L’habit fait-il le ministre?

C’est la nouvelle mode de nos élus pour paraître proches du peuple face aux menaces de pénurie: poser dans des habits de tous les jours, laissant cravates et tailleurs au vestiaire. Experte en mode responsable, au sein de l’agence Kaleïdoscope, Noëlle Dall’Olio n’est pas convaincue et offre ses recommandations à la classe politique.
Le Conseil d’état fribourgeois a jugé bon de s’afficher en pull pour singer la normalité. Canton de Fribourg
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Comme spécialiste de la mode éthique, mais aussi contribuable, comment jugez-vous ces appels de nos politiques à porter de gros pulls pour ne pas devoir monter le chauffage?

S’il s’agit d’une tentative humoristique, je la trouve assez mal venue! Le sujet est sérieux et on attend plus des actions concrètes de nos politiciens que des plaisanteries de mauvais goût, au sens propre comme au figuré…

Pour vous, une autorité politique peut-elle avoir l’air crédible en habits dignes de l’après-ski?

Vous avez raison, certaines fonctions doivent être incarnées également par le choix des vêtements pour inspirer confiance et donner une image de professionnalisme… Malgré l’adage bien connu «l’habit ne fait pas le moine», notre image nous précède toujours! Le biais cognitif, inconscient mais que nous avons tous, nous influence au travers de la communication non verbale. Le moins que l’on puisse dire en regardant cette photo est que ce n’est pas le «sérieux» qui se dégage de prime abord…

Doit-on se réjouir que des ministres se fassent photographier en Monsieur et Madame Tout-le-Monde?

Non je ne crois pas! Mais j’imagine qu’il s’agit surtout d’un coup de comm’ pour faire écho à ce sujet, qui reste très préoccupant bien qu’on essaie de nous faire dédramatiser la situation.
Née en France, je suis arrivée ici en 2000 grâce à ma double nationalité. Je me souviens avoir été frappée à l’époque du contraste de style vestimentaire entre les personnalités politiques en France et en Suisse. Je n’avais pourtant que 18 ans et déjà je ressentais ce déficit dans l’incarnation de leur fonction…
Sur cette photo, je trouve que le style vestimentaire qui se dégage est totalement à contre-sens pour des personnalités politiques! C’est même un condensé de ce que je déconseillerais pour un entretien d’embauche (col roulé sans manches, doudoune, pull sans chemise, polaire à zip, motifs/couleurs trop forts, etc.).
Et pour continuer avec le parallèle français, le président Macron et son épouse ont été aperçus dans les rues de Londres (à l’occasion des funérailles de la reine Elisabeth II) en tenue très casual avec des baskets ; cela n’a pas manqué de faire réagir les médias! Bien que leurs looks soient restés élégants (couleur foncée, veste), cela a surpris tout le monde. Je dois avouer que j’ai moi-même trouvé cela curieux, sachant que la presse serait présente pour ce rassemblement international de haut rang… Ce n’est pas ce que l’on attend d’un chef d’État qui représente son pays à l’étranger, quand bien même ce serait dans le cadre d’une séquence non officielle.

Que conseillez-vous à nos élus pour ne pas avoir froid, tout en incarnant leur fonction?

Bien sûr que l’on peut porter des pulls! Simplement on va privilégier plutôt des mailles fines qui seront plus élégantes et choisir des matières chaudes, le coton n’en est pas une, et ce n’est pas l’épaisseur du pull qui donne de la chaleur mais bien la qualité de la matière. Plutôt que le col roulé pour les messieurs (qui est souvent peu flatteur, en lien avec la longueur et largeur du cou), je préconiserais à la place un pull, foncé et uni, avec une chemise blanche ou claire et un foulard en soie noué façon ascot. Cela fonctionne aussi avec une veste et pourquoi pas un gilet, en lieu et place du pull, pour une inspiration «dandy» et très chic!

