Vive Charles Martel !

Une tempête dans un verre d’eau au Pays des Merveilles. Depuis quelques années les Jeunes UDC du canton de Vaud proposent un prix pour récompenser une personnalité pour son patriotisme. D’aucuns s’offusquent et se scandalisent car le prix porte le nom de Charles Martel. Qu’en est-il ? De quoi est-ce le signe ?
Charles Martel à la bataille de Poitiers, en octobre 732. Représentation par Charles de Steuben (1837), Galerie des Batailles, musée d'histoire de France, château de Versailles.
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Mon enfance fut bercée par la série de bandes-dessinées Les Timours. Je me souviens plus particulièrement de l’album La francisque et le cimeterre qui commence par ces mots : « Dans un irrésistible élan, les Arabes avaient franchi le détroit de Gibraltar, en dix-huit mois, l’Espagne est soumise. Le temps de souffler, d’organiser leur conquête, et les rapides cavaliers maures franchissent les Pyrénées, Moussa-Ben-Hossaïr prend Narbonne, Carcasonne, pille et incendie les couvents et les églises et repasse en Espagne chargé de butin. Son successeur Al-Haok reprend Narbonne, la fortifie pour en faire la base de ses opérations ultérieures. Les Sarrasins assiègent Toulouse, s’avancent par la côte de la Méditerranée jusqu’au Rhône, qu’ils remontent jusqu’à Lyon. Nîmes perd ses dernières splendeurs, Arles ses derniers trésors. La Provence est dévastée, Abd-El-Hamman s’empare des grandes villes du sud-ouest. Les étendards du Prophète flottent au vent de l’Atlantique. Les burnous blancs escaladent les murailles de Bordeaux, qui flambe haut et clair. (…) Est-ce la fin de la chrétienté tout entière qui s’annonce ? » (Editions Dupuis, 1983, p. 3) La lecture de cette introduction et de la bande-dessinée qui suit renouvelle en moi des sentiments identiques à ceux du jeune lecteur que j’étais : un appel à l’héroïsme et à la grandeur. Nous sommes bien loin de ce temps-là !

Une polémique ridicule

Le 14 avril, à l’occasion de l’entrée du canton du Vaud dans la Confédération, les Jeunes UDC du canton mettent « à l’honneur une personnalité qui s’est démarquée par son engagement en faveur du patriotisme, de la liberté et d’une Suisse souveraine » (site des Jeunes UDC vaudois). Ce prix est placé sous le patronage de Charles Martel. On peut discuter du patronage qui semble faire peu de sens mais là n’est pas la question.

Dans son édition du 4 avril, le quotidien 24 Heures se demande si « les Jeunes UDC vont (-ils) convoquer Charles Martel ? » La réponse est laissée au camarade-historien Dominique Dirlewanger pour qui Charles Martel est « une figure guerrière qui appartient au folklore de l’extrême droite française depuis la fin du XIXe siècle ». Monsieur Dirlewanger poursuit sa condamnation sans appel : « Charles Martel renvoie à la bataille de Poitier (732), où le chef militaire franc a battu les Sarrasins. Et c’est ce qui aurait mis fin à l’invasion arabo-musulmane en Europe. Cette figure permet surtout de rassembler toute la cause nationaliste et chrétienne contre les musulmans. » Je ne conteste pas la science historique de Monsieur Dirlewanger mais peut-être oublie-t-il « qu’interpréter par l’histoire ne signifie pas encore l’histoire elle-même » selon la belle formule de Julien Freund ?

De qui parle-t-on ?

Né aux alentours de l’année 688, Charles Martel est le fils de Pépin de Herstal, maire du palais de l’Austrasie, et d’une concubine, ce qui lui conférait une position à la fois puissante et précaire au sein de la hiérarchie franque.

À la mort de son père en 714, le pouvoir des Francs est assuré par les maires du palais, une fonction initialement administrative qui gagne en autorité au détriment des rois mérovingiens, désormais réduits à un rôle largement symbolique. Toutefois, la position de Charles n’est pas garantie. Il lui faut lutter pour affirmer son autorité.

