Sol invictus

Le conseiller national valaisan PLR Philippe Nantermod n’est à l’évidence pas de cette race. L’entretien, dûment pesé et validé, qu’il nous livre en pages deux et trois ne retranche en effet rien du fond de sa pensée. Non, il ne regrette absolument pas les mesures qu’il a prônées en temps de crise Covid, même si elles pouvaient paraître autoritaires. Non, il n’aime vraiment pas l’idéologie écologiste et, à contre-courant du discours médiatique dominant, le voilà même qui affirme, décomplexé, que «la logique de la décroissance, c’est du bullshit.» Est-on tenu de goûter chacune de ses saillies ? Pas nécessairement. On peut se considérer de droite et juger, par exemple, que le style de campagne politique «à l’américaine» qu’il vante dans nos colonnes n’a rien à faire en Suisse. On peut se reconnaître dans des valeurs libérales, ou conservatrices, ou un peu des deux, et mépriser allégrement la vulgarité de tel ou tel éléphant peroxydé parachuté dans un bureau ovale, tel ou tel inculte pérorant de l’Elysée. Reste que nous avons à cœur, avec Le Peuple, d’en finir avec le crime de pensée, cet ultime blasphème des démocraties avancées. Ce qui mine le débat public, ce ne sont pas les «provocations de trop» qu’on nous jette au visage édition après édition dans les médias installés, mais la perte d’un discours authentique, viril oserons-nous même, dans le champ politique, voire scientifique. Aussi avons-nous le plaisir de diffuser la chronique, en page sept, d’un livre qui dénonce une «crise climatique par anticipation» et tacle sans complexes ces «éco-anxieux» qui font de leur hyper-sensibilité une justification pour aller saloper des toiles de maîtres dans des musées, se coller la main sur les routes et ruiner un peu plus l’école publique. Et pourtant, là encore… Nous croirez-vous si nous écrivons ici qu’il y a, dans le milieu qui gravite autour de ce titre, autant d’optimistes qui voient des «opportunités» dans le réchauffement climatique que de pessimistes qui estiment que l’humanité va dans le mur avec son mépris de la maison commune?

Autrefois, la célébration de la naissance du Christ avait remplacé celle de Sol Invictus, le Soleil invaincu jusque-là vénéré au sein de l’armée romaine. Tandis que s’effondre paisiblement l’héritage chrétien, sans que ceux qui ont la charge de le défendre semblent s’en émouvoir plus que cela, peut-être le soleil nous montre-t-il à nouveau sa nature profonde, à jamais invaincue. Que notre mode de vie survive ou non aux bouleversements climatiques qui s’annoncent, qu’il puisse même en tirer des bénéfices comme l’affirment certains, n’est pas une question de notre ressort. Ce qui ne change pas, c’est le tragique de notre condition, décrite en son temps par le livre de l’Ecclésiaste, avec sa résignation caractéristique: «Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau».




« La décroissance, c’est du bullshit ! »

Philippe Nantermod, vous êtes venu sans votre fameuse casquette?

Eh oui, nous en avions réalisé plus de 800 pour notre journée de parti, fin octobre, et toutes ont trouvé preneur. Nous en avons recommandé.

Le ton général de cette rencontre a été décrié par des experts en communication, chez nos confrères de Blick. Vous en êtes satisfait, vous?

Et pas qu’un peu! C’était un vrai rassemblement politique comme nous le voulions, pas trop long, une heure et demie à deux heures. Il y a eu près de 1000 personnes présentes contre généralement 250 à 300 dans ce genre de meetings. Nous avons réalisé des affiches qui ont beaucoup fait parler, avec nos fameux F-35, nous avons produit ces fameuses casquettes, mais surtout nous avons proposé un vrai contenu politique: Kaspar Villiger nous a par exemple parlé pendant vingt minutes du frein à l’endettement et nous avons aussi fait venir un des penseurs libéraux les plus brillants de notre époque, Ferghane Azihari, qui a évoqué les dangers de la décroissance. C’était d’un très haut niveau et un des premiers articles que j’ai lus sur notre assemblée, d’un journaliste de Tamedia, se moquait d’ailleurs de nous parce que notre orateur maniait le subjonctif imparfait. Allez comprendre: dans le même temps, on nous reprochait d’être populistes parce que nous portions des casquettes bleues…

Mais très franchement, vous pouvez nous jurer qu’il n’y a aucune influence «trumpienne» dans le ton que vous voulez donner à votre campagne?

Non, honnêtement, ni par rapport à la casquette ni même dans le choix de tel ou tel mot. En revanche, il y a une vraie influence du style «à l’américaine», ça c’est vrai: j’aime les slogans chocs, le côté «campagne de droite décomplexée». En ce qui concerne spécifiquement Trump, je dirais qu’il y a chez le républicain des choses qui me déplaisent, bien sûr, mais s’il y a un aspect de lui que j’ai apprécié, c’est sa manière assez rock’n’roll de faire campagne, que l’on trouvait aussi chez un Sarkozy ou d’ailleurs aussi chez un Obama. C’est plutôt sympa la politique quand elle est vivante comme ça et c’est souvent ce qui manque un peu en Suisse.

Ce style tranche tout de même énormément avec l’esprit très écolo-compatible de l’ère Petra Gössi, ancienne présidente du parti. C’est voulu?

Je n’ai pas envie de taper sur ce qui a été fait par le passé. En 2019, on a pas mal sauvé les meubles et on était dans un climat différent. Il était aussi important de donner une réponse à des questions légitimes que se posaient nos électeurs. Aujourd’hui, je crois qu’on a besoin d’une droite libérale et décomplexée, qui revient à ses fondamentaux, qui n’a pas honte de dire qu’elle a une ligne, qu’elle est pour la libéralisation, pour le libre-échange, pour le marché. Une droite qui affirme aussi qu’on n’a pas à être puni parce qu’on gagne sa vie, qui rappelle que le profit est une bonne chose et que ce sont les pertes et les dettes, à l’inverse, qui sont maléfiques, comme disait Churchill. Aujourd’hui, on inverse tous les repères, toutes les valeurs et je suis assez heureux d’être chef de campagne pour le PLR en 2023, car on va pouvoir y aller un peu au marteau-piqueur.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est.

