Cet article se trouve également sur le site de l’organisation Pro Suisse.
« Trente secondes de reportage pour comprendre que c’est à charge ! Bravo l’impartialité des journalistes !! ». Salué par 67 internautes sur YouTube, ce commentaire est à l’image de la grande majorité des réactions générées par un reportage de Temps Présent diffusé le 11 avril dernier, et encore visible en ligne. Son « angle », comme l’on dit dans le jargon des journalistes : « Et si les États-Unis vivaient leur dernière année de démocratie ? ».
Les heures les plus sombres
Dès les premiers instants du documentaire, la voix off de la journaliste donne le ton : en à peine plus de deux minutes, le public apprend déjà que « Donald Trump n’est connu ni pour sa modération ni pour son intégrité », qu’il est « l’un des hommes les plus dangereux du monde à l’heure actuelle » et qu’il mettra en œuvre son « programme radical » dès qu’il refranchira la porte du Bureau ovale.
Un élu qui applique le programme pour lequel il est élu, voilà qui peut effectivement surprendre, dira-t-on.
Mais surtout, avant même d’entrer dans le cœur de son sujet – une virée chez les pro-Trump floridien – la voix off donne le coup de grâce en glissant que les mimiques du politicien républicain « rappellent des temps sombres », sans préciser si elle fait allusion à Mussolini ou Hitler. En guise de cerise sur le gâteau, un bruit de coup de feu est alors utilisé comme illustration sonore de ce probable retour vers l’autoritarisme.
Service public, mais pas neutre
Président de 2017 à 2021, Donald Trump n’est certes pas un modèle de vertu aux yeux de tout le monde, y compris au sein du monde conservateur. Mais dans l’intérêt supérieur d’un pays neutre comme la Suisse, peut-il être pareillement diabolisé par le service public ? Pas aux yeux du député UDC valaisan Jérôme Desmeules, ouvertement sympathisant du milliardaire américain : « Magnifique Temps Présent, comme toujours objectif, ironise-t-il. Il fait passer Trump pour le salaud agressif alors que le retour vers un monde au bord du conflit généralisé a été provoqué largement par le retour au pouvoir du complexe militaro-industriel soutenu par le camp du « Bien »… »
Le reportage aurait-il été finalement plus outrancier que le politicien qu’il se donnait pour objectif de dénoncer ? On peut le penser car la RTS ne le cache pas : le reportage fait bien allusion à Hitler à propos des « heures sombres » que rappelleraient les mimiques de Trump. Elisabeth Logean, présentatrice et co-productrice de l’émission, l’assume ouvertement : « L’idée de ce reportage était d’imaginer l’Amérique de demain si Donald Trump était réélu à partir de ses déclarations et intentions. L’ex-président a ainsi annoncé vouloir purger l’Administration fédérale ou utiliser le FBI et le département de la Justice pour neutraliser ses adversaires ; autant d’intentions qui s’apparentent à des comportements de dirigeants autoritaires. Le rappel des années sombres fait référence à ses déclarations sur les migrants « qui empoisonnent le sang de notre pays », qui rappellent les propos d’Hitler sur les Juifs ; la question de l’intégrité est évoquée en lien avec ses condamnations récentes, dont une pour fraude financière. »
Une tarte à la crème qui fatigue
En mars, une vive polémique avait suivi une déclaration de Slobodan Despot jugée pro-russe, dans les Beaux Parleurs. L’intellectuel y annonçait que le nazisme était de retour dans les pays baltes. « Indigne d’un invité quasi-permanent du service public », « outrancier » avaient jugé beaucoup d’observateurs, y compris au sein de la chaîne. Visiblement, des comparaisons du même tonneau posent moins de difficultés quand elles concernent Trump, et sont dressées par le propre contenu de la RTS.
Elisabeth Logean se défend cependant de toute impartialité dans le reportage : « Nous avons tenté de comprendre pour quelles raisons ses partisans le soutiennent, malgré les menaces que son programme fait peser sur le bon fonctionnement démocratique des États-Unis. Les craintes dans ce domaine sont exprimées non seulement par des démocrates ou des spécialistes des régimes autoritaires, mais aussi par des prestigieux penseurs de droite, comme le néo-conservateur Robert Kagan. Dans le reportage, nous donnons la parole à des partisans de Donald Trump, mais aussi à ses critiques, de sorte à donner à voir et entendre différents points de vue. »
A supposer qu’il tombe un jour sur ce reportage, pas certains néanmoins que le politicien peroxydé se précipite pour tailler le bout de gras avec Philippe Revaz au 19h30.