Qui a dit que le christianisme n’intéresse pas les habitants du Pays des Merveilles ? Qui peut le penser ? L’engouement publicitaire et médiatique autour du dernier roman de Metin Arditi semble être là pour nous le rappeler. Une question taraude notre chroniqueur : est-ce encore le christianisme ou son abâtardissement ?
Pâques venues, une étrange agitation animait le monde de l’édition. Un roman allait nous apprendre « quelle a été la vraie vie de Jésus ». L’auteur, Metin Arditi, lauréat du prix de l’Université catholique de l’Ouest, émoustillait la curiosité des futurs lecteurs avec un titre aguicheur : « Le bâtard de Nazareth ». Il fallait oser ! Ne nous arrêtons pas au titre et ouvrons le livre.
L’idée de monsieur Arditi est de considérer Jésus comme un « mamzer », c’est-à-dire comme un bâtard, un enfant né hors mariage. Dans le judaïsme de l’époque, le « mamzer » représente la lie de la société et il est traité comme un paria par ses coreligionnaires. De cette exclusion, dans laquelle va grandir Jésus, va sourdre une colère et une révolte qui vont le pousser à vouloir « exclure l’exclusion ». Metin Arditi va revisiter tous les épisodes des Évangiles, dans cette perspective, jusqu’à la crucifixion. Et le christianisme dans tout cela ? L’imagination de l’auteur en fait une imposture voulue par Judas.
Après les séries d’émissions de Mordillat et Prieur, notamment Corpus Christi en 1997-1998 et le livre de Daniel Marguerat (Vie et destin de Jésus de Nazareth) paru en 2019, pour ne citer qu’eux, on pourrait dire « rien de nouveau sous le soleil ». Metin Arditi reprend l’histoire d’un Jésus fruit du viol de Marie par un soldat romain. Il s’agit en fait d’une légende datant vraisemblablement du IIe siècle de notre ère, les Toledot Yeshu.
Monsieur Arditi nous donne l’explication psychologique de l’action de Jésus et de son message : une blessure d’enfance provoquée par l’exclusion. Il ne suffit pas de coucher Jésus sur le divan pour le comprendre. N’est pas Freud qui veut ! La bouillabaisse indigeste qui nous est servie fait passer Marie pour une simplette ; Marie-Madeleine pour une amante ; Jésus est un rebouteux ; les apôtres un ramassis de mamzers, de lépreux et d’estropiés ; les Béatitudes sont des paroles en l’air dont certaines suscitent l’hilarité et, touche finale, Judas est l’inventeur du christianisme.
Le style est fait pour plaire. Les dialogues sont indigents, les phrases simples, le vocabulaire basique ; un scénario idéal pour Netflix ou pour succéder à feu Barbara Cartland. Seule la page 194 échappe au naufrage du fond et de la forme, il s’agit de celle des remerciements…
Monsieur Arditi peut écrire ce qu’il veut sur qui il veut. La liberté de parole existe et c’est fort heureux ainsi. La liberté d’apprécier et de critiquer ses écrits aussi.
Ce qui m’a le plus étonné et interrogé, ce sont les éloges dithyrambiques des milieux chrétiens et de la presse : « Un hymne au courage de Jésus, bâtard et si humain » (La Libre Belgique), « La vraie vie de Jésus » (Le Point), « Jésus, héros inclusif » (La Vie), « Un Jésus humain, si humain » (Le Temps), « Jésus est à tout le monde » (Le Matin).
Bien plus, Metin Arditi, invité sur tous les plateaux de télévision et de radio, est reçu comme le théologien qu’il n’est pas. Et de nous expliquer, fort doctement, « en toute humilité », qu’au temps de Jésus le concept d’Immaculée conception n’existait pas, confondant au passage ce dogme catholique avec la conception virginale de Jésus.
Le livre de Metin Arditi est le signe de ce christianisme abâtardi, de ce christianisme sans Dieu, de ce christianisme non religieux. Le message de Jésus se trouve réduit, pour le plus grand bonheur des chrétiens de salon, à une vague solidarité sans substance. La théologie se résume à une sorte d’anthropologie au rabais, de sociologie de bazar et de psychologie du développement personnel. Dans ce sens, le livre de monsieur Arditi pourrait être le nouvel évangile d’un monde sans transcendance.
Ce Jésus selon le cœur de Metin Arditi n’est pas le Jésus des martyrs, des anachorètes, des cénobites, des grands théologiens et des saints.
Ce Jésus tourmenté n’est pas celui de Charles Martel à Poitiers, de Jeanne d’Arc à Orléans, de Don Juan d’Autriche à Lépante et de Jean Sobieski sous les murs de Vienne.
Ce Jésus de conte oriental n’est pas le Jésus de mon catéchisme, ni celui des hymnes et des prières que je récite quotidiennement.
À ce Jésus du Pays des Merveilles, je préfère celui que je rencontre dans la pénombre d’une antique chapelle avec les mots de Péguy : « Il est là. Il est là comme au premier jour. Il est là parmi nous comme au premier jour. Il est là parmi nous comme au jour de sa mort. Éternellement il est là parmi nous autant qu’au premier Jour. Éternellement tous les jours. Il est là parmi nous dans tous les jours de son éternité. Son corps, son même corps, pend sur la même croix ; Ses yeux, ses mêmes yeux, tremblent des mêmes larmes ; Son sang, son même sang, saigne des mêmes plaies ; Son cœur, son même cœur, saigne du même amour. Le même sacrifice fait couler le même sang. » (Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc)
Paul Sernine