Le navire et le Scrabble

L’homme, qui se savait minuscule sur ses bateaux, pouvait tout car il se souciait davantage du salut de son âme que de sa facture d’électricité ou de son cholestérol. Ainsi découvrait-on des peuplades exotiques, des éléphants et des passages impossibles à travers la Patagonie, quand notre modernité ne découvre plus guère que le «charme discret de l’intestin», pour citer un succès d’édition de la décennie écoulée.

Vous avez peut-être remarqué ces tatouages de caraques et caravelles qu’aiment à se barbouiller les jeunes urbains de notre époque. C’est une mode intéressante, car notre société ne prend plus guère la mer. Et en particulier pas ceux pour lesquels la transition vers une nourriture essentiellement végétale, grâce à trois tomates cultivées sur le balcon d’un appartement situé sous-gare, constitue la grande aventure d’une vie. Ramuz le disait déjà, dans son essai Besoin de grandeur, à la fin des années 30: «Il nous manque une moitié de l’existence qui est celle qu’offrent les ports d’où partent tant de routes vers partout et vers nulle part.» Il faisait alors référence à la réalité géographique de notre petits pays, encastré entre ses montagnes. L’observation, un siècle plus tard, pourrait pourtant prendre un tout autre sens: psychologique cette fois.

Car les frontières physiques – hors cas de grippes mondiales, bien sûr – peuvent bien avoir été abolies contre l’avis des peuples, notre incapacité à prendre le large se révèle dans notre incapacité à accepter le tragique de l’existence. Par exemple, il y a encore un an ou deux, l’existence de sensitivity readers aux états-Unis faisait rire tout le monde chez nous. Quoi? Des personnes ayant pour mission de lire préventivement les romans afin d’avertir les éditeurs à propos des passages susceptibles d’offenser des minorités? Cela ne pouvait se passer qu’aux états-Unis, là où le souvenir du prohibitionnisme puritain n’avait jamais totalement disparu. Nous étions alors fort naïfs, comme ceux qui pensaient, au siècle dernier, que le communisme ne quitterait jamais les frontières de l’URSS.
Dans ce numéro, nous traitons une offensive que personne n’a vu venir, contre les mots problématiques du Scrabble. Eh oui, le bon vieux Scrabble, où l’on pouvait jouer à peu près n’importe quel mot, pourvu qu’il appartienne à la langue française. L’on se souciait alors, dans notre innocence, d’utiliser des consonnes et des voyelles qui, mises bout à bout, formaient un mot. Erreur: il aurait fallu que le terme soit gentil, «bienveillant» et à faible taux de calories, nous dit désormais le fabricant du jeu, Mattel. Le progrès a fait de telles avancées que nous voilà, même au niveau du Scrabble, «en pleine obsession préventive, en plein ravage prévisionnel, en pleine civilisation prophylactique» (Philippe Muray). Qui l’aurait cru?

Lorsque l’on vit dans un horizon fini, la nature humaine a ceci de particulier qu’elle cherche avant tout à le protéger. Au Peuple, notre appel est le suivant: prenons le large, même si nous avons le mal de mer. Car cette société thérapeutique, cajolante, ne nous dit rien de bon. Nous n’apprécions guère que l’on vienne nous supprimer des libertés aussi anodines que jouer un mot peu élégant au Scrabble, sous couvert de libération en tous genres. Ceux que nous combattons le plus âprement sont ceux qui invoquent des valeurs auxquelles nous croyons pour nous priver des aventures les plus humbles: celles de l’esprit, qui sont aussi les plus sacrées.




Vers un socialisme désocialisant

«Sauf disposition contractuelle expresse, en effet, il n’y a pas [en Suisse] de droit au télétravail, déplore madame Suter dans son texte adressé au Conseil fédéral. Si l’employeur refuse une demande en ce sens, l’employé ne peut faire autrement que de l’accepter». Pour remédier à cette situation, l’élue socialiste appelle de ses vœux une modification de l’encadrement juridique du travail à domicile, sur le modèle des Pays-Bas où depuis 2015, explique-t-elle, «les employés nouvellement engagés peuvent exiger de leur employeur qu’il les autorise à télétravailler au moins partiellement». Certes, l’élue de gauche reconnaît qu’il faut pour cela que «le métier concerné et le fonctionnement de l’entreprise le permettent», mais le mot est lâché: plus qu’une modification de l’encadrement légal, il faudrait proclamer là un nouveau «droit», qui impliquerait donc la possibilité pour les employés d’«exiger» de leurs patrons qu’il soit respecté.
C’est là, précisément, que le bât blesse. Jean Romain (PLR/GE), député au Grand Conseil genevois et écrivain, pointe les difficultés que pose une telle mesure, bien qu’il reconnaisse l’intérêt «ponctuel» du télétravail: «Dès lors que vous faites entrer un nouveau droit quelque part, il peut être revendiqué. Et si le supérieur hiérarchique s’y oppose, il y a un conflit juridique». Et l’élu genevois de dénoncer une situation qui pourrait mettre en difficulté certaines entreprises: «C’est au patron de dire ce qu’il faut pour son entreprise, non pas à l’employé de réclamer un droit qui pourrait mettre en péril, dans certaines situations, la survie des petites entreprises».

Même son de cloche du côté du centriste valaisan Sidney Kamerzin, collègue de Gabriela Suter au Conseil national: «Au niveau des entreprises, il faut laisser la possibilité d’inciter. L’obligation, toutefois, ne peut pas fonctionner. La décision doit être prise d’un commun accord entre l’employeur et l’employé, sans faire l’objet d’un droit unilatéral difficile à mettre en œuvre dans certains cas». Et l’élu de l’ancien PDC de dénoncer une double discrimination qu’impliquerait ce droit: «D’une part entre les métiers du secteur primaire pour lesquels le télétravail est impossible, et les métiers du tertiaire notamment. Mais aussi entre les petites entreprises pour lesquelles le télétravail ne convient pas du tout, et les plus grandes entreprises dans lesquelles il peut être mis en œuvre».

Valentin Aymon (PS/VS), conseiller communal dans le village de Savièse et député suppléant au Grand Conseil valaisan montre une certaine prudence à l’égard de la proposition de sa collègue de parti: «Je ne suis pas en désaccord total avec madame Suter, mais je pense que le télétravail ne doit concerner que certains cas particuliers, sans devenir un droit fondamental». Le problème majeur serait l’aspect contraignant d’une telle mesure: «Contraignante pour les employeurs, mais aussi pour les employés!» En effet, explique-t-il, «un patron peu scrupuleux pourrait aussi chercher à économiser sur les coûts des locaux, du loyer ou du matériel, en demandant à ses employés de travailler à la maison». Autre point, le Valaisan se méfie également de la «porosité entre vie professionnelle et vie privée» induite par le home office. «Il doit y avoir un droit à la déconnexion, un droit de ne pas être joignable».

