Et si on respectait Israël ? (blog)

Ce texte est tiré du blog personnel de Nadine Richon

Tout le monde veut un État palestinien, mais sans prĂ©ciser lequel. MĂȘme les gouvernements qui reconnaissent ce pays avant qu’il ne soit advenu ne prĂ©cisent pas de quel État il s’agit : dĂ©mocratique, thĂ©ocratique, kleptocratique, pro-Hamas, pro-Hezbollah, pro-Iran, pro-Poutine, du fleuve Ă  la mer, de Gaza Ă  la Cisjordanie (et comment), avec quelle capitale, quels citoyens, quels dirigeants ?

L’invitation du patron de l’UNRWA, Philippe Lazzarini, par le parti socialiste vaudois, pour animer le 1er aoĂ»t lausannois, ne fait que rajouter du flou Ă  ce paysage obscur au lieu de rĂ©pondre Ă  des questions simples : l’agence a-t-elle prĂ©servĂ© sa neutralitĂ© humanitaire ou s’est-elle laissĂ© piĂ©ger par des terroristes surarmĂ©s dans le contexte explosif d’une rĂ©gion dirigĂ©e par le Hamas ? Comment peut-on affirmer, en outre, que le choix de cet invitĂ©, qui a certes ƓuvrĂ© autant que possible pour soutenir les plus faibles vivant sous le joug du Hamas, n’a choquĂ© que « la droite et les sionistes Â» ?

Il faut rappeler que les premiers protestataires Ă©taient issus du RĂ©seau laĂŻque romand et d’un groupe de Suisses chrĂ©tiens et juifs, pas forcĂ©ment tous « sionistes Â» ni tous « de droite Â». Ces personnes ont reçu en effet le soutien du PLR. L’Association Suisse-IsraĂ«l a protestĂ© de son cĂŽtĂ©, ainsi que divers membres de la CommunautĂ© IsraĂ©lite de Lausanne : nos compatriotes juifs ne sont pas tous de droite, ni tous pro-Netanyahou et il est important de le clarifier Ă©tant donnĂ© le flou ambiant. Le sionisme pourrait Ă©galement ĂȘtre expliquĂ© dans nos Ă©coles vaudoises.

La Palestine verra le jour quand les Palestiniens auront donnĂ© Ă  IsraĂ«l des assurances claires au sujet de sa sĂ©curitĂ©. Bien sĂ»r, Gaza sous les bombardements israĂ©liens et sous la domination du Hamas, la Cisjordanie dĂ©chirĂ©e et les haines dĂ©cuplĂ©es par la sĂ©quence horrible dĂ©clenchĂ©e depuis le 7 octobre 2023 ne favorisent pas, du cĂŽtĂ© palestinien, la sĂ©rĂ©nitĂ© propre Ă  envisager un État indĂ©pendant prĂȘt Ă  gouverner et Ă  respecter son voisin israĂ©lien.

Sur le mĂȘme sujet, les rĂ©ponses aux critiques du syndic de Lausanne : https://lepeuple.ch/un-1er-aout-de-la-division-a-lausanne/

DĂšs lors, il incomberait d’abord aux pays dĂ©mocratiques, dont la Suisse, de favoriser la clartĂ© et la sĂ©rĂ©nitĂ© en exigeant Ă  la fois la fin des bombardements et le respect d’IsraĂ«l, violemment attaquĂ© dans sa sĂ©curitĂ©, comme aucun État donneur de leçons ne l’est depuis sa crĂ©ation mĂȘme. Respecter IsraĂ«l ce n’est pas l’accuser de « gĂ©nocide Â» et autres folles affirmations portĂ©es jusqu’en Suisse, c’est traiter ce pays en ami, car seuls les amis auront la lĂ©gitimitĂ© pour favoriser un jour la crĂ©ation d’un État palestinien.

Respecter IsraĂ«l ce n’est pas reconnaĂźtre un État palestinien sans aucune prĂ©caution, c’est aider ce pays Ă  rechercher le dialogue avec une AutoritĂ© palestinienne qui doit encore se montrer capable de gouverner de maniĂšre dĂ©mocratique et pacifique. Respecter IsraĂ«l, comme État juif, c’est rassurer les juifs du monde entier subissant un regain d’antisĂ©mitisme qui devrait nous pousser, toutes et tous, y compris un 1er aoĂ»t lausannois, Ă  la prudence en nous abstenant de distribuer des leçons. Ceci, prĂ©cisĂ©ment, si nous voulons rester crĂ©dibles dans le processus qui mĂšnera, aprĂšs cette guerre, Ă  une rĂ©solution – enfin – de ce long conflit arabo-israĂ©lien. N’est-ce pas cela la diplomatie ? N’est-ce pas cela Ɠuvrer de maniĂšre humanitaire dans l’intĂ©rĂȘt de toutes les populations ?

Nadine Richon / RĂ©seau laĂŻque romand




Édition 35 – À dĂ©guster comme un cigare cubain

Chers amis,

Pour vous accompagner en vacances, nous sommes heureux de vous proposer une édition qui nous plaßt. Elle nous plaßt car elle est à la fois irrévérencieuse, drÎle parfois, et sérieuse sur les sujets sérieux.

Nous espĂ©rons qu’elle vous permettra de regarder les choses d’en haut.

Bonne dĂ©couverte Ă  tous et, pour nos anciens clients en ligne sur la plateforme partager.io, n’oubliez pas : vos abonnements n’étant plus automatiquement reconduits, il est temps de passer dans notre nouveau systĂšme

Consultez la nouvelle édition numérique




Le facteur sonne toujours deux fois

En lisant l’entretien de Christian Levrat dans le 24 Heures du 21 juin, j’ai eu une pensĂ©e Ă©mue pour Cyril, le facteur de mon enfance. Chaque jour, du lundi au samedi, il faisait le tour d’une kyrielle de villages et hameaux. RevĂȘtu de l’uniforme et de la casquette rĂšglementaires, il connaissait tout son petit monde, des nouveau-nĂ©s au vieillard Ă  la barbe fleurie. Il prenait des nouvelles de chacun, partageait les soucis du quotidien, livrait des mĂ©dicaments, amenait l’argent de l’AVS aux retraitĂ©s et aidait Ă  remplir des formulaires administratifs, tout cela en livrant courrier et paquets. Il n’hĂ©sitait pas Ă  prendre un cafĂ© et ne refusait jamais un petit coup de gnĂŽle. Aujourd’hui, selon Monsieur Levrat, « La Poste s’adapte Ă  l’évolution des besoins Â».

Une question de lien social

Le libĂ©ralisme du camarade et ancien syndicaliste Levrat, confirme la triste constatation de Karl Marx et d’Engels dans le Manifeste du parti communiste : « La bourgeoisie a jouĂ© dans l’histoire un rĂŽle Ă©minemment rĂ©volutionnaire.
Partout oĂč elle a conquis le pouvoir, elle a foulĂ© aux pieds les relations fĂ©odales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variĂ©s qui unissent l’homme fĂ©odal Ă  ses « supĂ©rieurs naturels », elle les a brisĂ©s sans pitiĂ© pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intĂ©rĂȘt, les dures exigences du « paiement au comptant ». Elle a noyĂ© les frissons sacrĂ©s de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalitĂ© petite-bourgeoise dans les eaux glacĂ©es du calcul Ă©goĂŻste. Elle a fait de la dignitĂ© personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substituĂ© aux nombreuses libertĂ©s, si chĂšrement conquises, l’unique et impitoyable libertĂ© du commerce. En un mot, Ă  la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, Ă©hontĂ©e, directe, brutale. »

Et oui, il reste des choses Ă  en tirer.

Dans son ouvrage Gemeinschaft und Gesellschaft (1887), le sociologue social-dĂ©mocrate allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936) explore les dynamiques du lien social et pose les bases d’une distinction fondamentale entre deux types de relations humaines : la communautĂ© (Gemeinschaft) et la sociĂ©tĂ© (Gesellschaft). Tönnies met en lumiĂšre les transformations sociales et les tensions entre tradition et modernitĂ©, offrant une analyse profonde de la structure sociale et des interactions humaines.

De la communautĂ©…

La communautĂ©, selon Tönnies, se dĂ©finit par des relations personnelles et durables. Elle est souvent associĂ©e aux structures sociales traditionnelles comme la famille, les villages ou les groupes ethniques. Dans la communautĂ©, les interactions sont basĂ©es sur des liens affectifs et une solidaritĂ© naturelle : « La communautĂ© est un groupe basĂ© sur des sentiments d’appartenance et de coopĂ©ration, oĂč les individus se voient comme une fin en soi plutĂŽt que comme un moyen Â». Les exemples typiques de Gemeinschaft incluent la famille et les communautĂ©s rurales. Dans ces contextes, les relations sont caractĂ©risĂ©es par une forte cohĂ©sion sociale et des valeurs partagĂ©es. Par exemple, la famille est un espace oĂč les individus interagissent de maniĂšre altruiste et solidaire, avec des rĂŽles clairement dĂ©finis et des obligations rĂ©ciproques.

