La bête noire de l’industrie du sexe débarque à Vevey

L’un des fers de lance de la lutte contre le coût humain de la pornographie sera l’invité des acteurs chrétiens des médias. RAPHAËL POMEY

Vous n’avez pas encore entendu parler de Benjamin Nolot? Alors vous ne lisez probablement pas le «New York Times». A la fin de l’année 2020, le prestigieux quotidien a en effet salué dans une chronique le combat de ce producteur, réalisateur et activiste américain, ennemi juré de la plateforme «Pornhub». A la suite de ce coup de projecteur, le site pornographique, jusqu’alors tout puissant, s’est retrouvé sous les feux des projecteurs, accusé d’héberger non seulement des contenus impliquant des personnes mineures, mais aussi des contenus issus de scènes non consensuelles. En français clair: de viols. Retrait de 80% de son contenu, paiements bloqués par Visa et Mastercard, consommateurs en colère… les conséquences n’ont pas manqué.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’un des autres aspects de l’engagement de ce chrétien fervent, dans le domaine de la prostitution cette fois-ci, lui a été révélé… dans notre pays! Il raconte: «J’ai reçu cette vision d’une abolition générale alors que je me trouvais en Suisse. Durant un séjour à Thoune, je contemplais les rues pavées, un soir. Et au cours d’une balade, je me suis retrouvé au milieu du quartier chaud. Je pouvais voir une femme asiatique et une lampe rouge dans la fenêtre d’une maison close. On comprenait que cette femme était à vendre. Je n’en croyais pas mes yeux. Je me trouvais dans une des plus belles villes que j’aie jamais visitées, nichée dans les Alpes suisses… et même ici se trouvait un quartier chaud avec des signes évidents de trafic sexuel! La nuit suivante, j’ai marché dans un autre secteur de la ville et j’ai encore découvert un autre secteur où des femmes de l’Est devaient se prostituer. Plus tard, j’ai réfléchi à tout cela et j’ai réalisé que la seule raison pour laquelle ces zones de prostitution se trouvaient là est que personne n’avait tenté de les proscrire. La plupart des gens ne comprennent pas le sort de ces femmes et comment elles en sont arrivées là. On ferme les yeux et on l’accepte comme une partie de notre ‹culture›. C’est à ce moment que j’ai commencé à avoir cette vision de mettre en place un mouvement d’abolition global. Un mouvement au sein duquel nous pourrions mobiliser des personnes à travers le monde pour éveiller les consciences concernant l’injustice du trafic humain.»

Un ministère sous pression

Si le combat de Benjamin Nolot en faveur de droits humains fondamentaux semble inattaquable, certains lui reprochent d’être sous-tendu par des objectifs trop chrétiens, trop conservateurs. Une critique comprise mais nuancée par Christophe Hanauer, de Millenium-Production, l’un des artisans de sa venue à Vevey, le 21 mai prochain, dans le cadre d’un événement sur plusieurs jours réunissant des acteurs des médias chrétiens romands. «On est au cœur de certains paradoxes de notre société. Les personnes qui critiquent Nolot pour ses positions personnelles ou pour ses opinions politiques devraient être les premières à défendre ce qu’il fait avec son organisation ‹Exodus Cry›».

Estelle Romano, dont «Fragrance of faith» sera diffusé au cinéma Rex le 21 mai, estime quant à elle que certaines attaques, portant sur un aspect «trop business» de Benjamin Nolot, doivent aussi être relativisées, tant «Jésus reste au centre de son ministère».

Des émules en Suisse

En Suisse aussi, certains suivent les pas de Benjamin Nolot, dont Nicolas Frei, qui propose notamment un cours en ligne pour se débarrasser de l’addiction au porno via son site innocence.ch. Il ne cache cependant pas que des différences de sensibilités, politiques par exemple, peuvent exister à l’égard d’un acteur parfois montré du doigt par la presse pour ses «Trump ties», soit un soutien jugé trop prononcé pour le tribun républicain:  «Nolot a milité durant des années pour que certains contenus soient retirés, notamment des vidéos impliquant des victimes de trafic humain. Je pense que c’est bien plus important que l’idéologie qui sous-tend ce qu’il fait.»