Philippe Nantermod

Effectivement, on vous sent assez peu attiré par la demi-mesure.

Je n’envisage pas du tout une campagne durant laquelle le PLR s’excuserait tous les quarts d’heure d’être ce qu’il est. Je crois que ceux qui doivent s’excuser aujourd’hui, ce sont ceux qui nous ont promis qu’on pouvait sortir du nucléaire sans aucune difficulté, chose à laquelle mon parti a d’ailleurs également cru. Ceux qui ont promis ça et qui continuent à le promettre aujourd’hui sont des menteurs, tout comme ceux qui nous ont dit durant des années que la Banque nationale suisse était une fantastique planche à billets et qu’il n’y avait plus besoin de payer des impôts, alors qu’elle perd 150 milliards cette année. Ceux qui ont fait croire que le travail était dépassé, que l’on pouvait distribuer avant de produire, tous ceux qui nous ont vendu du rêve doivent aujourd’hui s’excuser, pas nous.

Ce ton résolument offensif vise-t-il à faire oublier votre ligne, plutôt autoritaire, sur les questions liées au Covid?

Non je ne crois pas. Sur le Covid, vous oubliez que le PLR a toujours été en première ligne pour limiter les mesures.

Pas sur le pass…

Non. Cependant, le pass n’était pas une mesure de limitation, mais une mesure pour éviter le semi-confinement, on l’oublie souvent. Soyons très clairs: le vaccin, en soi, est une toute petite contrainte: il prend cinq minutes et réduit le risque de tomber gravement malade, d’embouteiller les hôpitaux et de mettre à bas le système, donc de tout fermer. Du moment où vous avez un vaccin, vous avez un moyen de limiter drastiquement toutes les autres mesures. Il faut rappeler que le pire, durant cette période, n’est pas d’avoir dû faire un vaccin, mais de ne pas avoir pu travailler, d’avoir dû fermer des magasins, des restaurants, d’avoir empêché les gens de vivre normalement. Or, on ne pouvait pas simplement exiger de tout ouvrir alors que le nombre de cas explosait et que les hôpitaux étaient au bord de la rupture.

Ce visuel mi-beauf mi-bourrin a conduit des spécialistes en communication interrogés par Blick à affirmer que Philippe Nantermod se «trumpisait sur la forme». Ce virage à droite suffira-t-il à faire oublier des orientations pas si libérales que ça du PLR durant la crise Covid?

Reste que vous avez défendu cet outil, le pass, dont on nous disait qu’il visait à réduire la transmission, au lieu de simplement assumer qu’il était une chicane pour les récalcitrants. Était-ce bien aligné sur la responsabilité individuelle que prône le PLR?

Je l’ai défendu comme un moyen de limiter les infections graves et de protéger les non-vaccinés. Moins pour eux, finalement, que pour éviter qu’ils ne finissent aux soins intensifs et fassent exploser tout le système hospitalier. S’ils voulaient échapper à cette bulle que l’on créait autour d’eux, ils le pouvaient: il fallait simplement qu’ils se vaccinent ou se fassent tester régulièrement. En outre, on a aussi espéré que le vaccin réduirait les transmissions, mais aujourd’hui encore, la chose n’est pas absolument claire.

N’y a-t-il pas tout de même un risque que l’UDC ait pu vous piquer quelques électeurs sur ce dossier?

Bien sûr, grand bien leur fasse, c’est le jeu démocratique ma foi. On ne doit pas adapter son discours en fonction des gains que cela peut nous procurer. Je suis convaincu par le progrès technique, convaincu aussi que ce vaccin était une solution qui nous a permis d’éviter des mesures beaucoup plus liberticides, mesures qu’on a d’ailleurs arrêté de prendre dès qu’on a eu le vaccin. Certains ont très vite oublié ces périodes où les magasins et les restaurants étaient fermés et où on ne pouvait plus travailler. Bien sûr, pour certains, c’était la panacée, cette époque où ils pouvaient rester à la maison en étant payés…

Dans la campagne à venir, quel sera le grand enjeu, selon vous? Les enjeux climatiques et ses Cassandre collées aux routes?

Au contraire, beaucoup de gens, chez les Verts ou chez les «journalistes climatiques» – puisqu’on a récemment découvert dans Le Temps qu’une telle chose existait – commencent à paniquer à l’idée que cet enjeu ne soit plus la préoccupation première des électeurs. Je rappelle qu’il y a quatre ans, nous avions 100 000 gaillards qui descendaient dans la rue tous les vendredis à ce propos, certains avec mon portrait sur lequel était écrit «Nantermod salaud» ou «Nantermod au cachot». Aujourd’hui, on a six personnes, toujours les mêmes du reste, qui se collent les mains sur les routes. Il n’y a clairement plus le même engouement. En quatre ans, les gens ont compris qu’on n’avait pas toutes les clés du problème en Suisse et qu’on faisait tout ce qu’on pouvait. Ils ont aussi vu que, même quand on proposait des compromis comme la loi sur le CO2, ces mêmes milieux parvenaient à les saborder. Un dernier point: aujourd’hui presque tous les pays d’Europe ont réussi à découpler leur croissance économique et les émissions de CO2. Cette idée de «changer de système pour changer de monde» ne tient donc plus: la logique de la décroissance, c’est du bullshit.

N’est-ce pas une logique qui peut être sympathique, pour autant qu’elle soit volontaire?

Celui qui veut aller vivre dans la forêt, qu’il le fasse, pour peu qu’il y parvienne malgré les lois sur l’aménagement du territoire promues par les écologistes. Actuellement, ces derniers vont surtout chercher à installer la population dans des clapiers en banlieue: la fameuse «densification».

Revenons au grand enjeu de la campagne. Quel sera-t-il?

On nous refait le coup de 2019 où on ne peut pas allumer la RTS sans qu’on nous dise qu’il fait trop chaud quand il fait chaud, trop froid quand il fait froid et un peu trop tiède quand il fait tiède. Cela ne prend pas parce que les gens ont aujourd’hui beaucoup plus peur de l’inflation, des pénuries d’électricité, de matières premières, d’essence, de gaz… Le climat, c’est central, mais on n’a pas chômé ces dernières années. La Suisse fait sa part et les citoyens n’ont pas forcément envie d’être plus royalistes que le roi.

