Veste Adidas rouge, keffieh assorti, T-shirt « Free Palestine »… Au moins, il n’y a pas tromperie sur la marchandise: Rayan Ammon, nouveau conseiller communal à Yverdon-les-Bains, est bien d’extrême-gauche ! Jeudi 7 novembre, ce militant du parti Solidarité & Écologie est entré dans ses nouvelles fonctions avec une tenue qui n’était pas conçue pour passer inaperçue. « Ce qu’il fallait voir, c’était le keffieh », nuance le jeune politicien, qui n’a pas voulu faire un « combo » avec la veste de jogging. Fidèle à son habillement quotidien, il a simplement porté du rouge par affiliation marxiste, et un keffieh comme tous les jours depuis l’adolescence. Cela aurait aussi bien pu être du vert, sa couleur favorite (et complémentaire).
Employé de commerce et enseignant remplaçant, le politicien n’aurait de toute manière pas pu proposer un look propret de banquier Raiffeisen pour l’occasion. Ses seules chemises sont des chemises hawaïennes. « Je comprendrais plus logiquement qu’on doute de ma compétence et de mon sérieux si j’avais prêté serment en les portant », plaisante-t-il. Mais dans une assemblée législative d’un pays neutre, s’afficher en keffieh et T-shirt à message propalestinien est-il bien raisonnable ? D’un naturel courtois et ouvert aux débats, Rayan Ammon juge qu’un politicien doit savoir trancher. « À l’heure actuelle, dans le contexte suisse, j’ai fait le choix de porter ces habits et je ne le regrette pas. »
Il n’était d’ailleurs pas seul à porter le keffieh lors de l’assemblée. Son voisin, depuis plusieurs séances, s’affiche aussi volontiers avec le symbole de la résistance palestinienne. Et du côté des camarades du Parti Ouvrier Populaire vaudois, le président vaudois Luca Schalbetter n’est pas en reste puisqu’il porte aussi le keffieh de façon quasi-quotidienne depuis un voyage au Proche-Orient en 2018. Mais sur la veste de jogging, sur ce deuxième point, la philosophie de son parti est un peu différente : « Nous conseillons à nos élus de ne pas être habillés n’importe comment : on a un mandat sérieux donné par les classes populaires et faut respecter la fonction. » Et de préciser : « Cela a toujours été comme ça chez les communistes, nos élus ouvriers défilaient en costume au 1er mai. »
Une certaine créativité
Entre bonnets gardés à l’intérieur, généralisation du survêtement ou même décolleté pour homme lors d’une séance en juin, la gauche du législatif de la Cité thermale ne craint pas de faire dans une créativité assez radicale. Stupéfait par ces images, le syndic d’une petite localité vaudoise nous assure : dans son Conseil général, une personne ainsi vêtue se verrait renvoyée à la maison pour s’habiller convenablement. Faudrait-il en venir à instaurer un « dress code » ?
Ancien président du Conseil communal, l’UDC Roland Villard n’est pas loin de penser que oui. « Ils sont trois ou quatre à venir avec un keffieh. Lors de l’assermentation de novembre, j’ai failli me retourner pour montrer ma désapprobation face à ce geste militant. » Il se souvient du reste que, comme premier citoyen de la ville, contemplant toute l’assemblée de face, il se faisait régulièrement la réflexion du manque respect affiché par certains pour la fonction. Lors d’une séance marquée par le décès d’un municipal, en novembre, lui-même portait cependant un pull à capuche… « Il faut voir où mettre le curseur. Il y a tout de même de la marge entre venir à poil ou en costard-cravate. » C’est en réalité surtout concernant les symboles politiques et éventuellement religieux trop voyants qu’il aimerait des règles plus strictes.
Rayan Ammon, de son côté, assume son choix : « Je suis devant des adultes et je représente un parti politique. » Et de conclure avec une question qui sent bon la sociologie bourdieusienne (voir La Distinction, Critique sociale du jugement, 1996) : « Faut-il s’habiller comme les électeurs ou s’en distinguer ? »
L’ambassadrice d’Israël en Suisse : « Nous ne menons pas une campagne de vengeance »
écrit par Raphaël Pomey | 14 novembre 2024
Madame l’ambassadrice, merci de nous accorder cet entretien. Au vu des démarches nécessaires à sa préparation, je me suis demandé si vous étiez en danger, même dans un pays neutre comme le nôtre ?