La communautĂ© joue un rĂŽle crucial dans la socialisation et la transmission des normes et valeurs. Elle offre un cadre de sĂ©curitĂ© et d’identitĂ© aux individus. 

… Ă  la sociĂ©tĂ©

À l’opposĂ© de la communautĂ©, la sociĂ©tĂ© se caractĂ©rise par des relations impersonnelles, contractuelles et souvent temporaires. Les interactions sont basĂ©es sur des intĂ©rĂȘts individuels et Ă©conomiques : « La sociĂ©tĂ© est une agrĂ©gation d’individus indĂ©pendants oĂč les relations sont fonctionnelles et utilitaires, basĂ©es sur des contrats et des Ă©changes Â». La sociĂ©tĂ© favorise l’innovation, la mobilitĂ© sociale et l’efficience Ă©conomique. Cependant, elle peut aussi engendrer l’aliĂ©nation, l’individualisme exacerbĂ© et la fragmentation sociale. Les relations impersonnelles peuvent conduire Ă  un sentiment de solitude et Ă  une perte de sens collectif. Tönnies avertit : « La sociĂ©tĂ©, en privilĂ©giant les relations contractuelles et utilitaires, risque de dĂ©shumaniser les interactions sociales et d’éroder le tissu social Â»

Une saine tension

Les tensions entre communautĂ© et sociĂ©tĂ© sont inĂ©vitables. La sociĂ©tĂ© actuelle doit trouver des moyens d’intĂ©grer les valeurs communes pour maintenir le lien social. Les politiques publiques et les initiatives communautaires jouent un rĂŽle crucial dans cette mĂ©diation pour le bien commun. Une chose est certaine, ce n’est pas en fermant des offices postaux que l’on y parviendra. Sinon, avec CĂ©line, j’affirme que tout finira par la canaille.

A bon entendeur, salut !




Un 1er août de la division à Lausanne

Cet article est publiĂ© en partenariat avec l’organisation Pro Suisse.

« CĂ©lĂ©brer l’engagement et la tradition humanitaire de la Suisse ». C’est avec cette volontĂ© que la Ville de Lausanne a annoncĂ© ce mercredi la personnalitĂ© de son invitĂ© d’honneur pour les festivitĂ©s du 1er aoĂ»t : Philippe Lazzarini, Commissaire gĂ©nĂ©ral de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les rĂ©fugiĂ©s de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). « PersonnalitĂ©Ì suisse incontournable sur la scĂšne diplomatique internationale », il est dĂ©crit comme incarnant « parfaitement l’engagement pour la paix et la tradition humanitaire de notre pays, partie intĂ©grante de notre histoire et de notre cohĂ©sion nationale. » 

« De l’huile sur le feu »

À peine annoncĂ©, ce choix a fait tousser. Sur les rĂ©seaux sociaux d’abord, avec prĂšs de 8000 vues sur X (ex-Twitter) et des commentaires virulents : « Aviez-vous vraiment besoin de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les divisions entre Lausannois un jour de fĂȘte nationale ? », tonnait un internaute le jour-mĂȘme. Et un autre d’enchaĂźner : « Mes pensĂ©es vont Ă  la communautĂ© Juive de Lausanne qui apprĂ©ciera votre initiative Ă  sa juste valeur. » Il faut dire que depuis plusieurs mois, la neutralitĂ© de l’UNRWA dans le conflit au Proche-Orient fait dĂ©bat. À tel point que le renouvellement du soutien de la Suisse Ă  l’agence onusienne a suscitĂ© d’ñpres dĂ©bats au niveau fĂ©dĂ©ral, pour finalement dĂ©boucher sur une solution de compromis Ă  dix millions. 

Cette semaine, cette dĂ©fiance vis-Ă -vis de la posture de l’UNRWA a suscitĂ© un Ă©lan pĂ©titionnaire. DiffusĂ©e par des milieux pro-IsraĂ«l, chrĂ©tiens ou en encore laĂŻcs, une lettre demande Ă  la Ville de revenir sur un choix « dĂ©sastreux », la neutralitĂ© suisse Ă©tant carrĂ©ment « bafouĂ©e » un jour de la fĂȘte nationale. Parmi ses relais politiques, Patrizia Mori, de l’UDC Lausanne : conseillĂšre communale « qui tient Ă  sa ville et Ă  la neutralité », elle dit s’ĂȘtre sentie « rĂ©voltĂ©e » Ă  la lecture du communiquĂ© de la Ville. « J’ai trouvĂ© ça complĂštement incomprĂ©hensible. Il y a un lieu et un temps pour tout… »

Aurait-on assistĂ© Ă  une « faute morale » de Lausanne ? Le dĂ©putĂ© Vert’libĂ©ral David Vogel n’ira pas jusque-lĂ . Ces derniers mois, cet Ă©lu est souvent montĂ© au front contre les occupations d’universitĂ© ou la hausse des actes antisĂ©mites, mais il tempĂšre « Les pratiques de l’UNRWA ont Ă©tĂ© et sont critiquĂ©es par certains et sont louĂ©es par d’autres. Libre Ă  la MunicipalitĂ© d’inviter qui elle veut et d’ĂȘtre de ceux qui la supporte, c’est son droit. »

Pas la bonne année

Le problĂšme, Ă  ses yeux, est de faire un tel choix cette annĂ©e en particulier : « Dans un tel contexte trĂšs « chaud » sur la question israĂ©lo-palestinienne, vu les Ă©vĂšnements Ă  l’UNIL et Ă  l’EPFL, vu les dĂ©rapages antisĂ©mites en hausse, c’est importer en terre vaudoise un conflit et crĂ©er des tensions dont on aurait largement pu se passer. RĂ©sultat ? Des partisans chauffĂ©s Ă  blanc des deux bords vont venir avec des drapeaux israĂ©liens et palestiniens pour soutenir leurs idĂ©es et on va oublier de parler de ce qui nous rĂ©unit. Le 1er aoĂ»t est et doit ĂȘtre une fĂȘte qui rassemble, qui unit. LĂ , la MunicipalitĂ© fait le choix politique de diviser et de crĂ©er des tensions. C’est d’une rare sottise que de ne pas prendre cet Ă©lĂ©ment en compte dans son choix des invitations. » 

Et de prĂ©ciser qu’il aurait rĂ©agi de la mĂȘme maniĂšre si Lausanne avait invitĂ© l’ambassadrice israĂ©lienne ou un reprĂ©sentant de l’AutoritĂ© palestinienne.

Le syndic de Lausanne maintient de la choix de la Ville: « Un message de paix et de dialogue ». (Photo: Ville de Lausanne)

Le syndic de Lausanne, Grégoire Junod, réagit aux critiques

– Ces rĂ©actions surprennent-elles la Ville ?

Nous vivons une Ă©poque oĂč l’actualitĂ© internationale, souvent tragique, nous prĂ©occupe et occupe une place importante dans le dĂ©bat politique en Suisse. C’est donc normal qu’il y ait des rĂ©actions. Philippe Lazzarini est suisse et a suivi une partie de ses Ă©tudes Ă  Lausanne.

EngagĂ© depuis trente ans dans l’aide humanitaire dans des zones de conflit, il est aujourd’hui commissaire gĂ©nĂ©ral de l’UNRWA, poste auquel il a Ă©tĂ© nommĂ© par le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral des Nations Unies. Il fait donc partie des citoyens suisses qui occupent parmi les plus hautes fonctions au niveau international. C’est dire s’il est lĂ©gitime Ă  ĂȘtre notre invitĂ© d’honneur Ă  l’occasion de la fĂȘte nationale. Son engagement symbolise parfaitement la tradition humanitaire de la Suisse, constitutive de ce qu’est la Suisse. C’est un message fort de paix, de solidaritĂ© Ă  l’égard de toutes les victimes civiles sur un terrain de conflit armĂ© qui pourra ĂȘtre entendu le 1er aoĂ»t prochain.

Enfin, il convient de rappeler que la Suisse, comme de trĂšs nombreux États, a rĂ©tabli son soutien Ă  l’UNRWA, aprĂšs que l’organisation a Ă©tĂ© lavĂ©e de tout soupçon de complicitĂ© dans les atroces massacres commis par le Hamas le 7 octobre dernier.

– Depuis combien de temps cet invitĂ© Ă©tait-il prĂ©vu ?

Les premiers contacts ont été pris il y a quelques semaines.

– Sur le fond, une telle invitation est-elle prudente dans la foulĂ©e des tensions qui ont notamment marquĂ© les esprits Ă  l’UNIL sur fond de conflit au Proche-Orient ?

Ne mĂ©langeons pas tout. Philippe Lazzarini est un haut fonctionnaire de l’ONU, une des personnalitĂ©s suisses les plus en vue sur la scĂšne internationale et un acteur majeur de la solidaritĂ© avec les victimes civiles dans un conflit armĂ©. C’est une figure dont l’engagement fait honneur Ă  la Suisse et Ă  sa tradition humanitaire. La Suisse a d’ailleurs Ă©tĂ© un acteur important de la paix au Proche-Orient avec son soutien Ă  l’initiative de GenĂšve en 2003.