Diffusion de «Fragrance of Faith» le 21 mai prochain au Cinéma Rex de Vevey, en présence de Benjamin Nolot (Exodus Cry), Claude Ziehli (Mercy Ships) et Roberto Agosta (SwissLimbs).




Un ressourcement mal embarqué

Les temps ont bien changé pour ceux qui, chaque année, mettaient quelques sous de côté et mangeaient plus léger en temps de carême. Gentiment enjoints à laisser tomber les grillades l’an dernier, les voilà qui, au nom de la lutte contre le gaspillage, se voient aujourd’hui invités à renoncer aux bains. Sinon quoi? Sinon, un individu se verra condamné à voguer sur une embarcation précaire, quelque part en Asie du Sud-Est. En tout cas d’après une nouvelle affiche visible dans nos rues.

Derrière cette communication musclée, un constat: «La crise climatique touche principalement les populations des pays du Sud alors qu’elles contribuent le moins au réchauffement de la planète», comme l’indique le communiqué de la campagne œcuménique 2022. Mais n’est-il pas risqué de réclamer la «justice climatique», notion très militante, lorsque l’on est en lien avec des Églises censées se situer au-delà des clivages politiques? «Nous avons toujours été politiques, rétorque Tiziana Conti, responsable médias et information de l’Action de Carême. Nous ne sommes pas une émanation de l’Église mais une ONG dont les paroisses sont le public principal.» Le travail de l’organisation se déploie sur trois axes: développement de projets durables au Sud, sensibilisation du public au Nord et, en dernier lieu, revendications politiques, comme au niveau de la révision de la loi CO2, jugée «pas assez ambitieuse».  «Il n’est pas facile de trouver un équilibre et Il y aura toujours un mécontent», admet Tiziana Conti. Elle relève que l’an dernier, l’association suisse des bouchers s’était plainte du visuel de la campagne, qui montrait la forêt tropicale brûler derrière les saucisses d’un jeune couple devant leur barbecue.

L’engagement de plus en plus marqué des Eglises et des organisations issues de leur engagement social ne séduit toutefois pas à droite. Déjà, lors de la campagne sur les «multinationales responsables», le soutien des grandes Églises avait fait largement jaser chez les chrétiens frileux sur ces questions. Idem avec certains jeunes PLR, qui trouvaient anormal que des institutions parfois soutenues par les Cantons sortent d’une exigence de neutralité politique.

Commentaire: culpabilité 2.0

L’Évangile demandait aux chrétiens, particulièrement en temps de carême, de laisser Dieu transformer leur cœur. Un certain christianisme humanitaire, aujourd’hui, leur demande de cesser de prendre des bains et de mener la vie dure aux multinationales. Voilà, ça c’est l’interprétation brutale. Reste que l’alignement de la Campagne œcuménique, depuis l’an dernier, sur des procédés publicitaires efficaces, mais volontairement provocateurs, pose de réelles questions de fond: dans la mesure où – de l’aveu même de ceux qui les portent – ces communications s’adressent avant tout aux paroisses chrétiennes, ne faudrait-il pas les rendre un peu plus prudentes? Le danger est aujourd’hui évident: que la surenchère perpétuelle ne finisse par ne plus toucher grand monde, et en particulier dans des communautés au sein desquelles la lutte contre les inégalités fait déjà presque office de religion de subsitution. Certaines urgences écologiques ou sociales sont bien réelles, et un chrétien ne devrait pas vivre la tête dans le sable. Néanmoins, à force de cultiver un sentiment de culpabilité au mauvais endroit, au niveau des habitudes de consommation plutôt qu’à celui de l’âme, les chrétiens achèveront de vider leurs Églises pour faire pousser des ZAD . RP




Les confessions d’un casseur de pub

Rédacteur en chef de la revue Krisis, figure de la mal nommée «Nouvelle Droite», le Neuchâtelois David L’Épée a déjà mené des actions contre la réclame. Un engagement de jeunesse qu’il ne renie pas. PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL POMEY

David L’Epée, vous n’êtes pas franchement sur la ligne politique des jeunes vert-e-s et Solidaires.  Que pensez-vous de leur combat antipub?

