Elle a mis les Vaudois dans ses petits souliers

La survie en politique passe sans doute par la capacité à placer l’urgence avant les sentiments. À ce jeu-là, Valérie Dittli fait déjà montre d’une certaine maturité puisque c’est sans elle que nous avons dû nous résoudre à rédiger ce portrait au début du mois. Contexte politique étouffant, répartition hyper-complexe des rôles au sein du futur Conseil d’État, surveillance de l’inévitable service comm’… Il faut dire que la rentrée s’annonçait chargée pour la future ministre d’origine zougoise. Pas facile, d’un moment à l’autre, de reconfigurer une jeune existence pour les cinq prochaines années.

«Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois»

Un élu agrarien

Arrivée sur la scène politique vaudoise en 2021, la native d’Oberägeri incarne une droite décomplexée, dont l’étiquette politique est jugée trompeuse par certains: «Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois», glisse un élu du parti agrarien. Ses adversaires, durant la campagne pour l’exécutif, ne s’embarrassaient pas de tant de subtilités, eux qui la dépeignaient tranquillement en «réac» sur les réseaux sociaux. Mais plus que son positionnement politique, influencé par sa pratique du droit, c’est la poigne de la future édile qui a rapidement fait sa renommée: «Il fallait du courage pour pousser Neirynck et Béglé vers la sortie, admet un élu de gauche, je ne crois pas que beaucoup de gens auraient été capables d’en faire autant à son âge» (29 ans, 28 au moment des faits). Au micro de la RTS, Jacques Neirynck avait alors dénoncé «un jeunisme peu respectueux des anciens». Un jugement qui, à l’évidence, n’aura pas retourné l’électorat contre la présidente de l’ex-PDC.

Une bonne camarade
De la poigne, donc, et un certain sens de l’opportunisme. Sympathique et bonne camarade au quotidien, la future ministre s’est plusieurs fois illustrée par sa capacité à prendre tout l’espace disponible en débat télévisé. Un show dans lequel elle semble se lancer sans grande appréhension concernant la qualité, remarquable pour une deuxième langue, de son français. Reste une question: comment gouverner sans groupe politique derrière soi au Grand Conseil, et en portant les couleurs d’un parti qui se trouvait en grandes difficultés jusqu’aux dernières élections? Interrogé sous la Coupole fédérale (voir page 5), son colistier malheureux Michaël Buffat, emballé par la campagne menée à ses côtés, ne se montrait pas du tout inquiet. C’est d’ailleurs au sein de l’Alliance vaudoise que certaines de ses idées, comme la réalisation de vidéos décalées et plus ou moins réussies sur TikTok, ont fait émerger le visage d’une femme qui n’a peur ni de faire sourire, ni du succès. Une impression renforcée par son choix de baskets blanches, détonnantes face aux talons vertigineux de certaines de ses collègues.

Comment se déroulera sa vie de ministre ? Souvent alimentées par une condescendance à peine masquée, les prédictions apocalyptiques abondent. «Elle va exploser en vol», entend-on souvent, comme si la jeune femme ne devait son élection qu’au hasard, et pas un minimum à son talent propre. Chez ceux qui ont appris à la découvrir en campagne, le pronostic, quel qu’il soit, est généralement bien moins définitif. Reste à voir, désormais, si Valérie Dittli gouvernera en chaussures velcro.




