AprĂšs avoir publiĂ© de nouvelles traductions de Max Scheller (Lâhomme du ressentiment) et de G.K. Chesterton (Orthodoxie), ainsi que la premiĂšre version française de LâĂtat servile dâHilaire Belloc, les Ă©ditions Carmin poursuivent leur Ćuvre de salubritĂ© intellectuelle en Ă©ditant deux Ćuvres de ThĂ©odore Darymple. Quel est lâintĂ©rĂȘt de cet auteur britannique inconnu du public francophone ?
Depuis bien longtemps jâapprĂ©cie et goĂ»te presque quotidiennement Ă la prose de Bossuet, lâintraitable et pourtant irĂ©nique Ă©vĂȘque de Meaux. Je garde prĂ©cieusement dans ma sabretache un petit volume de lâauteur du Grand SiĂšcle, que ce soient les Oraisons funĂšbres, les Discours sur lâhistoire universelle, les ElĂ©vations ou encore lâHistoire des variations des Ă©glises protestantes. Dans les transports publics, lors de pauses ou en compagnie de raseurs, je sors mon « Bossuet ». Il y a quelques semaines je suis tombĂ© sur une phrase toujours mal citĂ©e et souvent tronquĂ©e du grand Ă©vĂȘque : « Mais Dieu se rit des priĂšres quâon lui fait pour dĂ©tourner les malheurs publics, quand on ne sâoppose pas Ă ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on lâapprouve et quâon y souscrit, quoique ce soit avec rĂ©pugnance ». Ce constat clair et sans appel nâa pas pris une ride et vaut pour nous aujourdâhui. Force est de constater que peu dâauteurs vont au-delĂ de la dĂ©ploration de ce qui ne va pas. Les deux livres de ThĂ©odore Darymple : Life at the Bottom (Zone et chĂątiment) et Our Culture, Whatâs left of it (Culture du vide), que viennent de traduire et de publier les Ă©ditions Carmin, nous ouvrent un chemin sans concession ni prise de tĂȘte afin de comprendre les causes de la dĂ©cadence de notre sociĂ©tĂ©.
Theodore Darlymple, de son vrai nom Anthony Malcolm Daniels est un auteur, psychiatre et critique culturel britannique. Loin de se contenter de thĂ©ories et de vaticinations convenues, il nous propose des analyses profondĂ©ment influencĂ©es par son expĂ©rience de mĂ©decin et de psychiatre dans les quartiers les plus dĂ©favorisĂ©s et les prisons anglaises. Il ne sâagit pas de rĂ©sumer les ouvrages qui viennent de paraĂźtre en français, mais plutĂŽt dâexplorer les idĂ©es centrales de la pensĂ©e de Darymple.
Darlymple propose des analyses influencées par son expérience de médecin et de psychiatre dans les quartiers les plus défavorisés et les prisons anglaises
Littérature et philosophie
Bien que les Ă©crits de Darymple fassent rĂ©fĂ©rence Ă ses riches expĂ©riences professionnelles, il sâappuie frĂ©quemment sur des Ćuvres littĂ©raires pour illustrer ses points de vue et fournir des perspectives plus approfondies tant sur la sociĂ©tĂ© que sur la nature humaine. Des auteurs tels que Fiodor DostoĂŻevski, Georges Orwell et Joseph Conrad comptent parmi ses influences clefs, offrant ainsi des perspectives sur la complexitĂ© de la condition humaine ainsi que les dilemmes auxquels sont confrontĂ©s les personnes et les sociĂ©tĂ©s.
