobre 2020.

Sauver la nuit étoilée, donc. Mais dans quel but ? Et la sauver de quoi ?

La Nuit étoilée de Vincent van Gogh, en 1889.

Caraveo, qui travaille à l’institut national d’astrophysique à Milan, nous rappelle d’abord l’importance du ciel en tant qu’héritage culturel. Les anciens regardaient le ciel et ils y voyaient des prodiges auxquels nous sommes devenus indifférents. Le ciel a une histoire, que rappellent ces constellations qui évoquent des mythes grecs et ces étoiles aux noms arabes ou latins issus d’empires disparus. N’oublions pas non plus que la révolution scientifique a commencé avec l’astronomie : citons les noms de Copernic et de Galilée, le messager des étoiles. Mais ceci a fait l’objet d’un autre livre, et justifierait une autre chronique. 

À la nuit s’oppose la lumière, elle aussi objet de découvertes scientifiques de premier plan auxquelles reste attaché le prix Nobel de physique accordé à Einstein en 1919. Et la lumière artificielle fait reculer, décennie après décennie, la nuit : les observatoires astronomiques historiques, comme celui de Paris ou celui de Naples, étaient construits au cœur des villes. À partir du moment où l’éclairage nocturne est devenu la norme, les observatoires ont dû être déplacés vers des lieux de plus en plus sauvages, désert d’Atacama ou sommet du volcan Mauna Kea.

Le livre abonde en graphiques et en photographies qui montrent que la nuit recule année après année et qu’elle n’existe presque plus en Europe occidentale. Toutefois, même dans cette petite partie du monde, les différences sont impressionnantes : la pollution nocturne est 7’000 fois plus importante dans la région de Delft, riche en serres artificielles, que dans les Hébrides extérieures (page 45). Dans un ciel 10 fois plus éclairé qu’au naturel, il n’est plus possible de voir la Voie lactée (page 63).

Il appartient toutefois à l’auteur de nous convaincre que cette pollution lumineuse n’est pas souhaitable. En effet, nous savons aussi que l’éclairage de nos villes représente une victoire sur un danger bien tangible, qui était celui des brigands qui profitaient de l’obscurité pour attaquer les passants. Alors, comment justifier que des ténèbres puissent être préférables à la lumière ?

Ce livre contient donc une apologie de l’obscurité. L’excès d’éclairage nocturne s’oppose au rythme circadien, porte atteinte au sommeil, favorise le cancer par la diminution de la mélatonine, détruit le biorythme des animaux, des insectes et des végétaux et provoque la mort de très nombreux insectes. 

Bien entendu, la solution ne réside pas dans des opérations politico-publicitaires sans lendemain comme « une nuit sans éclairage dans le Grand Genève » : à un problème créé par la technique, il existe des solutions techniques. Caraveo cite l’exemple de Tucson, dans l’Arizona, où l’utilisation de lampes à sodium à basse pression a permis de diviser par 3 la pollution nocturne sans aucune incidence sur les habitudes de vie de la population (page 77). J’en déduis que l’innovation technique et scientifique est un meilleur remède aux diverses formes de pollution que les hausses d’impôts et l’écriture inclusive.

La nuit est belle est un événement co-organisé depuis 2019 par le Grand Genève, le Muséum d’histoire naturelle de Genève, la Société Astronomique de Genève et la Maison du Salève.

La pollution électromagnétique affecte aussi les ondes radio, et entraîne une perte d’efficacité aussi grande pour la radioastronomie que la pollution lumineuse pour l’astronomie optique. 

Les deux derniers chapitres du livre ouvrent les perspectives les plus inquiétantes, et aussi les plus stimulantes. Sous nos yeux indifférents, le ciel est en train de devenir le terrain d’une nouvelle révolution industrielle. Notre époque panurgique aura en effet vu l’avènement de deux individualités originales, Michel Houellebecq en littérature et Elon Musk dans l’industrie. Le prophète et l’ingénieur. On sait que le deuxième est parti à la conquête du ciel. 

L’entrée du Prométhée de Pretoria dans le domaine spatial nous fait changer d’ère. Depuis le Spoutnik soviétique de 1957 jusqu’à 2019, on a lancé 9’000 satellites, dont seulement 1’500 fonctionnent encore (page 151). Le réseau GPS repose sur en tout et pour tout 32 satellites, dont 24 actifs en permanence, et coûte 2 millions de dollars par jour à l’armée étasunienne (pages 127-128). Or, Space X de Musk a obtenu l’autorisation d’en lancer 12’000. Le consortium One Web a obtenu l’autorisation d’en lancer 6’372 ; Samsung 4’700 ; Amazon 3’263 ; Boeing 3’000 ; en comptant les plans de Facebook, Link, Kepler, Telsat et divers projets russes et chinois, on va vraisemblablement arriver à 100’000 satellites. Comme ils auront une durée de vie de 5 à 10 ans, il y aura à terme 10’000 lancements par an pour maintenir cette population. Comme d’habitude, l’Europe occidentale, terre devenue hostile aux entrepreneurs et réticente à la science et à la technique, est complètement hors du coup et ne saura que critiquer les autres au lieu d’agir. Passer de 9’000 satellites à 100’000 satellites, c’est créer une situation qui est riche de promesses (l’Internet par satellite), mais aussi de menaces. Très impressionnante à cet égard est la photo de la trace laissée dans l’espace par le premier train de 60 satellites lancé par Musk en mai 2019 (page 119). Ce serait un mensonge que d’affirmer que tout a été prévu : on ne sait pas vraiment quels sont les risques liés à une telle cohue dans l’espace, d’autant plus que la plupart de ces engins se trouveront sur une orbite assez basse. Comment éviter les collisions ? Le 2 septembre 2019, on est passé très près d’une collision entre un satellite de l’Agence spatiale européenne et un satellite de Musk. Si toutes les branches de l’astronomie souffrent d’ores et déjà (le passage d’un train de satellites Space X suffit à rendre inutilisable une image du ciel – page 139), la plus touchée sera l’observation des astéroïdes qui représentent un danger potentiel pour la Terre. Il est aussi possible que la radioastronomie soit mise en danger par les interférences dues à la prolifération de ces nouveaux utilisateurs de fréquences radio. Et peut-on vraiment affirmer qu’il n’y aura aucun risque lié aux épaves ?

Il n’est pas question de jouer au luddite et de condamner cette nouvelle aventure industrielle. Musk est plus ouvert que d’autres aux dialogues avec ses critiques, et il a réponse à tout : si ses satellites gênent le travail des observatoires sur Terre, alors il faut envoyer les observatoires dans l’espace (page 159).