Sidney Kamerzin partage la même inquiétude: «On sait que la présence permanente du professionnel dans le milieu familial peut générer de fortes tensions», à quoi il faut ajouter, sans nier les «vertus évidentes du télétravail», un risque de «désocialisation professionnelle», de «perte de contact avec les collègues». Le parti socialiste qui promeut la désocialisation? Rien d’étonnant pour Jean Romain: «Ça fait longtemps que le parti socialiste ne travaille plus pour une ʻsociété socialeʼ, mais est en train de mettre en place un système qui n’a plus rien à voir avec la tradition socialisante». Et pour cause: «Le socialisme est un immense courant de pensée qui est en train de se faire mettre sur la touche. Pour essayer d’exister, il lui faut trouver un certain nombre de combines politiques de façon à occuper le devant de la scène».

Reste que l’intervention de madame Suter n’était qu’une interpellation, «un moyen d’obtenir des réponses» du Conseil fédéral, comme nous l’explique Sidney Kamerzin. «Si elle faisait le choix d’une intervention plus contraignante comme une motion ou une initiative parlementaire, continue-t-il, je ne vois pas comment, aujourd’hui, une majorité pourrait se constituer sur le sujet. La bascule se ferait au niveau de notre parti (Le Centre) et peut-être chez les Vert’libéraux, mais ces derniers restent très attachés à la liberté des entreprises».




Le Scrabble essuie les plâtres du capitalisme woke

Vous pensiez vous livrer à une activité tout à fait innocente en jouant au Scrabble au lieu de regarder des tueurs en série dissoudre les corps de leurs victimes dans de l’acide sur Netflix? Eh bien vous aviez tort, à moins de vous en tenir à un choix de mots garantis sans discrimination de quelque nature que ce soit. Par un vent de puritanisme qui sent délicieusement l’air d’outre-Atlantique, la société Mattel a en effet décidé de bannir toute une série de mots qui, indépendamment de leur valeur morale, entraient jusqu’ici dans l’arsenal des aficionados du célèbre jeu de société. Parmi ces derniers, des termes comme «lopette», «travelo» ou «pouffiasse», qui deviendront inutilisables à l’horizon 2024.

Derrière cette purge, des négociations extrêmement tendues entre Mattel et le comité de rédaction de l’Officiel du Scrabble (CR ODS), le dictionnaire officiel du jeu édité par Larousse. «Mattel souhaitait initialement mettre plus de cent mots sur la sellette et le CR ODS consentait à en sacrifier cinq», explique un passionné ayant vécu ces échanges âpres de l’intérieur. «Mattel a arrêté une liste de vingt-six mots (soixante-deux en comptant les féminins et pluriels) à faire sortir de l’ouvrage de référence et c’est la «solution» vers laquelle on se dirige à l’heure actuelle, si aucun élément nouveau ne vient changer la donne», témoigne ce joueur, très en colère face à des velléités de censure parfois peu compréhensibles du point de vue francophone. «L’exemple de CHICANO (n.d.l.r. appellation péjorative des latinos chez l’Oncle Sam) montre bien que la demande de suppressions de mots est inspirée par les états-Unis», déplore-t-il. «Nous nous sommes opposés à l’éviction de BAMBOULA, dont les sens multiples (fête, tambour) sont manifestes, et ce mot-là n’est plus «menacé». En revanche, le très courant NABOT est toujours incriminé, alors que ce n’est pas l’insulte la plus inqualifiable qui soit…»

La moraline ou le jeu, il faudra choisir

Mais pourquoi ce soudain besoin d’épurer la langue au niveau d’un jeu qui, jusqu’ici, voyait essentiellement – et encore, très rarement – disparaître des noms propres? Mattel SA répond à cette inquiétude directement sur le site de la Fédération Internationale de Scrabble Francophone. Et la société y cache à peine sa volonté de participer à l’élaboration d’un monde si doucereux que les Télétubbies y passeraient presque pour un programme horrifique: «Lorsque l’on joue au Scrabble® – comme dans la vie –, les mots que nous choisissons sont importants. Les mots ont le pouvoir de renforcer, d’encourager et d’honorer, mais ils peuvent aussi être utilisés pour affaiblir, décourager et manquer de respect. En tant que marque tournée vers la famille et consciente de l’impact des mots et de leur évolution, Mattel a fait appel à un linguiste indépendant pour identifier les mots à caractère haineux afin de revoir la liste officielle de mots autorisés à être joués lors des compétitions de Scrabble®.» Soit l’intrusion des sensitivity readers, ces personnes payées pour décréter quelles pages de roman effacer afin de ne choquer personne, jusque dans les jeux de société. Elle n’est pas belle, la liberté moderne?

«Personnellement, j’éprouve un tiraillement entre le choix personnel de ne pas utiliser ces mots insultants dans mon vocabulaire, et le sentiment que l’Officiel du jeu n’a pas pour mission de moraliser la société», témoigne le Vaudois Hugo Delafontaine, multiple champion du monde. «Dans la forme du jeu que je pratique, le Duplicate, il s’agit d’optimiser chaque tirage pour réaliser un maximum de points au coup par coup. On ne peut donc pas s’abriter derrière une stratégie globale, comme dans d’autres règles, afin de contourner certains mots plus ou moins agréables.» De quoi donner parfois lieu à des scènes cocasses: «On en rigole parfois après coup entre joueurs, lorsqu’on a dû utiliser quelques termes salaces ou péjoratifs dans une partie, mais cela pose une réelle question: devrait-on, au nom de la morale, avoir la droiture de ne pas les utiliser? J’ai choisi, pour ma part, d’accepter qu’ils existent et peuvent servir dans ce cadre.»
Pourquoi dès lors, s’aligner sur les désirs de moralisation de la langue de Mattel? Simplement parce que les nombreux passionnés du jeu n’ont pas vraiment le choix: «Le CR ODS subit la pression du fabricant, de même que les fédérations, qui reçoivent des subventions de la marque et doivent donc s’aligner sur ses exigences». A noter cependant que l’interventionnisme à tous les niveaux de Mattel suscite désormais des réactions dans le monde anglophone, touché par une saignée de centaines de mots: «Certains jouent avec l’ancien dictionnaire et appellent le jeu ʻWord gameʼ, pour ne pas utiliser l’appellation Scrabble. En français, on voit s’esquisser quelques velléités similaires, sur les réseaux sociaux notamment», souligne un observateur averti de la scène mondiale. Malgré la polémique, il estime que les joueurs francophones s’aligneront sans doute sur le résultat de cette purge en 2024.