Et quel parti va tirer son épingle du jeu, à droite?

Les partis de droite ne s’adressent pas tous à la même population. Nous n’avons pas le même discours et pas uniquement des valeurs communes. Mais je crois que nous sommes arrivés à une époque où les succès des uns et des autres vont de pair. Il y a des mouvements généraux vers la gauche ou vers la droite, avec des gens qui se reconnaissent davantage dans une famille libérale ou conservatrice. Ce qui est un peu triste, c’est que les Vert’libéraux, qui devraient être des partenaires de la droite, sont devenus une officine des Verts. Peut-être que certains électeurs qu’ils ont attirés il y a quatre ans vont en prendre conscience…

Les agrariens sur les bancs d’école

Si la campagne pour les élections fédérales du PLR dirigée par Philippe Nantermod semble allégrement draguer un électorat conservateur, du côté de l’UDC on se prépare avec sérénité aux mois à venir. A la mi-novembre, les cadres intermédiaires du parti se sont réunis dans les environs de Lausanne pour réviser leurs gammes. Au menu, des explications sur la manière d’organiser l’agenda de sa section, de bien tenir son stand ou… de répondre aux journalistes. Plus longue que la fameuse journée de parti du PLR, et bien plus modeste dans sa communication, cette «UDC Academy» s’est tenue sous la houlette de la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz et du président de l’UDC Vaud Kevin Grangier. RP




Des autorités condamnées à parler dans le (co)vide

Début octobre, l’eurodéputé Rob Roos avait face à lui Janine Small, responsable des marchés internationaux de la société pharmaceutique Pfizer, lors de la session du Parlement européen. Le politicien de la droite conservatrice néerlandaise n’y est pas allé par quatre chemins pour lui poser la question qui fâche: «Le vaccin Covid de Pfizer a-t-il été testé sur l’arrêt de la transmission du virus avant d’être mis sur le marché ? Si non, veuillez le dire clairement. Si oui, êtes-vous prête à partager les données avec ce comité ? Et je veux vraiment une réponse franche, oui ou non. J’ai hâte de la recevoir.» «Connaissions-nous l’effet sur l’arrêt de la transmission avant la mise sur le marché? Non», a simplement répondu Janine Small, expliquant que Pfizer avait «vraiment dû avancer à la vitesse de la science» et «tout faire dans le risque» (ndlr: we had to do everything at risk). La suite de l’histoire est classique: la vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux, créant une certaine méfiance envers Pfizer auprès de certains publics.

Le Peuple s’est adressé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) afin de connaître sa réaction aux déclarations de la représentante de Pfizer. Nous avons été redirigés vers l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic). Lukas Jaggi, son porte-parole, nous a confié que «les études initiales d’autorisation de mise sur le marché ont démontré une protection supérieure à 90% contre les infections symptomatiques», ajoutant que «dans le cadre des expériences avec des millions de personnes vaccinées et aussi en raison de l’évolution rapide des variants (changements du virus), nous avons observé que le vaccin protégeait moins bien contre les infections symptomatiques non graves, mais de manière toujours très fiable contre les évolutions graves (hospitalisation et décès) du Covid-19.» Enfin, il a tenu à rappeler que «bien que les vaccins ne garantissent pas une protection à 100% contre la transmission, ceux contre le Covid ont été le principal facteur qui a contribué à enrayer la pandémie et à réduire les décès et les hospitalisations. Sans les vaccins, il y aurait eu beaucoup plus de morts et de personnes qui auraient été affectées par le Covid long.»

Deuxième couac

Une autre information, plus troublante, devait être publiée le 2 novembre par Swissmedic: des bulles d’air venaient d’être découvertes dans le vaccin contre le variant Omicron par certains centres de vaccination. Deux jours plus tard, l’Institut suisse des produits thérapeutiques annonçait qu’il n’avait identifié aucun problème concret en rapport avec ce produit. Les bulles observées pourraient être dues à des facteurs physiques (écarts de pression ou de température notamment) lors de la préparation des doses. Or cette manipulation doit être impérativement réalisée selon les prescriptions du fabricant. Selon Lukas Jaggi, informer la population sur des lots suspects puis procéder à des analyses fait partie d’un processus standard: «Toutes les annonces d’anomalies concernant des médicaments présentent un intérêt pour Swissmedic. L’institut continue à suivre la situation de près ainsi qu’à prendre en compte tous les incidents annoncés, et publiera de nouvelles informations dès qu’il en disposera.»

Une simultanéité malheureuse

C’est dans ce contexte un peu tumultueux que fleurissent depuis quelques semaines des affiches encourageant à procéder à la vaccination de rappel. Et là encore, certains éléments peuvent surprendre: sur les supports, nous pouvons distinguer différents types de bras, des plus «jeunes» au plus «âgés». Or, la Confédération estime que la quatrième dose s’adresse aux «personnes de 65 ans et plus, personnes de 16 ans et plus atteintes d’une maladie chronique, aux personnes de 16 ans et plus atteintes de trisomie 21 et aux femmes enceintes». De plus, des personnes quarantenaires et en bonne santé ont également reçu des SMS de rappel de la part des autorités cantonales. De quoi s’interroger sur un éventuel décalage entre la communication et la réelle situation sanitaire. Pour l’OFSP et son porte-parole, Simon Ming, la campagne s’adresse à tous: «Outre les personnes vulnérables, pour lesquelles il existe une forte recommandation, toutes les personnes à partir de 16 ans peuvent recevoir une vaccination de rappel. Leur risque de développer une forme grave à l’automne 2022 est très faible. Le rappel offre une protection limitée et de courte durée contre une infection et une forme bénigne de la maladie. Cet aspect peut se révéler important particulièrement pour les professionnels de la santé et les personnes assurant la prise en charge de personnes vulnérables.»