Il faut en revanche rappeler qu’il n’y a eu aucun examen réel des risques liés à cette nouvelle étape de l’industrie spatiale. Les autorisations sont délivrées par la commission étasunienne des communications (Federal Communications Commission). Or, celle-ci est un des très rares organismes du gouvernement de Washington, qui, de par la loi, est exempté d’examiner les conséquences de ses décisions sur l’environnement. Ce qui est exigé pour un permis de construire ne l’est pas pour le lancement de 12’000 satellites. En droit international, le traité sur l’espace du 27 janvier 1967 est dépassé, car il n’appréhende que dans une mesure très limitée (article VI) l’intervention d’acteurs non gouvernementaux dans l’espace. Aucun juriste n’est assez naïf pour penser que la législation peut régler tous les problèmes, mais on a tout de même le droit de penser que certaines autorisations ont été accordées à la légère.

En conclusion, tous les acteurs concernés (États ; industriels ; scientifiques compétents en astronomie, astronautique et astrophysique ; consommateurs) devraient sans doute coopérer à une prévention des risques liés à cette nouvelle révolution industrielle. 

On ne peut qu’être frappé par la richesse d’un livre qui, en si peu de pages, nous parle aussi bien des difficultés des chasseurs d’étoiles que de la mort des insectes ou de l’invasion de l’espace. Car enfin, si l’humanité a passé le XXesiècle à fantasmer sur des envahisseurs venus d’autre planète, c’est bien elle qui est en train de s’emparer de l’espace.

La pollution lumineuse, en bien des lieux, nous a déjà conduits à faire l’expérience bien réelle d’une nuit privée d’étoiles, différente de celle qu’avait vécue Thomas Merton. Le risque est maintenant que les satellites se substituent aux étoiles, et que le ciel nous tombe, définitivement, sur la tête.

  • Patrizia Caraveo, Saving the Starry Night, Springer, Cham 2021, 165 pages.



Édition 31 – Un journal contre les robots

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Dans notre nouvelle édition, vous trouverez notamment un édito inédit concernant la mobilisation de différents journalistes face au sentiment d’uniformité des médias suisses. Et si, effectivement, nous étions entrés dans un monde de robots ?

Autres exclusivités, notre interview de l’ambassadrice d’Israël ou la lettre adressée aux autorités catholiques fribourgeoises par de jeunes fidèles heurtés par un appel à la prière musulmane dans des églises à l’occasion de concerts payants.

Des découvertes, encore, dont la présentation de l’œuvre de T. S. Eliot, poète majeur et apôtre du retour à la tradition. Ceux qui ont déjà vu le film Apocalypse Now retrouveront des souvenirs…

Bonne découverte et n’oubliez pas, pour nos abonnés en provenance de partager.io, de réinitialiser votre mot de passe ici : https://lepeuple.ch/mon-compte/mot-de-passe-perdu/

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« Il faut aider les pédophiles abstinents à le rester ! »

Son regard respire la douceur et gagne en sérénité avec les années. Daniel Pittet aime se définir comme « un homme debout ». Et c’est effectivement ce qu’il est. Ce Fribourgeois de 65 ans est debout mais claudiquant aussi. Il le sait, l’affirme et l’affiche même. Sur l’avant-bras droit de ce bibliothécaire de métier, un tatouage indique d’ailleurs cette évidence : « Fragile ». Mais la force véritable ne consiste-t-elle pas à regarder ses fragilités en face pour ne pas s’enfermer derrière une carapace, coupé de soi et des autres, ou pire, dans le confort malsain mais rassurant d’une identité d’éternelle victime ? Pour Pittet, ne pas tomber dans ces travers est le défi d’une vie. Ce père de six enfants, resté fervent catholique, a fait du traumatisme subi enfant une sorte de carburant pour générer du bien autour de lui. Un funeste dimanche de 1968, Joël Allaz, un prêtre capucin indigne et pédocriminel en série, l’abuse sexuellement après la messe alors qu’il n’était qu’un enfant de chœur de 9 ans. Cet enfer, fait de manipulations, de non-dits et de rapports de pouvoir, dure quatre ans. 

Daniel Pittet vient d’une famille dysfonctionnelle, pauvre et très catholique. Il a grandi sans père et était une proie idéale pour un pervers. À l’époque des faits, contre toute attente, il a choisi de pardonner. « Et j’ai construit ma vie sur ce pardon », rappelle-t-il souvent. En 2017, une biographie raconte son calvaire et invite les victimes à briser le silence. Préfacée par le Pape François et traduite en huit langues, elle s’est écoulée à 40’000 exemplaires rien qu’en Suisse. Ce livre a suscité de nombreuses réactions de la part de victimes, mais pas seulement… Ce sont essentiellement ces retours chocs qui ont fait naître en Daniel Pittet l’envie de signer un autre ouvrage, plus didactique, à paraître au printemps prochain. Nous l’avons lu en avant-première. Lui aussi pourrait faire grand bruit… Ses titres de travail : « Chut, c’est un secret ! » ou « Viols en famille »… Le Fribourgeois, qui connaît les casseroles de bien des pervers en Romandie, y pose un regard inattendu sur les pédophiles eux-mêmes. Interview à son domicile de Rossens (FR) entre une icône de saint Joseph et une photo originale inédite du Padre Pio, dans la présence rassurante de son épouse Valérie et celle lumineuse et joviale d’Anne-Léa, leur petite dernière trisomique.

Pourquoi ce nouveau livre ?

Depuis la sortie de Mon Père, je vous pardonne (Éditions Philippe Rey), je n’arrêtais pas d’être contacté par des victimes d’abus sexuels, essentiellement d’ordre pédophile. J’ai pleinement pris conscience que rien qu’en Suisse, 800’000 personnes auraient été abusées sexuellement. J’ai compris aussi à quel point sortir du silence est difficile et à quel point mon témoignage sans filtre y aidait. C’est incroyablement libérateur, à condition d’être bien accompagné dans ce processus. L’écrasante majorité ne sort jamais du silence et vit cassée. Et le grand drame est que si la chose reste cachée, ces abus pédophiles continuent de se propager au fil du temps comme un virus selon une obscure mécanique.

Daniel Pittet, sur une photo prise par son violeur à l’époque des faits.