Jusqu’au moment, sans doute, où l’idée de s’adonner à un jeu au lieu de sauver la planète dans une ZAD deviendra elle-même trop subversive.




Impressions macronesques

Le sport, c’est la joie et la joie est communicative, voire communicante? Ce dimanche 18 décembre 2022, nous aurions voulu être une mouche pour assister au briefing du Roi avant son entrée dans le stade. Le Roi, entendez Macron. Enfin, vous aviez compris car vous ne l’avez pas raté jour-là. Vous ne pouviez pas le rater.

Or donc, nanti des conseils d’une armada de Nadine, Hortensia, Jérôme, Hadrian, Alibert, Isée, Garance, Alceste pour ne citer qu’eux, Emmanuel se retrouve face à l’inattendu: son équipe n’existe pas. Il ne peut donc pas appliquer le plan de communication. Drame. Le voilà congelé, transi, peureux, ignorant. Le voilà face à lui-même. Tiens, bonne nouvelle, durant de longues minutes, il va même penser seul.

Et puis soudain la France se réveille et le match devient fou. Macron aussi. Perdus les conseils de l’armada. Il entre en fusion, en fission, en sublimation et… s’oublie! Il a posé la veste, relevé les manches. Sa cravate ne ressemble à rien. Le voilà hurlant, sautillant, gesticulant. Il est redevenu un enfant. Médusés mais polis, les émirs qui l’entourent – peu concernés dans le fond – respectent poliment le Président et se demandent en leur for intérieur s’il est comme cela à la maison. Peut-être oui dans le fond. Brigitte doit bien rigoler.

Question: un Président de la République peut-il faire cela? Réponse: non. Quand on est Président, on se tient bien, Punkt Schluss. On peut manifester sa joie, mais sans gesticulation. On ne crie pas. On représente la République et on se doit d’être un modèle. On lui pardonnera sur ce coup-là, puisque, encore une fois, il avait sans aucun doute oublié les conseils de l’armada.
Ce qu’on ne lui pardonne absolument pas en revanche, c’est son attitude d’après défaite. Et là, on devient franchement inquiets. Comment peut-on manquer à tel point de sensibilité, de pudeur, de tact, d’humanité, pour s’attaquer de la sorte à Mbappé? Kylian, effondré, en fait lui aussi un peu trop (il ne sourira pas une seule fois), mais sa tristesse lui appartient et il n’a pas besoin d’un clown qui s’accroche désespérément à lui et lui crache dans l’oreille de longues minutes.

Et là, le doute, le souci se font jour. A-t-il écouté sur ce scénario l’armada? «Président, si on perd, vous foncez sur Mbappé et vous le serrez tout fort dans vos bras.» Alors là, Macron, il a pas oublié. Il a fait, refait, encore fait et encore refait. Et à partir de là, on a confiné au pathétique.

Si ces étreintes déplacées sont le seul fait de Macron, alors c’est un autiste de l’attitude et un homme qui ne connaît rien, mais alors rien au sport d’élite. Si c’est le fait de l’armada, alors il peut toutes et tous les virer. Et si c’est une combinaison des deux, alors faut vite organiser des élections. Ah mais c’est juste, en France, on ne coupe plus la tête aux Rois. Dommage. DP

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Analyse

Un conseiller fédéral ne devrait pas faire cela

Verra-t-on, un jour, un de nos élus fédéraux troquer son costume de souris grise pour singer les poses avantageuses du président français devant une compétition quelconque? Pas de risque, nous répond un haut fonctionnaire: «Les conseillers fédéraux se montreraient bien plus mesurés et surtout courtois. Manifester sa joie quand on est en tribune est légitime. Un peu de chauvinisme ne fait jamais de mal. Et c’est de bonne guerre. Nos ministres portent d’ailleurs volontiers les vestes de la délégation, comme Guy Parmelin à Pyeongchang. Mais se transformer en supporter très ʻpremier degréʼ est plus délicat. Les règles du fair-play sont d’une certaine manière la version sportive de la courtoisie diplomatique. Il faut bien doser. Et dans le cas du président Macron, on brise tous les codes. Il se sent seul au monde, comme s’il était dans son salon. A ceci près qu’il est président d’une puissance nucléaire! Cela manque de retenue, voire de courtoisie.»

Ce ne sont toutefois pas les gesticulations de Jupiter durant le match qui ont semblé le plus inconvenantes à ce connaisseur du Palais fédéral: «Le plus problématique c’est son comportement après le match. Il s’approprie l’événement. Il prend l’événement en otage pour son image. Il va sur la pelouse consoler des joueurs qui n’ont rien demandé! Ce moment appartient aux sportifs, à l’encadrement, à leurs proches. Le sommet, ou plutôt le fond, est atteint lors du discours dans les vestiaires. S’il s’intéressait sincèrement aux joueurs, il ne se filmerait pas. On est dans la pire mise en scène. Cela ne fait que remettre une pièce dans le juke-box du ʻtous pourris, tous opportunistesʼ. D’ailleurs cette mascarade s’est retournée contre lui.» RP




L’art de ne pas vouloir lire correctement

Ma compagne étant originaire de France, je vais vous parler – courtement je vous le promets – de ma vie à l’étranger durant la période des fêtes de fin d’année. La famille de ma meilleure moitié vit dans une superbe région remplie de terroirs, gorgée de saveurs et de savoir-vivre, que je tiendrai secrète. Bien entendu, pour rejoindre cette terre encore préservée du progressisme fou, il nous est nécessaire de passer par une très grande ville gauloise, que je ne révélerai pas dans ces lignes non plus. Cette cité est superbe à tout point de vue, mais force est de constater que la transition démographique (le terme utilisé par Macron pour ne pas employer «grand remplacement», affreux concept de l’über-méga-droite) y est bien présente. Manifestations kurdes, échoppe de poulet, marché aux épices, mineurs isolés en survêtements américains… tout y est.

Après avoir traversé la cité, direction la campagne, le confort d’un âtre et l’odeur carnée et sucrée de la côte de bœuf saisie à quelques millimètres de la braise incandescente. Quand soudain: BFMTV! Sur le plateau, on palabre, on s’offusque, on s’indigne, on crie au padamalgam. Le méchant du jour, c’est Michel Houellebecq. L’écrivain s’est entretenu avec Michel Onfray dans sa revue Front Populaire. Les deux auteurs ont pris le temps, touché de nombreux sujets sur près de 50 pages, achetées et lues par votre serviteur. Mais une phrase de Houellebecq a engendré des petites coliques chez nos confrères de BFM et donné envie de porter plainte à Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris. La phrase incriminée? «Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent». Aïe, patatras, ouh là là.