Ma situation personnelle importe peu, ce qui compte c’est l’Etat d’Israël, que je suis fier de représenter, mais qui traverse des moments difficiles. Par ailleurs, j’ai une confiance totale envers les professionnels suisses qui veillent à la sécurité de tous les diplomates et je connais l’efficacité de nos propres équipes de sécurité. Toutefois, le danger est flagrant à l’échelle mondiale : une énorme machine de propagande a été mise en marche le 7 octobre pour présenter notre pays comme l’agresseur et non plus comme la victime. En outre, le terrorisme mené par l’Iran constitue un danger pour les Israéliens dans le monde entier. Aujourd’hui, l’Iran et ses alliés constituent le principal danger pour la paix et la sécurité, non seulement du Proche-Orient, mais au-delà, jusqu’en Europe. Le Hamas n’est qu’un relais (ndlr, « proxy ») de l’Iran parmi d’autres.
J’aimerais ajouter que l’on observe une dangereuse dérive de la critique, légitime, de la politique israélienne. Aujourd’hui, elle déborde sur de l’antisémitisme caractérisé et met des vies en danger. Cette poussée des actes haineux s’observe dans toute l’Europe, mais aussi en Suisse. Elle doit être combattue à tous les échelons du système politique.
C’est ce climat qui explique que beaucoup de journaux refusent carrément de vous rencontrer ?
Je ne veux faire le procès de personne ni d’aucun secteur : de telles postures caractérisent aussi des acteurs du monde académique et même certains hommes politiques, par exemple, et pas seulement des journalistes. Mon hypothèse est qu’en général, les personnes qui refusent de me rencontrer ont déjà une opinion et ne souhaitent pas la confronter aux faits que je pourrais apporter. Mais pour tout dire, je ne comprends pas que des personnes actives dans l’enseignement, l’écriture ou le débat public en général puissent refuser le dialogue.
Vous avez le sentiment que nous ne croyons plus à la démocratie ?
Non, la réalité est bien plus grave : beaucoup de gens ne croient plus aux faits. Il y a cette idée que l’on peut choisir, en quelque sorte, la vérité qui nous arrange. J’en ai une perception aiguë depuis les attaques du 7 octobre : pensez, certaines personnes refusent même d’admettre qu’il s’est passé quoi que ce soit, ou prétendent que le Hamas a uniquement visé des militaires. Même si on leur montre les images horribles prises par les terroristes eux-mêmes, ils refusent d’admettre les faits.
Depuis des années, en Suisse romande, la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation(CICAD) mène une politique très agressive contre ses adversaires. Cela ne favorise-t-il pas ce genre de réactions ?
La CICAD est indépendante de l’État d’Israël et ne m’a pas donné de mandat pour parler en son nom. Elle a sa propre politique et réalise un travail important, mais séparé du mien. Cela dit, j’ai déjà entendu ces reproches. Je les rattache à un dilemme : que faut-il faire quand on observe le premier un péril ? Sur la base de l’histoire tragique de notre peuple, on peut comprendre la volonté de dire résolument et rapidement « stop » à tout phénomène qui permet la manifestation de la haine envers les Juifs, comme le sentiment d’impunité généré par Internet, par exemple. Mais chacun a son propre mode de fonctionnement et, encore une fois, il ne m’appartient pas de parler au nom de la CICAD.
Je crois aussi que certaines personnes sont surprises aujourd’hui de voir des réactions quand elles vont trop loin. Elles n’y étaient sans doute pas habituées jusque-là.
Vous avez le sentiment que l’on veut bien vous tolérer en tant que peuple, à condition que vous soyez dociles ?
En tout cas certains s’autorisent des déclarations officielles qui nous scandalisent en Israël. Je pense ici à certaines agences des Nations Unies et à des hauts fonctionnaires qui affirment, en substance, que nous n’avons pas le droit d’agir comme n’importe quelle autre démocratie qui aurait été agressée.
Imaginez – plaise à Dieu que cela n’arrive jamais – que la paisible Suisse se réveille un matin et découvre que plus d’un millier de ses citoyens ont été sauvagement assassinés. Ne prendriez-vous pas les mesures nécessaires pour protéger vos habitants ? Bien sûr que oui. Pourtant, quand c’est notre cas, cela nous vaut d’être traités en tant qu’agresseurs. Songez qu’on nous demande sans cesse d’arrêter une guerre que nous n’avons pas lancée !
Est-ce que vous pensez ici au secrétaire général des Nations unies, António Guterres qui a mis votre pays en garde contre un « cauchemar humanitaire » en cas de nouvelle opération armée dans le sud de Gaza ?