Plusieurs exemples l’illustrent dans votre ouvrage…

J’ai rencontré personnellement environ un millier de victimes. Voici celui qui l’illustre peut-être le plus tristement : à la suite de la lecture de mon livre, une vieille dame m’a convoqué sur son lit de mort pour me confier que son père l’avait violée. Elle voulait aussi en parler à ses filles et m’avait demandé d’être présent à ce moment-là pour l’aider. Une fois mises au courant, ces dernières, en larmes, lui ont révélé à leur tour qu’elles avaient toutes elles-mêmes été victimes de viols de la part de leur père. Quel choc ! Il y a comme une perpétuation du malheur. Le 80% des abus a lieu au sein des familles. Le plus étrange est qu’une fois adultes, certaines victimes vont jusqu’à confier leurs propres enfants à leur père violeur convaincu contre toute raison qu’il n’osera pas récidiver. Et notons aussi que le violé devient malheureusement violeur lui-même dans environ 60% des cas ! Moi, j’ai eu la chance incroyable d’être dans les 40% restants.

Comment expliquer ces surprenants phénomènes ?

Une victime aura beaucoup de risque d’attirer un conjoint dysfonctionnel qui, consciemment ou non, sentira en elle une faille à la source de laquelle nourrir sa propre souffrance ou son désir. Selon le même mécanisme psychologique, les pédophiles, hors milieu familial, identifient intuitivement immédiatement à quel enfant ils peuvent s’attaquer sans risque. Plusieurs d’entre eux me l’ont confirmé ! Leurs victimes conservent elles aussi cette espèce de « radar à souffrance ». Moi-même, si je passe devant une cour de récréation et que je vois interagir un enfant avec un adulte, je vois immédiatement si le second abuse l’autre ou non. C’est une capacité assez désarçonnante.

Comment briser ce cercle vicieux de la reproduction de la souffrance ?

En brisant l’omerta et/ou en pardonnant à son bourreau. Plusieurs victimes m’ont demandé comment pardonner à leur violeur. L’une d’elles, une jeune femme, m’a dit récemment : « Je veux tourner la page pour devenir mère de famille. » Elle avait compris que le pardon briserait le lien avec son bourreau. En effet, j’ai constaté que cela tranche ce lien invisible entre lui et soi. Mais cela ne se fait évidemment pas sur commande. Il faut être mûr pour cela et tout le monde n’a pas besoin de pardonner pour avancer. En revanche, sortir du silence et de la honte est indispensable pour cela. Car si tu ne parles pas, des abus se reproduiront dans ton entourage direct… Notons que bien souvent le violeur ne reçoit pas le pardon mais cela n’est pas indispensable pour que ce pardon soit guérisseur. Ces criminels sont enfermés dans le déni ou ne prennent pas pleinement conscience du mal qu’ils ont fait. 

Vous avez longuement échangé avec des dizaines de pédophiles abuseurs. Que venaient-ils chercher auprès de vous ?

J’ai rencontré 34 pédophiles âgés de 23 à 86 ans. Ils peuvent être professeurs, industriels ou médecins, comme simples ouvriers. Le dernier avait 24 ans. Il était étudiant, beau garçon ayant du succès avec les filles et semblait même sympathique. Quasiment tous avaient eux-mêmes été abusés dans l’enfance. Le premier m’a causé un grand choc. Il m’a révélé ses penchants pédophiles et ses abus après de longues minutes de discussion dans un bistrot alors qu’il m’était déjà sympathique. Sa manière de me prendre ainsi au piège soulignait son caractère manipulateur. Et ces prédateurs le sont tous. Mais ils sont à divers degrés cassés eux aussi d’avoir violé. Cela dit, je parle ici de ceux que j’ai rencontrés et qui sont si j’ose dire « la crème des pédophiles ». Eux aimeraient bien pouvoir rembobiner le film. Ils sont taraudés par leur attirance pour les enfants et ne se l’expliquent pas. Ils viennent vers moi chercher par procuration un pardon que je ne peux leur accorder même si je ne les juge pas. Face à eux, je me dis à chaque fois : « Mais quelle chance que je sois une victime. J’aurais pu être un violeur moi aussi ! Mais quelle cochonnerie ! Quelle saloperie ! Tu casses des vies. C’est de la merde. » Les pédophiles pervers comme Joël Allaz sont en revanche presque irrécupérables. Lui avait osé par exemple me dire tout naturellement lorsque j’étais allé à sa rencontre en 2017 : « Mais tu n’as jamais dit non c’est que tu avais du plaisir ! » À la fin, il pleurait un peu mais surtout sur lui-même…

Cette remarque souligne implicitement la puissance du « non ! », lequel n’est pourtant malheureusement presque jamais prononcé par les victimes…

Oui. J’ai même édité une carte de prévention, qui a été massivement distribuée dans les écoles, et sur laquelle était écrit ce « non » dans les trois langues nationales. L’idée était que les gamins l’aient sur eux et la sortent s’ils avaient affaire à un pervers. Cela peut sembler simpliste mais ça ne l’est pas. Tous les pédophiles abuseurs que j’ai rencontrés m’ont confirmé qu’ils auraient arrêté immédiatement si leur victime avait prononcé ce simple « non ». « J’aurai eu trop peur », m’a dit l’un d’eux. Et en effet, tous sont morts de trouille d’être découverts et de finir en prison. Mais les victimes sont presque toujours muettes et tétanisées. Tous les parents doivent donc apprendre à leurs enfants à dire « NON !’ ». Et ce dès le plus jeune âge. Ainsi, les pédophiles ne pourront plus continuer à miser sur la sidération. 

Simple, mais efficace.

Vous rêvez désormais que la prévention se penche sur les pédophiles eux-mêmes…

Oui. J’aimerais qu’un jour, ils puissent dire ouvertement « je suis pédophile » comme on arrive parfois à dire aujourd’hui « j’ai un cancer ». Cet aveu les aidera à ne pas passer à l’acte et à être cadrés par une sorte de contrôle social. Il faut aider les pédophiles abstinents à le rester ! C’est le grand défi des années à venir car c’est un levier puissant pour éviter des abus. Une victime en moins implique la suppression de tant de souffrances pour elle puis pour tant d’autres en cascade. Une victime sera cassée à vie et coûtera énormément à la société rien qu’en matière de coûts de santé. En Suisse, l’association lausannoise « Dis No » est précurseur sur ce terrain délicat. Elle offre un espace de parole aux pédophiles n’étant jamais passés à l’acte et à leurs proches. C’est un travail difficile et précieux auquel le grand public n’est pas encore prêt car dans notre société, le pédophile est le Diable en personne. C’est d’ailleurs ce biais qui fait qu’on ne se méfiera pas de personnes qui ne portent pas leur désorientation sexuelle sur le visage… Ce sont des manipulateurs hors pair intelligents et sympathiques, capables de longuement tisser leur toile en douceur. Même ceux qui les ont côtoyés longtemps tombent souvent des nues lorsqu’ils prennent conscience de la vérité. Beaucoup de proches restent d’ailleurs dans le déni. Pour eux, regarder la vérité en face serait trop dévastateur alors ils se mentent pour préserver leur monde intérieur et le clan.

