Houellebecq, un chrétien de notre temps

Céline du rayon surgelé, l’auteur d’«Anéantir» est surtout un catholique contrarié, affirme une étude des soubassements théologiques de son œuvre. Décapant. Par Raphaël Pomey

Pour ceux qui voient uniquement en Houellebecq le chantre d’une sexualité triste, l’idée qu’il puisse représenter «une des voix catholiques les plus authentiques de notre temps» peut surprendre, voire choquer. Pourtant, c’est ce que démontre un ouvrage collectif, «Misère de l’homme sans Dieu», paru cette année chez Flammarion, dans le sillage de son dernier roman. Étude pointue de son rapport à la foi, l’ouvrage nous dresse le portrait d’un «amant malheureux de la religion». Un amant bien incapable de croire, hélas pour lui, mais qui se montre néanmoins nostalgique du rôle de «ciment social» que le christianisme jouait dans nos pays. Pays où règne désormais, selon lui, un individualisme corrosif. Ne déclarait-il pas déjà en 1998: «Je ne crois pas à la possibilité de société sans religion. L’idée de société et l’idée de religion sont pour moi identiques»? Auteur classé à droite, souvent en raison de provocations destinées à faire la promotion de ses livres, Houellebecq n’en est pas moins à la recherche d’un «rempart contre le libéralisme», souligne l’étude.

Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation

Doit-on, à sa suite, espérer la naissance d’une religion pouvant cohabiter avec la froide rationalité moderne, ou tenter de ressusciter une «société organique» soudée par la foi? Sans réellement trancher, le dernier roman de Houellebecq, «Anéantir», ouvre une voie pour le moins inattendue : on y découvre une femme aux croyances un peu farfelues (elle est plus ou moins adepte de la Wicca, religion new age) qui permet au héros principal, chrétien de tradition, de se préparer à la mort avec un minimum de sérénité, et avec les plaisirs de la chair comme ultimes sacrements. Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation, en somme.

Pour un nouveau pari pascalien
De la double lecture du dernier roman de Houellebecq et de l’ouvrage consacré à sa théologie, un regret s’impose: que seuls les bénéfices sociaux de la religion apparaissent sous sa plume, sans que la foi pure, celle des enfants, semble une option pour ce positiviste de conviction. A cette aporie, un autre scientifique, Pascal, avait répondu par un pari. Celui de tenter l’espérance, même à partir d’un postulat agnostique, voire athée. «Espérer contre toute espérance», comme l’avait déjà écrit saint Paul en Romains, 4, 18. Peut-être une voie pour notre temps?




Le Peuple? Racines et ouvertures…

«Le Peuple? Certainement un média de la gauche ouvrière et révolutionnaire! Pourquoi? Parce que dans toute l’Europe, il y a des maisons du Peuple qui véhiculent ces valeurs détestables!»
Le Peuple. Un nom difficile à porter pour un nouveau média! Difficile, car il est associé à des idéologies que tout oppose. Un nom prometteur aussi. Car après Dieu, il est le premier de la constitution fédérale.
«Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses…»
Les Suisses ne sont pas les seuls à avoir placé «le peuple» au début de leur texte fondateur. Ainsi, la constitution américaine commence par ces mots: «We the People of the United States…».
J’entends déjà des railleurs dire: «Le peuple américain? Nous savons tous qu’il est profondément divisé entre démocrates et républicains. Ce n’est pas un exemple!»
Et j’entends d’autres murmurer : «La référence à un Dieu Tout-Puissant dans la constitution suisse? C’est parfaitement anachronique. Et puisque Dieu n’y a pas sa place, le peuple non plus!»
Et si au contraire «Dieu» et «le peuple» y avaient toute leur place ? Encore faut-il s’entendre sur le sens de ces mots.
Le préambule de la constitution fédérale commence par l’invocation du «Dieu Tout-puissant» et se termine par cette affirmation: «…la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Comme le rappelle la croix du drapeau suisse, en référence au Christ crucifié et ressuscité, la puissance de Dieu est celle qui permet au plus faible de sortir de son malheur. Seule cette toute-puissance au cœur de la faiblesse a une place dans nos vies. Tout autre «Dieu» est
dangereux.
Le peuple suisse, comme tout autre peuple, est une communauté plurielle avec des racines communes et des ouvertures à vivre. Dans la Bible, texte fondateur de la Suisse et de l’Occident, il est très souvent fait référence à «Dieu» (theos) et au(x) «peuple(s)» (laos), aux fondations et aux finalités, à savoir la liberté et la convivialité.
Le Peuple? Oui! Puisse ce nouveau média, au-delà des images caricaturales sur les partis de droite et de gauche, prendre au sérieux les racines et les ouvertures dont tout le peuple suisse a vitalement
besoin!
Shafique Keshavjee est théologien, auteur et pasteur.