 La fĂȘte nationale est un moment de rassemblement et de communion. C’est un message de paix et de dialogue qui sera portĂ© le 1er aoĂ»t prochain, dans la tradition de notre pays.




Comprendre la décadence

AprĂšs avoir publiĂ© de nouvelles traductions de Max Scheller (L’homme du ressentiment) et de G.K. Chesterton (Orthodoxie), ainsi que la premiĂšre version française de L’État servile d’Hilaire Belloc, les Ă©ditions Carmin poursuivent leur Ɠuvre de salubritĂ© intellectuelle en Ă©ditant deux Ɠuvres de ThĂ©odore Darymple. Quel est l’intĂ©rĂȘt de cet auteur britannique inconnu du public francophone ?

Depuis bien longtemps j’apprĂ©cie et goĂ»te presque quotidiennement Ă  la prose de Bossuet, l’intraitable et pourtant irĂ©nique Ă©vĂȘque de Meaux. Je garde prĂ©cieusement dans ma sabretache un petit volume de l’auteur du Grand SiĂšcle, que ce soient les Oraisons funĂšbres, les Discours sur l’histoire universelle, les ElĂ©vations ou encore l’Histoire des variations des Ă©glises protestantes. Dans les transports publics, lors de pauses ou en compagnie de raseurs, je sors mon « Bossuet Â». Il y a quelques semaines je suis tombĂ© sur une phrase toujours mal citĂ©e et souvent tronquĂ©e du grand Ă©vĂȘque : « Mais Dieu se rit des priĂšres qu’on lui fait pour dĂ©tourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas Ă  ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec rĂ©pugnance Â». Ce constat clair et sans appel n’a pas pris une ride et vaut pour nous aujourd’hui. Force est de constater que peu d’auteurs vont au-delĂ  de la dĂ©ploration de ce qui ne va pas. Les deux livres de ThĂ©odore Darymple : Life at the Bottom (Zone et chĂątiment) et Our Culture, What’s left of it (Culture du vide), que viennent de traduire et de publier les Ă©ditions Carmin, nous ouvrent un chemin sans concession ni prise de tĂȘte afin de comprendre les causes de la dĂ©cadence de notre sociĂ©tĂ©.

Theodore Darlymple, de son vrai nom Anthony Malcolm Daniels est un auteur, psychiatre et critique culturel britannique. Loin de se contenter de thĂ©ories et de vaticinations convenues, il nous propose des analyses profondĂ©ment influencĂ©es par son expĂ©rience de mĂ©decin et de psychiatre dans les quartiers les plus dĂ©favorisĂ©s et les prisons anglaises. Il ne s’agit pas de rĂ©sumer les ouvrages qui viennent de paraĂźtre en français, mais plutĂŽt d’explorer les idĂ©es centrales de la pensĂ©e de Darymple.

Darlymple propose des analyses influencées par son expérience de médecin et de psychiatre dans les quartiers les plus défavorisés et les prisons anglaises

Littérature et philosophie

Bien que les Ă©crits de Darymple fassent rĂ©fĂ©rence Ă  ses riches expĂ©riences professionnelles, il s’appuie frĂ©quemment sur des Ɠuvres littĂ©raires pour illustrer ses points de vue et fournir des perspectives plus approfondies tant sur la sociĂ©tĂ© que sur la nature humaine. Des auteurs tels que Fiodor DostoĂŻevski, Georges Orwell et Joseph Conrad comptent parmi ses influences clefs, offrant ainsi des perspectives sur la complexitĂ© de la condition humaine ainsi que les dilemmes auxquels sont confrontĂ©s les personnes et les sociĂ©tĂ©s.

L’utilisation de la littĂ©rature par Darymple n’est pas dĂ©corative mais elle sert Ă  souligner ses arguments et Ă  fournir un contexte plus riche Ă  ses critiques. Par exemple, il fait souvent rĂ©fĂ©rence Ă  DostoĂŻevski sur les questions existentielles, ceci afin de souligner l’importance de la clartĂ© morale et les dangers du nihilisme. De mĂȘme, la critique d’Orwell sur le totalitarisme et la manipulation de la vĂ©ritĂ© font Ă©chos aux prĂ©occupations de Dalrymple concernant l’érosion des normes et l’impact du relativisme. Selon Darymple, « la littĂ©rature nous offre un miroir de la condition humaine, nous aidant Ă  comprendre les profondeurs de l’ñme et les enjeux moraux de nos actions Â». (La Culture du vide – 2005)

Philosophiquement, Darymple s’inscrit dans la tradition conservatrice anglaise qui valorise la responsabilitĂ© individuelle, l’ordre social et la prĂ©servation de l’hĂ©ritage culturel. Il est influencĂ© par des penseurs tels qu’Edmund Burke, qui a mis en avant l’importance de la tradition et les dangers du changement radical. Darlymple partage le scepticisme de Burke Ă  l’égard des grands projets utopiques et les rĂ©formes radicales, soulignant plutĂŽt la nĂ©cessitĂ© de maintenir les structures sociales qui ont prouvĂ© leur efficacitĂ© au fil du temps : « Les leçons du passĂ©, incarnĂ©es par nos traditions, sont les guides indispensables pour affronter les dĂ©fis du prĂ©sent et du futur Â» (Spoilt Rotten : The Toxic Cult of Sentimentality â€“ 2010)

Les malheurs de l’État-providence

La critique de l’État-providence est un thĂšme rĂ©current de la pensĂ©e de Darlymple. Bien que l’État-providence soit conçu pour aider les nĂ©cessiteux, il crĂ©e souvent une culture de dĂ©pendance qui prive les individus de leur sens des responsabilitĂ©s et de l’initiative personnelle. Dans Zone et chĂątiment, Darlymple illustre comment le systĂšme de protection sociale peut piĂ©ger les personnes dans un cycle de pauvretĂ© et de dĂ©sespoir, favorisant ainsi un microcosme oĂč la dĂ©pendance Ă  l’aide de l’État devient une façon de vivre.

Pour Dalrymple, l’État-providence encourage malgrĂ© lui une mentalitĂ© de droit plutĂŽt qu’une mentalitĂ© de responsabilitĂ©. Il n’hĂ©site pas Ă  raconter de nombreuses anecdotes tirĂ©es de sa pratique mĂ©dicale, dĂ©crivant des patients habituĂ©s Ă  vivre des prestations sociales et perdant toute motivation pour amĂ©liorer leur situation. Cette dĂ©pendance Ă©roderait la dignitĂ© et le respect de soi, conduisant Ă  un sentiment d’apathie et de rĂ©signation inconscient. 

De plus, Darymple soutient que l’État-providence affaiblit les liens communautaires et familiaux. En effet, traditionnellement, les familles et les communautĂ©s locales fournissaient un soutien Ă  leurs membres, dĂ©veloppant un sens des obligations mutuelles et de l’interdĂ©pendance. L’État-providence remplace les rĂ©seaux traditionnels, conduisant Ă  une atomisation sociale et Ă  une diminution de la cohĂ©sion communautaire et sociale.  

Le relativisme comme nouvelle valeur

Un aspect significatif de la pensĂ©e de Dalrymple rĂ©side dans la critique sans concession de la dĂ©cadence culturelle et morale de la sociĂ©tĂ© contemporaine. Il observe que l’érosion des valeurs traditionnelles telles que la discipline, le respect de l’autoritĂ© et la responsabilitĂ© personnelle a conduit Ă  un malaise sociale gĂ©nĂ©ralisĂ©. Dans La Culture du vide, Dalrymple dĂ©plore la montĂ©e du relativisme, qu’il considĂšre comme une excuse et mĂȘme une incitation aux comportements destructeurs.

Dalrymple soutient que l’abandon des normes mĂšne Ă  une sociĂ©tĂ© oĂč tout est permis, ce qui entraĂźne une perte d’ordre et de cohĂ©sion sociale. Il critique les Ă©lites intellectuelles et culturelles autoproclamĂ©es, qu’il appelle les « mandarins Â», pour avoir promu le relativisme et sapĂ© le tissu moral de la sociĂ©tĂ©. Ces pseudo-Ă©lites justifient trop souvent les comportements et les attitudes nuisibles sous prĂ©texte de tolĂ©rance et de comprĂ©hension, affaiblissant ainsi les normes sociales qui maintiennent l’ordre et la civilitĂ©.

Les consĂ©quences ne se font par attendre et sont Ă©vidente selon Dalrymple. L’auteur note une augmentation de l’incivilitĂ©, du manque de respect ainsi que de l’agressivitĂ© pure et simple dans la vie publique. Il attribue cela Ă  l’affaissement de l’éducation et Ă  l’absence de rĂšgles Ă©thiques claires. A son avis, lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©choue Ă  inculquer le sens du bien et du mal Ă  ses membres, elle prĂ©pare le chemin Ă  une augmentation des comportements antisociaux.

Dalrymple relĂšve que cette dĂ©cadence morale est souvent la plus visible dans les environnements dĂ©favorisĂ©s oĂč il a travaillĂ©. Pour lui, les attitudes permissives et l’absence de ligne Ă©thique explicite contribuent Ă  perpĂ©tuer les problĂšmes sociaux (toxicomanie, dĂ©sintĂ©gration familiale, violence, etc.).