Un historique complexe

Comme le répètent à la façon de perroquets tous les médias subventionnés français depuis quelques jours, l’auteur a déjà, par le passé, «parlé en mal de l’islam.» Il me semble que ce constat manque un peu de nuance. Certes, Houellebecq est allé très loin en 2001. «L’islam ne pouvait naître que dans un désert stupide, au milieu de bédouins crasseux qui n’avaient rien d’autre à faire – pardonnez-moi – que d’enculer leurs chameaux», ose-t-il dans son ouvrage Plateforme. Ou encore «La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré… effondré!», dans le magazine Lire lors de la sortie du même livre.

Seulement, il y a eu Soumission (la signification exacte du mot islam) en 2015. Et là, c’est plus compliqué. Florilège: «L’islamisation: c’est un processus spirituel, un changement de paradigme, un retour du religieux.» (L’ Obs, 5 janvier 2015). «Il y a plus d’opposition foncière entre un musulman et un athée laïc qu’entre un musulman et un catholique.» (Le Dauphiné libéré, 5 janvier 2015). «Que peut bien faire un musulman qui veut voter? Il est dans une situation impossible, en fait. Il n’est pas représenté du tout […]. Donc, à mon avis, un parti musulman est une idée qui s’impose.» (Mediapart, 2 janvier 2015). Et enfin: «Si on est religieux, on se dit que cette remontée du religieux est un signe de renouveau.» (sur le plateau de France 2, 6 janvier 2015). Comme l’avait décrit Bruno Viard, universitaire spécialiste du romancier, au moment de la parution de Soumission, «la question religieuse est présente depuis le début» dans l’œuvre de Michel Houellebecq: «Il est hanté par le spectre de la disparition de la religion. Houellebecq ne croit pas en Dieu. Mais il affirme qu’aucune société ne peut survivre sans religion sous peine de suicide car, avec la famille, la religion répond à une nécessité sociologique essentielle qui est de relier les hommes et de donner un sens à leur existence. D’où son désespoir: l’idée d’un grand vide…»
On peut donc constater, une nouvelle fois, que les «experts», «spécialistes», et «chroniqueurs» en tout genre font feu de tout bois sans s’attarder réellement sur ce qu’est, ce que pense un auteur complexe et nuancé comme Houellebecq. Durant tout l’entretien avec Michel Onfray, de nombreux sujets sont abordés dont un, bien plus intéressant pour un libéral comme moi. On sait que Houellebecq est un virulent critique du libéralisme. Il admet néanmoins par-ci, par-là, que c’est le seul système juridique (le libéralisme n’est pas une théorie économique, politique ou philosophique, seulement un système juridique) viable.

Un courage bon marché

Un chroniqueur quelconque, remplaçant quelconque d’un autre chroniqueur quelconque montre qu’il en a dans le pantalon et jette sa sentence, courageuse, sans concession: «Houellebecq est abject. Vous êtes ici chez vous, chers musulmans.» L’assemblée est à deux doigts d’applaudir, émue, conquise. Un autre invité lui emboite le pas et tente la surenchère: «Un Français de souche, ça n’existe pas. Nous sommes tous des bactéries.» Le constat qui saute aux yeux, qui agace, à la fin de toutes ces palabres: aucun chroniqueur ne semble avoir lu quoi que ce soit de ou sur Houellebecq et certainement pas l’entretien incriminé. Les deux Michel passent le plus clair de leur temps à aborder des questions bien plus pertinentes sur le transhumanisme, l’euthanasie, leurs rapports à la nature, à la mort. Le marché y est abordé aussi, assez maladroitement, surtout par Onfray. Les échanges sont réellement vivants, nourris, emportés aussi parfois. Ce qui laisse, bien entendu, les deux protagonistes se rapprocher dangereusement des «dérapages». Mais dans le monde du journalisme aux ordres, la spontanéité et la liberté de pensée sont toujours «proches du fascisme».

Quelques jours après la tornade Houellebecq, le calme s’est à nouveau installé. Et les toutous de BFM se lançaient dans de nouvelles analyses de haut vol: qu’allait être la teneur du discours de nouvel an de leur idole Macron? Tous misaient sur l’«espoir» ou la «confiance». On est passé à deux doigts de la «bienveillance».

C’est Houellebecq qui parle le mieux de l’état de déliquescence actuelle de l’Hexagone, en tout début d’échange: «La France ne décline pas davantage que les autres pays européens, mais elle a une conscience exceptionnellement élevée de son propre déclin.»




Trop c’est trop

L’annonce, fracassante pour le milieu politique biennois, est survenue le 4 décembre par le biais d’une allocution concise débutant par ces mots: «J’ai décidé de remettre le mandat politique que le peuple m’a confié, à la fin de ce mois. Je ne pars pas parce que la Ville n’a pas de budget: j’ai déjà connu deux situations semblables et j’ai trouvé des solutions. Si je me suis décidée à remettre mon mandat, c’est parce que je ne peux plus réaliser la mission pour laquelle j’ai été élue au sein de ce Gouvernement.»

La politicienne, étiquetée Parti Radical Romand (ndlr une émanation francophone du FDP, soit du PLR), a poursuivi en envoyant valser bien des illusions biennoises: «En 2014 et 2016, lorsque les budgets avaient été refusés par le peuple, c’est le centre-droite qui détenait une légère majorité au Parlement et la gauche qui était majoritaire au Gouvernement.»

Un équilibre gouvernemental, précise la démissionnaire, qui n’a pas changé depuis. Mais jusqu’à quand? «Si un seul conseiller municipal de gauche prétend aujourd’hui qu’il ne risque pas sa réélection dans deux ans, il se voile la face. Car le budget 2023 qui a été refusé par le peuple est, à deux millions près, et à une variante près, celui du Gouvernement. Il s’agira pour les conseillers municipaux de gauche de marquer des points dans les semaines à venir, de trouver le moyen d’interpréter le verdict populaire pour ne pas avouer la défaite.» Et Silvia Steidle de condamner une tendance forte à «mettre en place des processus ingérables et se présenter ensuite comme sauveur pour se refaire une image de bon dirigeant.»