Nasrat Latif, journaliste et expert en communication pour l’agence Nokté, rappelle que mener une nouvelle campagne de vaccination après des annonces plus ou moins gênantes ne se commande pas: «Les autorités doivent mener une campagne et elles le font. Il est donc logique qu’elles le fassent. Dans les deux cas que vous mentionnez, il est plutôt rassurant que les informations sortent. Si des choses ne vont pas, c’est la moindre des choses de le dire. Après, à chacun de penser ce qu’il veut de ces informations.»
Le communicant a tout de même des remarques à faire sur les nouvelles affiches: «Les images montrent effectivement différents «types» de bras. Il y en a autant des «jeunes» que des «âgés», également de la mixité sociale. En terme de communication générale, ça manque d’émotion mais c’est normal dès que l’on mène une campagne nationale.» La seule solution pour renforcer l’impact de la publicité pour le vaccin reste simple. «Il serait bon d’adapter les messages en fonction des régions, mais dans ce cas précis, le budget communication augmenterait de manière importante», juge Nasrat Latif. Et pas question de jouer sur la peur non plus: «En Suisse, cela ne fonctionnerait pas, d’autant que le danger ne se voit plus, pour le moment.»




Sus à l’éco-anxiété!

Nouvellement entré dans nos dictionnaires, le terme «éco-anxiété» est un mot omniprésent tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. D’habitude, peu m’en chaut et je passe mon chemin en secouant la poussière de mes sandales. Jusqu’au jour où… L’an dernier à la fin des cours, un groupe d’élèves s’approche de mon bureau. Ils m’expriment leur lassitude à force d’ingurgiter des cours traitant d’écologie tout en les culpabilisant. Je leur demande d’être plus précis. On m’explique alors qu’outre le cours de géographie, les cours de langues (anglais et allemand) comprennent des modules leur distillant la bonne parole écologiste et que toute remise en question est bannie. Bien plus encore, le cours de musique sert de vecteur à l’idéologie écolo-gauchiste. Ce jour-là, derrière mon bureau, je n’ai su que leur répondre. En écrivant ces lignes je pense à eux…

D’habitude, les livres «scientifiques» m’ennuient et je dois me faire violence pour les lire. Ce ne fut pas le cas avec l’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay. L’auteur, qui fut longtemps rédacteur en chef de la revue scientifique La Recherche, possède un indéniable sens de la vulgarisation sans jamais tomber dans la simplification outrancière. Avec ce livre, nous sommes conviés à une odyssée, celle de l’espèce humaine, qui nous fait parcourir notre globe sur près de 30’000 ans.

Une réalité indubitable

D’aucuns doivent se dire que l’auteur de Sapiens et le climat doit être un climatosceptique de plus issu de la nébuleuse conspirationniste. Que nenni, Olivier Postel-Vinay considère que le réchauffement climatique est une réalité indubitable. Cependant, il rejette les exagérations qui semblent bien souvent empreintes d’idéologie et de préconcepts discutables, et ce même chez certains scientifiques ou ONG. En fait, selon l’auteur, nous vivons un optimum climatique comme le monde en a déjà connu notamment aux temps des premiers empereurs romains et des croisades.

Ce livre prend en compte la recherche scientifique – notamment la paléoclimatologie – des vingt dernières années, qui a modifié en profondeur la vision que nous avons de l’histoire de l’humanité: l’époque néolithique et son réchauffement climatique (plus important qu’aujourd’hui) qui a permis de nombreuses innovations, la chute de l’empire romain et le rôle central qu’y joue le climat, la fin des Incas et des Mayas, la Révolution française.

Les Philippulus de la décroissance et autres zélotes, qui brandissent comme un étendard le graphique en forme de «crosse de hockey» en nous prédisant la fin du monde, devraient sortir de leur conformisme idéologique et oser lire le livre d’Olivier Postel-Vinay. Pourquoi? Tout d’abord, il pourrait corriger leur bannière. Ce fameux graphique où l’on voit une ligne presque plate durant 2500 ans et qui monte en une diagonale infernale au début des Trente Glorieuses n’est pas crédible. Qu’en est-il des périodes chaudes comparables à la nôtre: entre 100 avant et 200 après Jésus-Christ, entre 1000 et 1300, entre 1920 et 1940? «La canne de hockey» devrait plutôt ressembler à un serpent ondulant.

La conclusion d’Olivier Postel-Vinay relève que, dans le cadre de notre optimum climatique, il faut souligner que trois éléments sont nouveaux: «Le premier est que les pays riches ont acquis les moyens de lisser les microcrises climatiques qui les affectent […]. Le second est qu’en raison de la conjonction entre les progrès de l’industrie et la croissance vertigineuse de la population mondiale, la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre que nous y injectons a atteint un niveau supérieur à tout ce que Sapiens a pu connaître depuis son arrivée sur terre. Ce qui conduit au troisième élément nouveau: nous vivons une crise climatique réellement sans précédent, en ce qu’elle se fonde non pas sur des bouleversements concrets entraînés par un changement climatique catastrophique, mais sur l’inquiétude générée par des scénarios élaborés par des spécialistes sur une crise à venir. Pour la première fois Sapiens vit une crise climatique par anticipation.»

L’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay est autant purgatif que roboratif. Il nous permet d’éliminer l’éco-anxiété de notre intelligence tout en fortifiant notre entendement. En effet, il nous montre que, si les changements climatiques ont parfois été la cause de l’effondrement de certaines sociétés, ils ont aussi été le moteur des plus grandes innovations.

Olivier Postel-Vinay, Sapiens et le climat – Une histoire bien chahutée, Paris, Presses de la Cité, 2022.




Jeux de mains, jeux de vilaine

Quand ils ne relaient pas servilement la moindre action des névrosés sur pattes qui bloquent des routes et se collent aux tableaux, nos amis de Blick leur mendient également des interviews. Et en général, ça donne des échanges passionnants que l’on pourrait résumer de la façon suivante: «Vous n’avez pas peur, avec vos actions…» et là il faut insérer «de bloquer une ambulance», «de vous faire écraser» ou «d’emmerder le monde». Et dans leurs réponses, les activistes vous glisseront un «non moi ce qui me fait peur, c’est la fin du monde si l’inaction de la Suisse continue…».