Je ne faisais pas référence à ce qu’il a dit hier (ndlr : le 7 février) : je suis moi aussi désolé de la misère et de la souffrance qui rongent la bande de Gaza. Le problème est que la responsabilité en incombe au Hamas, pas à Israël. Pensez aux tunnels que nous découvrons tous les jours, modernes, fortifiées, et bien plus longs que nous ne l’imaginions : l’argent nécessaire à leur construction n’aurait-il pas pu bénéficier aux habitants ? N’aurait-il pas pu servir à construire des écoles, des hôpitaux ou des places de jeux ? Malheureusement, là où nous faisons tout pour mettre nos citoyens en sécurité, le Hamas ne songe lui qu’à détruire son voisin et le peuple juif en général et met en danger sa propre population.
Ce qui nous a rendu furieux, en réalité, c’est quand António Guterresa affirmé que les attaques du 7 octobre n’avaient pas eu lieu dans le vide (ndlr, « in a vacuum »). Pour nous, cela venait justifier le crime le plus abominable commis contre des Juifs depuis la Seconde Guerre mondiale. Je ne m’étends même pas sur le fait que nous ayons quitté Gaza depuis 2005 car de toute façon, qu’est-ce qui pourrait bien excuser l’assassinat de bébés, d’enfants ou le kidnapping de grands-mères et de grands-pères en pyjama ?
Vous contestez l’idée que votre riposte soit disproportionnée depuis la fin de l’année dernière ?
Nous ne menons pas une campagne de vengeance parce que nous ne sommes pas des tueurs barbares comme le Hamas. Nous sommes un pays démocratique et pacifique qui prend des mesures conformément à son devoir de protéger son peuple. Nous n’intervenons pas avec la volonté de tuer des Palestiniens. Un simple exemple : nous annonçons nos attaques – en arabe – à la population à l’avance pour qu’elle puisse se mettre en sécurité. Quelle autre armée fait ça ?
Il faut aussi préciser que la guerre continue parce que le Hamas refuse d’abandonner la violence, de renoncer à ses capacités militaires et de restituer nos plus de 130 otages restants. S’il le faisait, le conflit s’arrêterait sur le champ.
Beaucoup de nos lecteurs sont chrétiens. Comment leur expliquez-vous le bombardement de l’église grecque orthodoxe Saint-Porphyre à Gaza, fin octobre, ou en décembre, la mort de deux femmes qui priaient au sein de la paroisse catholique de la Sainte-Famille de Gaza ?
Nous prenons tous ces cas très au sérieux et notre armée mène une enquête. Nous veillons à ne pas attaquer de sites religieux, et en particulier les églises. Malheureusement, dans l’intensité des combats, des erreurs surviennent parfois et il arrive par exemple aussi que nos propres soldats subissent un feu ami, et nous avons également abattu par erreur trois de nos otages. Mais nous ne visons pas les sites religieux, sauf si nous essuyons des tirs depuis ceux-ci ou s’ils ont été transformés en complexes militaires par les terroristes, comme c’est trop souvent le cas des mosquées.
Vous êtes en Suisse depuis août 2021. Est-ce que cela vous surprend toujours que certains élus affichent leur proximité avec des belligérants comme le Hamas ?
Je suis consciente de cette tension entre l’envie de garder de bons rapports avec tout le monde, dans l’espoir de permettre la résolution de conflits, d’un côté, et certaines décisions importantes comme reconnaître le Hamas comme organisation terroriste, de l’autre. Mais je crois qu’il y a des choix qu’un pays qui aime la paix, comme la Suisse, est obligé de faire même avec une tradition de neutralité, et qu’il n’est pas contradictoire de prendre clairement position contre le mal.
Découvrez les charmes de Lausanne la camée
écrit par Max Frei | 14 novembre 2024
Depuis quelques semaines, la visibilité de la toxicomanie est LE sujet brûlant de l’actualité lausannoise, avec la hausse du prix du tempeh dans les bistrots sous-gare. Face à la fronde de la population, la municipalité a décidé de serrer la vis et a mis en place une task force de 42 agents pour mieux gérer la problématique. L’objectif, selon Pierre-Antoine Hildbrand (municipal PLR chargé de la sécurité), consiste à « continuer à lutter contre les dealers », mais aussi à « veiller à ce que les consommateurs ne perturbent pas l’ordre public » (24 Heures du 25 août dernier). Il faut dire que des photos d’enfants jouant à proximité de personnes en train de se shooter avaient suscité un certain émoi chez les Lausannois. Le problème n’est certes pas nouveau, mais il semble empirer. Ne soyons toutefois pas trop catastrophistes : gageons qu’il y a même des touristes que ce spectacle séduit. Le Peuple leur offre une visite guidée.