Une bureaucratie obèse

Si celle qui vitupère de la sorte n’est certainement pas la représentante d’un anarcho-capitalisme débridé, elle sait parfaitement d’où viennent les problèmes financiers qui rongent la ville depuis plusieurs décennies: de la bureaucratie. Elle n’y va d’ailleurs pas de main morte pour dénoncer cet empilement de temps perdu et d’argent mal dépensé: «Aujourd’hui on n’apprend rien des erreurs, on ne tire pas les conclusions du 27 novembre (ndlr date du refus populaire du budget 2023). La priorité n’est pas de gouverner mais de laisser le Parlement se charger de la tâche d’établir le budget. Quant au Gouvernement, il organise les séances, fait des notices de séances et comptabilise les décisions. Ce n’est pas ainsi que je comprends mon rôle. Le peuple ne m’a pas élue pour mes compétences de comptable ou de secrétaire. Je vois mes priorités ailleurs que dans la réécriture des stratégies financières.» Motif d’agacement suprême, la multiplication des rapports, des commissions qui annulent des décisions de sous-commissions, bref, de «la pure bureaucratie.» Un problème identifié par Mario Cortesi, l’éditorialiste du journal local Biel-Bienne: «Avec leurs œillères idéologiques, des parlementaires plus loquaces que réfléchis ont pris les rênes de la politique et rendent impossible la collaboration constructive d’autrefois, ils ne sont prêts à faire des compromis que s’ils leur sont utiles. (…) Le pénible débat sur le budget a clairement montré que les politiciens n’empruntent plus que la voie qui leur apporte un avantage personnel ou à leur entourage.» On rappelle en passant que, au milieu de toutes ces ambitions, l’endettement de Bienne se rapproche à grands pas du milliard.

Pour conclure, Silvia Steidle met en garde son remplaçant: «Ceci n’est pas ma campagne électorale, ceci est ma démission. Elle se veut aussi recommandation à celle ou celui qui me succèdera. Lorsque le peuple l’élira, il devra en tenir compte. Et aux futurs candidates et candidats, je ne peux recommander qu’une chose: s’ils n’ont pas les alliances nécessaires, mais uniquement des grandes ambitions, qu’ils renoncent à se présenter.»

Et si l’échec donnait paradoxalement des ambitions?

Désormais, le PRR peut présenter un de ses membres pour remplacer Silvia Steidle, réélue pour un troisième mandat en septembre 2020. Des noms circulent déjà. Le candidat sera annoncé à la mi-janvier et les citoyens biennois auront trente jours pour récolter un nombre suffisant de signatures si la personne présentée n’est pas à leur convenance.

Malgré l’échec d’un budget qui porte largement sa marque, la gauche pourrait désormais prétendre à prendre la main sur la direction des finances, depuis 2012 entre les mains du centre-droit. On imagine toutefois assez mal Glenda Gonzalez (PS), actuelle directrice de la culture, de la formation et du sport, ou Lena Frank (Les Verts), directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement, abandonner des postes qui sont chasse gardée depuis dix ans. Reste Beat Feurer (UDC), qui, avant de rejoindre le Conseil municipal en 2012, était expert fiscal et enseignant de droit fiscal. Bienne a désormais pour horizon une situation bloquée ou alors un total renversement des philosophies exercées au sein des différentes directions.

La ville de Bienne vient d’annoncer que la nouvelle version du budget 2023 sera soumise à la votation populaire le 7 mai prochain. Mais avant cela, ces nouveaux chiffres vont faire l’objet de débats que l’on imagine déjà bien compliqués, et volontiers stériles, au Conseil de ville, à la fin mars.




Vivre libre

Printemps 1990, une salle de cinéma, une équipe d’adolescents, des pop-corn et un film. Une histoire somme toute banale: John Keating, enseignant de littérature, aux méthodes peu orthodoxes, arrive dans la très sérieuse académie Welton et va bouleverser la vie de ses élèves. Une des scènes se déroule dans une caverne où des étudiants se réunissent pour former une étrange société. En début de séance, l’un d’eux lit un poème, en fait une citation arrangée, d’un certain Henry David Thoreau: «Je m’en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre, intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n’était pas la vie pour ne pas découvrir, à l’heure de ma mort, que je n’avais pas vécu.» Vous avez reconnu Le Cercle des poètes disparus (1989). Il n’est pas difficile d’imaginer l’effet de ce film sur l’esprit d’un jeune idéaliste. C’est aussi comme cela que Thoreau est entré dans ma vie.

«Les idées ne se promènent pas toutes nues dans les rues.»

L’heureuse formule de Jacques Julliard se vérifie une fois de plus. Il ne suffit pas de lire Walden ou La désobéissance civile au coin du feu d’une ZAD quelconque pour comprendre la richesse de la pensée de Thoreau. Il faut, selon l’austère méthode de Sainte-Beuve, connaître la vie, le contexte et toute l’œuvre d’un auteur.

Henry David Thoreau est un homme de son temps dont la pensée ne se résume pas à ses deux célèbres textes. Né à Concord dans le Massachusetts en 1817, Thoreau sort diplômé de l’université de Harvard à dix-huit ans. Il exerce le métier d’instituteur avant de quitter l’enseignement en raison de son refus d’appliquer les châtiments corporels. Il se lie avec Ralph Waldo Emerson qui deviendra son mentor. Il passe trois ans à New York avant de revenir définitivement s’établir à Concord en 1844. Au printemps 1845, il construit une cabane au bord de l’étang de Walden, à trois kilomètres de Concord et à proximité d’une voie de chemin de fer. Il y vit vingt-six mois. Ce sera la source de l’ouvrage éponyme publié en 1854. A partir de 1842, Thoreau cesse de payer l’impôt par tête (la capitation) afin de protester contre la politique esclavagiste et la guerre contre le Mexique. Cela durera quatre ans, jusqu’au moment où il est emprisonné durant une nuit. Une bonne âme va payer son impôt. En 1849, il s’appuiera sur cette expérience pour écrire La résistance au gouvernement civil, qui deviendra après sa mort La désobéissance civile. Auteur d’une abondante correspondance, d’un journal et de nombreux essais, Thoreau meurt de la tuberculose à l’âge de quarante-quatre ans. Ecoutons Emerson, qui a su peindre avec beaucoup de délicatesse le portrait intérieur de son ami: «C’était un médecin des blessures de l’âme, qui connaissait non seulement le secret de l’amitié, mais qui était presque vénéré par les quelques personnes qui faisaient appel à lui pour qu’il soit leur confesseur et leur prophète et connaissaient la valeur intrinsèque de son esprit et de son grand cœur.»