Lâutilisation de la littĂ©rature par Darymple nâest pas dĂ©corative mais elle sert Ă souligner ses arguments et Ă fournir un contexte plus riche Ă ses critiques. Par exemple, il fait souvent rĂ©fĂ©rence Ă DostoĂŻevski sur les questions existentielles, ceci afin de souligner lâimportance de la clartĂ© morale et les dangers du nihilisme. De mĂȘme, la critique dâOrwell sur le totalitarisme et la manipulation de la vĂ©ritĂ© font Ă©chos aux prĂ©occupations de Dalrymple concernant lâĂ©rosion des normes et lâimpact du relativisme. Selon Darymple, « la littĂ©rature nous offre un miroir de la condition humaine, nous aidant Ă comprendre les profondeurs de lâĂąme et les enjeux moraux de nos actions ». (La Culture du vide – 2005)
Philosophiquement, Darymple sâinscrit dans la tradition conservatrice anglaise qui valorise la responsabilitĂ© individuelle, lâordre social et la prĂ©servation de lâhĂ©ritage culturel. Il est influencĂ© par des penseurs tels quâEdmund Burke, qui a mis en avant lâimportance de la tradition et les dangers du changement radical. Darlymple partage le scepticisme de Burke Ă lâĂ©gard des grands projets utopiques et les rĂ©formes radicales, soulignant plutĂŽt la nĂ©cessitĂ© de maintenir les structures sociales qui ont prouvĂ© leur efficacitĂ© au fil du temps : « Les leçons du passĂ©, incarnĂ©es par nos traditions, sont les guides indispensables pour affronter les dĂ©fis du prĂ©sent et du futur » (Spoilt Rotten : The Toxic Cult of Sentimentality â 2010)
Les malheurs de lâĂtat-providence
La critique de lâĂtat-providence est un thĂšme rĂ©current de la pensĂ©e de Darlymple. Bien que lâĂtat-providence soit conçu pour aider les nĂ©cessiteux, il crĂ©e souvent une culture de dĂ©pendance qui prive les individus de leur sens des responsabilitĂ©s et de lâinitiative personnelle. Dans Zone et chĂątiment, Darlymple illustre comment le systĂšme de protection sociale peut piĂ©ger les personnes dans un cycle de pauvretĂ© et de dĂ©sespoir, favorisant ainsi un microcosme oĂč la dĂ©pendance Ă lâaide de lâĂtat devient une façon de vivre.
Pour Dalrymple, lâĂtat-providence encourage malgrĂ© lui une mentalitĂ© de droit plutĂŽt quâune mentalitĂ© de responsabilitĂ©. Il nâhĂ©site pas Ă raconter de nombreuses anecdotes tirĂ©es de sa pratique mĂ©dicale, dĂ©crivant des patients habituĂ©s Ă vivre des prestations sociales et perdant toute motivation pour amĂ©liorer leur situation. Cette dĂ©pendance Ă©roderait la dignitĂ© et le respect de soi, conduisant Ă un sentiment dâapathie et de rĂ©signation inconscient.
De plus, Darymple soutient que lâĂtat-providence affaiblit les liens communautaires et familiaux. En effet, traditionnellement, les familles et les communautĂ©s locales fournissaient un soutien Ă leurs membres, dĂ©veloppant un sens des obligations mutuelles et de lâinterdĂ©pendance. LâĂtat-providence remplace les rĂ©seaux traditionnels, conduisant Ă une atomisation sociale et Ă une diminution de la cohĂ©sion communautaire et sociale.
Le relativisme comme nouvelle valeur
Un aspect significatif de la pensĂ©e de Dalrymple rĂ©side dans la critique sans concession de la dĂ©cadence culturelle et morale de la sociĂ©tĂ© contemporaine. Il observe que lâĂ©rosion des valeurs traditionnelles telles que la discipline, le respect de lâautoritĂ© et la responsabilitĂ© personnelle a conduit Ă un malaise sociale gĂ©nĂ©ralisĂ©. Dans La Culture du vide, Dalrymple dĂ©plore la montĂ©e du relativisme, quâil considĂšre comme une excuse et mĂȘme une incitation aux comportements destructeurs.
Dalrymple soutient que lâabandon des normes mĂšne Ă une sociĂ©tĂ© oĂč tout est permis, ce qui entraĂźne une perte dâordre et de cohĂ©sion sociale. Il critique les Ă©lites intellectuelles et culturelles autoproclamĂ©es, quâil appelle les « mandarins », pour avoir promu le relativisme et sapĂ© le tissu moral de la sociĂ©tĂ©. Ces pseudo-Ă©lites justifient trop souvent les comportements et les attitudes nuisibles sous prĂ©texte de tolĂ©rance et de comprĂ©hension, affaiblissant ainsi les normes sociales qui maintiennent lâordre et la civilitĂ©.
Les consĂ©quences ne se font par attendre et sont Ă©vidente selon Dalrymple. Lâauteur note une augmentation de lâincivilitĂ©, du manque de respect ainsi que de lâagressivitĂ© pure et simple dans la vie publique. Il attribue cela Ă lâaffaissement de lâĂ©ducation et Ă lâabsence de rĂšgles Ă©thiques claires. A son avis, lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©choue Ă inculquer le sens du bien et du mal Ă ses membres, elle prĂ©pare le chemin Ă une augmentation des comportements antisociaux.
