La violente crise Miss.Tic d’Avignon

Elle voulait « la France au Maliens », ne croyait qu’en « un Éternel féminin » et partageait volontiers les dernières nouvelles de ses organes reproductifs avec le monde entier. « Elle », c’est Miss.Tic, Radhia Anouallah de son vrai nom, dont l’œuvre est à l’honneur tout au long du parcours de visite du palais des papes d’Avignon jusqu’en janvier 2025. C’est ici, dans ce bâtiment somptueux que la tête de l’Église catholique avait fui l’instabilité politique de Rome entre le XIVème et le premier quart du XVème siècle. 

Spectaculaire collision, cette première exposition post-mortem de l’artiste parisienne est présentée comme son « ultime provocation » sur un panneau disposé au début de la visite, à quelques pa(pe)s de la machine à café Lavazza. Mieux, l’obligation de se coltiner l’œuvre de cette « enragée » nous est même assénée comme « un dernier pied-de-nez à l’histoire et au pouvoir dans un lieu de la puissance masculine ».  Preuves indubitables du caractère sulfureux du programme : les logos de soutiens étatiques de l’exposition, ainsi que celui de la FNAC.

Quand le misérable rencontre le colossal.

Face à un menu si peu alléchant, le visiteur un brin délicat se décidera peut-être à contourner les créations de cette « poétesse de la ville et artiste dans la cité ». Espoir rapidement déçu : dès la première chapelle, sublime, une vidéo tourne en boucle où la nouvelle maîtresse des lieux explique puiser son inspiration « dans son vécu ».  Quelle audace ! Comment se concentrer sur des fresques qui ont traversé les siècles quand une artiste au nom de sorcière (le pseudo de l’artiste est tiré des aventures de Picsou) nous dit cent fois que son œuvre est éminemment subjective et qu’elle fait la part belle à quelque synergie ? Alors on se force, et on se dit que l’on pourra faire abstraction de l’écran pour se noyer dans la beauté des lieux. Mais si la beauté sauvera le monde (d’après Dostoïevski et beaucoup de tatouages de ceux qui ne l’ont pas lu), elle ne nous libèrera pas de Miss.Tic. Au vrai, l’artiste n’est de toute façon pas la seule nuisance de l’endroit, qu’il convient de visiter en portant un histopad, sorte d’iPad encombrant et reproduisant la réalité médiévale des pièces grâce à des QR codes situés sur des bornes.

L’histopad porte l’estocade

Remarquable, ce travail de restitution n’en a pas moins pour effet de rendre les visiteurs totalement étrangers à la réalité qui les entoure, particulièrement les plus jeunes. Ainsi la figure de cet enfant, dans un minuscule escalier médiéval, qui s’engage sans prêter attention à l’endroit où se poseront ses pas – sans doute dans le vide. Mourir pour des idées, ironisait Brassens, l’idée est excellente, mais mourir pour un histopad, voilà qui jetterai un froid chez les modernes. 

Rien que ça.

Et modernes, nos jeunes visiteurs le sont assurément, à croire ce garçon de huit ou neuf ans qui demande à sa génitrice « il porte quoi le monsieur » devant une représentation du Portement de la Croix. Plus facile, en effet, de comprendre la prose de Miss.Tic qui, avec ses pochoirs, nous indique sur un mur voisin qu’on n’est « ni de droite ni de gauche » mais bel et bien « dans la merde ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites ! Les plus politisés apprécieront aussi à sa juste valeur l’affirmation selon laquelle « nous sommes tous en situation irrégulière ». On regrettera simplement que la glorieuse épopée créatrice de la dame, décédée en 2022, ait eu lieu à une période où le masculin générique sévissait encore librement. Mais peu importe puisqu’une touriste aux cuisses de dinosaure s’enthousiasme pour tant de vista, au point de discuter de la portée philosophique de chaque slogan avec un mari à moustache dépassé par les événements. Lui qui espérait une ambiance Da Vinci Code, quelle douleur de se retrouver face à sa moitié désormais investie d’une mission de rééducation ! 

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De quoi se souviendront les hommes…

Il est temps de nous diriger vers la grande chapelle, non sans avoir appris en route que le sexe est « au cœur de la vie » et l’amour « au cul de l’existence ». Le ton reste cru, mais c’est qu’à l’époque où elle réalisait cette nouvelle série, Miss.Tic exposait en galerie, mais en ayant abandonné « ni la rue, ni la révolte », comme l’indique un nouveau panneau. 