Thoreau s’inscrit dans la vie intellectuelle de son époque, durant laquelle les états-Unis vivent sous la loi du progrès inhumain, de la technique bruyante et du culte puritain du travail. Dans ce contexte, un groupe d’hommes et de femmes mené par Ralph Waldo Emerson (1803-1882) lance une vraie révolution. On les appelle les transcendantalistes. Ces personnes veulent exister et penser différemment. Inspirées par un romantisme allemand ayant transité par l’Angleterre et renouant avec la philosophie antique et orientale, elles proposent un humanisme renouvelé. Il s’agit, en fait, d’une sagesse qui invite l’individu à retrouver, au contact de la nature qu’il faut préserver, sa pureté originelle.

Walden ou la vie dans les bois

Le 4 juillet 1845, date symbolique puisqu’il s’agit du jour où les états-Unis commémorent leur indépendance, Thoreau proclame la sienne en s’installant dans sa cabane près de l’étang Walden. Il ne faut pas se méprendre, cela n’a rien à voir avec le film Into the Wild (2007), de Sean Penn; il s’agit de faire l’expérience d’une vie simple en étant seul dans les bois. Thoreau ne vit pas comme un anachorète, il côtoie des amis, se rend même à Concord et entretient une grande correspondance avec le monde extérieur. Cette expérience va durer deux ans et deux mois et donner naissance à Walden ou la vie dans les bois.

Walden n’est pas qu’un simple «nature writing» et sa lecture n’est pas si évidente qu’on veut le croire. Stanley Cavell, spécialiste de Thoreau, propose plusieurs niveaux de compréhension: le premier niveau est celui du sens commun, le second celui de la vérité rigoureuse et le troisième celui de l’austère beauté. Le sens commun représente le sens littéral du texte; la vérité rigoureuse s’adresse à notre raison et nous invite à la réflexion; l’austère beauté, quant à elle, se révèle après que l’on a passé par les étapes précédentes et nous indique ce vers quoi nous devons tendre. Le texte de Thoreau est une invitation à une réelle expérience transcendantaliste qui fera du lecteur un vrai philosophe: «Etre philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d’indépendance, de magnanimité et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie, mais en pratique.»

La désobéissance civile

Petit texte paru en 1849, La désobéissance civile s’inscrit dans le contexte de la guerre contre le Mexique et de la lutte anti-esclavagiste.

Stanley Cavell montre qu’il faut entendre «désobéissance civile» dans le sens qu’Emerson donne au terme «conversion» ou «révolution». éclairage intéressant, car, loin d’être un texte pour jeunes révoltés, La désobéissance civile est un acte de libération individuelle: «Si l’injustice est inhérente à la friction nécessaire au bon fonctionnement de la machine gouvernementale, il n’y a qu’à la laisser faire. Peut-être qu’à l’usage, elle va s’adoucir; la machine quant à elle va s’user. Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle pour son usage exclusif, peut-être qu’alors il faudra vous demander si le remède n’est pas pire que le mal; mais s’il est dans sa nature d’exiger de vous que vous soyez l’instrument de l’injustice à l’égard d’autrui, je dis alors: enfreignez la loi. Que votre vie agisse comme une contre-friction pour arrêter la machine. Ce que je dois faire est de veiller, en tout cas, à ne pas être complice de l’injustice que je condamne.»

La démarche de Thoreau est simple. S’il n’a rien à voir avec l’injustice commise par l’État, «il s’en lave les mains», par contre s’il sert cette injustice de quelque façon que ce soit, il doit désobéir au nom de sa conscience. Cette désobéissance civile a trois fonctions. Tout d’abord elle indique au gouvernement que vous êtes contre lui, dans un second temps elle sert de témoignage auprès du peuple et entraîne des comportements similaires, pour finir elle bloquerait l’appareil étatique par la désobéissance des fonctionnaires.
Comme on peut le constater, il ne s’agit pas de manifestation de masse mais bien d’un acte individuel libre et responsable: «(…) il y a peu de vertu dans l’action de masse des hommes. Quand la majorité finira par voter l’abolition de l’esclavage, ce sera parce qu’elle lui sera indifférente ou parce qu’il en restera peu qui soit aboli par ce vote. Ce seront eux les seuls esclaves. La seule voix qui hâte l’abolition de l’esclavage est celle de l’homme qui engage par là sa propre liberté.»

Thoreau se définissait comme «un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste». Les auteurs de l’anthologie Les Penseurs libéraux (Les Belles Lettres, 2012) ont compris Thoreau bien mieux que José Bové et ses séides, en y incluant un extrait de La désobéissance civile. Le sage de Concord nous rappelle que le libéralisme possède une dimension anarchisante: «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins.» Dans un pays où l’on réglemente sur tout et sur rien, où la liberté individuelle se réduit progressivement, où la dictature du petit nombre s’impose; offrez un ouvrage de Thoreau à vos élus d’un parti qui se définit aussi comme libéral.

Une biographie:

Thierry Gillybœuf, Henry David Thoreau, le célibataire de la nature, Fayard, 2012.

Des oeuvres de Henry David Thoreau en traduction française:

Walden ou la vie dans les bois, Albin Michel, 2020.
Les essais dans un coffret de treize petits volumes, Le Mot et le Reste, 2021.
Correspondance générale en trois tomes, La Part Commune, 2018-2020.
Journal en quinze volumes dont cinq de parus, Finitude, depuis 2012.




Lider Massimo

«À titre personnel, je maintiens que des Jeux olympiques dans une dictature sont une absurdité», avait notamment tonné Massimo Lorenzi chez nos amis de Blick. Xi Jinping, président de la République populaire de Chine, en tremble certainement encore. À l’inverse, on s’étonne que le géant du Quai Ernest-Ansermet n’ait pas encore reçu une invitation à se taper une entrecôte avec le Dalaï-Lama et Richard Gere. Peut-être à cause d’une conception légèrement différente de la non-violence, qui l’avait naguère conduit à prendre une condamnation après une gifle assénée à un militant du Mouvement Citoyens Genevois.

Le militant qui sommeille en tout journaliste du service public est ressorti de sa boîte à la fin novembre à propos de la Coupe de monde de football que nous venons courageusement de subir : «C’est un Mondial sans âme qui s’annonce», déplorait au 12h45 notre fine lame qui, pourtant, organisait à ce moment précis la couverture massive de ladite compétition sans âme. «Infantino (ndlr. le président de la Fifa) est un homme sans valeur et le Qatar est dirigé par des gens sans valeur. Ils n’ont qu’une valeur, c’est le pognon», analysait le journaliste sportif.