En septembre, vous avez été ordonné Diacre à Fribourg. Entre-temps, de multiples scandales sexuels ont précisément éclaboussé l’Église catholique romande. N’êtes-vous pas dégoûté par cette institution millénaire ?

Ces révélations ne m’ont pas appris grand-chose. Je poursuis ma mission de Diacre notamment auprès des exclus. Je bénis, je baptise, je marie, je donne la Sainte communion. C’est une grande joie. La vérité est que les prêtres déviants restent une minorité. Et puis l’Église pour moi, ce n’est pas seulement les religieux consacrés, c’est aussi et surtout le Christ et tous ceux qui croient en lui…


Un mutirécidiviste des projets caritativo-spirituels

Daniel Pittet est un multirécidiviste des succès à visée caritative et spirituelle ! En 1994, il vendait 12’000 exemplaires du livre Rencontres au monastère, un livre de témoignages. Rebelote en 1996 avec Ascende huc, CD de chants grégoriens devenu disque d’or. En 2016, Aimer, c’est tout donner, le livre de témoignages de religieux dont il avait eu l’idée, s’est écoulé carrément à 2 millions d’exemplaires en 24 langues ! Même gros succès pour sa bio Mon Père, je vous pardonne dont les bénéfices avaient entièrement été reversés à une association luttant contre la pédocriminalité. Enfin, depuis 2020, Daniel Pittet et son épouse Valérie ont réussi à écouler 450’000 petites croix, chapelets et cœurs en bois d’olivier de Terre Sainte. Les dons ainsi générés – allant de 5 fr. à 150’000 fr. (!!!) – ont été reversés aux artisans chrétiens de Bethléem à qui avaient été commandés ces objets, artisans mis en grande difficulté par le confinement et qui le sont encore avec la guerre qui ensanglante Gaza. À Bethléem, seules 600 familles chrétiennes locales survivent péniblement, et ce chiffre diminue même chaque année.

Le pape François recevant une croix en bois d’olivier de Terre Sainte en 2021. DR.

TEXTE ET PHOTOS Laurent Grabet




« Ni les émeutes de Nahel ni l’assassinat de Thomas ne m’ont surpris…»


Il porte un nom à particule, une chevalière aux armes de sa famille à l’annulaire, un scapulaire discrètement posé sur son torse et un chapelet toujours à portée de main et de prières. Henri d’Anselme a du sang bleu dans les veines. Celui d’une famille catholique française de la noblesse d’épée qui n’a pas honte de qui elle est ni ne s’en vante. Mais la noblesse du jeune diplômé en philosophie et management de 25 ans est avant tout de cœur et de courage. Fin juin dernier, une journée durant, j’avais eu le privilège d’accompagner « le héros d’Annecy » sur son Tour de France des Cathédrales. C’était du côté de l’Abbaye d’Hautecombe, splendide nécropole néogothique des Comtes de Savoie, érigée sur les bords du lac du Bourget au XIIe.  

Ce fut une belle occasion de constater l’immense popularité dont jouissait déjà celui qui, avec son sac à dos Eastpack pour seule arme, venait de s’illustrer en faisant fuir Abdalmasih H, empêchant ainsi ce requérant d’asile syrien chrétien de 31 ans à la dérive, de faire plus de victimes encore lors de sa folle et sanglante attaque au couteau le 8 juin dernier sur une place de jeux des bords du lac d’Annecy en Haute-Savoie voisine. Par miracle, ses victimes, Ennio, 2 ans, Alba, 2 ans, Ettie, 3 ans, Peter, 22 mois, Youssouf, 78 ans et Manuel, 62 ans, avaient toutes survécu. Mais l’anonymat d’Henri, lui, avait succombé ce jour-là.

Promu héros national malgré lui, interviewé en boucle sur les grandes chaines de télévision, le jeune catholique, originaire de Le Pecq dans les Yvelines, y avait déployé avec calme, intelligence et sincérité un argumentaire clair, précis et rassembleur. Soit en résumé : « Chaque Français est capable d’agir comme je l’ai fait. S’il y a bien une leçon à retenir de cette histoire, c’est qu’il faut arrêter de rester passif face à de telles attaques. Il faut se nourrir de ce qu’il y a de grand et de beau dans notre pays et notre Histoire, relever la tête et décider d’arrêter de subir. » Ou encore, comme il nous l’avait confié lors de notre rencontre : «Mon message est en réalité hautement politique, mais au sens noble du terme: pour retrouver une société unie autour de la recherche du bien commun, il faut se nourrir du Beau, du Bien et du Vrai. Si un jour mes petits-enfants me demandent ce que j’ai défendu durant ma vie, je ne veux pas leur répondre que je me suis battu pour La France insoumise ou pour Les Républicains. Ces combats seront si vite totalement dépassés. Je leur préfère de loin la défense des grandes valeurs universelles et immuables » !

Ce discours avait touché juste, soufflant sur les braises d’une fierté nationale mise à rude épreuve ces dernières années par les repentances historiques à répétition et les déclassements économiques et géopolitiques notamment. Et cet admirateur de Jeanne d’Arc était ainsi devenu à son corps défendant un symbole de la résistance tricolore au mal. Sa bravoure avait été récompensée d’une légion d’honneur, ce qui l’avait beaucoup gêné, lui dont le « grand père général l’avait vraiment méritée ». Cette médaille lui avait d’ailleurs valu d’être reçu par « Manu » Macron, un Président anormal, plus à un ‘’coup de com‘’ ni à un ‘’en même-temps’’ près, et dont Henri ne pense pas forcément que du bien.

En même temps, cette bravoure et ce discours en avaient dérangé certains du côté gauche de l’échiquier politico-activiste hexagonal. Une petite partie de la « grande » Presse française avait ainsi cru déceler dans le passé scout d’Henri, dans les messes en latin auxquelles il assiste parfois et dans son expérience de journaliste au sein du magazine catho conservateur « L’Homme Nouveau » des relents d’ « ultra droite ». le ridicule de cette étiquette en forme de néologisme orwellien censée discréditer le héros, assorti à la hargne de ces journalistes, qu’on imagine assez mal dégainer un Eastpack en invoquant Arnaud Beltrame et la Vierge Marie pour parer des coups de couteau d’un fou furieux, n’ont très majoritairement suscité que du mépris chez les Français.