Comme cela, ça peut sembler un peu répétitif mais sur le plan psychologique, ces entretiens disent beaucoup de la condition des modernes. Ainsi les figures de ces gens très (éco-)anxieux mais totalement décomplexés quant à leurs capacités prométhéennes: «Je suis prête à être détestée si ça permet de sauver le climat», s’enflamme ainsi la militante Anaïs Tilquin, dans son interview parue la semaine dernière. Et cet ex-post-doctorante d’enfoncer le clou: «L’histoire nous pardonnera!» Si vous avez déjà entendu ça quelque part, c’est normal: Tony Blair avait tenu ces propos mot pour mot au moment de partir en guerre face aux Irakiens en 2003. Curieuse filiation pour madame Tilquin, qui ne semble pourtant pas si idéologue que cela. Regardez, elle promet même de lever immédiatement les blocages dès qu’un véhicule d’urgence serait freiné par sa présence sur la route. Serait-ce que la super-glu, tout compte fait, ne fonctionne pas si bien? RP

Plus écologique que le pape

«Nous devrons franchir le pas d’introduire le péché contre l’écologie dans le Catéchisme». C’est ce qu’affirme le pape François dans un livre récemment sorti en Italie, Je vous en supplie au nom de Dieu. Au programme, dix grandes causes dans lesquelles pourront puiser à choix les candidates aux élections de Miss Monde. Citons-en trois (de causes, pas de miss): guerre dans le monde, lutte contre les fakes news et, donc, militantisme vert (ou plutôt «protection de la maison commune», pour utiliser le jargon vatican). Et le Saint-Père de nous pondre une vérité tout droit sortie d’une interview d’Anaïs Tilquin (voir ci-dessus): «Le moment d’agir, c’est aujourd’hui, pas demain». Quand il aura fini de faire fuir tous les gens de droite de son église (en plus des victimes d’évêques français pédophiles), le pape pourra au moins piquer la super-glu des militants de Renovate pour garder les gens sur les bancs de messe. RP




La civilisation du jardin d’enfants

Il fait froid? Sous prétexte de sobriété énergétique, vos élus vous rappelleront de porter des pulls et de boire du thé. Vous ne voulez pas faire exploser votre facture de gaz? Un prix Nobel vous apprendra la cuisson passive de vos pâtes, avec la douce reconnaissance de la marque Barilla. Et tant qu’à économiser l’eau chaude, pourquoi ne pas aussi prendre vos douches à deux, comme l’a brillamment suggéré la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga, dans le Tages-Anzeiger? Ces exemples, authentiques, illustrent bien le climat mental qui règne actuellement dans des démocraties au sein desquelles le pouvoir politique se déguise de plus en plus souvent en Mamie les bons tuyaux, au lieu de plus modestement créer les conditions-cadres de la liberté de ses administrés.

Dernier exemple en date, la polémique autour de la méthode éducative consistant à envoyer les enfants se calmer, si besoin, dans leur chambre. Au début du mois d’octobre, un échange de mails obtenus par Le Figaro laissait entendre que le procédé, apparemment indolore, risquait fort d’être désormais combattu par la division des droits des enfants au Conseil de l’Europe, après avoir été vantée en 2008. Une instance sans grande légitimité démocratique, dirigée par une inconnue – Regina Jensdottir – et qui entre dans les foyers pour nous guider jusque dans nos pratiques éducatives… Et vous osez encore dire du mal des régimes autoritaires? Une levée de boucliers plus tard, on apprenait cependant que la chose n’était plus si sûre finalement, malgré les cris de joie des associations de défense des enfants, tout heureuses de voir s’effondrer un nouveau vestige de l’ancien monde: le droit d’imprimer une certaine culture familiale chez soi. Reste que le tout-positif en matière d’éducation semble avoir le vent en poupe. Ainsi, un récent papier du magazine Elle présentait des choses aussi bégnines que la privation d’écran pour un enfant malpoli comme une «violence morale».

Déresponsabiliser les parents pour produire des citoyens responsables

Que dit la Suisse du «time-out», la punition consistant à mettre à l’écart des enfants insupportables? Au niveau officiel, pas grand-chose. «La protection de l’enfant relève en premier lieu de la compétence des cantons et des communes», explique Sabrina Gasser, de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). «En tant qu’organe de la Confédération responsable de la politique de l’enfance et de la jeunesse, l’OFAS soutient les acteurs compétents pour la protection de l’enfant en élaborant des rapports de fond et des études, ainsi qu’en encourageant les échanges d’informations et d’expériences.» Et de nous renvoyer aux travaux en cours sous la Coupole fédérale à propos des deux objets visant à interdire la violence éducative défendus par la conseillère nationale du Centre (ex PDC) Christine Bulliard-Marbach.

Il faudra donc se rendre chez les partenaires pour vérifier si, réellement, ce que les gens du commun ont longtemps considéré comme une sanction tout à fait civilisée ne relève pas en réalité de la barbarie la plus infâme. Et l’on découvre, effectivement, que le Conseil de l’Europe ne s’est pas mis à délirer seul dans son coin puisque la méthode, «prêtant à de nombreuses interprétations – plus ou moins fondées sur la bienveillance – est beaucoup controversée», aux dires de Tamara Parham, de la Protection de l’enfance Suisse. Elle, de son côté, prône une posture constructive, soit «un mode d’éducation et une attitude où les parents assument leur rôle d’adultes et leur responsabilité en tant qu’éducateurs.» Son but est de permettre le développement, chez l’enfant, d’une «personnalité autonome et ayant un caractère affirmé.» Une personne, autant le dire tout de suite, qui aura bien du mal à supporter que des gens payés par ses impôts lui expliquent comment cuire ses pâtes.

Et cette méthode du «time-out», finalement? «Si celle-ci consiste à prier l’enfant avec bienveillance de prendre un moment pour lui, pour se calmer ou l’inviter à la réflexion, ou bien si elle nous offre la possibilité en tant que parent de retrouver un peu de sérénité, nous ne la concevons pas comme une mesure violente», note Tamara Parham. Elle estime même qu’elle peut être salvatrice et éviter que des situations tendues ne dégénèrent. Mais tout n’est pas si simple: «La manière dont la requête est formulée nous semble en revanche déterminante et n’est pas à confondre avec une exclusion affective ou une mise au coin, qui sont des formes de violence.»
Prié de porter des pulls bien chauds et de boire du thé l’hiver par ses bons maîtres, le citoyen de demain sera aussi prié… de prier son enfant de le laisser tranquille quand il est insolent. Gageons qu’à ce rythme, il n’y aura bientôt plus que l’éducation qui pourra être dite «positive» dans les rapports sociaux.




« Ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne »

Pourquoi l’infantilisation des adultes explose-t-elle en même temps que la «sur-responsabilisation» des enfants?

Il y a clairement à notre époque un brouillage des catégories d’âge, comme il y en a pour le genre, etc., — mais pour l’âge, c’est en fait plus intéressant, puisque personne ne conteste qu’un enfant, ontologiquement, ça n’est pas la même chose qu’un adulte. Il y a bien eu des tentatives, par exemple les tribunes pédophiles pour exiger la libération de la sexualité de l’enfant, mais, à la différence d’autres discours qui n’ont fait que prendre une ampleur croissante en dépit de leur caractère souvent délirant, ceux-là ont été refoulés et sont massivement regardés avec horreur aujourd’hui.

Pour ma part, je pense que le point central est le refoulement de la possibilité d’être adulte pour l’être humain dans nos sociétés, avec notamment la forclusion du pater familias à l’ancienne, réel ou fantasmé. On refuse peut-être moins aux femmes d’être adultes; ce qui est surtout rejeté, c’est la figure de l’homme à l’ancienne. Cette dernière est peut-être rejetée comme idéal-type largement imaginaire, d’ailleurs, vu le caractère faussé, idéologisé, de notre rapport au passé, tant chez ceux qui sont du côté de la pression favorable aux évolutions sociétales, paradoxalement, que chez ceux qui s’y opposent.

Comment expliquer cette pression sur la figure du père à l’ancienne?

Il me semble qu’au cœur de ce personnage-repoussoir («masculinité toxique», etc.) il y a la figure d’une sorte de dureté non influençable, faisant obstinément les choses à son idée, indifférente aux modes comme aux mots d’ordre, mais investie d’une sorte de rôle de gouvernement de la cellule familiale et personnifiant la répression des pulsions jusqu’à la dureté et à l’insensibilité. J’ai tendance à croire que l’origine de ce brouillage est là, dans la volonté de produire un «néo-adulte» qui ne contrôlerait pas ses pulsions (ce qui est paradoxal à l’heure des discours de plus en plus contraignants sur le «consentement»!) et ne réprimerait pas non plus celles des autres selon une (ancienne) norme morale. La production en masse de tels néo-adultes a en effet été nécessaire pour le plein déploiement de la «société de consommation».

Si l’on continue de tirer ce fil, on arrive à un personnage qui doit avoir des pulsions d’adulte – notamment, une sexualité toujours en éveil, mais moyennant une libido capable de s’investir de façon très mobile et fluide dans tout et n’importe quoi – sans avoir la capacité de lui opposer une volonté qui y résiste. Le néo-adulte est, pour paraphraser la formule hobbesienne d’«enfant robuste», un pervers polymorphe robuste, c’est-à-dire capable non seulement de désirer n’importe quoi, mais encore d’accéder effectivement à l’objet de ses désirs démultipliés.

Je pense au fond que la fixation de notre époque sur la pédophilie est un vrai symptôme: il n’est pas exagéré de dire que ce qui est regardé comme la suprême horreur à une époque donnée est en même temps ce autour de quoi elle gravite sans vouloir le savoir. L’infantilisation de l’adulte (centrée autour de la destruction de la figure de la maîtrise morale de soi) est l’envers d’une «adultisation» de l’enfant précocement sexualisé. Il y a vraiment un faisceau d’indices convergents à cet égard.

Y a-t-il devant nos yeux une vertu chrétienne («Vous serez semblables à des enfants…») devenue folle, pour parler avec Chesterton?

C’est une très bonne question. Il faudrait creuser le motif théologique, spirituel et moral de la «vertu d’enfance». Le passage à l’âge adulte comporte souvent une forme de perte de spontanéité, de capacité d’enthousiasme, voire d’auto-enchantement – cette faculté merveilleuse qu’ont les enfants de se projeter à volonté dans l’espace imaginaire du jeu – à laquelle se substitue trop souvent, chez l’adulte, un esprit de sérieux qui, à la vérité, est paradoxalement un enfoncement un cran plus loin dans l’illusion, au sens où cet esprit l’empêche de voir la dimension profondément imaginaire du jeu social dans lequel il se trouve pris. L’imaginaire adulte est collectif, imposé, capté par des fictions sociales (l’argent, par exemple), à la différence de celui de l’enfant qui pose selon son bon plaisir la convention qui va gouverner son jeu et parvient à y adhérer le temps du jeu.

L’enfant, certes, est naïf, mais il a une capacité de s’émerveiller de ce qui est merveilleux, de se prêter au jeu sans juger d’avance, etc. L’adulte croit souvent qu’il sait – par exemple, que le bonheur n’est pas possible, que Dieu n’existe pas, qu’il faut s’enrichir. Dans bien des cas, l’esprit de sérieux de l’adulte n’est qu’un esprit de conformisme, mi-parti de soumission et de cynisme.

En somme: l’authentique vertu chrétienne d’enfance s’oppose à l’endurcissement du cœur (comme quand la Bible dit que l’Eternel «endurcit le cœur de Pharaon»), c’est-à-dire, à une sorte d’opacification et de rigidification de la personne qui se bute dans son refus du bien et du vrai, comportant l’illusion délétère que son état de mort intérieure est une forme de lucidité supérieure. Mais la fausse vertu d’enfance que notre société valorise, ce serait une capacité préservée de se projeter dans l’espace du jeu en perdant une vue claire des limites entre rêve et réalité, pour redevenir capable de jouir du rêve même quand aucune réalité ne lui correspond. Produire le plaisir en court-circuitant le réel, c’est tout ce qu’a à proposer un capitalisme en fin de parcours, un capitalisme qui n’a plus à vendre aux sujets paupérisés que du vent.

Un tel phénomène existe-t-il dans la civilisation que vous étudiez?