Du pognon, lui-même en aurait toutefois volontiers pris un peu plus pour nous saturer encore davantage de ballon rond ces derniers jours, à en croire ses incessantes complaintes d’enfant gâté. Parce que si «la passion ne s’achète pas», comme il aime à nous le répéter, elle a tout de même un coût. D’ailleurs, on ne serait pas forcément contre l’idée de le réduire un peu.

À l’année prochaine!

Noël, ça pollue, ça tue des dindes et ça donne le Covid. Pire, c’est chrétien, ce qui est difficilement excusable du point de vue de cellezéceux qui, en ces temps très enténébrés, prendraient un certain plaisir à ce que notre civilisation perde la vilaine habitude de cultiver le souvenir du Verbe fait chair. Aussi a-t-on le plaisir de vous encourager à célébrer un beau Noël – et surtout pas les Fêtes de fin d’année – en famille. Et ce même si la vôtre, de famille, devait ne pas se révéler arc-en-ciel.

Pour notre part, après plusieurs mois d’activité soutenue – nous ne vivons pas de notre journal –, nous allons prendre quelques jours de repos. Rien de spectaculaire, nous vous rassurons, juste une petite semaine de décalage par rapport à notre rythme de parution habituel pour mieux recharger les batteries et repartir au front pour l’année prochaine. Nous espérons que 2023 marquera la consolidation de notre projet et vous remercions du soutien et de la confiance apportés depuis notre lancement au printemps dernier.

Joyeux Noël!




L’étrange dépliant de la fondation Profa

Vous n’avez peut-être, voire sans doute, jamais entendu parler de la catégorie des personnes «genderqueer» ou de celles des «bigender». Pourtant, pour peu que vous ayez chez vous des enfants en âge (dès 6-7 ans) de suivre des cours d’éducation sexuelle au sein de l’école publique vaudoise, ces deux notions figurent dans un document récemment reçu à la maison. Pour ceux qui ne seraient pas au courant des derniers développements de la doctrine, voici ce qu’elles signifient. La première catégorie représente les personnes dont l’identité de genre sort du «schéma binaire homme/femme», explique la fondation PROFA. Quant à la seconde, elle représente les individus dont l’identité de genre «correspond à deux genres concomitants ou alternants». Les logos de ces deux nouvelles classes figurent sur la première page du dépliant, sous la forme d’un astérisque accolé à un cercle, ou d’une juxtaposition, sur ce même cercle, des symboles de la masculinité ainsi que du beau sexe.

Une information objective

Dans son dépliant, mis à disposition depuis mars, la fondation PROFA explique qu’elle dispense aux 40’000 élèves du canton de Vaud «une information objective, scientifiquement correcte, sur tous les aspects de la sexualité.» Cette dernière intervient «en complément à l’éducation donnée par les parents dans le domaine affectif et sexuel». Une ligne réaffirmée dans les réponses aux interrogations du Peuple: «Notre service a pour mission d’apporter aux élèves des messages d’information et de prévention, au plus près de leurs besoins, adaptés à leur âge, leur développement, et de communiquer des informations appropriées en regard des recherches actuelles, de la littérature scientifique, et basées sur les droits sexuels.» Pour expliquer l’introduction de catégories jusqu’ici peu habituelles, comme les personnes aux «genres concomitants» par exemple, PROFA invoque les besoins de la prévention: «En Suisse aussi, les personnes issues de la diversité LGBT font l’objet de discrimination, de stigmatisation et de violence. Il est important que ces jeunes, parfois en train de découvrir leur orientation sexuelle et affective / leur identité de genre, puissent renforcer leur estime de soi et recevoir des informations fiables», nous répond-on par écrit. Et de fait, confirme la fondation, la diversité de genre sera donc effectivement abordée avec les élèves «en tenant compte de leur âge et de leur développement.»

«Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement.»

Un cadre de l’école vaudoise

Cette volonté d’aller au plus profond de la diversité ne séduit guère un cadre de l’école vaudoise: «Je suis surpris de la manière parfois prosélyte dont certaines associations, cautionnées par des services étatiques, viennent introduire des notions de doute chez les enfants concernant des questions qui ne leur viendraient même pas à l’esprit, pour la plupart», fulmine-t-il. Et d’ajouter: «Ces intervenants, externes au monde de la pédagogie enseignante, sont souvent bien plus que de simples «spécialistes»: certains adoptent parfois une posture militante dont le fond du message consiste à dire aux écoliers que s’ils se questionnent au sujet de leur identité de genre, c’est qu’ils appartiennent déjà à quelque minorité sexuelle. Didactiquement parlant, si l’on voulait fabriquer du trouble, on ne s’y prendrait pas autrement et je doute que ce soit dans l’intérêt du développement des enfants.»

Pour ce responsable d’institution de formation, l’école vaudoise reste lourdement marquée par le passage à sa tête de certaines personnalités politiques et de leur idéologie: «Suivant les courants, tel cadre politique, avec plus ou moins d’autoritarisme, souhaite se montrer avant-gardiste en surfant sur les courants sociaux du moment. Ainsi, dans une intention initiale louable de lutter contre le harcèlement, nous avons vu différents «experts» arriver dans le panorama de l’instruction publique. En y regardant de plus près, on se rend compte que ces personnes sont bien souvent des promoteurs et militants de la diversité des genres.» Dans un contexte de changement récent de ministre de tutelle, de la socialiste Cesla Amarelle au PLR Frédéric Borloz, notre interlocuteur relève des fluctuations dans la force de ces tendances. «Reste que sur le terrain, nous sommes ballottés de quinquennat en quinquennat à propos de réalités qui, paradoxalement, font partie des invariants de la nature humaine.»