Rendu célèbre pour sa victoire à la bataille de Poitiers en 732, Charles Martel est aussi un réformateur et un administrateur habile. Il consolide et étend les territoires sous le contrôle franc, réforme l’armée et joue un rôle crucial dans la nomination des dirigeants religieux, ce qui lui permet de renforcer l’influence de la dynastie carolingienne dans les affaires ecclésiastiques. Charles prépare ainsi le terrain à son fils, Pépin le Bref, qui deviendra roi des Francs, mettant fin à la lignée des rois mérovingiens et établissant la dynastie carolingienne, qui atteindra son apogée avec Charlemagne, le petit-fils de Charles. Il meurt en 741 en laissant un royaume stable et puissant.

N’en déplaise au 24 Heures et à son historien attitré, Charles Martel ne peut se réduire à la bataille de Poitiers. Au demeurant, au sujet de ladite bataille, relevons avec Georges Minois « qu’après la bataille de Poitiers il n’y aura plus d’incursions musulmanes d’ampleur en Aquitaine et dans le nord de la Gaule. Charles Martel a sauvé (…) le royaume mérovingien. Il a agi en chef des Francs, et désormais il va concentrer son action sur la lutte contre les Sarrasins en Bourgogne et en Provence. (…) Après 732, il regarde essentiellement vers le monde arabo-musulman, signe d’une prise de conscience du nouveau danger qui menace le monde franc. Là réside l’importance de la bataille de Poitiers » (Charles Martel, Perrin, Paris, 2020, p. 283).

L’archétype, le symbole et le mythe

Charles Martel, connu comme le maire du palais des Francs, émerge de l’histoire médiévale comme une figure emblématique qui transcende les frontières du temps et de l’espace pour devenir un archétype, un symbole et un mythe dans la conscience collective. Le maire du palais incarne l’archétype du héros guerrier dont les actions héroïques marquent l’histoire. Selon Carl Gustav Jung, les archétypes sont des modèles universels présents dans l’inconscient collectif de l’humanité. Charles Martel représente le guerrier courageux et déterminé qui défend son peuple contre ce qui l’oppresse. Dans son ouvrage « Le héros aux mille et un visages », Joseph Campbell souligne le rôle du héros dans les mythes et légendes. Le vainqueur de Poitiers incarne le héros mythique qui triomphe de l’adversité pour sauver sa communauté.

Au-delà de son rôle d’archétype, Charles Martel devient un symbole puissant de la résistance et de la défense face aux menaces extérieurs. Dans son ouvrage The Age of Charles Martel, l’historien Paul Fouracre souligne que le nom de l’aïeul de Charlemagne est synonyme de lutte pour la liberté et la justice. On peut dire sans exagérer que son nom est un cri de ralliement pour ceux qui cherchent à défendre leur patrie contre les forces de l’oppression. Bien plus son histoire symbolise le courage et la détermination pour toutes les générations.

Charles Martel, Grandes Chroniques de France. BL Royal MS Royal 16 G VI f. 118v.

Enfin, Charles Martel devient une figure mythique dont les exploits sont magnifiés au fil du temps. Les récits épiques et les légendes populaires embellissent son histoire, en faisant de lui une figure légendaire dont l’influence perdure. Son histoire continue d’être racontée et célébrée, témoignant son impact durable sur l’histoire et la culture occidentales. 

Les contempteurs de Charles Martel souscrivent-il à la proclamation du Méhémet-Ali, pacha d’Égypte, en 1848 : « Peuple d’Occident, on vous avait étrangement abusé en vous faisant croire que nous étions à la queue ; reconnaissez enfin que nous sommes vos aînés en civilisation ; inclinez-vous devant la sagesse du Coran, et maudissez la mémoire des Charles Martel, des Sobieski qui ont barré le chemin aux armées musulmanes alors qu’elles venaient, il y a plusieurs siècles, vous apporter le régime bienheureux que les apôtres du socialisme vont inaugurer aujourd’hui parmi vous. Dieu seul est grand ! Louis Blanc et Cabet sont ses prophètes tout aussi bien que Mahomet » ? (cité par W. Blanc et Ch. Naudin, Charles Martel et la bataille de Poitiers de l’histoire au mythe identitaire, Libertalia, Paris, 2015-2022)

Finalement, même si on peut discuter le choix des Jeunes UDC, je préfère qu’ils choisissent Charles Martel que Conchita Wurst.

A bon entendeur, salut !

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