Si j’ai en effet de nombreux points de divergence avec ces mouvements, je suis pourtant sur la même ligne qu’eux concernant l’invasion publicitaire de notre espace public et la nécessité de règlementer ce secteur de façon plus restrictive. Serge Latouche, un des penseurs de la décroissance, insiste régulièrement sur l’importance, pour sortir de l’impasse productiviste/consumériste, de décoloniser nos imaginaires pour recouvrer une véritable souveraineté sur nos représentations du monde. Or cette décolonisation de l’imaginaire passe par une décolonisation de notre environnement quotidien, spécialement celui qui relève du commun, c’est-à-dire d’un espace dévolu aux gens et non au marché.

Vous-mêmes, vous avez déjà fini au poste de police à cause d’une action contre la réclame. Racontez-nous…

Au début des années 2000, alors que j’étais responsable de la formation des jeunes militants d’un mouvement de gauche radicale à Neuchâtel, nous avions organisé un raid nocturne durant lequel, répartis en plusieurs petites équipes très mobiles dans trois ou quatre zones de la ville, nous avions entrepris de recouvrir de papier les affiches publicitaires qui jalonnaient le tracé des grandes rues et des lignes de bus. Vers cinq heures du matin (nous nous étions mis à l’ouvrage à minuit), une voiture de police ayant surpris une de nos équipes en pleine action, nous nous sommes dispersés. J’étais toutefois resté en arrière et m’étais laissé interpeller par les agents car c’était le meilleur moyen de pouvoir revendiquer l’action, c’est-à-dire de lui donner son cadre explicatif. Il en avait résulté une plainte de la Société générale d’affichage (SGA) à l’issue de laquelle j’avais été acquitté. Nous avions pris soin, en effet, de ne pas abîmer les affiches et de ne commettre aucun tag ni aucune autre déprédation, nous contentant de les recouvrir.

Depuis, vous avez quitté l’extrême-gauche, au sein de laquelle vous militiez. Avez-vous des regrets face à ce type d’actions ?

Je pense avoir un peu passé l’âge pour ce type d’actions et j’occupe désormais mes nuits de tout autre manière. Mais lorsque j’entends parler dans la presse de groupes qui, çà et là en Suisse romande, participent à des actions similaires, je les considère évidemment avec beaucoup de sympathie. J’ai sans doute fait pas mal d’erreurs de jugement lorsque je militais dans ces milieux-là, mais je n’ai jamais dévié de mes convictions anti-capitalistes.

On trouve des scènes de deal à ciel ouvert dans la plupart des grandes villes. Comment justifier que l’urgence du moment soit la publicité pour des produits tout à fait légaux ?

Cet argument n’en est pas un. Les autorités n’ont pas qu’une seule mission, elles sont présentes sur plusieurs terrains et sont tout à fait capables de mener plusieurs tâches en parallèle dans des secteurs différents. Interdire la publicité dans l’espace public ne rendra pas le deal moins illégal. Que la police n’ait, pour des raisons qui m’échappent, pas les moyens de faire son travail de répression contre le trafic de drogue est un problème tout à fait indépendant de celui qui nous occupe ici. Délégitimer un problème sous prétexte qu’il s’en pose un autre, plus urgent et d’une tout autre nature, n’est pas honnête sur le plan du raisonnement. Cette hémiplégie de la logique est d’ailleurs, soit dit en passant, une des sources de blocage du vieux clivage gauche-droite: certains nous disent, par exemple, que la lutte contre le déferlement migratoire n’a aucun sens compte tenu des urgences générées par le réchauffement climatique; d’autres nous disent exactement le contraire. Or les dangers qui se posent à nos sociétés ne s’opposent pas les uns aux autres, ils s’additionnent et doivent donc être combattus de front.

Certains proposent de distinguer affichage pour des créations culturelles ou pour des biens de consommation. Mais un beau savoir-faire local, disons des montres de la Vallée de Joux ou de l’absinthe du Val-de-Travers, ne mérite-t-il pas autant, voire plus, de visibilité qu’une tournée de Lady Gaga?