Tout ça et bien d’autre choses nous ont donné envie de revenir vers Henri d’Anselme, à moi le premier, qui suis Suisse d’adoption mais Français de nationalité et qui plus est originaire d’Annecy… Car à l’heure où notre grand voisin s’enfonce à vue d’œil dans l’ensauvagement et les compromissions, il semble qu’un peu de la droiture du « héros au sac », même dégustée avec recul et par interview interposée, pouvait se révéler un brin salutaire. Entretien :

Bonjour Henri. Comment se sont passés les six mois nous séparant de l’attaque au couteau d’Annecy, au cours de laquelle vous vous étiez illustré par écrans interposés jusqu’en Suisse romande ?

Très bien. Il m’a fallu accepter mon nouveau statut. Lequel ne m’a pas empêché de continuer à me déplacer en partie en auto stop. Je suis monté vers le Jura, les Vosges puis le Grand Est. Souvent mais moins qu’au début, je suis reconnu dans la rue. Les gens m’abordent avec beaucoup de bienveillance et me félicitent. Avec le recul, je me suis rendu compte que mon message a porté plus que mon geste. J’en suis ravi car tel était mon souhait. Je suis passé de 12’000 followers sur mon instagram avant l’attaque d’Annecy à près de 142’000 aujourd’hui…

Sur votre chemin, vous dites avoir compris aussi pourquoi les Français sont des râleurs, une réputation d’ailleurs bien vivace ici en Suisse… Alors pourquoi le sont-ils donc ?

(Rires) Car les vrais Français sont des gens qui ne supportent pas la médiocrité quand bien même sont-ils eux-mêmes parfois médiocres par moment. Dans son héritage et son environnement immédiat, le Français perçoit tant de grandeur que la petitesse lui devient forcément insupportable !

Les médias continuent-ils de s’intéresser à vous aujourd’hui?

Je viens de donner une interview dans la Croix. Un documentaire en quatre épisodes centré sur mon tour de France des cathédrales, tourné sur quatre semaines d’août à novembre dernier pour la chaine télé C8, y sera diffusé début 2024. Ces professionnels ont découvert avec moi un peu à leurs dépens le monde des cathédrales (Rire). Et leur œil neuf m’a poussé dans mes retranchements en m’obligeant à vulgariser de mon mieux. En parallèle, j’ai ciselé des pastilles vidéo de 1mn30 pour CNews. Au total, 25 seront diffusées. Si je fais ça, c’est que cela a du sens. Mon intention n’a jamais été de surfer sur la popularité pour nourrir mon égo ou mon compte en banque mais de faire partager au plus grand nombre la beauté de nos cathédrales. Je bosse aussi sur un livre dans le même esprit à paraître l’année prochaine chez un grand éditeur français…

Mais en quoi transmettre la beauté de ce patrimoine architectural, artistique, historique et religieux serait-il donc si important ?

Mon tour de France répondait d’emblée à une triple dimension à laquelle je suis resté fidèle : aventure – découverte, pèlerinage et transmission. Mon envie est de transmettre une beauté qui est notre héritage dans l’idée qu’elle nous élève et pose les bases de l’unité dans le contexte d’une société très divisée. Toute société se construit autour de valeurs communes. On parle souvent de Fraternité et du « vivre-ensemble » mais ce sont finalement des concepts assez creux dans lesquels certains injectent de généreuses doses d’idéologie. Moi, je veux valoriser des valeurs communes réelles ! La France a peut-être le plus beau patrimoine construit au monde, des paysages époustouflants et divers, compte le plus grands nombres de Saints avec l’Italie… Quelle richesse ! Ma démarche relève de la Politique avec un grand P. Je ne m’inscris pas dans une fiction rousseauiste du contrat social qui se pique d’inventer l’unité. La véritable unité s’ancre dans le concret…

Certaines des personnes que vous croisez sur votre route rejettent-elles cette vision ?

Bien sûr, mais pas souvent et en général de façon idéologique. On m’a dit plusieurs fois : « Je ne suis pas dans la religion », une expression qui en réalité ne veut pas dire grand-chose. Mais ces même personnes me disent aussi : « Je rentre parfois dans une église car je sais que c’est beau et que ça nous appartient ». Les gens sont touchés par la gratuité de cet héritage. Une cathédrale, ça ne sert à rien au fond. C’est un trou financier pour l’état et les communes mais c’est très beau et ce n’est pas l’utilité matérielle qui est importante. Ce beau gratuit touche nos âmes. Nos ancêtres se sont inscrits dans le temps long pour ériger ces chefs d’œuvres. Certaines pierres ont exigé douze jours de travail à deux compagnons. Le comprendre donne de la densité au temps. Cela nous ramène à l’échelle d’une cathédrale, soit un bâtiment qui sera là 500 ans voire à jamais. Cela invite à privilégier la qualité sur la quantité. Le beau sur l’utile.  

Le jeune homme prend le temps et du plaisir à échanger d’égal à égal avec tous ceux qui l’abordent.

Lors de votre entrevue avec le Président Macron en juin, il vous avait invité à l’inauguration de Notre Dame de Paris dans sa version restaurée. Irez-vous ?

Evidemment. La catastrophe de Notre Dame est intéressante. Notre Dame qui brûle, c’est symboliquement la civilisation chrétienne qui brûle… Si ce drame a tant touché les Français, croyants ou non pour la plupart, c’est qu’ils ont senti intuitivement que c’était leur héritage profond qui avait été touché. Ce bâtiment a 800 ans et sa charpente datait du moyen-âge. Sa destruction par les flammes a ému le monde entier. Même des Américains sont venus pour la restaurer ! J’honorerai donc l’invitation du Président. Ce sera le 8 décembre 2024. Après l’incendie, il avait promis de reconstruire en cinq ans. On avait besoin de cette promesse et elle sera tenue. C’est fort ! Pour lui, c’était évidemment aussi un coup de com mais pas que. Je crois qu’Emmanuel Macron, quoique peu croyant, a senti intuitivement ce que cet évènement représentait, tout comme aurait su le faire De Gaulle en son temps.

Que vous ont inspiré les émeutes ayant embrasé la France en juin suite à la mort du jeune Nahel tué par un policier alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle ? Et l’assassinat en novembre du jeune Thomas par une bande de délinquants venus de banlieue avec des couteaux pour s’incruster à une fête de village à Crépol dans la Drôme ?