Dalrymple relĂšve que cette dĂ©cadence morale est souvent la plus visible dans les environnements dĂ©favorisĂ©s oĂč il a travaillĂ©. Pour lui, les attitudes permissives et lâabsence de ligne Ă©thique explicite contribuent Ă perpĂ©tuer les problĂšmes sociaux (toxicomanie, dĂ©sintĂ©gration familiale, violence, etc.).
LâĂ©chec de la famille et de lâĂ©ducation
Dalrymple accorde une grande importance Ă la famille en tant que pilier de la stabilitĂ© sociale. Il critique les politiques et les « questions sociĂ©tales » qui sapent la structure familiale traditionnelle. Dans un grand nombre de ses Ă©crits, il souligne les effets nĂ©fastes de la dĂ©sintĂ©gration de la cellule familiale, en particulier la montĂ©e des foyers monoparentaux, quâil associe Ă divers maux sociaux, y compris la dĂ©linquance juvĂ©nile et lâĂ©chec scolaire.
N’en dĂ©plaise aux bien-pensants, Dalrymple croit que les enfants Ă©levĂ©s dans des familles stables Ă deux parents sont plus susceptibles de dĂ©velopper les valeurs nĂ©cessaires Ă une vie rĂ©ussie. Il soutient que la famille traditionnelle offre un environnement propice Ă lâapprentissage du respect, de la responsabilitĂ© et de la maĂźtrise de soi. Au contraire, la dĂ©sintĂ©gration de la famille conduit souvent Ă des environnements oĂč les enfants manquent de rĂ©fĂ©rences et de soutien appropriĂ© : « La dĂ©sintĂ©gration de la famille est Ă la racine de nombreux problĂšmes sociaux, privant les enfants dâun cadre stable et disciplinĂ© » (Spoilt Rotten : The Toxic Cult of Sentimentality â 2010)
En parallĂšle Ă la famille, lâĂ©ducation est un autre domaine oĂč Dalrymple voit les problĂšmes les plus significatifs. Il critique les pĂ©dagogies modernes qui, selon lui, se sont Ă©loignĂ©es de la transmission des connaissances fondamentales et des valeurs traditionnelles. Dalrymple est particuliĂšrement critique avec les thĂ©ories Ă©ducatives progressistes qui mettent lâaccent sur lâexpression et lâestime de soi au dĂ©triment des savoirs acadĂ©miques et de lâĂ©ducation morale.
Il soutient que de telles approches nâarrivent pas Ă doter les Ă©tudiants des compĂ©tences et de la discipline nĂ©cessaires pour rĂ©ussir dans la vie : « LâĂ©ducation moderne, centrĂ©e sur lâestime de soi plutĂŽt que sur la rigueur acadĂ©mique, produit des individus mal prĂ©parĂ©s Ă affronter les dĂ©fis de la vie» (idem). En fait, Dalrymple croit quâun retour aux valeurs Ă©ducatives traditionnelles, accompagnĂ© dâune Ă©thique du travail, de respect de lâautoritĂ© et de la transmission de lâhĂ©ritage culturel sont essentiels pour inverser cette tendance mortifĂšre.
Les causes de la délinquance
Dalrymple, ayant travaillĂ© dans des prisons et des quartiers dĂ©favorisĂ©s, offre un autre regard sur les causes de la criminalitĂ©. Il rejette lâidĂ©e que cette derniĂšre soit principalement causĂ©e par des facteurs Ă©conomiques. Il soutient que la criminalitĂ© rĂ©sulte bien souvent de dĂ©ficiences Ă©thiques et culturelles. Dans The Knife Went in (2014), examinant les parcours de vie des criminels, il trouve que beaucoup sont issus de milieux marquĂ©s par des dysfonctionnement familiaux et sociaux plutĂŽt que par des difficultĂ©s Ă©conomiques. Pour lui, « la criminalitĂ© nâest pas simplement une consĂ©quence de la pauvretĂ©, mais souvent le rĂ©sultat de choix moraux et de contextes culturels dĂ©faillants ».