Non. Je pense qu’il est corrélatif au déploiement de la société de consommation allant jusqu’au point où elle remodèle les esprits à un tel degré qu’un adulte ne rougit plus de se déplacer en trottinette, voir, jouit follement de l’image de soi sur une trottinette dans le regard des autres. On en est très loin dans la plupart des pays du monde, où la chose serait à cette étape encore aussi impossible que de revêtir les vêtements traditionnellement assignés à l’autre sexe ou se promener en couche-culotte.




Satire à vue

Qu’on se le dise: même pour les sujets sérieux, un peu de fantaisie s’impose et c’est tout naturellement qu’un repas avec les représentants d’un média de droite radicale devait se dérouler, selon notre suggestion, dans un restaurant libanais lausannois. Cuisine levantine au programme, donc, mais préparée par un chef chrétien, à en croire la grosse croix tatouée sur son avant-bras. Chrétienne, notre table l’est d’ailleurs aussi, mais à des degrés divers. «On ne cherche à représenter aucune communauté religieuse en particulier», explique «Illya», l’un des contributeurs principaux du site. Et ce même si le premier événement public organisé par le média accueillait un prêtre traditionnaliste français, l’abbé Raffray, bien connu des jeunes droitards, comme cette génération se nomme elle-même sur les réseaux sociaux. De fait, les deux rédacteurs identifient la défense d’un «ordre supérieur» et d’une certaine «anthropologie européenne» comme le cœur doctrinal de leur projet. Mais la discussion sur les définitions, à l’évidence, n’est pas celle qui les passionne le plus: «Aujourd’hui, quand tu affirmes aimer ton pays, on te dit déjà que tu es nazi, donc autant assumer toutes les étiquettes», tranche «Le Médisant».

S’il y a une étiquette qui ne sera jamais associée à La Hallebarde, cependant, c’est celle de tiède. «Illya» est d’ailleurs celui par qui le scandale est arrivé. L’un de ses textes, au ton particulièrement polémique, a poussé deux associations LGBT, Pink Cross et Los, à dénoncer l’œuvre de nos convives à la justice. «On s’autocensure souvent, mais celui-là est passé entre les gouttes», sourit-il. Il se défend, de même que son confrère, de prendre les homosexuels pour cibles en tant que tels. Ce seraient certaines outrances, comme la volonté – d’ailleurs aussi dénoncée par Le Peuple – de rééduquer la jeunesse, qui les auraient conduits à employer des mots très durs. Sans forcément vouloir blesser. Les deux amis expliquent que leur média, avec sa verve caractéristique, sert surtout de soupape à ceux qui, toute l’année, se farcissent de la «déconstruction» sociétale de masse. Des combats souvent marginaux, en termes de représentativité au sein de la population, mais qui occupent de plus en plus l’espace médiatique.

Le repas terminé, nous nous orientons vers le palais de justice de Montbenon. Tandis que des individus manifestement issus de la diversité tentent de forcer le cadenas d’une valise à quelques mètres, notre mini-séance photo débute. «Le Médisant» porte un maillot de foot de l’équipe tunisienne. Pourquoi, finalement, tenir absolument à leur anonymat? Les opinions qu’ils professent n’auraient-elles pas plus de poids si elles étaient exprimées en respectant des codes journalistiques habituels? La chose, expliquent nos interlocuteurs, n’est pas un but en soi mais leur site n’est pas ce qui les fait manger puisqu’il ne tourne qu’avec des dons. Ils souhaitent donc s’éviter d’interminables discussions à leurs postes de travail respectifs à propos de leurs écrits. «Ce qui me gêne, c’est qu’on ne va pas plus loin que les gens normaux dans les années 80», grondent les deux jeunes gens, par ailleurs charmants de bout en bout. Presque gêné, «Le Médisant» nous demande alors de signer une convention d’interview, très pro, qui délimite les droits des deux parties. Et que se passera-t-il si la justice, mise en mouvement par des adversaires idéologiques, remonte jusqu’à leur identité véritable? «On n’ira pas se cacher au Kosovo», rigole «Le Médisant». Qui complète: «Je suis assez confiant quant à cette procédure, pour autant qu’il y en ait une. Nous n’avons toujours rien reçu et j’ai le sentiment qu’en Suisse, la liberté de parole, et donc de satire, reste bien défendue.»

Cette liberté, ils n’y renonceront de toute façon pas en adoptant un style plus policé. Jeunes, biberonnés à l’humour de droite, ils puisent leur force de frappe dans la connaissance des nouveaux codes de communication bien davantage que dans la construction d’un corpus doctrinal ultra-ambitieux, comme certains de leurs prédécesseurs idéologiques. Se plonger dans la création d’une œuvre classique serait d’ailleurs un truc de boomers. Une communauté qui déguste dans toutes leurs tribunes, mais qui n’a aucune association, ni aucune loi, pour demander à la justice de restreindre la liberté d’expression d’autrui.

Quand 24 heures relaie la plainte des associations lgbt




Flou statistique sur le front de l’asile

En France, depuis quelques semaines, l’acronyme «OQTF» a tendance à s’insérer dans de nombreux articles de presse relatifs à des crimes, souvent violents et choquants. «OQTF», pour obligation de quitter le territoire français. Cette suite de lettres apparaît notamment dans l’affaire d’un Algérien ayant violé une jeune femme à Marseille dans la nuit du 21 au 22 octobre. Plus marquant encore, le terrible meutre de la jeune Lola, commis le 14 octobre à Paris par Dahbia B., Algérienne ultra-violente sous le coup d’une OQTF jamais mise à exécution. Et pour cause, Marianne nous apprend qu’en 2019, seules 12,4 % des OQTF étaient exécutées en France, c’est-à-dire 14 777 sur 122 839. Au premier semestre 2021, seules 5,6 % des OQTF avaient réellement conduit au départ des étrangers visés, soit seulement 3501 sur 62 207. Ratios étonnants, lorsque le document administratif contient «obligation» dans son intitulé.

Le Peuple a voulu savoir ce qu’il en était en Suisse, notamment dans la continuité de l’initiative sur le renvoi des étrangers criminels, acceptée par les citoyens en 2010. Anne Césard, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), nous indique qu’à la fin septembre, 4277 personnes en Suisse faisaient l’objet d’une décision de renvoi: «Les requérants d’asile dont la demande a été rejetée, mais aussi les personnes qui séjournent illégalement en Suisse, ont l’obligation de quitter le pays. Les cantons sont responsables de l’exécution des renvois. Le SEM soutient les autorités cantonales de migration dans l’exécution des renvois et des expulsions d’étrangers, c’est-à-dire dans la vérification de l’identité, l’obtention des documents de voyage et l’organisation du départ des personnes concernées.»