Nous découvrons l’espace rituel principal du palais des papes, immense vaisseau de pierre débarrassé des symboles de l’ancienne religion. Tout autour de nous, des pièces reproduites sur de faux murs recréent une ambiance de Street Art. Dans une sacristie, des enfants regardent une vidéo de l’artiste en train de réaliser des découpages de sa seule main valide tandis que, réduits au silence pour l’éternité, des gisants de papes se trouvent à quelques centimètres. L’un d’eux – un enfant, donc, pas un pape – se réjouit soudain : sur son histopad, il vient de remporter un trophée d’enquêteur en herbe. Non pas pour avoir bien observé les fresques ou l’architecture des lieux, mais parce qu’il a trouvé des éléments cachés dans la recomposition 3D des pièces qu’il a visitées par écran interposé. 

Le monde comme il ne va pas.

Anesthésiés par la transformation de l’histoire en jeux vidéo, abreuvés de révolte conformiste, de quoi se souviendront les plus jeunes ? Sauront-ils qu’à une époque, des hommes affreusement cisgenres sont morts sur les chantiers d’édifices religieux aujourd’hui colonisés par les poncifs contre la domination masculine de Miss.Tic ? Comprendront-ils que notre civilisation était plus belle lorsque les artistes croyaient toucher le Ciel avec le pinceau ou la truelle ? Sauront-ils encore rêver de temps où des tableaux commandés avec de l’argent public ne servaient pas à appeler à la « turlutte générale » et à « arrêter de tout avaler » ?  Toute époque, sans doute, s’achève en carnaval. Mais le nôtre est triste. 

La visite, saccagée par l’acouphène Miss.Tic, touche à sa fin. Les enfants, trois par trois, sont encore invités à perdre un peu de leur part de rêve sur l’autel de la rébellion ludique.  Une dernière pièce est consacrée à une œuvre collaborative. L’expérience se déroule sous la férule d’une jeune collaboratrice – une saisonnière sans doute – certaine de participer à l’avènement d’un monde meilleur en portant plus loin le message d’une Miss.Tic sans réaliser qu’il est aujourd’hui le discours dominant des castes lettrées. Un message boboïsant, sans frontièriste, sans passé et sans futur. Un message que l’on aimerait jeter dans la même benne que l’ histopad qui vient de nous cogner deux heures contre les genoux.

Tuer le réel ne suffisait pas

Une fois sortis de la boutique souvenirs, nous regardons vers le sommet des murs de l’édifice, en quête de nuages bien absents en cette fin juillet. Et l’on se dit qu’aux dimensions colossales des réalisations de nos ancêtres, notre époque n’a de cesse d’opposer l’intime, le minuscule, quand ce n’est pas le misérable. Quelque part, une commissaire d’exposition s’est-elle dit « On va leur faire payer leur machin hétéronormé, à ces touristes » ? Nul doute en tout cas que quelque tête pensante à anneau dans le nez a dû trouver un tel projet « disruptif » lors d’une discussion de café avec son collègue vegan.

L’écrivain Philippe Muray, dès les années 1990, avait annoncé la « festivisation du réel », c’est-à-dire sa colonisation par un mélange de régression enfantine et de judiciarisation des rapports sociaux pour les réfractaires. À ce virage dans une hyperréalité de substitution s’ajoute aujourd’hui un processus de destruction systématique et quasiment industriel de la longue mémoire des peuples. Alors que les autres civilisations se refusent à entrer dans un tel processus suicidaire, la permanence d’un fond culturel commun semble pourtant seule à même de permettre aux Européens de traverser les temps d’épreuves auxquels ils semblent destinés. 

La culture comme entreprise de démolition.

À la Révolution française, les nihilistes arrachaient les têtes des saints pour se faire quelques sous et souiller les Églises de leurs pas. C’était encore bien artisanal. Désormais, des expositions parallèles et des écrans effectuent un travail remarquable pour que jamais plus un enfant sache où ceux qui l’ont précédé avaient placé leurs espérances. On peut bien sûr juger ces espérances absurdes, quand on n’a pas la foi, mais elles avaient fait traverser des océans, peindre la chapelle Sixtine et bâtir des cathédrales.   

Ce n’est donc pas à une exposition un peu audacieuse que nous avons été soumis. Elle est le symptôme des moyens colossaux dont disposent aujourd’hui les rebelles subventionnés pour qu’à la sortie d’un édifice religieux, les enfants en sachent davantage sur le sexe oral que sur la figure fondatrice de leur civilisation, un homme qu’on appelle le Christ.