Le PS Suisse et le coup de la grande dixence

«Est-ce qu’on est bien sur la page Facebook du PS Suisse?». Voici, en substance, le cœur des réactions suscitées par un message publié le 22 avril dernier sur le réseau social. Dans le contexte du duel Macron-Le Pen, la formation politique appelait à se rendre aux urnes «pour une France antifasciste». Et le PS de préciser: «Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, les fondements de la démocratie et de l’État de droit seront en danger. Évitons que l’abstention serve ses intérêts. Votez Macron, faites barrage à l’extrême-droite.» La fin du message, toutefois, masquait difficilement un certain malaise à l’idée de soutenir l’ancien banquier d’affaires: «S’il est élu, il sera possible de combattre toute attaque contre l’État social et la démocratie dans les institutions.» Comprendre: Macron n’est pas le roi des bons types, mais au moins il n’est pas totalement un dictateur, contrairement à son adversaire.
Ces recommandations font dresser les cheveux sur la tête de Yohan Ziehli, collaborateur scientifique de l’UDC Suisse: «Si Madame Le Pen avait été élue, nous nous serions retrouvés avec un parti gouvernemental qui aurait fait face à une personne qu’il avait traitée de fasciste au préalable. Cela me semble inadmissible en matière de bons offices et montre une nouvelle fois que le Parti socialiste est déterminé à miner toute neutralité helvétique, toute capacité, aussi, à jouer notre rôle historique de médiateurs.»
Jean Romain, député PLR genevois, est moins radical, si l’on peut dire. Ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard amusé sur les contradictions intrinsèques d’un tel appel: «La posture politique ne m’intéresse guère, c’est la posture idéologique qui me semble curieuse. On peint le diable sur la muraille et derrière on soutient un opposant politique.» Il lui semble en effet assez «cocasse» que le PS appelle à voter pour un représentant de la droite orléaniste alors que Marine Le Pen est politiquement davantage tournée vers les nécessiteux que son rival, à ses yeux.
«Je suis membre d’un parti qui se veut profondément internationaliste, conclut Pierre Dessemontet, «co-syndic» socialiste d’Yverdon-les-Bains: «Je le suis moi-même: je me sens éminemment européen, et quand bien même mon pays a choisi de ne pas rejoindre le processus d’intégration européenne, c’est un point où je suis fondamentalement en désaccord avec lui. Je me sens profondément concerné par ce qui se passe, politiquement, dans les pays européens, et plus encore quand c’est le grand pays voisin avec qui nous avons tant de choses en commun, à commencer par l’histoire.»
Un point de vue forcément partagé par le co-président du parti et conseiller national argovien Cédric Wermuth: «Se prononcer sur les affaires politiques d’autres pays ne date pas d’hier, surtout lorsqu’elles ont un impact potentiel sur la politique internationale. En l’occurrence, les liens de madame Le Pen avec des banques proches du Kremlin inscrivaient cette élection dans le contexte international.» Il précise bien que le PS a appelé à voter Macron non pas par conviction politique, «mais bien pour appeler à faire barrage à l’extrême-droite. Chaque alternative démocratique est meilleure.»
Ingérence ou non? Le débat dépasse le cadre des élections présidentielles, et s’inscrit dans un changement de perception de la notion de neutralité suisse. Un mot, en tout cas, semble de plus en plus avoir fait son temps: «faire barrage». Comme en rigole l’humoriste français Franjo, «maintenant on fait barrage tous les cinq ans; apparemment on est devenus des castors.»




Portrait: rebelle de Parlement

Deux jours avant les élections cantonales vaudoises, Mathilde Marendaz, à l’origine du thème du premier numéro du Peuple (!), commande un chocolat chaud accompagné d’un espresso bien serré dans un charmant café alternatif de la Cité thermale. Quand on lui demande pourquoi elle s’est engagée en politique, l’élue Ecologie et Solidarité de 24 ans énumère tous les combats actuels des partis d’extrême gauche: défense du climat, féminisme, justice sociale, antiracisme, etc. «Depuis toute jeune, je suis affectée par les inégalités. Durant ma dernière année de gymnase, mon professeur de géographie nous a beaucoup encouragés à nous engager et construire le monde de demain. Avec des amis, nous avons organisé un festival écologique à Yverdon, AlternatYv, et des associations d’entraide avec les migrants.»

C’est seulement ensuite que Mathilde Marendaz décide d’adopter une étiquette politique: Les Verts d’Yverdon-les-Bains et les Jeunes Verts vaudois, pour ensuite devenir coordinatrice romande de la formation nationale: «J’étais très motivée et engagée. Il fallait que les choses avancent!»