L’échec de la famille et de l’éducation

Dalrymple accorde une grande importance Ă  la famille en tant que pilier de la stabilitĂ© sociale. Il critique les politiques et les « questions sociĂ©tales Â» qui sapent la structure familiale traditionnelle.  Dans un grand nombre de ses Ă©crits, il souligne les effets nĂ©fastes de la dĂ©sintĂ©gration de la cellule familiale, en particulier la montĂ©e des foyers monoparentaux, qu’il associe Ă  divers maux sociaux, y compris la dĂ©linquance juvĂ©nile et l’échec scolaire.

N’en dĂ©plaise aux bien-pensants, Dalrymple croit que les enfants Ă©levĂ©s dans des familles stables Ă  deux parents sont plus susceptibles de dĂ©velopper les valeurs nĂ©cessaires Ă  une vie rĂ©ussie. Il soutient que la famille traditionnelle offre un environnement propice Ă  l’apprentissage du respect, de la responsabilitĂ© et de la maĂźtrise de soi. Au contraire, la dĂ©sintĂ©gration de la famille conduit souvent Ă  des environnements oĂč les enfants manquent de rĂ©fĂ©rences et de soutien appropriĂ© : « La dĂ©sintĂ©gration de la famille est Ă  la racine de nombreux problĂšmes sociaux, privant les enfants d’un cadre stable et disciplinĂ© Â» (Spoilt Rotten : The Toxic Cult of Sentimentality â€“ 2010)

En parallĂšle Ă  la famille, l’éducation est un autre domaine oĂč Dalrymple voit les problĂšmes les plus significatifs. Il critique les pĂ©dagogies modernes qui, selon lui, se sont Ă©loignĂ©es de la transmission des connaissances fondamentales et des valeurs traditionnelles. Dalrymple est particuliĂšrement critique avec les thĂ©ories Ă©ducatives progressistes qui mettent l’accent sur l’expression et l’estime de soi au dĂ©triment des savoirs acadĂ©miques et de l’éducation morale.

Il soutient que de telles approches n’arrivent pas Ă  doter les Ă©tudiants des compĂ©tences et de la discipline nĂ©cessaires pour rĂ©ussir dans la vie : « L’éducation moderne, centrĂ©e sur l’estime de soi plutĂŽt que sur la rigueur acadĂ©mique, produit des individus mal prĂ©parĂ©s Ă  affronter les dĂ©fis de la vie» (idem). En fait, Dalrymple croit qu’un retour aux valeurs Ă©ducatives traditionnelles, accompagnĂ© d’une Ă©thique du travail, de respect de l’autoritĂ© et de la transmission de l’hĂ©ritage culturel sont essentiels pour inverser cette tendance mortifĂšre.

Les causes de la délinquance

Dalrymple, ayant travaillĂ© dans des prisons et des quartiers dĂ©favorisĂ©s, offre un autre regard sur les causes de la criminalitĂ©. Il rejette l’idĂ©e que cette derniĂšre soit principalement causĂ©e par des facteurs Ă©conomiques. Il soutient que la criminalitĂ© rĂ©sulte bien souvent de dĂ©ficiences Ă©thiques et culturelles. Dans The Knife Went in (2014), examinant les parcours de vie des criminels, il trouve que beaucoup sont issus de milieux marquĂ©s par des dysfonctionnement familiaux et sociaux plutĂŽt que par des difficultĂ©s Ă©conomiques. Pour lui, « la criminalitĂ© n’est pas simplement une consĂ©quence de la pauvretĂ©, mais souvent le rĂ©sultat de choix moraux et de contextes culturels dĂ©faillants Â».

Dalrymple soutient que la vision habituelle des dĂ©linquants comme victimes de leurs circonstances ignore le rĂŽle des choix individuels et Ă©thique. Il soutient qu’en se concentrant trop sur les explications socio-Ă©conomiques, on empĂȘche la sociĂ©tĂ© de traiter les problĂšmes moraux et culturels sous-jacents qui conduisent Ă  la dĂ©linquance. Cette constatation l’amĂšne Ă  plaide pour des actions sociales qui mettent l’accent sur la responsabilitĂ© personnelle et la rĂ©forme morale plutĂŽt que sur une simple intervention Ă©conomique.

Un thĂšme rĂ©current dans l’analyse de la criminalitĂ© et de la dĂ©linquance est ce que Dalrymple appelle la « culture de l’excuse Â». Il soutient que la sociĂ©tĂ© contemporaine cherche Ă  excuser le comportement dĂ©linquant en l’attribuant Ă  des facteurs externes tels que la pauvretĂ©, le manque de chance ou des traumatismes psychologiques. Tout en reconnaissant que de tels facteurs puissent jouer un rĂŽle, Dalrymple insiste sur le fait qu’ils ne dĂ©chargent pas les personnes de leur responsabilitĂ©.

Dalrymple n’est pas tendre avec le systĂšme de justice pĂ©nale ainsi qu’avec les services sociaux pour avoir adoptĂ© une approche thĂ©rapeutique bienveillante plutĂŽt que punitive face Ă  la criminalitĂ©. Cette tendance Ă  excuser le comportement criminel conduit Ă  un manque de responsabilitĂ© et perpĂ©tue un cycle de rĂ©cidives. A rebours de la pensĂ©e dominante, il en appelle au retour d’une justice qui met l’accent sur la punition et la dissuasion, soutenant qu’une telle approche serait plus susceptible de rĂ©duire la criminalitĂ© et de prĂ©server l’ordre social.

La faillite des Ă©lites

Dalrymple est trĂšs critique avec les Ă©lites intellectuelles et culturelles. Il les accuse d’avoir jouĂ© un rĂŽle significatif dans la promotion d’idĂ©es et de politique qui ont sapĂ© et affaibli les valeurs traditionnelles et l’ordre social. Il soutient que ces Ă©lites vivent de vies isolĂ©es, dĂ©connectĂ©es de la rĂ©alitĂ© Ă  laquelle sont confrontĂ©es les classes populaires. Cette dĂ©connexion les conduit Ă  endosser des idĂ©ologies et des politiques progressistes qui exacerbent les problĂšmes sociaux au lieu de les attĂ©nuer.

Dans Le Nouveau Syndrome de Vichy : pourquoi les intellectuels europĂ©ens abdiquent face Ă  la barbarie (2010), Dalrymple dĂ©crypte comment les intellectuels europĂ©ens, animĂ©s par un sentiment de culpabilitĂ© et un dĂ©sir de paraĂźtre compatissant, ont embrassĂ© le relativisme culturel et l’anti-occidentalisme. Il soutient que cet Ă©tat d’esprit affaiblit l’identitĂ© culturelle de l’Europe et sa capacitĂ© Ă  relever efficacement les dĂ©fis sociaux.

Les valeurs traditionnelles

La pensĂ©e de Dalrymple est fondamentalement conservatrice. Elle met l’accent sur l’importance des valeurs traditionnelles et la mĂ©fiance envers les grands projets « sociĂ©taux Â». Il croit que des principes tels que l’éthique du travail, l’autodiscipline et le respect de l’autoritĂ© sont essentiels pour maintenir une sociĂ©tĂ© stable et prospĂšre. 

Le conservatisme de Dalrymple se mĂ©fie aussi de l’implication Ă©tendue de l’État dans la vie des personnes, soutenant que de telles interventions font souvent plus de mal que de bien. Il prĂ©conise des solutions plus petites et locales aux problĂšmes sociaux, mettant l’accent sur le rĂŽle de la communautĂ© et la responsabilitĂ© personnelle plutĂŽt que sur les approches bureaucratiques centralisĂ©es.

La pensĂ©e de Dalrymple offre une critique profonde et provocatrice de la sociĂ©tĂ© moderne. Une chose est certaine on ne sort pas indemne d’un de ses ouvrages.

Paul Sernine

Commander sur le site de l’Ă©diteur : https://editions-carmin.com

Darlymple explique de façon fascinante comment les intellectuels progressistes aiment à nier les vérités encombrantes. Pour le découvrir, merci de vous connecter ou de prendre un abonnement.

« Les mĂ©canismes mentaux utilisĂ©s par les intellectuels progressistes pour se cacher la vĂ©ritĂ© Ă  eux-mĂȘmes et aux autres Â» 

Tout d’abord, il y a le dĂ©ni pur et simple. L’augmentation de la criminalitĂ©, par exemple, a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un simple artefact statistique, avant qu’il devienne impossible de la nier sous le poids des preuves. À l’époque, on nous disait que ce n’était pas tant la criminalitĂ© qui augmentait que la volontĂ© ou la possibilitĂ© pour les gens de la signaler — par la diffusion du tĂ©lĂ©phone. Quant Ă  la baisse du niveau scolaire, elle a longtemps Ă©tĂ© niĂ©e par le recours aux statistiques montrant que de plus en plus d’enfants rĂ©ussissaient les examens. Cette demi-vĂ©ritĂ© omettait de dire que ces examens avaient Ă©tĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment rendus si faciles qu’il Ă©tait pratiquement impossible d’y Ă©chouer (le concept d’échec ayant Ă©tĂ© aboli), sinon en refusant de s’y prĂ©senter. Cependant, mĂȘme le plus progressiste des professeurs d’universitĂ© ne peut plus nier que ses Ă©tudiants ne maĂźtrisent ni l’orthographe ni la ponctuation. 