Commençons notre virée au centre-ville. Pas besoin de se balader bien loin, en effet, pour découvrir l’enfer de la drogue. Il suffit de mettre les pieds à la riante place de la Riponne. Si, depuis le début de ce déploiement policier, le nombre de dealers semble avoir légèrement diminué, les toxicomanes restent omniprésents dans ce décor de béton. Expérience pittoresque : il est difficile de traverser les lieux sans que quelqu’un vous demande une pièce dans un murmure souvent incompréhensible. Rebelote lorsque vous voulez vous attabler à la terrasse des différents bars ou restaurants du secteur.
Un nouveau local d’injection comme solution ?
Pour lutter contre ces scènes, la municipalité veut ouvrir un nouveau local d’injection dans le coin, puisque celui du Vallon paraît – on est toujours plus sage après avoir engagé l’argent public – trop éloigné aux yeux de la Muni. Mais pour quoi faire ? Il en existe déjà un, très bien réputé d’ailleurs : les toilettes publiques de la place de la Riponne. En dehors des drogués, des policiers et des malheureux employés de la voirie, ces WC ne reçoivent aucun visiteur. Signe de la convivialité des lieux, les marginaux sont souvent entassés à l’intérieur, si bien qu’une porte entrouverte laisse toujours imaginer le pire. Taches de sang, seringues et pipes à crack recouvrent en général le sol. Un jour, j’ai pu observer une touriste cherchant un endroit pour se soulager : peu sensible aux traditions locales, la dame est aussitôt repartie à pas soutenus. Les toxicomanes, pourtant, ne ménagent pas leurs efforts pour apporter un peu d’animation : on les voit faire ainsi d’innombrables allers-retours entre les toilettes et le « string », leur quartier général. Signe que ce beau spectacle n’est pas près de s’arrêter, il faut noter que le futur local, situé au nord de la place, devrait être ouvert 6 jours sur 7, tôt le matin jusqu’à 21h30, comme si les addictions avaient, elles aussi, un horaire.
Remontons quelques centaines de mètres. Nous arrivons au Vallon, à deux pas de l’Hôtel de Police. Un quartier plutôt calme, doit-on regretter au premier abord. Pourtant le premier local d’injection de la capitale olympique y est installé depuis quelques années mais peu d’usagers semblent s’y rendre, malgré un accueil aux oignons. D’autres coins de la ville sont privilégiés par les marginaux, notamment ceux où il y a davantage de passage. L’espoir de grapiller quelques sous guide leurs pas, comme la météo les coups d’ailes des cigognes blanches. La Riponne représente évidemment la pointe de l’iceberg, mais il suffit de se promener à Chauderon, à Montbenon ou encore à la gare pour découvrir les diverses déclinaisons du spectacle.
Une cohabitation à envier ?
Malgré leurs charmes indéniables, ces traditions locales ne sont plus du goût de tous. Sans cesse perturbé dans son quotidien, un habitant de la Riponne confie son désir de déménager. Il dit « en avoir vraiment marre de cohabiter avec les toxicomanes », et ajoute : « l’hiver, ils squattent les cages d’escaliers des immeubles pour profiter de la chaleur, et l’été, ils empêchent les habitants de dormir avec les fenêtres ouvertes vu les disputes et les cris qu’ils émettent ». Même son de cloche pour les maraîchers qui n’apprécient pas particulièrement d’installer leurs stands tôt le matin dans un décor parfois très authentique. Certains glissent en outre que la présence imposée des personnes dépendantes diminue leurs chiffres.
Le problème des scènes ouvertes de la drogue n’est pas une absolue nouveauté. Non loin de la place du Tunnel, des seringues trainent aux alentours d’un établissement primaire depuis des années, avec les risques que l’on connaît pour les enfants. Il y a quelques semaines, il m’est arrivé d’y voir un homme en plein shoot, littéralement à vingt mètres du préau. La scène se déroulait à la sortie des cours, devant des enfants visiblement habitués mais pas totalement enchantés pour autant. Malheureusement, ces formes de cohabitation plus ou moins heureuses sont de plus en plus fréquentes à Lausanne.
Si le spectacle de la toxicomanie vous plaît, dépêchez-vous de visiter Lausanne, car la municipalité a décidé de mettre les bouchées doubles. Alors que les autorités ont répété durant des années qu’elles ne pouvaient rien faire pour lutter contre ce fléau, voilà qu’une seule décision politique offre un bol d’air bienvenu pour les commerçants et habitants du coin. Mais pas de précipitation, cette lutte ne devrait durer que quatre mois, à moins d’être prolongée si les résultats obtenus sont jugés insuffisants.
Espérons que le secteur du tourisme saura s’adapter.