Vous avez tout à fait raison. Il y a tout d’abord, bien sûr, la distinction du public et du privé, parce que tous deux ne procèdent pas du même type de financement et ne sont pas forcément lucratifs au même titre. Il est normal qu’une campagne d’information de la commune ou de la Confédération considérée comme étant d’intérêt public quant à son contenu et ne cherchant pas à vendre quoi que ce soit ne soit pas considérée selon les mêmes critères qu’un affichage pour le Black Friday. Là où, cependant, je serais plus nuancé que ce que laissent entendre les auteurs de cette proposition, c’est parce que je ferais une autre distinction fondamentale entre producteurs locaux et grands groupes industriels, entre commerçants yverdonnois et multinationales. Mme Marendaz semble d’ailleurs en avoir conscience puisqu’elle reconnaît que les tarifs élevés de la SGA privilégient les acteurs du marché les plus fortunés, lesquels appartiennent rarement au groupe des PME locales, qui sont pourtant la colonne vertébrale de nos économies. Je suis peut-être, avec le temps, devenu un peu plus proudhonien que marxiste mais je ne renvoie pas dos à dos le petit artisan et la grande enseigne et je pense qu’une régulation des excès publicitaires du capitalisme pourrait à terme profiter à l’économie locale. Décoloniser nos villes, sur le plan de l’affichage, de l’invasion des multinationales ne revient-il pas, en un sens, à mettre fin à une forme de concurrence déloyale?

Lutter contre l’affichage public, à l’heure des placements de produits sur les «stories Instagram» ou autre, n’est-il pas un peu anachronique ?

Au contraire: c’est bien parce que la publicité s’est en grande partie déplacée sur d’autres supports (en ligne notamment) qu’une mesure comme celle proposée à Yverdon-les-Bains ne devrait pas nuire outre mesure aux entreprises. La même proposition, si elle avait été faite il y a quinze ans, aurait sans doute été plus risquée pour les annonceurs car les moyens de faire connaître leurs produits étaient alors plus réduits, moins diversifiés. Un membre du PLR a d’ailleurs admis récemment dans un article de 24 Heures sur le sujet que, je cite, «l’affichage reste une part infime des stimuli commerciaux». Aujourd’hui les publicitaires ne mettent plus tous leurs œufs dans le même panier et leur visibilité s’est en grande partie déplacée sur d’autres terrains que celui de la rue.

N’est-ce pas aux consommateurs de sanctionner les pubs qui ne leur plaisent pas en n’achetant pas les produits dont elles vantent les mérites?

Je pense que le problème ne se pose pas en ces termes. Vous sous-entendez que cette interdiction procède d’une infantilisation des citoyens qui ne seraient pas assez futés pour prendre leurs distances avec les messages publicitaires. Ce n’est pas, je crois, l’esprit de cette proposition – encore que l’argument de la protection des mineurs puisse être éventuellement et à bon droit convoqué ici. L’enjeu est bien plutôt celui de la «dé-privatisation» de l’espace public, c’est-à-dire d’une «réappropriation» de cet espace par le commun. Lorsque je militais dans les mouvements antipub, nous lisions un philosophe anarchiste américain qui s’appelait Hakim Bey et qui avait théorisé la «zone autonome temporaire», soit un lieu momentanément libéré de toute colonisation publicitaire, un lieu rendu à ses habitants. Il y a aussi un enjeu esthétique. Même si vous êtes propriétaire de votre maison et libre de décorer votre intérieur comme vous l’entendez, de nombreuses communes opposeront leur veto si vous décidez de repeindre votre façade ou vos volets de n’importe quelle couleur, si vos choix trop farfelus devaient nuire à l’homogénéité du quartier ou transgresser les limites du bon goût. Pourquoi, dès lors, tolérer que nos rues soient défigurées par des images criardes, des slogans racoleurs et des logos? Yverdon est une jolie ville qui mérite de voir son patrimoine urbain mis en valeur, ce qui justifierait à mon sens de limiter les pollutions visuelles qui le dénaturent.

Qu’on les aime ou pas, les affiches sont le reflet de la liberté d’entreprise. Cette dernière ne vaut-elle pas tous les désagréments ?