DeuxiĂšmement, on trouve la comparaison historique tendancieuse avec une lointaine Ă©poque. Oui, on l’admet, violence et vulgaritĂ© font partie intĂ©grante de la vie britannique moderne, mais cela a toujours Ă©tĂ© le cas. Lorsque les supporters anglais se sont dĂ©chaĂźnĂ©s en France pendant la finale de la Coupe d’Europe de football (comportement dĂ©sormais systĂ©matiquement attendu de leur part), mĂȘme le trĂšs conservateur Daily Telegraph a publiĂ© un article affirmant qu’il n’y avait lĂ  rien de nouveau et que l’Angleterre hanovrienne avait Ă©tĂ© une Ă©poque de rĂ©voltes et d’ivrognerie — laissant ainsi entendre qu’il n’y avait dĂšs lors pas lieu de s’inquiĂ©ter. Pour quelque Ă©trange raison, la persistance ininterrompue, durant des siĂšcles, de comportements antisociaux est censĂ©e faire office de rĂ©confort, voire de justification. De la mĂȘme maniĂšre, les intellectuels dĂ©crivent le sentiment d’insĂ©curitĂ©Ì comme irrationnel (et ceux qui l’expriment comme manquant de connaissances historiques), parce qu’il n’est pas difficile de trouver des Ă©poques historiques oĂč la criminalitĂ©Ì Ă©tait pire qu’aujourd’hui. J’ai mĂȘme vu des gens moquer l’inquiĂ©tude causĂ©e par l’augmentation du taux d’homicide, au prĂ©texte que, dans l’Angleterre mĂ©diĂ©vale, ce taux Ă©tait bien plus Ă©levĂ© qu’actuellement. Ainsi donc, la comparaison historique avec une pĂ©riode remontant Ă  plusieurs siĂšcles est jugĂ©e plus pertinente que celle avec une pĂ©riode remontant Ă  trente ans, ou mĂȘme seulement dix ans — du moins, tant que cette comparaison relativise la gravitĂ© de phĂ©nomĂšnes sociaux indĂ©sirables. 

TroisiĂšmement, une fois les faits finalement admis sous la pression de l’accumulation des preuves, on en nie ou pervertit la signification morale. Vous vous inquiĂ©tez que les enfants sortent de l’école aussi dĂ©pourvus de connaissances qu’ils y sont entrĂ©s ? Enfin, voyons, c’est parce qu’on ne les oblige plus Ă  apprendre par cƓur, mais qu’on leur apprend Ă  trouver par eux-mĂȘmes les informations dont ils ont besoin. Leur incapacitĂ© Ă  Ă©crire lisiblement ne diminue en rien leur capacitĂ© Ă  s’exprimer, bien au contraire. Au moins, ils ont Ă©vitĂ© l’horreur de l’apprentissage de rĂšgles arbitraires. La vulgaritĂ© ? C’est la libĂ©ration des carcans malsains qui dĂ©forment le psychisme ; c’est simplement le renouveau vivifiant de la gouaille populaire, et ceux qui s’y opposent sont des rabat-joie Ă©litistes. Quant Ă  la violence, on peut la justifier, quelle qu’elle soit, par la « violence structurelle » de la sociĂ©tĂ© capitaliste. 

ThĂ©odore Dalrymple, Zone et chĂątiment, p. 29-31.




Le pĂšlerinage de Chartres fait un petit en Suisse

15’000, puis 16’000 puis 18’000… Chaque annĂ©e depuis la fin de la pandĂ©mie, le pĂšlerinage de ChrĂ©tientĂ©, plus communĂ©ment connu sous le nom de pĂšlerinage de Chartes, mobilise des foules de jeunes catholiques en France. EntiĂšrement rĂ©servĂ© Ă  la liturgie tradionaliste (la fameuse « messe en latin Â») et marquĂ© par l’omniprĂ©sence de drapeaux rĂ©gionaux, cet Ă©vĂ©nement trĂšs patriotique a connu un coup de projecteur inespĂ©rĂ© cette annĂ©e : une rediffusion de sa messe de clĂŽture sur CNews !

Le pĂ©lerinage de Chartres, rassemblement d’une jeunesse avide de transmission. (Photo: Eichthus)

Quoique trĂšs ancrĂ© dans l’histoire française, l’évĂ©nement attire aussi chaque annĂ©e des pĂšlerins venus du monde entier, dont de Suisse. Mais pour certains, il Ă©tait temps d’en proposer une dĂ©clinaison couleur locale Ă  l’intĂ©rieur de nos frontiĂšres. C’est chose faite avec une premiĂšre Ă©dition, les 21 et 22 septembre prochains, qui se dĂ©roulera entre la Basilique Notre-Dame de Fribourg, et le sanctuaire de Notre-Dame des Marches, du cĂŽtĂ© de Broc. Au programme, beaucoup de priĂšres, quelque 42 kilomĂštres de marche et une nuit en bivouac « pour vivre un moment spirituel fort sous le regard de la Sainte Vierge Â», comme le promettent les organisateurs.

Une occasion de dĂ©couvrir le rite « tradi Â»

Parmi ceux-ci, Colombe Ackermann, jeune paroissienne jurassienne : « Nous sommes attachĂ©s Ă  l’unitĂ© de l’église, prĂ©cise-t-elle d’emblĂ©e. L’évĂ©nement vise Ă  rassembler des chrĂ©tiens de tous bords et tant mieux s’il y a des habituĂ©s du rite ordinaire. Ce sera pour eux l’occasion de dĂ©couvrir la beautĂ© de la liturgie traditionnelle. » Les croyants Ă©vangĂ©liques ou rĂ©formĂ©s qui voudraient mieux comprendre cette expression de la foi seront Ă©galement les bienvenus. Outre une veillĂ©e d’adoration, Colombe ne cache pas que la nuit pourrait ĂȘtre marquĂ©e par quelques bouteilles qui sortent des sacs Ă  dos, comme souvent dans ce type de cadres. 

Le logo de l’association aux manettes.

« J’étais Ă  Chartres et je me suis dit qu’il nous fallait organiser quelque chose de similaire en Suisse », renchĂ©rit ThĂ©ophane Gaillard , prĂ©sident de l’association organisatrice, Notre-Dame de la Foi. HabituĂ© d’une paroisse « tradi » de Lausanne – la Chapelle Saint-Augustin, sur l’avenue de BĂ©thusy – il en a alors parlĂ© Ă  son curĂ© et s’est rapidement retrouvĂ© Ă  prĂ©senter son projet Ă  l’évĂȘque du diocĂšse de Lausanne, GenĂšve et Fribourg, Mgr Morerod. « Il s’est tout de suite montrĂ© trĂšs ouvert et a mĂȘme manifestĂ© son dĂ©sir de marcher avec nous », se souvient le jeune militaire. Malheureusement, le calendrier ne permettra pas de concrĂ©tiser cet objectif, du moins pas cette annĂ©e. « L’évĂȘque nous a dit que ce n’était en tout cas pas lui qui allait dĂ©courager les jeunes qui veulent lancer des pĂšlerinages », se rĂ©jouit nĂ©anmoins le prĂ©sident, qui a montĂ© son projet avec des amis dont plusieurs sont Gardes Suisses.

Un exemple d’unitĂ©

Alors que les tensions entre conservateurs et libĂ©raux remontent Ă  un niveau particuliĂšrement Ă©levĂ© dans l’Église, sur fond de craintes d’interdiction quasi-totale de la liturgie traditionnelle, un bel exemple d’unitĂ© viendra-t-il Ă  nouveau de Suisse ? Peut-ĂȘtre, Ă  Ă©couter ThĂ©ophane qui rappelle que la prioritĂ© « n’est pas la politique, mais bel et bien JĂ©sus-Christ. Â» Il ne cache toutefois pas sa volontĂ© de « dĂ©diaboliser le monde tradi Â» et d’Ɠuvrer, par la priĂšre, Ă  la « conversion de la Suisse, comme le faisaient nos ancĂȘtres Â».

Recteur du sanctuaire oĂč s’achĂšvera le pĂšlerinage, l’abbĂ© Joseph Gay ne boude en tout cas pas son plaisir. Du moment oĂč il a appris que l’évĂ©nement se dĂ©roulerait avec l’accord de l’évĂȘchĂ© (ndlr. ÉvĂȘchĂ© qui n’a toutefois pas rĂ©pondu Ă  nos questions aprĂšs une semaine), le jeune prĂȘtre n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  donner sa bĂ©nĂ©diction Ă  la manifestation. MĂȘme s’il sera lui aussi absent Ă  la fin du mois de septembre, il prĂ©dit que les habituĂ©s des lieux ne seront pas dĂ©boussolĂ©s par cette jeunesse avide de liturgie traditionaliste… et d’identitĂ© !