Dalrymple soutient que la vision habituelle des dĂ©linquants comme victimes de leurs circonstances ignore le rĂŽle des choix individuels et Ă©thique. Il soutient quâen se concentrant trop sur les explications socio-Ă©conomiques, on empĂȘche la sociĂ©tĂ© de traiter les problĂšmes moraux et culturels sous-jacents qui conduisent Ă la dĂ©linquance. Cette constatation lâamĂšne Ă plaide pour des actions sociales qui mettent lâaccent sur la responsabilitĂ© personnelle et la rĂ©forme morale plutĂŽt que sur une simple intervention Ă©conomique.
Un thĂšme rĂ©current dans lâanalyse de la criminalitĂ© et de la dĂ©linquance est ce que Dalrymple appelle la « culture de lâexcuse ». Il soutient que la sociĂ©tĂ© contemporaine cherche Ă excuser le comportement dĂ©linquant en lâattribuant Ă des facteurs externes tels que la pauvretĂ©, le manque de chance ou des traumatismes psychologiques. Tout en reconnaissant que de tels facteurs puissent jouer un rĂŽle, Dalrymple insiste sur le fait quâils ne dĂ©chargent pas les personnes de leur responsabilitĂ©.
Dalrymple nâest pas tendre avec le systĂšme de justice pĂ©nale ainsi quâavec les services sociaux pour avoir adoptĂ© une approche thĂ©rapeutique bienveillante plutĂŽt que punitive face Ă la criminalitĂ©. Cette tendance Ă excuser le comportement criminel conduit Ă un manque de responsabilitĂ© et perpĂ©tue un cycle de rĂ©cidives. A rebours de la pensĂ©e dominante, il en appelle au retour dâune justice qui met lâaccent sur la punition et la dissuasion, soutenant quâune telle approche serait plus susceptible de rĂ©duire la criminalitĂ© et de prĂ©server lâordre social.
La faillite des Ă©lites
Dalrymple est trĂšs critique avec les Ă©lites intellectuelles et culturelles. Il les accuse dâavoir jouĂ© un rĂŽle significatif dans la promotion dâidĂ©es et de politique qui ont sapĂ© et affaibli les valeurs traditionnelles et lâordre social. Il soutient que ces Ă©lites vivent de vies isolĂ©es, dĂ©connectĂ©es de la rĂ©alitĂ© Ă laquelle sont confrontĂ©es les classes populaires. Cette dĂ©connexion les conduit Ă endosser des idĂ©ologies et des politiques progressistes qui exacerbent les problĂšmes sociaux au lieu de les attĂ©nuer.
Dans Le Nouveau Syndrome de Vichy : pourquoi les intellectuels europĂ©ens abdiquent face Ă la barbarie (2010), Dalrymple dĂ©crypte comment les intellectuels europĂ©ens, animĂ©s par un sentiment de culpabilitĂ© et un dĂ©sir de paraĂźtre compatissant, ont embrassĂ© le relativisme culturel et lâanti-occidentalisme. Il soutient que cet Ă©tat dâesprit affaiblit lâidentitĂ© culturelle de lâEurope et sa capacitĂ© Ă relever efficacement les dĂ©fis sociaux.
Les valeurs traditionnelles
La pensĂ©e de Dalrymple est fondamentalement conservatrice. Elle met lâaccent sur lâimportance des valeurs traditionnelles et la mĂ©fiance envers les grands projets « sociĂ©taux ». Il croit que des principes tels que lâĂ©thique du travail, lâautodiscipline et le respect de lâautoritĂ© sont essentiels pour maintenir une sociĂ©tĂ© stable et prospĂšre.
Le conservatisme de Dalrymple se mĂ©fie aussi de lâimplication Ă©tendue de lâĂtat dans la vie des personnes, soutenant que de telles interventions font souvent plus de mal que de bien. Il prĂ©conise des solutions plus petites et locales aux problĂšmes sociaux, mettant lâaccent sur le rĂŽle de la communautĂ© et la responsabilitĂ© personnelle plutĂŽt que sur les approches bureaucratiques centralisĂ©es.
La pensĂ©e de Dalrymple offre une critique profonde et provocatrice de la sociĂ©tĂ© moderne. Une chose est certaine on ne sort pas indemne dâun de ses ouvrages.