Elle participe en 2018 aux grèves du climat et aux mouvements de blocage des banques. «M’engager dans ces groupes m’a apporté de fortes réflexions politiques et philosophiques à propos du système économique dans lequel nous vivons et qui ne profite qu’à une petite partie de la population et ravage la planète», souligne la politicienne.

Pourquoi, avec un tel élan, quitter Les Verts pour rejoindre Solidarité & Ecologie? «Durant la ZAD de la Colline du Mormont, je me suis sentie abandonnée par la ministre (ndlr Verte) Béatrice Métraux, qui n’a pas affiché clairement son soutien à la ZAD, et a dit que la production de béton était un résultat de la demande. Alors qu’on a besoin d’une vraie planification écologique. Je comprends qu’elle était obligée d’obéir à une décision de justice, mais l’opération de police a violé plusieurs droits fondamentaux des militants »

Elle déplore le manque de courage politique de son ancienne formation: «Il faut redéfinir notre économie et l’orienter sur autre chose que la croissance du PIB et du profit. Les Verts ne veulent pas le dire pour ne pas entrer en conflit avec certains intérêts privés et capitalistes.»

Enfin, l’élue préfère mettre en avant ce qu’elle appelle une «écologie populaire»: «Les transports publics, coûteux, doivent être gratuits. Les aliments biologiques, coûteux eux aussi, doivent être accessibles pour les moins fortunés. Pour cela, nous prônons un salaire minimal et une taxation plus élevée pour les multinationales du canton de Vaud.»

Tous ces engagements politiques ne sont pas du goût de tous. Samedi 12 mars, une inscription «Mort aux communistes Marendaz, Dridi, & Co.» a été découverte sur la façade de l’hôtel de ville de Lausanne. «J’ai tout d’abord été surprise et choquée. J’ai ensuite compris que mon soutien aux différents mouvements sociaux ne plaisait pas à certains groupes fascistes ou néo-nazis. Je pense que ces formations sont énervées parce que nos revendications prennent une place importante dans le débat public. Je ne tolère pas ces menaces de mort et j’ai donc porté plainte contre inconnu.»

Au soir du 20 mars, Mathilde Marendaz a rassemblé un peu plus de 9000 voix lors du premier tour des élections au Conseil d’Etat. Un score qui la place en 14e position. En parallèle, elle a obtenu un siège au Grand Conseil.




Humeur express: Macron situationniste

«Merci à Emmanuel #Macron pour cette nouvelle télé-réalité. L’émission #LesMarseillais risque d’être déprogrammée, elle ne pourra rivaliser sauf si vous lancez #LesMarseillais à l’Élysée…»

Valérie Boyer, Twitter, 14 mars 2022

Guy Debord avait écrit que «dans un monde réellement inversé, le vrai (était) un moment du faux». On ne saurait dire si Emmanuel Macro est un grand lecteur du fameux situationniste mais toujours est-il que le locataire de l’Elysée vient de se distinguer avec une jolie mise en pratique de la pensée de l’auteur de la «Société du spectacle». Il est vrai qu’il faut une certaine dose de culot pour se choisir un look militaire – un sweatshirt de commando parachutiste sur le dos – dans un palais du 18ème quand, à quelques heures de vol de là, d’autres peuples que le sien s’entretuent à proximité de centrales nucléaires. Cette audace, du reste, n’a pas manqué de faire réagir de nombreux adversaires politiques de «Jupiter» qui se sont immédiatement lâchés sur les réseaux sociaux en établissant un parallèle avec les pires heures de la télé-réalité. De son côté, mal rasé, l’air hagard, ses dossiers sous le bras, Emmanuel Macron semble en tout cas travailler très dur, non seulement au niveau diplomatique, mais aussi pour casser son image de jeune premier. Après François Hollande, Emmanuel Macron » voudrait-il lui aussi devenir un  «président normal»?