Pour s’inscrire : https://notredamedelafoi.ch/#inscription
Pour soutenir l’association : https://notredamedelafoi.ch/#nous-aider

Sur le mĂȘme thĂšme:
Notre reportage à « Tradilland »: https://lepeuple.ch/visite-a-tradiland-reportage/
Le malaise grandissant des jeunes chrétiens : https://lepeuple.ch/le-malaise-grandissant-des-jeunes-chretiens/




Rechercher les choses d’en haut

Est-il interdit de ne pas interdire ? La question est abrupte mais n’importe quel Martien ou n’importe quel reprĂ©sentant de lointaine tribu isolĂ©e se la poserait certainement s’il mettait le pied dans un pays occidental, ces temps. Sans y comprendre grand-chose, il verrait de bonnes Ăąmes – gĂ©nĂ©ralement de gauche, il faut bien le dire – s’acharner Ă  sauver la planĂšte et nos poumons en faisant la chasse aux cigarettes Ă©lectroniques, aux pubs pour le tabac ou Ă  l’usage de vĂ©hicules de type SUV. Puis, Ă  droite, il verrait de jeunes gens pas tout Ă  fait secs derriĂšre les oreilles se prĂ©senter – comme Bardella en France – en « bons pĂšres de famille » dĂ©terminĂ©s Ă  redresser le pays sans n’avoir jamais rien dirigĂ© d’autre qu’un personnage dans un jeu vidĂ©o. D’un bout Ă  l’autre du spectre politique, une mĂȘme arrogance, une mĂȘme vanitĂ©, une mĂȘme farce.

Le gamer qui veut vous apprendre Ă  vivre.

Notre visiteur, certainement, se demanderait alors : mais oĂč est passĂ©e la fameuse libertĂ© dont ces peuples se gargarisent ? Ils ont un systĂšme dont ils sont trĂšs fiers : cette fameuse dĂ©mocratie qu’ils n’hĂ©sitent pas Ă  exporter Ă  coups de canon. Mais leurs libertĂ©s rĂ©elles, qu’en ont-ils fait ? Pourquoi, alors qu’ils se croient au pic de leur civilisation, n’osent-ils mĂȘme plus dire ce qui leur passe par la tĂȘte de peur de perdre leur boulot ? Et pourquoi cet enthousiasme obligatoire parce que leurs enfants peuvent choisir leur genre avant mĂȘme d’avoir appris Ă  faire leurs lacets ?

Un Dieu, pas de maĂźtre

En mĂȘme temps qu’il est un observatoire d’un progrĂšs en roue libre, ce journal se veut un repĂšre pour les hommes libres. Ce prĂ©cieux sens de la libertĂ© qui nous anime vient du fait que nous avons encore un Dieu. Oui, un Dieu, et pas de maĂźtre. En tout cas pas au sein de cette hyperclasse d’élus censĂ©s porter la volontĂ© de leurs Ă©lecteurs mais qui sont surtout obsĂ©dĂ©s par l’idĂ©e de les rĂ©Ă©duquer. Si au moins ils avaient la dĂ©cence, comme les dictateurs du siĂšcle dernier, de ne pas faire semblant d’ĂȘtre dĂ©mocrates ! Mais non, il faut encore qu’ils soient doucereux, pĂ©dagogues et intĂ©ressĂ©s par nos ressentis ! Certains lecteurs, nous ne les ignorons pas, puisent leur indĂ©pendance Ă  d’autres sources philosophiques que nous mais partagent avec nous ce dĂ©sir farouche de ne plus subir le catĂ©chisme hygiĂ©niste, lĂ©galiste et Ă©galitaire de l’époque. 

Jeudi 20 juin Ă  la radio, sur La PremiĂšre, une Ă©trange chanson est passĂ©e aux alentours de 19h50. InterprĂ©tĂ©e par un groupe suisse nommĂ©e WolfWolf (l’anglais Ă©tant devenu une langue nationale), elle Ă©voquait complaisamment des usages trĂšs Ă©tranges de l’eau bĂ©nite des catholiques. On y dĂ©crivait, dans un blues un peu macabre, des individus s’en servant pour tirer la chasse d’eau, prĂ©parer le thĂ© ou arroser les plantes… Cette crĂ©ativitĂ© dans l’outrance, Ă  vrai dire, aurait presque mĂ©ritĂ© le respect Ă  une pĂ©riode de l’histoire oĂč moquer la religion des chrĂ©tiens reprĂ©sentait encore une prise de risques. En des temps moins grotesques que les nĂŽtres, oĂč le nihilisme ne s’apprenait pas encore en garderie Ă  grands coups de Drag Queens Story Hours, peut-ĂȘtre mĂȘme aurions-nous trouvĂ© tout cela audacieux. 

Un extrait du clip des Wolfwolf, dont la chanson passait récemment sur le service public.

« Paternalisme total d’un cĂŽtĂ©, rĂ©gression subventionnĂ©e de l’autre Â», voilĂ  ce que conclurait notre visiteur dĂ©sabusĂ©. Mais Ă  ceux qui, comme nous, ont gardĂ© le prĂ©cieux sens de la libertĂ©, nous voulons rappeler la belle devise de la ville d’Yverdon-les-Bains : ce fameux Superna quaerite, inscrit sur le fronton du temple pour nous appeler Ă  « rechercher les choses d’en haut Â».

En haut, tout en haut, nous voulons croire qu’il n’y a plus d’élus pour tenter de nous interdire la dĂ©gustation de modules cubains. Nous voulons aussi croire qu’il n’y a plus personne pour prĂ©tendre nous reprĂ©senter dans un hĂ©micycle. 




Matlosa, l’étranger

Ce roman de Daniel Maggetti raconte l’histoire de son grand-pĂšre maternel, un charbonnier italien des PrĂ©alpes lombardes, qui a fini par Ă©migrer au Tessin oĂč sa descendance s’établit. Le « je Â» du texte est l’auteur lui-mĂȘme, Daniel Maggetti, nĂ© en 1961 dans un village suisse, dans les Cento valli, Borgnone, au pied de « la montagne qui hurle Â». Il n’en parle pas par pudeur ici, mais Daniel Maggetti devra Ă©migrer Ă  son tour pour faire des Ă©tudes universitaires, destin de tout Tessinois embrassant cette voie. Il ira Ă  Lausanne et y accomplira une brillante carriĂšre le menant Ă  son poste de professeur de littĂ©rature romande Ă  l’universitĂ© de Lausanne et de directeur du Centre des littĂ©ratures en Suisse romande. Il aura aussi Ă©migrĂ© dans une autre langue, le français, dont la maĂźtrise est devenue limpide. Lui-mĂȘme a dĂ» quelque part procĂ©der Ă  un pĂ©riple d’expatriation semblable Ă  celui de son grand-pĂšre, Cecchino, de son Ă©pouse, Rosa, et de sa mĂšre, Irma. Changement de lieu, de culture, de mondes, de langues presque surtout. On pourra noter incidemment que la vie d’un expatriĂ© n’est pas forcĂ©ment, de nos jours en particulier, plus dure que celle d’un autochtone, car la vie prĂ©sente des dĂ©fis et des pĂ©rils autres que ceux du dĂ©racinement. Et si sur les autres plans, il y a plutĂŽt rĂ©ussites, dĂ©veloppement et Ă©quilibre, que ce soient sur les plans professionnels, du dĂ©veloppement personnel, d’un Ă©panouissement psycho-affectif, etc., le dĂ©fi d’ĂȘtre dĂ©racinĂ© peut ĂȘtre moins pĂ©nible Ă  gĂ©rer, bien moins lourd Ă  porter que ce que Cecchino, Rosa et Irma durent porter, affectĂ©s de leur statut de matlosa pour le dire dans le dialecte tessinois, emprunt Ă  l’allemand « Heimatlos Â», qui signifie « sans partrie Â», « Ă©tranger Â», venu de nulle part dans une Ă©poque oĂč la xĂ©nophobie Ă©tait plus ou moins violente selon l’autochtone concernĂ©, parfois absente par l’éclat de personnes humanistes. 

L’auteur indique prĂ©cisĂ©ment qu’une des questions qui l’a beaucoup travaillĂ© fut celle de l’appartenance et de l’identitĂ©. Et, ce jeune homme qu’il Ă©tait, aprĂšs ĂȘtre allĂ© quelques jours dans le village d’origine des Bologne, celui de ses grands-parents et de sa mĂšre, Ă  Mura, Ă  quelques dizaines de kilomĂštres au nord de Brescia, et donc Ă  une bonne centaine de kilomĂštres Ă  vol d’oiseau du Tessin, vĂ©cut une sorte d’« initiation Â», cette visite, dit-il, « m’obligea Ă  me questionner sur l’appartenance et l’identitĂ©, sur leur rĂ©alitĂ© et leurs intermittences, puis Ă  interroger mon lien jusque-lĂ  indiscutĂ© avec la vallĂ©e tessinoise oĂč j’étais si enracinĂ© qu’il me semblait y ĂȘtre Ă  ma place autant que les pierres du chemin Â» (p. 128).