De la tristesse peut-être. Tout sauf de la surprise en tous cas. Car cela fait des années que je vois venir ce genre d’évènements. Cela fait des années aussi que les politiciens n’apportent aucune solution à la hauteur de ces enjeux. Le rôle d’une véritable politique, c’est pourtant de proposer un idéal aux gens pour bâtir dessus un projet. Aucun parti ne le fait. À droite, on ne voit que des références à une grandeur passée et à gauche des projections imaginaires sur un hypothétique futur fait de  progressisme voire de transhumanisme. Mais nulle part, je ne vois d’idéal ancré dans le réel et permettant de réinventer un vrai futur ensemble. Que certains s’étonnent encore que le ministre de l’intérieur Darmanin ait tenté de cacher les prénoms à consonance maghrébine des assassins, c’est plutôt ça qui m’étonne ! Je n’attends plus rien de ces « élites » mais il est difficile pour moi d’en dire davantage sans sortir du rôle que je me suis fixé et qui est de contribuer à rassembler. Mon premier réflexe, c’est peut-être de dire : ok, ça existe ! Ok on vit dans un pays où ça existe ! Mais comment va-t-on s’en nourrir pour s’élever, se transcender et pouvoir agir ?

Et quelle est votre réponse à cette grande question ?

Ma réponse est qu’il faut relever la tête, arrêter de subir et que pour ça, on doit se recentrer sur ce qu’on a de beau et de grand dans notre pays et chez nous. Il y a des jeunes français qui sont « plantés ». Des bébés aussi à Annecy. Et nous n’avons pas le droit d’accepter cette fatalité ni de nous y soumettre. Mais en même temps, on n’a pas le droit non plus de s’en servir pour attiser le chaos ! L’urgence c’est de reconstruire une unité autour de notre héritage et lorsque ce sera fait, toutes ces affaires vont nous devenir plus insupportables encore. Mais nous serons alors armés pour proposer quelque chose de plus beau et de plus grand et pour avoir infiniment plus de résilience. Cela dit, la colère est légitime et elle est juste aussi. Moi aussi, je suis en colère et c’est même pour ça que je fais le tour de France des cathédrales…

L’immigration est-elle encore « une chance pour la France », comme le clamait le politicien Bernard Stasi ?  Voilà en substance la question que se posent de plus en plus ouvertement nombre de vos compatriotes.  Cette question est-elle légitime ? Quelle réponse lui donnez-vous ?

Oui évidemment qu’elle est légitime mais pour l’instant ce n’est pas du tout mon rôle de donner mon avis là-dessus… Si on accueille des migrants en France, il faut qu’ils puissent être abreuvés à la grandeur française et ainsi en mesure de suivre un idéal qui les élèvera aussi. Ce constat d’ailleurs est valable pour tout Français. Car ces dernières décennies,  beaucoup de mes concitoyens ont été comme amputés de leur passé, notamment via une éducation nationale défaillante, et je pense que ce fut en partie un mouvement volontaire que je juge d’ailleurs criminel. Ce n’est pas pour rien si les écoles libres (ndlr : catholiques) ont tant de succès aujourd’hui. J’ai eu la chance de passer par là moi-même et ce fut édifiant car ces structures ont été fondées par des gens nourris à la grandeur française et qui ne pouvaient donc que la transmettre à leurs enfants.

En Suisse comme en France, de sordides affaires d’abus sexuels dans l’église sont mis en lumière. Qu’est ce que cela vous inspire ?

Il est bon que ces histoires émergent. Cela permet une purification de l’Église. Un chrétien n’a rien à cacher. Il ne peut qu’être heureux de voir la vérité émerger. La vérité est toujours bonne à dire pour lui. Seuls les crétins se gargarisent de ces scandales. Ils sont ravis de tirer sur l’ambulance sans comprendre qu’ils le font comme des jeunes de cités caillassant le camion de pompiers qui venait précisément chez eux éteindre un incendie … La nature a horreur du vide. Or la déchristianisation de nos sociétés en a creusé un béant. S’est immiscé dedans le choc des civilisations entre notre christianisme dépressif et un Islam conquérant. Ce n’est pas criminel de le dire. Cela relève du constat. La chrétienté a été l’une des plus grandes civilisations du monde. Pour qu’elle redevienne grande, il faut qu’elle redevienne la Chrétienté. Et c’est là qu’il faudra se poser la question de la vocation de la France qui est d’être « fille aînée de l’église », comme le rappelait en son temps le Pape Jean-Paul II. Elle fut en effet le premier pays institutionnellement chrétien, avec l’Arménie mais à une tout autre échelle.

Quel est votre avis sur le Pape François ?

(Sourire) Par souci de respect filial, je ne vous le donnerai pas. Ce serait trop facile de le critiquer et ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas un expert. Je dirais des bêtises et puis ça reste le pape…

En septembre, vous avez participé à la soirée des éveilleurs, une association conservatrice née de « La Manif pour tous ». Vous avez aussi tenu plusieurs chroniques patrimoniales dans Valeurs Actuelles, hebdomadaire conservateur à succès que ses détracteurs se plaisent à enfermer à l’extrême droite. Ne craignez-vous pas que ces collaborations aillent à l’encontre de votre volonté de rassembler ?

Je me fiche de me mettre des gens à dos tant que mon discours reste en adéquation avec mon rôle de rassembleurqui ne veut pas non plus rassembler à tout prix… Cette collaboration dans « VA » m’a valu autant de nuits blanches que de chroniques et je l’ai donc abandonnée faute de temps… Mais là, ça va mieux et j’ai bien envie de la reprendre tiens…

L’ensauvagement ne concerne pas que certains jeunes de banlieue. Il semble rampant un peu partout. En tant que Chrétien, voyez-vous là un élément du combat eschatologique?

Un peu oui mais cela ne me fait pas peur. On a déjà gagné la grande guerre entre l’ombre et la lumière. Le Christ est mort sur la croix pour ça. Quand on a compris ça en tant que chrétiens, on a compris qu’on n’a plus rien à perdre. Notre génération est condamnée à l’héroïsme et pour ceux qui sont chrétiens à la sainteté. Soit on décide de se battre et nos descendants nous béniront soit on ne le fait pas et ils nous maudiront. Qu’a-t-on à perdre ? Notre confort bourgeois ? Notre civilisation chrétienne est déjà morte mais renaitra autrement. Un vrai chrétien devrait penser et réagir comme ça. Tout juger à l’aune de la Vie éternelle, c’est là toute la radicalité de la sainteté…

TEXTE ET PHOTOS Laurent Grabet




Les étranges audaces de la RTS sur Instagram

On peut trouver bien des manières de désigner la Radio télévision suisse (RTS) : véritable Pravda pour les uns, elle est la garante d’une information de qualité pour les autres, et l’Eldorado de la plupart des journalistes. « Le média romand qui met en lumière la diversité des opinions et des modes de vie d’aujourd’hui », en revanche, est une définition que l’on entend peu.