En résumé, mes conseils pour avoir une allure professionnelle masculine sans avoir froid:

• trois éléments pour le buste (en plus du manteau d’extérieur): chemise + pull + foulard ou chemise + gilet + veste ou éventuellement col roulé + veste + pochette
• le pull sera uni, avec col en V court ou col arrondi étroit dans des couleurs foncées telles que marine, gris anthracite, noir pour le côté plus formel et pourquoi pas prune, bordeaux, brun expresso ou vert sapin pour une tenue plus créative
• matière de qualité supérieure: cachemire, cool wool, mérinos, mélange laine et soie

Auriez-vous un conseil spécifique pour les femmes en politique?

Il y a deux ans, Le Temps a publié un excellent article intitulé «Dans la (seconde) peau des politiciennes». Il expliquait bien cette contrainte supplémentaire pour les femmes: incarner le pouvoir sans trahir sa féminité, c’est un savant équilibre! En tant que femme puissante, jouer avec le dresscode de l’arène politique sans se travestir en homme est tout l’enjeu pour être prise au sérieux. Je pense à Coco Chanel (une femme, libre et déterminée!), qui fut avant-gardiste à son époque pour mélanger les codes masculins/féminins dans ses créations… La veste en tweed, pièce intemporelle par excellence, revient d’ailleurs en force pour cet automne/hiver 2022.

Les femmes sont doublement scrutées (en tant que personnalité publique et femme), elles prennent conscience que leur image aura un impact sur leur discours et il est indispensable d’en tenir compte. La dernière femme politique que j’ai eu le privilège d’accompagner au travers du conseil en image a d’ailleurs été élue! Dans le milieu bancaire également, une banque privée de Zurich a fait appel à mes compétences pour permettre à des femmes occupant des postes importants d’affirmer plus encore leur position dans ce milieu très masculin.

Dernièrement (à l’occasion des 50 ans du droit de vote des Suissesses), une exposition très intéressante a eu lieu au Musée du Textile de Saint-Gall. «Robes politiques» a exposé des vêtements et accessoires illustrant la représentation féminine du pouvoir du XVIIe siècle à nos jours et comment ils étaient perçus par la société de leur époque. Une sélection des collections privées d’Elisabeth Kopp, Doris Leuthard et Karin Keller-Sutter y a été présentée. Les femmes ont beaucoup plus de possibilités que les hommes dans le choix de leurs vêtements, c’est donc plutôt un avantage. Mais à condition d’en faire bon usage pour que leur image soutienne leur message! Par exemple, contrairement aux différents nœuds de cravates (dont les plus courants se comptent sur les doigts d’une main), les possibilités pour les femmes de porter une étole ou nouer un foulard pour accessoiriser leurs tenues sont infinies!

A ce qui a été mentionné pour les hommes en termes de matières et de coloris, j’ajouterais pour les femmes qu’elles peuvent aussi porter des dessous thermiques, pour autant qu’ils soient invisibles. Elles ne porteront pas nécessairement de chemisier sous leur pull mais plutôt une veste ou un petit manteau au-dessus, accessoirisé d’un carré de soie ou un pashmina, le tout enveloppé d’une cape ou d’un long manteau d’hiver, pourquoi pas avec de belles bottes en cuir si elles sont en jupe ou robe longueur midi.
Pour conclure, je dirais qu’hommes et femmes doivent se soucier de leur image, d’autant plus en politique où il faut convaincre. Même s’il est vrai que c’est (encore) la gent féminine qui doit davantage faire ses preuves lorsqu’elle a les rênes du pouvoir… D’ailleurs, je pense sincèrement que prendre le pouvoir de sa vie (et cela s’adresse à tout un chacun) commence par là: maitriser son image, justement pour aller au-delà et que l’on ne s’arrête pas à cela!

N’est-ce pas le moment de réhabiliter le gilet, trop souvent perçu comme un reliquat du XIXe siècle?

La mode n’est qu’un éternel recommencement…

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