Cette chronique est trĂšs vivante et enseigne une foule de choses au lecteur de maniĂšre subtile et claire, avec un esprit on pourrait dire maupassantien, et l’auteur de reconnaĂźtre parfois pĂȘcher par « excĂšs de rĂ©alisme » (p. 98), mais le rĂ©alisme n’est-il pas fondamental pour qui veut voir le rĂ©el tel qu’il est, sans illusion, faux-semblant ou autres hypocrisies ? Ce roman se lit d’une traite grĂące Ă  sa langue intelligente et fluide.

Une communautĂ© doit conserver sa culture, son ethos, mais celui-ci mĂ©rite d’évoluer aussi, peut-ĂȘtre plutĂŽt lentement, et la communautĂ© doit ĂȘtre capable d’accueillir l’étranger, de bien traiter le matlosa.

Enfin, son message est certainement humaniste en ce qu’il incline Ă  trouver peut-ĂȘtre un Ă©quilibre entre identitĂ© et diffĂ©rence, entre enracinement et dĂ©racinement, amenant Ă  de nouveaux enracinements. L’homme est comme une plante, il a besoin de racines. Et cet arbre que nous sommes aussi a besoin de respect, d’amour, d’eau, de bonne terre, pour bien s’enraciner et se dĂ©velopper, allonger et Ă©paissir ses branches, avoir un beau feuillage et donner de beaux fruits. 

L’identitĂ© est un tissu subtil qui lie tradition et nouveautĂ©, qui lie paradoxalement identitĂ© et altĂ©ritĂ©. Une communautĂ© doit conserver sa culture, son ethos, mais celui-ci mĂ©rite d’évoluer aussi, peut-ĂȘtre plutĂŽt lentement, et la communautĂ© doit ĂȘtre capable d’accueillir l’étranger, de bien traiter le matlosa. Assimilation, enrichissement rĂ©ciproque et chaleur humaine, pour ne pas dire amour. Du reste, l’importance de ce thĂšme dans ce tĂ©moignage est finement montrĂ©e par son dĂ©but qui prĂ©sente la xĂ©nophobie de l’Eufemia — une forme de la mĂ©chancetĂ© â€”, une femme habitant le village suisse de Verscio, prĂšs de Locarno, oĂč le grand-pĂšre fit venir sa famille. C’est la grande question de l’identitĂ© culturelle. Une communautĂ© semble avoir besoin d’une certaine culture partagĂ©e et traditionnelle, et l’étranger devra s’y assimiler petit Ă  petit. Mais la communautĂ© doit aussi ĂȘtre accueillante et veiller Ă  ne pas ĂȘtre xĂ©nophobe, ni raciste. La communautĂ© doit ĂȘtre humaniste pour tout homme venant d’ailleurs, tout matlosa, qui a dĂ©cidĂ© de « suspendre son chaudron Ă  polenta Â» lĂ  oĂč il est, ici, dĂšs lors qu’il se comporte bien avec la communautĂ© qui l’accueille aussi. Et le matlosa, le dĂ©racinĂ©, devient alors un ami, un frĂšre.

Daniel Maggetti, Matlosa, éd. Zoé, 2023.
Sur le site de l’Ă©diteur : https://editionszoe.ch/livre/matlosa




Pour apaiser l’universitĂ©, faut-il mieux encadrer ses Semaines d’Actions contre le Racisme ?

« Les femmes et le Coran », « ExpĂ©riences, rĂ©sistances et mobilisations des femmes musulmanes », « BoĂźte Ă  outils antiracistes » destinĂ©e aux « étudiant·exs racisé·exs de l’UNIL et de l’EPFL »… 

Avec une ribambelle de propositions de ce genre, la Semaine d’Action contre le Racisme de l’UniversitĂ© de Lausanne avait suscitĂ© quelques interrogations, fin mars. En cause : l’oubli de la question de l’antisĂ©mitisme, une idĂ©ologie fortement « dĂ©coloniale » et la participation du trĂšs antisioniste Kehinde Andrews, titulaire de la chaire d’Ă©tudes noires Ă  la Birmingham City University. Un intellectuel, rappelait Watson, qui invitait Ă  ne pas confondre « terreur » et « rĂ©volution » Ă  propos de la lutte armĂ©e du Hamas.

PrĂ©sentation de l’Ă©vĂ©nement sur le site de l’Unil.

De nombreux articles ont Ă©tĂ© Ă©crits Ă  propos des Ă©vĂ©nements qui ont suivi sur le campus : occupation militante, chants controversĂ©s, fichage de professeurs collaborant avec des universitĂ©s israĂ©liennes… Aujourd’hui, le calme semble rĂ©tabli mais selon certains rĂ©cits qui nous parviennent rĂ©guliĂšrement, toutes les plaies ne sont pas encore guĂ©ries entre collĂšgues. Alors que faire pour Ă©viter que l’histoire ne se rĂ©pĂšte ? Et quelles leçons tirer de cet Ă©pisode ? Les rĂ©ponses d’Amina Benkais-Benbrahim, DĂ©lĂ©guĂ©e Ă  l’intĂ©gration et Cheffe du Bureau cantonal vaudois pour l’intĂ©gration des Ă©trangers et la prĂ©vention du racisme (BCI).

– Pensez-vous que la Semaine d’actions contre le racisme de l’Unil aurait mieux dĂ» intĂ©grer la question de l’antisĂ©mitisme ?

Le BCI ne fixe pas le programme de la Semaine contre le racisme, ne dĂ©finit pas de thĂ©matique spĂ©cifique Ă  chaque Ă©dition. ConcrĂštement, il coorganise des Ă©vĂ©nements, soutient les actions proposĂ©es par les acteurs de terrain (souvent des initiatives associatives ou communales), les coordonne, participe Ă  leur financement et les relaie, notamment en publiant des informations sur la Semaine sur son site. Dans le cadre de l’édition 2024 de la Semaine d’Action contre le Racisme (SACR), 18 actions ont Ă©tĂ© soutenues par le BCI. Chaque porteur de projet -l’UNIL en est un parmi d’autres- est libre de son programme.

Cette approche ne se limite pas Ă  la Semaine contre le racisme, le BCI est Ă©galement en soutien de diverses actions en faveur de l’intĂ©gration et le vivre ensemble tout au long de l’annĂ©e.

L’antisĂ©mitisme, Ă  l’instar de toutes formes de racisme, doit ĂȘtre combattu et pas seulement pendant la Semaine contre le racisme ou Ă  l’occasion de crises au Proche-Orient.  Le BCI est attentif Ă  cet aspect du racisme. Ainsi en mai dernier, dans le cadre d’une sĂ©ance rĂ©unissant 150 partenaires du BCI, une confĂ©rence sur la lutte contre le racisme et l’antisĂ©mitisme a explicitĂ© les diffĂ©rentes notions et dĂ©finitions 

Image tirĂ©e d’une vidĂ©o partagĂ©e sur les rĂ©seaux sociaux par le prĂ©sident du PS Vaudois, Romain Pilloud, au pic de l’occupation.


– Pensez-vous qu’il peut y avoir un lien entre cette semaine qui avait alertĂ© pas mal de personnes engagĂ©es contre l’antisĂ©mitisme et les Ă©vĂ©nements subsĂ©quents Ă©voquĂ©s ci-dessus ?

Je ne suis pas en mesure de rĂ©pondre Ă  cette question. En revanche, nous savons Ă  quel point le conflit israĂ©lo-palestinien est extrĂȘmement sensible. Ce qui me parait essentiel c’est de rester attentif Ă  toutes les manifestations de racismes quel qu’elles soient, de continuer Ă  sensibiliser le public et Ă  accompagner les personnes confrontĂ©es Ă  ces manifestations. 

– Allez-vous suggĂ©rer de resserrer la vis au niveau du programme de cette semaine l’annĂ©e prochaine ?

Le BCI ne fixe pas le programme de la Semaine contre le racisme. Il soutient, notamment financiĂšrement, les initiatives et actions proposĂ©es par les acteurs de terrain (en particulier communes et associations). 

Aussi, nous encourageons vivement les organisations et associations qui luttent contre l’antisĂ©mitisme Ă  dĂ©poser des projets dans la perspective de la Semaine contre le racisme.

Le regard de Nadine Richon, blogueuse au Peuple et membre fondateur du RĂ©seau laĂŻque romand

Antisémitisme et actions contre le racisme

Je pense (…) que cette semaine contre le racisme a complĂštement ratĂ© la cible de l’antisĂ©mitisme, alors mĂȘme qu’on Ă©tait dĂ©jĂ  face Ă  une recrudescence du phĂ©nomĂšne, en partie liĂ©e Ă  la guerre de Gaza. Je ne sais pas si une information sur l’antisĂ©mitisme, Ă  ce moment-lĂ , aurait pu attĂ©nuer l’actuel recours dĂ©complexĂ© Ă  une critique d’IsraĂ«l fondĂ©e sur sa caractĂ©ristique de petit État juif dans l’ocĂ©an du Proche-Orient, mais on peut penser que oui.