C’est pourtant celle que l’entreprise s’est choisie sur son compte Instagram généraliste, comptant 88’000 suiveurs et plus de 500 publications. Coexistant avec rtsinfo, rtssport, rtsarchives ou rtsculture, cet espace se distingue avec des contenus étonnants. « Nous sommes tous appelés à devenir des bouddhas », nous indique le premier sujet en ligne à l’heure de l’écriture de cet article (30 novembre 2023). Félicien, dans le second, nous parle d’un problème de verrues qui a transformé sa pratique du sexe anal en véritable calvaire. Nous attendent encore le récit d’une jeune femme au tatouage de nonne sur le mollet, le témoignage d’un adepte du slip thermique ou la riche histoire du thé froid de la Migros. Le tout sans oublier une très conformiste tentative de déconstruction de la masculinité ainsi que le récit d’émancipation d’une princesse de jeux vidéo !

Étrange définition.

« Inspirant et constructif »

A l’évidence, la diversité se porte bien. Mais le rôle de la RTS ne consiste-t-il pas plus à créer de l’unité dans le paysage intellectuel suisse ? N’est-on pas ici en train de fragmenter la population pour en faire une juxtaposition de « tribus » toutes plus cocasses les unes que les autres ? Nous avons posé la question à Christophe Minder, porte-parole de l’entreprise. Il explique que « ce compte Instagram de la RTS se veut au contraire incluant et aussi représentatif que possible de la diversité qui caractérise la Suisse romande. »

Quant au choix de ne parler quasiment que de sujets « sociétaux » sur cet espace, le communicant explique qu’il découle bel et bien des attentes de la population : « Nos choix éditoriaux visent d’abord à répondre aux besoins du public. Le travail de notre équipe stratégique permet d’ajuster en permanence notre offre éditoriale à ces besoins. Par ailleurs ce compte Instagram s’inscrit en complément à l’offre éditoriale de la RTS sur l’ensemble des vecteurs. » Et de préciser : « Nos formats digitaux mettent en lumière des histoires de vie diverses et variées, qui se veulent inspirantes et constructives. »

« Pas avec notre argent »

Président de l’UDC Vaud et totalement acquis à l’idée d’une redevance délestée, Kevin Grangier s’en trouve peut-être inspiré, en effet, mais pas dans le sens où le souhaiterait Christophe Minder : d’abord parce que la RTS n’a pas de mandat de service public sur internet et surtout parce que « l’argent du contribuable n’a pas vocation à y soutenir la diffusion d’une idéologie de centre gauche. » Avec le passage de la redevance de 335 à 200 francs par an, se réjouit-il, la chaîne aura tout loisir de se recentrer sur l’essentiel de sa mission.

Une perspective qui ne déplairait pas à Daniel Hammer, secrétaire général de Médias Suisse : « L’activité de la SSR est actuellement pléthorique sur ses canaux numériques, dénonce ce représentant des éditeurs romands. Ces contenus gratuits créent une distorsion de la concurrence et empêchent les médias privés de lancer des offres payantes en ligne. Elles seraient pourtant indispensables pour répondre à la demande des consommateurs et assurer la survie des médias romands. » Une observation qui prend tout son sens dans le contexte de licenciements massifs qui viennent de marquer la profession.

Pour rappel la SSR, à laquelle appartient la RTS, menace de devoir supprimer 900 postes si la taxe radio-TV passait de 335 à 300 francs, ainsi que le propose le Conseil fédéral pour contrer l’initiative SSR « 200 francs, ça suffit ». Ses mesures sont en consultation jusqu’au 1er février.




« La littérature romande compte bien assez d’écrivains engagés ! »

Après Septembre éternel, en 2021, vous revenez avec Agnus Dei, un roman beaucoup plus court, sec et nerveux. Pourquoi ce choix ?

Quelle est la bonne longueur d’un texte ? Question moins triviale qu’il n’y paraît. Je pourrais répondre qu’un récit finit par trouver, par un processus assez mystérieux (ou du moins peu réfléchi) la taille qui doit être la sienne. Tout dépend du projet : avec Septembre éternel, la France constituait le point de départ : je voulais écrire sur ce pays, le décrire en profondeur, évoquer son histoire contemporaine, remettre en lumière plusieurs événements marquants ou anecdotiques. Agnus Dei est une autre bête : je raconte une histoire en focalisant sur un personnage, le récit est construit comme une succession de scènes (j’avais d’abord en tête la dernière, avant d’avoir écrit la moindre ligne). Et puis, au risque de fissurer le décorum entourant l’acte d’écrire, je ne vis pas de ma plume, comme la très grande majorité des auteurs d’ici : pour produire un gros livre, il faut avoir le temps. Il faut que les planètes professionnelles, familiales, amicales, amoureuses soient alignées : souvent, cela n’arrive pas.

Dans votre roman, vous décrivez une Broye poisseuse et franchement sinistre. Vous qui défendez les gens du commun, ne cédez-vous pas là à un certain snobisme citadin ?

Je ne suis pas sûr de défendre les gens du commun, ni même de défendre qui ou quoique ce soit : j’espère en tous les cas ne pas apparaitre comme un écrivain engagé, au sens sartrien et adolescent du concept. La littérature romande compte bien assez d’écrivains engagés, révoltés, éveillés, conscientisés, indignés et que sais-je encore ; sans renier mes propres années de lutte, j’ai toujours cru qu’embrasser la cause de la littérature implique de renoncer à toute posture partisane et militante. Nul ne peut servir deux maîtres. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon, la quête du beau et la politique.

On sent presque une pointe, sinon de tendresse, du moins de charité, dans votre portrait de ce forgeron criminel. Comment l’expliquez-vous ?

J’ai entendu la même remarque, pour ne pas dire critique, à propos de mon livre consacré à la fille du fondateur de l’Ordre du Temple solaire. Dans Agnus Dei comme dans L’Enfant aux étoiles, j’évoque des faits à la fois réels, choquants et sanglants, et pourtant je me refuse à endosser l’habit du juge ou du moraliste. La condamnation et le rejet sont des réflexes légitimes et attendus mais qui, s’agissant de l’écrit, appartiennent plutôt au registre journalistique : je crois que l’écrivain peut — et doit — ne pas s’en contenter et viser plus loin. La condamnation, qui ne coûte pas grand-chose, m’a toujours semblé constituer une démarche aussi confortable qu’intellectuellement paresseuse. Je peux être ce qu’on voudra, mais pas un homme paresseux.