Symboles «genderqueer», à gauche du ballon de basket, ou «bigender», en haut à droite, apportent une coloration très particulière à ce dépliant destiné aux parents d’élèves de 6 à 15 ans. La notion de «respect de soi, des autres, des différences et des limites» intervient dès l’âge de 9-10 ans d’après les explications de la page 2 (à droite). A relever que les différentes notions, telles que les genres ressentis, non binaires et autres, s’inscrivent dans une volonté de présenter une «information objective» et «scientifiquement correcte». Une question qui ne manquera pas de souligner la possible contradiction entre cours de biologie et catéchisme progressiste. Profa

Le canton se défend

N’est-on pas en train d’aller trop loin, comme le craint ce pédagogue? Nous avons posé la question au Département de l’enseignement et de la formation professionnelle, qui a validé le dépliant. Ce dernier commence par nous rappeler le cadre suivant: le service d’éducation sexuelle de la fondation PROFA dispense les cours d’éducation sexuelle auprès des élèves de la scolarité obligatoire du canton de Vaud, sur mandat du Canton, sous l’égide de l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. L’éducation sexuelle fait partie des politiques publiques de santé et d’éducation. «Sur la présence des pictogrammes que vous pointez, nous pouvons ajouter qu’ils contribuent à des objectifs de prévention qui sont dans la Loi sur l’enseignement obligatoire du 7 juin 2011 et plus précisément son Règlement d’application», explique son responsable de la communication, Julien Schekter. Il cite à l’appui deux articles. Le premier dispose que «le département soutient, par l’information et la communication, des actions visant à réduire les inégalités, notamment celles liées à l’origine sociale ou ethnique des élèves ou à leur orientation sexuelle». Quant au second, il exige que «les élèves développent une attitude constructive et respectueuse d’autrui. Ils s’abstiennent de tout acte de violence physique, verbale, psychologique ou à caractère raciste, sexiste ou homophobe, de même que de tout propos méprisant se rapportant à l’apparence physique ou à l’appartenance sociale, religieuse ou ethnique des autres élèves, des adultes qui les entourent, ou de toute autre personne». Une attitude qu’il faudra donc désormais ajuster au ressenti des personnes qui s’identifient à des réalités parfois peu claires. «Nous pouvons par ailleurs vous indiquer que PROFA remplit son mandat à l’entière satisfaction des autorités cantonales et ce depuis de nombreuses années», conclut Julien Schekter.

Pas certain que ces explications suffisent à apaiser le cadre que nous avons pu contacter à condition de protéger scrupuleusement son anonymat: «Aujourd’hui, comme pédagogue, je me retrouve devant une situation ubuesque: je dois m’assurer de préparer la jeunesse à se sentir appartenir à une société de demain de manière harmonieuse et cohérente et je dois faire cela en promouvant un état d’esprit général qui dit que la plupart des fondements de ce qui nous permet de «faire société» est variable, flou, fluide, relatif. On peut, dit-on aux enfants, devenir tout ce que l’on veut car le sentiment individuel prévaut sur la réalité objective. Comment les aider à se construire dans un tel contexte? Et comment les aider à construire la «maison commune de demain» quand on encourage et valide, dans les faits, la subjectivité de chacun et de tous. J’ai crainte que cela ne soit que le début d’une grande fragmentation de la société.»

Des ados initiés au gode-ceinture:
quand une brochure suisse suscite la colère des parlementaires

Si la brochure de PROFA peut surprendre en introduisant des catégories de «genres» nouvelles auprès des petits Vaudois, une autre fait carrément l’objet d’une dénonciation pénale en raison de son caractère incitatif. Il s’agit de la brochure Hey You, destinée aux écoliers suisses dès douze ans. Réalisée par Santé Sexuelle Suisse – avec le soutien de l’Office fédéral de la santé publique –, cette dernière aborde des thèmes comme l’anulingus, la bonne utilisation des plugs ou des sex toys en général. A l’origine de la plainte contre ce document, l’association Initiative de protection. Le conseiller national PDC Benjamin Roduit est membre de son comité. Pour lui, un même état d’esprit anime les concepteurs de ces différents documents: «La stratégie de ces personnes consiste à dire aux écoliers qu’il est normal de sortir de la norme, mais aussi et surtout qu’ils devraient essayer. Il n’y a même pas besoin d’argumenter quinze ans: nous devons simplement refuser que ces gens, qui nient la distinction entre les sexes, ne touchent à nos enfants.»




Et à la fin on ne gagne même pas de médaille

Enfin peut-être pas encore l’univers tout entier mais en tout cas la sacro-sainte «sobriété énergétique» avec laquelle nous devrions fêter Noël cette année. Sa solution: faire contribuer les visiteurs et les visiteuses (on s’en voudrait de ne pas le préciser comme sur la RTS) de la place des Halles et du Jardin anglais à l’éclairage des animations lumineuses en les faisant pédaler sur une série de deux-roues installés sur les deux sites, dès le 7 décembre. «C’est une façon astucieuse et sportive d’allumer la magie de Noël et de créer de l’énergie positive pour fêter tous ensemble ce passage de l’année si propice aux retrouvailles», tente la conseillère communale chargée de l’économie et du tourisme, Violaine Blétry-de Montmollin, dans une novlangue qui sent davantage l’infantilisation que le vin chaud.
«Créativité» et «innovation», donc, seront de mise pour chasser les inquiétudes de cette fin d’année. Oubliés, les gamins qui ont pris froid à cause du chauffage coupé! Oublié, tonton qui a perdu son boulot pour avoir appelé «monsieur» ou «madame» un délégué LGBT non binaire. Et, même si nous devenons un pays du tiers-monde comme les autres, oubliée enfin la mauvaise humeur de boomer nostalgique de décennies dorées. Car la voilà la belle nouvelle: nous pouvons désormais nous gargariser de faire vivre avec nos impôts des gens qui savent rendre notre effondrement ludique! Peu importe, dès lors, que cette classe politique soit par ailleurs incapable de trouver des solutions concrètes aux problèmes de la population, comme le coût des énergies… Alors qu’on nous pardonne d’avoir l’audace de demander à nos zélites de décerner une médaille à ceux qui, par la force de leurs mollets, auront émerveillé les enfants avec des décorations scintillantes, et certainement garanties sans références chrétiennes. Sûr qu’avec un tel degré de mépris des contribuables, il y a bien à Neuchâtel, Genève ou Fribourg (qui vont aussi s’y mettre) quelque Soviet suprême susceptible d’honorer un ou deux décérébrés modèles.

On fera comme si on n’avait rien entendu

Utiliser une citation d’Éric Zemmour défendant la préférence nationale pour en faire un apologète du racisme bête et méchant, c’est l’élégante passade dont notre radio d’Etat s’est récemment fait l’autrice dans son émission Tout un monde. Alors on ne va pas se mentir, dans un premier temps, le journaliste concerné a «catégoriquement refusé» les accusations du parti du «Z» qui, avec un soupçon de mauvaise foi, se demandait si par hasard la RTS ne serait pas plus à gauche qu’à droite. Un refus catégorique qui n’a cependant pas empêché l’émission de mentionner qu’une petite erreur avait été commise à l’antenne, histoire de faire la paix avec la formation «Reconquête!». On est bien, on est copains, et maintenant que ce moment désagréable est derrière nous, on se réjouit de rallumer la radio de la voiture pour découvrir à quel point la masculinité est toxique, la droite méchante et Léonore Porchet admirable, mais sans erreur de montage aucune cette fois.