Il me semble que le politique doit inviter les enseignants actuels et en formation Ă  Ă©clairer la jeunesse de notre pays sur le lien entre l’antisĂ©mitisme et le slogan « de la riviĂšre Ă  la mer », empruntĂ© Ă  l’OLP des annĂ©es 1960, et banalisĂ© aujourd’hui par les occupants de nos universitĂ©s. Si bien qu’on a vu un dirigeant du Hamas comme Khaled Mechaal fĂ©liciter les « étudiants amĂ©ricains et europĂ©ens » pour leur reprise du fameux slogan, en y ajoutant lui-mĂȘme « et du nord au sud » pour faire la jonction avec le Hezbollah.

Il faut rappeler une chose, cependant : ces Ă©tudiants reprĂ©sentent une minoritĂ© bruyante et faussement pacifiste, mais trĂšs marginale en Suisse. En outre, il faudrait se demander pourquoi la lutte contre l’islamophobie a pris une telle ampleur de nos jours, alors mĂȘme que l’hostilitĂ© envers les musulmans de Suisse n’est pas plus flagrante qu’envers les juifs. Cela dit, aucune sociĂ©tĂ© n’est totalement immunisĂ©e contre le racisme et il y aura toujours du boulot dans ce domaine.

Il convient cependant de ne pas confondre racisme et critique d’une religion. Si l’expression publique de l’islam est absolue en Iran, par exemple, aucune religion ne peut se prĂ©valoir de tous les droits dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Une telle revendication risque d’accentuer le racisme envers des personnes tout Ă  fait paisibles, et mĂȘme pas forcĂ©ment religieuses, mais identifiĂ©es comme appartenant Ă  cette religion qui serait jugĂ©e pour le coup un peu trop remuante.




L’observatoire du progrùs // juin 2024

Les dents de l’amertume

« C’est de l’apocalypse cognitive. C’est quasiment de la fake news. On importe une problĂ©matique qui n’a jamais existĂ© dans l’Hexagone ». Fondateur du Groupe PhocĂ©en d’Étude des Requins, Nicolas Ziani n’a pas de mots assez forts pour dĂ©noncer le blockbuster du moment de Netflix. Il faut dire que la machine Ă  broyer les cerveaux fait une bien vilaine pub Ă  ses protĂ©gĂ©s avec le film « Sous la Seine Â», qui met en scĂšne un gang de requins mako croqueurs de triathlĂštes. Un scĂ©nario qui n’a « aucune crĂ©dibilitĂ© scientifique Â», tonne l’amoureux des squales dans les colonnes du Parisien

Seulement sur Netflix.

Que l’on ne s’y mĂ©prenne pas, il y a quelque chose de touchant Ă  voir un homme faire pareillement corps avec son sujet d’étude. Mais l’on se prend tout de mĂȘme Ă  redouter les rĂ©actions de la communautĂ© scientifique pour un prochain remake des Gremlins. 

*

Garde la pĂȘche

Il restait peut-ĂȘtre un ultime domaine de l’existence oĂč un bataillon de communicants n’avait pas encore entrepris de nous rĂ©Ă©duquer : la maniĂšre dont nous tentons de satisfaire discrĂštement nos besoins naturels en randonnĂ©e. C’en est terminĂ© puisque le Club Alpin Suisse et l’association Suisse Rando ont eu la judicieuse idĂ©e de lancer la campagne « Pose ta pĂȘche Â» sur les rĂ©seaux sociaux, soutenue par des vidĂ©os « humoristiques Â» et un hashtag aussi Ă©lĂ©gant que #scheissmoment dans la langue de Goethe. 

Qu’est-ce qu’on y apprend ? À prĂ©fĂ©rer les WC des cabanes plutĂŽt que le bord du chemin, Ă  ne pas se vautrer en se planquant derriĂšre un sapin ou encore Ă  ne pas polluer les cours d’eau. Avec 3400 vues pour la vidĂ©o en français qui a eu le plus de succĂšs, Ă  la mi-juin, on peut se demander si la campagne a trouvĂ© son public. Peut-ĂȘtre qu’une saison 2 consacrĂ©e aux bons spots pour vomir sur les glaciers aura davantage de succĂšs.

Qu’en termes Ă©lĂ©gants ces choses-lĂ  sont dites.

*

Terre et Sororiture

AprĂšs la journĂ©e internationale contre l’homophobie et la transphobie du 17 mai, c’était au tour du mois de juin entier d’ĂȘtre consacrĂ© aux fiertĂ©s, avec en point d’orgue une manifestation sur plusieurs jours Ă  Zurich. Mais face Ă  l’avalanche des libĂ©rateurs-teufeurs, une Ă©trange espĂšce rĂ©siste : la femme en colĂšre, qui dĂ©file le 14. Le journal Terre et Nature a d’ailleurs donnĂ© la parole Ă  l’une d’entre elles dans son Ă©dition du 13 juin. Soucieuse de faire « Ă©voluer les mentalitĂ©s Â» et d’en finir avec la « division genrĂ©e du travail Â», Aline Chollet y raconte l’histoire personnelle qui l’a poussĂ©e Ă  cofonder l’association Les Femmes de la Terre: en clair, un affreux conflit familial liĂ© Ă  la reprise du domaine (et amplifiĂ© par sa prise de contact avec une avocate). Mais pour le reste, ambiance au top et on a vraiment envie de la suivre dans sa dĂ©fense des « intĂ©rĂȘts de toutes les femmes et personnes non binaires (ndlr et Dieu sait combien elles sont nombreuses) dans le secteur Â». D’ailleurs on ne va pas se mentir : loin des chars technos des Pride en tous genres, il y a quelque chose de rafraĂźchissant Ă  voir une travailleuse de la terre qui sait encore tirer une bonne gueule d’enterrement pour rĂ©clamer des Ă©volutions sociĂ©tales.

*

Les blagues les plus courtes…

Au BĂŒrgenstock, dans les alpes suisses, un sommet pour la paix entre la Russie et l’Ukraine a Ă©tĂ© organisĂ© en juin sans que la Russie ne soit invitĂ©e. Nul besoin de chute, c’en est dĂ©jĂ  une.


*

Footage de gueule

Le comitĂ© central de l’Association suisse de football (ASF) compte dĂ©sormais deux femmes parmi ses Ă©lus : la conseillĂšre nationale bernoise Aline Trede et surtout la prĂ©sidente du Conseil d’État vaudois Christelle Luisier Brodard ! Hourra ! Flonflons ! Il faut dire que la Payernoise a de solides raisons de s’engager dans le monde du ballon rond : la volontĂ© de promouvoir le sport fĂ©minin, d’abord, mais aussi la conviction que le sport est carrĂ©ment « l’un des ciments de notre sociĂ©tĂ© Â», comme elle l’explique sur le site de l’ASF.  Vu comme ça, on comprend qu’elle rajoute du boulot inutile Ă  une tĂąche de ministre rĂ©putĂ©e Ă©reintante. 

*

Tout pour le Peuple, tout par le peuple !

« Une Ă©glise n’est pas la maison de Dieu, mais la maison du peuple Â». Non vous ne rĂȘvez pas, cette dĂ©claration n’est ni de LĂ©nine, ni de Staline (ni de Nabilla) mais bien de Jean-Marie Duthilleul. Si son nom ne vous dit rien, sachez que cet architecte est connu chez nous pour son travail du cĂŽtĂ© de l’abbatiale de St-Maurice (VS), au SacrĂ©-CƓur Ă  GenĂšve ou encore chez les cisterciens de Hauterive (FR) en ce moment. Une Ă©glise « rĂ©vĂšle d’abord la fraternitĂ© entre les humains, mĂȘmes s’ils ne sont pas croyants Â» ose encore le crĂ©ateur sur le site de l’Église catholique genevoise. Et on se dit que si on avait appliquĂ© d’aussi beaux principes au siĂšcle dernier, on aurait bĂąti des goulags aux lignes trĂšs Ă©purĂ©es !

*

Au moins, c’est une femme

« Dans le monde rĂ©ellement renversĂ©, le vrai est un moment du faux.» – Guy Debord, La SociĂ©tĂ© du spectacle, 1967.

Autrefois, les Ă©lections de Miss Ă©taient assez simples. Il s’agissait de choisir une trĂšs jolie fille en espĂ©rant qu’elle soit capable d’articuler deux propositions, dans une ambiance dĂ©crĂ©pie et un peu glauque. Il y avait une dimension de foire animaliĂšre, d’accord, mais tempĂ©rĂ©e par le cĂŽtĂ© chic. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, pour des concours inclusifs et « inspirants Â», certains concours de beautĂ© ont la particularitĂ© de dĂ©boucher sur des Ă©lections de personnes Ă  la plastique quelconque, pour autant qu’elles aient un message Ă  donner au monde. Ainsi Sara Milliken, Ă©lue Miss National American Alabama 2024 non pas « malgrĂ© Â» mais grĂące Ă  un surpoids manifeste, qu’elle vit bien. De quoi agacer la gagnante du « vrai Â» titre de Miss Alabama, une blonde au physique plus caractĂ©ristique de ce genre d’évĂ©nements. Il n’y a pas de raison pourtant : libre Ă  elle de se laisser pousser quelques mentons pour tenter d’obtenir la gloire qu’elle mĂ©rite.