Bien qu’actif moi-même dans le secteur des PME et conscient de la nécessité de promouvoir ses services pour survivre, je ne fais pas de la liberté d’entreprise l’alpha et l’omega de toute considération éthique et de toute saine politique, loin s’en faut. Cette liberté est garantie par des lois qui lui permettent de prospérer et sans lesquelles elle ferait long feu. Il est légitime que pour jouir de ce cadre juridique dont il tire avantage, le marché se soumette aussi à d’autres lois qui, elles, sont parfois susceptibles de limiter ses prérogatives quand l’intérêt public l’exige. Par ailleurs, comme tout le monde ou presque s’accorde à reconnaître que l’essentiel de l’offensive publicitaire s’est aujourd’hui déplacé ailleurs, la déprivatisation de l’espace public dont je parlais plus haut ne se présente en aucun cas comme une violation de la liberté d’entreprise. Je ne sais pas si le capitalisme est un géant aux pieds d’argile, mais je pense qu’il survivra à ce petit iconoclasme…




Humeur express: Macron situationniste

«Merci à Emmanuel #Macron pour cette nouvelle télé-réalité. L’émission #LesMarseillais risque d’être déprogrammée, elle ne pourra rivaliser sauf si vous lancez #LesMarseillais à l’Élysée…»

Valérie Boyer, Twitter, 14 mars 2022

Guy Debord avait écrit que «dans un monde réellement inversé, le vrai (était) un moment du faux». On ne saurait dire si Emmanuel Macro est un grand lecteur du fameux situationniste mais toujours est-il que le locataire de l’Elysée vient de se distinguer avec une jolie mise en pratique de la pensée de l’auteur de la «Société du spectacle». Il est vrai qu’il faut une certaine dose de culot pour se choisir un look militaire – un sweatshirt de commando parachutiste sur le dos – dans un palais du 18ème quand, à quelques heures de vol de là, d’autres peuples que le sien s’entretuent à proximité de centrales nucléaires. Cette audace, du reste, n’a pas manqué de faire réagir de nombreux adversaires politiques de «Jupiter» qui se sont immédiatement lâchés sur les réseaux sociaux en établissant un parallèle avec les pires heures de la télé-réalité. De son côté, mal rasé, l’air hagard, ses dossiers sous le bras, Emmanuel Macron semble en tout cas travailler très dur, non seulement au niveau diplomatique, mais aussi pour casser son image de jeune premier. Après François Hollande, Emmanuel Macron » voudrait-il lui aussi devenir un  «président normal»?




Un ennemi public nommé publicité

On entend souvent dire que nos sociétés sont en proie au doute et à l’incertitude. Osons l’hypothèse qu’au contraire, elles ne doutent plus assez et étouffent dans leurs certitudes. Comment pourrait-il en être autrement alors que la seule question du sens de notre présence ici-bas, à l’origine de toute philosophie, n’est déjà plus susceptible d’être évoquée dans nos très laïques classes d’école?

Dans ce climat de progrès perpétuel, tout juste contrarié par quelques sorties de route covidiennes ou ukrainiennes, nous voyons apparaître de jeunes étoiles politiques, souvent d’un idéalisme sincère, qui plaident des interdictions, des étoiles dans les yeux. Ainsi, pour ne plus permettre la « colonisation de nos imaginaires », les voilà qui intensifient par exemple leur lutte contre la présence des publicités dans l’espace public, sans d’ailleurs guère s’émouvoir de celles qui s’affichent sur nos écrans.

Il ne s’agit pas de bannir toutes les réclames de nos rues, évidemment, mais celles qui – à leurs yeux – ne «font pas sens». Qu’est-ce à dire? Qu’en format mondial, l’entreprise locale est à défendre, et le capitalisme mondialisé à combattre, très certainement. Malheureusement, à moins d’être naïf, comment ne pas songer à ce moment où le petit commerçant qui voudra recourir à l’affichage public sera un spécialiste de la vente de pneus, ou de boutefas? Gageons qu’alors, d’autres considérations morales entreront en jeu…

Il ne s’agit pas ici de défendre toute publicité, disposée n’importe où, par simple esprit de contradiction. On peut comprendre ces milieux, attachés à une certaine pudeur, qui ne trouvaient pas très réjouissant de voir des images de couples en pleins ébats sexuels disposées à côté d’écoles dans le cadre des anciennes campagnes «Stop Sida». Et qui saurait s’enthousiasmer de la présence de publicités pour des fast-foods américains dans des cités médiévales?

Dans ce débat complexe, rappelons toutefois qu’une affiche pour un garagiste rédigée dans un français correct est aujourd’hui autrement plus subversive qu’un tag en anglais à la gloire d’une ZAD.