Le blues du bâtisseur

Personnage atypique, entrepreneur passionné, Emmanuel Poularas est administrateur de la société Prologis, spécialisée dans la construction de villas. Il explique pourquoi les propriétaires en devenir font désormais face à une situation étouffante dans le canton de Vaud.
Emmanuel Poularas défend bec et ongles la propriété privée. ça tombe bien, nous aussi. DR
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Emmanuel Poularas, pourquoi voulez-vous taper du poing sur la table?

On fête cette année le dixième anniversaire du vote sur la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT). C’est un projet qui découlait d’une volonté du Conseil fédéral et qui manifestait une volonté que je peux comprendre: freiner l’étalement urbain. Aujourd’hui, cependant, il faut avoir le courage d’admettre que la LAT n’a pas atteint les objectifs fixés à l’époque.

Sur quels points jugez-vous que la loi a failli?

Je parle du canton de Vaud car c’est là que mon groupe est essentiellement actif. Dix ans après le vote sur la LAT, on y empêche une majorité de communes d’accueillir de nouveaux habitants. Sur un total de 309, 180 sont totalement bloquées: il est impossible d’y déposer un permis de construire. Jugées surdimensionnées, elles doivent déposer un plan d’affectation communal (PACom), dont seuls 26 ont été validés ou sont en cours de validation.

Et dans les communes restantes?

Des plans d’affectation sont en train d’être élaborés, ou alors le travail n’a même pas été lancé tant tout est devenu terriblement compliqué pour les élus.

Ce qui débouche, selon vous, sur une course à la densification…

Oui, parce que l’accès à la propriété est devenu terriblement compliqué. On a créé une «mauvaise rareté» avec le foncier, qui a pris l’ascenseur. Rien qu’au niveau de notre entreprise, nous comptons 1200 familles, souvent de jeunes couples, qui nous demandent de trouver une solution pour qu’elles puissent s’établir. Or nous pouvons tout au plus construire une septantaine de villas par an pour répondre à cette demande.

Vous vous sentez plus libre de parler aujourd’hui que par le passé?

À bientôt soixante ans, il est certain que le gros de ma carrière est derrière moi, même si ma société est florissante. Je lui prête un avenir radieux grâce à l’implication de mes fils, auxquels je remettrai les clefs. En fait, je m’expose car j’aimerais qu’un vrai constat d’échec soit enfin dressé au niveau politique. Quand on parle de «densification», je veux rappeler que cela signifie d’immenses barres d’immeubles dans lesquelles les gens n’ont pas forcément envie d’aller s’installer. Il ne suffit pas de mettre des fleurs sur les façades, planter quelques arbres et recouvrir le béton de bois pour que ces bâtiments deviennent miraculeusement écologiques. En France, en Italie ou en Espagne, plus personne ne veut de ces grandes cités. Le désastre visuel avec lequel on nous faisait peur au moment de la LAT, il est aujourd’hui dans nos grandes villes.

Attendez-vous quelque chose en particulier de la part de la droite, désormais majoritaire au gouvernement?

Je ne fais pas de politique; c’est vraiment un appel citoyen: aujourd’hui, je voudrais expliquer qu’une villa avec un jardin aussi peut devenir une zone de biodiversité. La grande majorité des propriétaires, actuels ou futurs, sont d’ailleurs dans cette tendance-là. Plutôt que de tout interdire, pourquoi ne pas favoriser l’apparition de tous ces ilots de verdure?

Le problème du canton de Vaud c’est qu’un jour, on a décidé pour lui qu’il devait réduire fortement la zone à bâtir, ce sur quoi je n’entends pas revenir, s’agissant du verdict des urnes. Là où je ressens un malaise, c’est au niveau de la méthode qui a été choisie par nos autorités cantonales: à savoir le faire en fonction du nombre d’habitants. Quand la révision de la LAT a été votée on s’est dit que les petits villages ne pourraient grandir que de 0,7 %, mais que tout ce qui se trouvait au centre ou dans les agglomérations pourrait aller bien au-delà. Quand on pense qu’on a voté contre la limitation de 1 % de la population au niveau fédéral, je demande comment on peut imposer ce 0,7 % à tous nos villages? C’est un manque flagrant d’équité.

Un écologiste vous reprocherait certainement de défendre vos intérêts avec ce discours…

Non, je défends une qualité de vie pour nos citoyens. C’est une position philosophique: je revendique le choix. C’est clair que la société doit cadrer, mais on ne peut pas gérer l’aménagement du territoire avec un simple tableur Excel.

Derrière ce combat dans lequel vous vous engagez, il y a donc une philosophie?

Oui, c’est évident. Je suis un promoteur de la famille, quelle qu’elle soit, et j’aime qu’elle puisse vivre dans des lieux adaptés.

Vous avez le sentiment que le canton de Vaud devient laid?

Au-delà de la LAT, je dirais que le pouvoir de l’architecte devient de plus en plus réduit. Quand je me promène en ville ou dans ces nouvelles banlieues que l’on construit, je ne vois que des cubes, avec parfois des fleurs ou du bois certes, mais des cubes quand même. Parce qu’aujourd’hui, il faut d’abord tout connaître de la législation bien avant de penser au projet. Cette situation ne me séduit guère.

Du point de vue de ceux qui les défendent, ces grands cubes d’habitation favorisent néanmoins la mixité sociale…

Parfait, pour autant qu’elle soit volontaire! Mais pourquoi la mixité ne vaudrait-elle que pour les individus et pas pour les habitats?

Comme promoteur…

…Constructeur! La nuance est importante pour moi.

Alors disons comme constructeur, vous avez le sentiment d’être constamment dans le rôle du salopard?

Aujourd’hui, on a un droit à l’opposition dont les uns et les autres font de plus en plus usage. Comme constructeur, on peut répondre à toutes les normes, les législations et autres polices des constructions, mais on doit désormais faire face à des oppositions philosophiques. De plus en plus, des voisins nous disent qu’ils veulent sauver la planète et qu’il ne faut dès lors pas construire pour d’autres. Ils sont eux-mêmes propriétaires mais nous font passer pour les méchants parce que nous aidons d’autres à le devenir.
Dernièrement, des gens se sont opposés à un projet parce qu’il y avait un arbre qui était mal placé sur la parcelle. J’ai dit que non seulement nous allions le compenser, mais que j’étais prêt à créer un verger chez eux. Ils m’ont répondu qu’ils allaient tout de même faire opposition parce qu’ils considéraient, en tant qu’éco-anxieux, qu’il ne fallait plus construire dans le pays. Traiter ce genre d’opposition peut prendre deux ans et vient encore renchérir le coût de la construction.

Voir aussi

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