Yves Nidegger, conseiller national UDC de Genève, rappelle que le SEM n’a pas la compétence pour décider des renvois: «Le SEM passe souvent pour un organisme méchant mais il n’a pas de dents, ceux qui ont des dents ce sont les cantons. Et on peut constater une certaine disparité dans l’application du droit fédéral par ces derniers. Un canton comme Genève prononce peut-être un nombre important de renvois mais en applique peu alors que les Grisons, par exemple, en prononcent peu mais les font réellement appliquer.»
Nous avons également montré ces chiffres à Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise. Ce dernier embraie rapidement sur la question de l’immigration de manière générale: «Cette année est particulière avec l’introduction du permis spécial S (papier d’identité autorisant le séjour provisoire en Suisse pour les personnes à protéger). A l’UDC, nous estimons que c’est une erreur. 120 000 personnes sont arrivées cette année avec ce statut, couplées à 25 000 autres. Cela représente environ 3 milliards de francs de surcoûts, c’est très inquiétant. Nous serons particulièrement attentifs à ce que les décisions de renvoi soient appliquées par les cantons, surtout le mien, qui n’a pas toujours été très assidu avec le droit fédéral en la matière.»

Lionel Walter, porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), tempère. Pour lui, il s’agit de préciser que les renvois ne concernent pas uniquement les individus ayant commis un acte illicite: «Le panorama est très varié. Certaines personnes sortent de la procédure d’asile après que leur demande a été rejetée et que les voies de recours ont été épuisées, mais d’autres peuvent avoir un autre passé: des travailleurs dont le permis n’a pas été renouvelé pour diverses raisons, des personnes qui ont toujours séjourné en Suisse de manière irrégulière (c’est-à-dire sans papiers), etc.» Lionel Walter précise que l’OSAR n’est pas un organe qui peut offrir du soutien à un étranger devant quitter la Suisse: «Notre activité se concentre sur les demandeurs d’asile, de sorte que nous ne sommes pas directement concernés par la situation des sans-papiers.»

Transparence difficile

Si le SEM a rapidement répondu à nos premières questions, il en va autrement lorsque nous cherchons à savoir combien des 4277 personnes faisant l’objet d’une décision de renvoi ont bel et bien quitté le territoire suisse au mois de septembre. Dans un premier temps, on nous a répondu que les chiffres consolidés jusqu’à octobre devaient arriver «en fin de semaine» ou «la semaine prochaine». Ceux-ci ne seront finalement disponibles qu’à la mi-novembre. Dès lors, nous avons demandé ceux des neuf premiers mois de 2022, qui devaient être facilement communicables. Réponse: «Nous répondrons à cette question (statistiques de janvier à septembre) lorsque nous vous fournirons les chiffres d’octobre, soit vers la fin de cette semaine ou en début de semaine prochaine.» Miracle! Les départs concernant le mois de septembre nous sont communiqués juste avant le bouclage. Le SEM nous apprend donc que 3608 départs ont eu lieu, de façon volontaire ou non.

Cette lenteur administrative inquiète quelque peu Kevin Grangier: «Je suis interpellé par le peu de transparence du SEM. Les chiffres pour le premier semestre devraient être facilement accessibles pour le public. On pourrait être tenté de se dire que la situation migratoire est hors de contrôle ou pénible à communiquer. Tout ceci n’est pas une bonne nouvelle et témoigne d’une certaine tension sur le front de l’asile en Suisse.»

Autre statistique difficile à obtenir de la part du SEM: le nombre de personnes devant quitter le territoire qui seraient «perdues dans la nature». Anne Césard nous gratifie d’une réponse fort évasive: «De par la force des choses, en cas de départ incontrôlé, les autorités ne disposent généralement pas d’informations sur le lieu exact où se trouvent les personnes tenues de quitter le pays. Le SEM part toutefois du principe que les personnes concernées ont, dans leur grande majorité, quitté la Suisse.»




Il fait débloquer les bloqueurs

Car du vice, cet admirateur de Margaret Thatcher n’en manque pas lorsqu’il s’agit de faire débloquer ses adversaires, qu’ils se trouvent dans un conseil communal ou dans les locaux d’une organisation de gauche. Ainsi le petit happening organisé avec ses amis lors d’une soirée de Renovate Switzerland, ces sympathiques éco-anxieux qui aiment à se coller sur les autoroutes pour nous faire comprendre qu’il serait bon d’améliorer l’isolation des bâtiments. Une vérité à laquelle nous n’aurions d’ailleurs jamais accédé sans vegans transformés en post-it sur la route! Bref, le Trump du Nord vaudois, comme d’aucuns l’appelaient du temps où un grabataire n’avait pas encore remplacé un inculte à la Maison blanche, a eu l’idée suivante: transporter une sono et une bouteille de blanc et empêcher les organisateurs de parler à leurs ouailles. «J’aimerais en voir quelques-uns aller faire les travaux qu’ils réclament et arrêter leurs études de bureaucrates, de sociologues et autres formations inutiles et polluantes», tempête le politicien, dont le sens de la mesure prête à des évaluations variées. Et de poursuivre: «Mais aucun d’entre eux n’est prêt à les lâcher car elles leur assurent un confort et un rang social qui passe en réalité bien avant l’urgence climatique.» Amateur de coups d’éclats, le Nord-Vaudois a en tout cas fait mouche, car il paraît que les activistes ont un peu regretté de ne pas avoir pu engager le dialogue. «Une chose qu’eux n’ont jamais faite avec les personnes qui, par leur faute, se sont retrouvées avec des enfants qu’ils ne pouvaient pas aller chercher après le travail». Pas faux. Et oui, on s’excuse, mais on finit ce papier sans avoir donné la parole à Renovate, ce qui est très mal. Mais dans la mesure où ils comptent déjà sur la présence d’apologètes dévoués dans la plupart des médias installés, ils sauront très certainement nous pardonner.