Paul Sernine
Commander sur le site de l’Ă©diteur : https://editions-carmin.com
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« Les mĂ©canismes mentaux utilisĂ©s par les intellectuels progressistes pour se cacher la vĂ©ritĂ© Ă eux-mĂȘmes et aux autres »
Tout dâabord, il y a le dĂ©ni pur et simple. Lâaugmentation de la criminalitĂ©, par exemple, a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme un simple artefact statistique, avant quâil devienne impossible de la nier sous le poids des preuves. Ă lâĂ©poque, on nous disait que ce nâĂ©tait pas tant la criminalitĂ© qui augmentait que la volontĂ© ou la possibilitĂ© pour les gens de la signaler â par la diffusion du tĂ©lĂ©phone. Quant Ă la baisse du niveau scolaire, elle a longtemps Ă©tĂ© niĂ©e par le recours aux statistiques montrant que de plus en plus dâenfants rĂ©ussissaient les examens. Cette demi-vĂ©ritĂ© omettait de dire que ces examens avaient Ă©tĂ© dĂ©libĂ©rĂ©ment rendus si faciles quâil Ă©tait pratiquement impossible dây Ă©chouer (le concept dâĂ©chec ayant Ă©tĂ© aboli), sinon en refusant de sây prĂ©senter. Cependant, mĂȘme le plus progressiste des professeurs dâuniversitĂ© ne peut plus nier que ses Ă©tudiants ne maĂźtrisent ni lâorthographe ni la ponctuation.
DeuxiĂšmement, on trouve la comparaison historique tendancieuse avec une lointaine Ă©poque. Oui, on lâadmet, violence et vulgaritĂ© font partie intĂ©grante de la vie britannique moderne, mais cela a toujours Ă©tĂ© le cas. Lorsque les supporters anglais se sont dĂ©chaĂźnĂ©s en France pendant la finale de la Coupe dâEurope de football (comportement dĂ©sormais systĂ©matiquement attendu de leur part), mĂȘme le trĂšs conservateur Daily Telegraph a publiĂ© un article affirmant quâil nây avait lĂ rien de nouveau et que lâAngleterre hanovrienne avait Ă©tĂ© une Ă©poque de rĂ©voltes et dâivrognerie â laissant ainsi entendre quâil nây avait dĂšs lors pas lieu de sâinquiĂ©ter. Pour quelque Ă©trange raison, la persistance ininterrompue, durant des siĂšcles, de comportements antisociaux est censĂ©e faire office de rĂ©confort, voire de justification. De la mĂȘme maniĂšre, les intellectuels dĂ©crivent le sentiment dâinsĂ©curitĂ©Ì comme irrationnel (et ceux qui lâexpriment comme manquant de connaissances historiques), parce quâil nâest pas difficile de trouver des Ă©poques historiques oĂč la criminalitĂ©Ì Ă©tait pire quâaujourdâhui. Jâai mĂȘme vu des gens moquer lâinquiĂ©tude causĂ©e par lâaugmentation du taux dâhomicide, au prĂ©texte que, dans lâAngleterre mĂ©diĂ©vale, ce taux Ă©tait bien plus Ă©levĂ© quâactuellement. Ainsi donc, la comparaison historique avec une pĂ©riode remontant Ă plusieurs siĂšcles est jugĂ©e plus pertinente que celle avec une pĂ©riode remontant Ă trente ans, ou mĂȘme seulement dix ans â du moins, tant que cette comparaison relativise la gravitĂ© de phĂ©nomĂšnes sociaux indĂ©sirables.
TroisiĂšmement, une fois les faits finalement admis sous la pression de lâaccumulation des preuves, on en nie ou pervertit la signification morale. Vous vous inquiĂ©tez que les enfants sortent de lâĂ©cole aussi dĂ©pourvus de connaissances quâils y sont entrĂ©s ? Enfin, voyons, câest parce quâon ne les oblige plus Ă apprendre par cĆur, mais quâon leur apprend Ă trouver par eux-mĂȘmes les informations dont ils ont besoin. Leur incapacitĂ© Ă Ă©crire lisiblement ne diminue en rien leur capacitĂ© Ă sâexprimer, bien au contraire. Au moins, ils ont Ă©vitĂ© lâhorreur de lâapprentissage de rĂšgles arbitraires. La vulgaritĂ© ? Câest la libĂ©ration des carcans malsains qui dĂ©forment le psychisme ; câest simplement le renouveau vivifiant de la gouaille populaire, et ceux qui sây opposent sont des rabat-joie Ă©litistes. Quant Ă la violence, on peut la justifier, quelle quâelle soit, par la « violence structurelle » de la sociĂ©tĂ© capitaliste.
Théodore Dalrymple, Zone et chùtiment, p. 29-31.