La question théologique semble toujours se nicher derrière le drame que vous racontez : êtes-vous définitivement passé d’élu communiste à écrivain catholique ?

Les écrivains catholiques, qu’on pense à la sainte trinité Bernanos-Bloy-Péguy,  ont donné quelques-unes des plus belles pages de la littérature française : être associé, de près ou de loin, à ces auteurs serait flatteur. Et pourtant tout m’éloigne d’eux : je n’ai pas leur talent, et le contexte moral, politique et esthétique que nous connaissons n’a plus rien à voir avec le leur. Je n’écris pas en tant que catholique mais en tant que témoin vivant dans un monde en profonde mutation : quand tout semble s’écrouler, quand les socles hier inamovibles vacillent, la question des valeurs qui permettent de (re)fonder une société devient centrale.A défaut d’être engagé, je suis un écrivain écroulé.

Profond, votre roman est aussi très sombre, à l’image de ceux de Chessex ou Ramuz qui semblent vous avoir inspiré. Croyez-vous encore à la possibilité d’un bon roman joyeux ?

Absolument, et j’adorerais l’écrire… mais je crois qu’il est plus facile d’être triste que d’être drôle. Etre drôle nécessite d’avoir ce qu’on pourrait appeler de l’esprit, un sens de la formule, toutes choses qui doivent être entrainées… De solides références également, parce que le comique ne s’invente que rarement, ce qui explique sans doute pourquoi les livres réellement drôles sont si rares. La conjuration des imbéciles m’a beaucoup fait rire il y a quelques années : j’aimerais retrouver un même charme dans la production actuelle.

Agnus Dei, roman
Ed. de l’Aire, Vevey, novembre 2023
ISBN: 9782889563449
Prix: CHF 20.-

Commander l’ouvrage sur le site de l’éditeur

Propos recueillis par Raphaël Pomey




Comment les Jeunes Vert-exs vaudois ont colonisé l’UNIL

Il faisait beau, le 12 octobre dernier, et les étudiants qui gravitaient autour du bâtiment Géopolis, dans le secteur UNIL-Mouline, ont eu droit à une surprise rafraîchissante : une distribution de maté en canette. Aux commandes, des militants des Jeunes Vert-exs Vaud (JVVD) munis de pancartes pour appeler à voter pour leur formation et en particulier pour Angela Zimmermann, candidate au Conseil des États (14’070 suffrages dix jours plus tard).

Photo de l’événement postée sur le compte Instagram des Jeunes vert-e-x-s Vaud.

Problème, quelques semaines auparavant, le responsable technique des Jeunes UDC Vaud, Colin Métraux, venait lui-même de recevoir un refus de l’UNIL pour organiser une action du même type. En cause, non pas une question idéologique, mais simplement une directive relative à l’organisation dans ses infrastructures de réunions étrangères à la mission universitaire. Cette dernière refuse notamment les « manifestations politiques à caractère partisan ». Et peu importe que les jeunes agrariens aient spécifiquement demandé de rencontrer les étudiants sur le campus et non dans les bâtiments, comme les JVVD quelques jours plus tard.

Un procédé cavalier

Pourquoi, dès lors, les jeunes écologistes vaudois ont-ils pu organiser leur distribution de canettes ? La recette est simple : il suffisait de ne pas demander ! « Si les Jeunes Verts font campagne sur le site de l’UNIL, c’est sans notre autorisation », s’est ainsi vu répondre Colin Métraux, « très surpris » et avide d’explications, par une responsable Accueil Événements et Gestion de Salles. Signe que la chose n’était pas anodine, le service de la sécurité a été mis en copie de cette réponse, datée du 13 octobre.

Contactés, les Jeunes Vert-exs contestent pourtant avoir fait quoi que ce soit d’irrégulier : « Une manifestation, selon le Larousse, est un « événement attirant un public relativement large (fête, festival, exposition, salon, etc.), organisé dans un but commercial, culturel, publicitaire ou de simple réjouissance ». Dans notre cas, qui est une distribution à quelques personnes, je n’ai pas l’impression que ça colle à cette définition », tranche Ambroise Delaly, membre du comité vaudois. Comme leur distribution de « boisson à haute teneur en caféine, qui remplace le café pour certain·e·x·s » a eu lieu dans un espace extérieur, le jeune politicien maintient que sa section n’avait pas à « demander une dérogation ».

Tractage sauvage et débat très particulier

Une belle assurance qui ne suffit toutefois pas à convaincre l’UNIL. Géraldine Falbriard, attachée de presse, confirme que « s’il y avait eu une demande, nous n’aurions pas accepté. » Elle se montre d’autant plus agacée que sur le réseau social Instagram, les jeunes écologistes se félicitent aussi d’avoir participé, quelques jours avant leur action, à un débat pour le moins unilatéral. Portant sur « le projet révolutionnaire aujourd’hui », ce dernier réunissait représentants du Parti socialiste, de la jeunesse socialiste et du POP. À droite ? Personne, évidemment…

Équilibré, vous avez dit ?

« Nous nous étonnons, n’ayant pas trouvé trace de demande de location il y a trois semaines », regrette Géraldine Falbriard. Si un débat peut évidemment avoir lieu dans l’université, un événement au casting aussi monocolore est en effet plus déroutant. Mais cette fois, pas de reproche spécifique pour les Jeunes Verts. L’organisation de la discussion, nous expliquent-ils « revenait à des étudiant-exs dans le cadre d’un séminaire sur le projet révolutionnaire. Nous y avons agréablement été convié-exs ».

Entre tractage sauvage, affichage massif et pression sociale gauchisante, le climat est pour le moins particulier à l’UNIL, explique un jeune lecteur du Peuple. « Avec ses convictions qu’elle juge justes et bienveillantes, la gauche est omniprésente ici, explique cet étudiant en sciences humaines. On le voit avec le nombre impressionnant de flyers et d’affiches que l’on trouve sur les murs. A ce climat général s’ajoute que bon nombre d’enseignants sont affiliés à des partis de gauche, ce qui interroge quant à leur neutralité. » Et d’expliquer que quelques jours avant le deuxième tour, un flyer appelant à voter pour le Vert Raphaël Mahaim venait de lui être tendu à la sortie de la bibliothèque.

Porte d’entrée du bureau d’une enseignante, photographiée en avril dernier.

Colin Métraux, lui, ne peut que condamner les procédés de ses adversaires politiques : « Ce n’est pas parce qu’on est un parti de jeunes que l’on peut se soustraire à la loi et aux règlements ! ».

Signe d’un retour du pluralisme, des visuels moins verts mais plus rouges ont fait leur apparition sur le campus ces derniers jours. On vous laisse les apprécier.